Rappel du premier message :
- « Salem, tu peux pas laisser le… URGH ! »
Ketsuno s’arrêta de parler. Devant ma mine décidée, il n’y avait rien à faire. Personne ne pouvait m’arrêter ! Il me fallait à tout prix des congés. Vider mon esprit. Ne plus penser au Léviathan. Ne plus considérer la veuve et l’orphelin pendant un certain temps. Prendre du temps pour moi et me ressourcer. Parce qu’il fallait avouer que je commençais à fatiguer et pas qu’un peu. Entre les attaques à répétitions des pirates et révolutionnaires et la reconstruction stressante du Léviathan, j’étais à bout. Depuis la mort de ma femme, je n’avais plus pris de vacances. Aucune. Je m’étais attelé à remplir mes fonctions comme un forcené, un bourreau du travail. Certes, il m’arrivait de m’amuser parfois comme un fou, mais ce genre d’écarts s’assimilait plus à des pauses qu’à de vrais congés. Vous n’imaginiez pas le nombre de coïts interrompus que j’avais essuyé, juste parce qu’un pirate et son équipage passaient vers Shell, comme par hasard. La galère, je vous dis pas. Du coup, c’est bien décidé à changer d’air que je faisais prestement mes valises sous le regard déconcerté de ma cousine qui ne comprenait rien à mon attitude du moment. Une décision sur un coup de tête, mais irrévocable. Personne n’aurait rien à y redire. Personne ! D'autant plus que j'avais cette permission.
- « Alors, tu as eu mon billet ? »
- « Oui oui… »
La cause de cette illumination était un bateau de croisière qui avait accosté au port de Shell Town. Grand, beau, qui pouvait contenir un millier de personnes, bref... Un vrai bijou maritime, si l’on excluait le Léviathan et les différentes avancées de la marine. Le « Costa Concordera » qu’il s’appelait, d’ailleurs. Un navire très chic que m’avait fait visiter le capitaine de bord dès le premier jour de leur arrivée, ce qui acheva de me conquérir et de me donner l’envie de m’évader. J’en avais donc informé mon père, supérieur direct, qui n’avait pas trouvé d’inconvénients à ce que je prenne du temps pour moi. L’homme avait même prévu d’envoyer un autre colonel me remplacer temporairement à la tête de la base de Shell. Mon remplaçant n’avait d’ailleurs pas tardé puisqu’il s’était pointé aujourd’hui même. Ce qui me permit de sauter sur mes valises, d’autant plus le Costa devait bientôt bouger. Une aubaine, hé ! « Fais voir le billet ! » Alors que je bouclais mon deuxième et dernier bagage, Ketsuno me tendit le billet non sans une moue désapprobatrice. A voir sa gueule, je pouvais comprendre qu’elle avait envie de m’accompagner. Mais si cette fille se trouvait trop près de moi, je pouvais dire adieu à ma tranquillité. A tous les coups…
- « T’en fais pas, j’ferais pas de bêtises. Et je reviendrais vite. C’est l’affaire d’une toute petite semaine ! »
Après m’être redressé, je pris son visage dans mes mains avant de lui bisouter affectueusement le front. Puis je m’emparai du billet, gros sourire aux lèvres. Il n’était pas évident de monter à bord d’un navire qui avait déjà effectué plus de la moitié de son parcours, mais le capitaine m’aimait tellement qu’il avait fait une entorse à ses règles. Et puis, en cas de pépin, un homme de ma trempe serait certainement le bienvenu, même si j’étais persuadé que tout allait bien se passer. Bien avant de déguerpir, je vins me positionner devant un miroir, sous l’œil interrogateur de ma lieutenante avant de faire pousser mes cheveux jusqu’à mes épaules, ainsi que ma barbe, jusqu’à recouvrir toute ma gorge. La magie du retour à la vie. Des lunettes de soleil sur mon visage et hop, j’étais méconnaissable. Un vrai vioque ! Je fis en sorte de me pencher un peu vers l’avant, d’avoir les épaules voutées, avant de prendre une canne épée, sourire aux lèvres. Personne ne pourrait se douter de qui j’étais, sauf le capitaine et son équipage bien entendu. Et puis, vu la manière dont j’étais fagoté (une salopette et la chemise à pois qui allait avec) nul doute que personne ne voudrait m’approcher, ce qui allait m’arranger, car j’avais vraiment besoin de souffler !
« T’es un clown ! Un vrai con ! » Que m’avait dit Ketsuno avant de pouffer de rire.
- « Comme ça au moins, j’suis sûr qu’on me fera pas chier, nfufufu ! »
- « T’as intérêt… » Dit-elle en me lançant un regard super suspicieux. Le genre à me mettre à l’aise. Pour une fois que je ne prévoyais pas de faire le volage…***
Quelques heures plus tard, le navire faisait sonner ses sirènes. Le départ était proche. Tous les vacanciers qui s’étaient amusés à faire du tourisme sur l’ile convergèrent vers le navire assez rapidement. Je m’étais glissé dans cette foule incognito avant de monter à bord du navire. Mes bagages avaient déjà été enregistrés et posés dans la cabine 69, d’après Ketsuno qui avait procédé à mon enregistrement et au transport de mes valises de la base jusqu’au Costa Concordera. Puis, lentement, le bateau quitta l’île de Shell pour une autre destination. Laquelle ? Je ne savais pas et à vrai dire, je m’en fichais. Calé sur un bastingage d’une des nombreuses terrasses/ponts du navire, j’observai Shell-Town s’éloigner petit à petit jusqu’à soupirer. L’un des marins du navire qui m’avait reconnu malgré mon déguisement se proposa de m’accompagner jusqu’à ma cabine. Mais alors que j’acceptai volontiers, je vis une gamine, de dos, avec une jupe courte qui moulait indécemment ce qui semblait être un gros cul prometteur. C’était pas mon genre, mais j’avais envie de jouer le role du vioque, à cheval sur les moeurs. Aussi m’étais-je approché silencieusement d’elle avant de lui foutre un gros coup de canne sur le cul, le tout sous les yeux ahuris de quelques passagers.
- « Tu n’as pas honte gamine ?! Oser porter une telle jupe à ton âge ! On voit quasiment tout ! »
Qu’avais-je dit d’un air sévère avant qu’un coup de vent ne vienne soulever sa jupe, dévoilant à la plupart des gens, sa petite culotte ! Coïncidence qui vint ajouter du poids à mes dires, au point que certaines personnes acquiescèrent. Je remuai alors la tête dans tous les sens, la mine faussement dépitée, avant de pointer un doigt mutin vers elle : « J’espère que t’habilleras plus décemment, sinon je toucherai un mot à tes parents, petite sotte ! Compris ?! » Sans même laisser le temps à la petite de réagir, je lui tournai le dos avant de m’engouffrer dans un couloir qui menait à l’intérieur du bateau, le tout sous des murmures et quelques applaudissements. En vérité, je venais de m’amuser à ma façon. Et je comptais faire un maximum de bêtises avec cette apparence, sans qu’on ne sache qui j’étais vraiment. Le marin qui avait voulu m’aider à retrouver mes quartiers, me rejoignit sous un fou rire. J’étais tenté de me marrer également, mais je préférai garder ma mine stoïque, d’autant plus qu’en passant entre certaines personnes, j’attirai le regard avec ma gueule pas nette et mon look à revoir. Si Tom avait vu ça, il se serait foutu de ma gueule à vie. De quoi me faire rire intérieurement, tout en continuant mon chemin comme si de rien était.