Le Deal du moment :
Code promo Nike : -25% dès 50€ ...
Voir le deal

Page 2 sur 2 Précédent  1, 2

Retenir le sable

Rappel du premier message :

Precedently.

Hinu Town. Avec le Craig, on a débarqué y'a deux bonnes semaines. Ma plaie a cicatrisé, j'ai arrêté de boiter. Lui, il a lâché ses béquilles, et il se tape encore de la rééduc' deux fois deux heures par jour. 'Paraît qu'il faut pas déconner avec ça, qu'on peut rester les guibolles raides comme de l'os si c'est pas fait sérieusement. C'est notre dernier jour de perm' commune. J'vais commencer l'entraînement demain, sur place. J'ai vu comment c'était foutu, on finit par envoyer les gens au désert pour voir comment ils gèrent une mission survie. J'suis mauvaise langue, alors j'pense qu'on ferait mieux de faire ça sur mer, mais ça coûterait plus cher en bateaux cassés. De toutes façons, c'est pas l'île aux esclaves. Ici, les gens nous aiment bien, y'a pas de révo', pas de vrais problèmes.

On est peinards. Posés en terrasse. Le temps a pas trop bougé, il fait sec, de plus en plus froid, mais le soleil nous lâche pas. J'ai toujours ma casquette de cheminot arc-en-ciel et mon grand manteau. J'fais dépenaillée, mais j'me sens digne. On est seul en terrasse, la plupart des gens traînent pas trop sur le port. Y'a guère que des dockers, les marchands qui surveillent leur chargement, et deux-trois marginaux qui vivent comme ils peuvent là-dessus. J'commence à connaître des têtes. Ce grand type à lunettes qui traîne sa carcasse de géant à longueur de journée, dans l'ombre, tristement. Avec son drôle d'oiseau qui le suit en se traînant sur les planches des docks. Cette vieille qui vend des roses à la sauvette, en attendant d'avoir le courage d'aller le faire ailleurs, là où y'a plus de monde ; quoique, j'ai cru comprendre que la garnison la connaissait bien, qu'elle avait des amitiés. Je l'ai vue manger à la cantine, une fois. J'avais oublié que ça pouvait se faire, des postes qui soient biens avec la faune locale. Première fois que je vis ça, j'y goûte timidement, sans hâte. J'suis en perm'. J'récupère de ma première opération de vraie tuerie de masse...

-A ta santé, Craig ! Dieu te bénisse, toi et toute ta famille !

Sourire complice. Ça fait deux semaines qu'il l'entend, celle-là. Je l'aime bien, elle vient du cœur, et j'suis sûre de pas trop faire de gaffes avec, tant que je la réserve aux gens que je connais. Manière de checker du bout du verre son frangin qui sert la Mouette de l'autre côté des blues, et qui doit sûrement faire un truc plus important que vider des choppes et se promener au bord de l'eau en jetant des cailloux. Ou peut-être pas. Va savoir. C'est ça, la marine. T'as des temps calmes qui te laissent tout vide, abasourdi, les mains creuses, mais pas grand chose pour les remplir. Sauf l'amitié quand t'as la chance d'en avoir une belle à portée. Autrement, c'est la pleine bourre H-24. Ce qui nous attend dès demain. Surtout pour moi, vu que j'suis remise pour de bon, sans séquelles. Je me serais presque habituée à cette vie de branleur. Pas d'embrouilles, parce que pas de violence à évacuer à la va-vite, avant que tout pète. J'suis restée en bonne compagnie. On est pas toujours super causants, mais c'est pas important.

Tout va bien. Pour un peu, je m'ennuierais. J'ai pas l'habitude de vivre sans résistance, sans que le monde se décide à m'en mettre plein la gueule. J'en suis encore toute étonnée ; mais j'sais que si ça s'éternisait, j'aurais envie de secouer le monde pour qu'il recommence à me provoquer, à semer des embûches sur ma route.

C'est comme ça, j'sais vivre que comme une guerrière. Mais attendant, on est comme deux plantes grimpantes au soleil. On médite, la bière est bonne, la lumière chaude nous tape contre la nuque. Ça a un goût d'absolu.

