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CP4 contre CP5

Cher journal,

Shell Town est une chouette petite ville-île comme il en existe des tas sur East Blue. C'est un peu un trou perdu il faut bien l'avouer, mais un trou perdu très attractif si l'on en croit les nouvelles qui défraient régulièrement la chronique depuis quelques années ! J'aurais aimé passer plus de temps à flâner dans les rues avant de me mettre au travail: j'aurais discuté avec quelques passants, fais le tour de quelques boutiques, découvert la cuisine locale et visité le zoo... Tu te rends compte journal, il y a un zoo sur cette île !! Tu crois qu'ils ont des éléphants ?!! Je sais, je sais: les éléphants seront pour plus tard, j'ai un rendez-vous professionnel aujourd'hui et je me dois d'être ponctuelle.
Je t'arrête tout de suite journal: je suis une personne ponctuelle ! Cesse de te moquer, bien sur que si c'est vrai ! Si je suis souvent en retard c'est parce que j'en fais exprès. Tu vois, plus une personne se permet de faire attendre les autres plus ça veut dire qu'elle est importante. C'est une manière de montrer aux gens que mon temps est plus précieux que le leur, et que contrairement à moi ils peuvent se permettre de le perdre. Et puis parfois ça me laisse le temps de trainer un peu, faire quelques achats, ou de savourer un thé avec des glaçons...

Je vais t'épargner ma montée jusqu'au sommet de la ville, ainsi que mon arrivée dans la base de la marine qui domine l'île tel un gros volcan -ou comme une grosse cheminée industrielle peinte façon tigre bleu-. Franchement, quitte à avoir un monstre comme ça qui domine leur foyer ils auraient pu en faire quelque chose d'artistique. Et d'élégant ! Je ne leur demande pas d'aller jusqu'à en faire une œuvre d'art, mais... Oh mais c'est une idée ça ! Je devrais en parler au maître des lieux tiens !
Il faudra que tu m'y fasses penser journal quand on aura le temps.

Le bruit de mes talons résonne avec assurance et agressivité dans les couloirs de la fameuse base moche, faisant se retourner les gens sur mon passage comme des écoliers pris en faute qui s'efforceront d'avoir l'air sage à l'approche de leur institutrice (puis ils me voient, comprennent qu'ils ont affaire à une "gamine" de dix-huit ans en talons, et se détendent voir sourient... Non, oublie ça journal, ça casse tout l'effet de ma description. Retiens juste la partie ou ils ont l'air très impressionnés !). Je suis accompagnée par un soldat anonyme en uniforme blanc qui me sert de guide à travers ce labyrinthe de couloirs et de bureaux, et par Sbire qui garde un air stoïque en toutes circonstances (Sbire, ce n'est pas son vrai nom. Simplement je ne lui ai pas demandé comment il s'appelait vraiment pour ne pas risquer de l'oublier).

Comme dans toutes les missions que j'aime, je porte un déguisement élégant et une fausse identité. Je suis vêtue d'un tailleur strict gris et d'une jupe stricte assortie, ainsi que d'un chemisier blanc strict au col sans artifices, d'épaisses lunettes noires strictes (tu vois, celles qui ont une forme pointue sur les côtés et qui donnent l'impression que celle qui les porte est tout le temps fâchée), et je porte bien sur d'élégantes chaussures à talons noir qui font "PAC !" à chaque fois que je pose le pied par terre ! Je tiens sous le bras une pochette (stricte elle aussi) qui déborde de papiers à l'allure indigeste, et à ma boutonnière scintille un rutilant (mais strict) pin's doré indiquant mon appartenance à la marine. Et bien sûr mes cheveux sont coiffés en un chignon strict.
Si je suis aussi stricte, c'est parce que je suis déguisée en inspectrice de la comptabilité (oui je sais c'est précis. Et non je n'ai pas un déguisement pour chaque branche de l'inspection que je m'amuse à incarner ! Quoique... merci de l'idée journal !). Évidemment que toutes les inspectrices ne sont pas comme ça, la plupart sont même des personnes normales à ce qu'il paraît ! Mais les gens aiment les clichés. Ils aiment se dire "on dirait vraiment une inspectrice pas commode cette bonne femme" et avoir raison. Sbire, lui, est déguisé en cliché de comptable qui est nettement moins flatteur: chemise à manches courtes démodée, cravate, et coiffure un peu ringarde.
A la réflexion j’aurais quand même pu avoir droit un acolyte plus discret pour cette mission. Quelqu’un qui fasse un peu plus “comptable inoffensif”, et pas une armoire à glace deux fois plus épaisse que moi qui s’efforce d’avoir l’aire crédible dans sa chemisette jaune pâle !

♦♦♦♦

Je remue avec application mes glaçons dans la tasse de thé chaud qui m'a été servie tandis que le maître des lieux me dévisage, partagé entre l'étonnement devant mes goûts en boisson qu'il ne partage visiblement pas, l'amabilité forcée de circonstance à laquelle il est tenu pour accueillir une nouvelle venue haut placée de la branche judiciaire du GM, et aussi une certaine gêne.
Le colonel Pal Vélachez, chef de la base de Shell Town, est un homme au visage plutôt oubliable ou pointe une certaine dose d'indolence. Il n'y a pas que son visage qui est oubliable d'ailleurs ! Avant la mission j'ai demandé à Sbire de me préparer et de me fournir un certain nombre de rapports, dont le dossier complet du bonhomme. Et j'ai beau l'avoir lu et mémorisé par cœur, la seule chose qui me vienne à l'esprit en y repensant est "sans intérêt" ! Velachez est un peu lui aussi, à la manière de mon déguisement de comptable, un cliché. L'illustration parfaite de l'idée reçue selon laquelle on mute à East Blue les officiers les moins compétents, les planqués, les tire au flanc, et les gradés en fin de carrière. Hé ho, ce n'est pas moi qui l'ai inventé journal, tout le monde dit ça ! Et peut-être que je ne me gêne pas pour colporter ce cliché, mais...
Mais... non, rien. Je n'ai pas d'excuse, c'est la vérité. D'accord, c'est vilain de ma part !
Mais regarde-le, avec sa barbe négligée et son oeil endormi !!!

