Rappel du premier message :
Un dossier sous le bras, l'œil las, le chapeau bien vissé sur le crâne, il défile sombrement dans les couloirs du QG. Béton, éclairage glauque, sous-sol, béton. Ses souliers claquent, son visage ne bronche, son regard est droit, inflexible. Edwin Morneplume, le costume noir, la barbe taillée, une mine cernée et triste, comme à son habitude. Il débouche dans une pièce sombre, classique salle d'interrogatoire munie d'une vitre teintée donnant sur une petite pièce où est assis et menotté un homme. Quelques chaises occupées par des agents de garnison, une table inondée de paperasse et d'un escargophone, un cendrier plein, une machine à écrire; la panoplie parfaite des responsables de l'interrogation. Une interrogation qui dure, constate le Sergent d'Élite, à la vue de la montagne de mégots qui gisent dans le cendrier. Les claquements rythmés de la dactylo lui répondent lorsqu'il passe la porte. Perdu dans un nuage de fumée de cigarette, les hommes se lèvent brusquement, une fois qu'Edwin a émis un toussotement sonore pour s'annoncer, raclement de chaises contre le béton, papiers qu'on froisse.
Repos.
Sergent Morneplume…
Depuis combien de temps mijote-t-il?
Assez longtemps.
Vous l'avez interrogé?
Euhm… eh ben… on s'apprêtait à le faire…
Ne tentez pas d'occulter votre laxisme à mes yeux, soldats. Je m'occuperai de notre invité.
D'ailleurs, parlant d'invité, l'homme… euh… bah… l'homme-poi… euh… le soldat que vous vouliez à vos côtés durant l'interrogatoire est déjà là.
Le jeunot pointe le coin de la pièce, Morneplume détaille derrière la fumée une silhouette. C'est tout ce qu'il lui faut, son homme est là. Il tire le dossier qu'il avait sous le bras, puis l'ouvre un instant, comme pour se rappeler de quelque chose qu'il croit oublier. Ah. Voilà, quatrième ligne des appuies à l'interrogation : Craig Kamina.
Dites lui d'attendre. Je vais y aller seul, d'abord.
Évidemment Sergent.
Edwin pousse la lourde porte de fer donnant sur la pièce annexe. Là où est entravé leur prisonnier. Là où une chaise l'attend justement, en face de celui qui s'est dégoté la malchance de l'avoir comme tortionnaire. Ses yeux d'acier, vides et dénués de scrupules, toisent l'homme-poisson dont la tête se relève péniblement à l'entente des pas du Sergent.
Bonjour, Tark Kamina.
***
Un squat au nord de la ville. Probablement une fumerie regorgeant de drogués. C'est là qu'on m'a indiqué qu'il se terrait. Il pense probablement que les autorités ne penseraient pas à chercher si profondément…
Il pense presque à rajouter "dans la fange et la corruption", mais mieux vaut ne pas tourner le fer dans la plaie du maigrelet tremblotant qui, appuyé sur une large table où Edwin a déroulé une carte, écoute avec un air venimeux. Ce pauvre officier ne pouvant rien jouer face à la criminalité inhérente à son île. Il relève les yeux, souffle une bouffée de cigarette, puis lisse sa tentative de moustache en s'adossant au dos de son fauteuil. Bureau d'officier, fenêtre, journée pluvieuse, armoires débordantes d'archives et de paperasse. Sous-lieutenant Alec Kaloupalekis, probablement le seul rat de bureau assez stupide pour étudier le mécanisme d'un piège à rat plutôt que d'en subtiliser le fromage.
Ses yeux se plissent, il crache une nouvelle bouffée de fumée, puis se décide à parler.
Qui est ce "on", Sergent d'Élite Morneplume? J'apprécierais connaître la source de vos… informations.
Là sont les avantages, selon Edwin, d'avoir déjà côtoyé le Mal durant sa jeunesse. Lui-même contrebandier au profit des Sept Familles durant sa jeunesse, il s'est fait de nombreux contacts dans le milieu criminel de North Blue, contacts dont il est loin d'être fier et dont il n'hésiterait probablement pas à se débarrasser dans l'avenir. Toutefois, Morneplume ne peut nier leur utilité lorsqu'il est question de plonger plus profondément dans le Mal qui ronge la mer du nord.
Ce "on" se nomme Antoine Ilkovitch, c'est un docker qui graisse la patte à de nombreux navires marchands pour détourner des quantités moyennes d'alcool au profit d'une taverne qu'il tient avec son frère près du centre-ville. Son établissement est un lieu de visite des réguliers de la mafia, rien de plus facile que de s'asseoir un moment pour en apprendre sur tout et n'importe quoi. Il se doutait déjà de ce que je cherchais lorsqu'il m'a aperçu.
Vous êtes en train de me dire que vous avez soutiré de l'information à un criminel, Morneplume?
Son ton se fait acerbe, agressé et agressant, il écrase sa cigarette dans un cendrier et se penche vers Edwin qui, de l'autre côté de la table, ne bronche absolument pas. Non. Il se penche à son tour, à vrai dire, il se penche et il poignarde Kaloupalekis de ses yeux froids. Le Sous-lieutenant déglutit, malgré lui.
C'est exactement le cas, Sous-lieutenant.
Intimidé, le rat de bibliothèque se lève, replaçant machinalement sa casquette avec nervosité.
Eh bien… vous n'avez pas le droit! Selon l'article numér…
L'instant d'après, la main d'Edwin se pose sur son épaule, poigne d'ogre menaçant de briser un simple oisillon. Kaloupalekis baisse les yeux sur ces cinq phalanges destructrices, interrompant sa tirade, puis relève les yeux vers un Morneplume tout à fait serein. Il a chaud, soudainement. Edwin, lui, improvise un minime sourire, une commissure des lèvres qui se soulève, subtile, hypocrite.
Je peux vous assurer qu'en tant que membre de la Marine d'Élite, je suis dans mon plein droit, Sous-lieutenant Kaloupalekis.
Il retire sa main, l'officier se remet à respirer. Edwin se détourne, rajustant son haut-de-forme, et se dirige vers la porte. Avant de passer la porte, alors que Kaloupalekis s'écrase dans son fauteuil en essuyant la sueur qui lui couvre le front, il s'arrête.
Vous avez un homme en garnison que j'aimerais beaucoup avoir à mes côtés pour cette intervention, Sous-lieutenant.
Son frère Craig.