L'atelier de Lilou, il est grand aussi.

L'ange venait de poser sa valise dans sa chambre. Il y avait deux lits. Ce qui voulait clairement dire qu'elle aurait une colocataire. Elle opta pour le lit de gauche et commença à investir un des placard en y rangeant ses affaires. Elle remarqua avec un certain plaisir qu'il y avait une salle d'eau privative dans la cabine. L'aveugle entreprit ensuite d'explorer un peu plus en détail la piaule, mais il n'y avait rien à redire. L'endroit était propre et la literie de bonne qualité. L'investigation s'arrêta là. Il était grandement temps d'étendre l'horizon de sa curiosité à tout le navire.

Jeska savait que le Léviathan était grand. Mais l'endroit était tout bonnement immense. Même elle, qui possédait pourtant un bon sens de l'orientation se retrouva plusieurs fois perdue. Obligée de demander son chemin comme un infirme qu'elle était, elle dut aussi ressortir sa canne blanche. Ainsi, tout les soldats qu'elle croisait comprenaient bien qu'elle souffrait de cécité. De toutes façons, les plus anciens guidaient volontiers les nouvelles recrues dans les entrailles du Léviathan. Il faut dire, qu'eux aussi, étaient passés par là. Ces vétérans étaient d'autant plus prévenants avec Jeska du fait de son handicap. Et c'était typiquement le genre de situation que l'ange détestait. Elle prenait leur prévenance pour de la pitié et, de ce fait, déclinait leur offre car elle était bien trop fière pour admettre qu'elle avait besoin d'assistance.

Pourtant, même des bleus en pleine possession de leurs moyens se perdaient facilement dans les méandres du cuirassé. Punie par sa propre outrecuidance, voilà l'ange perdue en train de chercher vainement où elle était. Il faut dire qu'il y a peu elle avait surpris une conversation entre deux matelots qui parlaient de "l'allumé qui s'est baladé à poil", du docteur Wallace et de "l’espèce de bonasse avec des ailes". Elle comprit donc qu'on parlait de l'incident de la veille avec Smile, le médecin de bord et elle. D'après leurs dires, le souriant ami de l'aveugle aurait péri, emporté par les flots. En apprenant cette nouvelle, elle eut l'impression que son cœur venait de manquer un battement, puis un second, puis un troisième... C'était comme si on lui avait enlevé une part d'elle même. Ce chagrin, dont elle n'arrivait pas à deviner la nature lui embruma l'esprit et la fit errer telle une âme en peine dans les coursives.

C'est ainsi qu'elle se trouva, sans vraiment s'en rendre compte, devant une porte. Lorsqu'elle toqua dessus, le son produit lui fit réaliser qu'elle était plus épaisse et plus grande que la normale. Et aussi qu'on avait du la claquer souvent, les charnières grinçaient et ne semblaient tenir que par un obscur miracle. Pourquoi l'aveugle avait elle ouvert la porte, et pourquoi avait elle pénétré dans l'antre de la bêteLilou. La curiosité vous pousse à faire des actions bien étranges des fois. Mais pas seulement, de cette pièce, il en provenait un son régulier, comme si une personne tapait au marteau sur quelque chose de métallique, qui laisser envisager à l'ange qu'au moins une personne était de l'autre coté.

Elle entra. L'endroit sentait l'huile de moteur, le brûlis et la limaille. La même odeur que cette sacrée nana qui avait envoyé valdinguer le minot pervers. L'ange avança lentement et silencieusement. Oui, Jeska savait être très discrète. Afin de ne pas polluer son ouïe avec les son de ses propres pas, la jeune femme se déplaçait toujours sans émettre le moindre son. Utilisant le martellement qu'elle entendait comme une balise, elle se dirigea dans le bric à brac qui servait de laboratoire à la plus volcanique des rouquines. Elle était près à présent. Vu comment, elle avait dégagé le Plud, l'aveugle se dit qu'il serait de bon ton de signaler sa présence avant que Lilou ne s'en aperçoive et prenne peur. Elle toqua sur une sorte de table. Le martellement avait cessé, elle avait toute l'attention de la personne qui se trouvait là. L'appréhension étreignit l'âme de la Lieutenant, elle déglutit difficilement avant de dire.

B... bonjour. Je suis la Lieutenant Jeska Kamahlsson. Et... heu... navrée de vous déranger... mais... j... je suis nouvelle ici et je me suis perdue. Et... et... ne me tapez pas comme le garçon d'hier s'il vous plaît!

Jeska était décontenancée par le rire de la rousse. L'ange avait-elle dit quelque chose de drôle? Ou alors la fameuse Lilou se payait sa tête? Incapable de dire si c'était du lard ou du cochon, l'ange s'abstint de dire quoi que ce soit. Elle portait encore sur le nez le pansement que lui avait posé Wallace, elle n'avait pas envie de se prendre une par la nana qui semblait se réjouir de jouer quotidiennement au lancer de Plud. Enfin, la Lieutenant ne pouvait pas dire non plus que l'indélicat ne méritait pas châtiment pour son crime. Mais, elle continuait de penser que la bricol'girl du Léviathan était un tantinet trop violente.

C'est ensuite que vint sur le tapis les bruits de couloir qui circulaient sur elle. Jeska était estomaquée. Si vite? Elle avait passé à peine une grosse paire d'heures sur ce navire hier qu'elle se retrouvait déjà avec des casseroles à trainer... Surtout celle là. Smile... rien qu'à l'évocation de son nom, l'ange rougit et secoua la tête de droite à gauche pour montrer qu'elle réfutait cette affirmation. Enfin, la réaction était bien trop exagérée pour ne pas qu'on se doute qu'il y ait anguille sous roche. Seulement, son ami se faisait passer pour mort, et hormis Oswald, personne sur le Léviathan ne savait que le souriant blondinet vivant encore. Même si la jeune ange niait toute relation avec lui, sa disparition lui pinçait le cœur.