"- Colonel Vélachez, enchantée.
"- Véhachez."
"- Pardon ?"
"- Véhachez, pas Vélachez"
"- Ah ? Hum, oui, tout à fait. Je suis Dragémilie Smith-Martin-Lepetit-Kalinsky" ... que veux-tu journal, accoler les noms de famille plutôt que d'en choisir un seul ça ne fait que décaler le problème d'une génération... "inspectrice en chef chargée de la surveillance des finances et des comptes au sein de la marine, rattachée au QG d'east Blue."

Ça existe vraiment journal, je t'assure ! Simplement en général on appelle ça "la compta' ".

Je sais qu'une visite surprise de l'inspection des finances n'est jamais une bonne nouvelle et je ne m'attendais pas à ce que le colonel m'accueille avec joie, mais on peut dire que sa réaction est plutôt éloquente ! Je le vois blêmir un court instant, écarquiller les yeux, et se ressaisir finalement de justesse en affichant un sourire aimable tout en jetant des regards appuyés en direction de son aide de camp. Roooh, tout de même, colonel ! Je sais bien que les gens de la compta sont de vrais pénibles -et je ne dis pas ça parce qu'ils rechignent à chaque fois que je leur présente mes notes de frais de missions ! Enfin pas que-, mais ce n'est pas une raison pour prendre un air aussi contrarié ! Véhachez a un sourire pas très franc et s'efforce de prendre un air détaché pour me répondre : quelque chose dans son attitude me fait sentir que lui aussi est enchanté de me voir mais qu'il le serait encore plus si je n'étais pas là !

"- Eh bien madame... mademoiselle Smith, vous êtes la bienvenue à Shell Town." Il se masse la gorge et fait crisser sa barbe. "Cependant, je m'étonne de cette visite plutôt inhabituelle... et imprévue."

Je lui réponds par un petit sourire mesquin:

"- Aussi inhabituelle que vos derniers rapports de comptabilité, à vrai dire." Je reprends mon air strict: "Nous avons noté plusieurs irrégularités de type 3 et C dans les rapports du zéro-un zéro-neuf soixante sept, zéro-un dix soixante sept, et zéro-un douze soixante sept, ce qui correspond à une situation nécessitant le contrôle d'un agent de catégorie un. Nous allons donc devoir effectuer un contrôle scrupuleux de vos archives ainsi que de vos inventaires et de votre matériel afin de vérifier si faute il y a bien eu."

La qualité numéro un d'un agent, c'est l'aplomb avec lequel il peut déblatérer des mensonges pour s'ouvrir des portes. Avec un peu d'aide, comme quelques phrases de charabia technique et de véritables papiers d'identification pour appuyer de fausses identités que me fournit le CP5, je suis sûre que j'arriverais même à me faire conduire dans le bureau de l'amiral en chef si j'en avais besoin ! Et comme toujours, quelques semaines après la fin de ma mission, ma fausse identité disparaîtra des listes du personnel pour ne plus faire parler d'elle.

Soyons honnêtes tout de suite journal: je n'en ai rien à faire de ces histoires de finances ! Quoi que je prétende et malgré ce que montre mon déguisement, je ne suis pas comptable ni intéressée par les dépenses du gouvernement tant que cela ne me touche pas directement ! C'est grâce au rapport de Sbire, que j'ai chargé de faire le tri dans les archives lors de ma phase de préparation avant la mission, que j'ai découvert cette petite faiblesse qui m'a permis d'imaginer cette couverture et ce prétexte à ma présence ici (mais les sbires ça ne compte pas alors on va dire que l'idée vient de moi). Imaginez un colonel de la marine, très sérieux sans doute -j'en suis persuadée- mais avouons-le pas très doué pour gérer ses comptes. De maladresses vraiment pas méchantes, à peine de quoi faire lever les sourcils quand on compare ses comptes mois après mois, mais qui pourrait faire tâche sur un dossier si l'on venait à regarder ça de trop près. Ledit colonel, évidemment, ferait alors tout pour dissiper ce malentendu en se montrant prévenant de toutes les manières possibles auprès de la personne venue tirer les choses au clair !


Dernière édition par Caramélie le Ven 20 Aoû 2021 - 22:14, édité 5 fois
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- 'Vous fallait aut' chose, mon gars ?
- Hmm ? Non ça ira, merci bien.

Bref échange de regard, petites prunelles noires fuyant rapidement les grands iris de glace de Jaros. Posant la chope devant son client avec un entrain quelque peu douché par la froideur du jeune homme, le serveur s'éloigna sur ses petites jambes. Tout gros et rosé qu'il fut, le bougre savait se faire preste pour mener à bien son travail, visiblement. Levant un instant les yeux de la liasse de papier qu'il tenait en main, l'agent regarda distraitement la buée se former sur sa bière fraiche, rassemblant ses pensées. Un léger soupir siffla entre ses dents. *Hector me l'a bien fait à l'envers, à me foutre un zigoto pareil comme supérieur...* Enfin arrivé, le souvenir de ce qui, et de qui l'avait fait venir jusque ce coin perdu d'East Blue remontaient.


Quelques semaines plus tôt, sur un îlot entre des récifs à North Blue...

- Pour un jeune homme qui n'a pas du tout le pied marin, vous vous débrouillez bien avec les amarres !
- Je suis pas sûr que me passer de la pommade soit encore nécessaire, Hector...

Jaros finit de nouer le gros nœud retenant leur petite barque au pieu d'amarrage métallique complètement rouillé, les galets le dissimulant encore récemment éparpillés tout autour. Frottant ses mains avec prestesse pour les débarrasser du moindre résidu, le jeune homme épousseta ensuite sa veste, emboîtant dans le même temps le pas à Hohenstein. Le recruteur s'engageait déjà vers les broussailles faméliques vers l'intérieur de l'île.

Cela faisait un peu plus de deux semaines qu'ils avaient quitté Manshon, à présent. Jaros en avait enfin terminé avec sa vie de vagabond à la rue... Et uniquement grâce au bon vouloir de ce recruteur du Cipher Pol, il fallait l'admettre. Mais bien du mal il aurait eu à exprimer une quelconque gratitude, tant tout son corps se récriait du traitement qu'on lui faisait subir depuis. Son supérieur avait estimé pertinent de l'entraîner aux techniques du Rokushiki au plus vite, considérant Jaros à même d'encaisser une remise à niveau express. Après quelques délibérations, ils s'étaient accordé pour se concentrer sur les aspects défensifs et évasifs de cet art martial, à la demande du jeune homme. Le tout nouvel agent ne pouvait s'empêcher de quelque peu regretter son choix, à présent.

