De l’esbroufe, de l'esbroufe, encore de l'esbroufe, toujours de l'esbroufe. Voilà ce qui ressortait de cette réunion assez particulière. Nous étions réunis ici pour nous battre alors que la plupart d'entre nous ne se connaissaient même pas, et tout ce que trouvaient à faire les participants, c'était d'afficher au grand jour leur force. Aucun esprit stratégique, aucune capacité d'anticipation, de faculté de raisonnement. Mais bon, je suppose que l'on ne peut pas s'attendre à davantage de la part de campagnards ou simples pirates. Tranquillement assis sur Cerbère, j'observais la réaction des candidats face au Saki lancé un peu plus tôt. Certains quittèrent la tente pour aller vomir dehors et ne jamais remettre les pieds à l'intérieur. D'autres semblaient assez inquiets, mais tous avaient sur leur visage les expressions de personnes qui se demandaient ce qui venait d'arriver. Néanmoins, je percevais chez certains des regards dans ma direction, et surtout dans celle de Kurayami-Hime, qui laissait entendre qu'ils étaient suspicieux à mon égard quant à la provenance de cette aura meurtrière. Même si mon but était de me faire remarquer pour intégrer un équipage pirate, je comptais déployer le grand jeu plus tard afin de créer la surprise et ainsi renforcer l'intérêt de certains recruteurs sur ma personne. Si je me mettais à jouer les gros bras maintenant, je perdrais en crédibilité, passant pour un simple frimeur. Rester mystérieux était dans mes cordes étant donné qu'il s'agissait de mon caractère habituel.
Impassible, immobile, assis sur Gehennos, je regardais les combattants s'échauffer. Certains tentaient de dissuader les autres de participer en roulant des mécaniques. Néanmoins, l'un d'entre eux se détacha du lot, désireux de faire encore plus d'esbroufe que ses congénères. S'avançant sur le ring, il se mit à laminer une bonne partie des participants présents, juste avec la force de ses pieds. Cet homme était, de toute évidence, parmi les plus dangereux individus ayant répondu à l'appel du tournoi. Du moins, c'était ce que mon instinct me disait, tandis que j'analysais sa manière de bouger. Sa kinesthésie était tout bonnement impeccable, donnant une impression de fluidité absolue dans ses mouvements. Pas la moindre trace d'hésitation dans le regard, pas le moindre doute, ni même la moindre compassion. Ce regard déterminé me donnait la certitude qu'il s'agissait d'un homme d'expérience, ayant déjà vécu plusieurs combats, peut-être même des affrontements à mort. Dans tous les cas, il était de ceux qu'il vaut mieux éviter de prendre à la légère.
Alors que seuls mes yeux bougeaient, pour suivre les mouvements des différents participants, un léger sourire s'afficha sur mon visage lorsque j'aperçus plus amplement le visage du combattant qui venait de mettre à terre pas moins d'une vingtaine de personnes. Comment ne pas le reconnaître. Il s'agissait d'un pirate dont l'avis de recherche était placardé un peu partout sur les Blues. Je n'étais pas assez impliqué dans les affaires de la Marine pour me rappeler précisément le nom et la prime de cet homme, mais il me semblait qu'elle dépassait la trentaine de millions. Voilà qui était intéressant. Un capitaine pirate parmi les plus réputés parmi les Rookies se trouvait à Sirup pour participer au tournoi. Décidément, je commençais à croire que c'était mon jour de chance.
Mais alors que je réfléchissais à la manière de l'aborder pour le pousser à me recruter, une voix retentit dans les haut-parleurs situés de part et d'autre de la tente. Les éliminatoires allaient enfin commencer, et vu le nombre de personnes déjà parties, ils risquaient d'être plus rapides que prévus. Me relevant de mon trône qu'était le Cerbère, ce dernier s'étira, baillant de ses trois têtes dans un grognement assez audible, avant de me suivre, se secouant comme pour se réveiller. Il était temps pour moi d'aller tirer mon numéro à la loterie pour savoir qui j'allais affronter au cours du prochain combat. On finit par faire passer une boîte jusqu'à moi. Sans vraiment faire attention, je posais ma main dans le creux prévu à cet effet. L'espace d'un instant, je sentis alors l'aura de Kurayami-Hime se manifester à l'instant où je saisis ma sphère. Haussant un sourcil perplexe, je jetais un oeil à l'épée, tout en relevant ma main. Était-il possible que cette lame influe sur la chance pour essayer de pousser son propriétaire à la mort ?
