L'atelier de Lilou, il est grand aussi.

L'ange venait de poser sa valise dans sa chambre. Il y avait deux lits. Ce qui voulait clairement dire qu'elle aurait une colocataire. Elle opta pour le lit de gauche et commença à investir un des placard en y rangeant ses affaires. Elle remarqua avec un certain plaisir qu'il y avait une salle d'eau privative dans la cabine. L'aveugle entreprit ensuite d'explorer un peu plus en détail la piaule, mais il n'y avait rien à redire. L'endroit était propre et la literie de bonne qualité. L'investigation s'arrêta là. Il était grandement temps d'étendre l'horizon de sa curiosité à tout le navire.

Jeska savait que le Léviathan était grand. Mais l'endroit était tout bonnement immense. Même elle, qui possédait pourtant un bon sens de l'orientation se retrouva plusieurs fois perdue. Obligée de demander son chemin comme un infirme qu'elle était, elle dut aussi ressortir sa canne blanche. Ainsi, tout les soldats qu'elle croisait comprenaient bien qu'elle souffrait de cécité. De toutes façons, les plus anciens guidaient volontiers les nouvelles recrues dans les entrailles du Léviathan. Il faut dire, qu'eux aussi, étaient passés par là. Ces vétérans étaient d'autant plus prévenants avec Jeska du fait de son handicap. Et c'était typiquement le genre de situation que l'ange détestait. Elle prenait leur prévenance pour de la pitié et, de ce fait, déclinait leur offre car elle était bien trop fière pour admettre qu'elle avait besoin d'assistance.

Pourtant, même des bleus en pleine possession de leurs moyens se perdaient facilement dans les méandres du cuirassé. Punie par sa propre outrecuidance, voilà l'ange perdue en train de chercher vainement où elle était. Il faut dire qu'il y a peu elle avait surpris une conversation entre deux matelots qui parlaient de "l'allumé qui s'est baladé à poil", du docteur Wallace et de "l’espèce de bonasse avec des ailes". Elle comprit donc qu'on parlait de l'incident de la veille avec Smile, le médecin de bord et elle. D'après leurs dires, le souriant ami de l'aveugle aurait péri, emporté par les flots. En apprenant cette nouvelle, elle eut l'impression que son cœur venait de manquer un battement, puis un second, puis un troisième... C'était comme si on lui avait enlevé une part d'elle même. Ce chagrin, dont elle n'arrivait pas à deviner la nature lui embruma l'esprit et la fit errer telle une âme en peine dans les coursives.

C'est ainsi qu'elle se trouva, sans vraiment s'en rendre compte, devant une porte. Lorsqu'elle toqua dessus, le son produit lui fit réaliser qu'elle était plus épaisse et plus grande que la normale. Et aussi qu'on avait du la claquer souvent, les charnières grinçaient et ne semblaient tenir que par un obscur miracle. Pourquoi l'aveugle avait elle ouvert la porte, et pourquoi avait elle pénétré dans l'antre de la bêteLilou. La curiosité vous pousse à faire des actions bien étranges des fois. Mais pas seulement, de cette pièce, il en provenait un son régulier, comme si une personne tapait au marteau sur quelque chose de métallique, qui laisser envisager à l'ange qu'au moins une personne était de l'autre coté.

Elle entra. L'endroit sentait l'huile de moteur, le brûlis et la limaille. La même odeur que cette sacrée nana qui avait envoyé valdinguer le minot pervers. L'ange avança lentement et silencieusement. Oui, Jeska savait être très discrète. Afin de ne pas polluer son ouïe avec les son de ses propres pas, la jeune femme se déplaçait toujours sans émettre le moindre son. Utilisant le martellement qu'elle entendait comme une balise, elle se dirigea dans le bric à brac qui servait de laboratoire à la plus volcanique des rouquines. Elle était près à présent. Vu comment, elle avait dégagé le Plud, l'aveugle se dit qu'il serait de bon ton de signaler sa présence avant que Lilou ne s'en aperçoive et prenne peur. Elle toqua sur une sorte de table. Le martellement avait cessé, elle avait toute l'attention de la personne qui se trouvait là. L'appréhension étreignit l'âme de la Lieutenant, elle déglutit difficilement avant de dire.

B... bonjour. Je suis la Lieutenant Jeska Kamahlsson. Et... heu... navrée de vous déranger... mais... j... je suis nouvelle ici et je me suis perdue. Et... et... ne me tapez pas comme le garçon d'hier s'il vous plaît!

