J'avais été convoquée dans la salle de réunion, et je me doutais que j'allais être affectée à une nouvelle équipe, pour une nouvelle mission. Il y a moins de trois mois, cette nouvelle m'aurait réjouie. Je voyais alors dans toute responsabilité qu'on me déléguait la preuve de ma capacité à être quelqu'un en qui on avait confiance. Quelqu'un pour lequel on avait des attentes et pas simplement celle d'être jolie – chose pour laquelle je n'y étais pour rien – et bien apprêtée. Toute ma carrière était bâtie sur mes efforts, et non la réputation de ma famille qui agissait en « piston », déclenchait une sorte de « paiement en retour d'une ancienne faveur » ou pire encore débouchait sur l'espérance qu'aider mon dossier allait provoquer chez mon père une envie soudaine et irrépressible d'être en dette envers autrui.
Non, c'était moi et à moi seule que je devais mon poste d'agent au Cinquième Bureau. J'avais appris les manuels et plus ou moins maîtrisé les techniques martiales. J'avais suivi comme tous les autres l'entraînement technique et avait démontré une certaine intelligence lors des cours de stratégie et de management de l'information.
Avant j'avais été désireuse de faire mes preuves, et j'avais été une très bonne élève, assidue dans les travaux de préparation et efficace sur le terrain. Avant, l'idée d'une nouvelle mission m'aurait enthousiasmée et j'aurais déjà fouiné ici et là pour en découvrir le maximum, pour pouvoir potentiellement avoir une bonne idée ou connaître le détail crucial lors des briefings. J'aurais aussi comparé mes statistiques avec mes « collègues » de grade, pour savoir si j'étais plus ou moins demandée dans les équipes. Oui, c'était un esprit de compétition peu valorisant, mais c'était tout ce que nous avions. Et aussi petit que cela pût être, être choisie parmi un pôle de quatre-cinq bleus, que ce fut par sélection précise ou par pis-aller, c'était en soit très satisfaisant.
Désormais, ce genre d'annonce me donnait envie de vomir, alors qu'une pierre aussi lourde qu'un menhir tombait dans mes entrailles. Savoir que je n'étais pas mieux qu'un pion, manipulée sans considération, à peine reconnue comme personne consciente avait fait éclater tout le bonheur que me procurait cette vision dans mon miroir, celle d'une Shaïness en uniforme, tirée aux quatre épingles, rutilante dans son tailleur impeccable. Non, qu'importe notre humanité, nous n'étions que des machines, envoyées pour réaliser tel ou tel objectif, écouter, voir, voler et parfois tuer. Souvent tuer. Qu'importe qu'au milieu de tout ça et des impératifs du métier, de la loi de la nécessité de tous, que notre honneur, notre âme soient réduits à l'état de pulpe. Et si nous échouions ? Et si nous ne devions pas être à la hauteur du sacrifice ? Serions-nous laissés pour compte ? Mis à mort par nos collègues plus doués, plus zèles, moins embarrassés par ces questions de moralité ?
Oui, j'aurais pu fuir. Abandonner. Rentrer dans la demeure familiale où m'attendait un destin bien éloigné de ces considérations philosophiques de culpabilité, d'obéissance et devoir. Un monde féerique où tout le monde est bien habillé et beaucoup moins poli. Un monde où je ne serais qu'une coque vide, mais libre de penser...
Quoi que... Père est certes loin des hautes strates de l'amirauté, mais il a été en charge de la communication du QG de West Blue pendant des années. Il a beaucoup de défauts, mais idiot ne fait pas partie de la liste. Il doit donc savoir avec lucidité les exactions que le Gouvernement commet au nom de la Justice, des déséquilibres inhumains (ou in-homme-poissonniens) de la société. Sans parler des problèmes écologiques et économiques.
Il était complice bien plus que victime ! Et je n'arrivais pas à comprendre comment mon père, cet homme que j'avais toujours admiré, avait pu vivre autant de temps sans se révolter, sans taper du poing et manifester sa désapprobation. Comment avait-il pu boire du vin tiré à la sueur et au sang d'esclaves ? Se complaire dans une sorte de manoir accolé à un terrain de plus d'un hectare, alors que tant n'ont même pas de quoi se vêtir convenablement, dépouillés ou déportés pour plaire à un tout petit nombre ?