Y'a une petite voix qui me dit que c'est pas ça, le bonheur. Mais pour le moment, j'décide de pas l'écouter.
  • https://www.onepiece-requiem.net/t7448-tout-ce-qui-rampe-recoit-
  • https://www.onepiece-requiem.net/t7342-serena-porteflamme
-Hey, les gars, on a fini. On fait la pause ?
-Quoi ? Faites la entre vous ! On est qu'au début, on pige rien à tout ce merdier par ici !
-Pss. C'est quelle lettre ça déjà ?
-I, comme illettré.
-Oh, ça va une fois, eh !
-Non, mais on va vous aider ! Laissez-nous faire !

Il est grand, teint hâlé, sourire blanc malgré ses dents plantées comme les arbres en bordure du Grey T. Sa casquette lui donne pas l'air con, il porte l'uniforme comme un short et une chemise ouverte. Il a l'air d'un Rik qui serait bosseur, ou d'un faux-branleur. Je dis rien. Mais j'essaye de discerner ses intentions réelles sous ses yeux noirs qui rient plus qu'ils n'ont l'air de voir.

-Quand j'étais marmot, le patriarche m'apprenait à lire avec ces papelards là !

Son groupe se disperse, vient vers chacun des nôtres, nous explique. En deux deux, on sait où poser la signature, que foutre du tampon, quelles cases cocher. Ça devient vite une espèce d'automatisme que les copains arrivent tous à appliquer sans réfléchir. Même les recalés de maternelle y mettent pas mal du leur, en calant le coup de tampon final. Bref. Y'a pas vingt minutes qui passent que, par le miracle chiant du travail à la chaîne, on a tout torché et on est de nouveau calés devant une tasse de bon café préparé par notre sauveur du jour – Sergent Bouyat, d'après que ce serait son prénom. Du coup, ça délie les langues. On rigole, on fait tourner le chocolat de rations et les biscuits, on dit nos noms, on se tape sur les épaules, on étire nos muscles. Y'a des liens qui se créent, peinard. Je repère même deux trois baroudeurs dans le lot, qu'on l'air d'avoir un vécu pas ordinaire. Une allusion très juste à Goa, et j'ai même un élan de sympathie pour un mec du lot.

« A Goa, ceux qu'on appelle les justes sont injustes au fond d'eux-même mais s'efforcent à conserver l'apparence de la justice ; dans le Grey T., comme ils disent, les justes sont justes, mais ont l'air de brigands et de vauriens par mesure de survie. »

J'ai quand même une petite pensée limite coupable pour Craig, qu'est sûrement en train de manger du sable et de boire des reproches pendant qu'on tourne au sucre et au nectar des bureaucrates. J'parle pas beaucoup, moins que les autres en tout cas, mais j'suis pas mise à part. C'est déjà pas mal, et j'goûte une certaine tranquillité de conscience à rester un peu en retrait. Rapport au fait que j'ai pas l'esprit squatté par le désir de plaire, de trouver un jeu de mot marrant à faire ou une réflexion un peu sensée. Je m'en fous, et c'est bien comme ça.

-Hoy, sergents ! Qu'est-ce que vous m'branlez à vider 'el réserves d'al base ? Eh, z'êtes crus au Club South Blue, ou j'me gourre, tas d'zèbres ? Aller, nettoyez moi c'te ouache 'vant qu'me chauffe !

On reste cons. Le type qui vient d'apparaître, c'est la voix de Bermudes, la stature et les poings d'Hercule de Bermudes, la voix de Bermudes... sauf que l'uniforme qu'il porte est rien qu'une grosse, très très grosse tâche de vinasse à moitié déchirée (et pourtant, Dieu sait que je suis pas regardante), qu'il mâche une espèce de chique dégueulasse dont il arrose régulièrement la cour et qui permet même de le suivre à la trace, et que sa gouaille a l'air de sortir d'un caniveau plus que d'un centre de formation pour sous-off'.

-Bah, mes cons, z'êtes sourds et j'vous fait porter pâles, ou vous m'bougez vos gros derches poilus 'vant qu'j'les botte ?
-Mais... vous êtes qui ?
-C'que ça peut t'foutre ? Mire les soutaches, mon pote ! T'as pas à poser d'questions, sinon, c'le peloton !

On plisse tous les yeux pour voir un peu les galons sous la crasse de sa veste. Mais rien à faire. J'suis partagée entre la pensée d'avoir un supérieur devant moi, ou celle d'avoir un charlatan venu pour tester notre perspicacité à l'initiative de Bermudes. Et vu comment on bouge, je devine que le sentiment est largement répandu.

Mais comme ça me gaverait de me cogner des jours d'arrêt pour une connerie pareille et que plus personne ose ouvrir sa gueule, je m'en charge.

-On le voit pas, votre grade. Et tout militaire ne présentant pas des galons visibles devra être considéré comme un civil. C'est dans le code.

J'invente même pas. C'était dans notre formation initiale à tous. On avait un cours qui concernait le respect des supérieurs, des règles et des articles à savoir marteler par cœur et à exécuter plus vite que notre ombre. Celui-là, il a du passer à la trappe chez beaucoup, faute de pratique. Mais pas chez moi, qui kiffe ce genre de détails pas vraiment austères. D'ailleurs, y'en a plusieurs qui s'en souviennent quand je le dis, ça se voit sur leurs yeux. Ils ont l'air de s'être pris comme une poussière de lumière dedans, ça les arrête dans leurs mouvements et en même temps, ils sourient. Les gros branques font saillir leurs muscles, menaçants comme des tigres. Certains ricanent. D'autres restent un poil sceptiques. Moi, j'dis plus rien. J'regarde.

-Donc, on a le droit de lui refaire la tronche ? Un civil a rien à foutre dans un centre de formation !
-On peut au moins le caler dehors. Pas de quoi se prendre le pénal pour un sac à vin qui croit nous faire peur avec une veste d'officier sûrement volée...
-On devrait te mettre aux arrêts, gredin.
-Z'êtes bouchés, 'quoi ? J'suis l'vioque à Bermudes ! Bermudes Père, lui-même ! Maintenant, tas de p'tits couillons, z'allez...
-Sus au civil ! Dépravation sur la voie pas publique et pervertissement de locaux de fonctions !
-C'est trop classe le code en fait. Muahahaha !

Ils sont trois à passer à l'attaque, sans trop réfléchir. J'prends le parti d'en rire pendant que d'autres flippent. Le type est vite défroqué, et traîné sur toute la longueur de la cour.

Mais c'est ce moment précis que choisit Bermudes, le fils, ou en tous les cas celui qu'on connait le mieux, pour revenir.
  • https://www.onepiece-requiem.net/t7448-tout-ce-qui-rampe-recoit-
  • https://www.onepiece-requiem.net/t7342-serena-porteflamme
Traîné par les nerfs et la fierté fustigée par la sévérité du boss, j'en ai été réduit à simuler bêtement d'boîter tout le long du trajet. Faire ma pleureuse et invoquer tout mon pathétisme pour justifier ma débandade, au moins la mienne. Pour émousser la colère et les mots d'Bermudes, pour qu'il mette de l'eau dans son vin. Mauvaise pioche. La coupe était déjà pleine...

Et essayer d'échapper aux regards sulfureux de Terry revenait à tenter d'distancer une bourrasque. L'est encore hargneux. J'ai pas été d'la plus nette des sympathies avec lui. En fait, j'ai été sacrément crade, et stupidement, aussi. Il a la hanche qui part en zig-zag, et là-dedans, les côtes doivent avoir bien dansées elles aussi. A cause du foutu plaquage que j'me suis senti obligé d'lui faire pour qu'il se rende. J'en ai encore l'épaule qui frémit d'culpabilité et qui s'remémore le choc. Mais c'étaient les ordres de Bermudes, de lui infliger c'qu'un vrai marine infligerait à un déserteur. Et vu l'intransigeance damnée du gros, j'crois qu'il s'en tire pas trop mal avec un "simple" plaquage...

Et vos camarades ? Ils vont penser quoi des demi-sels qui s'prélassent au soleil ?

Silence de plomb rythmé par de lourds sermons durant une bonne demi-heure de marche solonnelle à travers l'désert, comme une dernière concession du mauvais oeil qui s'acharne sur moi. Mais qui, malgré tout, m'permet d'laisser macérer en paix mes souvenirs d'belles camaraderie, et leur arôme de franche amitié. C'est tout ce qui m'restera, une fois l'crépuscule abattu sur les mers de sable et ma douce mémoire, et l'museau plongé dans l'oreiller, pilonné, claqué, haï. La routine qui m'sied bien. Pire, qui m'colle à la peau. Né dans l'ombre, marche à l'ombre, fusionné à l'ombre.

Bwaller, franchement, chef, vous êtes pas un peu comme nous au fond ? Comme moi ? Les mater s'tuer à la tâche toute la journée à vous gratter votre bide à bière, là ?

Terry s'joue du commandant autant qu'il le peut en s'infiltrant, en bon serpent, dans la moindre faille du mur verbal qu'le patron cherche à nous faire affronter. Une muraille soigneusement contournée par Terry, qui cherche la petite bête. Mais il parvient qu'à titiller la grosse. Bermudes peste contre sa perfidie. Parfois, j'ai l'impression qu'il m'en oublie. J'me suis fais homme-carpe et j'laisse mes mirettes traîner dans l'sable. J'aurais pas la force d'les lever au ciel, et encore moins d'les entrechoquer à ceux des deux marines furieux. Et dans leur bataille voltigent de temps à autres quelques allusions à mes manières indignes d'un viril sergent, à ma couardise qui profane la marine, à mon hygiène qu'infecte son image ou, classiquement, à ma sale gueule, qu'est quand même trop moche pour être honnête. Mais les balles s'perdent jamais très longtemps, et Terry s'replace très vite au centre de l'attention, glissant sans s'lasser dans l'fond d'la cuvette.

Tente seulement d'cogner dedans et tu verras comment qu'il est dur, ce "bide à bière", avorton !

Pas qu'ça lui déplaît, en fait. Les mots rudes lui gravitent autour puis s'crashent sur lui, et il adore cet étrange magnétisme. Ce p'tit côté maso de l'arrogance qui joue avec le feu et s'y brûle allègrement, putain d'pyromane prétentieux. J'm'en plains pas, moi, lâchement retranché dans mon mutisme et laissant les flammes de l'enfer promis par Bermudes consumer mon cochon d'compagnon.

Le couperet qui s'élève là-bas, on arrive. La base. Plancher sur des excuses. Ou essayer d'assumer ? Ou rester barricadé derrière l'silence et les crocs ? Ça suffira pas à convaincre Serena, ça... Chaque mètre qu'j'avance en direction d'la batisse blanche est un pas d'recul face aux préceptes que l'frangin m'avait proposé d'nous fixer. Les mirettes plein d'étoiles, j'avais constellé la marine de grandes valeurs palpables. Les astres Gloire, Justice et Fougue. Tark a pris assez d'élan pour les atteindre. Moi, j'ai pas l'bras assez long. Et pas la bravoure au bout des doigts pour le prolonger.

Dans un dernier soupir qui s'mêle au souffle sec du désert, Bermudes enfonce la grande porte. Puis se fige, subitement. Son corps s'fait marbre et ses yeux s'creusent. Un vieux type déculotté, traîné dans la cour par les camarades, semant au passage ses fripes déchiquetées et quelques piques du hérisson mort qui lui sert de barbe, fricotant avec le pavé chaud. J'ressens aussitôt une brutale pitié pour lui, du genre celle corrosive qu'attaque la contenance et ronge c'qui reste du coeur de justicier qui s'acharne encore à battre après toutes les épines qu'on lui a enfoncé dans les ventricules.

Pauvre clodo. Hein que j'suis foireux avec ma gueule de lion mais ma personnalité d'gazelle ? J'pourrais faire quelque chose ? Mais j'tiens pas à prendre sa place sur l'bûcher d'la vindicte populaire. J'suis tout flasque et m'contente de rester planté derrière Terry comme une jeune pousse qui s'gaverait d'soleil. Pauvre clodo.

Pap... Colonel Bermudes !

Ma p'tite cervelle réduite en abricot sec par le désert s'envahit d'un nuage de coaltar. J'fais pas le lien de suite, mes neurones mettent bien une vingtaine de secondes à faire passer l'message. L'info s'coince en s'accrochant à mes préjugés... Patron a un papa... Papa aux grosses joues gonflées et rougies par la vinasse, à la peau craquelée, sillonnée par les souvenirs de bastons, aux cheveux réduits en paille fine et cassante par le temps. Papa face contre terre, cerné des collègues alignés et rigidifiés à l'amidon du malaise. Un garde-à-vous improvisé et hypocrite. J'en perçois deux-trois qui répriment leurs rictus. Et Serena dans un coin. Et sa moue un peu falotte habituelle. Qui m'laisse rien entrapercevoir de ce qu'elle pense du quiproquo.