Chacune de ses fibres musculaires l'élançaient, hurlant encore du souvenir douloureux de la pluie de coups quotidienne. L'allusion à la pommade n'avait pas été fortuite, on l'avait bel et bien gratifié de l'humiliation de lui donner un petit pot de crème apaisante... Il fallait dire que, quelques jours à peine dans la formation qu'on lui servait, il n'arrivait même plus à dormir, le simple contact du lit devenu insupportable à ses chairs contusionnées. Ses jambes, particulièrement, n'étaient plus qu'un amas de souffrance pure. Quant à ses pieds, ils ne les sentaient même plus. Ses orteils bleuis et raidis et ses talons gonflés rendaient sa démarche un brin étrange, comme s'il portait des sabots plutôt que les souples souliers qu'on lui avait fourni.

Jaros devait cependant admettre que tout ça donnait des résultats, et pas seulement sur le plan de la douleur. Mais mettant ses sensations de coté comme il pouvait, le jeune homme se tira de ce qui se transformait doucement mais sûrement en apitoiement, et se rappela à ce qui les amenait ici. Pressant le pas, il se mit à la hauteur d'Hohenstein, qui le regarda posément.

- Cet agent est bien énigmatique, tout de même...
- Il est préférable que je ne vous en dise pas trop, vous connaissant.
- Mouais. C'est à croire que vous cherchez à préparer le terrain pour une réaction particulière.
- Gardez bien à l'esprit qu'il est votre supérieur, Jaros, c'est le plus important. Je ne voudrais pas que nous ayons la Coordinatrice sur le dos outre mesure.
- Vous la craignez donc tant ?
- Oh non, simplement... Moins on a à faire avec la bureaucratie, mieux on se porte ! Vous l'apprendrez rapidement.

Pas particulièrement convaincu que ce soit l'unique raison, Jaros n'insista pas. Le peu de contact qu'il avait pu avoir avec l'organe administratif du pôle le poussait néanmoins à croire qu'Hohenstein, comme à son habitude, lui servait au moins une demi-vérité. Mais le jeune homme n'avait pas vraiment l'envie de gaspiller son énergie à chercher à tirer les vers du nez du recruteur, oh non. L'estomac encore un peu secoué par la houle, le teint plus pâle encore que d'ordinaire et les yeux cernés, il ne voulait qu'en finir le plus vite possible.

Le paysage de l'îlot n'était qui plus est guère joyeux. Quelques arbustes décharnés se disputaient la maigre couche de terre parsemant la rocaille sombre et irrégulière, qui déployait toute sa splendeur d'écorchure grise dans les flots mousseux de la mer, sous un ciel pour le moins agité. Les navigateurs du deux-mâts qui les avaient amené jusqu'à proximité des récifs qui hérissaient les abords de l'endroit affirmaient pourtant qu'ils ne risquaient pas d'essuyer une tempête. Jaros ne connaissait rien à la météorologie et ses subtilités, mais il était bien forcé de faire confiance à ces inconnus dont il dépendait.

*Un truc qui cloche...* Il mit brutalement ces pensées de coté alors qu'une désagréable sensation s'éveillait en lui. Un bref coup d’œil lui confirma que, à sa droite, Hector était toujours là, le guidant sur la pente irrégulière qui les menait à la seule trace humaine sur l'île.

- Nous sommes observé, jeune homme.
- J'ai remarqué, oui. Cet agent, il a bien été prévenu de notre venue, n'est-ce pas ?
- Oh oui, évidemment. Beladon sait pourquoi il est ici.
- Pourquoi diable nous faire venir sur un caillou perdu dans des récifs, d'ailleurs ?
- Que voulez-vous, ce sont les instructions... Je gage que lui non plus n'est pas ici de gaieté de cœur.

Et de gaieté de cœur il n'avait pas été, en effet.

La chaise grinça pour la énième fois, récoltant un petit soupir vaguement plaintif de son occupant. Ce petit échange stérile durait depuis de longues minutes, lorsque Beladon s'était réveillé de sa sieste; sa troisième sieste, plus précisément. Quelques instants plus tard, on toqua à la porte. L'agent soupira, puis répondit d'une voix un peu empâtée.

- Eeentrez, c'est ouvert...

Nul doute qu'il fut d'attaque pour une quatrième, mais la montre dans sa poche était formelle, c'était presque l'heure convenue. Cette simple pensée le fit lâcher un autre soupir. Il aurait pu se réconforter en se remémorant que ce bureau qui n'était en rien le sien, et qu'on lui avait bien gentiment laissé l'occasion de s'adonner à son activité favorite - à savoir ne rien faire - dans un lieu sec, chauffé et calme. Mieux encore, qu'il n'était finalement là que pour de simples formalités. Mais la dureté du siège sous son séant surpassait de loin tout le reste.

Il se trouvait au seul étage d'un bâtiment poussiéreux, misérable bicoque sur une minuscule île perdue qui n'avait même pas de nom. Le genre de contexte qui avait le don de le mettre d'humeur plaintive. D'un œil paresseux, Beladon jeta un regard au feu qui végétait en silence dans le poêle au coin de la pièce; il semblait prêt de s'éteindre. Qu'il ne fasse pas froid ne rentra pas vraiment en compte dans sa vision de la chose, et il soupira à nouveau, de manière plus prononcée, alors que Jaros et Hohenstein entraient.

Les toisant vaguement, Belaon garda le silence, puis bailla. Pas plus formalisé que cela par cet accueil taciturne et à la limite de la grossièreté, Hector s'avança de quelques pas, jetant un bref regard au feu mourant, puis tenta de capter l'attention visuelle de l'agent assis. Sans succès, ce dernier observait mollement le jeune homme élancé et pâle qui se tenait un peu en retrait, le visage de marbre. Pas pressé de briser la glace, Beladon attendit que quelqu'un d'autre que lui prenne la parole.

