Il y avait trop de flammes dans ce pays. Pourquoi diable existait-il si peu de personnes capable de créer de l'eau ? Pauvre Gardens, il devait régulièrement être acculé en vérité. Tout ce que Rachel aurait voulu, là, tout de suite, c'est un bain. Eau douce, eau de mer, eau des glaciers, peu lui importait : elle brûlait et n'aspirait qu'à ce que sa peau soit refroidie. Heureusement que les flammes brûlèrent les restes de cosse et qu'elle se détacha de Rachel d'elle même, mais elle avait malgré tout l'impression de se consumer de l'intérieur, d'avoir des braises dans les veines. Si elle avait su pour la fleur blanche, elle aurait probablement compris, mais elle n'en avait même pas eu le temps de s'apercevoir du sale tour que Gardens lui avait joué. Et pour l'heure elle s'en fichait.
Que n'aurait-elle pas donné pour échanger sa robe contre une tenue ignifugée de la gamme Sea Wolves.
Passa par là la silhouette qui enterre les vivants. Elle était à côté de Rachel ; et elle aurait pu s'en rendre compte si elle n'était pas en train de se rouler par terre dans l'espoir d'éteindre les flammes. La silhouette donna un coup de pelle dans la terre meuble et creusa instantanément un trou de la dimension parfaite pour notre commandante. D'un coup de pied, elle la fit rouler dans le trou sans se formaliser des cris de la brune qui ne s'aperçut de rien. Finalement, elle finalisa son œuvre d'un dernier coup de pelle qui recouvra entièrement Rachel et l'ensevelit. Il n'y eut soudain plus d'air pour les restes de flammes et seules des braises persistèrent quelques secondes, mais la silhouette s'en moquait, elle avait déjà disparue avant que Lin n'ait réussi à guider sa montagne de muscles jusqu'à sa collègue éternelle.
Un bras à la manche attaquée par les flammes jaillit de la terre meuble quand Lin et le jeune garçon à la hache arrivèrent à son niveau. Le haut du corps se redressa comme l'aurait fait un zombie dans un mauvais film Z, puis elle extirpa ses jambes tant bien que mal. Elle regarda Lin et sa monture, interloquée.
-J'ai pas compris...
-Nous non plus... De la biafine ?
-Volontiers.
-On a un souci, Commandantes. Laureen a réussi à lui mettre une balle dans la tête mais il continue de marcher et de combattre, c'est ennuyeux non ?
-On dirait le gardien d'un pont en armure noire. Il lui manque un bras, une jambe, il a un poumon percé voire le cœur, il a une balle dans la tête mais il continue de se battre... Qu'est-ce qui va se passer si on lui coupe la tête ?
-Il pourra plus trop bouger son corps.
-Mais il restera ses plantes, non ?
-Faudrait la foutre à l'eau !
-Bonne idée. Où est... euh... Laureen ?
-Il l'a tuée...
Rachel se redressa et étira ses chevilles tandis que le médecin aux cheveux en balais brosse lui appliquait de la biafine par couches généreuses sur ses brûlures les plus lourdes. Douloureuses mais guère incapacitantes. Elle s'en tirait plutôt bien jusqu'à maintenant. Combien de temps cette situation allait-elle durer ? Ha. Elle n'arrivait même pas à être touchée par la mort d'une marine sous sa protection. Ça devenait grave ; il faudrait qu'elle aille voir un psy. Plus tard.
-Il faut que notre prochaine attaque soit décisive.
Personne n'eut l'envie ou le besoin d'ajouter une parole. Le garçon pleurait en silence son amie disparue et Lin se débattait aux mains du médecin urgentiste. Ce dernier n'avait de toute façon pas décroché une parole depuis le commencement.
-Mais au fait, où est-il ?
