Errance et recherche de pitance [June]

Sa main ne le lançait plus tant que ça. En fait, il avait carrément eu de la chance. Ils avaient trouvé un bon médecin. Enfin... Quelqu'un qui savait soigner. Et il lui avait remis la main à peu près bien. M'enfin. Leurs dernières économies venaient d'y passer. A peine de quoi tenir quelques jours tout au plus. Ils étaient maintenant dans une sorte de ville fantôme. Rien de bien fameux. Les restes d'une grandeur passée. Le Dr. venait de les congédier et le Khan avait encore la tête en feu. Ils avaient laissé la barque là-bas... Elle n'y serait probablement plus s'ils y retournaient. June avait tant fait pour lui. Il s'en voulait. Incapable de la protéger. Cet Ylvikel aurait pu les tuer. Et il était finalement parti. Le Wanajima était encore sous le choc.

Faible.

Il était encore bien trop faible pour la protéger. Et il s'en voulait. Son esprit venait de s'embraser à nouveau. Jamais plus il ne devrait faillir. Il avait failli bien trop de fois. Il fallait qu'il devienne fort. Elle était aux petits soins avec lui alors qu'il ne lui avait jamais été d'un grand secours. Elle était son phare. Sa lumière. Son poing valide se crispa. Il avait tellement envie d'être plus fort. Pour le moment, il n'en avait pas l'occasion. Il fallait d'abord offrir une quelconque sécurité à June. Ils ne savaient pas où aller. Ils erraient dans la ville fantôme, June à ses côtés. Elle était adorable. Quelques larmes se calèrent dans le coin de ses yeux. Où avait-il été tout ce temps? Son esprit était parti loin. Si loin. Puis elle devait avoir faim... Ses jambes arrivaient à peine à le porter. Quelque chose au fond de lui se mettait à tremblait. Ils n'avaient pas fait 100 mètres qu'il se sentait déjà faible. Encore et toujours... Une tôle se mit à vibrer. Puis deux. Puis trois. Qu'est-ce que? Un pan entier de maison vint se décrocher devant lui et il perdit conscience.

» Errance & recherche de pitance ;

Elle avait peur qu’il faillisse à chaque pas, bien qu’il semblât hors de danger pour ce qui concernait sa main. Elle avait hésité à le supporter encore, pour être certaine qu’il ne tombe pas. Mais les regards anxieux qu’elle lui lançait devaient déjà bien assez l’agacer. Parce qu’ils entretenaient le sentiment qu’il fallait qu’elle s’occupe de lui, qu’il était dépendant, ou trop faible pour tenir par lui-même. Mais à l’évidence, elle ne pensait pas un mot de tout cela. Elle s’hasarda à regarder les environs ; il  n’y avait rien. Qu’un demi-silence, ou un demi-murmure un peu stressant. Des demi-regards. Et des moitiés d’hommes aussi ? Elle n’aimait pas trop cette ambiance, cette souillure. Comme si quelque chose dans cette ville lui rappelait à ce point l’homme qu’ils avaient croisé un peu plus tôt qu’elle se sentait de prendre ses jambes à son coup et de retourner en mer. Pourquoi donc Kanbei les avait-il conduits ici ?

Et alors, pendant qu’elle était ainsi tournée, tout se mit à vibrer. Elle n’eut que le temps d’entendre Kanbei choir lourdement avant qu’un morceau de tôle ne s’abatte dans leur direction. Elle poussa un cri et s’aplatit, face contre terre, comme elle put. Les vibrations commençaient déjà à l’assourdir. Kanbei. Tout ce qui s’arrachait des bâtiments s’élançait dangereusement contre Kanbei. Il fallait le sortir de là. Mais ça ne l’atteignait pas vraiment, à vrai dire. C’était étrange. Comme si arrivés à proximité ils perdaient tout leur élan. Ses oreilles sifflaient, aussi n’entendit-elle pas le son guttural qui lui donnait un ordre. Il provenait d’un homme fort, mal rasé, mal fagoté et visiblement en colère. A... O… « Ma » peut-être ? Elle tentait vainement de lire sur ses lèvres tandis qu’il s’approchait, tout en tirant Kanbei vers elle pour l’emmener. Ma’ome ? Madame ? Non, non, il ne disait pas madame…