- Nous sommes un tout petit peu en avance je crois, mon cher Beladon.
- Mmmh, oui, à croire que vous prenez un malin plaisir à jouer les ponctuels avec moi, Hector... Bon, on va faire ça vite hein. Hekomachin, à partir de maintenant c'est moi ton supérieur direct, tu connais le topo je suppose...

Un peu irrité par le ton traînant et désinvolte de l'homme, Jaros n'en montra rien, mais resta distant et froid.

- Hekomeny, Jaros Hekomeny. Je... Oui, on va dire que je "connais le topo". J'espère que notre collaboration se passera aussi bien que possible.
- Oui oui, blabla la bonne entente, oublie surtout pas qu'on est là pour obéir hein...

La température baissa de quelques degrés entre eux, au sens figuré plus qu'au propre. Le recruteur, semble-t-il pas plus intéressé par l'échange que cela, était aller pêcher une grosse liasse de papier sur le bureau, et se mit à les feuilleter, récoltant un bref soupir de Beladon, qui réajusta le col de sa chemise, faisant grincer sa chaise.

- Une sacrée merde si tu veux mon avis... De la paperasse, encore et toujours, des simagrées pas possible pour la "discrétion", des missions à en crever d'ennui... J'espère que t'es content d'être dans notre petite galère Jaro, parce que je vais pas me gêner pour me décharger de mes corvées sur toi. Tu pars pour oaaaahhh... pour East Blue. Paraît qu'ils ont du mal à compter, à je sais plus quelle garnison.
- Jaros.
- Oh... Tu me fatigues déjà. Allez, t'as toutes les infos dans les papiers. Hector, donnez-lui, c'est plus votre poussin maintenant... Vous pouvez partir, d'ailleurs.

Les renvoyant d'un geste, Beladon se gratta le crâne, avant de se frotter les yeux d'une main et de regarder sa montre, ne leur prêtant plus aucune attention. Le jeune homme s'exécuta sans un mot pour éviter d'avoir à masquer sa colère plus longtemps, et sortit prestement, Hohenstein sur les talons arborant un fin sourire.



*Se décharger des corvées, hein...* Prenant une longue gorgée de bière, Jaros laissa retomber l'irritation que ravivait cette plongée dans sa mémoire. Lui qui hésitait à enlever son ascot, dont la soie d'un vert profond réchauffait un peu trop sa gorge, le liquide bien froid lui en ôtât l'envie, en plus de lui éclaircir un peu les idées. Il avait une mission, il allait la mener à bien. Son indic' ne devrait plus tarder, normalement...

Sentant une malvenue bouffée de stress monter en lui - c'était sa toute première mission après tout -, il observa à nouveau l'intérieur de la brasserie. Plutôt vide bien que cela se comprenne au vu de l'heure matinale, l'intérieur était petit et propret, les tables de bois sombre luisaient doucement dans la lumière oblique des fenêtres à croisillons. Sur l'une d'elle, ce qui semblait être deux marchands itinérants, et le bar se voyait solidement gardé par trois piliers de comptoir, au degré d'avachissement divers. Lieu de rendez-vous assez peu discret s'il en était, selon le jeune agent, mais il semblait que l'adage "on n'est jamais mieux caché qu'en pleine lumière" avait beaucoup de sens pour celui ou celle qui en avait convenu pour eux.

Remarquant que le mur s'ornait, outre des cadres renfermant des croquis et quelques croûtes de peinture, d'un mousquet tout ce qui semblait de plus militaire, Jaros jeta un second regard au patron de l'établissement, un vieil homme sec à la moustache grise touffue. *Un ancien Marine, peut-être ? Ce serait cocasse...*

- Monsieur Koeda ?

Une femme, entre trente et quarante ans, l'oeil terne et la silhouette lourde, venait d'interpeller le jeune homme d'une voix un peu forte, serrant entre ses mains une sacoche de cuir élimée. Au vu de ce qu'elle venait de dire, pas de doute, c'était bien le sbire du CP4 qu'il attendait. Se levant en affichant un fin sourire qui jura affreusement avec l'air presque contrit de la bougresse, il lui tendit la main avec affabilité.

- Ah, vous devez être madame Ranovol ! Enchanté, installez vous, installez vous... Hé, patron ! Un... Vous prendrez bien quelque chose ?
- Oh... Un verre d'eau s'ra très bien, vraiment...
- Bon. Un verre d'eau fraiche pour madame, d'accord ?

On lui répondit au bar par un geste affirmatif. Continuant dans sa lancée, Jaros se rassit, joignant les mains devant lui. On vint poser le gros verre d'eau sur leur table, tandis que la femme s'installait gauchement, visiblement mal à l'aise.

- Eh bien, expliquez moi votre problème. Une partie de la cargaison a subi une avarie, de ce que j'ai compris à l'escargophone ?
Ou... Oui, c'est bien ça monsieur... Juste une partie, au début on pensait qu'ça resterait dans la marge normale, mais plus c'est allé, plus ça empirait... Pas juste la laine d'ailleurs, y nous manque des bobines. On a tenté de commander un nouveau stock plusieurs fois, mais...
- Je vois. Et vous êtes déjà allé voir un charpentier ?
- C'est à dire qu'ils n'ont pas vraiment cherché à bien faire leur travail. Vous savez ce que c'est...

Le jeune agent opina, prenant un air de contrite diplomatie. Au bar, l'un des soiffards se retourna complètement, écoutant avec intérêt leur discussion. Puis il se leva et s'approcha de leur table, une lueur particulière dans ses yeux fatigués et injectés de sang.

- Z'êtes allé voir où, ma p'tite dame ?
- Oh je...
- Y a pas mieux qu'ceux d'Shell Town dans tout East Blue, on a l'meilleur chantier naval !! 'Savez qu'on a construit l'Léviathan ? LE Léviathan, ooouuui !

Récoltant les approbations bourrues de ses comparses, il allait enchaîner mais Jaros le prit de court, d'un ton enjoué. Mieux valait participer la mascarade pour qu'elle tourne au plus court.

- Je parie que vous y étiez sur ce chantier, pas vrai ?
- Un peu qu'j'y étais !! L'meilleur pour dégauchir une planche, j'connais ça depuis que chui tout gosse. Z'auriez vu c'te chantier...
- J'imagine, oui ! Vous avez une adresse pour ma cliente ? Je suis son intermédiaire commercial, vous voyez, alors si elle a le meilleur prix pour bien réparer son trois-mâts, c'est gagnant-gagnant.
- Pour sûr, ouais !!

Quelques échanges de haut vol et un griffonnage sur un papier plus tard, l'alcoolique revint à sa boisson, laissant l'agent et la sous-fifre sous couvertures continuer leur petit échange.

- Donc... Ils étaient de métier au moins ? Vous avez fait réviser votre coque régulièrement ?
- Ben oui, tout comme il faut, mais ça a rien arrangé. Puis là on en a même un qui s'est pointé d'on sait pas où. On l'attendait même pas, on a déjà fait réviser y a peu.
- Tiens tiens... Bon ! Vous avez toutes les factures et le reste ? On va aller jeter un coup d’œil ensemble alors.

Opinant du chef, "Ravonol" se leva et but son verre d'une traite, tandis que Jaros prenait la dernière gorgée de sa chope. Sortant quelques berries de la poche intérieure de sa veste, il alla régler le tout en laissant un sympathique pourboire, et sortit. Il prit la serviette de cuir qu'on lui tendait, faisant quelques dizaines de mètres avec le sbire le temps de faire illusion à tous les témoins de la brasserie, l'esprit déjà préoccupé. *Pas juste les finances, bordel, même les armes... Et les comptables du Gouverneur qui font les autruches, évidemment... Mais ce dernier qui se pointe de lui-même, je le sens pas.* D'une voix basse, il questionna son indic'.

- Aucune info sur le dernier gus ?
- Que dalle, mais il est sans doute dans la combine vu le timing...

Voilà qui était embêtant, indéniablement... Jaros bifurqua avant d'arriver au port, laissant simplement l'autre avec un "on change rien, pour le moment", et si dirigea droit vers la garnison. Il chassa d'une main distraite les mèches qui ondulaient sur son front, tâtant de l'autre le minuscule pistolet dans sa poche de pantalon. Chargé. Arrivé en vue de la grille, il alla trouver un banc où s'asseoir. Le jeune homme sortit de la sacoche de cuir un journal et un petit escargophone qu'il posa à coté de lui bien en évidence, et se mit à feindre la lecture, se creusant les méninges pour circonscrire cet imprévu. Lui qui avait trouvé ses consignes un peu trop drastiques, elles prenaient à ses yeux un nouveau sens qui ne lui plaisait guère.


Dernière édition par Jaros Hekomeny le Mar 11 Juin 2019 - 13:52, édité 3 fois
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Cher journal,

Je retire délicatement le dernier glaçon de ma tasse. C'est paaar-fait, le thé est exactement à la bonne température ! Bien glacé, pas trop dilué malgré les trois gros cubes de glace qui y ont longuement baigné pour le faire refroidir, et surtout prêt suffisamment tôt pour me permettre de le boire avant la fin de mon entretien avec le colonel. Tu n'imagines pas, journal, le nombre de tasses que j'ai dû abandonner avant de les avoir bues parce que mes rendez-vous se finissaient trop vite ! Enfin si, tu es sensé le savoir justement puisque je te raconte tout. Enfin rassure-moi... tu te souviens bien de tout, hein ?

Peu sensible à mes soucis de température de tasse, le colonel Véhachez s'est ressaisi avec brio. Après s'être allègrement gratté la barbe et le menton avec un air embarrassé et franchement suspect, le voilà lancé dans un discours véhément avec une expression d'honnêteté blessée peinte sur le visage. Il paraît si sincère et il fait si peine à voir que j'ai l'impression d'avoir frappé un épagneul !
C'est juste une expression journal, je n'ai jamais frappé d'épagneul ! Je sais bien qu'au CP on a pas d'honneur mais même moi j'ai mes limites !

"- [...] malheur, oh, quel malheur ! La honte est sur moi, et sur toute la glorieuse 153ème division ! Glorieuse ? Comment pouvons-nous encore nous faire appeler ainsi alors que notre nom est sali, roulé dans la boue, humilié ! Un crachat ! Un crachat à la figure de notre honneur, voilà ce que c'est ! Misère, oh quelle misère !"


Sincèrement journal, je le trouve plutôt convaincant. Si j'étais vraiment venue pour contrôler ses comptes je pense que je m'en serais voulu d'accuser ce pauvre homme pour rien ! D'ailleurs, je suis sûre qu'il n'a rien à se reprocher ce gentil colonel: regarde-le, avec sa tête de gentil chien que l'on maltraite...
Il faudra que je dise à sbire qu'il a fait n'importe quoi avec son analyse, et qu'accuser un pauvre officier comme ça ce n'est vraiment pas sympa.

"- Mes prédécesseurs me mépriseraient tellement s'ils apprenaient cela ! Le colonel Feyang ! Et l'amiral Makuen, mon modèle ! Et mon père ! Comment pourrais-je regarder mon père en face après une telle disgrâce ? Et ma mère ? Ma mère aura tellement honte de ce qu'est devenu son enfant ! Oh, pauvre mère !"

Il se lève de son bureau, le regard ardent:

"- Mais je vous l'assure, si la moindre faute a été commise j'en suis la première victime et je saurais en retrouver les coupables ! Vous avez ma parole d'officier, inspectrice..." -sa flamme disparaît aussi vite qu'elle s'est allumée tandis qu'il réfléchit- "Smith... Lepetit... ?"

Il me jette un regard, et devant mon manque de réaction face à l'écorchement de mon nom il reprend:

"- Nous trouverons la raison de ces erreurs, et s'il y a eu une faute nous la réparerons ! Je ne dormirai plus, je ne mangerai plus, je n'aurai plus l'esprit tranquille tant que cette tragédie ne sera pas résolue !"

Sa belle mine s'évanouit, et il repart dans ses lamentations:

"- Misère, oh misère, que tout ceci est terrible... "

♦️♦️♦️♦️

Cher journal,

Ce qui est important dans une mission, c'est d'y mettre beaucoup d'énergie, de volonté et de professionnalisme pour parvenir à ses fins. Quoi que l'on fasse, quelle que soit l'ampleur de nos objectifs, il faut toujours se donner au maximum de ses capacités ! Là par exemple, allongée sur une large serviette de bain dans un coin tranquille de la plage qui borde l'île, je suis avec ferveur cet adage en profitant à fond d'un moment de détente !
La tiédeur des rayons du soleil caresse délicatement ma peau. Fini le tailleur strict ! Plus de chaussures à talons ni de chignon sévère ! Seules restent comme traces de mon déguisement et gages de ma fausse identité mes lunettes qui me donnent une mine sévère, sur lesquelles j'ai ajusté des verres teintés. Je porte un maillot de bain azur recouvert de jolis motifs évoquant les tropiques, un paréo assorti, et un grand chapeau de plage qui me protège des coups de soleil. A côté de moi, Dinosaure mon escargophone prend également le soleil. Comme je ne crois pas que les escargots puissent bronzer et que j'ai un peu peur qu'il ne se dessèche au soleil, je l'ai plongé dans mon verre de citronnade pour qu'il soit bien. C'est un peu comme une piscine pour lui, tu vois ?

Tu trouves que je suis une paresseuse journal ? Mais dis-moi, tu sais à combien de jours de vacances par an a le droit une agent de catégorie III comme moi ? Je vais te le dire: ça va de "pas beaucoup" à "pas du tout" ! Alors le meilleur moyen de prendre du bon temps tout frais payés et de ramener de très bons souvenirs de mission, c'est de faire les deux en même temps !

Sbire n'est pas avec moi. Après avoir pris congé du gentil colonel Véhachez je l'ai chargé d'amener mes valises au logement de fonction qui m'a été attribué à la caserne et de tout ranger convenablement. Ensuite, parce que je ne suis pas si vilaine et que même les sbires ont le droit de prendre du bon temps (je suis une adepte de la théorie comme quoi ce sont des êtres humains), je l'ai autorisé à venir me rejoindre en tenue de plage à condition d'être au préalable passé acheter de la crème solaire en ville.
La plage n'a pas beaucoup d'adeptes aujourd'hui, sans doute parce que le temps ne s'y prête pas trop. C'est n'est pas plus mal si tu veux mon avis journal car je suis venue ici pour être tranquille et me détendre. C'est d'ailleurs pour cette raison que je fais sérieusement la moue lorsque je vois se pointer au-dessus de moi trois femmes aux visages presque identiques -ce sont effectivement des triplées- et vêtues du très moche uniforme blanc sans manches de la marine (je crois d'ailleurs que celui qui a imaginé cet uniforme est le même criminel du bon goût que celui qui a décidé de l'aspect de leurs horribles casernes !).

"- Bonjour madame, c'est un plaisir de vous rencontrer ! Vous êtes ravissante !" dit la première d'un air enjoué.
"- Nous sommes les sergents Louna, Luna et Loona Leloup, de la 153ème division." Ajoute la seconde sur un ton beaucoup plus mesuré.
"- Je ne voulais pas venir mais on m'en a donné l'ordre." Conclut la troisième d'une voix monocorde.

C'est amusant quand même cette faculté qu'ont les jumeaux (et plus) de rester ensemble en défiant toute logique afin de constituer un binôme (ou un trinôme, ou plus) esthétiquement agréable et insolite. C'est très improbable quand on y pense, et pourtant on ne compte plus le nombre de fratries qui restent formées malgré les aléas du recrutement, des affectations aléatoires, et des promotions ! Quelles étaient les chances pour que trois sœurs, qui ont toutes les trois eu une vocation pour la marine, soient toutes affectées au même endroit et progressent dans la hiérarchie à la même vitesse ? Mon hypothèse journal, c'est que les personnes qui se sont occupé de leurs dossiers se soient toutes trompées et sont convaincues qu'il ne s'agit que d'une seule et même personne.

En guise de réponse, je leur jette un coup d’œil un peu froid par-dessus mes lunettes de soleil, traduisible sans équivoque possible par "non merci, pas intéressée", avant de baisser ostensiblement le rebord de mon chapeau. Je suis en vacances la ! Pour l'agent en mission... euh, pardon, l'inspectrice, veuillez repasser dans deux heures !
Les triplées emploient un enthousiasme déconcertant à ignorer ma réaction et poursuivent:

"- Nous sommes venues pour vous accompagner et vous assister durant votre travail. C'est une vraie joie pour nous !" dit la première sœur avec un bonheur évident.
"- C'est le colonel Véhachez qui nous envoie, nous avons pour mission de vous servir de guides." Précise la seconde avec beaucoup plus de retenue.
"- En vérité, on est surtout là pour vous surveiller." Marmonne la troisième sans entrain.

Le colonel Véhachez est vraiment très courtois et attentionné de m'envoyer ces trois guides. Cela m'aurait fait gagner beaucoup de temps... si j'avais vraiment réellement eu l'intention d'inspecter ! C'est que je n'ai absolument pas prévu d'effectuer une inspection de la base pour de vrai, en tout cas pas plus qu'il n'en faut pour donner le change, et de toute manière je ne suis pas formée à ça. Je ne sais même pas tout ce que doivent faire les vrais inspecteurs ! Je vais avoir l'air maline si j'ai trois gêneuses en permanence avec moi...
Et bien sûr loin de moi l'idée de suspecter que la véritable mission de ces trois soldats est de m'avoir à l’œil, et si possible d'orienter ma visite ! Oh allons, je sais très bien comment ça fonctionne ! Qu'il y ait eu des fraudes ou non, je ne doute pas qu'en ce moment même certains coins de la base fourmillent d'une activité intense pour se rendre présentables en vue de mon passage, et surtout que certains papiers doivent être en train d'apparaître ou de disparaître miraculeusement de certains tiroirs. Une base qui n'a rien à cacher à une personne extérieure, ce n'est pas une vraie base.
Hihihi, j'ai déjà mis un drôle de bazar rien qu'en venant ici !

Malgré mon envie de profiter de la plage et du soleil au calme et d'envoyer promener les gêneuses, les sœurs Leloup sont toutes les trois si mignonnes que je ne peux pas m'empêcher de leur sourire, ce qui avec mes lunettes me donne involontairement un air sadique.

"- Le colonel a été très attentionné de vous envoyer, je suis sûre que vous êtes d'excellentes guides ! Seulement je ne peux rien faire pour le moment, je suis actuellement en congé réglementaire de deux heures."

J'ai un nouveau sourire faussement désolé à leur attention, et me replonge ostensiblement dans ma séance de bronzage .

"- Ce n'est pas grave, nous pouvons vous attendre. Nous serions ravies de vous tenir compagnie !" S'exclame avec joie la première.
"- Nous nous ferons discrètes inspectrice, mais nous nous tenons à votre disposition pour toute information dont vous auriez besoin." Ajoute la seconde avec beaucoup de professionnalisme.
"- Oh non ! Moi qui espérais en finir le plus vite possible..." Grogne la troisième en me regardant de travers.

Je les aime bien ces trois sœurs. Je leur souris chaleureusement:

"- Volontiers ! Est-ce que vos attributions impliquent d'aller acheter des glaces si je vous le demande ?"


Dernière édition par Caramélie le Mar 26 Mar 2019 - 0:05, édité 1 fois
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Bien que lisant très distraitement les nouvelles, Jaros ne put s'empêcher de se dire qu'elle n'étaient pas fameuses. Entre l'armée Révolutionnaire et les pirates, les quatre coins du globe semblaient fourmiller de fauteurs de trouble dont les exactions et méfaits emplissaient les colonnes, cascade de lettres noires. Certes le sensationnalisme journalistique jouait pour beaucoup dans cette impression d'avalanche de catastrophes, le jeune homme en avait bien conscience, restait que cela faisait son effet. Il referma le journal et le posa à coté de lui, levant pensivement les yeux au ciel. *Beladon aurait pu me refiler bien pire, finalement...* Shell Town et ses petites magouilles provinciales paraissaient bien bénignes en comparaison.

Le jeune agent attendit quelques minutes, regardant distraitement les quelques passants. Dans le déroulé normal de sa mission, il n'aurait eu qu'à attendre un signal ou son absence, convenu à l'avance lors des longs, très long préparatifs. Étape qui lui avait d'ailleurs fait silencieusement bénir Hohenstein de lui avoir épargné l'étape d'agent en formation, ces derniers écopant systématiquement des plus ingrats des travaux. Tout ce que les vulgaires sbires ne pouvaient faire, c'étaient eux qui s'y collaient. Bonjour les repérages préalables pour des missions qu'ils ne mènerons même pas à bien et autres joyeuseries du genre. Mais il y avait là un imprévu de taille, aussi cherchait-il à combler comme il le pouvait la tache aveugle qu'était ce comptable sorti de nulle part.

Passa devant lui une jeune femme. Sans être un invétéré du reluquage intempestif, Jaros avait comme habitude de presque systématiquement observer toutes les personnages passant dans son champ de vision, et de noter tous les petits détails à sa portée sans appuyer du regard. Preste et efficace, un talent qui pouvait se révéler bien utile. Et en l'occurrence... Des cheveux d'un blond de miel et sa peau de porcelaine, mis en valeur par un maintien altier. Sur ses joues légèrement rosées, on distinguait à peine de légères fossettes, telle la signature d'un sourire aussi large que fréquent. Et cela jurait terriblement avec sa mise. Un chignon très serré qui faisait perdre tout volume à sa chevelure, des vêtements d'un gris qui lui seyait guère, d'affreuses lunettes fumées, l'inconnue bridait - volontairement ou non - tout le charme qu'elle aurait pu dégager. Mais surtout, elle sortait de la garnison. Peut-être une simple citoyenne venue déposer une plainte ou banalité du genre, ou peut-être autre chose.

Le soupçon systématique était de rigueur, dans ce genre de situation. Le jeune homme, conscient du grotesque de cet état de fait, laissa un petit sourire se dessiner sur ses lèvres, sans qu'on lui accorde la moindre attention. Ses méninges, sous cet air léger, tournaient à plein régime. Quelques instants plus tard, l'escargophone à coté de lui se mit à sonner. Une fois, deux fois, trois fois... puis plus rien. Signe que tout se passait comme prévu, parfait. Il avait donc un peu de temps. Avant que la jeune femme ne disparaisse au coin de la rue, il avait enlevé et rangé dans une poche son ascot voyant, ouvert un bouton de plus à son col, et s'était levé. Une petite filature toute en douceur s'imposait.

Jaros resta cependant à une grande distance, prudent à l'extrême, prenant carrément le risque de perdre plusieurs fois de vue sa cible, car une seule information l'intéressait pour le moment. Habitait-elle l'endroit, logeait-elle à un hôtel ? Difficile de vraiment le savoir rapidement, et le jeune homme dut abandonner arrivé en terrain trop découvert, car l'inconnue avait trouvé le moment parfait pour un petit bain de soleil. Ressortant de sa poche son escargophone, il hésita à rester éloigné de la plage, mais préféra aller faire des allers retours une soixantaine de mètres plus loin, mimant comme il pouvait l'attitude nerveuse de quelqu'un attendant un appel important. Il retint donc à grand peine un mouvement surpris lorsque son mollusque de mit à sonner.

- ...
- M'sieur, j'crois que l'souci est plus gros qu'prévu.
- ... J'arrive tout de suite.

Et il raccrocha immédiatement, avant que la femme bourrue ne puisse se récrier. Il n'était pas du tout question qu'il aille la rejoindre pour le moment bien sûr, elle était là pour le supporter, pas l'inverse. Faire du zèle et jouer les bonnes poires aurait été la meilleure manière de tout faire cafouiller, aux yeux du jeune agent. D'autant que la situation prenait un tour bien peu plaisant... Trois marines allaient droit vers la blonde alanguie. *Décidément...*Jaros hésita encore à s'éloigner, mais alla plutôt s'approcher de l'eau, fixant les vagues pensivement. D'où il était, il entendait qu'il se disait quelque chose, mais quoi, mystère.

Le temps pressait, il devait rapidement prendre une décision. Cette donzelle qui semblait faire l'objet d'une attention toute particulière de la marine, en plus d'avoir quelque chose qui, sous un œil soupçonneux, était bien louche. Très jolie, elle gâchait tout son potentiel attractif ou presque, mais s'exposait tout de même dans un joli maillot de bain au soleil. C'était loin d'être très étrange, très loin même, mais c'était suffisant pour qu'il investigue comme il pouvait. *Oh et puis zut, autant profiter de mon air de gamin.* Il se résolut, rangea son escargophone dans sa sacoche en cuir, réajusta ses vêtements et ses cheveux, et alla droit vers le petit attroupement féminin. Car oui, les trois soldats étaient aussi des jeunes femmes, trois copies conformes ou presque d'ailleurs, lui parut-il en s'approchant.