Ensuite, Jeska s'assit, comme son hôtesse l'y invitait. Le teint encore légèrement empourpré. Mais son visage semblait porter les marques du chagrin. Toujours intimidée par cette femme qu'elle supposait être Lilou B. Jacob, l'aveugle se tassait comme si elle cherchait à prendre le moins de place possible. Car la vaillante lieutenante connaissait les membres des Rhinos Stoms, l'équipage de Alheïri S. Fenyang. Son tempérament, conjugué au fait qu'elle travaille dans une sorte d'atelier, tout ça amenait l'ange à pensait que la personne à qui elle parlait était la fameuse mécano du Léviathan. Et ce, même si cette dernière ne s'était toujours pas présentée. D'ailleurs, elle allait pouvoir profiter d'avoir un peu de temps devant elle et une personne visiblement gentille en face d'elle pour poser la question qui lui brûlait les lèvres.

Vous êtes mademoiselle Lilou B. Jacob, n'est-ce-pas? Je le demandais... où est Alheïri S. Fenyang? J'aimerais beaucoup le revoir. Enfin... le rencontrer à nouveau.

Jeska ne lisait pas les journaux, pas d'édition en braille. Et sans bonne âme pour lui narrer ce que le papier lui racontait, l'ange se retrouvait souvent dans la plus grande ignorance de ce qu'il se passait dans le vaste monde.

-Lilouuuuuu!! T’as raté le déjeuneeer-oooh!

Bim! BAM! Cling! Clong! CRAC! Paf!

…

“Sérieusement… T’es incroyable mon gars… Trébucher sur un boulon en entrant…”

Boulon bien vicieux qui a eu pour conséquence de me faire foncer directement dans plusieurs étagères de suite et en étaler le contenu partout sur le sol déjà bordélique de l’endroit. Dans un fracas énorme, des plaques de métal s’écrasent sur moi comme je m’efforce de couvrir de mon corps l’objet de mon entrée dans le local privée de la rouquine.

Cling! Clong!

Quelques matériaux tombent encore un instant sur le sol, tandis que tous restent figés, comme paralysés par l’immense hécatombe de clés à molette, de marteaux, de vis et de boulons, de plaques de soudure et d’autres objets qui jonchent désormais le sol.

-Euh… L…Lilou… Euh… T’avais raté le déjeuner… Donc je voulais juste te l’apporter pour pas te déranger dans ton travail… Héhé…

De sous mon corps, je sors difficilement un sandwich trônant au milieu d’une assiette à la blancheur souillée. Piteux, je me relève difficilement en écartant les objets qui me recouvrent.
Puis je l’aperçois, elle.

Jeska Kamahlsson.

-Jeska Kamahlsson… Tu faisais part de ton super humour à Lilou?

Le ton est dur, sans appel. Tout comme ma mine qui se renfrogne d’un coup.

Ainsi, "Il" était mort. Lui. Jeska ne l'avait rencontré qu'une fois, mais Salem lui avait fait si forte impression qu'elle avait fini par penser qu'il était indestructible. C'était à un moment où l'ange venait d'apprendre le décès de l'homme qu'elle avait toujours idolâtré, Artorius. Par la force des choses, mais aussi du fait de l'immense magnétisme que dégageait le fils Fenyang, l'aveugle trouva en lui une nouvelle source d'inspiration. Il faut dire que la Lieutenant avait grandi sans parents dans un orphelinat. Pourtant, son père était encore de ce monde, mais, de ce qu'on lui avait dit, il n'avait pas voulu d'elle. Elle avait été rejetée. Elle ne connaissait pas l'amour parental et, à cause de ses différences de naissance (ailes noires et cécité), il lui avait fallu du temps pour se faire des amis. De ce fait, l'ange était devenue une personne introvertie, discrète, les mauvaises langues diraient même sans grande personnalité. Pourtant, elle n'était pas du bois dont on fait les flûtes. Mais voilà, elle avait une peur panique qu'on l'abandonne. Et cette phobie l'avait amenée à adopter une logique assez perverse. Elle refusait de trop se lier avec les gens. Ainsi, lorsque ces derniers venaient à disparaître, elle ne sentait pas la douleur de leur absence. Pourtant, elle souffrait aussi de la solitude que cette attitude impliquait. Paradoxalement tiraillée entre deux sentiments contraires, Jeska se retrouvait souvent à devoir choisir entre la peste et le choléra.

Cependant, il y avait eu des exceptions. Ces figures emblématiques dans l'esprit de la jeune femme étaient associées indirectement au père qu'elle n'avait jamais vraiment eu. L'alliage parfait entre la force, la confiance et la douceur. Dans les ténèbres permanentes dans lesquelles vivait l'aveugle, ils étaient tels des phares dans la nuit noire. Elle était rentrée dans la Marine pour revoir Artorius, pour lui montrer que grâce à lui, elle était devenue une personne dont il pouvait être fier. Mais la faucheuse était passée avant que cette scène ne puisse se produire. Elle ne rencontra Salem que plus tard, mais ce dernier ralluma en elle le feu sacré. Et plus encore. Jeska avait aimé cet homme. Ce n'était certes que l'émoi d'une adolescente qui subissait, sans vraiment le comprendre, les conséquences d'une bousculade hormonale. Mais ce sentiment était resté, et n'avait pas été dilué par les effets du temps.