Le papa se relève, il oublie son froc et sa dignité par terre, la caverne lugubre et marécageuse qui lui sert de bouche s'ouvre en grand, écartant les orties mourantes qui lui servent de barbe. Et sa voix tonne sous les vapeurs de vieux pinard.

J't'les r'mettrai tous au pas, moi ! Tu m'refiles ces sales bêtes, Bermudes, j'te les dompte en moins d'temps qu'il en faudra à c'foutu cagnard pour fumer leurs larmes !
Tu...
C'est quoi qu'tu m'ramènes, d'autres feignasses ? J'me casse refaire le plein quelques jours et la base s'tire déjà à vau l'eau ?
T'empestes le vin, papa...
Et j'vais t'dire, ta base, fiston, elle fouette la cosse et l'mutin ! Si t'es pas capable de m'dresser tout ça, fous les dehors, l'désert s'en chargera ! Hic !

Crise de hoquet qu'écrase la crise de nerfs. On sent bien qu'il voudrait continuer à baver et répandre son venin partout, mais ses poumons demandent une trêve. Quelques jurons qui s'glissent entre deux Hics, comme pour maintenir la pression. Moi, nous, on reste figés, planqués quelque part entre la gêne, l'appréhension, et... le fou rire, pour certains...

Hic ! T'as vu ça ? Hic ! BlâmeHic ! Blâmes moi ces clowns Hic ! Hic !
Prenez vos paquetages, c'est randonnée, les troufions !
Et Hic ! Et j'viens !
Et le colonel Bermudes vient...

La journée va être longue et l'soleil commence à peine son vol plané dans le ciel. La journée va s'étaaaaler sur un par-terre de piques chauffés à blanc par l'soleil et rouillés par notre sueur. L'ambiance devient lourde, la tension s'fait palpable et collante, le régiment s'active, et quelques braves s'osent aux messes basses entre initiés. La mienne avec Serena.

...  ma jambe me permet ce genre d'excursion, sergent ?

Tentative d'humour qui colle au fond du pot. Terry, discret, il s'planquait dans mon ombre, foutu serpent, en rajoute une couche.

Boah, flippez pas, j'vous apprendrai à filer en douce !
  • https://www.onepiece-requiem.net/t10413-fiche-de-craig
Il baroude comme un jeune, mais avec l'endurance et l'instinct bravache qu'ont les vieillards qu'ont oublié l'étiquette associée à leur âge. C'est pas compliqué, il nous sème tous. Vrai qu'il se trimballe pas le sac bourré de caillasses et de matos inutile qu'on porte tous sur le dos. Mais il est saoul comme un cochon, et ça l'empêche pas de nous attendre en escaladant un palmier à la force des paumes quand il en trouve un. Au moment où on arrive enfin à le rattraper, il se fait une joie de nous accueillir en nous balançant des dates dessus. Un type charmant.

-'Lors, la raclure d'fosse à purin ? Ça fait moins les gueuzillards maintenant qu'ça pointe dans la zone chaude ? Zagahahaha !

Regard en coin. Le gars que Craig était parti chercher essaye de se faire la malle. Ça et sa gueule de déserteur, ça me suffit à piger le pourquoi du temps qu'il a mis. On échange un regard. Il se fait tirer la manche par la trogne de branleur. Mes bottes s'enfoncent dans le sable, j'sors des rangs pour aller dans leur direction. Personne capte, à part...

-Hey, la gonzesse ! T'restes dans ta cuisine, ou j'te mets aux fers !

Rien à foutre, j'suis sur lui. Et l'a pas le temps de la voir venir que je lui ai déjà écrasé une bonne droite dans sa jolie petite pommette bronzée.

-Aaaah ! Chef, chef ! Elle m'a frappée ! C'est une brute, ça fait super mal, je crois que j'vais m'évanouir... ce manque de solidarité dans les rangs ! C'est...
-Ta gueule, Terry.
-Quoi ? Qu'est-ce tu jactes, fils ? Depuis quand y'a le droit d'maraver son prochain dans ta légion d'pourceaux dopés au sang d'contribuables ? Cette...
-Ta gueule, papa.
-... toi ! J'vais t'flanquer la rouste de ta vie, et devant tout ton ramassis d'traîne-misère si t'soumets pas !
-Non, mais c'est Terry ! Il était déjà là à ton époque, t'sais ce que ça veut dire ?
-Rien à foutre. Pas de désordre dans les rangs.
-Non, mais...
-Tu désobéis à ton supérieur, Bermudes ?

-... Sergent Porteflamme ! Vous récurerez les latrines en rentrant !
-Et tu m'serviras mon rouge au dîner, la glaude !
-Allez vous faire foutre, mon colonel.

Je plaque ma main contre ma bouche. Merde. J'ai pas voulu dire ça. J'ai les veines qui palpitent malgré moi, et la chaleur y est pour pas grand chose. Y'a des expressions qui me font partir au quart de tour, des allusions qu'appartiennent à des époques trop lointaines et lugubres pour que je m'en souvienne autrement que par les poings. Limite j'serais contente de l'avoir envoyé chier si ça risquait pas de me couter ma place dans les rangs.

Il dit rien. Il reste collé au sable.

-Euh...
-...
-Papa ?

Et puis merde.

-Être de corvée de latrines pour irrégularité de comportement, c'est dans le code, j'ai rien à dire. Jouer les filles de cour pour un supérieur qui respecte même pas l'étiquette de la sobriété, c'est écrit nulle part.
-... Zagahahahaha, sacré caractère !
-Papa ?
-Zagahahahaha !

Rien de plus, il nous tourne le dos et continue à marcher en chantant faux. De mon côté, la drôle d'impression de venir de foutre un râteau à un ivrogne qu'a l'habitude. Terry geint. Le gars qui causait de Goa ce matin lui en remet une en douce. Clin d'œil. Je lui souris. A Craig aussi. Et on avance dans le désert, plutôt heureux d'en être là malgré le soleil qui cogne comme un sourd et les sacs militaires qui nous cisaillent les épaules. J'en viens même à kiffer le moment, comme si c'était l'effort qu'était là juste pour nous rappeler où on est, et qu'on est quand même au paradis. Sans déc'. Les gens sont super gentils, on ira tous boire une bière ensemble à la première occas' si ça continue. J'ai beau porter un sac de cinquante kilos, j'suis au club South.

* * *

Les chiottes du centre sont dégueu'. Pas pire que le QG de South, mais franchement pas loin. Puis y'a tout le côté folklo de la révo qui officie en douce dans les égouts en moins. Là, c'est rien que de la merde, de la merde, de la merde et de la merde. Le tout à déboucher, serpiller, laver à grandes eaux, récurrer à la brosse à dents. Mais j'ai le cœur bien léger, alors je fais ça peinarde. Puis le dernier coup de pouliche donné, je sors m'en griller une sous la pleine lune. J'suis claquée, mais de toutes façons, c'est pas dormir cinq minutes de plus qui rendra la journée plus facile.

Le port est tranquille ; y'a le géant de d'habitude qui rentre chez lui en titubant. L'a l'air de s'être encore cogné une mine tellement sévère que j'serais à sa place, j'aurais déjà foutu la moitié des comptoirs à feu et à sang. Tu me croiras ou pas, Seigneur. J'en rigole. Ça doit être l'air hivernal qu'est doux dans le coin, la clarté du ciel ou j'sais pas quoi. La vie me fait cadeau d'une soirée.

Puis entre deux bouffées, je vois la vieille fleuriste qui tourne en rond, entre les trois pubs et demis du coin. Les bras toujours aussi chargés. Le dos toujours aussi vouté. J'écrase mon mégot. J'veux pas arriver à la conclusion trop vite, j'ai le sentiment qu'elle viendra bien assez tôt.
  • https://www.onepiece-requiem.net/t7448-tout-ce-qui-rampe-recoit-
  • https://www.onepiece-requiem.net/t7342-serena-porteflamme
Les crissements dans ma jambe se tassent. Ça va, ça vient, ces temps-ci, ça décampe. Les souvenirs douloureux préparent leurs bagages, mon corps trouve le courage de les foutre dehors. J'ai plus qu'à implorer mon esprit d'faire de même, botter l'arrière-train du négatif, et devenir grosse bassine débordante de soleil. C'est pareil pour l'protocole, il se sent pas à sa place ici. Pour seules politesses, des formules préfabriquées que j'déballe au pif, comme je joue mes cartes au poker, avec ce même instinct foireux qui me leste aux zéros et aux bides. J'ai l'esprit encastré dans les nuages, tandis qu'mes naseaux deviennent de vieux temples ensablés dans lesquels les fumets du port viennent graver leurs signatures.

J'pane rien aux odeurs. Ah, en guerre, ça s'fait avec le crâne réglé sur off. Poudre à canon, sang, boum et bang, sang, flammes, sang, chair calcinée et sang, tout tes sens se font tambouriner et tu perds pas une miette du chaos qui convulse autour de toi. C'est autre chose avec la panoplie d'fleurs, d'épices, d'alcools, de joujous exotiques qu'errent toute la journée côté plage, ici. Le seul sens qui turbine, chez moi, c'est l'sixième, celui qui crée l'avenir. A part ça, j'ai l'palais rouillé, capable de confondre un grand cru putatif qui s'prétendrait sang des dieux avec le flacon d'essence du premier clodo du coin. Et les fleurs de Mamie Glauquerie, c'est pire encore; j'passe juste mon temps à m'demander pourquoi ses roses se ratatinent pas sur elles-mêmes, en plein soleil.

Son dos de dromadaire. Comme si elle avait un coeur là-dessous qui cherchait à s'frayer un passage vers le ciel. Hm. Pensé comme ça, c'est gore.

Serena a l'air d'avoir bien digéré les fruits d'notre excursion dans l'épave. Moi non, clairement, ils me pèsent sur les tripes. Une question, une seule, "c'était bien elle, souriante de toute sa jeunesse sur de vieilles photos décrépites ?", qui pond une cohorte d'autres doutes, qu'en rameute encore d'autres, puis de nouveaux toujours plus trépignants, si bien que j'parviens plus à faire la sourde oreille à ce boucan qui s'agite entre mes deux esgourdes. J'en suis venu à m'croire immergé dans un polar au fil rouge bien visible, sur lequel j'trébuche sans cesse à la moindre réflexion. C'est là l'une des rares odeurs que j'sais reconnaître, celle du mystère, irrésistible, elle est pour moi ce que la puanteur du sang est pour ces fumiers d'authentiques squales; un aimant. Mais ce foutu p'tit chérubin sur mon épaule me murmure que non, transformer l'intimité d'une vieille dame en obsession, ça dépasse la pauvre curiosité de l'alevin avide de savoir qui halète en remuant la queue, au fond de moi. Avide, curieux, intrigué. J'me sens vampire, à suivre la piste d'un sang versé, espérant qu'il me conduira à la vérité, qu'est bien la seule maintenant à pouvoir me repaître.

Mais on reste là, à notre point d'chute, la terrasse, sous l'oeil bienveillant d'un barman qui nous a intégré à son décor. Moi, elle, nous, un silence posé là, aussi confortable que nos chaises rembourrées. Si Serena est allée envoyer chier le grand manitou, quitte à en nettoyer les dégâts à la brosse à chiottes... elle irait se risquer à profaner la tombe d'un passé douloureux ?

J'crève d'envie de...

J'ravale mes mots, mais ses yeux éblouissants, braqués comme des phares, me forcent clairement à accoucher du reste.

... de faire connaissance avec elle. Toute seule, tout le temps. Là, devant nous, à rouler sa bosse à deux à l'heure, toute cuisante sous l'soleil. C'est pas bon pour elle. Non ?

J'peux toujours déguiser ma curiosité en poussée d'empathie, ça m'défrise toujours la conscience. J'joue des mots comme j'joue des politesses et des cartes, le bluff, c'est décidément pas ma panacée. Elle doit comprendre où j'veux en venir, la curiosité qui fourmille sous les gentilles intentions. Aller aider mamie pour pas qu'elle crève de chaud ou de solitude, et en profiter pour lui tirer les asticots de son nez creux. Trouver le point final à cette histoire de fou, ça m'rendrait l'esprit plus lisible, et dieu sait qu'j'ai pas envie qu'il soit barbouillé ces temps-ci. C'est comme être scruté par un démon jusqu'au plein coeur du paradis... et j'parle pas de la rouquine.
  • https://www.onepiece-requiem.net/t10413-fiche-de-craig
-Gros curieux, va.

Je dis ça en rigolant, mais en vrai, je sais pas ce qu'il a vu dans le désert pour être devenu aussi sombre. Je te connais pas comme ça, Craig. En vrai, si ça peut te soulager d'aller lui causer, on y va. Ou t'y vas tout seul, c'est selon. Parce que personnellement, touiller la merde d'un vieux navire échoué sur la côte, ça m'a tenté une fois, pas deux. T'imagines si on l'identifie comme étant une putain de meurtrière ? Si elle nous pète un câble et qu'elle se vend toute seule, tu te sentirais comment ? En paix, à l'idée qu'elle se traîne sa bosse au tribunal, voir direct en taule, pour finir d'y pourrir ? Ouais, elle a l'air de se laisser traîner par une vie pas enviable. Mais sa vie est faite, justement. Tu penses que ça changera quoi en bien, qu'on s'apitoie sur elle ?

Au mieux, ça lui donnera envie de nous crever les yeux ; j'suis bien placée pour savoir que c'est dans la misère la plus profonde qu'on supporte le moins bien la pitié, qu'on voit le mieux à quel point ça rime avec supériorité. Le compatissant, c'est le messager du ciel qui te rappelle à quel point t'es une merde. Et faute de pouvoir cogner le ciel, c'est lui que t'as envie de cogner.  

-Vas-y si tu veux. J'ai pas dormi hier, j'suis en repos.

Je vois bien qu'il me fait la moue et qu'il tient pas en place. Mais aussi, j'fais mine de pas trop y faire attention. D'un coup, je me prends même de passion pour les déplacements hasardeux d'une fourmi sur les bordes du cendrier. Ça m'absorbe complètement, cinq minutes. Puis quand je reviens à mon verre, je vois qu'il en est toujours là.

Je la regarde. Elle a déjà ses fleurs. Trop tôt. C'est le soir qu'elle arrive à trouver des clients, en début de soirée, y'a pas masse de couples qui se pressent au comptoir. Plutôt des gens comme nous, qui viennent prendre une bière après le boulot. Aujourd'hui, c'est vrai qu'il fait chaud. Un rab volé à l'hiver, on est pas loin de la nouvelle année. Non, Craig, ça peut pas être mauvais pour personne, ce soleil. C'est pas les randos dans le désert avec Bermudes qui vont m'en écœurer.

-Dis, ça va au moins ? C'est pas elle qui te fout dans cet état, au moins ?

Je l'ai vraiment rarement vu faire la gueule à ce point. Il bafouille des trucs. Je pose mon verre, un peu trop brutalement, sûrement.

-Aller, c'est bon, on va aller lui parler.
-Euh ? On n'est pas vraiment obl...
-Mais si. T'en auras le cœur net et t'arrêteras d'être chiant, là.

Je dis ça un peu vénère parce que ça me sort d'un contexte sympa pour m'enfoncer dans un univers dans lequel j'ai aucune envie de remettre le pied. Mais c'est pas contre lui. Je tiens pas à me brouiller avec l'une des rares mouettes avec qui j'arrive à tisser un semblant d'amitié, faut pas croire, je suis pas une brute. J'suis contente d'avoir quelqu'un avec qui partager ma table en terrasse et mes moments de ras-le-bol pendant les entraînements avec les caillasses sur le dos et l'autre bidasse de merde qui cherche toujours à décourager tout le monde.

-Bonjour. On a trouvé ça dans un vieux bateau échoué sur la côte. Ça vous dit pas quelque chose ?

Douceur et subtilité, j'ai toujours détesté le misérabilisme. Ouais, je sais, je l'ai déjà dit. Je lui montre la photo à moitié brûlée que j'avais embarquée avec moi. Celle qu'était venue me mordre le mollet emportée par le reflux alors que je marchais dans l'eau. Mes poches sont larges, je l'avais pratiquement oubliée. Craig a l'air de plus avoir de sang sur le visage.

La fleuriste non plus. Mais ça, ça change pas vraiment. Elle nous regarde, l'air un peu absente.

Puis elle se barre en courant, en emportant la photo avec elle.

  • https://www.onepiece-requiem.net/t7448-tout-ce-qui-rampe-recoit-
  • https://www.onepiece-requiem.net/t7342-serena-porteflamme
    Page 2 sur 2 Précédent  1, 2
    Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum