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L'heure du thé

Je compte mes dernières heures sur Navarone. La douche m'a calmée dans mes ardeurs guerrières, ça et la prière. J'en veux pas au commodore pour son numéro de cirque. J'ai quartier libre, mes sacs sont prêts depuis la veille, et j'ai pas grand monde à saluer.

Enfin. Pas grand monde, question de quantité, pas de qualité. J'ai bien au moins une dernière personne à aller voir avant le grand départ. Et j'ai plus que quelques minutes devant moi avant l'heure fatidique.

L'heure du thé.

Le dos contre mon paquetage, je contemple les parois de Navarone depuis le ponton du pilier central. J'les regretterai pas, celles-là. Ces garces qui cachent l'horizon à tous les regards, qui enferment plus qu'elles protègent, les murailles de Plassans que j'les ai appelées. Parce qu'elles ressemblent à la ceinture de chasteté de briques et de ciment qui entoure cette drôle de ville de roman du siècle passé. Une bourgade de South Blue qui aurait vécu dans une telle peur de se trouver pillée qu'elle préférait fermer ses portes sitôt la nuit tombée, quitte à abandonner les retardataires à la dent des bandits de grand chemin. Qu'auraient jamais fait autant de lard sans ça, la paranoïa des gens et le rejet de tout ce qui court la campagne une fois le soleil couché.

Mes yeux s'remplissent de dégoût. Une petite pensée, l'instant est gâché. J'laisse pendre mes jambes au-dessus de l'eau, histoire de voir si j'y trouve un peu de relâchement là-haut. A moins sentir l'emprise de la terre et la pesanteur du ciel à-demi cachée par les murailles de Plassans.

Hum ?

J'baisse les yeux. Une bouteille me cogne gentiment l'orteil, pour un peu, j'aurais cru à un poisson curieux. Et comme j'me méfie de la faune de Grand Line plus que de celle du Grey T., j'aurais presque eu un mouvement de recul du genre de ceux qui font bien marrer les deuxième classes. Toujours trop heureux de pouvoir se venger de toute la violence symbolique ou pas qu'ils ramassent continuellement sur la gueule. On pardonne jamais le ridicule aux supérieurs.

J'tends la main sans trop savoir pourquoi, un peu honteuse, en regardant derrière moi. Oh, et puis merde, j'leur dois rien à ces connards. Ma main se serre autour du goulot, j'me redresse en contemplant ma trouvaille. J'm'attends à trouver un fond de quelque chose, mais c'est rien qu'une lettre. Coup d'œil à l'entrée de la base. Fermée. Elle a du entrer avec les Rhinos, si ça se trouve, c'est même un d'eux qui l'a écrite. Eh. J'ai jamais été très curieuse, mais j'suis pas insensible au côté « signe » du truc. Dents sur le bouchon, poc ! Quelque chose me reste aux coins des lèvres, c'est là que j'vois un bouton d'or sec tomber à l'eau. La bouteille était pleine de fleurs sauvages, plus défraîchies que vraiment sèches. Ça date de pas long.

« C'est pour toi que je souhaite écrire ces lignes... »





J'ai gratté une réponse au verso, vu que c'était pour moi. J'garde la lettre dans la poche intérieure de ma veste d'uniforme en attendant d'pouvoir la rebalancer. Elle aura même droit à une nouvelle bouteille et à des fleurs fraiches pour la peine. Une stèle, 'paraît que ça s'entretient. Et qui que soit « H », c'est quelqu'un qui porte en elle l'odeur du deuil et la certitude de la mort. Un genre de sœur de conscience, quelque chose comme ça.

