C'était quelque chose que je ne m'expliquais pas. Comment les hommes savaient-ils frapper les femmes de cette façon aussi désinvolte, à tel point que l'humiliation d'avoir été assommée n'était rien à côté de celle d'avoir été assommée de cette manière ? Comme si nous n'étions rien, comme si nous pouvions être effacées de la surface du monde d'un revers de la main. Je veux dire... était-ce un savoir ancestral qui émergeait du fin fond de l'inconscience masculine quand un garçon atteignait l'âge de la puberté ? Ou était-ce un rite initiatique auquel tous les pères soumettaient leurs fils, les forçant à apprendre le geste, utilisant les servantes ou autres pauvres filles comme mannequins d'entraînement vivants ? Quoi qu'il en fut, c'était injuste. Et douloureux.
Je m'éveillai avec difficulté. Ma joue me lançait horriblement et je dus mettre bien une minute à réaliser que si je voyais si mal, ce n'était ni un bandeau sur les yeux, ni un manque d'éclairage, mais bien le fait que ma pommette était enflée au point de me fermer l’œil gauche.
- « Aîîîîîeuuuuu... » gémis-je, avant de me rappeler mes cours. J'aurais dû me taire, singer l'inconscience pour espionner la pièce, les opposants, les sorties... bref, les options à ma disposition. Mais à ce moment, je n'étais pas un agent du gouvernement. J'étais une faible femme qui avait mal. Et cette idée seule suffit à me faire ravaler les chapelets de plaintes qui se pressaient à mes lèvres. Je ne savais pas vraiment ce que j'étais – sûrement défigurée à vie !!! - mais je n'étais pas une faible femme. Mal j'avais, certes, et donc mal ils allaient avoir. Na !
Interjection qui n'aida pas à construire mon cas de femme non faible, mais bon.
Ma lamentation provoqua du bruit à ma droite, des déplacements... une, deux, peut-être trois personnes. Cette fois, je fus prudente et ne bougeai pas, bien que ce n'était pas l'envie qui me manquait. Au contraire, je baissais la tête en m'avachissant sur la chaise, vision de la défaite prostrée sur son échec. En fait, je testais les liens tout en profitant du rideau crée par mes cheveux pour voir en douce. Et là, je réalisai que mon chignon était défait, que j'avais perdu la barrette fournie par les magasins de la Marine et que vraiment, mes chaussures n'allaient pas avec le reste de ma tenue. Je suppose que j'aurais dû me sentir satisfaite du fait que le Gouvernement possédait une paire d'infâmes godilles à ma taille, mais non. Juste non.
Avec grande difficulté, je m'arrachais à la contemplation de mes pieds. Les liens ne semblaient pas vouloir céder, les nœuds ayant été bien faits. J'en étais réduite à devoir me débrouiller toute seule. Alors.... Que dire... que faire ?
Puisque je n'étais ni bâillonnée, ni aveuglée, autant partir du postulat que je n'avais pas été démasquée. Ce n'était pas en qualité de Shaïness-la-CP que j'étais là, mais bien en tant que Stella-la-marieuse. Pourquoi Adrian avait-il choisi de s'encombrer d'une civile ? Bon, il aurait fallu que je susse, encore une fois, que le coup de den-den précédent mon agression était un appel désespéré d'un subalterne qui venait d'apprendre par contact infiltré le coup de filet imminent, d'où son arrivée précipitée dans le salon pour me foutre à la porte. Mais aurais-je compris le pourquoi de ma présence ici, que cela n'aurait pas changé grand chose à ma situation.
Qui était, de mon point de vue, assez désespérée. Je geignis encore une fois. C'était, il fallait l'avouer, là la somme de mes capacités. Je pouvais me défaire de mes liens avec un peu de temps mais peu de discrétion, mais ne sachant pas ce qu'il m'attendait après, mais me doutant que ce n'était pas une bande de gamins en sortie scolaire, autant rester le cul sur ma chaise.
- « Silence ! »
- « AHHH !!! » Je n'avais même pas senti qu'il y avait quelqu'un si près de moi. L'homme – car sa voix ne trompait pas – m'empoigna les cheveux pour me tirer la tête en arrière – aïeeeeu – et mon œil, le seul qui voyait encore, fut ébloui par la lumière de lampes éclairant ce que j'eus à peine le temps d'identifier comme une sorte d’entrepôt.
- « J'ai dit « SILENCE », la fille ! » répéta-t-il en me tirant encore plus fort sur les cheveux. Encore un peu, et il me détachait la tête des épaules. La nuque cassée en deux, j'étais à sa merci et il en profita pour agripper ma mâchoire d'une main de fer, enfonçant ses doigts dans la peau délicate de mes joues. En somme, il me faisait faire une bouche de poisson, mais ce n'était pas pour son amusement. Du tout. En tous les cas, pas le mien, car la pression sur ma pommette gonflée était insupportable. « Tu vas la fermer ou je te donne une bonne raison de pleurer ! » Et parce qu'il le pouvait, il m'envoya un de ces fameux jetés de claque, paff, comme ça. Et il visa bien entendu le côté gauche. On pourrait croire qu'il était insensible, maintenant. Que dalle. Je morflais encore une fois.
- « Cela suffit, Antiago. »
- « Chef !... j'ai pas confiance... »
- « Et que veux-tu qu'elle fasse ? Et si tu l'abîmes trop, elle n'aura plus aucune valeur en tant qu'otage. »
- « A-adrian ? » Ma voix était une chuchotis larmoyant. D'un côté, je me disais « chouette, fais-leur pitié ! » de l'autre, je me maudissais d'être déjà en train de pleurer. Mais ça faisait mal !
- « Stella. Je vais te demander de rester silencieuse. »
- « M-m-mais... où je suis ? Qu'est-ce---- » Le claquement de langue excédé de l'Autre coupa court à mes questions.
- « Tu es mon otage. Donc si tu fais ce qu'on te dit, tu sortiras d'ici en vie. »
- « Moi, un otage ? » répétai-je, incrédule.
- « Tu l'as dit toi-même, fille, sœur, petite-fille et cousine de Marines. Si jamais on devait apprendre dans ton petit cercle de bourgeois bedonnants, que le Gouvernement n'a pas tout tenté avant de donner l'assaut, pour te récupérer vivante... oui, si ça devait s'apprendre, il y aurait du remous dans les forces de notre chère Marine. »
- « Et alors ? Si je suis morte, toi aussi, non ? »
- « Oui, mais ils ne l'emporteront pas au paradis. »
- « Mais... pourquoi aurais-tu besoin d'un otage, déjà ? » A la dernière seconde, je récupérai une question bien plus cpesque naissante pour lui substituer cette formulation bien plus classique de la part d'un otage en perdition. Enfin, j'espérais. Je n'avais jamais été otage en perdition. Et l'EGLISE et le BUCHER ne vous préparaient pas à ça. Pff, j'allais leur écrire un de ces courriers, à ces ronds-de-cuirs du centre de formation.
- « Parce que je ne suis pas quelqu'un de bien, comme tu aurais dû t'en douter. » Avec le départ de l'Autre, j'avais pu redresser ma tête et désormais que je ne souffrais plus d'autres coups, j'avais pu arrêter de pleurer. Petit à petit, mes yeux s'habituaient aux jeux d'ombres et de pénombres de la pièce, distinguant la silhouette d'Adrian, à quelques pas de moi.
- « Je sais parfaitement que tu n'es pas un ange, mais j'ai du mal à concevoir que tu sois un criminel recherché par la Marine. » fis-je d'un souffle. Mon cerveau travaillait à plein régime, essayant de trouver le meilleur moyen de négocier ce passage.
Avec un rire digne d'un caquètement de sorcière, il s'approcha de moi, au point d'entrer dans le cercle de lumière sale projetée par une torche. Son visage, d'habitude beau dans son côté baroudeur, était une grimace d'envie et d'ambition... et de cruauté.
- « Pauvre cruche ! Je suis à la tête d'un réseau de drogue. Et pas n'importe laquelle. Une des plus chères. Une que seuls les gens comme toi peuvent se payer. » Il s'était penché sur moi et examinait mon minois. Ses yeux avides cherchaient à se délecter de l'expression d'horreur et d'incertitude née de ses paroles. Enfin, qui auraient dû naître. Je n'étais pas plus douée pour suivre les ordres que pour improviser dans de telles conditions.
- « Mais... pourquoi ? »
- « Parce que c'est un peu le seul moyen pour un mec comme moi de faire fortune. »
- « Non, je ne te crois pas. Tu n'es pas idiot, tu aurais----. »
- « Si je n'avais pas été Adrian Salvatore, m'aurais-tu seulement regardé ? » me cracha-t-il presque au visage. Tiens, je venais d'apprendre qu'il était né sous une autre identité...
- « J--. » Je n'eus pas le temps de répondre, car à son tour, il agrippait la mâchoire. J'allais être couverte de bleus et contrainte à bouffe des soupes par une paille, si ça continuait !
- « Toi et tes petites manies de poupées, en train de magouiller dans le dos des tes semblables ! Serais-tu bête au point de te mentir ? Pff, ça irait bien avec le reste des défauts de tes dégénérés de semblables ! »
- « Quoi ? Tu veux te venger de la Marine ? Et tu crois que moi, je suis coupable ? »
- « Vous l'êtes tous. Pas un seul qui ne réalise à quel point il vit dans la puanteur et le mensonge. » Si, moi, justement. Mais si je lui avouais là, maintenant, que j'avais été repoussée par cet aspect de ma vie au point d'en devenir CP, il me tuait.
- « Tu me hais donc à ce point ? » murmurai-je, sentant d'autres larmes à mes paupières. Je ne connaissais pas ce type, ce qui avait pu lui arriver pour qu'à ce point, il détestât la Marine – pas étonnant, ceci dit, qu'il eût des photos d'Akbar dans sa mallette – mais je pouvais comprendre. Je n'avais aucun désir de vengeance envers les miens, car je le trouvais plus victime que coupable, mais avec ce que Maya et même Akbar m'avaient dit... comment ne pas être révoltée par la situation ? Des gens qui étaient riches, qui devraient être heureux et agir pour le bien des autres... devenus adeptes des mariages arrangés et des détournements d'yeux. Pour la première fois, je me demandais si mon père connaissait le genre de mission qu'on confiait aux jeunes engagés, celles où on se retrouvait à tuer des gosses de 4 ans au nom du principe de sécurité gouvernementale et d'obéissance absolue ? Alors, oui, j'étais émue, par sa situation, par ma situation, par notre situation. Et parce qu'il me détestait. Je ne savais pas pourquoi, mais ça me blessait ! Personne ne détestait Shaïness Raven-Cooper.
- « Oui. Tu n'es qu'un jouet entre mes mains, et je te méprise au plus haut point ! Toi et ta morale à la noix !»
- « Parce que moi, MOI, j'ai une morale ? »
- « Une morale à vendre. Ça ne t'embête pas de vendre des filles aux plus offrants. Tu aurais ta place dans les marchés aux esclaves, ma belle.» Ah ouais... Vu comme ça... Ceci dit, pas étonnant que la Révolution se fût intéressée à Monsieur Salvatore, ou quelque fût son nom. Il avait du potentiel... Bien guidé, il aurait pu devenir un compagnon d'armes. Mais les regrets ne changent pas le passé...« Tu te dis pure et parangon de vertu... » reprenait-il presque sans respirer. « … tu penses pouvoir juger de la valeur d'une gourdasse comme toi, mais tu couches avec le premier venu. Un homme que tu méprises profondément. »
- « Je---.. »
- « Oui, Stella, tu me méprises. Sinon, pourquoi partir comme une voleuse ? Pourquoi en plus chercher à récupérer cette culotte ? Pourquoi ne pas penser de moi que je puisse être capable de me montrer digne et gentleman ? »
- « … mais parce que Adrian Salvatore est tout sauf ça!!!Ce n'est pas ma faute si tu as construit ce personnage !!! »
- « Et voilà, méprisante petite chose, qui se satisfait du premier regard, sans cherche plus loin... » ricanna-t-il.
- « Oh, tu peux parler !!! » D'un geste de la tête qui manqua de nous faire partager un coup de boule, je me délivrai de sa poigne – aïeuuuu, pour ceux qui n'auraient pas compris. « Regarde-moi, Adrian. 23 ans, et marieuse ! Ça veut dire aucun mariage pour moi-même ! Alors que je suis belle et pas bête !!! Pas de mariage, pas de carrière, pas de futur ! Tu crois que j'aime ce qu'est ma vie ? Tu crois peut-être que je ne rêve pas de m'enfuir, de laisser tout ça derrière moi ? Mais comment voudrais-tu que je le fasse, hein ? Je n'ai pas d'argent, et même si je partais, ma famille me retrouverait !! » lui hurlai-je pour finir.
- « Tu parles!!! si demain, la drogue est légalisée, tu devras m'admirer, moi l'homme qui a un commerce légal florissant... alors qu'hier, tu me méprisais, moi le pirate. »
- « Et qui a dit que je te mépriserais en tant que pirate ? » Et là, il marqua un temps d'arrêt. « Ton commerce florissant, tu dis. Donc, ton réseau fonctionne bien. Il fonctionne bien parce que tu n'as pas été arrêté – jusqu'à maintenant. Donc, tu ne laisses pas derrière toi des cadavres de pauvres crétins qui meurent d'overdose. Non, tu vends aux petits riches, les fils et filles de bourgeois qui veulent se sentir rebelle, sans quitter le confort de leur salon ! » La facilité avec laquelle je crachais mon venin m'aurait surpris, si j'avais encore la tête froide. Mais j'étais désormais enflammée, plongée à corps perdu dans ma bataille. « Le système est corrompu, ce n'est pas une nouvelle digne de la une des journaux. Et toi, tu as su en tirer profiter, t'en jouer... pourquoi te mépriserais-je ? Ne suis-je pas moi-même en train de faire la même chose, de tirer profit du système avec mes magouilles de marieuse ? Si je te méprisais, je devrais ME mépriser, et toi et moi savons parfaitement que justement, je ne me méprise pas. » Parce que sinon, je serais une petite chose sanglotante au sol. Ou complètement débile.
Il était partagé. Le temps des jeux de dupes était passé et ni lui ni moi ne pouvions nous permettre le luxe de nous perdre en circonvolutions. Pourtant, nous doutions ; pas forcément de la même chose, je le concède. Mais au fond, la vérité était que nous étions pas si différents l'un de l'autre. Bien au contraire. Les choses qui nous rapprochaient comptaient bien plus que celles qui nous séparaient.
- « Et bien, c'est dommage. » fit-il par dire. Devant mon air perdu, il rajouta : « De toutes les personnes à prendre comme otage à sacrifier, j'ai choisi l'une des rares qu'il me coûtent de sacrifier. »
- « Ben, ne le fais pas. » lui sortis-je avec un ton bêtement terre à terre.
- « Ah oui ? Et comment ? En me rendant, peut-être ? Ou en te libérant, en espérant que cette... comment ils disent ? Ah oui, « preuve de bonne volonté », ira titiller la clémence du jury ? Sauf que je sais qu'il n'y aura pas de jury pour moi. » conclut-il d'un ton presque désemparé.
J'aurais dû continuer à jouer la civile, celle qui ignorait tout. Mais je ne pouvais plus. Quoi que ce fut qu'il existait entre lui et moi, je ne pouvais plus lui mentir.
- « Ben, enfuis-toi. » lui conseillai-je, toujours dans la lignée de mon pragmatisme du moment. Il hésita. « Hé quoi ? Tu ne vas pas me dire que tu veux rester ici et couler avec le navire, comme un bon commandant ? Franchement, tire-toi. Tu es le chef, et le rôle des subalternes, c'est de crever pour toi. »
- « Et après, tu t'étonnes que l'état d'esprit de la Marine soit critiqué ? »
- « Mon œil. Jalousé, par critiqué. Cet état d'esprit, c'est la loi du plus fort. La Marine est ce qu'elle est parce qu'elle s'est hissée au sommet de la chaîne alimentaire. Personne ne vient lui chercher des noises, elle n'a de compte à rendre à personne. » Bon techniquement, y'a juste un truc que j'omettais. Un minuscule machin. Ben oui, vous savez, le Gouvernement Mondial ? Le conseil des Cinq Etoiles ? Tout ça, tout ça ? « Depuis quand tu fais dans le rond de jambe et le comportement à bon point ? S'ils ne voulaient pas crever, tes copains, ils n'avaient qu'à être plus intelligents. Ou ne pas miser sur toi, ou devenir chef à ta place. Parfois, c'est comme ça, on a ce à quoi on a droit, même si ce n'est pas juste. Fuis, Adrian. » Et le pire ? J'espérai de tout cœur qu'il réussirait. Non pas parce que cela arrangerait de toutes les manières les affaires d'Akbar, mais parce que je savais désormais que j'avais plus d'affection pour ce type que pour Aurora, ou le contre-amiral ou quiconque dans cette foutue mission. Mon rôle, tel que je le concevais au sein des Bureaux, c'était de faire régner les valeurs du Gouvernement : paix et prospérité. Ben voilà, j'apportais la paix et la prospérité à Adrian. Enfin, plutôt la vie sauve, mais on n'allait pas chipoter sur les détails. J'agissais à mon niveau.
- « Et toi ? »
- « Quoi moi ? »
- « Que vas-tu devenir ? »
- « Mais que veux-tu que je devienne, crétin de Saint Uréa ? Je vais rester là, assise sur ma chaise, en attendant que la Marine vienne me délivrer. »
- « Mes hommes te tueront. »
- « ... » Certes. Présenté comme ça... j'appréciais soudain son hésitation. Il aurait pu suivre mon conseil et se faire la belle. Et la laisser ici, la belle. Mais non, il était là, à se tâter. C'était presque mignon. On devait ceci dit avoir l'air spécialement cons, lui et moi, à se regarder comme ça. Puis il y eut un bruit extérieur – enfin je crois, vu que je ne savais pas où j'étais – et Adrian leva la tête, inquiet. J'entendis l'Autre aboyer des ordres dans la distance, puis il fut là :
- « Ils arrivent. On'n sait pas comment ils nous ont trouvé, mais ils sont là. On fait quoi. »
- « On peut les battre ? »
- « J'sais pas. »
- « Alors, qu'est-ce que tu m'emmerdes ? Ramène-toi avec des données concrètes ! Parce que sinon, on peut aussi rester là et commencer une partie de rami, triple buse ! » L' Autre détala, et Adrian resta debout, à bout de souffle après sa rafale. Sa peur se communiqua. Je pris conscience que j'avais de grande chance de crever, si je restais là.
- « Emmène-moi !!! » Ce fut un cri du cœur qui me prit de court. Il se retourna vers moi, comme au ralenti, complètement interloqué. Moi, j'avais la tête vide et le cœur en chamade. J'avais l'impression de rêver ! « Oui ! Emmène-moi ! Partons tous deux !!! On laisse tout ça derrière nous, et on recommence ailleurs. A nous deux, on devrait pouvoir trouver un moyen. Je peux facilement faire pression sur des « amis » pour qu'ils nous viennent en aide. Et toi, tu sais comment y faire, dans ces situations !! ça serait bien, non ? Toi et moi, et on recommence tout !! » Je voudrais pouvoir dire que ce discours m'avait été inspiré par l'idée fulgurante que rester avec lui, c'était encore le tenir à l'oeil et que ça ne ferait que retarder son arrestation. Mais le fait était et restera que j'étais on ne pouvait plus sincère à ce moment.
J'en avais juste ma claque, de toutes ces histoires. Du chantage, des affaires de coucheries, tout ça pour de l'ambition contrariée, mal placée. Des manipulations, des fausses Vérités et des réelles duplicités. C'était ça, ma vie à venir, pour les trente prochaines années ? Souffrir des désidérata en girouette de haut-gradés ne méritant pas forcément leur place, se faire manipuler au nom d'une Justice que je savais, de façon intime, bafouée si ce n'était Injustice ? Puisqu'on m'offrait la chance de recommencer ailleurs, autrement... pourquoi s'en refuser ?
Et c'est là que les choses deviennent terrifiantes. Si les choses s'étaient passées comme ça, si nous avions réussi à nous échapper... Adrian et moi n'aurions pas pour autant connu la paix. Je savais, avec cette certitude née de l'expérience, que si la Marine n'aurait pas pousser plus que ça ses recherches, CP 9 ou pas, Thunder F ou pas – et encore, je ne suis toujours pas sure que le criminel avait le moindre lien avec Salvatore – la révolution, elle, nous aurait traquée. Maintenant qu'elle avait goûté notre sang, elle ne s'arrêterait pas avant de nous avoir recrutés... ou tués... Tout ça, pour finir révolutionnaire. Comme ce que j'avais été. Est-ce donc mon destin, implacable, immuable, que de finir dans les troupes d'Adam ? Dans ma vie, j'ai connu de nombreux moments où j'ai choisi, que j'en eusse eu conscience ou pas. Mais est-ce que inexorablement, tous mes chois m'auraient ramené sur le rivage de la rébellion ?
On ne le saura jamais.
Nous courrions. A en perdre haleine, et pourtant, je ne sentais rien. Le monde s'était réduit à une petite bulle autour de nous, et à cette main qui serrait la mienne, me tirant toujours vers l'avant. Le décor autour de moi passait, sans que je réalisasse quoi que ce fut. A un moment, j'avais dû balancer mes chaussures qui me ralentissaient, parce que maintenant, je contemplais mon pied lacéré par je-ne-savais-quoi, et bien que le sang coulât, je ne sentais rien.
Il me semblait que je retrouvais le temps de mon enfance, où je pouvais courir dans le jardin pendant des heures, tout en riant, sans jamais m'arrêter pour souffler. Oui, les sons qui sifflaient au loin étaient comme les rires des parents qui prenaient le café sur la terrasse, et les éclats de terre autour de nous étaient les pissenlits fanés qui voletaient à foison, au gré du vent. L'horizon était barré d'un océan scintillant. C'était l'été et nous chassions les papillons, à moins que nous ne fûmes des aventuriers sur la pistes d'un trésor antique.
Et comme un vase qui se brise en un tintamarre, mon rêve éveillé se dispersa en mille morceaux. C'était des bruits de bataille que nous fuyions, la Marine étant passé à l'assaut de l’entrepôt où j'avais été menée. Et Adrian et moi tentions désespérément d'atteindre la jetée pour y trouver un petit bateau pour disparaître en mer, à moins qu'il ne voulut se cacher quelque part.
Mais je savais que le CP 9 passerait au peigne fin la zone et qu'il soupçonnerait rapidement notre envolée maritime. Qui sais ? Peut-être déjà plusieurs frégates montaient la garde. Et même sans ça ! Nous étions à Logue Town, et les navires au drapeau à la mouette circulaient en assez grand nombre pour que leur manque de vigilance fût palliée par plusieurs témoignages concordantes.
Et là, je sus. Avec une clairvoyance digne de Cassandre, que c'était peine perdue. Tôt ou tard, et à mon avis, plutôt tôt, nous serions repris. Et je savais ce qu'ils allaient faire à Adrian. Et je n'avais pas envie de le mener à ça. Cela m'était impossible. Tant de souffrance, pour juste... Akbar. Le contre-amiral méritait d'être sauvé, mais pas à ce prix là. Non, je n'étais pas prête à payer de la mort douloureuse, peut-être même sous la torture, de mon compagnon. Le premier qui savait qui j'étais, qui m'avait acceptée pour exactement ça, sans plus. Je voyais déjà la Mort se porter à ses côtés, sourire grimaçant en un funeste présage.
Je n'avais jamais été une combattante. J'avais toujours honni l'usage de la violence et j'avais été très près de me faire renvoyer de l'institut de formation quand je m'entêtai à ne vouloir apprendre que des techniques de défense, refusant avec la dernière énergie de pratiquer l'offense sous quelque forme que ce fut. J'avais déjà tué, mais toujours avec une lame. Toujours des inconnus.
Je trouvai pourtant en moi de quoi abattre Adrian Salvatore à mains nues. Des mains rouges de sang, poisseuses et à peine tremblantes, qui le serraient contre moi alors qu'il agonisait, une expression incrédule sur le visage.
- « Je suis désolée... je ne pouvais pas les laisser... » répétais-je en boucle, tout en nous balançant d'avant d'arrière, des larmes ruisselant sur mes joues. - « Je suis désolée... je ne pouvais pas les laisser... »