Sous leurs pieds, le sol craqua et un tournesol géant surgit. Les marins s'écartèrent d'un bond mais la plante tournoya et projeta sur tous des pétales au premier abord dangereux. Rachel eut le temps d'être impressionnée par la façon dont le médecin évita chaque assaut sans y prêter attention. Le jeune garçon jeta la civière à laquelle Lin était attachée haut dans le ciel pour l'en préserver. Rachel parvint à esquiver la salve et à parer les rares projectiles qui l'atteignirent. Mais lorsqu'elle se retourna, elle put observer l'intérieur du ventre du bodybuilder, arraché par la poigne ligneuse du lieutenant de Teach. Sans personne pour la rattraper, la civière alla s'écraser plus loin dans un cri pathétique que la tigresse poussa, rouvrant probablement la flamme de ses blessures et de sa hargne.
Gardens n'avait plus rien d'humain. Toute la moitié de son corps était remplacé par des plantes, des fleurs et des épines galvanisées à la chlorophylle. Du trou dans son sternum, l'épée de Rachel dépassait encore mais elle était dévorée par une plante qui se développait sur le métal. Au milieu de son front, là où la balle de l'artificière l'avait atteint, un rosaire sanguin se développait et de petites tiges sortaient de ses sourcils et même de ses yeux. On aurait dit un parasite installé dans le corps de l'homme. Ses trois mètres et sa posture courbée sur ses membres arboricoles lui donnaient encore plus l'apparence d'un cadavre ambulant. Peut-être était-ce ça le souci. S'ils n'arrivaient pas à le tuer c'était peut-être parce qu'il était déjà mort. S'il ne parlait pas, également.
-En fait il me faudrait juste du désherbant...
Ses membres ligneux s'allongèrent soudainement. En une fraction de seconde, Gardens avait le poing au niveau de la tête de Rachel qui eut tout juste le réflexe d'y opposer le genou. La puissance du coup et la différence de poids envoya voler notre commandante jusque dans la forêt à plusieurs dizaines de mètres de là. Trois arbres s'écroulèrent avant qu'elle ne s'immobilise dans le lichen imprégné de sang.
-Arghh...
Le visage émacié du lieutenant était de nouveau là. Une fleur blanche à moitié rouge à son pourpoint. C'était la seule tâche de couleur qu'elle put voir avant qu'un arbre se torde soudainement en un swing inquiétant et ne la cueille au côté, la propulsant une nouvelle fois vers Gardens en un home-run à lui faire cracher du sang. Le bras titanesque la saisit au visage et l'encastra dans la terre trempée de cette pluie noire et pâteuse qui tombait sur Thriller Bark depuis le début de la journée. Rachel hoqueta, le souffle coupé, et cracha une motte de terre. Son regard se posa sur le pied vert qui prit l'aspect d'une fourche. Mais surtout, elle avisa la garde de son sabre, toujours planté dans son corps, quelque part au niveau de son plexus. Même à moitié mangée, il fallait qu'elle s'en saisisse. D'un Soru qui ressembla presque à un Geppou, elle se propulsa hors de la portée de la fourche qui fissura le sol et créa un mini canyon que Rachel fut heureuse d'avoir évitée.
Elle se remit debout aussi vite qu'elle le put, en prêtant attention à tout son environnement : dans la forêt de Thriller Bark, Gardens avait bien plus que l'avantage. Ses pieds la faisaient souffrir, mais elle serra les dents. Elle sentait de fines coulées de sang dans son dos et le trou qu'elle avait dans la poitrine palpitait douloureusement. Rachel inspira profondément et se mit en garde. Gardens attaquait de nouveau.