« Assome-le ! Bordel t'es bouchée. »

•••

C’était petit, aussi petit que chez Kanbei à Tesoro Azul, mais c’était confortable. Enfin, il régnait une certaine atmosphère paisible qui donnait à cette pièce auparavant austère un côté accueillant. Il y manquait beaucoup de choses, cela dit pour en faire une véritable habitation. Enfin, ça ne l’empêchait pas d’y habiter, apparemment.
« Alors, vous venez d’où comme ça, June ? » Elle fut tirée de sa rêverie et regarda l’homme. Le faible éclairage faisait ressortir ses pommettes et le blanc de ses yeux, lui donnant un aspect encore plus effrayant que lorsqu’il était dans la rue. De la mer, répondit-elle vaguement, ce qui eut le don de le faire rire. Tout le monde venait de la mer. Plus sérieusement ? De la mer, s’entêtait-elle. Elle ne savait pas trop d’où, elle était perdue depuis bien longtemps. « Vous avez eu de la chance alors. Ton pote avait l’air un peu faiblard, heureusement que vous avez trouvé une ville ! D’ailleurs, tu sais ce qu’il a ? J’en ai déjà vu des mecs comme lui… » Et il continuait. Une histoire de jeunes qui débarquent, qui foutent le bordel et qui repartent. Qui ne comprennent rien à la philosophie des lieux. Oui, parce qu’il y avait une certaine philosophie derrière toute cette recherche de trésor. Mais plus important, ces jeunes-là, ou même ces vieux des fois, bref ces pirates – non, non, il ne fallait pas qu’elle s’inquiète, il ne la prenait pas pour une pirate  – eh bien ils étaient de cette catégorie d’hommes effrayants avec des capacités hors du commun.

Mais June n’écoutait que d’une oreille. Elle regardait Kanbei, que l’homme avait violemment assommé alors qu’il était déjà inconscient – juste pour être sûr, s’était-il justifié après coup – et qu’il avait transporté jusqu’à chez lui. Elle l’avait étendu sur le lit, comme on le lui autorisait. « Et voilà... Alors, tu sais pas comment il fait ça ? » Mais non, elle n’en savait rien. Elle n’y croyait même pas à son histoire, elle avait déjà vu Kanbei à l’œuvre, et il n’avait aucune capacité de ce genre. Elle s’en aurait douté, sinon. Parce qu’elle en avait déjà vu un, un jour. Une force incroyable, qui pouvait se sentir à des lieues. « Vous lui poserez la question. Parlez-moi un peu de l’île, comment déjà… ? » Banaro. Oui voilà, Banaro.

Il fallait bien attendre que le Khan reprenne ses esprits.

Loin. Il était loin. Terriblement loin. Les voix n'étaient qu'un pâle murmure. Le clapotis des flots. Où était-il? Une plage de sable blanc. Rien à l'horizon. Et le doux clapotis des flots qui continue encore et encore. Faim. Froid. Chaud. Mal. Rien de tout cela. Il ne sentait plus rien. Son bras vint se poser sur ses lèvres. Il était matériel. Qu'est-ce que? Un rêve? Bizarre. Rien de tout cela ne semblait réel. Voilà que...

Fwouuuuuuuuuuuuushhhhhh.

Le vent se lève, faisant valser le sable un peu partout. Se protégeant de ses bras, le jeune homme rouvre les yeux et voit apparaître devant lui sa réplique exacte, le sourire aux lèvres. Totalement invraisemblable? Un rêve se serait terminé depuis bien longtemps? Et puis qu'est-ce que c'est que tout ça? Qui est-il?

Qui suis-je?

?

Je suis toi. Du moins ta face sombre. Ton Dark Side. Le bad boy qui sommeille en toi.

Haha. Bonne blague. Plus sérieusement?

