Avant de commencer cette soirée à marquer d'une pierre blanche dans l'histoire des Desperados, Elinor avait pris soin de considérer deux éléments. Le premier fut de concocter un repas mémorable qui les nourrirait pour des jours entiers, cherchant à tout prix le parfum et le goût qui les feraient monter aux rideaux.
Le second la concernait à elle seule. Lorsqu'elle se regarda dans la glace, juste après la descente de Reverse Mountain histoire de repérer les dégâts éventuels sur son physique de rêve, elle était restée interdite devant l'image d'elle qui se reflétait dans le miroir. Elle avait toujours la même tête qu'à son départ de son île natale, une jeune fille de bonne famille, charmante, mais un peu enfantine. Ses traits seuls avaient changés, entre les épreuves qu'ils avaient rencontré, l'entrainement qui l'avait rendue moins frêle. Elle trouvait ce contraste entre deux périodes de son existence peu aptes à cohabiter. Elle avait mûri ; et Grand Line marquait une nouvelle étape dans la vie qu'elle avait choisi, sa voie de pirate.
Alternant préparatifs aux fourneaux et essayages dans sa chambre, la jeune fille vida les placards, enleva, remit des vêtements, en recousut certains, en déchira d'autres. Lorsqu'elle fut satisfaite, elle admira sa nouvelle garde-robe. Finies les robes qu'elle portait auparavant (à part une, d'un blanc immaculé, qu'elle espérait porter un jour). Le pantalon était de vigueur à présent. L'aisance qu'elle y ressentait lui procura un sentiment de liberté de mouvement qui justifiait son choix. Lors des batailles précédentes, notamment celle de la prison, elle avait été gênée à moult reprises par son vêtement, qui, même échancré, bloquait certains mouvements, et risquait de dévoiler contre son gré sa belle plastique. Elinor était séduisante, mais pas une gourgandine, et préférait encore être blessée que de se retrouver en petite tenue face à des soldats de la Marine. Une pirate digne de ce nom devait être classe, pas vulgaire. Dans cette même optique, elle transforma des tissus en top où elle ressentirait la même aisance dans ses déplacements. Elle conserva néanmoins ses couleurs fétiches, blanc et noir, avant de se frotter les mains, vérifier la cuisson de la volaille, et partir vers la salle de bain.
Elle détacha ses longs cheveux rouges, coincés dans une queue haute par un élastique, et les laissa glisser sur ses épaules. Malgré leur longueur, Elinor n'en arrivait pas au point de Stefan (il entretenait tellement sa personne qu'elle en était presque jalouse !). Mais à présent, point de longueur exagérée. Pour lui donner un aspect plus adulte, elle décida de couper les mèches, laissant chuter quelques centimètres au sol. Là aussi, elle prévoyait les éventuelles faiblesses que les cheveux pouvaient représenter en combat quand ils étaient trop longs. Lors de ses premières manipulations de son fruit du démon, elle avait soupé de quelques problèmes gênants... Mais souhaitant garder un brin de coquetterie, elle s'empara de son fer à friser (une invention d'Axel qu'elle allait bientôt tester), et fit quelques tentatives.
Le repas était prêt à être servi. Elinor, les bras chargés des plats encore fumants, sortit de son antre pour respirer les embruns de la mer, remplie d’allégresse et de liberté. Ce n'était pourtant pas grand chose, un simple relooking, mais il en fallait peu, parfois, pour se donner un nouvel élan.
***
Bien qu'entourée de sacrés gaillards endurants, la jeune femme demeurait la meilleure éponge du groupe. Elle avait pourtant de nombreux verres à son actif, mais son estomac, entraîné depuis des années à supporter des beuveries, pouvait encore accumuler ; son esprit, demeurer relativement lucide. Elle ne pouvait s'empêcher de rire devant la gaucherie des délurés membres de l'équipage, faisant pire que pendre sans même en avoir conscience. Elle fut même trempée par Axel, mais qu'importe, "C'est la fête !" Tant qu'il ne s'agissait pas d'un verre d'eau de mer, cela lui était égal. Seul le navigateur semblait ne pas prendre autant de plaisir à cette petite sauterie ; ses yeux se focalisaient implacablement sur les outils de ménage mis sous clés par Gin pour le forcer à rester avec les autres, qu'il s'amuse un peu, et ne passe pas son temps à nettoyer.
Les éclaboussures furent-elles à l'origine du déshabillage du charpentier ? Peu importait les raison, car il mit ainsi à nu (oui, c'est un jeu de mot volontaire) une partie de lui sans aucune retenue. Elinor ne pouvait dévier son regard de ce qu'elle voyait. Le torse d'Axel était couvert d'une myriade de cicatrices. Elles exerçaient sur la jeune femme une sorte de fascination, et une inquiétude aussi. On ne pouvait imputer ces blessures aux aventures qu'il avait rencontré depuis qu'il avait intégré les Desperados. Non, c'était antérieur. Elle arrêta une seconde ses pensées pour constater que finalement, malgré leurs soirées, leurs repas communs, les membres de l'équipage demeuraient très secrets. On savait comment ils étaient arrivés sur le bateau, mais...quelle était leur vie d'avant ? Cela n'intéressait pas les autres, ou avaient-ils une chose à cacher ? D'où venaient les cicatrices d'Axel ? Que cachait le manteau de Seido ? Pourquoi Gin avait-il été emprisonné ? Qu'est-ce qui avait fait disjoncter Stefan ? Elphys était-elle timbrée depuis la naissance ?
Elinor se trouva d'un coup fort différente ; elle n'avait rien de spectaculaire dans son passé, rien de spécial. A se demander pourquoi avait-elle décidé d'être une pirate, rien ne lui prédestinait cet avenir. Une chose était sûre : vu l'état de tout le monde en ce moment, après ce festin bien arrosé, l'heure était à la découverte de quelques vérités.
- Sacrées marques que tu as là... Comment tu as fait ton compte, Axel ?