C'est pourquoi la nouvelle la chamboula autant. Les larmes perlèrent de ses yeux clos. Elle essaya de les dissimuler en enfouissant son visage entre ses mains. En un jour, elle venait de perdre Smile et Salem. Elle n'avait plus de lien, plus de repères, plus de lumière pour la guider dans l'obscurité de son existence. Elle était seule dans le noir. Et elle avait peur. De nouveau, elle sentit un vide dans sa poitrine. Elle avait du mal à respirer. Connaître les circonstances du décès ne l'aidaient pas à faire son deuil. Et de toutes façons, ce serait quelque chose de long et difficile. Elle était en plein dans la phase du déni, mais, face à Lilou, à sa voix grave et teintée d'émotion, elle se voyait mal la traiter de menteuse. Surtout qu'elle semblait avoir la violence facile.

Enfin, ce fut pour Oswald qu'alla la compassion de la mécanicienne. Jeska savait qui était le fameux double-face. Elle connaissait sa réputation. En fait, la seule chose qu'elle ignorait, c'était qu'elle l'avait déjà rencontrée. C'est alors que l'ange allait essayer d'aborder la mémoire du défunt avec Lilou que cette voix retentit, celle de l'Usurpateur. Il apportait le déjeuner à la vulcano-rouquine. L'aveugle réalisa alors qu'elle aussi avait faim. Mais ses pérégrinations dans les entrailles du Léviathan l'avaient momentanément distraite de ses obligations alimentaires. Elle le sentit approcher. Instinctivement, son corps se raidit, comme s'il se préparait soit à passer à l'attaque, soit à en subir une. Il était là, tout près. L'ange quitta son siège, prête à protéger Lilou de ce sale type. Il trébuche, tombe, entraine des étagères avec lui, et finalement, se retrouve sous les outils et autres pièces inachevées. Jeska n'éprouve aucune compassion pour ce salaud de voleur d'identité. Seul le pauvre Oswald méritait un tant soit peu de réconfort.

L'homme se relève. Lilou ne dit rien, ne voit rien. Jeska se rend compte alors de l'horreur de la situation. Même mademoiselle Jacob a été abusée par le faux Salem! Puis, elle réalise que c'est cette dernière qui lui a appris la nouvelle. Alors, elle réalise une chose. Soit la rousse est de mèche avec l'imposteur et ce sont eux qui ont monté un plan pour cacher la chose à l'équipage, soit... il s'agissait d'une autre solution que l'ange était incapable d'envisager pour le moment tant son esprit était embrouillé. Ne pouvant déterminer l'identité de l'individu, la Lieutenant se tourna vers la mécanicienne.

Mademoiselle Lilou, c'est qui, lui?

Oswald.

Ce mot, prononcé par Lilou, fit réaliser à Jeska toute l'horreur de ce qu'elle avait fait. Elle n'avait pas d'autres alternatives. Elle se mit à genoux, s'assit sur ses talons puis posa ses poings sur le sol, enfin, elle s'inclina en avant jusqu'à ce que son front touche ses mains.

Comodore Oswald Jenkins, je vous prie de bien vouloir accepter mes plus plates excuses pour mon attitude horrible d'hier. Je... j'ignorais que Monsieur Salem était passé de vie à trépas. D'ailleurs, je me permets de vous présenter humblement toutes mes condoléances. Je suis aussi disposée à accepter n'importe quelle sanction que vous aurez la bonté de m'infliger.

De toutes façons, Jeska ne comptait pas se relever avant d'être soit châtiée, soit absoute.

-Euuh… en fait, c’est un sandwich, avec… euh… des trucs dedans… et pis ça doit goûter bon aussi… C’est pas moi qui l’ai fais, je suis nul en cuisine, hein.

-Pas grave, j’ai faim!

Elle me pique d’un coup l’assiette des mains et se met à gober le sandwich en quelques bouchées avec la véhémence… d’un rhinocéros en charge, tiens.

Tandis que Lilou termine son goûté, je me tourne vers Jeska qui, toujours face contre terre, attend son jugement. Alors ce n’était tout ce temps qu’un simple quiproquo? Un bête malentendu provoqué par le malheureux handicap de cette ange à l’air si chagriné? La pauvre gamine n’est en fait victime que des affres de la communication défaillante des médias… J’aurai tout vu… Avec une mine se voulant attendrie pour cacher mon malaise très peu subtile, je m’accroupie devant la lieutenante. Il faut bien savoir se faire pardonner, ou avoir l’air du plus sombre des malotrus, une fois toute cette péripétie résolue.

-Euh… eh ben… j’ai pas vraiment habitude de cogner les gens pour rien… quoi que… Bon, mauvais exemple… Dis, tu veux bien te relever? Ça devient du vice là.

De deux doigts, je relève son menton fragile pour l’aider à se relever.

-Et puis, se battre contre moi… si tu voyais ma tronche, l’envie t’en quitterait rapidement.

Je lui prends la main et l’aide à se relever totalement. Une fois debout, je me détourne et balaie d’un œil désolé le fouillis qui couvre le sol de l’atelier.

« Va falloir faire le ménage… »
-T’inquiètes, je sais…

Comme Lilou termine son repas en regardant ailleurs, feignant de ne pas nous voir ni nous entendre, je m’adresse à nouveau à l’ange qui semble toujours légèrement ébranlée par toute cette problématique.