Je n'allais pas tarder à avoir ma réponse, dévoilant à l'arbitre que j'avais tiré le numéro treize. Voilà qui n'était pas de bon augure. Tout en m'avançant vers l'arène, je vis un autre affrontement se dérouler de manière pour le moins... particulière. Un espèce de blondinet s'amusait avec des scalpels sur un individu apparemment dénué de tout esprit combattif... et de talent si l'on en jugeait la manière dont il se faisait mettre en pièce. J'ignorais qui était l'homme qui gagnait ce combat, mais sa manière de faire les choses avait quelque chose de dérangeant, voire même répugnant. Cela manquait cruellement de style et de raffinement, même pour un ancien esclave comme moi. Poussant une légère exclamation dédaigneuse en m'avançant vers mon ring, je montais pour apercevoir mon adversaire qui faisait de même. D'une taille assez commune, avoisinant le mètre soixante-cinq, sa chevelure châtain tombait légèrement devant ses yeux, couvrant ces derniers lorsqu'il inclinait légèrement la tête. A en juger l'épée qu'il tenait à la main droite, l'affrontement allait être un duel de bretteur.
Le saluant alors qu'il fit de même, l'inconnu se jeta sur moi aussitôt le départ donné. Néanmoins, je n'étais pas non plus en reste, m'étant également élancé vers lui. Cela donnait une impression de charge, alors que tous deux, nous brandissions notre épée. J'avais choisi de manier Hiryuushirô pour ce combat, afin d'éviter tout débordement que mon Kitetsu aurait pu créer et qui risquerait de me coûter la victoire. Armée de l'épée d'un blanc immaculé, je laissais celle-ci frapper la lame de mon adversaire, les deux fers se croisant avec un timing qui rendait impossible le fait de dire qui attaquait et qui se défendait. Enchaînant rapidement en tournant sur moi-même, je tentais un coup horizontal qui fut paré alors que l'inconnu mit sa lame à la verticale, laissant un flot d'étincelle jaillir à l'instant où nos épées s'entrechoquèrent. Cet homme était doué... sans doute plus que ce que j'avais pu imaginer. Sa manière de bouger et ses réflexes étaient d'un niveau relativement proche du mien, mais peut-être même sensiblement au-dessus. Alors que je faisais glisser mon épée le long de sa lame pour me rapprocher de lui, nos visages se trouvèrent à une distance d'environ une quinzaine de centimètres. Il en profita alors pour m'infliger un coup de tête assez violent pour me repousser au loin. Tout en faisant alors un moulinet, tandis que je me relevais, il s'adressa à moi sur un ton qui témoignait de l'extase qu'il tirait de ce combat.
- Allons bon. Tu ne vas pas me dire que c'est tout ce que tu as. Arrêtes de te retenir et bats toi sérieusement, sinon tu ne gagneras pas.
Cela m'énervait de devoir le reconnaître, mais il avait raison. Si je ne me donnais pas à fond, la victoire risquait de me passer sous le nez, et ma mission d'échouer. Alors que cet homme semblait attendre une réaction de ma part, je jetais un coup d'œil à la seconde épée que je possédais. Devais-je l'utiliser ? J'ignorais ce qui pouvait se passer si jamais je tentais de manier Kurayami-Hime et qu'elle se décidait à me jouer des tours. Mais peut-être que c'était ce qu'elle voulait. Après tout, peut-être le Kitetsu avait-il agit exprès pour que je me retrouve face à cet homme et que je n'en vienne à l'utiliser. De toute manière, je n'avais pas vraiment le choix. Soit je tentais le tout pour le tout, soit j'allais me faire légèrement rosser. Quelle ironie. Moi qui reprochais aux autres de dévoiler tous leurs atouts bien trop tôt, je n'allais pas tarder à faire de même. Prenant une profonde inspiration en fermant les yeux, je finis par les rouvrir brusquement, posant ma main sur le pommeau de Kurayami-Hime et la sortant lentement de son fourreau.
Aussitôt, l'atmosphère sur l'arène changea. L'air me sembla plus lourd, plus difficile à respirer, comme si le Cavalier de l'Apocalypse Pestilence en personne venait d'apparaître devant nous. C'était une aura de mort et de folie qui régnait à cet instant sur l'aire de combat. Pour peu, j'aurais presque eu l'impression d'entendre mon épée noire hurler, avec l'un de ces cris stridents et effrayant qu'ont parfois les monstres les plus sournois et sauvages. Mais l'heure n'était pas à ce genre de contemplation. Même si mon opposant avait lui aussi senti ce brusque changement, il n'agit pas comme la plupart des spectateurs plutôt mal à l'aise. Ce fut un large sourire qui s'afficha sur son visage, tandis qu'il se mit à me charger, abattant son épée d'un grand coup vertical avec toute sa force. Positionnant mes deux armes en croix pour faire barrage à l'assaut, je sentais toute la pression qui se dégageait de l'assaut ennemi. La force de cet homme était peut-être encore plus grande que je ne l'aurais cru, un léger cratère se creusant sous mes pieds.
Je fis alors glisser mes deux épées d'un geste brusque en écartant les bras, afin de propulser mon assaillant au loin. Ce dernier se réceptionna avec une habile pirouette, avant de prendre une grande impulsion qui le propulsa vers moi, son arme tendue sur le côté pour l'abattre sur mon flanc gauche. Je parais en positionnant Kurayami-Hime à la verticale de ce côté, pour finalement donner un mouvement horizontal avec Hiryuushirô dans la direction de l'inconnu. Mais ce dernier me bloqua, levant sa jambe dont le pied stoppa la course de mon poignet, et par conséquent de mon épée. Affichant un large sourire, il lâcha son arme de la main gauche, ne la tenant plus qu'avec la droite, pour me mettre un coup de poing en pleine figure. Mes appuis effondrèrent, et il put ainsi enchaîner une pluie de coups que je ne faisais que subir, parant maladroitement, laissant apparaître sa complète domination dans le duel. Tout en continuant d'enchaîner les assauts, son arme frappant les miennes, ses poings et pieds frappant mon corps coup après coup, il s'adressa à moi sur un ton qui témoignait d'une certaine colère.
- Arrête de me faire croire que c'est tout ce que tu as gamin. Cesse de penser à autre chose et laisse-toi un peu aller. Jamais tu ne pourras progresser si tu bloques ainsi ton instinct combattif. Arrête de réfléchir et combat !
Je n'aurais pas su dire précisément de quoi il s'agissait... mais les paroles de cet homme, à cet instant, éveillèrent en moi quelque chose. Alors que son épée était bloquée par Hiryuushirô sur le côté droit, son poing se dirigea vers moi pour me frapper en plein visage. Mais cette chose, ou cette force, qui venait d'émerger, me poussa à lever Kurayami-Hime brusquement, bloquant le coup de mon opposant qui frappa le plat de la lame. Mes cheveux retombaient légèrement sur mon visage, alors qu'un fin filet de sang avait coulé le long de ma bouche, sur le côté droit. Il était impossible de voir mes yeux jusqu'au moment où je relevais la tête. Les derniers mots prononcés par cet homme avaient poussé tout mon corps à agir conformément à ce qui était encré au plus profond de mon être : l'instinct. Ce n'était pas par réflexion que j'avais levé ma lame pour parer son assaut, mais par simple instinct, né de l'expérience des combats que j'avais livrés jusque-là, de ce qui faisait de moi un véritable guerrier.
Pour la première fois depuis longtemps, on put voir à nouveau cette étincelle particulière habiter mon regard. Cette lueur en disait long sur ce qui se passait en moi. L'afflux d'adrénaline et l'augmentation de mon rythme cardiaque me laissaient alors apprécier à nouveau la joie des combats. Depuis la mort d'Asuna, j'avais tenté d'enterrer en moi cette part de mon âme qui aimait combattre, qui adorait croiser le fer... mais indubitablement, je ne pouvais me défaire de ce qui constituait ma vraie nature. Cela faisait plusieurs mois que ce n'était pas arrivés... mais mon oeil artificiel se mit alors à luire d'une étrange lueur, avant de s'embraser dans une flamme bleuté qui n'était due qu'à sa surbrillance. Mais ce n'était pas ce qui fut le plus surprenant. Au moment même où la lumière semblable à une flamme émana de mon œil, Kurayami-Hime me donna alors l'impression de répondre à ce sentiment, à ce désir de combattre. L'atmosphère se fit encore plus oppressante jusqu'à ce que finalement... l'épée noire ne se mette à briller à son tour d'un éclat écarlate, pour finalement s'embraser, brûlant le poing posé sur elle.
A dire vrai, j'étais dans un tel état de concentration et d'excitation par le combat que je m'en rendis à peine compte. Tandis que mon adversaire reculait en serrant sa main brûlée par l'épée contre lui en hurlant, je m'avançais vers lui, tendant mes armes de chaque côté de ma personne. Je venais d'éveiller la véritable force de mon Kitetsu, sa véritable capacité qui, apparemment, répondait à l'instinct désireux de combattre de son propriétaire. En fixant l'inconnu face à moi qui commençait à regretter ses provocations, j'affichais un visage morne, les yeux à demi clos, comme si j'étais à moitié conscient. Plus que moi, c'était mon corps, mué par son désir ardent de croiser le fer avec le maximum de passion, d'intensité qui soit, qui me contrôlait. Alors que mon adversaire était pour le moins surpris de ce retournement de situation, je m'élançais vers lui, menant cette fois-ci une série d'assauts de plus en plus violents, qui, avec le nombre, gagnaient en intensité et rapidité. Bientôt, on entendit plus que les tintements métalliques que produisaient les épées en s'entrechoquant brutalement. On ne vit plus que les étincelles à l'endroit où elles s'étaient rencontrées, les mouvements s'étant fait trop rapides et continus pour que l'on ne distingue si oui ou non, les armes étaient encore à cet endroit.
Faire tournoyer habilement Kurayami-Hime donnait un spectacle assez grandiose et magnifique, le Kitetsu laissant derrière lui une nuée de flammes qui donnait presque l'impression d'un ballet incandescent. A la manière d'un néon que l'on agiterait, l'épée virevoltait avec une fluidité déconcertante pour celui qui lui faisait face. Cette fois-ci, c'était moi qui me plaçait en position offensive, alors que mon opposant ne pouvait que parer du mieux qu'il pouvait devant la rapidité et la fluidité des attaques. Abattant Hiryuushirô à la verticale, le laissait parer alors qu'il mit son arme horizontalement au-dessus de lui, je frappais un grand coup en abattant alors le Kitetsu brutalement sur l'arme, juste à côté de sa jumelle. Les flammes entouraient l'arme maudite et, d'un bref coup d'œil, l'inconnu vit le fer de son arme qui commençait à céder sous la chaleur dégagée par le Sanjou-Oo-Wazamono.
Faisant brusquement basculer son épée sur le côté, il me déséquilibra avant de frapper d'un coup de pied mon flanc droit. Mais je ne bougeais pas d'un pouce suite à cette attaque. Sous mes vêtements, j'avais revêtis un plumage renforcé que l'on ne pouvait pas voir et qui avait bloqué l'attaque, à la manière d'une armure d'acier. La surprise générée par la constatation que son attaque n'avait pas eu d'effet me suffit à lever mon arme embrasée vers la gorge de mon adversaire, l'arrêtant à la limite du contact physique, à peine moins d'un centimètre à côté de son épiderme. La chaleur que dégageait l'épée suffit néanmoins à noircir la peau du jeune homme, alors que je le fixais avec un regard empli de détermination. Il savait ce que j'attendais de lui et ce qui risquait d'arriver si je ne l'obtenais pas. Transpirant à grosses gouttes, sans doute à cause de la chaleur, ou peut-être même de la peur, il finit par balbutier quelques mots.
- Je... J'abandonne !
A peine eut-il prononcé ces paroles que l'arbitre siffla la fin du match. Mais dissiper le désir de combattre n'était pas si facile. Il ne s'agissait pas d'un simple bouton sur lequel on appuyait pour l'allumer ou l'éteindre. Je relevais alors soudainement mon arme pour l'abattre vers mon opposant. Mais à l'instant où j'allais l'occire, des réminiscences d'Asuna assaillirent mon esprit. Cet homme... n'avait rien à voir avec ceux qui m'avaient poussé à enfouir mon instinct guerrier au plus profond de moi. A l'instant même où l'arme allait trancher le cou du jeune homme, le feu qui embrasait celle-ci disparu, de même que la lueur azuré de mon œil artificiel. Mon adversaire avait fermé les yeux en pensant qu'il allait perdre la tête, mais le son qu'il entendit fut celui des armes que je rangeais dans leur fourreau respectif. Un léger silence pesa alors sur l'assemblée qui se demandait ce qui s'était passée, tandis que je fis volte-face, tournant le dos à mon ancien opposant pour me diriger vers la sortie.
Je quittais le ring sans dire un mot, toujours le regard un peu livide, masquant le fait que j'étais moi-même surpris de ce qui venait de se passer. Mais laisser apparaître mon incompréhension en ce lieu bondé de monde n'aurait pas été une bonne chose. Je fixais alors Gehennos qui m'observait avec une mine plus sérieuse que d'habitude. Le Cerbère avait bien connu l'ancien propriétaire de ces armes. Il devait sans doute savoir de quoi il s'agissait. Mais s'il n'avait pas pris la peine de me mettre en garde lorsque je l'avais rencontré, alors c'était sans doute parce qu'il s'attendait à ce que je trouve la solution au problème qu'elles posaient par moi-même. Lui faisant alors un signe de tête, je l'invitais à me suivre pour aller regarder les autres combats qui se déroulaient un peu partout. Passant ma main sur ma bouche pour essuyer le sang qui avait coulé de celle-ci, je finis par arriver précisément là où je le voulais : l'arène de combat où le numéro soixante-neuf allait livrer bataille. Une bonne occasion de réunir quelques informations sur cet homme et de décider si, oui ou non, nous allions lui proposer nos services...