Page 2 sur 2 Précédent  1, 2

[1626] Quittances.

Rappel du premier message :

Personne, nulle part. Il se tient là dans la salle de bains, debout nu sur le carrelage encore tiède de vapeurs, roi sans artifice au centre de son monde. Devant lui la grande glace renvoie la silhouette indistincte d'un homme bien fait, bien né. La sinistre cicatrice remonte telle un reptile son avant-bras à travers les brumes, plus sûre ancre pour sa personnalité que ses empreintes digitales. Il l'observe d'abord dans la glace puis en vrai. La remonte d'un doigt opposé jusqu'au coude, l'air presque curieux de ce trait qu'il connaît pourtant si bien. Puis l'image dans le miroir s'affine, comme se précise le focus de la première sur le sceau du maître-verrier qui a confectionné le second pour l'hôtel :

Maître... Niklas... Falmel...

Les syllabes sont bien détachées, à haute voix, avec pour public le seul éther. Le son est un peu rauque, celui d'un fumeur régulier mais pas abusif. Le reflet, désormais pieds et torse nus seulement, a pris quelques rides et pas mal de mèches blanches, qu'il coiffe vers l'avant en prenant soin d'éclater les quelques épis nés dans le mouvement.

Maître Niklas Flamel. Hm.

Son invocation de l'artisan semble convenir au reflet, qui regagne un instant la chambre pour y récupérer une chemise blanche. Il l'enfile lentement, les épaules un peu raidies, une vieille tendinite peut-être. Les boutons du bas sont un peu serrés, la coupe est certes ajustée mais le ventre d'un quadragénaire avancé n'a plus toute sa tenue non plus, il faut bien le reconnaître. L'homme soupire doucement en pensant à sa femme si loin, à ses cheveux, blond vénitien, dit-on ?

Quelle affaire.

Il a passé ses boutons de manchette avec respect, ils lui viennent de son père mort il y a un ou deux ans, deux déjà. Le temps a passé si vite. Le petit dernier n'aura pas connu son grand-père. D'un pas bien équilibré, de l'être sûr de lui, il retourne vérifier sa mise dans la glace, puis ressort aussitôt, satisfait, pour enfiler chaussettes et chaussures, un côté puis l'autre, par une vieille habitude d'enfance. Toc, toc, pile à l'heure. L'horloge sur la cheminée confirme.

Monsieur ? C'est le repas que vous avez commandé.
Vous pouvez entrer.

La femme de chambre ouvre et par le battant se confirme qu'elle peut entrer. Le client la laisse avancer son petit chariot vers la table centrale, en ajustant un peu les plis de sa chemise, près de la ceinture. Sur le lit, s'exécutant, elle note une veste noire bien étalée et quelques cravates. Une noire, une d'un rouge sombre, une autre d'un bleu pâle et une dernière d'un bleu sombre avec des motifs trop voyants.

Eryn, c'est ça ?

Surprise, elle détourne le regard par réflexe et s'affaire à mettre le couvert et présenter les plats, comme prise en faute. Puis comme il s'est figé, semblant attendre une réponse, elle ose le regarder à nouveau et le dévisage timidement. La réception lui a dit de faire attention avec lui, que c'était une sommité ou quelque chose comme ça, un type de la haute, un notable de passage pour affaires. Il lui sourit bonhomment, pourtant. Elle hoche la tête.

La rouge, plutôt, non ?

Il fait des essayages entre plusieurs, s'étudiant du coin de l'œil dans la glace de la salle de bains par la porte entr'ouverte, conservant son regard principalement sur elle. Il a une mimique de prière. Elle toussote, inquiète pour son travail.

Le... Le bleu pâle va bien avec vos yeux je trouve, Monsieur.

La jeune femme pique un fard. Ce ne sont pas des questions qu'on pose à une femme de chambre de son âge.

Va pour la bleue alors, merci Eryn.

Je m'occuperai du reste, tenez.

L'élue jetée sur son épaule, il rangeait les autres mais s'est approché d'un pas étouffé par la moquette. Sa main sereine lui tend deux billets que la jeune femme reçoit en notant les détails sur la table :  le plateau de viande fume un peu mais le vin n'est même pas ouvert. Elle veut finir son travail, il l'en empêche en la saisissant par le poignet. Je m'occuperai du reste, répète-t-il, les lèvres aimables mais serrées. Douces mais fermes. À nouveau elle hoche la tête. Ces gens de la haute... Parfois ils veulent qu'on leur porte la cuillère à la bouche, parfois ils sont humains. Clac, sortie.

Pierce ferme le dernier bouton, exécute sans se regarder le nœud social. La préciosité du tissu, la sécurité de l'uniforme, un peu personnalisé par la couleur, jolie couleur, mais uniforme malgré tout, le rassurent comme elles l'amusent.
  • https://www.onepiece-requiem.net/t3263-
  • https://www.onepiece-requiem.net/t3210-
[1626] Quittances. - Page 2 Ri10


Vous vous foutez de moi ? Comment ça, vous savez pas où est cette catin ?
Brick, vous devenez insultant. Je n'aime pas trop qu'on insulte, surtout quand c'est moi la cible par ricochet.

L'escargophone fait les gros yeux à Ri Solète mais la solide blonde reste bien assise dans son fauteuil cuir, sans trembler même d'une oreille. Elle en a vu, des menaces, parfois venues de ripoux, ou d'innocentes victimes d'erreurs judiciaires, les pires. La rage, elle connaît, elle laisse glisser. Ses yeux se plissent, ceux de l'escargophone face à Kaas Brick également.

Je vous l'ai donné sur un plateau, non, ce Jean d'eau que vous vouliez ?
John Doe.
John Doe. Vous l'avez perdu, vous avez perdu Stern avec. Ce sont vos pertes, Colonel, votre tête... Ne venez pas pleurnicher dans mes jupons après, vous comme moi avons passé l'âge.

Ce sera tout ?

La petite bestiole sur sa feuille de salade semble prête d'exploser. Elle semble urger l'agent spécial de clore la conversation pour ne pas mourir d'un arrêt cardiaque. Est-ce que les escargots ont un cœur susceptible de s'arrêter ?

Bon courage, Colonel. La prochaine fois, n'utilisez pas ce numéro et passez par le standard, je vous prie.

Gotcha. Une caresse plus tard pour sa brave œuvre, le si petit être est remisé dans sa boîte, presque hermétique, et sa boîte dans le tiroir plombé du bureau quinzième siècle, presque hermétique lui aussi. Deux presque valent mieux qu'un parfait insoupçonnable et insoupçonné en matière de communications. Solète relève ses paupières vers la silhouette  assise en silence face à elle, chevilles croisées sur le fauteuil de style Gentry réservé aux visiteurs.

Où en étions-nous. Ah, oui. Vous avez bien conscience de ce que vous demandez, Agent, hm... Grim ?

L'ombre garde le silence. Le petit bureau baroque résonne d'un tac-tac, celui du talon de Solète contre le sol. L'aplomb et la détermination face à elle sont admirables. Il fallait oser, venir ici. Le convoyeur révolutionnaire et la piste du navire avant étaient un bon laissez-passer... Est-ce qu'elle l'aurait reçue sans ?

Fort bien. Vous déposerez cette enveloppe, à sept heures précises, pas un instant de plus, pas un instant de moins, à l'adresse écrite dessus. Mémorisez-la, l'encre disparaîtra d'ici une dizaine de

Le pli tout juste scellé par Ri est englouti dans les vêtements de la femme aux longs cheveux noirs de jais, déjà prête à quitter la pièce. Solète se pince le nez avant que le pêne de la porte ne joue.

Grim. Comme vous l'avez souligné, je vous devais une faveur pour... cette histoire de trains. Nous sommes quittes.
Oui.
Pas d'amertume ?
Pas d'amertume.
Adieu, Grim.


[1626] Quittances. - Page 2 324812Grim
  • https://www.onepiece-requiem.net/t3263-
  • https://www.onepiece-requiem.net/t3210-
  • https://www.onepiece-requiem.net/t3263-
  • https://www.onepiece-requiem.net/t3210-
Quelqu'un.

Deux formes dans un bar, au milieu du tableau vivant de ceux qui s'ennuient, trompent l'attente en l'oubliant. Deux formes vagues, silhouettes pourtant sous les projecteurs certes tamisés de la partie assise de l'établissement. Il a une barbe de trois jours, elle un foulard. Devant elles, par là-bas et un peu ici aussi, des se trémoussent contre d'autres qui ne les repoussent pas toujours. On ne s'entend pas beaucoup, la musique semble bonne, une mélodie sans doute un peu jazz saupoudrée de lourdes additions plus exotiques, peut-être bien venues des territoires reculés de North Blue, vers Inari, mais le musicien principal se laisse aller. Les sonorités se mélangent trop et l'harmonie devient un bruit comme les autres. Personne n'y fait attention que les deux ombres d'humains ; les autres, les vrais, sont bien trop concentrés sur la partie de vie qui se joue autour d'eux. Personne n'y fait attention.