L'heure a tourné, toujours. J'rejette la bouteille vide pour mieux grimper chez Barbie. Plus vite j'me serais gavée de gâteaux et de thé en me faisant brosser les cheveux, plus vite j'pourrais rejoindre ma nouvelle affectation. J'commence à sentir l'appel de l'océan, la frustration a disparu. J'suis parée à la lutte.
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Seeeeereeeeeenaaaaaaa ♥ !
Commandante, mais enfin…

Tu n’es même pas encore arrivée dans les quartiers de Barbie que déjà sa voix te vrille les oreilles à travers les haut-parleurs de la base. En même temps, la commandante ne fait jamais les choses à moitié. Tu entends derrière le ténor du Vice-Amiral Andermann qui a l’air de lutter pour récupérer son micro. Il ne lutte pas bien longtemps, découragé par le petit rire de Barbie qui lui explique qu’elle t’a fait de supers gâteaux à ton effigie rien que pour toi pour te souhaiter bon voyage. Et qu’elle t’aime gros comme ça. Mais que c’est une surprise, et qu’il ne doit le dire à personne, hihi.

Enfin… Bon… Maintenant, toute la base est au courant que tu vas avoir droit à une surprise de folie, même toi.

Tu entends un grésillement et la voix perchée de Barbie reprend :

Le thé est prêt ! Hihihi ♥ ! Dépêche-toi !
    A mon effigie... ah, bah ça promet, c'est sûr que j'y vais en courant, maintenant. Ouais, en courant sous les rires des matelots en présence. Fait longtemps qu'ils se retiennent, pourtant, m'ont pas vue longtemps. Mais parmi eux, y'en a beaucoup qui ont passé Reverse dans le même navire que moi. J'sais que ce sont des putains de dégénérés, j'leur pardonne sans mal. Juré.

    D'ailleurs, j'suis déjà à la porte de Barbie, et j'ai pas le temps de frapper qu'elle a ouvert et qu'elle m'a poussée à l'intérieur. Y'a déjà toute l'escouade okama au grand complet, sapés comme des princes d'un troisième type et arborant fièrement une absence totale de maquillage. J'les check de l'œil, j'vois bien que Barbie approuve pas complètement. On raconte qu'alors qu'on était sur la route du retour, elle aurait tenu deux jours sans mascara, aurait fait une dépression, étranglé une mouette et rompu deux fois avec son colonel. Et puis elle aurait reprit, sous la demande expresse d'Otto-Andermann. Depuis, black-out total, elle nie complètement pour la mouette et le reste. Mais même ses copines ont pas jugé bon de lui rafraichir la mémoire, malgré leur nouvel engagement militant anti-gloss. C'est pas peu dire.

    -Bonjour commandante. Salut tout le monde.

    J'ai l'air de les avoir fait attendre longtemps. Ils sont tous assis sur un pouf rose géant, qui peine pas mal à se détacher du décor malgré sa taille. Faut bien dire que tout est rose, du tapis pelucheux jusqu'aux joues fardée de Barbie en passant par les tasses, le thé, les rideaux. Géraldine se serre un poil, j'me cale à sa gauche. Au bout d'un temps, j'remarque le Vice-Amiral, tassé dans un coin de la pièce. J'cligne des yeux, un moment. Le temps de m'habituer au bleu de son uniforme qui fait tâche d'encre sur papier buvard.

    -Vice-amiral !

    J'me lève, au garde-à-vous.

    -Non, non, rasseyez-vous donc, lieutenante... je restais simplement le temps que vous arriviez. La commandante Kensaru me disait justement... enfin, profitez-en bien, adieu, et bonne chance.
    -C'est ça. Merci, vice-amiral.
    -Vous m'en voulez toujours pour votre mutation à bord du Leviathan ?
    -... non.
    -Promis ?
    -Oui.
    -Bon, c'est bien. Je vous laisse en bonne compagnie, bonsoir !

    Il s'en va. J'me relaisse tomber, sur l'énorme ventre de Géraldine qui en avait profité pour s'étaler de nouveau. Il se pousse, un peu confus. Barbie sert le thé en en mettant partout. J'remarque un saladier bourré de gâteaux. Des gâteaux... en forme de tête ronde qui tire une gueule en chocolat avec une cerise coupée en deux en guise de tignasse. Hum. J'sais pas si je dois être flattée, là, j'admets.