Son bras s'allongea à la manière d'un chewing punch mais Rachel réagit au quart de tour. D'un Soru, elle fonça vers le bras et passa juste à côté. Elle saisit une liane qui s'entortillait dans et autour du bras gauche du quasi élémental et poursuivit sa course. Rebondissant d'un arbre sur la droite du lieutenant puis sur un autre à ses sept ou huit heures, la liane s'enroula autour de sa gorge avant qu'il n'ait pu réagir. Du coin de l'œil, elle vit le bras revenir vers elle, mais elle avait trop d'avance. Son regard s'embrasa d'une lueur verte et le sol à ses pieds vibra de cette onde que seule la chaleur sur une surface brûlante peut créer. La liane dans sa main se couvrit d'une couche noire de haki et lorsqu'elle tira sauvagement dans un hurlement de rage, elle espéra qu'une seule chose, que sa tête se décroche de ses épaules.
Trois plantes carnivores jaillirent à ses pieds et bondirent sur la liane pour la trancher et sur le bras et la jambe de Rachel. La première se brisa les dents végétales sur la corde, recouverte de haki jusqu'à l'épaule de Gardens, tandis que les deux autres s'enfoncèrent profondément dans la cuisse et le bras droit de la marine. Elle accusa le coup mais garda sa prise. Malheureusement, Gardens se ressaisit et se jeta sur elle. Déséquilibrée, elle ne put que présenter son dos à l'assaut qu'il donna. De son énorme pied, il visa les reins de Rachel à la manière d'un rhinocéros, l'envoyant ricocher loin sur les rochers et les racines de la forêt. Elle réussit à se remettre debout dans un long dérapage avant de heurter le quatrième arbre et tomba à genoux en hurlant. Elle se tenait difficilement son côté droit où une ou plusieurs côtes flottantes s'étaient brisées net. Le Lieutenant déboula d'entre deux buissons de six mètres de haut, le bras armé pour l'écraser comme une vulgaire araignée. Son torse était presque entièrement recouvert de lianes et de racines. Elle esquiva d'un demi-tour vers la droite le poing de géant qui creusa un puits dans le sol, puis d'un demi-tour supplémentaire suppléé d'un Soru qui lui donna le tournis, elle abattit la pointe de son pied droit directement sur la nuque de son adversaire. La douleur fulgura dans toute sa jambe et elle crut que sa cheville s'était cette fois brisée. Entre son dos et ses jambes mal en point, elle manquait cruellement de force. Pire, en atterrissant, elle aperçut que Gardens n'avait rien fait d'autre qu'ériger une armure d'écorce. Elle avait certes volé en morceaux, mais la gorge du lieutenant était toujours immaculée.
Du coude vert, un bourgeon naquit puis explosa soudainement. Une centaine de graines fumantes fulgurèrent vers une Rachel épuisée et haletante. D'un Soru qui relevait plus du réflexe que de la raison, elle s'éloigna en arrière du danger. Avec la vitesse, elle eut énormément de mal à esquiver le piège à loup en mousse et de lichen qui tenta de la happer toute entière, obligée de s'échapper d'un bond providentiel vers les hauteurs et la cime des arbres. Avec la vitesse et l'énergie que les coureurs de fond réservent pour le sprint final, elle décolla si haut qu'elle crut avoir réalisé un Geppou, ce qui n'était pas vraiment loin de la vérité.
Comme toutes les techniques des six formes, elle connaissait la théorie, mais elle était loin de maîtriser la pratique. Et au vu des centaines de ronces qui s'extirpèrent du couvert des arbres en la prenant pour cible, elle regretta d'avoir sèché les cours du Geppou et du Kami-e.
Il y eut de nombreux croassements au milieu du capharnaüm de la guerre. Une volée de plumes tourbillonna autour de la marine alors qu'elle commençait à chuter, incapable de garder les hauteurs. Les becs et les griffes s'attaquèrent sans vergogne aux ronces, les déviant de la trajectoire de Rachel, certaines largement, d'autres juste assez pour qu'elle évite les épines, mais beaucoup écorchèrent son visage et ses vêtements. Pauvre robe. Elle allait finir en culotte avant la fin de la journée.
-Il est là-bas.
