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Neuvième Epoque: Les Gens ne sont pas humains.

Rappel du premier message :

Les toits.

Les aventures héroïques se passent trop rarement sur les toits. Ça fait assassin qui s’assume mal. Ce n’est pas très pratique pour marcher et encore moins pour d’autres gestes de héros comme courir, sauter, ou disparaître au détour d’un coin de ruelle derrière deux caisses d’on ne saura jamais trop quoi. Il n’y a pas toutes les commodités comme au sol. Et puis, surtout, c’est carrément casse-gueule et ça peut faire mal aux babines quand on en choit.

Pourtant c’est chouette, les toits. On y voit loin, on y voit bien. C’est dégagé, un peu comme sur une île céleste.

Une île céleste...

Enfin, en conséquence et pour donc changer un peu : Les toits.

Je suis sur le faîte de ma personnalité, à contempler tout le reste en contrebas.

J’aime bien, les toits. Je crois que c’est la perspective revenue de terminer en bouillie si je tombe de trop haut qui m’a poussé à de nouveau me mettre physiquement en danger à ce genre de niveau d’inconscience. Entre être fait de sang et n’être fait que de sang, j’ai déjà franchi un pas et il ne m’en reste plus beaucoup à effectuer avant l’issue fatale. Une botte devant l’autre jusqu’à ce que mort s’en suive, marche ou crève et marche et crève. Ça me redonne un peu la niaque, d’être mortel, malgré le plomb de l’âge et les retours du passé qui n’est pas le présent, dans le présent qui devient déjà le passé à peine le futur le remplace-t-il. Quelque chose du genre. En tout cas j’ai moins mal à la jambe. Je sais mieux où je vais, vers quoi je vais. Peut-être bien que Alma avait raison.

Des toits on voit par ailleurs pas mal de ces petits méfaits du quotidien auxquels on prêterait moyenne attention, moyenne au mieux, depuis le sol. On voit les calvities des hommes dans toutes leurs splendeurs luisantes. On voit les mains baladeuses sur les marchés des pervers qui n’ont qu’elles pour pleurer leur célibat inéluctable. On voit les rondes proportions de ces femmes qui essaient de les cacher pour éviter lesdits esseulés. On voit que les enfants ne sont vraiment rien que des plaies, les jeunes enfants, ceux qui font dans le dos de leurs parents des gestes à faire pâlir un apôtre de la bonne manière. On voit les manœuvres des truands à la petite huitaine, qui volent à la tire et tirent à l’envol. On détecte les liasses d’au moins tout ça de valeur, qui tombent des poches de certains sans qu’ils s’en rendent compte, imbéciles de touristes pleins aux as.

On remarque enfin que les gens ne regardent pas beaucoup en l’air, sinon ils verraient. Ils verraient ce type bizarre qui prend des notes depuis le coin de la rue, debout dans la gouttière à côté du chat machin accroupi, du chat rayé couleur chat crasseux : marron, noir, roux et un unique poil blanc plus très blanc.

Des toits, vu la position dominante, on se dit qu’on n’est pas comme eux qui restent engoncés dans leur bassesse monotone. C’est une vue de l’esprit bien sûr, car moi non plus je ne regarde pas tellement au-dessus de ma tête en ce moment. Moi, en ce moment, je me dis que je n’ai pas bien soif de foule, au sens figuré comme au sens le plus littéral. Les sillons de la faim qui me gangrène les tripes ne me donnent aucune envie de vider les masses de leur substance, de leurs substances. Je m’attendais à un vieux reste, à un relent irrésistible qui serait remonté pour mon premier vrai contact avec une bonne plèbe bien irriguée en flux sanguins. Mais non, comme sur Second Peace il semblerait que cette compulsion-ci se soit tarie sans phase de detox. Juste le grand vide cotonneux de l’absence de besoin.