-Euuuuuh…

Je dis ça la bouche pleine, le regard rivé sur une Lilou inquisitrice. Je reste figé, sans rien trouvé à dire, acculé au pied d’un mur que j’ai moi-même bâtit. Si bien qu’un morceau de langouste que j’ai déjà à moitié mâché me tombe de la bouche et s’écrase dans mon assiette. Mais pourquoi elle vend la mèche aussi facilement, cette folle de Jeska?! Elle veut que j’me fasse radier de la profession?! Ou pire! Que mes chances avec Lilou soient réduites à zéro?! Et qu’elle me déteste, en plus? D’un coup, la pression m’étouffe et je baisse la tête pour fixer résolument la boulette prémâchée que j’ai recrachée.  

-C’est-à-dire que…. Euh…

Mentir. Oui! Voilà! Je dois mentir! Inventer quelque chose d’assez plausible pour remettre que sa question soit tout à fait illégitime!

« J’suis certain que j’suis une brute pour mentir! »
-Ah ouais? T’as une idée?
« …Non… Mais ça doit pas être sorcier que d’trouver un truc à dire… »
-On a… on a qu’à dire que… que… que c’est la faute d’un langouste!
« …C’est pas un mensonge ça, idiot. C’est juste rediriger la faute sur quelqu’un d’autre… »
-Oswald?
-Euh… euh… Non.
-Non quoi?
-Ben… euh… Non… non… Nonj’aipasbesoind’êtrerassuréparlesrelationsamoureusesdeJeska…

Je n’ai toujours pas relevé les yeux, gêné au possible. Pour être certain d’esquiver une quelconque question, je me remet à avaler frénétiquement tout ce qui tombe sous les piquants de ma fourchette, m’assurant d’avoir constamment la bouche pleine. Le côté gauche de mon visage, lui, se met à rougir comme une pivoine…

Qu’est-ce que j’échangerais ma place, là, maintenant.

« Moi je suis partant, si tu veux. »
- Bel essai…
« Merde… »

Jeska faillit s'étouffer à son tour lorsque le sujet de ses propres relations amoureuses arriva sur le tapis. Comment? Pourquoi? Elle n'avait rien demandé! Et puis, c'était privé d'abord! Voilà donc la soldate telle Pandore devant la boite à se demander si tous les maux de l'humanité allaient se répandre sur le monde. Elle regrettait à présent d'avoir voulu rassurer Lilou et Oswald là dessus.

Fort heureusement, elle n'était pas la seule à être mal à l'aise autour de la table. Mais, pour l'ange, la chose avait un peu de bon, personne ne lui avait rien dit pour le vin qu'elle avait piqué à la cave. Soit parce que personne en s'en souciait, soit parce que le sujet de la discussion avait habilement fait diversion. Et maintenant, le temps était venu de conclure cette parenthèse.

De toutes façons, j'ai autant de secrets que de relations amoureuses au compteur. Autrement dit... zéro.

C'était un mensonge. Elle avait bien flirté avec Smile il y a peu, mais comme elle croyait le souriant décédé, ça ne comptait plus vraiment à ses yeux.

Et maintenant, il fallait trouver un nouveau sujet. Quelque chose qui soit à la fois actuel et pertinent. Pas facile, l'ange s'emmêla donc joyeusement les pinceaux.

Merci Mademoiselle Lilou, je n'avais jamais dégusté de langoustes auparavant, c'est succulent. La chair est fine et riche en goût, ... et en plus comme le vin s'accorde parfaitement, on en atteint presque l'orgasme culinaire.

L'ange s'arrête. Elle est toute rouge, elle vient bien de dire ce qu'elle vient de dire face à ces personnes? Jeska en était mortifiée. Elle s'était laissée aller à un peu trop de familiarité avec ses supérieurs. Un peu trop vite pour ne pas réussir à dissimuler sa gène, elle embraya.

Monsieur Oswald, quelle est notre prochaine mission?

Tout ce que j'ai dans la bouche s'engouffre soudainement dans ma trachée sous l'effet de la surprise. Une boulette visqueuse et compacte de chair de langouste se bloque dans le canal devant supposément me faire respirer. L'air me manque, je m'étrangle, j'étouffe, puis je tombe au sol en recrachant tant bien que mal tout le contenu de ma cavité buccale. Haletant, je me relève à genoux et me pend à la table en hurlant à plein poumons:

-C'EST PAS C'QUE TU CROIS LILOU! J'AI PAS FAIS EXPRÈS!