    -Je peux ?

    J'ai la main au-dessus du saladier. On me regarde avec une drôle d'appréhension, je crois. Bon. Dans le doute, autant attendre cinq minutes. J'sais que j'suis partie pour la soirée.
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    Les filles, vous vous souvenez de ce qu'on a dit !

    Barbie lance un regard lourd de sens à l'assemblée. Enfin, lourd de sens pour Barbie, ça veut dire de grands yeux papillonants avec la moue faussement fâchée et les sourcils pas vraiment froncés vu qu'ils sont tellement botoxés qu'elle n'a pas d'expression. Mais oui, tout le monde répond avec l'air grave qu'ils ont très bien compris ce qu'elle disait tout à l'heure.

    Alors, voilà. Maintenant, Barbie est là, avec un tablier rose à dentelle et des maniques qui ressemblent à des poneys, te tendant le plat de petits gâteaux à ton effigie avec un grand sourire pour te motiver à te servir :

    Ils sont TOUS pour TOI, Serena...

    Sous-entendu : "j'espère que tu vas aimé, parce que j'y ai mis tout mon amour."

    Et je les ai fait à ton image pour te montrer a quel point je t'aime !

    Sous-entendu : "Si tu n'aimes pas, je pleure".

    Regarde, celui-ci a même un petit coeur sur le front ! Tiens !

    Sous-entendu : Euh... Non, y'en a pas ici, mais y'a vraiment un coeur sur ce gateau qui te ressemble.

    Qu'est-ce que c'est chou.

    J'ai l'impression d'être comme une maman oiseau qui voit son bébé oiseau prendre son envol pour la première fois...
    Oooooh, c'est mignon !
    J'adore les oiseaux en plus !
    Et Serena est le plus beau des oisillons !

    Bon, c'est chou, mais carrément kitch quoi.
      Eh ben, qu'est-ce qui faut pas entendre putain... si en m'engageant dans la marine, j'avais su d'avance que j'allais me retrouver à faire le piquet devant un saladier de gâteaux à me faire traiter d'oisillon par une bande d'okamas, j'crois que j'aurais rigolé. Ouais, j'aurais rigolé et j'aurais signé avec toute la conviction du monde en croyant très fort que l'armée, c'est définitivement plus marrant que la cure et les grenouilles de bénitier.

      Aller, autant prendre ça comme ça. Je choppe le gâteau, faudrait pas la vexer. Puis bon, y'a pas de raison pour qu'elle soit mauvaise, sa pâtisserie. D'autant que pour avoir crevé la dalle pendant des années, dont celles qui comptent le plus dans les souvenirs d'un humain, j'suis d'avance sûre que je kifferai au moins un peu l'aubaine. Même si, Dieu merci, ça fait des années que j'ai pas connu le vrai manque.

      J'prends un croc dans le gâteau avec le cœur.

      Et il s'passe un truc pas naturel. J'ai la langue qui pique, les larmes qui montent, mais c'est pas épicé. J'ai les tripes qui s'révoltent, elles qu'ont jamais rien dit pour les légumes moitié pourris, les mauvais ragoûts sans viande, les biscuits de guerre échangés aux militaires de passage. Non, là, y'a vraiment un truc de dangereux pour moi, là-dedans, c'est pas possible autrement. Un estomac poussé dans le Grey T., impossible à dégoûter de rien... Mais Barbie l'a fait. J'ai six paires d'yeux posées sur moi, dont une tellement barbouillée de de mascara que j'en ai des mauvais souvenirs plus ou moins récents qui me remontent, ça achève de me nouer la gorge. J'avale quand même. Drôle de sensation de chaleur dans la trachée, et y'a pourtant pas d'épices, j'l'ai dit... p'têtre quelque chose d'un peu fruité, mais du genre fruit qui a séjourné dans des coins pas très nets, et même pire que ça.

      -Ils sont très bons, commandante, merci. Je peux prendre un peu de thé ?

      L'ambiance se détend, tout le monde prend sa tasse, j'en profite pour détremper le reste du gâteau. Ça passe un peu mieux comme ça, c'était la première bouchée la plus rude... on s'habitue à tout sauf à la faim, c'est ce que disait l'homme chien.

      -Et alors, vous devenez quoi les filles ? J'espère que vous avez été promues depuis l'autre fois...

      Je lance le sujet l'air de rien, et je fais passer le saladier, en espérant que ça passe pour un don généreux de ma part, une invitation au partage ou n'importe quoi qui me permette d'évacuer au maximum ces saloperies. Tout en parlant d'autre chose, je me sens pas trop de faire un poème à la gloire des talents de Barbie sur ce coup.
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      - « Très bons », c'est tout ?

      Merde, on dirait que j'ai manqué de conviction sur ce coup. Les autres me regardent, vachement inquiets. Y'a une mouche bien noire qui passe, fou comme on l'entend bien. Faut que je dise un truc, n'importe quoi.

      -Je sais pas comment vous remercier, commandante. Ils sont vraiment délicieux, vos gâteaux, et c'est tellement gentil de votre part...
      -Moui... j'ai peut-être mis un peu trop de sucre, c'est pour ça que tu les aimes pas...
      -Mais je les adore !

      Je pousse le vice de la parole jusqu'au geste. Je replonge la main dans le saladier, et j'enfourne trois gâteaux d'un coup. Exercice avancé de résistance à la bouffe militaire, j'en pleure presque. Mais dans le fond, quand on s'attache plus au goût de la farine et du sucre qu'à celui du machin vaguement fruité, c'est supportable. J'avale, j'en repioche deux en gardant le reste à portée.

      -Oh, je suis si rassurée ! ♥
      -Y'a Bérangère qu'est passée caporal !
      -Eh ben, une promotion éclaire. Félicitations.
      -C'est grâce à toi, Serena !

      Ouais. Reste à savoir si je t'ai rendu service ou pas. Tout le monde me montre sa médaille Alakys fraichement acquise. Pas de MRO pour les subalternes, faut croire, mais y'a quand même eu des jours de perm' et des primes en bons d'achats utilisables dans toutes les boutiques de Navarone de distribués. Andermann a été réglo. Barbie se détend un peu, prend du thé, touche pas à ses œuvres. On dirait bien qu'elle y tient, à ce que je finisse le tout. Mais bon, le choc est passé, même pas peur. J'me concentre en hochant la tête et en souriant quand on me demande de donner signe de vie, mais pour l'essentiel, la conversation tourne plus trop autour de moi. Ça parle torchons et bigoudis, je vide ma tasse. L'heure tourne, mais pas encore assez pour que je puisse partir avec la bonne raison du temps. J'ai presque fini les gâteaux, mais y'a un genre d'inspiration qui me frappe la boite crânienne.

      -Commandante ? Est-ce que je peux prendre le reste des pâtisseries avec moi, bien enveloppées ? Ça me permettra de penser à vous et à tous les bons moments que j'ai passé ici pendant les premiers jours sur le Leviathan...

      Hypocrite ? Sur ce coup, juste pragmatique. Ça fait de mal à personne, au contraire. Un pieux mensonge, on appelait ça comme ça au couvent, même. Et puis Barbie est contente. L'idée lui plait tellement qu'elle m'emballe mes gâteaux et m'accompagne même à sa porte en me couvrant de recommandations esthétiques de tout poil. J'relève pas, trop contente de l'aubaine de pouvoir retourner me caler dans mes quartiers pas trop tard, lire un peu, fumer une clope et me coucher tôt. Si Jenkins décide de reproduire son petit numéro d'enrôlement de l'autre jour, faudra que je sois en forme.

      Pas question de poser un seul genou devant lui.

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