Et qu’est-ce que je verrais, tiens, si je le faisais ? Qu’est-ce que je verrais si je regardais au-dessus, au juste ? Est-ce que par hasard je ne verrais pas des étoiles qui sauraient pourquoi le monde ? L’hypothèse me vient à l’esprit. Mais aussitôt me vient que peut-être je ferais mieux d’attendre la nuit pour ça, car les cinq étoiles du jour ne m’ont jamais semblé trop savoir même ce qu’elles faisaient. Et puis me vient que peut-être je pourrais remettre à plus tard ce genre d’interrogations futiles. Ça glisse dans le coin, ça glisse beaucoup. Je commence à peine mon aventure ici, et finir dans le plâtre après une chute de deux étages aurait piètre allure. Ma biographie s’en trouverait tronquée sans grande chance de succès en librairie. Tahar Tahgel, l’homme achevé par un toit de Water Seven.

Non, décidemment ça ne sonne pas si bien.

En faisant un peu de tourisme dans ma prime jeunesse, pas longtemps après que la croisière s’est bien amusée, surtout la duchesse qui y prédatait, j’ai traîné mes grolles jusque dans une autre ville où c’était un peu comme ici. Des tuyaux humides à tous les niveaux, aux toits, contre les murs, au sol au milieu des ruelles glauques, dans les maisons et même sur les murailles autour du centre. Mais là-bas ça s’expliquait parce que la cité était en plein désert et qu’il fallait garder toute l’eau qui parfois, seulement parfois, tombait du ciel. Du coup tout était en pente et la moindre goutte tombant à terre devenait trésor et filait droit vers le gigantesque réservoir creusé sous la ville, ou plutôt sur lequel la ville était construite. Tout un jeu d’arches en pierre et de voûtes qui auraient fait pâlir de jalousie les architectes de Marie-Joie s’ils regardaient ailleurs qu’au centre de leur monde.

Pas tant à voir en tout cas dans le concept avec cette île flottante-ci, port mégapole, mégaport pour tout bon marin qui se respecte, sans forcément que ça n’implique qu’il respecte tout le monde de son côté. De mes divers piédestaux depuis que je suis arrivé, j’ai eu le temps de repérer un bon paquet de pavillons que je ne connaissais pas, en blanc et bleu comme en blanc et noir. Je crois que je suis à la rue sur bon nombre des derniers ragots du monde civilisé. Il faudrait que je mette la patte sur un journal. Ou plutôt que je mette la patte sur une imprimerie avec une salle d’archives où je pourrais m’enfiler les nouvelles des deux dernières années. Ça me ferait un petit bagage culturel avant de rentrer dans le grand monde pour y œuvrer noir, blanc, jaune, et rouge.

Le problème c’est qu’ici on n’a pas trop le temps de transformer le bois en papier que souvent il est déjà parti renforcer un bastingage voire rallonger un mât, un sabord, une étrave, ou un autre truc technique sur un bateau quelconque. Mais tout de même, Water Seven est la petite capitale de Grand Line alors bon. Ils n’importent pas toutes leurs feuilles de choux tous les jours, impossible qu’ils ne produisent pas sur place. Reste à trouver où. Et puis j’en ai vu une qui lisait un canard tout à l’heure, moins d’une plombe après l’aube. C’est bien qu’il sortait d’une fabrique à proximité directe. Reste à trouver où...

Alors, oui, c’est bien, les toits, je maintiens.

Mais pour examiner les enseignes et lécher les vitrines je dois bien admettre que c’est loin d’être le pied.

Water Seven se mérite, Tahar, redescends donc enfin de tes petits nuages.

Et mêle-toi au monde comme tu voudrais qu’il se mêle à toi.


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Quelques mots incompréhensibles babillés dans la pénombre sans qu’elle se réveille, puis la petite retrouve le calme de son sommeil plein de rêves, forcément plein de rêves.

- Tu m’as bien imposé les menottes pour une raison, non ?

Je me demande si les siens sont peuplés des mêmes monstres que ceux de mon monde.


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- Pour que vous ne tuiez personne, principalement...


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- Alors maintenant quoi, Ela ?
- Vous voulez vraiment vous rendre ?
- Je crois...
- Pourquoi maintenant ?
- Pourquoi pas ?
- Je vous ai dit de ne pas m’infantiliser.
- Vieux réflexe...

