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Une bouteille d'émotions négatives

Le 28 décembre 1624


Face à la loi du plus grand nombre, qu'est-ce qu'il me reste à faire ?

J'ai rien fait de ce qu'il fallait faire pour être des leurs ; j'ai méprisé leurs habitudes, leurs petites vies bien réglées, le tic-tac sénile et boiteux de leur routine d'horloge, leurs rouages dégoulinants d'huile, mais pas trop ; ça fait vilain d'avoir trop de quelque chose, mais personne ne dit jamais rien sur le fait de ne pas avoir assez de quoi que ce soit.

En même temps, la question qui me vient est la suivante : comment se fait-il que l'on puisse souhaiter adhérer à tout ça ? Souhaiter être personne parmi des millions de personnes qui ont préféré oublier tout ce qui faisait d'elles ce qu'elles sont. Leur mystère, leurs déséquilibres, leur façon respective de marcher, de rire ou de danser. Toute exception à la règle est une hérésie ; toute hérésie fait peur ; toute peur brise la routine, et tout manquement à la routine est condamnée.

Condamnation ? Le plus vil des meurtriers, des violeurs ou des rois du chantage peut avoir le crédit du plus grand nombre, s'il sait parler à l'âme du peuple. Grand monstre immatériel, golem aux mille visages neutres et chauves, sans sourire, au pas monocorde et à la voix d'outre-tombe. Comme il coûte cher de nourrir contre toi la plus pure de toutes les haines ! Et pourtant, comme cette haine serait libératrice si elle pouvait pleinement s'exprimer plutôt que de tuer son porteur dans le ressentiment et la crainte de ton divin jugement !

Seulement, voilà : sans action ni omission, je te hais, ô toi, porteur de la table des lois du plus grand nombre ! Plus que ça, même : je vis comme si tu n'existais pas. Je trace mon chemin de solitude et de liberté, dans les ténèbres, dans l'angoisse de l'absurde, dans la déconvenue et les embuches qui ne manquent jamais. Je marche et je cours avec le feu au cœur, armée de mes rires et de toute ma philosophie comme autant d'épées et de kalashs à te balancer autant de plomb qu'il en faudrait dans le gras de ta masse, grand éventreur ! Vieil embaumeur qui arrache à chacun son âme et ses entrailles pour que tout puisse laisser place au vide... à la passivité de ton indifférenciation.

Foutue sale bête. Si j'étais si solide, si fièrement campée sur mes deux jambes, si j'étais assez forte pour te faire face dans ma solitude, je ne tremblerai pas. Même, je ne chercherai pas à me défier de toi. Je partirai pour le sommet de ma montagne, et j'y établirai une colonie peuplée de mes mille et uns fantômes. Je les chérirai, ces fantômes là. Ils me donneraient matière à réflexion, je trouverai mon sens à les faire s'entendre entre eux. Et un jour, je redescendrai dans ton fleuve boueux et ton eau saumâtre, par pur plaisir d'éprouver ma vertu et l'éclat de mon œil dans la rigueur de l'hiver.

Mais je l'avoue et à cette idée, le rouge de la honte me monte aux joues. Je n'ai pas toujours cette verve, ce tempérament bagarreur et guerrier, ce grand désir qui fait vivre. Le voile du deuil a obscurci ma route. J'ai vécu le grand désenchantement, et rares sont les moments qui font sens sous cette épaisse toile d'araignée dans laquelle je m'empêtre. Je pends lamentablement au bout d'une toile, et j'attends mon heure dans l'angoisse et la colère du moucheron conscient de sa trop grande faiblesse.

Philosopher pour rallumer la flamme du désir.
Ne pas comprendre ceux qui travaillent sans savoir ce qu'ils font.
Ceux qui trouvent un intérêt dans le désintéressement total.
Philosopher pour vivre.
Ne pas philosopher pour cesser de vivre.
Chercher la détente, le geste simple, la spontanéité, le pardon : définition de la vertu.
Se raidir, aller contre ce que l'on a de plus cher, compliquer les situations, vomir des insultes et poser des bombes dans la rue : définition de l'erreur.
Ne plus être soi, avoir un labyrinthe sans sortie dans la tête, être inhibé dans ses gestes et ses mots, ne plus savoir ce que c'est que la haine ou l'amour, ne plus même avoir le moindre désir de vivre : définition de la folie.

