Personne, nulle part. Il se tient là dans la salle de bains, debout nu sur le carrelage encore tiède de vapeurs, roi sans artifice au centre de son monde. Devant lui la grande glace renvoie la silhouette indistincte d'un homme bien fait, bien né. La sinistre cicatrice remonte telle un reptile son avant-bras à travers les brumes, plus sûre ancre pour sa personnalité que ses empreintes digitales. Il l'observe d'abord dans la glace puis en vrai. La remonte d'un doigt opposé jusqu'au coude, l'air presque curieux de ce trait qu'il connaît pourtant si bien. Puis l'image dans le miroir s'affine, comme se précise le focus de la première sur le sceau du maître-verrier qui a confectionné le second pour l'hôtel :
Maître... Niklas... Falmel...
Les syllabes sont bien détachées, à haute voix, avec pour public le seul éther. Le son est un peu rauque, celui d'un fumeur régulier mais pas abusif. Le reflet, désormais pieds et torse nus seulement, a pris quelques rides et pas mal de mèches blanches, qu'il coiffe vers l'avant en prenant soin d'éclater les quelques épis nés dans le mouvement.
Maître Niklas Flamel. Hm.
Son invocation de l'artisan semble convenir au reflet, qui regagne un instant la chambre pour y récupérer une chemise blanche. Il l'enfile lentement, les épaules un peu raidies, une vieille tendinite peut-être. Les boutons du bas sont un peu serrés, la coupe est certes ajustée mais le ventre d'un quadragénaire avancé n'a plus toute sa tenue non plus, il faut bien le reconnaître. L'homme soupire doucement en pensant à sa femme si loin, à ses cheveux, blond vénitien, dit-on ?
Quelle affaire.
Il a passé ses boutons de manchette avec respect, ils lui viennent de son père mort il y a un ou deux ans, deux déjà. Le temps a passé si vite. Le petit dernier n'aura pas connu son grand-père. D'un pas bien équilibré, de l'être sûr de lui, il retourne vérifier sa mise dans la glace, puis ressort aussitôt, satisfait, pour enfiler chaussettes et chaussures, un côté puis l'autre, par une vieille habitude d'enfance. Toc, toc, pile à l'heure. L'horloge sur la cheminée confirme.
Monsieur ? C'est le repas que vous avez commandé.
Vous pouvez entrer.
La femme de chambre ouvre et par le battant se confirme qu'elle peut entrer. Le client la laisse avancer son petit chariot vers la table centrale, en ajustant un peu les plis de sa chemise, près de la ceinture. Sur le lit, s'exécutant, elle note une veste noire bien étalée et quelques cravates. Une noire, une d'un rouge sombre, une autre d'un bleu pâle et une dernière d'un bleu sombre avec des motifs trop voyants.
Eryn, c'est ça ?
Surprise, elle détourne le regard par réflexe et s'affaire à mettre le couvert et présenter les plats, comme prise en faute. Puis comme il s'est figé, semblant attendre une réponse, elle ose le regarder à nouveau et le dévisage timidement. La réception lui a dit de faire attention avec lui, que c'était une sommité ou quelque chose comme ça, un type de la haute, un notable de passage pour affaires. Il lui sourit bonhomment, pourtant. Elle hoche la tête.
La rouge, plutôt, non ?
Il fait des essayages entre plusieurs, s'étudiant du coin de l'œil dans la glace de la salle de bains par la porte entr'ouverte, conservant son regard principalement sur elle. Il a une mimique de prière. Elle toussote, inquiète pour son travail.
Le... Le bleu pâle va bien avec vos yeux je trouve, Monsieur.
La jeune femme pique un fard. Ce ne sont pas des questions qu'on pose à une femme de chambre de son âge.
Va pour la bleue alors, merci Eryn.
Je m'occuperai du reste, tenez.
L'élue jetée sur son épaule, il rangeait les autres mais s'est approché d'un pas étouffé par la moquette. Sa main sereine lui tend deux billets que la jeune femme reçoit en notant les détails sur la table : le plateau de viande fume un peu mais le vin n'est même pas ouvert. Elle veut finir son travail, il l'en empêche en la saisissant par le poignet. Je m'occuperai du reste, répète-t-il, les lèvres aimables mais serrées. Douces mais fermes. À nouveau elle hoche la tête. Ces gens de la haute... Parfois ils veulent qu'on leur porte la cuillère à la bouche, parfois ils sont humains. Clac, sortie.
Pierce ferme le dernier bouton, exécute sans se regarder le nœud social. La préciosité du tissu, la sécurité de l'uniforme, un peu personnalisé par la couleur, jolie couleur, mais uniforme malgré tout, le rassurent comme elles l'amusent.
Maître... Niklas... Falmel...
Les syllabes sont bien détachées, à haute voix, avec pour public le seul éther. Le son est un peu rauque, celui d'un fumeur régulier mais pas abusif. Le reflet, désormais pieds et torse nus seulement, a pris quelques rides et pas mal de mèches blanches, qu'il coiffe vers l'avant en prenant soin d'éclater les quelques épis nés dans le mouvement.
Maître Niklas Flamel. Hm.
Son invocation de l'artisan semble convenir au reflet, qui regagne un instant la chambre pour y récupérer une chemise blanche. Il l'enfile lentement, les épaules un peu raidies, une vieille tendinite peut-être. Les boutons du bas sont un peu serrés, la coupe est certes ajustée mais le ventre d'un quadragénaire avancé n'a plus toute sa tenue non plus, il faut bien le reconnaître. L'homme soupire doucement en pensant à sa femme si loin, à ses cheveux, blond vénitien, dit-on ?
Quelle affaire.
Il a passé ses boutons de manchette avec respect, ils lui viennent de son père mort il y a un ou deux ans, deux déjà. Le temps a passé si vite. Le petit dernier n'aura pas connu son grand-père. D'un pas bien équilibré, de l'être sûr de lui, il retourne vérifier sa mise dans la glace, puis ressort aussitôt, satisfait, pour enfiler chaussettes et chaussures, un côté puis l'autre, par une vieille habitude d'enfance. Toc, toc, pile à l'heure. L'horloge sur la cheminée confirme.
Monsieur ? C'est le repas que vous avez commandé.
Vous pouvez entrer.
La femme de chambre ouvre et par le battant se confirme qu'elle peut entrer. Le client la laisse avancer son petit chariot vers la table centrale, en ajustant un peu les plis de sa chemise, près de la ceinture. Sur le lit, s'exécutant, elle note une veste noire bien étalée et quelques cravates. Une noire, une d'un rouge sombre, une autre d'un bleu pâle et une dernière d'un bleu sombre avec des motifs trop voyants.
Eryn, c'est ça ?
Surprise, elle détourne le regard par réflexe et s'affaire à mettre le couvert et présenter les plats, comme prise en faute. Puis comme il s'est figé, semblant attendre une réponse, elle ose le regarder à nouveau et le dévisage timidement. La réception lui a dit de faire attention avec lui, que c'était une sommité ou quelque chose comme ça, un type de la haute, un notable de passage pour affaires. Il lui sourit bonhomment, pourtant. Elle hoche la tête.
La rouge, plutôt, non ?
Il fait des essayages entre plusieurs, s'étudiant du coin de l'œil dans la glace de la salle de bains par la porte entr'ouverte, conservant son regard principalement sur elle. Il a une mimique de prière. Elle toussote, inquiète pour son travail.
Le... Le bleu pâle va bien avec vos yeux je trouve, Monsieur.
La jeune femme pique un fard. Ce ne sont pas des questions qu'on pose à une femme de chambre de son âge.
Va pour la bleue alors, merci Eryn.
Je m'occuperai du reste, tenez.
L'élue jetée sur son épaule, il rangeait les autres mais s'est approché d'un pas étouffé par la moquette. Sa main sereine lui tend deux billets que la jeune femme reçoit en notant les détails sur la table : le plateau de viande fume un peu mais le vin n'est même pas ouvert. Elle veut finir son travail, il l'en empêche en la saisissant par le poignet. Je m'occuperai du reste, répète-t-il, les lèvres aimables mais serrées. Douces mais fermes. À nouveau elle hoche la tête. Ces gens de la haute... Parfois ils veulent qu'on leur porte la cuillère à la bouche, parfois ils sont humains. Clac, sortie.
Pierce ferme le dernier bouton, exécute sans se regarder le nœud social. La préciosité du tissu, la sécurité de l'uniforme, un peu personnalisé par la couleur, jolie couleur, mais uniforme malgré tout, le rassurent comme elles l'amusent.