-Je suis Oswald Jenkins, nouveau capitaine des Rhinos Storms et Commodore au service de la Marine. Sur cette mer, on m’appelle Double Face, ailleurs, on m’appelle Le Monstre. J’fais de mon mieux pour faire reprendre la route au Léviathan et de redonner le sourire à cet équipage, même sans Lui. J’te connais déjà, j’ai lu ton dossier et certains de tes rapports de mission qu’on a cru de bon de m’offrir dans l’cadre de ton recrutement, tu te débrouilles bien, y’a pas à dire.

Sans trop savoir quoi faire, je tends une main vers elle, prête à être serrée.

-Sache que sur ce navire, les différences, on ne fait pas que les accepter, on les respecte et on les utilise à bon escient. Tu es une Rhino Storm, désormais, membre d’une famille de plus d’un millier de gens. Oublions le passé.

Et puis, ta claque, elle n’a pas fait si mal…

Le quiproquo se dissipe. Les choses reprennent enfin leur cours normal. L'ange remarque que les deux hauts-gradés sont aux courant de ses états de service. Ils sont bons et ses supérieurs semblent ravis de l'avoir à bord. C'est un soulagement pour l'aveugle. Elle avait un peu d'appréhension quant au fait d'être acceptée dans l'équipage à cause de son handicap. On lui demande de se relever, on l'y aide même. C'est adorable. Tout ça lui va droit au cœur. Oswald lui tend la main, et elle la serre chaleureusement.

Puis il lui parle de famille. Et Jeska commence à fondre en larmes. Sait-il seulement ce que ça peut représenter pour une orpheline comme elle? Elle même n'osait plus en rêver. Et lui, il lui offrait ça comme un cadeau de noël avant l'heure. Elle se mit soudain à imaginer cette famille, avec Oswald comme papa, Lilou comme maman, elle n'avait pas encore de grande sœur revêche et de petit frère un peu cinglé, mais elle n'avait pas encore rencontré Serena et elle ignorait qu'Oliver se trouvait à bord. Bref, une famille dysfonctionnelle, mais pour l'aveugle, ce serait probablement la meilleure au monde.

Elle lâcha la main du Commodore et se jeta contre lui. Elle le serrait fort contre elle, sans arrêter de pleurer pour autant. Elle sentait enfin la véritable fragrance d'Oswald. Le poivre blanc. Elle la gardait gravée au fond d'elle même. C'est alors qu'elle réalisa quelque chose de terrible. Double-face ne l'avait pas sanctionnée.

Monsieur Oswald, c'est un honneur trop grand que vous me faites... je ne sais pas trop quoi dire. D'autant plus que vous ne me punissez même pas pour... ce que j'ai fait! Vous devez me sanctionner! Je ferai ce que vous voulez! Je rangerai l'atelier de Mademoiselle Lilou, je vous apporterai un repas plus copieux. Punissez-moi, s'il vous plaît!

Non, Jeska n'était pas masochiste. Même si ça y ressemblait drôlement. En fait, c'est juste que son échelle de valeurs n'était pas adaptée à la clémence. Pour l'aveugle, toute mauvaise action méritait une sanction. Et cette règle ne souffrait d'aucune exception. Même si c'était elle la personne concernée. Elle avait osé baffer Oswald, un supérieur, elle devait être punie. C'était aussi simple que ça.

Ah oui, tiens !

Je fais un peu potiche a les regarder l'un et l'autre se faire des excuses et des câlins. Je ne suis pas jalouse, mais j'ai l'impression d'avoir manger le fruit de l'invisibilité. C'est moche au milieu de tout ce monde. Et puis, mon ventre crie toujours famine même après cet encas pourtant très bon.

C'est une très très bonne idée, un repas plus copieux...

Un petit rire m'échappe, j'en salive d'avance. Oswald va pour parler, mais je le coupe d'entrée de jeu avec une voix forte et assurée :

Alors, vu que le Commodore Jenkins a foutu mes rangements en l'air et que même s'il est plus gradé que moi, il mérite une punition lorsqu'il fait des maladresses, et que dans cette histoire, vous êtes autant responsables de ce quiproquo l'un que l'autre, je propose que vous alliez me pêcher et me préparer... Mh... Je sais ! DES LANGOUSTES !

En voilà, un met plutôt rare et bien pénible à attraper. Petit sourire qu'Oswald est le seul à pouvoir voir, un poil sadique il faut le dire, je surenchéris :

Je veux des langoustes, dans une jolie assiette, bien cuisinés comme vous voulez, mais faut que ça soit bon et très copieux ! Et puis, faites vous aussi une assiette hein, on prendra le goûter ensemble. Un goûté très équilibré, des fois qu'on en doute. Mais hein, on s'en fout, on est entre nous.

Bon...

Qu'est-ce que vous faites encore là, mh ?

À l’extérieur de Navarone, près des murs,
Une demi-heure plus tard,

-Tu sais nager toi?
-Pourquoi?
-Parce qu’y parait que les Langoustes, ça pousse sous les rochers…

Silence, je fixe l’eau, à chercher une idée, comme elle… ne fixe rien en fait. Commençant à comprendre son style de réaction, je me doute qu’elle doit avoir une idée mais qu’elle attend que je lui donne le droit de parole ou un truc comme ça, à croire qu’elle a été élevée dans plus de droiture qu’un samouraï de Wano…

Assis dans la chaloupe que j’ai fais descendre du Léviathan, je me tourne vers la demi-douzaine de cages à Langouste qui sont empilées derrière moi. Je ferais bien tout pour Lilou, mais bordel… y’a limite… des langoustes… c’est quoi la prochaine étape? Je vais devoir me tailler un iroquois sur la tête? N’empêche qu’il manque toujours quelqu’un pour pêcher ces foutus crustacés, et que je préfèrerais donner une promotion éclair à Queen plutôt que de me jeter au milieu de ces gros cailloux parsemant le fond des côtes de Navarone.