L'une des silhouettes s'évapore un peu en direction de l'autre par-dessus les verres vides qu'ils ont éclusés. Elle lui murmure à l'oreille un mot ou deux, peut-être bien cinq qui sait. L'autre tripote une pointe de son couvre-chef un peu passé de mode, posé à droite de sa consommation. L'homme n'est pas nerveux. L'avantage quand on n'est pas là, c'est qu'on n'a à s'inquiéter que de peu de questions qui pourraient surgir. Les serveurs et les hôtesses passent autour d'eux en évitant un obstacle qu'ils n'identifient pas, ou si peu. Des gens, quelqu'un, une présence, c'est tout ce qu'ils contournent, tout ce qu'ils auront contourné s'ils se souviennent du moment dans un avenir indéfini.

Indéfini.

La pelote de conversations qui s'emmêle dans le voisinage ne les incommode pas, ils sont l'œil de la tempête et la tempête glisse dans leur périphérie, jamais mordante, jamais pesante, et la tempête les ignore et les épargne. Parfois, un vent plus violent les atteint malgré tout, un cri plus aigu dont leur oreille identifie l'origine aussi sûrement qu'un aigle la brebis isolée. Ils prennent notes, attentifs, mais n'useront pas de ces notes. Ils attendent, patients, mais ne s'impatienteront pas, dussent-ils passer la nuit et l'aube et la journée dans ce lieu quelconque de l'activité humaine.

Je crois que c'est lui.
Tu penses ?
Ses deux voisins ne sont pas avec lui.
Hm.
Quand il crie, ils n'entendent pas. Quand ils crient, il n'écoute pas.

L'homme n'est pas convaincu mais fixe un peu plus souvent celui là-bas qui lui ressemble tant et qui lui ressemble si peu. En effet il détonne, trop là et pas assez, absent à la face de tout le monde. Mais seule elle peut le regarder sans faillir, les femmes ont ce pouvoir, cette liberté. Il ne détourne pas les yeux. C'est bien lui, mais qui saurait qu'il n'est pas juste sensible aux charmes de celle qui le dévisage ? Eux deux le savent, savent et attendent.

Hé là, Chérie ?
Trésor ?
Une pinte bien fraîche, veux-tu ? C'est que je commence à y voir trop clair, les femmes sont moins belles.
Même moi ?!
Sauf toi bien sûr...
Je préfère ! Et toi ma jolie ?
Rien de trop chargé, faudrait pas donner des idées de profiter de moi à Milord...
Hihi, ça arrive tout de suite !

La serveuse se retire vers le comptoir et l'homme n'est plus un marchand trompant son épouse lors d'un passage à la capitale, la femme n'est plus sa conquête de bas étage du soir. Quand la pulpeuse revient ils le sont à nouveau, puis s'éteignent. Il n'y a pas de gêne dans leurs regards, pas d'embarrassement mutuel face aux rôles pris par l'un et l'autre.

Franklin ! Enfin te voilà, on t'attendait vieux bougre !
Theodore ! J'ai été retenu aux quais, tu sais, après Tahgel et Jacob, ils sont casse-couilles pour un rien...
Parle-m'en, hier j'ai dû vider mes cales deux fois parce que le lieutenant aimait pas la moustache de mon second !
Et ici c'est pas comme à Orange, ils se laissent pas attendrir, hein... Tu me présentes pas ?
Franklin, la délicate Condie. Condie, Franklin, un vieux truand.
Truand, truand... C'est un plaisir, très somptueuse.

Si quelqu'un avait observé ces retrouvailles, ç'aurait été l'instant où peut-être il aurait percé les masques. Dans le hochement de tête de Freja à Marcus Devett, il y a eu un éclair de reconnaissance, déplacé dans les yeux d'une fille de joie pour l'ami de son amant du soir. Et dans l'absence de hochement de tête de Marcus à Freja puis John, il y avait la réponse à cette gratitude. Une réponse tacite donc, humble et discrète, mais une réponse. Mais déjà les trois se rasseyent, après une effusion de plus derrière laquelle disparaissent ces erreurs, qui n'étaient que la preuve finale de leur humanité à tous les trois. Ça y est, trois révolutionnaires lambdas complotent à couvert dans un bar...
  • https://www.onepiece-requiem.net/t3263-
  • https://www.onepiece-requiem.net/t3210-
-Avant de discuter, je dois confesser que, John Doe, mon garçon, j'aime beaucoup ce que vous faites.
  • http://oprannexe.onepiece-forum.com/t326-cp6
    Page 2 sur 2 Précédent  1, 2
    Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum