Les toits.
Les aventures héroïques se passent trop rarement sur les toits. Ça fait assassin qui s’assume mal. Ce n’est pas très pratique pour marcher et encore moins pour d’autres gestes de héros comme courir, sauter, ou disparaître au détour d’un coin de ruelle derrière deux caisses d’on ne saura jamais trop quoi. Il n’y a pas toutes les commodités comme au sol. Et puis, surtout, c’est carrément casse-gueule et ça peut faire mal aux babines quand on en choit.
Pourtant c’est chouette, les toits. On y voit loin, on y voit bien. C’est dégagé, un peu comme sur une île céleste.
Une île céleste...
Enfin, en conséquence et pour donc changer un peu : Les toits.
Je suis sur le faîte de ma personnalité, à contempler tout le reste en contrebas.
J’aime bien, les toits. Je crois que c’est la perspective revenue de terminer en bouillie si je tombe de trop haut qui m’a poussé à de nouveau me mettre physiquement en danger à ce genre de niveau d’inconscience. Entre être fait de sang et n’être fait que de sang, j’ai déjà franchi un pas et il ne m’en reste plus beaucoup à effectuer avant l’issue fatale. Une botte devant l’autre jusqu’à ce que mort s’en suive, marche ou crève et marche et crève. Ça me redonne un peu la niaque, d’être mortel, malgré le plomb de l’âge et les retours du passé qui n’est pas le présent, dans le présent qui devient déjà le passé à peine le futur le remplace-t-il. Quelque chose du genre. En tout cas j’ai moins mal à la jambe. Je sais mieux où je vais, vers quoi je vais. Peut-être bien que Alma avait raison.
Des toits on voit par ailleurs pas mal de ces petits méfaits du quotidien auxquels on prêterait moyenne attention, moyenne au mieux, depuis le sol. On voit les calvities des hommes dans toutes leurs splendeurs luisantes. On voit les mains baladeuses sur les marchés des pervers qui n’ont qu’elles pour pleurer leur célibat inéluctable. On voit les rondes proportions de ces femmes qui essaient de les cacher pour éviter lesdits esseulés. On voit que les enfants ne sont vraiment rien que des plaies, les jeunes enfants, ceux qui font dans le dos de leurs parents des gestes à faire pâlir un apôtre de la bonne manière. On voit les manœuvres des truands à la petite huitaine, qui volent à la tire et tirent à l’envol. On détecte les liasses d’au moins tout ça de valeur, qui tombent des poches de certains sans qu’ils s’en rendent compte, imbéciles de touristes pleins aux as.
On remarque enfin que les gens ne regardent pas beaucoup en l’air, sinon ils verraient. Ils verraient ce type bizarre qui prend des notes depuis le coin de la rue, debout dans la gouttière à côté du chat machin accroupi, du chat rayé couleur chat crasseux : marron, noir, roux et un unique poil blanc plus très blanc.
Des toits, vu la position dominante, on se dit qu’on n’est pas comme eux qui restent engoncés dans leur bassesse monotone. C’est une vue de l’esprit bien sûr, car moi non plus je ne regarde pas tellement au-dessus de ma tête en ce moment. Moi, en ce moment, je me dis que je n’ai pas bien soif de foule, au sens figuré comme au sens le plus littéral. Les sillons de la faim qui me gangrène les tripes ne me donnent aucune envie de vider les masses de leur substance, de leurs substances. Je m’attendais à un vieux reste, à un relent irrésistible qui serait remonté pour mon premier vrai contact avec une bonne plèbe bien irriguée en flux sanguins. Mais non, comme sur Second Peace il semblerait que cette compulsion-ci se soit tarie sans phase de detox. Juste le grand vide cotonneux de l’absence de besoin.
Et qu’est-ce que je verrais, tiens, si je le faisais ? Qu’est-ce que je verrais si je regardais au-dessus, au juste ? Est-ce que par hasard je ne verrais pas des étoiles qui sauraient pourquoi le monde ? L’hypothèse me vient à l’esprit. Mais aussitôt me vient que peut-être je ferais mieux d’attendre la nuit pour ça, car les cinq étoiles du jour ne m’ont jamais semblé trop savoir même ce qu’elles faisaient. Et puis me vient que peut-être je pourrais remettre à plus tard ce genre d’interrogations futiles. Ça glisse dans le coin, ça glisse beaucoup. Je commence à peine mon aventure ici, et finir dans le plâtre après une chute de deux étages aurait piètre allure. Ma biographie s’en trouverait tronquée sans grande chance de succès en librairie. Tahar Tahgel, l’homme achevé par un toit de Water Seven.
Non, décidemment ça ne sonne pas si bien.