-Remarque que j’ai aussi apporté un harpon… mais j’suis pas sûr que ce soit adapté à ce genre de pêche…

Toujours rien, elle semble presque se concentrer pour ne rien dire, c'est peut-être peine perdue. Dans les cieux, j’aperçois une mouette journalière que j’interpelle d’un signe de la main. Elle se pose, et un échange monétaire plus tard, j’ai la nouvelle édition du Journal du Monde entre les mains.

-Hé Jeska, tu sais que t’as le droit d’parler, hein. T’es chez les Rhinos Storms à présent, tu peux être plus relaxe, l’étiquette, elle est importante, mais y’a limite! Faut savoir trouver un juste-milieu à toute chose, et de ton côté ça commence par l’oral, ça marche?
…
Bon t’as une idée? Parce que ce qui est nul avec la pêche à la langouste, c’est que ça implique de savoir nager un minimum… et que moi, ben nager, c’est pas vraiment dans mes cordes, depuis que j’ai bouffé l’fruit Tailladant.

Jeska avait juste eu le temps de se changer qu'elle se trouvait déjà sur une barque avec Oswald. Elle n'avait pas beaucoup de maillots de bains dans sa garde-robe. Certainement du fait que l'aveugle n'aimait pas l'eau. Ça brouillait son sens du toucher et de l’ouïe et rendait inopérant celui de l'odorat. Sous l'eau, l'ange devenait presque totalement aveugle. La voila donc en compagnie de son supérieur en train de se cailler les miches pour aller chercher des langoustes. D'ailleurs, c'était quoi une langouste? Comment on pêcha ça au juste?

En fait tout ce que Jeska savait de cette chose, c'était que ça poussait sous les rochers. Il fallait donc qu'ils aillent sous l'eau les chercher. Dit comme ça, ça ne paraissait pas comporter trop de difficultés. Seulement voilà, Oswald ne pouvait pas nager su fait qu'il était un utilisateur de fruit du démon. Ce qui signifiait implicitement que c'était l'ange qui allait devoir tout faire. Elle soupira à cette idée. D'autant plus que son supérieur voulait que l'aveugle laisse tomber son formalisme. Par exemple, elle avait le droit de s'exprimer sans avoir à attendre qu'on lui en donne l'autorisation.

Monsieur Oswald, vu que vous nagez comme une enclume, je vais aller à l'eau. Cependant, je me dois de vous signaler... de vous dire... que je ne suis pas à mon aise dans l'eau. Vous comprenez, ça brouille mes sens... et puis, on est en Décembre... l'eau est froide... et puis, l'eau dans les plumes, c'est une horreur à faire sécher... mais je ne me cherche pas d'excuses!

De toutes façons, elle ne pouvait pas vraiment faire autrement. Elle se redressa, ajusta son maillot deux pièces, se mouilla la nuque et plongea. La sensation de froid lui serra les pores si fort qu'elle eut l'impression que sa propre peau avait rétréci. Elle sentit l'air dans ses poumons se contracter brutalement. Immédiatement, elle refit surface pour reprendre sa respiration. Et replongea aussi sec. Quelques instants plus tard, elle remonta un tas d'algues malodorantes.
Ce n'était pas ça.
Au second essai, elle apporta un crabe.
Toujours pas ça.
Après avoir renfloué un poulpe, un oursin (et quelques larmes), un coquillage bivalve totalement inconnu, elle remit enfin le précieux crustacé à son supérieur.
Et de un!
Quelques minutes plus tard, les cages à langoustes étaient bien garnies, seulement, l'ange était repartie en apnée. Elle s'était habituée à la température de l'eau. Elle voulait absolument en rapporter une dernière, ainsi, Lilou, Oswald et elle pourraient en déguster deux chacun. Seulement voilà, la dernière langouste, c'était un sérieux client. Un roi langouste. La chair de la bête était merveilleusement savoureuse, seulement, les plus petits spécimens faisaient deux mètres de long. Et ils étaient extrêmement agressifs. La pêche ne fut pas aisée. Déjà que Jeska n'était pas à l'aise sous l'eau, il faut imaginer qu'elle devait être encore moins efficace en combat aquatique.
Seulement, ce n'était que partiellement vrai. en effet, la plus aveugle des lieutenant avait eu le temps de s'habituer à la densité de l'eau. Elle put donc affronter son adversaire sans d'autres soucis que celui de reprendre de l'oxygène. Une fois le monstre assommé, il remonta à la surface. Il n'y avait plus qu'à le ramener à bord du Léviathan. Quant à Jeska, elle remonta sur la barque, seulement, il lui manquait quelque chose. Son maillot de bain! Lors de son combat, les lanières du deux pièces avait dû se défaire. C'était donc une ange dans le plus simple appareil qui se présenta à son supérieur!

Oh, zut, je viens de me rappeler que j'ai oublié de prendre une serviette!

Elle ne s'était pas encore rendue compte qu'elle avait perdu quelqu'un durant cette partie de pêche.

-Euh….euh….euh….ben….euh…c’est-à-dire que… c’est juste que…Jessein, euh Jeska!... eh ben euh… gloup!
« Héhé, c’est peine perdue, c’est pas trop ton habitude de te r’trouver dans c’genre de situation! »

Les yeux ronds comme des billes, à la fois paralysé et obnubilé, je n’arrive plus à prononcer un seul mot. Il faut dire que même à mon âge, je n’ai jamais vraiment eu de relation amoureuse durable ou encore un quelconque rapprochement avec une fille. Alors ça… c’est une première…

« Ouais, il lui faudrait minimalement une serviette… »

Toujours paralysé, je commence à avoir des sueurs, puis mon visage se mouille comme mes mains qui sont envahies par la moiteur. Il faut quelque chose pour les cacher! Voilà! Quelque chose pour faire office de serviette!

-Euh… Euh…

Mon cerveau a beau carburer à cent à l’heure, mon corps, lui, ne répond pas. Mes yeux restent braqués là, sans que je ne trouve quoi que ce soit à prononcer que des balbutiements incompréhensibles. Jeska, elle, tâtonne les cages pour s’assurer qu’elles sont bien en ordre.

-Monsieur Oswald? Tout va bien?
-Euh… Euh… tes… tes… tes…
-Tiens, vous ne sentez pas un courant d’air?
-Euh… oui… oui, non! Mais…euh… en fait euh…
« T’es irrécupérable mon Oswald… »

Bon sang! Je suis Commodore! Je devrais pouvoir faire quelque chose! J'ai déjà affronté des géants et des pirates surpuissants, et c'est la vue de la poitrine d'une fille qui me met dans cet état quasi-comateux?! Ce n’est pas digne de mon rang! Si seulement une seule vigie me voit du haut des murs de Navarone, je suis bon pour harcèlement sexuel d'un officier subordonné, en cour martiale! Et si elle se rend compte de tout ça, j'vais devoir me farcir une nouvelle claque, bordel! De toutes mes forces, je ferme les yeux avec vigueur, m’arrachant d’un coup au paysage.

« Ah! Je sais! Si tu places directement les mains devant toi, tu devrais pouvoir les cacher de ta vue! »
-Ah! Bonne idée!
…
-Ah!... Monsieur Oswald!!

Un court instant passe durant lequel je réalise tant bien que mal que mes mains sont appuyées sur quelque chose se rapprochant de la texture d’une peau humaine mouillée. Une peau humaine mouillée et spécialement ronde... Merde...

-Dark…
« Quoi! C’était beaucoup trop facile de te faire tomber dans ce piège! »
-C'est tellement cliché en plus... Pourquoi faut-il vraiment qu'ça m'arrive?!
-Monsieur Oswald!

SBAFF!

J’ouvre enfin les yeux alors que je m’écrase tête la première contre le fond de la barque, une nouvelle main rouge imprimée contre ma joue. Celle-là, elle a fait mal. D’un œil, j’aperçois le Journal du monde que j’ai laissé traîner au sol. D’un rapide mouvement, je le saisi, le déplie et l’ouvre à la grandeur en me relevant, cachant ainsi la poitrine d’une Jeska effarouchée et gênée à la fois.

-Jeska! Écoute! J’ai pas fait exprès! C’est juste qu’il fallait que je trouve un moyen de les cacher! C’est pas c’que tu penses! Tiens! Enfile ce journal, ça va te couvrir!

Des fois, je me demande même si Lilou est assez diabolique pour prévoir d’avance ce genre de situation… Et si c’est le cas, elle est aussi diabolique qu’Oliver l’affirme…

Celle-ci semblait plus méritée que celle d'avant. Elle avait frappé plus fort qu'elle n'avait voulu, et, de ce fait, s'était même un peu fait mal à la main. Présentement, l'ange était à la fois irritée et gênée. En colère d'avoir été pelotée et mal à l'aise à cause de la situation. Elle se demandait comment elle avait pu en arriver là. Avait-elle fait quelque chose qui puisse être mal interprété par Oswald? Oui, c'est ça, ce devait encore être un malentendu. Ne pouvant laisser son supérieur en train de goûter le plancher de la barque, elle s'approcha de lui. Soudain, elle sentit qu'il essayait de mettre une barrière entre eux. Une barricade en papier. Quelle pouvait donc en être son utilité? N'ayant pas encore capté qu'elle avait perdu son maillot, elle demanda.

Monsieur Oswald, que voulez vous que je cache au juste?

Que ce fut dur pour le Commodore d'expliquer à une ange un peu cruche qu'elle se baladait les seins à l'air. La jeune femme cacha donc sa poitrine avec la une du journal du jour. Seulement, il n'y avait pas que le haut qui avait disparu. Et lorsque que le commandant du Léviathan le réalisa de ses propres yeux, il en saigna du nez.

Encore une fois il dut expliquer à la brave Jeska qu'il n'y avait pas que sa poitrine qui était à l'air. Cette fois-ci, la jeune femme vira au cramoisi. Elle se couvrit de journal de façon à ressembler à une momie de papier.

M... monsieur Oswald. Je me dois de vous dire que ce serait mieux qu'on ne parle de ça à personne. Et puis, hum... la prochaine fois que vous voulez vous... rapprocher de moi, ce serait mieux de me le demander avant. Vous avez beau être mon supérieur, vous ne pouvez pas user de mon corps pour votre bon plaisir. Mon corps, pas son mon accord!

Mon corps, pas son mon accord. C'était le slogan de la formation pour la prévention du harcèlement sexuel dans la Marine. Séminaire obligatoire pour toutes les jeunes soldates qui dévouaient leur corps et leur âme à la justice. Jeska se devait donc de montrer à son supérieur qu'il y avait des limites à ne pas franchir. Mais, elle rajouta tout de même, pour enfoncer le clou.

A moins que vous vouliez que je raconte tout ça à mademoiselle Lilou...