Lorsque je me présentais au meeting, prenant ma place à l'arrière, comme la bonne petite junior que j'étais, j'étais à bout de nerfs. Je savais bien que je voulais pas l'exprimer de façon délibérée qu'aujourd'hui marquait le début de ma rébellion : je ne ferai plus de gestes qui pourrait me plonger plus encore dans le rôle du coupable tortionnaire. Qu'importe les menaces de renvois ou de court martiale. J'avais juré de défendre le Gouvernement... et c'était exactement ce que j'allais faire, dus-je le défendre contre lui-même.
Non, c'était moi et à moi seule que je devais mon poste d'agent au Cinquième Bureau. J'avais appris les manuels et plus ou moins maîtrisé les techniques martiales. J'avais suivi comme tous les autres l'entraînement technique et avait démontré une certaine intelligence lors des cours de stratégie et de management de l'information.
Avant j'avais été désireuse de faire mes preuves, et j'avais été une très bonne élève, assidue dans les travaux de préparation et efficace sur le terrain. Avant, l'idée d'une nouvelle mission m'aurait enthousiasmée et j'aurais déjà fouiné ici et là pour en découvrir le maximum, pour pouvoir potentiellement avoir une bonne idée ou connaître le détail crucial lors des briefings. J'aurais aussi comparé mes statistiques avec mes « collègues » de grade, pour savoir si j'étais plus ou moins demandée dans les équipes. Oui, c'était un esprit de compétition peu valorisant, mais c'était tout ce que nous avions. Et aussi petit que cela pût être, être choisie parmi un pôle de quatre-cinq bleus, que ce fut par sélection précise ou par pis-aller, c'était en soit très satisfaisant.
Désormais, ce genre d'annonce me donnait envie de vomir, alors qu'une pierre aussi lourde qu'un menhir tombait dans mes entrailles. Savoir que je n'étais pas mieux qu'un pion, manipulée sans considération, à peine reconnue comme personne consciente avait fait éclater tout le bonheur que me procurait cette vision dans mon miroir, celle d'une Shaïness en uniforme, tirée aux quatre épingles, rutilante dans son tailleur impeccable. Non, qu'importe notre humanité, nous n'étions que des machines, envoyées pour réaliser tel ou tel objectif, écouter, voir, voler et parfois tuer. Souvent tuer. Qu'importe qu'au milieu de tout ça et des impératifs du métier, de la loi de la nécessité de tous, que notre honneur, notre âme soient réduits à l'état de pulpe. Et si nous échouions ? Et si nous ne devions pas être à la hauteur du sacrifice ? Serions-nous laissés pour compte ? Mis à mort par nos collègues plus doués, plus zèles, moins embarrassés par ces questions de moralité ?
Oui, j'aurais pu fuir. Abandonner. Rentrer dans la demeure familiale où m'attendait un destin bien éloigné de ces considérations philosophiques de culpabilité, d'obéissance et devoir. Un monde féerique où tout le monde est bien habillé et beaucoup moins poli. Un monde où je ne serais qu'une coque vide, mais libre de penser...
Quoi que... Père est certes loin des hautes strates de l'amirauté, mais il a été en charge de la communication du QG de West Blue pendant des années. Il a beaucoup de défauts, mais idiot ne fait pas partie de la liste. Il doit donc savoir avec lucidité les exactions que le Gouvernement commet au nom de la Justice, des déséquilibres inhumains (ou in-homme-poissonniens) de la société. Sans parler des problèmes écologiques et économiques.
Il était complice bien plus que victime ! Et je n'arrivais pas à comprendre comment mon père, cet homme que j'avais toujours admiré, avait pu vivre autant de temps sans se révolter, sans taper du poing et manifester sa désapprobation. Comment avait-il pu boire du vin tiré à la sueur et au sang d'esclaves ? Se complaire dans une sorte de manoir accolé à un terrain de plus d'un hectare, alors que tant n'ont même pas de quoi se vêtir convenablement, dépouillés ou déportés pour plaire à un tout petit nombre ?
Lorsque je me présentais au meeting, prenant ma place à l'arrière, comme la bonne petite junior que j'étais, j'étais à bout de nerfs. Je savais bien que je voulais pas l'exprimer de façon délibérée qu'aujourd'hui marquait le début de ma rébellion : je ne ferai plus de gestes qui pourrait me plonger plus encore dans le rôle du coupable tortionnaire. Qu'importe les menaces de renvois ou de court martiale. J'avais juré de défendre le Gouvernement... et c'était exactement ce que j'allais faire, dus-je le défendre contre lui-même.
Dernière édition par Shaïness Raven-Cooper le Jeu 15 Mai 2014 - 19:39, édité 1 fois