Rouge jusqu'aux oreilles, je me relève tant bien que mal et saisi Jeska par les épaules, bouleversé. Lilou ne doit pas croire ça de moi! Je ne suis pas un pervers! Je n'ai aucune chance avec elle si elle me voit comme ça!

-DIS LUI TOI, JESKA! DIS LUI QUE J'AI PAS FAIS EXPRÈS! ALLEEEEZ!

Je la secoue presque, terrifié à l'idée de perdre tous mes progrès.

-C'est juste que… que…. elle avait perdu son maillot de bain! Et puis, et puis, et puis…. J… Je devais pas regarder… alors, alors, alors, j'ai… j'ai… j'ai…. ALLEZ EXPLIQUE-LUI QUOI!!!

Et voilà que Jeska et les Rhinos Storms partaient pour Jaya. Ainsi, les Marine se décidait enfin à tourner son regard vers un bastion de la piraterie, et par la même occasion, vers empereur des mers. Les choses bougeaient drôlement vite. Et ce n'était pas pour déplaire à une ange avide de faire ses preuves sur Grand Line. La perspective de devoir aussi vite se mesurer à de gros poissons faisait déjà bouillir le sang de l'aveugle dans ses veines. Et pourtant, elle n'avait pas le pouvoir de Serena. Finalement, l'équipage qu'elle avait intégré n'avait pas peur d'aller au charbon pour porter haut les valeurs de la Justice. C'était une excellente chose. Car ça signifiait que la Lieutenant était sur la même longueur d'onde que ses supérieurs.

Effectivement, comme le conseillait Lilou, des séances d'entrainement ne seraient pas superflues. Mais pour Jeska, le simple fait qu'ils se rendent là-bas était déjà une victoire. Morale, dans un premier temps. Car le Gouvernement Mondial montrait qu'il ne laisserait plus la piraterie faire comme bon lui semble par delà les mers. Mais aussi militaire. L'ange n'envisageait pas la défaite. Et pas parce que ses supérieurs avaient le double de Dorikis qu'elle. Non. Elle refusait l'idée même que la Marine, instrument de la Justice Divine, puisse faillir. Parce que, dans le cas contraire, ça remettrait en cause tout ce en quoi elle croyait.

Elle se voyait déjà en train de trôner sur une montagne de corps de pirates vaincus parmi les décombres d'une Jaya en ruine. Enfin elle était aveugle, donc elle ne se "voyait" pas vraiment, mais l'idée était là. Sans vendre la peau de l'ours avant de l'avoir tué, Jeska imaginait déjà le triomphe qu'on lui ferait pour sa grande contribution à cette entreprise d'envergure. Oui, ce serait bien. Un sourire rêveur commençait à se dessiner entre ses joues...

Puis soudain à lui criait dessus. Son rêve éveillé venait d'exploser comme une bulle de savon. Et l'ange se retrouvait un peu hébétée, ne sachant plus trop si elle était encre dans son imaginaire ou bien dans le monde réel. Tout ce qu'elle savait c'est qu'on la secouait un peu trop vivement. Fort heureusement, elle comprit ce qu'il se passait avant d'en devenir malade. Délicatement, elle posa la main droite sur le torse de son chef. Elle prit un peu de temps pour se recaler sur les évènements du présent.

L'ange n'était pas très douée pour tisser des liens, mais, ça ne signifiait pas pour autant qu'elle n'était pas fine psychologue. Elle comprit vite qu'Oswald en pinçait pour Lilou. Il lui avait suffisamment laissé d'indices pour ça. Maintenant, il fallait désamorcer une situation délicate. Elle sentait double-face en stress. Il devait redouter que Lilou apprenne ce qu'il s'était passé sur la barque. Seulement, pour Jeska, il n'y avait pas de quoi fouetter un chat. Elle décida alors que la vérité dissiperait tous les malentendus. Quitte à devoir l'enjoliver un brin afin de mettre son supérieur en valeur.