À la manière d'un acrobate parachutiste, elle se pencha en avant pour se diriger, un corbeau accroché dans le dos pour lui permettre de garder le contrôle. Elle le vit du coin de l'œil, le bras planté dans le sol, préparant une contre-attaque qui la laisserait sur le carreau. Elle pouvait l'atteindre en passant par la trouée que des arbres arrachés ou déracinés avaient créé. C'était sa chance. Depuis les airs et avec sa vitesse, elle serait capable de l'avoir.
Le corbeau sur ses épaules l'abandonna en croassant. Suivi d'une dizaines de confrères, il prit Gardens pour cible.
Du sol autour de lui, d'énormes bulbes apparurent et déversèrent un épais nuage de spores et de pollen. Les corbeaux se détournèrent de l'homme-tige pour détruire les bulbes, mais Rachel ne pouvait plus changer de direction. Elle s'enroula sur elle-même, et après quelques tours, elle déversa sur le Lieutenant de Teach deux de son plus puissant Rankyaku, le Jugement Corvidé. Mais sans le hurler pour ne pas révéler sa position. Les ondes tranchèrent le nuage de spores et deux corbeaux périrent ainsi, diminuant un peu plus le nombre de ces oiseaux à ses ordres. Ils allaient finir par ne plus revenir. Déjà que leur confiance ne tenait qu'à un fil.
Elle crut, espéra, mais en vain. Elle n'avait pas touché le sol, à peine dépassé le ramage des arbres, que le pied vert apparut au niveau de sa tête au regard encore fuyant à cause de ses saltos répétés. Le sillon qu'elle creusa entre deux rocs ressembla à s'y méprendre au tracé d'un météore au milieu d'un bois calme. Elle resta allongée dans ce lit bien plus longtemps qu'elle ne l'aurait voulu.
Il apparut au-dessus d'elle. Rachel éprouvait des difficultés simplement à relever la tête pour l'observer. Elle voyait flou d'un œil et avait du sang plein la bouche. Son arcade était salement ouverte et elle sentait du sang suinter d'une blessure à la tête. Sans mentionner toutes les autres blessures accumulées jusque là. Et lui, droit comme un i, il lui manquait le bras végétal et un morceau de son torse, tranché net par une coupure propre dont son jugement corvidé semblait responsable. Elle remarqua seulement que sa jambe restante était complètement retournée sur son axe, visiblement déboitée ou brisée à plusieurs endroits. Comment pouvait-il encore tenir debout ? Il ne lui restait que son bras droit qu'il leva avec lenteur ; il semblait lui peser une tonne.
Des serpents verts sortirent lentement de terre de droite et de gauche et ligotèrent Rachel en commençant par sa gorge qu'elle s'empressa de garnir de haki. Elle ne fut pas blessée et fut libre de respirer, mais elle ne pouvait plus bouger. Ceux qui enserraient son thorax la firent toussoter de douleur. Gardens se laissa descendre jusqu'à elle et elle s'empressa de faire pleuvoir sur lui des mini rankyaku que ses pieds libres purent créer. Il ne chercha même pas à éviter. Il se pencha simplement au-dessus d'elle, du sang goutant de ses lacérations comme s'il n'en avait même pas conscience, et de son bras gauche, il attrapa la rose blanche, à moitié peinte en rouge et la planta dans le trou qui ornait la poitrine de Rachel comme une énième médaille.
Elle put entendre ses articulations craquer et geindre. Elle était persuadée de voir une entaille profonde le long de sa gorge, là où aurait dû se tenir sa carotide, mais au lieu de sang, une espèce de sève verdâtre s'écoulait lentement. Ses yeux étaient vides, mais ils la regardaient comme s'il avait observé, avec une curiosité morbide, un chat mort sur le coin de l'autoroute.