Et BIM. Un crochet dans ton bide. Et tu craches tes poumons. T'as mal. En fait, tu sens quelque chose. Et tu lances un regard plein de haine à ce Toi qui vient de te cogner et qui te regarde d'un air narquois et suffisant. Ce Toi là... T'as bien envie de lui péter la gueule tout à coup. Alors tu le regardes d'un oeil encore plus mauvais. En mode j'vais te montrer la définition du mot fêlure et douleur. Mais non. Tu peux pas. Ton corps répond plus. Pourquoi? Et là les images te reviennent. La structure qui se met à trembler. Tout le délire qui s'barre devant toi. Enfin vers toi. Comment que t'as fait pour survivre? Tu sais pas. Et ça te glande.

Voilà. T'as pigé l'idée. C'moi le patron ici. Cool comme endroit nan?

Si tu le dis.

Ecoutes face de rapace. T'es venu ici pour une bonne raison. Ton pouvoir. T'as besoin d'encore plus. Et y a que moi qui peut te le filer. Alors on dit quoi? On dit merci.

Et BAM. Un coup de latte dans la tronche. Le kick du retour à la réalité. Fini le sable. Fini le double violent au phrasé déviant. Fini le clapotis de l'eau. Bonjour les paroles. Et le retour à la discussion. Ses yeux s'ouvrent. Et elle est là. June. Son ange. Près de lui. Et il sait désormais qu'il donnera sa vie pour elle. Pourquoi? Il ne saurait pas mettre des mots sur ça. C'est comme ça et c'est tout.

Pitt Ahlbégey. Troisième descendant des Ahlbégey, une famille de mineurs et de chasseurs de trésors. Un homme bon et fort sympathique apparemment. Il avait aidé June à s'occuper de lui pendant son inconscience et les avait ramené chez lui. Décidément, ils avaient une chance de tous les diables. June aurait pu se faire trucider sur cette île de cinglés. Et finalement, ils étaient tous les deux saufs. Il poussa une longue expiration emplie de soulagement. L'homme était mal rasé et plutôt musclé. Un air calme et gentil émanait de son regard. Kanbei le remercia avec un sourire et un merci tout faible. Ce type là les avait sauvés. Et il semblait intrigué par eux. Alors Kanbei leur raconta l'histoire de leur rencontre et de ce qui s'était passé jusqu'ici.

L'homme n'en croyait pas ses oreilles. Il ne se montra même pas surpris quand le Wanajima se définit en tant que pirate. M'enfin. Les pensées du Khan s'orientèrent vers cet homme. Il avait été bon avec eux. Comment le remercier? Ils n'avaient plus rien. Enfin... Ils pouvaient toujours lui proposer leurs services. Et c'est ce que Kanbei fit autour d'une tasse de café brûlant. Son état s'était rapidement amélioré et il se mit debout histoire de voir s'il allait bien mieux. Ouaip. Tout semblait aller. Son sens de l'équilibre n'avait pas été altéré et il se sentait en pleine possession de ses moyens. Que lui était-il donc arrivé? Et puis cet étrange rêve? Qu'est-ce que cela voulait dire? Son pouvoir? De quel pouvoir ce clone de lui parlait-il? C'était à n'y rien comprendre.

Et la cuillère du café se mît à voleter en direction de sa tête. Rapidement

Plaçant sa main devant son visage par réflexe pour se protéger, le Khan vit la cuillère s'arrêter de léviter et tomber devant lui, sous les yeux ébahis de June et de leur hôte. Etait-ce donc son pouvoir? Il ne pût s'empêcher de rougir confusément et de bégayer. Il était gêné. Tellement gêné. Il ne savait plus quoi penser.

June regardait Kanbei d’un air mi attendri mi soucieux. Il semblait… Non pas différent, mais un peu ailleurs. Sûrement un effet de ce qui s’était passé. Il n’avait pas encore repris toutes ses forces. Ainsi, ils s’étaient tous trois retrouvés autour de la table de l’homme à bavarder. Se présenter. Il était vrai que la douce était restée très vague. Ses yeux se tournèrent vers l’homme. Curiosité insatiable ; il voulait tout savoir. Mais ce que June percevait, à travers les petits tics sur ses lèvres, les hésitations dans sa voix, c’était surtout sa furieuse envie de lui poser LA question. Il n’était pas méchant, évidemment. Mais la demoiselle n’y croyait pas. Pas un brin, même. Elle l’aurait remarqué.

Et elle se rendit compte à quel point elle était dans le faux.
Le petit bout métallique s’était précipité vivement vers Kanbei qui d’un geste l’avait repoussé… Sans le toucher. June resta muette, ébahie. Comme avant, dans la rue. C’était ce même phénomène. Et le grand gaillard aussi avait cessé de bavarder. Et Kanbei. Qui avait rougit et s’était tortillé de gêne. Puis, soudainement, June se leva et refit le pli de ses vêtements. « Moi j’y crois pas. Il a juste avalé un aimant. » Mais elle voyait cette lueur dans les yeux de leur hôte. Lui, il y croyait. Mais elle, elle n’en avait jamais vu qu’un, de mec aux pouvoirs étonnants, dans toute sa vie, tout son périple. On lui avait dit que c’était rare. Elle le croyait. Puis, elle vivait avec Kanbei. Il lui aurait montré. Il ne se serait pas laissé avoir par l’autre prêtre sur T.A, dans le monastère. Il les aurait tous tué en un clin d’œil. D’ailleurs, ne l’avait-il pas fait ? Non, elle ne croyait pas. Ils avaient fui, non ? En fait, elle n’en savait rien, elle n’était pas restée avec Kanbei. Alors… Alors, peut-être que oui, il les avait trucidés. « Non, Kanbei c’est un homme tout ce qu’il y a de plus commun. Je l’aurais vu… » Elle marmonnait pour elle-même. Plus personne ne l’écoutait, de toute façon, car Pitt s’était exclamé que si, c’était bien vrai tout ça, et il avait posé dix milles questions à Kanbei.

June fit quelques pas dans la pièce. Elle frissonna. Il faisait froid. Si froid. L’ambiance avait tourné à l’étrange. Elle qui n’y croyait pas ; mais son cœur lui murmurait son erreur. Et Pitt qui parlait fort, soudainement. Pourquoi ça l’intéressait tant, tout ça ? Le prestige. Moi je connais un homme, dirait-il plus tard. Oui, c’était très certainement ça : se faire mousser. Kanbei était-il primé ? Elle frissonna encore. Il faisait froid, car le soleil venait de se coucher. Elle revint vers eux, et demanda poliment à Pitt s’il avait une couverture, ou quelque chose qui puisse lui tenir chaud. Il souriait, et ses yeux pétillaient. Aussi, il lui répondit rapidement de fouiller dans un panier, dans un coin de la pièce. Elle s’exécuta.

Un vrai coffre au trésor, pensa-t-elle en se penchant sur le contenu du panier. Il y avait de tout sauf des couvertures, peut-être. Enfin, si, elle la trouva finalement et s’en para. Et comme les deux autres semblaient occupés, elle se pencha de plus près sur le contenu du coffre.
Oh merveille ! Ses yeux à elle aussi se mirent à pétiller.

Etrange. Il avait donc bel et bien le pouvoir d'un fruit du démon. Cette relique n'était pas un simple fruit. Apparemment, ce n'était pas le Zoan du Bouquetin ou le Paramécia de la Morve. C'était déjà ça. Un truc en rapport avec la Lévitation vu la manière dont tout s'étais mis à bouger autour de lui et la façon dont cette cuillère avait réagi. Il n'avait pas trop le temps d'y réfléchir. Tellement de possibilités s'offraient à lui. June semblait sceptique. Elle était un peu déboussolée elle aussi. Pitt était carrément surexcité. Il bombardait Kanbei de questions de toutes sortes. D'où venait-il? Combien était-il primé? La Marine le recherchait-il activement? Une farandole de questions saugrenues et indiscrètes qui ne le dérangeaient nullement. Il avait tellement d'idées qui lui passaient par la tête.

Kanbei croqua dans une pomme sur la table.

Elle était tellement sucrée. Un regain d'énergie parcourût tout son corps pendant que la petite dame demandait une couverture. Elle partit fouiller un coffre et il la regarda affectueusement. Elle était si choupi. Il fallait qu'il puisse la protéger. Et pour cela, il lui fallait maitriser son nouveau pouvoir. Il était content. Il n'était probablement pas si maudit que cela. Ce fruit du démon lui permettrait peut-être de faire évoluer June dans un environnement sain et sûr. Tant mieux. Il reporta son attention sur Pitt. Ce gars-là démangeait de lui dire un truc. Le Khan l'incita à parler pendant que June nous rejouait un bout des Misérables à fouiner ça et là en quête de trésors. L'homme prit un air un peu plus sérieux et sortit une bouteille de casse-poitrine. Aouch. Ca sentait la fabrication maison. De quoi remuer le cul d'un auroch enragé. Et il servit des verres. Bon bah...

Santé!

Couille de lépreux! comme disait son père. Cet alcool venait de lui déboucher tout l'intérieur et lui avait donné la chaleur du dragon. Ses yeux étaient devenus moites et ses oreilles chaudes. Sa vu se troubla un bref instant. Cette vacherie... Mieux valait ne pas en reprendre s'il voulait pouvoir entendre la suite des paroles de Pitt qui commençait à raconter son histoire tel un conteur du siècle passé.

« Comme vous le savez, ma famille est une très ancienne famille de mineurs et de chasseurs de trésors. Et comme tout bon chasseur de trésor, mon grand-père, Virgile-Amédée Ahlbégey, se porta acquéreur de grand nombre de cartes au trésor. Tout comme mon père Charles-Jacques. Et tout comme moi. Rien d'anormal jusque-là me direz-vous. Sauf que contrairement à eux, j'ai failli à ma tâche. Une des cartes en ma possession n'a jamais pu être résolue pour le plus grand déshonneur de ma famille. Depuis deux ans, je cherche le moindre indice quant à cette carte mais je n'ai jamais avancé d'un pouce. »

L'Homme semblait profondément affecté par ce qu'il disait. Il hoquetait presque. Ressasser cette histoire le troublait grandement et il était aux bords des larmes. Il voulait de l'aide. Kanbei l'avait bien compris et il entendit l'homme lâcher un Aidez-moi des plus sincères. Il se tourna vers June. Emmitouflée dans une couverture, elle les regardait avec les yeux ronds comme des billes. Il sourit. Elle était adorable, semblable à une enfant. Il fallait prendre une décision. Cet individu les avait probablement sauvé et leur offrait le gîte et le couvert. D'un air plein de détermination, il fixa sans ciller son interlocuteur et lui offrit un sourire digne des aventuriers en quête de gloire.

« Nous allons vous aider! »

Un petit bijou scintillant dans une main, de l’autre serrant sa couverture contre elle, June regardait l’homme d’un air attendri. Son histoire semblait vraiment le tourmenter. Et elle en comprenait tout à fait les raisons. Ce sentiment d’impuissance qui pouvait l’envahir quand il constatait qu’il était dans l’incapacité de poursuivre sa lignée, le rêve d’une famille. Déception. Il semblait accorder tellement d’importance au regard des autres. Et soudain, dans cette petite pièce où l’air du soir de Banaro s’infiltrait, il n’y eu plus question de pouvoirs insensés, de voyages extraordinaires, de vies improbables. June inspira. Il était question de la vie d’un homme. Une vie construite au jour le jour, et qui n’avait rien d’extravagant. Elle fut touchée par l’image de ce monsieur plus tout à fait jeune qui n’hésitait pas à ravaler tout son orgueil pour demander de l’aide. Et ce n’était pas pour la récompense en elle-même qui le demandait, mais bien pour soigner sa blessure à lui. Cachée bien profondément. Ce trou dans la poitrine qui l’empêchait de se sentir tout à fait lui-même, de se sentir pleinement Pitt Ahlbégey. Aussi, la douce salua l’initiative de Kanbei. C’était bien d’accepter, d’autant que la réponse du Khan était tout à fait sincère. Ce bonhomme avait fait beaucoup pour eux.

Alors, ils se retrouvèrent de nouveau autour de la table, chacun un verre à la main. Mais cette fois, l’ambiance n’était plus à la fête, sinon au travail. Studieusement, ils s’étaient tout trois penchés sur la carte que Pitt était allé chercher quelque part dans son fouillis. C’était une carte assez peu commune aux yeux de June – mais la demoiselle n’avait guère vu de carte au trésor, elle ne connaissait que les vraies cartes du monde. Pas très grande, elle n’avait en réalité aucune forme et semblait particulièrement abimée. En effet, elle abordait une multitude de petits trous, comme si des mites étaient passées par là. Mais pourtant, l’encre était parfaitement lisible. Quel contraste étrange. Pitt aussi avait relevé cette anomalie. Après tout, il était expert, lui. Mais sans grand succès. Il continua à expliciter les conditions de l’obtention de cette carte, comme si le contexte pourrait les aider à avoir une idée. Il aurait été un bon grand-père, ce gars-là. A raconter ses histoires.

« Pourquoi ne pas avoir demandé à quelqu’un d’autre de vous aider ? J’veux dire, le monde regorge de chasseurs de trésor, surtout ici, hein. Ou même de pirates monstrueusement puissants… » Il la considéra un instant et des rides apparurent à la commissure de ses yeux. Il souriait. La principale raison était qu’il ne pouvait se résigner à demander à un autre expert tel que lui, car ce serait d’autant plus dégradant pour les membres de sa famille. Le monde de la chasse au trésor n’était absolument pas amical, on s’y faisait des sourires dans le seul espoir de découvrir ce sur quoi les autres bossaient et de leur passer devant. Parce que le nombre de trésors enfouis était en réalité assez limité. Et quant aux pirates… Il eut un geste vague et se gratta le sommet de la tête. Non, les pirates comme ça, ils prendraient tout pour eux, disparaitraient dans la nature sans aucune nouvelle. Il faisait confiance au duo, parce qu’il avait vu que Kanbei était fort, et qu’ils faisaient tout deux preuve de bonté. Ce n’était pas des profiteurs, des mauvais types. Ouais, la preuve en était qu’ils n’avaient même pas encore parlé de la récompense ! L’enfant sourit à son tour et le remercia pour le compliment.

C’était donc entendu. Ils allaient bosser sur cette carte dans les jours à venir.
Chic ! Et les yeux de June continuaient de pétiller ; doux désir d’exploration.

Long. Travailler sur cette carte était quelque chose des plus difficiles. Kanbei n'était pas vraiment fait pour ça. Il n'avait pas la fibre fantaisie nécessaire pour comprendre la finesse de ces sortes d'énigmes. Il n'arrivait pas vraiment à se concentrer sur ce bout de papelard troué. D'ailleurs, cela lui semblait absurde qu'un bout de parchemin tel que celui-ci puisse les mener à un trésor. Qui plus est, Pitt ne pouvait pas les héberger indéfiniment. Il allait leur falloir un peu d'argent pour sortir la tête de l'eau. Et tant que ce supposé trésor n'était pas trouvé, il n'y avait pas 200 solutions. Travailler. Ou pas. Kanbei n'avait pas la tête d'un gars qui trouve du travail facilement. Surtout depuis que c'était un pirate primé. Pas très primé certes. Mais c'était toujours ça. Et donc niveau boulot bof quoi. Surtout qu'à Banaro... Il n'y avait pas 30 millions de solutions de se faire de l'argent. Et ces derniers temps, le Wanajima était perturbé. Le pouvoir de son fruit était encore incertain. Et trop peu maîtrisé. Il faisait des crises de moins en moins violentes mais toujours aussi impressionnantes. Il avait un peu peur de tout cela. Guider des petits objets était de plus en plus facile mais il appréhendait terriblement. Peur de blesser les autres. Ses amis. June peut-être. Un entraînement s'imposait de toute évidence. Enfin. Mieux que cela.

Un bateau allait venir le prendre.

Pourquoi? Pour devenir plus fort. Non. Ca c'était la motivation cachée qui le poussait à prendre ce bateau. Il avait dit aux autres qu'il partait pour rapporter un peu d'argent afin de continuer la quête. Et c'était le cas. Il ramènerait de l'argent. Mais d'abord, il fallait dire au revoir à June. Son voyage allait prendre un petit moment. Quelques semaines. Un mois pet-être. Il ne voulait pas la faire attendre très longtemps. Où allait-il? Il ne le savait pas lui-même 24h auparavant. Mais maintenant si. Il avait lu ça dans un journal. Le tournoi d'Ordealia. Une île où de nombreux combattants allaient affluer pour s'affronter entre eux dans ce qui allait être un tournoi des plus mystérieux. Des bateaux passaient pour ramasser des combattants et les amener sur l'île. Kanbei avait décidé d'y aller.

Le bateau avait débarqué.

Et il devait faire ses adieux. Quatre jours qu'ils planchaient sur cette carte et il partait déjà. Il avait tant à faire. June était venue lui dire au revoir. Elle était là, devant lui, ne sachant pas trop quoi dire. Et lui non plus ne savait pas trop quoi dire. Il l'aimait de tout son coeur mais ne pouvait se permettre de trop lui montrer. Il ne devait pas lui faire de mal. Alors il l'étreignit passionnément et lui déposa un baiser sur le front. Il fallait y aller. L'embarquement allait se terminer. Son bagage sur le dos, le Khan regarda une dernière fois celle qu'il aimait et se dirigea vers le ponton d'embarquement, le coeur empreint d'une certaine tristesse. Il reviendrait.

Il y avait nombre de raisons à ce départ. Toutes plus valables les unes que les autres. Mais June se sentait mal à l’aise… Elle se dandinait, d’un pied sur l’autre, devant le navire qui allait embarquer Kanbei. Elle avait essayé d’argumenter, de lui montrer qu’il n’avait pas besoin de partir. Mais cela semblait peine perdue. Oui, ils avaient cruellement besoin d’argent – pas seulement vis-à-vis de Pitt, mais aussi pour après, car ils n’avaient plus rien. Etait-ce la bonne solution toutefois, de s’absenter si longtemps, d’aller Dieu savait où et sans certitude de retour ? Car il s’agissait de se battre. Ce n’était pas rien, déjà. Et puis quand on partait, on n’était jamais sûr de pouvoir revenir… June ne le savait que trop. Pitt n’avait pas voulu s’immiscer dans leurs histoires. Il avait simplement acquiescé. Et le fait que June reste lui assurait qu’il avait encore leur soutien pour la carte. Très certainement qu’il se disait que Kanbei reviendrait forcément pour la demoiselle. Et que celle-ci bosserait pour lui en attendant.

Elle lui fit des ultimes recommandations, bafouillant toutefois. Un mois c’était long. Trop long… Il fallait qu’il fasse très attention et que si quelqu’un lui cherchait les ennuis qu’il ne fonce pas tête baissée. De même pour le tournoi ; ce n’était pas une honte d’abandonner. Le tout c’était de rester en un seul morceau. Elle ne voulait pas passer le restant de ses jours à pleurer sa perte. Mais évidemment, elle lui avait dit tout ça avec son tact habituel. Son petit sourire doux et aimant. Comme l’enfant qu’elle était. Et au fond, son cœur était tout serré, et elle luttait pour ne pas l’agripper et le forcer à rester. Et puis finalement, elle n’eut plus rien à dire. Ils se regardaient et il n’y avait plus un mot.

Tendre étreinte, doux baiser ; il disparaissait.
Elle se tint là, sur le quai, jusqu’à ce que le navire sombre entièrement derrière l’horizon. Et plus longtemps, encore. Elle se sentait même d’attendre jusqu’à son retour. Mais une main vint se poser sur son épaule, l’attira vers l’arrière. Et une voix chaleureuse la sortit de ses songes. « Aller, June. Il reviendra, ne t’en fais pas. Ne pleure plus, ok ? » Elle sourit doucement et s’essuya les yeux d’un revers de manche. Qu’il était gentil de s’occuper d’elle, comme ça. Mais sa peine ne disparaitrait pas si facilement. Elle en avait bien assez des adieux.

Aussi, il avait déjà prévu de quoi lui changer les idées. Lui faire un peu oublier le Khan. Dans les prochains jours elle aurait fort à faire. Et puis… Elle était plutôt douée pour les énigmes, elle avait plein d’idées concernant la carte. Ils avanceraient bien tous les deux. Pitt lui pinça le nez dans un geste malicieux et ils rentrèrent.