Les braises sont tombées maintenant. L’humidité de la ville dans les flots s’est abattue sur nous, je sens les gouttes au bout de chacune de mes mèches, au bout de chacune des siennes dans le noir. Nuit froide et humide, on pourrait brûler quelqu’un sous la pluie demain. Mes articulations geignent en silence, agitées des minuscules mouvements qu’elles font toujours en permanence même quand on croit être immobile. J’ai gardé cette sapience fondamentale de ce qui se passe dans mon corps. L’empathie compense un peu la perte du fruit du démon, sans doute. Je commence à être vieux pour ces conneries. Trop vieux en tout cas pour espérer, et même vouloir, faire de cette nuit ce qui en a été fait en 1615. Je sais que les mêmes pensées voguent dans l’esprit d’Ela. Les mêmes réponses, aussi.

Au milieu de ces clameurs continues dans mes rotules, coudes, poignets... ma cuisse ne me fait pas mal. Est-ce que c’est une raison qu’elle entendrait ? Ma cuisse ne me fait pas mal, conduis-moi à Marie-Joie ? Je ne suis pas certain.

Et encore pareil... Tout sauf un absolu même pour moi. Alors, pour elle. Irrecevable.

- Colonel ?
- Hm ?
- Pourquoi maintenant, donc ?

Elles ont le chic. Toutes. Pour appuyer, insister, ne plus rien lâcher face à moi. Est-ce que je vieillis, mollis, dépéris, ou est-ce que c’est elles qui ont évolué, que j’ai déformées jusqu’à ce qu’elles ne puissent plus que s’opposer à moi ?

- La lassitude.

La honte. De


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courir depuis dix ans les bons qui cherchent à m’arrêter battre les mauvais qui cherchent à me résister les innocents jamais assez coupables cacher au monde que je ne suis rien en lui montrant ma face à tous les coins de ruelles.

trahir, Betty, Céléno, Ela.

voler les femmes depuis vingt ans essayer de retrouver la fausse que j’ai construite sur la déviante qui m’a dévié tromper leurs mondes frapper leurs maris casser leurs maris tuer leurs maris faire pleurer leurs enfants.

abandonner, Sonja, Duchesse, Lilou.

tuer depuis trente ans tuer les bons les mauvais les entre les deux les qui me ressemblent les autres les moins que rien les plus que moi les bêtes les monstres les autres sans béquilles qui vont leurs vies jusqu’à rencontrer la mienne.

laisser partir, Jenv, Sarah, Heidi.

être depuis quarante ans, être ici ou être là et puis être là-bas aussi avant et maintenant et nulle part après en route vers rien de retour vers rien vers moi vers eux vers elle vers toi.

trahir abandonner laisser partir, Izya.

- Ahh !


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- Colonel ?! Shh, vous allez la réveiller... Qu’y a-t-il ?
- Je suis fatigué, Ela. Vraiment fatigué.
- Alors retournez dormir.
- Mais tu ne comprends pas... ça me tue, il faut que ça s’arrête !
- Non, vous vous ne comprenez pas, vous ne comprenez rien, vous n’avez jamais rien compris !
- J
- Ni hier, ni aujourd’hui, ni demain !
- El
- Vous
- Ela ! C’est toi qui la réveilles, là...
- ... Que quoi s’arrête ?
- Hm ?
- Vous avez dit « il faut que ça s’arrête ». Que quoi s’arrête ?
- Ah. Je n’arrive pas à dormir...
- Et ?
- J’ai toujours dormi, Ela. Parfois bien, parfois pas mal, quelquefois pour être réveillé par un corps moite et encore insatisfait, le reste du temps mal, mais j’ai toujours dormi quand je m’allongeais dans ce but.
- Et ?
- Et là je ne dors pas.

- Qu’est-ce qui vous maintient éveillé ?
- Toi.
- Moi ? Vous savez bien qu’il ne se passera rien, colonel...
- Non, toi. Ce que tu es, d’où tu viens, ce qu’on a vécu, ce que tu représentes, ce que je t’ai fait !

- Ha !
- Quoi ?
- Ha ! Ha !