Mademoiselle Lilou, Monsieur Oswald a été très brave. En effet, pendant que je cherchais les langoustes, j'ai été attaquée par une bestiole géante que j'ai du affronter sous l'eau. Malheureusement pour moi, durant la bataille, j'ai perdu mon maillot de bain. N'ayant pas d'autre choix que de lui imposer l'horreur de voir la nudité de mon être, il m'a courageusement couverte afin que les hommes du Léviathan ne me voient pas dans mon plus simple appareil. Mais ce n'est pas tout! Il m'a galamment proposé de m'offrir plusieurs nouvelles tenues de bain. Et comme Monsieur Oswald est un vrai gentleman, il a compris que j'aurais besoin d'aide pour les choisir. Alors il a même fait don de sa personne afin de m'assister pour les essayages. D'ailleurs, à ce propos, vous ne voudriez pas venir avec nous Mademoiselle Lilou?

Et voilà une Jeska pas peu fière d'avoir, selon elle, arrangé le coup.

Ne bougez pas, Oswald.
-Brlbrlb…
Tout ira bien je vous assure, vous serez en parfaite condition dans quelques jours considérant votre caractère plutôt résistant.
-Wallace…
Ne parlez pas trop Oswald, ça pourrait vous faire mal à la mâchoire. Je suis impressionné, j’avais cru que vous étiez bien un des seuls à avoir compris qu’on ne doit jamais chercher d’ennuies à Mademoiselle Lilou.
-M….m…mais…
Tut tut tut! Pas de ça entre nous! Prenez vos pilules, d’ailleurs.
….
Allez, on fait « aaaaah ». Parfait! J’ai diagnostiqué plusieurs blessures plus ou moins bénignes ainsi que des dizaines, voire des trentaines d’hématomes partout sur votre corps. Il y en a un très gros notamment au niveau de vos… euhm…
Wallace pivote son immense silhouette vers la petite Jeska, qui tend l’oreille en silence, à mon chevet.
Au niveau d’un endroit qu’il n’est pas bon de spécifier en la présence d’une demoiselle. Maintenant, à vous Karl.

J’arrive à tourner mollement la tête, mon corps en entier me faisant horriblement souffrir à chaque mouvement.

Le pauvre Karl est complètement enrubanné dans des bandages et des plâtres en tout genre. On ne voit à peine que ses yeux qui, hagards, suivent la démarche pesante de Wallace avec une appréhension mal gardée.

Le pauvre s’est trouvé malheureusement sur ma trajectoire lorsque j’ai été éjecté de l’établit de Lilou. Je marmonne une excuse à son intention, incapable de parler sans souffrir cruellement.

-Ça va Capitaine, c’est que la troisième fois…
Ah euhm… Oswald… on a plusieurs bris à signaler, notamment la destruction de quatre murs et de trois planchers.

Rien que ça… Décidément, c’est ma journée…

L'ange ne saisit les sarcasmes de Lilou que lorsque ce fut trop tard. Jeska tenta bien d'arrêter la rouquine très remontée. Mais c'était aussi vain que de vouloir arrêter un torrent avec ses seules mains. pourtant, elle essayait d'argumenter, de la dissuader, de lui parler, mais rien n'y faisait. Elle s'accrocha même à sa taille, dans l'espoir délicieusement saugrenu de l'arrêter par la force. L'aveugle finit trainée sur quelques mètres avant de comprendre que c'était bien au dessus de ses forces.

Puis les coups. Souvent, on croit que la violence n'est que visuelle. Mais Jeska n'avait pas besoin de voir pour savoir que le brave Oswald prenait une dérouillée. Le bruit des impacts, le son des os qui craquent, autant de révélateurs pour la jeune Lieutenant. Puis l'odeur du sang et le vacarme assourdissant des planches pulvérisées sous le passage du haut gradé. Elle en avait mal pour lui. A chaque coup, elle rentrait sa tête dans ses épaules en grimaçant. Ce ne fut que lorsque la correction prit fin qu'elle osa se rapprocher de Lilou.

Mais pas le temps d'en caser une. la mécano se félicitait d'avoir aidé Jeska. L'ange, quant à elle ne pensait pas avoir tant que ça besoin d'aide, surtout contre le pauvre Oswald. Qui n'avait rien fait de mal selon son opinion qui plus est. Bref, la Lieutenant se contenta de remercier Lilou et d'aller amener le blessé à l'infirmerie.

Une fois là, elle veilla sur son malheureux capitaine. Elle se doutait qu'il se sentirait malheureux s'il se réveillait seul dans le dispensaire de Wallace. Elle voulait aussi égoïstement se rassurer sur son état. Et lui présenter des excuses. Seulement, une fois que le docteur eut fait état des très très nombreuses blessures du capichef, l'ange ne put rester de marbre. Et, "pour se faire pardonner", elle s'occupa de son supérieur durant toute sa convalescence.