Rachel paniqua. Devant cet air mort, devant son obstination à se relever même tranché de toutes parts. Elle garnit son corps de haki dans un sursaut d'espoir, croyant que ça empêcherait la rose de rentrer dans sa plaie. Mais si la tige fut ralentie une seconde, bloquée par une barrière invisible, Gardens déploya une force insoupçonnée et les épines écorchèrent la plaie en pénétrant au plus proche de son cœur. Une place réservée à Red. Elle se débattit, remua son bras immobilisé, attaqua de ses ongles et de ses dents les rares serpentins qu'elle pouvait atteindre, sans succès. Elle vit la rose blanche se teinter un peu plus de rouge et elle redouta la finalité de cette technique. Ses forces la quittaient. Elle remua les pieds, le bassin, la tête. Tout la faisait souffrir. La chute depuis le plus haut de la cime des arbres l'avait brisée. Elle chercha désespérément du regard quelque chose à atteindre, essaya de déboiter ses épaules grâce au retour à la vie, tenta de déplacer ses veines pour qu'elles ne soient plus à même de se faire aspirer par la fleur, mais c'était trop lent. Elle voulut arrêter son cœur de battre, mais au bout de quelques battements manqués, elle faillit perdre connaissance.
Et soudain, comme frappée par l'évidence, elle concentra son haki dans son bras gauche. Celui qui avait été tranché. Le halo noir prit la silhouette grossière d'une excroissance qui ressemblait à un bras. Elle ne réfléchit pas plus. Il n'était pas entravé et elle frappa sur la garde de son sabre qui dépassait du corps de Gardens.
Il fut projeté à terre. Le sabre se planta à quelques pas de lui, un peu plus loin. Les liens autour de Rachel se liquéfièrent et partirent se réfugier dans la terre comme un mauvais rêve. Lui, il ne bougea plus. La marine se redressa méfiante, le sang lui battant aux tempes. Elle arracha violemment la fleur de sa poitrine et l'effeuilla brutalement. À genoux, elle tendit le cou pour regarder Gardens étonnamment immobile. Où donc se trouvait le truc de ce gars ? Elle se laissa tomber sur les fesses en grognant. À sa droite le corps inanimé de Gardens.
À sa gauche, une masse ligneuse de trois mètres à la silhouette tout de même vachement humaine.
-Non mais...
Un arbre derrière elle se déracina tout seul, elle tourna la tête pour voir un Ent lui décocher un coup de ce qui devait se référer à un pied. Le tronc lui fit voir des étoiles et obscurcit sa vision. Elle qui s'était crue à l'abri se retrouvait soudain dans une merde noire. Elle termina son roulé-boulé dans un nuage de poussières et de feuilles mortes, tant et si bien qu'elle se redressa sur ses genoux pour forcer ses poumons inspirer un air qu'ils refusaient de prendre. Elle toussota et cracha jusqu'à ce que l'oxygène réintègre son corps.
À côté d'elle, la cosse vide de Gardens était étendu. Il n'était plus qu'une marionnette désarticulée et sans vie. Ses membres d'arbres avaient disparus, des nombreuses plaies ne s'écoulait pas une goutte de sang et aucun souffle de vie n'habitait son torse mortifié.
-Bon sang. C'était qu'un hôte ou... ?
Un mouvement. Elle roula sur le côté pour esquiver une lance en bois qui perfora le sol là où elle se tenait l'instant auparavant. Elle parvint à garder ses genoux au sol pour ne pas blesser ses côtes inutilement.
Un éclat. Son sabre était là. Il était brisé mais la pointe restait tranchante et acérée, même matrice d'une étrange substance verte et visqueuse. Elle s'en saisit dans le même mouvement et recula pour éviter un brocoli qui aurait gagné le premier prix au concours agricole du plus gros légume. Et derrière l'arbre, Gardens – ou ce qu'il était devenu – bondit sur elle, toutes branches dehors. Sûr qu'elle se ferait embrocher.
Ses cheveux, las de rester passifs, s'activèrent presque de leur propre volonté. Une gigantesque masse capillaire érigea un bouclier massif qui absorba toute la puissance du coup. Si bien qu'il resta interdit de l'autre côté, comme surpris. Saisissant cet ultime atout qui ne tirait sur aucun de ses membres endolori, Rachel fit fondre sur son ennemi un million d'aiguilles capillaires. Quasiment à bout portant. Et la seule chose qu'il fit, c'est dresser un gros champignon au niveau de son cœur. Enfin, de là où aurait dû se trouver le semblant de cœur sur tout être vivant ordinaire. Peut-être une boule de sève ? Toujours était-il qu'il marqua le coup pour une fois. Percé comme il l'était, même par de simples cheveux, son champ d'action s'en trouva complètement diminué. Non pas que Rachel possédât une force surhumaine dans ses cheveux, mais tous ensemble, plusieurs millions, ils avaient assez de pression sur l'ensemble du corps ligneux pour le ralentir sensiblement.
*T'as intérêt à réfléchir très vite ma vieille !*
Première étape, il fallait qu'elle sorte de cette forêt, même si elle n'avait aucune chance d'y parvenir avec ces plantes à contrôler partout. En en l'air, elle pourrait pas s'orienter et sûr que les lianes la rattraperaient plus vite que la première fois. Il lui faudrait feinter une sortie à la limite. Ça pourrait fonctionner. C'est lui qui la poursuivrait, comme depuis le début. Il fallait qu'elle l'attaque par derrière, il ne s'y attendrait pas ; il menait la danse et la poursuivait sans craindre de véritable contre-attaque depuis sa métamorphose en Ent.
Pourtant, il fallait qu'elle se débarrasse en priorité du champignon : il semblait protéger son point faible et une fois ôté, elle serait capable de viser là où ça fait mal. Et pour une fois, ça n'était pas les parties sensibles du bonhomme. De toute façon, elle ne s'était jamais abaissée à ça.
Fin des courtes secondes d'équilibre. Dans son dos, un tourbillon de liane et de ronces bondit dans le dos de Rachel pour la lacérer. La même attaque qui avait déchiqueté la langue du marin plus tôt. Problème, si elle relâchait Gardens – ou ce qui devait être lui – pour se protéger du nouvel assaut, elle serait à la merci du lieutenant. Qu'à cela ne tienne.
D'un coup d'œil pour parfaire son timing, elle enserra Gardens de ses cheveux puis se laissa tomber sur le ventre. Puis comme on agite un hochet, elle balança la tige humaine contre son attaque dévastatrice, le lâchant contre le tourbillon sans autre forme de procès. Il y eut un son affreux, comme un caillou coincé dans une tondeuse à gazon, mais Rachel ne gâcha pas sa chance à regarder. Elle s'enfuit ventre à terre, persuadée qu'elle serait rattrapée très rapidement. Il lui faudrait improviser, malgré ses douleurs dans les côtes et les chevilles. Elle oublia le Soru et préféra un itinéraire avec des rochers et de la terre plutôt que les buissons et les arbustes. Sur Thriller Bark, la guerre semblait incessante et les hurlements déchiraient toujours le ciel et la pluie.
Derrière elle, le son de pas gigantesques se rapprochaient. Elle esquiva une branche sortie de nulle part et trébucha volontairement sur une racine qui tenta de l'entraver. Elle ralentit sensiblement en accentuant sa démarche boitillante. S'il restait une once d'humanité dans cette chose verte et blanche, elle espérait le leurrer ainsi. Son sabre bien en main, elle se retourna au dernier moment face au marteau gigantesque fait de fleurs et de terre qu'il brandit, prêt à la clouer sur place – et probablement définitivement. Pourvu qu'avec son sabre brisé elle arrive à reproduire les lames d'air courbes qu'elle avait l'habitude de produire avec sa faux.
De ses cheveux, elle para l'attaque descendante d'un bouclier assez sommaire qui ne put amortir la totalité de l'attaque titanesque dont elle fut la cible. L'onde de choc fit s'écrouler deux chênes dans son dos et elle s'enfonça dans le sol jusqu'aux tibias, manquant de la faire crier de douleur à cause de ses chevilles. Elle ne pourrait bientôt plus marcher, mais si elle se débrouillait bien dans les prochaines secondes décisives, elle n'en aurait plus besoin.
De son sabre, elle fit de courts et rapides moulinets qui créèrent des lames d'air courbes. Trois frappèrent directement le tronc de l'homme arbre, mais deux le contournèrent à la manière d'un boomerang. À son tour d'être pris entre deux feux.
Il bondit.
Les lames d'air passèrent juste en dessous de lui et prirent Rachel pour cible. Et avec ses pieds dans le sol et la massue qui l'y encrait par au-dessus, elle ne pouvait pas les éviter. Tant pis, c'était de bonne guerre, et il fallait bien sacrifier des pions pour vaincre.
Rachel sourit.
Les lames la frappèrent sous les côtes et au niveau de la poitrine dans une gerbe de sang qu'elle ignora superbement. Le haki aurait déployé trop de forces et de concentration pour la suite des opérations, et de toute façon, la meilleure défense restait l'attaque. Et maintenant qu'il était en l'air, il était une cible parfaite.
Les cheveux de Rachel fondirent sur le corps ralenti de Gardens. Ils prirent la forme d'un gigantesque corbeau. Uniquement pour le style, s'entend. Le bec fait des cheveux de Rachel tressés par le retour à la vie empalèrent le corps de Gardens comme une vis à bois dans un arbre. Le second bras gigantesque se tendit pour s'encrer dans le sol et le rabattre à terre et son premier se changea en la fourche vue plus tôt. De cette nouvelle arme, il se dégagea des cheveux de la commandante. Cependant, tandis qu'il armait son bras en direction d'une Rachel vacillante, une pincée de cheveux se tendit comme une lance pour viser ce cœur qu'il cherchait tant à protéger. Surpris, il fut contraint de marquer un temps d'arrêt pour bloquer l'attaque de ce champignon qu'elle avait déjà eu l'occasion de voir. Ses genoux flanchèrent et elle dut s'aider de son sabre pour ne pas s'écrouler.
Une vision qui ravit Gardens. Il ouvrit une gueule hérissée de ronces et grouillante comme un nid de serpents, tout prêt à la dévorer. Il ne vit pas l'ombre noire qui fusa depuis le ciel ni le bec qui happa le champignon à la volée. Instinctivement, il se tourna vers le ciel pour chercher d'autres corbeaux à foudroyer avant qu'ils ne le fassent, mais l'attaque vint de Rachel.
Le sabre brisé, chargé de haki, vola une nouvelle fois et se ficha profondément dans le cœur de Gardens. Il y eut deux secondes de flottement durant lesquelles Rachel se préparait à tout, et surtout à une énième réplique. Qui ne vint jamais. Il agonisait dans un cri silencieux puis s'écroula à genoux.
Toute sa forme fondait. Sa composition florale et ligneuse se dénouait en sifflant. Les lianes et les ronces rapetissaient. Sa taille redevint plus normale.
Et soudain, le visage de Gardens apparut de nouveau. Bouche grande ouverte, yeux révulsés, elle ne put dire s'il était déjà mort ou pas. Le corps qu'il s'était construit se désagrégeait, laissant apparaître une gorge puis un torse, un bras puis un second, une jambe puis la deuxième. Gardens. Mort, mais entier. Alors l'autre n'était vraiment qu'une cosse vide pendant que lui se cachait là-dedans pour plus tard... Elle l'avait vraiment échappé belle.
Lentement, elle se laissa aller en arrière et s'assit sur un rocher. Pour la secondes fois – et espérait-elle la dernière – elle savourait une victoire compliquée et limite. Ses cheveux ondulèrent obligeamment jusqu'à elle pour reprendre leur coiffure initiale. Avec moult brindilles et poussières.
-Juste... quelques minutes de pause...