- Ela ? J’ai dit quelque chose de drôle ?
- Ha, ha ! Ha !
- Mhhhseigneuuur, qu’est-ce qu’iil see paassee ?
- Chut, jeune fille ! Et chut vous aussi, colonel ! Silence ! L’heure est grave... L’heure est mémorable !

- 1626... Water Seven... sous la place principale... l’aube pointe son nez par les grilles au plafond de la salle, on peut entendre le chant des premiers oiseaux que l’aube a réveillés. À l’oreille avisée, le bruit de l’eau non loin signale que la mer entoure toujours la terre et que le monde est toujours en vie, qu’il suit sa routine... Mais soudain... Mais soudain ! Au beau milieu de cette matinée si normale en apparence, si semblable aux précédentes, le monde vacille.
- Ça va, abrège... quoi... ?!
- Non, les formes sont importantes, colonel. Ce jour est à graver dans les mémoires, chaque détail en doit être retenu pour que les conteurs des temps futurs puissent authentifier leurs récits... Tiens-toi bien ma petite Sara, agrippe-toi à ta couverture, recouvre-toi, même, de peur que la nouvelle ne soit trop forte pour ta frêle constitution innocente...
- Mh...
- Aujourd’hui, jeune fille, aujourd’hui est le jour... que dis-je, la nuit où le colonel Tahar Tahgel s’est dégoté... mais laquelle est-ce, au fait ? La sienne ? Impossible... La mienne ? Non, je l’ai toujours... Peut-être la tienne, alors ? Vite, vérifie qu’il ne te l’ait pas piquée, jeune Sara, vérifie bien dans les recoins les plus naïfs de ta petite cervelle...
- Piqué quoi ?
- Ha ! Ta conscience, Sara ! Ta conscience ! La tienne ou une autre ! Une conscience !
- Ah c’est malin...
- Le colonel Tahgel ! Le terrible bourreau de cœurs et de South Blue ! L’homme qui a détruit la vie de plus de monde qu’il n’en a jamais croisé !
- Ela...
- Non Tahar Tahgel, non, c’est trop drôle pour que je m’arrête ! Le saigneur des mers, le chien fou, l’ex-futur amiral Tahgel ! Stray Dog, s’apprêtaient-ils à t’appeler, ces gens de l’amirauté ! Stray Dog ! Une conscience ! Hahaha !
- Ela, s’il te plaît, non...
- « S’il te plaît » ? Ohh, tu entends ça, jeune Sara ? Tu as entendu ça ? « S’il te plaît » ... Mais quel est donc ce nouveau langage, si peu familier à tes lèvres, Tahar Tahgel ? « S’il te plaît » ? Sous-entendrais-tu qu’il puisse ne pas me plaire d’accéder à ta requête ? Te serait-il soudain venu à l’idée que quelqu’un puisse, réellement, ne pas vouloir satisfaire à ton moindre désir ? Une femme qui plus est ? Une femme à qui tu as plu ? Tahar Tahgel, es-tu toi-même ?


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- Toujours rien ?

Ela dépose son butin de la journée sur une des tables branlantes de la salle. Un pain, des fruits secs, une outre en peau de chèvre, une bouteille. Un paquet de papier qui doit contenir de la viande. Elle sort de son bustier ce que je crois être une blague à tabac, qu’elle me jette entre les mains. J-Z, initiales martelées dans la croûte du cuir, sans doute un des pauvres types qu’elle a coffrés pour s’occuper et pouvoir acheter informations, communications, et donc moyens de subsistance. Elle a essayé d’en ramener un ici, au début, un de ces pauvres pirates sans âme qui jonchent les canaux sombres de Water Seven, sans doute pour le garder au chaud avant de trouver un contact sur les vaisseaux marins qui soit prêt à prendre le risque de briser la trêve instaurée et imposée par la guilde des charpentiers. Ici, pas d’escarmouche entre pirates et soldats. Mais ici, pirates et soldats. Pour une chasseuse de primes, l’endroit rêvé. Le colis au même endroit que son destinataire. Le type n’a pas survécu à voir ma trogne. Il a dû croire qu’il s’était fait prendre pour me maintenir en vie par son sang, comme ces souris que les riches donnent à leurs fauves de compagnie.

- Seigneur, tu veux manger ?
- Non, ça ira...

Elle, elle n’est pas partie alors qu’elle aurait dû. Alors qu’elle devra bien. Elle est sortie quelques fois, mais chaque fois est revenue. Avec des affaires que je pense venues de la tanière où le crapaud est mort. De la vaisselle, des habits, une lampe à huile, un vieux bouquin, une breloque ou une autre. Elle n’a pas bien compris que nos chemins ne seraient pas les mêmes quand Ela aura réglé les détails de mon extraction puis de mon convoi jusque bon port.

Enfin, bon port...

J’ai essayé une fois de lui en parler, alors qu’elle regardait avec concentration les pages baveuses de son livre.

- Qu’est-ce que tu vas faire après ?
- Et celle-là, c’est quelle lettre ?
- W.
- Doublevé ? On prononce comme ça ? Doublevéaguon ? C’est quoi ? Un animal ? Ça vit où ?

Bref, le message n’est pas bien passé.

- Ela, tu es sûre que tu ne veux pas me détacher ? Je ne te ferai pas de mal, je te l’ai dit...

J’obtiens un regard, qu’elle daigne me lancer avant d’aller s’adosser à un coin de mur plus loin, mais rien de plus. Nos relations depuis cette aube où sa rancœur a trouvé à s’exprimer sont au plus bas. Redevenues ce qu’il est normal qu’elles soient, déplorables. Déplorable, comme ma tentative de rouler une cigarette avec ces menottes.

- Tiens, je t’ai préparé ça.
- Je t’ai dit que ça irait...

Mais Sara non plus ne cédera pas cette fois. J’accepte le casse-croûte et un sourire satisfait vient sur son visage. Elle ressemble plus à l’enfant qu’elle est qu’à notre première rencontre. Sa satisfaction me satisfait aussi. Hm.

Presque sautillante, elle s’en retourne essayer de comprendre la première page des aventures de Taum Soyeur, et moi je déguste mon repas en regardant l’ombre d’Ela qui s’allonge tandis que le jour descend. L’air de la surface me manque un peu, je me demande si ce soir elle acceptera de me faire sortir. Il m’a semblé qu’elle n’était pas loin d’y consentir la nuit passée. Pas loin de se laisser convaincre que je ne ferais pas d’histoire...

Les murs prennent la couleur du couchant autour de l’ectoplasme noir au sol. Orange, rose, rouge.

Rouge... Je sens mes joues le redevenir. Ça m’est arrivé chaque soir et chaque matin de beau temps sans exception.

Comme si mon corps prenait le même plaisir à saisir le moindre prétexte pour me torturer l’esprit que mon esprit n’en prend lui-même à se tortur

- Où est-il ?!


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J’ai senti les graviers du tunnel d’approche bouger mais pas la présence qui les a fait bouger. Je pensais à un rat comme ils sont nombreux à m’avoir rendu visite ces derniers temps. Mais non.

- Ela ! Où est-il ?!
- Lydia !? Mais tu...

Comme un vide qui se remplit à mesure que du vent accompagne la nouvelle venue. Je dis la nouvelle, la féminité n’est pour l’instant que dans sa voix. Je ne l’ai pas encore dans mon champ visuel, elle est arrivée sous le couvert de ce monceau de restes informes jetés là par le temps et les squatteurs. Des meubles, des fûts, des pierres, du verre. Elle ne doit voir qu’Ela et la petite. Et visiblement ce n’est pas Sara qu’elle est descendue trouver ici... Lydia.

Paf.

Lydia...

Pof.

Je peux compter les gouttes de ma salive et de mon sang qui volent dans les derniers rais de lumière tombant du plafond, une fois qu’elle m’a trouvé. Comme cette pluie qu’on devine parfois au loin dans les rayons solaires fendant les nuages. Cette impression qu’une entité supérieure contemple la basse terre, et que ces larmes de ciel sont leur message pour nous autres, pauvres mortels. Lydia ? La deuxième frappe était plus lourde. La troisième fait exploser mon arcade.

