- Morphée tire la tronche. Ou c’est moi qui la lui tire ? Tout cela remonte à une époque que mon esprit refuse d’accepter, comme si la prison n’était qu’un mauvais rêve, comme si l’enfer n’était qu’illusion. Peut-être était-ce ce qui me préservait ? Peut-être…
Toujours est-il que l’histoire de ce marchand de sable reste un problème. Il n’est pas passé depuis bien trop longtemps. Depuis l’évasion, en fait. Non pas qu’un lit soit moins confortable que ma cellule, loin de là, mais je n’arrivais tout simplement pas à m’endormir. Mon esprit avait trouvé la rouerie pour me sauvegarder mentalement, mais le physique déclinait. Car oui, c’était de sa faute si je n’arrivais pas à fermer les yeux. En publique, j’affiche un air serein, ou, tout du moins, je dissimule mes fantômes. Mais sitôt dans un lit, mon corps tremble comme une feuille en proie à un vent infernal.
Éveillé, c’est le conscient qui décide, qui commande. Mais endormi, c’est le subconscient qui reprend les rennes. Alors que l’un a décidé de nier ces images, l’autre pourrait très bien me les renvoyer en plein visage. Et cela, l’esprit le refusait. Je le refusais ! Vivre une fois l’enfer était bien suffisant ! Les autres arrivent-ils à trouver le sommeil ? Je l’ignore, je n’ose pas demander… Et si j’étais le seul dans ce cas ? Le seul qui n’arrive pas à relever la tête, le seul à être si fragile et vulnérable…
Au début, j’ignorais tout simplement ce besoin primaire qu’est le repos. De toute façon, je n’arrivais pas à m’y résoudre, mon corps refusait de fermer les yeux. Ainsi, trois jours se sont écoulés. Trois jours que je passais à travailler, à mettre le projet d’Armada en place pour ne pas penser. Trois jours que je pousse mon corps à rester debout à force d’injections d’adrénalines. Trois jours que je manque de cette donnée nécessaire qu’est le repos. Cependant, manquant chuter, je remarquais à cette baisse d’équilibre que quelque chose n’allait pas, que ma malédiction ne me permettra pas de rester indéfiniment dans cet état. Je voulus, ou plutôt je devais, ressayer de fermer les yeux. Mais pas au sein d’un lit. Ce nid rappelle directement le sommeil et donc la possibilité de revoir cet enfer. Une suite bien trop évidente qui continue de provoquer des frissons.
Ce fut alors à même le sol que je fermai les yeux, au pied du lit, comme un chien, comme l’animal que j’étais au fond de sa cage. Une vie de chien. Pire même. Mais là au moins, mon corps ne semblait pas pris d’autant de spasmes, et la fatigue était plus grande qu’à la première tentative. Je pus garder les paupières closes plus longtemps. Les secondes défilaient et je ne bougeai toujours pas. Peu à peu, je pensais de moins en moins, libérant lentement mon cerveau. Morphée, c’est toi ? C’était comme si j’abandonnais mon corps, si je me détachai l’espace d’un instant, que je me mettais en pause. Une pause, ne plus rien ressentir, ne plus réfléchir, et ne plus rien faire. Juste laisser le temps s’écouler. Juste… Hum ? Mais je ne peux pas faire ça ! Je vais geler sinon ! Si je reste trop longtemps sans bouger, je vais mourir ! Ce sera une pause éternelle et non éphémère, sans reprise ! Je rouvris les yeux dans un sursaut, récupérant mes sens où je les avais laissés. La respiration rauque et irrégulière, mon regard furetait autour de moi. Des murs en bois, aucune trace de blanc, de neige. C’est vrai, je ne suis plus là-bas… J’avais à peine abandonné mon esprit à Morphée que le subconscient retournait dans cet enfer, avec ces habitudes que j’avais plusieurs mois durant. D’un air apeuré, je regardais l’heure. Je n’avais fermé les yeux que depuis une dizaine de minutes… Un échec cuisant qui me rappela de mauvais souvenirs. Des souvenirs du temps de cette tenue de prisonnier, tenue que je porte à cet instant. Pourquoi gardais-je ce tissu rayé ? Certainement pas pour me vanter d’être l’un des évadés. Plutôt que cela, j’aurais préféré pouvoir dire ne jamais y avoir été. Tant de temps passé dans cet accoutrement, peut-être est-ce devenu comme ma seconde peau ? Peut-être est-ce l’un de mes rares repères encore présent ? Cette tenue était tout ce qui me donnait chaud, ma seule bénédiction parmi les démons…