En faisant un peu de tourisme dans ma prime jeunesse, pas longtemps après que la croisière s’est bien amusée, surtout la duchesse qui y prédatait, j’ai traîné mes grolles jusque dans une autre ville où c’était un peu comme ici. Des tuyaux humides à tous les niveaux, aux toits, contre les murs, au sol au milieu des ruelles glauques, dans les maisons et même sur les murailles autour du centre. Mais là-bas ça s’expliquait parce que la cité était en plein désert et qu’il fallait garder toute l’eau qui parfois, seulement parfois, tombait du ciel. Du coup tout était en pente et la moindre goutte tombant à terre devenait trésor et filait droit vers le gigantesque réservoir creusé sous la ville, ou plutôt sur lequel la ville était construite. Tout un jeu d’arches en pierre et de voûtes qui auraient fait pâlir de jalousie les architectes de Marie-Joie s’ils regardaient ailleurs qu’au centre de leur monde.
Pas tant à voir en tout cas dans le concept avec cette île flottante-ci, port mégapole, mégaport pour tout bon marin qui se respecte, sans forcément que ça n’implique qu’il respecte tout le monde de son côté. De mes divers piédestaux depuis que je suis arrivé, j’ai eu le temps de repérer un bon paquet de pavillons que je ne connaissais pas, en blanc et bleu comme en blanc et noir. Je crois que je suis à la rue sur bon nombre des derniers ragots du monde civilisé. Il faudrait que je mette la patte sur un journal. Ou plutôt que je mette la patte sur une imprimerie avec une salle d’archives où je pourrais m’enfiler les nouvelles des deux dernières années. Ça me ferait un petit bagage culturel avant de rentrer dans le grand monde pour y œuvrer noir, blanc, jaune, et rouge.
Le problème c’est qu’ici on n’a pas trop le temps de transformer le bois en papier que souvent il est déjà parti renforcer un bastingage voire rallonger un mât, un sabord, une étrave, ou un autre truc technique sur un bateau quelconque. Mais tout de même, Water Seven est la petite capitale de Grand Line alors bon. Ils n’importent pas toutes leurs feuilles de choux tous les jours, impossible qu’ils ne produisent pas sur place. Reste à trouver où. Et puis j’en ai vu une qui lisait un canard tout à l’heure, moins d’une plombe après l’aube. C’est bien qu’il sortait d’une fabrique à proximité directe. Reste à trouver où...
Alors, oui, c’est bien, les toits, je maintiens.
Mais pour examiner les enseignes et lécher les vitrines je dois bien admettre que c’est loin d’être le pied.
Water Seven se mérite, Tahar, redescends donc enfin de tes petits nuages.
Et mêle-toi au monde comme tu voudrais qu’il se mêle à toi.
Les aventures héroïques se passent trop rarement sur les toits. Ça fait assassin qui s’assume mal. Ce n’est pas très pratique pour marcher et encore moins pour d’autres gestes de héros comme courir, sauter, ou disparaître au détour d’un coin de ruelle derrière deux caisses d’on ne saura jamais trop quoi. Il n’y a pas toutes les commodités comme au sol. Et puis, surtout, c’est carrément casse-gueule et ça peut faire mal aux babines quand on en choit.
Pourtant c’est chouette, les toits. On y voit loin, on y voit bien. C’est dégagé, un peu comme sur une île céleste.
Une île céleste...
Enfin, en conséquence et pour donc changer un peu : Les toits.
Je suis sur le faîte de ma personnalité, à contempler tout le reste en contrebas.
J’aime bien, les toits. Je crois que c’est la perspective revenue de terminer en bouillie si je tombe de trop haut qui m’a poussé à de nouveau me mettre physiquement en danger à ce genre de niveau d’inconscience. Entre être fait de sang et n’être fait que de sang, j’ai déjà franchi un pas et il ne m’en reste plus beaucoup à effectuer avant l’issue fatale. Une botte devant l’autre jusqu’à ce que mort s’en suive, marche ou crève et marche et crève. Ça me redonne un peu la niaque, d’être mortel, malgré le plomb de l’âge et les retours du passé qui n’est pas le présent, dans le présent qui devient déjà le passé à peine le futur le remplace-t-il. Quelque chose du genre. En tout cas j’ai moins mal à la jambe. Je sais mieux où je vais, vers quoi je vais. Peut-être bien que Alma avait raison.
Des toits on voit par ailleurs pas mal de ces petits méfaits du quotidien auxquels on prêterait moyenne attention, moyenne au mieux, depuis le sol. On voit les calvities des hommes dans toutes leurs splendeurs luisantes. On voit les mains baladeuses sur les marchés des pervers qui n’ont qu’elles pour pleurer leur célibat inéluctable. On voit les rondes proportions de ces femmes qui essaient de les cacher pour éviter lesdits esseulés. On voit que les enfants ne sont vraiment rien que des plaies, les jeunes enfants, ceux qui font dans le dos de leurs parents des gestes à faire pâlir un apôtre de la bonne manière. On voit les manœuvres des truands à la petite huitaine, qui volent à la tire et tirent à l’envol. On détecte les liasses d’au moins tout ça de valeur, qui tombent des poches de certains sans qu’ils s’en rendent compte, imbéciles de touristes pleins aux as.