Bordel… Ça y est… Je suis fini, je vais mourir aussi. C’est ce foutu Destin qui me rattrape enfin. Je l’avais semé depuis Drum déjà, mais il a trouvé le moyen de revenir me foutre dans les emmerdes. C’est officiel, j’ai attrapé le syndrome du Fenyang! Ça doit être contagieux ça, dès que l’on devient capitaine du Léviathan, ça frappe sans prévenir. D’abord Jeska et cette situation tout à fait désagréable, puis les infirmières du navire, puis… puis… puis peut-être même Ketsuno?! Qu’est-ce qui va m’arriver bon sang? Je vais devenir un pervers notoire!

-B… Bon! Écoute Jeska! C’était vraiment pas voulu, c’est juste que… que… t’es sortie de l’eau et puis… et puis… t’avais plus rien, alors j’ai… non pas j’ai… Dark a pensé à les cacher avec… avec…

Je tente de mon mieux de m’expliquer alors qu’elle me brandit au visage un pénible slogan du syndicat des officiers féminins de la Marine, rien n’y change.

-Oh non! Ne dis rien à Lilou! S’il-te-plaiiiiiit! Ne lui dis rien! Tous mes jolis efforts jetés à l’eau comme ça, non! Elle ne voudra jamais de moi si elle apprend un truc comme ça! C’est un malentendu, s’il-te-plaît Jeskaaa!

Il faut bien croire que, des femmes de caractère, il commence à en avoir une bonne poignée, sur le Léviathan…

Le Léviathan,
Devant la cabine de Jeska

-T’as bientôt fini?… Bon sang… ça devrait pas être si long à sécher, des ailes d’ange…

Assis à côté de la porte close de la cabine, au beau milieu d’un des couloirs du Léviathan, je tente de replacer les restes gondolés du journal d’aujourd’hui en ordre en attendant Jeska qui met bien une heure pour être à nouveau présentable. De temps à autre, je ne peux m’empêcher de fixer mes mains avec une drôle de sensation, sensation qui me fait immédiatement tourner les joues au cramoisi… C’est bien la dernière fois que je vais à la pêche avec une fille…

« Tiens, Armada, tu sais ce que c’est? »
-Hmmm… L’ex-agent Red a encore fait des siennes, on dirait… répondis-je amèrement en lisant le gros titre du quotidien. Je me demande bien ce qui a pu le pousser à retourner sa veste de cette façon… Il n’était pas du tout de ce genre là, du temps où on l’a connu…
« ‘Bien vrai. Il aurait vendu sa mère pour réussir une mission. »

Les langoustes devraient être bientôt prêtes, je les ai envoyé aux cuisines depuis un moment déjà, il ne faudrait pas mettre Lilou en attente trop longtemps encore, la connaissant, elle doit déjà s’impatienter.

-Jeska? Tu sors bientôt oui?

Je n’ose pas ouvrir la porte pour la presser, ne sachant désormais plus à quelle genre de surprise m’attendre de sa part. Et c’est justifié!

Jeska était sous la douche. Elle avait bien précisé à Oswald qu'elle voulait juste se sécher les ailes, mais après un bain d'eau de mer, il était impossible pour l'aveugle de ne pas se rincer la peau. Pour les gens normaux, l'eau salée qui sèche, ça tire la peau et c'est désagréable. Pour l'ange, c'était mille fois pire. Elle ne pouvait pas rester comme ça. Ce serait trop horrible. En plus, ce n'était pas comme si le cuisinier à qui ils avaient apporté les langoustes ne leur avait pas dit qu'il fallait une heure pour préparer correctement les crustacés. En somme, elle avait le temps.

La caresse de l'eau chaude la délassait agréablement, l’atmosphère humide l'apaisait, et les senteurs du karité et de l'huile d'argan embaumaient la pièce. Une légère note de shampoing à la fleur de coton flottait dans l'air. Ce n'était pas parce que Jeska ne se préoccupait pas du regard des autres qu'elle ne prenait pas soin d'elle pour autant. En fait, il serait juste de dire qu'elle était assez calée en ce qui concerne les produits de beauté. Même si ses canons en la matière différaient de ceux des valides. Pour la soldate ailée, le plus important était de sentir bon, d'avoir les cheveux soyeux et d'avoir la peau douce. Et accessoirement, les plumes lisses.  Mais ce dernier détail ne concernait qu'elle.

Enfin, sortie de la douche, la jeune femme dut affronter le calvaire du séchage. Les plumes, c'est tout bonnement une horreur, mais ce n'est pas tout. Il y a aussi ses longs cheveux. Et lorsque votre crinière touche presque le sol, il faut imaginer le temps qu'on passe à les essorer. Au moins ça lui laissait un peu de temps pour réfléchir. En effet, Oswald avait paniqué d'une drôle de façon lorsque notre ange favorite mentionna le fait de parler de l'incident à Mademoiselle Lilou. En fait, elle avait même eu l'impression que le Commodore avait le béguin pour la bricol'girl. Ça lui donnait envie de jouer les entremetteuses. Subtilement, bien évidemment. Enfin, plus que les soldats qui avaient remonté la barque dans laquelle Double Face et Jeska avaient pêché. Du poisson, je précise. En effet, ces derniers avaient félicité leur chef pour avoir "emballé" l'ange. "Au propre comme au figuré" s'étaient permis de rajouter certains en pensant avoir fait un bon jeu de mots.

Finalement séchée et habillée comme à son habitude, la jeune femme sortit de sa chambre.

Monsieur Oswald, j'ai réfléchi... en échange de mon silence... je voudrais que vous veniez avec moi pour m'offrir de nouveaux maillots de bain. Les vendeuses ont tendance à profiter de mon handicap. Quatre ou cinq maillots, ça devrait suffire. De la marque Crimin' ça va de soi.

