Enervée.
Lorsque le navire adverse vire de bord à nouveau et fonce droit dans l'Or Bauréal, on en déduit facilement cela. L'instinct de Satoshi lui dicte tout. Cela fait une éternité qu'il n'a pas mené de bataille navale. Balayant le navire des yeux, il tombe bien rapidement sur les canons courtes portées qui longent le bastingage. Gueulant en jurant comme un charretier, il ordonne à tous ceux qui tiennent à la vie de charger les armes. Mais pas de tirer. Pas encore.
Presque à portée.
Chef !
Attendez.
CHEF !
Coulez moi ça.
Dans une symphonie mélodieuse digne des plus grands compositeurs des cinq mers, les canons jouent à la perfection, en parfaite harmonie avec les cris de guerre et les postillons de bave des pirates. Au ralenti, on peut les voir tous tels qu'ils sont vraiment. Il y a ceux qui tirent à un bras, l'autre étant trop occupé à être levé en guise de motivation, ou peut-être est-ce simplement une sorte de rituel païen visant à aider le boulet à arriver à destination. Il y a ceux qui tirent avec sérénité. Eux, c'est de l'opium, qu'ils ont pris. Alors on détaillera pas plus, parce qu'il est de toute façon très incertain qu'eux mêmes sachent ce qu'ils font là.
Les autres, ils sont normaux. Ils gueulent chacun à leur manière en allumant la mèche. Mais au fond, et ils le savent tous. Ils beuglent tous la même chose : Le dieu de la mort ne nous prendra pas aujourd'hui. Et en voyant ça, Satoshi ne peut s'empêcher de sourire, et cette fois avec sincérité. Ils sont prêts à mourir pour la cause. Maintenant, il a un vrai équipage. Malheureusement, ils seront déçus de ne pas toucher la part du butin. Et cela peut presque pincer le cœur de Noriyaki. Il est même possible que ce qu'il ressente là, c'est du remord.
Mais ce sentiment disparaît vite. C'est Juicy Berry, quand même. Faut pas déconner. Juicy Berry, Satoshi Noriyaki, partage ? Tseh.
En face, les boulets pleuvent sur eux comme des foutus cordes annonciatrices de mort, chacune ayant servie à quelqu'un pour se pendre. Ouaip, en clair, en face, beaucoup de mort, beaucoup de blessés, et beaucoup de dégât matériel. Mais ils avancent toujours. La commandante est intacte, alors tout le monde suit la commandante. La logique de la marine. Même si il faut en crever, même si c'est illogique et même si chacune des décisions du chef de l'opération peut vous transformer en cadavre, vous suivez quand même. Ou alors, elle a développé ce genre de relation avec ses sous-fifres, et dans ce cas là, c'est une sacrée tordue de merde. Satoshi grimace face à la ténacité de Frutsh. Leur navire est tout proche. Bientôt il y aura collision.
Gold Wall.
Même technique que tout à l'heure, il recouvre le navire d'une couche d'or pour le protéger. Mais cette fois, ça ne suffit pas. L'autre va trop vite. Beaucoup trop vite. Le choc est violent, brutal. Une brèche de la taille d'un homme est faite dans le flanc de l'Or Bauréal. Taille d'homme, oui. La marine débarque à l'intérieur de leur trois pont comme dans un moulin. Criant mort aux pirates et aux armes, ils tirent, jurent et sabrent comme des foutus forbans, des canailles, abattant le bras de leur justice implacable et incontestable comme la main d'un mari battant sa femme innocente. Mais ils sont moins. Et le nombre, quand on parle de sous fifre, beh ça fait tout.
Sauf quand Satoshi s'en mêle.
Prêt à en découdre avec les soldats pas plus intelligents que des huîtres et dont la témérité n'est au final qu'à la hauteur de la manipulation et du conditionnement que leur a fait subir leur supérieure, il se met en marche pour descendre dans les entrailles de son navire, là où toute sa petite équipe était déjà partie. Mais il ne peut pas. Quelque chose, quelqu'un, l'empêche d'avancer.
Frutsh.
D'un pied ferme, elle attend là, devant lui. Pourtant, si elle perd, tout son équipage sera décimé. Mais elle prend tout de même le risque.
Et elle crache son mollard immonde sur le planché pourtant luisant du navire du Truand. Et cela aurait du l'énerver. Il aurait du faire en sorte de lui foncer dessus et de faire en sorte qu'elle ne recommence pas. Qu'elle ne recommence jamais. Mais il n'en est rien. Sa réaction, c'est un fou rire. Le combo moustache/mulet/crachat est trop pour lui. Il ne peut plus se retenir. Ses abdominaux se contractent. Trop. Ca fait mal. Mais il ne peut pas s'arrêter. Ses yeux se mettent à pleurer tandis que ses éclats de rire se font entendre jusqu'à la côte. Et cela ne plait pas à quelqu'un, qui, toujours pinte à la main se rue sur le Capitaine.
Il s'arrête de rire et s'apprête à se défendre. Il va contre attaquer. Après tout, ce n'est qu'une attaque bête et méchante de la part d'un beauf trop énervé pour être réellement concentré. Du coup, ça ne va pas être d'une grande difficulté de l'arrêter.
Et bien si.
Car si il était persuadé qu'il était maintenant capable de frapper une femme, lorsqu'il faut enfin le faire, le doute s'empare de lui, et la pinte vient s'écraser contre sa joue, le projetant contre le bastingage dans un éclat de vers brisé et imbibé de sang.
Merde... Pourquoi...
Il se relève vite, mais est perturbé, désemparé. Elle va pouvoir prendre l'avantage, maintenant.