Craac.

Très exactement trois cent et sept grains s’échappent de la blague à tabac que mes mains laissent filer.

- Tahar Tahgel ! Tahaar Tahgeeel !!

Lydia. Lydia Œankhôr.


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La nuit.

Ce n’est plus une heure pour les jeunes filles. Sara est sortie rejoindre des copains de la rue. Elle avait dans le projet de partager ses richesses, je crois. Je lui ai fait promettre de ne parler ni de moi ni d’Ela, encore moins de Lydia. Pas certain qu’elle tiendra parole, mais je ne l’en blâmerai pas sinon.

Mon trône de roi sur son tas de gravats a balloté jusque un autre coin de la cave, le temps qu’Ela parvienne à raisonner le colonel Œankhôr et sa rancune d’un coup relâchée en une tornade de violence. Maintenant qu’elles parlementent entre femmes, dissimulées derrière leur barricade de silence à mon endroit, j’ai tout le loisir de me regarder dans cet éclat de miroir brisé, ressurgi des entrailles de la terre pendant la bagarre et éclairé des étoiles qui de là-haut savent pourquoi le monde. Je suppose que si j’ouvrais les yeux je saurais qu’elles ne sont que dans ma tête, et ne verrais rien d’autre qu’un reflet informe dans la pénombre où a plongé mon monde à moi. Bah.

Ce moi-même que j’imagine a des allures d’avis de recherche. Son derme est poli du sel des exploits surhumains, ses cheveux fougueux de l’aventure permanente. Ses yeux sont deux étincelles vertes comme l’océan déchaîné. Il est le moi des Saigneurs, celui que rien n’arrêtait, n’aurait dû arrêter.

Son rictus cynique a l’air de me sussurer tout son mépris pour ce que je suis devenu, ce qu’il luttait pour ne pas devenir, ce qu’il ne se serait jamais laissé devenir. Je voudrais lui rétorquer qu’il se l’est laissé devenir, quand Shri a. Mais il poursuit sans se débiner.

Le bonheur est accessible, Tahar, me semble-t-il glisser. Il est au bout du poignet, dans une chope bien remplie. Il est en haut d’une cuisse, contre un giron bien chaud. Tahar, me nargue-il, le bonheur, moi je l’ai déjà eu en main. Plusieurs fois. Et toi, raille-il, toi Tahar tu ne l’atteindras jamais plus.

J’ai déjà discuté avec des avatars à mon image. Je sais comment ça va. Je garde les dents serrées. Ça fait mal, un peu. Mais comme prévu, après m’avoir toisé tout ce temps où je suis resté muet, il se dissipe au premier éclat extérieur à nous. Quatre bottes viennent m’entourer, m’observent tandis que je gis ainsi sur le flanc, toujours ligoté à ma chaise à moitié défoncée. Comme dans les ruelles tous ces jours plus tôt, je pourrais faire tant. Je pourrais leur faire du mal, même sans les pouvoirs du démon que j’étais, que je suis toujours. Mais comme alors je choisis de demeurer passif. Ou, même si je ne le choisis pas, je le demeure.

Ela me redresse péniblement. Je pèse mon poids, celui dont ma déchéance grève la pitié que je lui inspire.

- Colonel, nous avons pris une décision.


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Une aube.

Lydia a recouvré son port ombrageux de haute gradée que rien ne saurait troubler, pas même le pire. Surtout pas le pire. Bras croisés sous la poitrine, adossée un talon contre le mur et l’autre bien fiché dans la poussière du sol, elle contemple l’assassin de sa sœur que son amie emporte. Moi.

Je ne l’ai pas détrompée, à quoi bon ? Je ne lui ai pas dit ce dont ses quelques supérieurs au courant n’ont pas jugé bon de l’informer. Flermet ? Loin du bourreau, victime très innocente de plus à mon tableau de chasse. Les Étoiles qui veulent savoir le monde ont dit, et c’est sans doute pour le mieux. Quel intérêt de changer les versions dix ans après ? De changer les convictions qui ont bâti les mondes d’aujourd’hui.

Je ne lui ai pas dit grand-chose, d’ailleurs, dans ces dernières heures en sa compagnie. Elle m’a surtout regardé de loin, avec ou sans Ela toujours régulièrement de sortie. Sara n’est pas revenue trop souvent de son côté après ma dérouillée, et nous nous sommes donc souvent retrouvés seuls entre ennemis présupposés. Ce, donc, sans que ça ouvre tant le dialogue pour autant.

- Tu ne dis rien, Tahar Tahgel ?
- Que veux-tu entendre, colonel ?
- Tes excuses, ta défense, quelque chose qui expliquerait ce que tu as fait, après tout ce temps...

Un jour, deux ou trois après son entrée tonitruante, elle a saisi une chaise et s’est assise, dossier en avant pour supporter ses avant-bras sur lesquels elle a posé son menton, puis elle m’a fixé pendant un long, long moment. J’ai cru que c’était une posture nouvelle annonciatrice d’autres vengeances assénées par les poings. Mais non, elle est restée telle quelle. Et elle n’a pas cillé un seul instant. Moi non plus.

- Je peux t’aider ?
- Oui. Tais-toi.

C’était comme si elle cherchait à remonter tout le cours tortueux, torturé, de mes souvenirs ou de mon intellect présent à travers mes yeux. Mais elle n’a pas dit mot tandis que j’étais contraint au même parcours à travers les siens. Je ne l’avais jamais croisée auparavant et Jenv m’avait peu parlé d’elle, la mentionnant à peine en une ou deux occasions. La première devait même être lors de ce dîner entre hauts galonnés à mon arrivée à Marie-Joie, et même sur l’initiative de Shiro. Quelques bribes d’informations personnelles lâchées alors que toute notre histoire n’existait que pour, justement, lui permettre de sortir de ce carcan personnel, tout comme son pas de côté vers l’Anarchie le lui avait permis.

Je ne l’ai pas plus dit à Lydia que le reste. Avoir été un poids pour sa défunte et révérée sœur n’est pas le genre de vérité qu’on a envie de découvrir si loin après sa mort. Qu’on a envie de jamais découvrir.

- Ta sœur t’aimait beaucoup.
- Foutaises, ma sœur ne savait même pas que j’existais.

Une autre fois, elle m’a évoqué cette jeunesse dans l’ombre de la prestigieuse aînée. Quelques tentatives de tuer pour elle-même cette mémoire qui la hante pour toujours, comme Ferm hante la mienne malgré notre divergence précoce de... cheminements. J’ai compris à cette occasion comment sa voix sépulcrale et désincarnée avait pu lui valoir son surnom fantomatique, Dame Blanche. Mais face à mon mutisme son timbre d’outre-tombe s’est soudain brisé et elle s’est éloignée pour casser seule, à l’abri de mon regard, les murs de sa prison mentale. Je n’ai jamais su m’aider sur ce point, je ne savais pas comment faire pour elle.

Si j’avais voulu j’aurais d’ailleurs, au contraire, pu la briser totalement en cet instant précis. Celui où la honte d’avoir voulu entacher la gloire de Jenv la prestigieuse la saisissait. J’ai senti l’émoi la transir depuis les taches de mon sang séché sur son uniforme et sur sa peau qu’il avait atteinte. Il se répandait dans ses iris qui s’élargissaient sans encore oser quitter les miens de peur de se trahir. Ses lèvres ont tremblé comme les miennes tremblent quand je visualise les déboires d’Ela, son cœur s’est emballé, sa sueur courait dans son dos. Je ressentais toutes ces humeurs et je n’avais qu’à y penser pour les accélérer. La rouille n’est pas la seule nuance de rouge dont ma palette d’hypnose empathique semble garnie.

- Quel intérêt que je m’excuse si tu lui en voulais ? Est-ce que ce n’est pas hypocrite de ta part ?
- Tu ne comprends rien à rien, Tahar Tahgel...
- Ela pense la même chose, je vais commencer à croire qu’elle avait raison.
- Et encore tu fanfaronnes, mais le cynisme est l’arme des faibles qui se dérobent au réel.
- Hm. Ceux de mes connaissances qui n’avaient pas d’humour sont morts avant moi...
- Et pourtant peux-tu bien prétendre être encore vivant ?

Sa défense m’a distrait, la tension a disparu. Ela est revenue, repartie, revenue. Sara est venue m’apporter des gâteaux sans doute volés chez des gens trop riches pour s’en soucier. C’est étonnamment ce qu’elle a retenu de notre première rencontre, prendre à ceux qui n’en ont cure.

À moins que ce ne soit Ela qui lui ait appris.


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Aujourd’hui, des restes de Tahar Tahgel maître des mers se reflètent dans ses iris flamboyants quand je croise le regard de Lydia. Elle ne flanche pas, pourquoi le ferait-elle ? Elle qui a combattu Elize et Ludwig van Ghost avant qu’ils ne perdent les pédales, face à moi ou face à eux-mêmes, qu’aurait-elle à craindre d’une épave qu’elle a frappée sans réplique ? Sa fierté fait écho à la mienne dont mon ectoplasme regrettait que je l’avais perdue. Il avait raison.

- À bientôt sur la grand place de Marie-Joie, Tahar Tahgel...

Elle a le même infime soupir qu’Ela a eu en me tendant les menottes au premier jour. Celui des grandes occasions vers lesquelles le destin porte certains élus, parfois pendant des années, jusqu’à ce que l’attente devienne une partie d’eux-mêmes, une pierre fondatrice de jusque leur corps physique. Ce soupir souvent discret, impartageable même avec les plus proches, ces quelques souffles d’air expulsés en un seul, ce sont toutes ces années de patience qui s’échappent, sans qu’on sache bien si c’est un soulagement ou un manque qui en découle. Elle n’a pas l’air d’être soulagée. Elle n’a pas l’air d’être perdue non plus.

Une page se tourne pour elle, comme si l’étape d’après au cœur de la capitale n’était plus qu’accessoire.

- Adieu, Lydia.


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C’est à Shiro qu’elles ont choisi de confier mes ultimes détours vers la Mort aux bras grands ouverts.

Shiro Fuuryuko, cet autre nom sorti des abysses de mon sous-conscient.

Plus j’avance depuis Impel Down, plus il me semble remonter le cours de ma vie jusque les origines.

Mes origines. Le foulard ciel dont Ela s’est ceint la taille, sans doute pour mieux me travailler les regrets, le remords, bat au doux rythme du vent côtier comme pour me distraire de ce curieux pressentiment qui m’étreint. L’étrave du navire de fortune qu’elle s’est procuré pour nous mener à bon port fend les eaux qui nous éloignent de Water Seven, et bientôt la cité n’est plus qu’un point de plus sur l’horizon de mon parcours chaotique.

Derrière nous, Lydia pose une main tendre sur l’épaule de Sara qui ne veut pas me pleurer. Adieu, Sara.

Devant, ultime étape, c’est Terminus Station qui pour l’heure me tend les bras.

Du banc minable sur lequel je tiens le décompte, sur le pont, j’étudie mon nouvel environnement. Des mesures à la louche, une cabine à deux couchettes, des espars plus ou moins vermoulus, des tonneaux de vivres et des rats qui courent se planquer dans la cale. Mais ce que je note n’a que peu d’importance. Je ne m’évaderai pas, je ne mettrai pas Ela dans cette situation à nouveau.

Elle est à la barre en ce moment, dans toute sa splendeur de femme bafouée en marche vers sa petite rédemption personnelle. Le soleil au zénith brille dans ses longues mèches blondes, presque blanches sous ce jour. Elle n’est pas ma mort, non. Elle est sa propre renaissance. Grand bien lui fasse, je suis content pour elle. Je souris à contre-jour, elle n’en voit rien et heureusement. Une mésinterprétation nuirait sans doute à la qualité de nos relations. Eh. Eh...

Non, salée et entourée de récifs à esquiver pour l’atteindre, la Mort est encore quelques mers plus loin.


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