On remarque enfin que les gens ne regardent pas beaucoup en l’air, sinon ils verraient. Ils verraient ce type bizarre qui prend des notes depuis le coin de la rue, debout dans la gouttière à côté du chat machin accroupi, du chat rayé couleur chat crasseux : marron, noir, roux et un unique poil blanc plus très blanc.
Des toits, vu la position dominante, on se dit qu’on n’est pas comme eux qui restent engoncés dans leur bassesse monotone. C’est une vue de l’esprit bien sûr, car moi non plus je ne regarde pas tellement au-dessus de ma tête en ce moment. Moi, en ce moment, je me dis que je n’ai pas bien soif de foule, au sens figuré comme au sens le plus littéral. Les sillons de la faim qui me gangrène les tripes ne me donnent aucune envie de vider les masses de leur substance, de leurs substances. Je m’attendais à un vieux reste, à un relent irrésistible qui serait remonté pour mon premier vrai contact avec une bonne plèbe bien irriguée en flux sanguins. Mais non, comme sur Second Peace il semblerait que cette compulsion-ci se soit tarie sans phase de detox. Juste le grand vide cotonneux de l’absence de besoin.
Et qu’est-ce que je verrais, tiens, si je le faisais ? Qu’est-ce que je verrais si je regardais au-dessus, au juste ? Est-ce que par hasard je ne verrais pas des étoiles qui sauraient pourquoi le monde ? L’hypothèse me vient à l’esprit. Mais aussitôt me vient que peut-être je ferais mieux d’attendre la nuit pour ça, car les cinq étoiles du jour ne m’ont jamais semblé trop savoir même ce qu’elles faisaient. Et puis me vient que peut-être je pourrais remettre à plus tard ce genre d’interrogations futiles. Ça glisse dans le coin, ça glisse beaucoup. Je commence à peine mon aventure ici, et finir dans le plâtre après une chute de deux étages aurait piètre allure. Ma biographie s’en trouverait tronquée sans grande chance de succès en librairie. Tahar Tahgel, l’homme achevé par un toit de Water Seven.
Non, décidemment ça ne sonne pas si bien.
En faisant un peu de tourisme dans ma prime jeunesse, pas longtemps après que la croisière s’est bien amusée, surtout la duchesse qui y prédatait, j’ai traîné mes grolles jusque dans une autre ville où c’était un peu comme ici. Des tuyaux humides à tous les niveaux, aux toits, contre les murs, au sol au milieu des ruelles glauques, dans les maisons et même sur les murailles autour du centre. Mais là-bas ça s’expliquait parce que la cité était en plein désert et qu’il fallait garder toute l’eau qui parfois, seulement parfois, tombait du ciel. Du coup tout était en pente et la moindre goutte tombant à terre devenait trésor et filait droit vers le gigantesque réservoir creusé sous la ville, ou plutôt sur lequel la ville était construite. Tout un jeu d’arches en pierre et de voûtes qui auraient fait pâlir de jalousie les architectes de Marie-Joie s’ils regardaient ailleurs qu’au centre de leur monde.
Pas tant à voir en tout cas dans le concept avec cette île flottante-ci, port mégapole, mégaport pour tout bon marin qui se respecte, sans forcément que ça n’implique qu’il respecte tout le monde de son côté. De mes divers piédestaux depuis que je suis arrivé, j’ai eu le temps de repérer un bon paquet de pavillons que je ne connaissais pas, en blanc et bleu comme en blanc et noir. Je crois que je suis à la rue sur bon nombre des derniers ragots du monde civilisé. Il faudrait que je mette la patte sur un journal. Ou plutôt que je mette la patte sur une imprimerie avec une salle d’archives où je pourrais m’enfiler les nouvelles des deux dernières années. Ça me ferait un petit bagage culturel avant de rentrer dans le grand monde pour y œuvrer noir, blanc, jaune, et rouge.
Le problème c’est qu’ici on n’a pas trop le temps de transformer le bois en papier que souvent il est déjà parti renforcer un bastingage voire rallonger un mât, un sabord, une étrave, ou un autre truc technique sur un bateau quelconque. Mais tout de même, Water Seven est la petite capitale de Grand Line alors bon. Ils n’importent pas toutes leurs feuilles de choux tous les jours, impossible qu’ils ne produisent pas sur place. Reste à trouver où. Et puis j’en ai vu une qui lisait un canard tout à l’heure, moins d’une plombe après l’aube. C’est bien qu’il sortait d’une fabrique à proximité directe. Reste à trouver où...
Alors, oui, c’est bien, les toits, je maintiens.
Mais pour examiner les enseignes et lécher les vitrines je dois bien admettre que c’est loin d’être le pied.
Water Seven se mérite, Tahar, redescends donc enfin de tes petits nuages.
Et mêle-toi au monde comme tu voudrais qu’il se mêle à toi.