Precedently.
Hinu Town. Avec le Craig, on a débarqué y'a deux bonnes semaines. Ma plaie a cicatrisé, j'ai arrêté de boiter. Lui, il a lâché ses béquilles, et il se tape encore de la rééduc' deux fois deux heures par jour. 'Paraît qu'il faut pas déconner avec ça, qu'on peut rester les guibolles raides comme de l'os si c'est pas fait sérieusement. C'est notre dernier jour de perm' commune. J'vais commencer l'entraînement demain, sur place. J'ai vu comment c'était foutu, on finit par envoyer les gens au désert pour voir comment ils gèrent une mission survie. J'suis mauvaise langue, alors j'pense qu'on ferait mieux de faire ça sur mer, mais ça coûterait plus cher en bateaux cassés. De toutes façons, c'est pas l'île aux esclaves. Ici, les gens nous aiment bien, y'a pas de révo', pas de vrais problèmes.
On est peinards. Posés en terrasse. Le temps a pas trop bougé, il fait sec, de plus en plus froid, mais le soleil nous lâche pas. J'ai toujours ma casquette de cheminot arc-en-ciel et mon grand manteau. J'fais dépenaillée, mais j'me sens digne. On est seul en terrasse, la plupart des gens traînent pas trop sur le port. Y'a guère que des dockers, les marchands qui surveillent leur chargement, et deux-trois marginaux qui vivent comme ils peuvent là-dessus. J'commence à connaître des têtes. Ce grand type à lunettes qui traîne sa carcasse de géant à longueur de journée, dans l'ombre, tristement. Avec son drôle d'oiseau qui le suit en se traînant sur les planches des docks. Cette vieille qui vend des roses à la sauvette, en attendant d'avoir le courage d'aller le faire ailleurs, là où y'a plus de monde ; quoique, j'ai cru comprendre que la garnison la connaissait bien, qu'elle avait des amitiés. Je l'ai vue manger à la cantine, une fois. J'avais oublié que ça pouvait se faire, des postes qui soient biens avec la faune locale. Première fois que je vis ça, j'y goûte timidement, sans hâte. J'suis en perm'. J'récupère de ma première opération de vraie tuerie de masse...
-A ta santé, Craig ! Dieu te bénisse, toi et toute ta famille !
Sourire complice. Ça fait deux semaines qu'il l'entend, celle-là. Je l'aime bien, elle vient du cœur, et j'suis sûre de pas trop faire de gaffes avec, tant que je la réserve aux gens que je connais. Manière de checker du bout du verre son frangin qui sert la Mouette de l'autre côté des blues, et qui doit sûrement faire un truc plus important que vider des choppes et se promener au bord de l'eau en jetant des cailloux. Ou peut-être pas. Va savoir. C'est ça, la marine. T'as des temps calmes qui te laissent tout vide, abasourdi, les mains creuses, mais pas grand chose pour les remplir. Sauf l'amitié quand t'as la chance d'en avoir une belle à portée. Autrement, c'est la pleine bourre H-24. Ce qui nous attend dès demain. Surtout pour moi, vu que j'suis remise pour de bon, sans séquelles. Je me serais presque habituée à cette vie de branleur. Pas d'embrouilles, parce que pas de violence à évacuer à la va-vite, avant que tout pète. J'suis restée en bonne compagnie. On est pas toujours super causants, mais c'est pas important.
Tout va bien. Pour un peu, je m'ennuierais. J'ai pas l'habitude de vivre sans résistance, sans que le monde se décide à m'en mettre plein la gueule. J'en suis encore toute étonnée ; mais j'sais que si ça s'éternisait, j'aurais envie de secouer le monde pour qu'il recommence à me provoquer, à semer des embûches sur ma route.
C'est comme ça, j'sais vivre que comme une guerrière. Mais attendant, on est comme deux plantes grimpantes au soleil. On médite, la bière est bonne, la lumière chaude nous tape contre la nuque. Ça a un goût d'absolu.
Y'a une petite voix qui me dit que c'est pas ça, le bonheur. Mais pour le moment, j'décide de pas l'écouter.
On est peinards. Posés en terrasse. Le temps a pas trop bougé, il fait sec, de plus en plus froid, mais le soleil nous lâche pas. J'ai toujours ma casquette de cheminot arc-en-ciel et mon grand manteau. J'fais dépenaillée, mais j'me sens digne. On est seul en terrasse, la plupart des gens traînent pas trop sur le port. Y'a guère que des dockers, les marchands qui surveillent leur chargement, et deux-trois marginaux qui vivent comme ils peuvent là-dessus. J'commence à connaître des têtes. Ce grand type à lunettes qui traîne sa carcasse de géant à longueur de journée, dans l'ombre, tristement. Avec son drôle d'oiseau qui le suit en se traînant sur les planches des docks. Cette vieille qui vend des roses à la sauvette, en attendant d'avoir le courage d'aller le faire ailleurs, là où y'a plus de monde ; quoique, j'ai cru comprendre que la garnison la connaissait bien, qu'elle avait des amitiés. Je l'ai vue manger à la cantine, une fois. J'avais oublié que ça pouvait se faire, des postes qui soient biens avec la faune locale. Première fois que je vis ça, j'y goûte timidement, sans hâte. J'suis en perm'. J'récupère de ma première opération de vraie tuerie de masse...
-A ta santé, Craig ! Dieu te bénisse, toi et toute ta famille !
Sourire complice. Ça fait deux semaines qu'il l'entend, celle-là. Je l'aime bien, elle vient du cœur, et j'suis sûre de pas trop faire de gaffes avec, tant que je la réserve aux gens que je connais. Manière de checker du bout du verre son frangin qui sert la Mouette de l'autre côté des blues, et qui doit sûrement faire un truc plus important que vider des choppes et se promener au bord de l'eau en jetant des cailloux. Ou peut-être pas. Va savoir. C'est ça, la marine. T'as des temps calmes qui te laissent tout vide, abasourdi, les mains creuses, mais pas grand chose pour les remplir. Sauf l'amitié quand t'as la chance d'en avoir une belle à portée. Autrement, c'est la pleine bourre H-24. Ce qui nous attend dès demain. Surtout pour moi, vu que j'suis remise pour de bon, sans séquelles. Je me serais presque habituée à cette vie de branleur. Pas d'embrouilles, parce que pas de violence à évacuer à la va-vite, avant que tout pète. J'suis restée en bonne compagnie. On est pas toujours super causants, mais c'est pas important.
Tout va bien. Pour un peu, je m'ennuierais. J'ai pas l'habitude de vivre sans résistance, sans que le monde se décide à m'en mettre plein la gueule. J'en suis encore toute étonnée ; mais j'sais que si ça s'éternisait, j'aurais envie de secouer le monde pour qu'il recommence à me provoquer, à semer des embûches sur ma route.
C'est comme ça, j'sais vivre que comme une guerrière. Mais attendant, on est comme deux plantes grimpantes au soleil. On médite, la bière est bonne, la lumière chaude nous tape contre la nuque. Ça a un goût d'absolu.
Y'a une petite voix qui me dit que c'est pas ça, le bonheur. Mais pour le moment, j'décide de pas l'écouter.