J'écris parce que je suis dans une passe de vide ; j'écris au nom de la vertu, contre l'erreur et par rejet total de toute possibilité de folie ; je cherche dans le cadre de la grammaire et la liberté des lignes des règles pour mes journées et un élan de joie pour ma vie.

Misère de l'homme sans Dieu ? Je commence à le croire. Mais à l'horizon, pas d'échappatoire.


S. Porteflamme
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De plus en plus je me demande
s’il ne serait pas mieux
que je me mette d’une balle
un point final.


A toi,
Les masques s'éteignent au pays des rêves. Ferme les yeux ou tu souffriras de voir que les acteurs, écureuils et princes, sont les mêmes que ceux qui jouent les monstres de tes cauchemars. Ouvre toi au monde si c'est le tien, l'autre, jette-le, enterre-le, crache sur lui. Ces êtres imparfaits qui croient l'être ou essaient, les ailes noirs qui naissent dans leur dos, poussent, se déploient. Tu les vois et tu trembles, tu pries de ne pas être comme eux. Mais tu le sais que tu n'es pas différente. Conforme, aux normes. Malheureusement humaine. Et tu regardes de tes yeux sans couleur le soleil qui t'arrache la vue pour en finir avec le Monde. D'une autre manière.

Tu cries, aphone. Ou peut-être que personne ne t'écoute, ayant peur de la réalité que tu viens clamer. Alors tu écris, des lettres et des lettres. Ma quête, en retrouver, y répondre, en jeter de nouvelles. Pour que tu saches que tu n'es pas seule. Nous sommes les libres penseurs qui agaçons les pensées du flot de chèvres sur les terres obscurcies par leurs pieds sales, fatigués de marcher dans leurs endroits sales et vertébrés de maux.

Le monde entier est cruel à l'intérieur et cinglé en surface. Ils se tortillent avec leurs lois, leurs coutumes, leurs fêtes. Et quand ils sont en haut de la montagne, je suis dans la grotte, seul. On ignore ce qui se passe dans l'obscurité, c'est pour ça que j'y suis bien, moi et mes autres moi. Rejoins-nous. Dans l'obscurité on ne voit que les regards, et les regards parlent plus que les paroles. Hors-la-loi. Puisque la morale tire son origine de la politique, politique qui a accepté les bourreaux et l'esclavage.

La loi du plus grand nombre, c'est leur morale. Tandis qu'on emprunte des chemins, zigzagant dans les forêts et autres champs de notre enfance, eux, ils vont à un rythme robotique en ligne droite, sur une route blanche sans qu'il n'y ait rien à l'horizon que cette même... route blanche. Quand nous, on se demande, eux ils exécutent. Et ils crient, tout haut que c'est laid, voire dégueulasse quand ils apprennent à leurs enfants à dire qu'ils n'aiment pas. Ces laids, ces dégueulasses.

Eux, cette horde de cavaliers sordides et bestiaux se font tout petit devant les lois dictées par cinq seuls hommes, ces poupées perverses, menteuses et traîtresses de surcroît. Apprivoisés par les mots ? Et pourquoi pas, avec nos écrits, nous les approprier pour leur apprendre et leur rentrer dans le crâne, la notion de liberté. Peut-être essaieront-ils de nous chasser mais nous serons partout, toujours, nous serons là où se trouve la douleur, à chaque larme qui s'enfuit.

Et au dessus de tout, nous placerons le néant.

Car c'est la seule réalité que nous aurons à apporter. Vivez de votre oisiveté, tout à une fin. Trou noir. Viole, tue, sans jamais te faire attraper, tout à une fin. Trou noir. Harcelez-nous, de vos coups de pieds moraux, vos marteaux endoctrinés, nous serons votre fin.

Trou noir.

KIRIL JELIEV