Une fois tombés d'accord (Oswald avait-il le choix de toutes façons?), nos deux héros partirent en direction des cuisines chercher les victuailles. Le cuistot avait fait flamber les queues des langoustes au cognac (recette ici), cependant, Jeska demanda en plus des fraises. Il faut dire que c'était son péché mignon. Il ne fallut que quelques minutes au Commodore et à sa Lieutenant pour rallier l'atelier de Lilou, les mains chargées de plateaux. L'ange avait qui avait humé la bonne odeur tout le long du trajet en salivait déjà. C'est pouquoi, dès qu'Oswald eut ouvert la porte, elle annonça d'une voix forte.

Mademoiselle Lilou, c'est nous! On arrive avec les langoustes!

-Niéh…

J’enlève l’algue, un peu gêné, puis pose le restant du journal chiffonné sur la table avant de me saisir de la queue d’un des crustacés et d’en grignoter un peu.

-Non… pas trop d’ennuis… dis-je à la fois timide et morose. Mais la prochaine fois Lilou, tu pourrais pas simplement nous demander de nettoyer tout ce bazar?

Je soupire, puis jette un œil à quelques gros titres qui paraissent sur le papier journal gondolé et chiffonné. Quelques images l’accompagnent. Des primes. Des primes de deux hommes mondialement connus. L’un, le regard vert, cruel et malin, envoie un sourire narquois couvert d’une barbe mal rasée au lecteur tandis que son voisin, lui, transpire d’une condescendance Barrelienne même sur un simple bout de papier.

Tahar Tahgel a tué Pride.

Avec amertume, je prends le morceau de journal et le déplie, un air renfrogné sur le visage. Pour que Jeska suive aussi, je lis à voix haute la une. C’est en voyant ce genre d’annonce, que parfois, on réalise qu’on aimerait être à plusieurs endroits au même moment, que faire poursuivre sa route au Léviathan n’est peut-être pas assez pour faire écraser la piraterie. Si je me battais pour la Justice, j’aurais quitté la Marine depuis longtemps, mais ça ne change rien au fait que savoir que ce genre d’homme fait sa loi sur les mers et qu’on ne peut rien y faire, faute de savoir le retracer, c’est frustrant.

-Pfff… quelle ordure, ce Tahgel… Je peux sérieusement pas comprendre qui aurait pu accepter d’avoir une gosse avec ce monstre…

L'atelier de Lilou n'était pas tout à fait comme Jeska l'avait laissé en partant. Il sentait la peinture et la sciure de bois. Il y avait même une légère fragrance de cire chaude. La géographie de la piece semblait différent aussi. En somme, l'ange se demandait si elle ne s'était pas perdue, si elle se trouvait bien dans l'atelier de la bricoleuse du Léviathan. La voix de la rouquine lui prouve qu'elle est bien au bon endroit. L'aveugle prend une chaise et s'asseoit, un petit peu honteuse à cause de la petite réflexion de la scientifique. Fort heureusement, Oswald fit diversion, une algue judicieusement placée dans ses cheveux permit de détourner l'attention de la jeune femme.

Discrètement, l'ange sortit d'on ne sait où une bouteille de vin blanc de North Blue et un tire-bouchon. Elle ouvrit le flacon et entreprit de servir le cru à ses supérieurs. Le bouquet fleurait bon le pamplemousse, l'acacia et le tilleul. Elle n'avait même pas besoin de renifler les verres pour le sentir. Jeska ne se demandait pas si elle avait le droit. Elle s'était laissée transporter par l'enthousiasme d'avoir une nouvelle famille. Elle avait donc tout naturellement pioché une quille dans les caves du Léviathan. Sans le savoir, elle s'exposait peut être à des remontrances de la part de ses chefs. Mais à ce moment précis, elle s'en fichait. Elle venait de porter le liquide à ses lèvres. Une attaque franche, une bouche parfaitement équilibrée, ronde, et fraîche, des arômes floraux et fruités à la fois puissants et subtils. Pour résumé, un nectar.

Et puis, le vin allait parfaitement avec les langoustes. C'était l'accord idéal. Le vin complétait le plat, et le mets sublimait le cru. Une alchimie rare, mais qui émouvait toujours Jeska aux larmes. Bien entendu, elle avait écouté Double Face lorsqu'il lui lut la une du journal. C'était une très délicate attention qui la touchait beaucoup. Cependant, la nouvelle ne la touchait peu. Un pirate qui en tuait un autre. Ça l'indifférait au plus haut point. Certes il s'agissait du décès d'un shichibukai, c'était un événement majeur. Mais pour l'aveugle, il y avait autant de différences entre les pirates et les corsaires qu'entre les cafards et les blattes. Et s'ils décidaient de s'entre tuer, tant mieux!

Mais Oswald venait de finir sur une remarque plus personnelle, et ce, à la plus grande stupéfaction de Jeska. Une sorte de silence s'installait. L'ange entreprit de le rompre.

Si je puis me permettre, je pense que pour faire un enfant, il faut au moins être amoureuse! Après, j'ai du mal à concevoir qu'on puisse s'en amouracher d'un malfrat, surtout de cette espèce la. Enfin, il doit bien exister des filles de petite vertu, des nanas qui n'ont pas froid aux yeux, ou des folles en quête d'exotisme qui pourraient se laisser tenter par ce genre de mauvais garçons. Si, ça peut vous rassurer, monsieur Oswald, je ne suis pas ce genre de fille.

Elle ponctua cette dernière phrase d'un hochement de tête qui était sensé montrer à quel point elle était déterminée.