Jaros comprit quelques bribes de ce qu'il se disait, apparemment les marines n'étaient pas tout à fait d'accord sur un point, le mot "glaces" fut prononcé plusieurs fois. Puis l'une des trois, alors qu'il n'était plus qu'à une dizaine de mètres, partit droit vers la ville, suivie par une autre qui traînait un peu les pieds. La dernière, manifestement un peu ennuyée, le vit et tourna les yeux vers lui. Le jeune homme sortit la main de sa poche, sans pour autant ralentir son rythme de marche. Il afficha une expression aussi avenante que possible, teintée d'une timidité pas trop difficile à simuler compte tenu de sa situation pour le moins tendue.  Arrivé à une proximité confortable, il s'introduit.

- Bonjour ! Je n'ai pas pu m'empêcher de vous remarquer prendre votre incongru bain de soleil, je voudrais simplement vous complimenter. Vous êtes aussi radieuse que lui ! Oh, et bonjour officier. Je ne vous dérangeais pas, j'espère ?
- Euh, c'est à dire que...
- Eh bien merci du compliment.

On lui sourit, mais avec une retenue qui dénotait d'une cordialité de pure forme. Il ennuyait, c'était clair et net, et il en avait bien conscience. N'eut-il pas été en mission, le jeune homme se serait bien gardé d'importuner ainsi. Mais les circonstances lui interdisaient de se conduire comme il le voulait. Il enchaîna donc.

- Quelle impolitesse de ma part ! Je m'appelle Koeda, je suis intermédiaire commercial. Je crois que votre garnison a déjà eu à faire à un de mes collègues, officier !
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Cher journal,

Je ne pensais pas que prendre un simple bain de soleil deviendrait si compliqué ! Si j'avais su j'aurais plutôt loué un bateau de pêcheur ou alors je me serais installée sur le toit de la base moche ! A peine débarrassée de deux des triples casse-pieds, c'est au tour d'un grand jeune homme aux cheveux longs de venir pour me complimenter. On sait tous comment ça va finir cette histoire journal, je sais très bien que je perds mon temps à lui répondre, et  pourtant, par chance pour lui, je suis du genre à accorder la présomption d'innocence aux inconnus. Malgré mes réticences, je l'accueille cordialement... enfin pas trop froidement ! Après tout ce n'est que le premier dragueur des plages depuis que je suis installée, et qui sait peut-être que pour une fois il se contentera de déposer son gentil compliment avant de passer son chemin ?
Sur ce point-là je déchante vite puisqu'il semble décidé à démarrer la conversation ! Bon, je fais quoi journal, je l'ignore ? J'essaie de l'envoyer plutôt vers les triplées ? Au moins il ne semble pas trop mal éduqué, et puis il n'a pas d'uniforme de la marine lui au moins ce qui lui fait tout de même un bon point supplémentaire ! Grand et maigre, il est probablement aussi léger que moi mais avec quarante bons centimètres de plus !  Il se présente comme étant Koeda (c'est son prénom j'imagine ? Je le note ici pour ne pas l'oublier, retiens le bien journal !), intermédiaire commercial -quoi que ça veuille dire-. Il vient peut-être négocier avec le colonel un arrangement pour une livraison de quelques milliers de litres de peinture en vue d'un ravalement de façade ? A moins que... un intermédiaire commercial qui vient aborder les jeunes femmes sur la plage, ça ne serait pas un genre d'agent de mannequinat ? Hé bien, si je m'attendais à ça !
Bien sûr que si journal, évidemment que c'est ça ! Pour quelle autre raison voudrais-tu qu'il soit là ? D'ailleurs il n'a même pas de pots de peinture avec lui.

C'est très déplacé de venir me démarcher comme ça, mais un petit peu flatteur tout de même je dois l'admettre. Il n'est pas question que j'accepte une quelconque proposition bien sûr, mais je peux tout de même écouter ce qu'il a à me dire. Je n'accepterai rien, je suis en mission ! Je fais juste ça pour ne pas le rembarrer trop méchamment et pour flatter un peu mon ego. Quoique... je suis sous une fausse identité après tout, qui ça dérangerait ? Et puis personne n'a jamais dit que faire une mission secrète d'infiltration empêchait de se laisser prendre en photo pour un magazine de mode !

Je sens bien que tu es dubitatif journal, que tu trouves que je vais un peu vite en besogne, mais tu sais ce qu'on dit: il faut savoir saisir sa chance ! Là ou tu as peut-être raison c'est que je devrais tout de même me renseigner avant d'accepter n'importe quelle proposition. Enfin si j'envisage d'accepter ! Parce que je n'accepterai rien, je ne fais qu'écouter hein ! Je t'assure ! De toute manière il n'est pas question que je me retrouve en tête de couverture d'un magazine de peinture en bâtiment !
Je soulève mes lunettes sévères et les range au dessus de mon front pour me mettre à mon avantage, et mon attitude change radicalement alors que j’accorde au commercial en mannequinat un sourire chaleureux:

"- Je suis mademoiselle Smith-Martin-Lepetit-Kalinsky, enchantée monsieur Koeda."

Oui oui journal, je sais bien qu'au QG de la marine je m'étais présentée comme "Madame". Mais... bah, ça fait plus jeune tu vois ?

C'est à ce moment de la conversation que nous sommes rejoints par sbire, qui tient à la main un petit sac en papier m'indiquant qu'il a accompli sa mission. Comme je l'ai autorisé à se détendre lui aussi, mon acolyte a laissé tomber sa cravate et mis un canotier en paille ainsi que des lunettes de soleil. Avec ça il a toujours l'air d'un gorille étriqué dans des vêtements pas adaptés, mais d'un gorille en vacances !
Je décide de l'introduire moi-même:

"- Et voici M.Comptable, mon collègue ."
"- Bonjour", répond dernier d'une voix bourrue et me questionnant du regard, mais peut-être aussi en sous-entendant à l'intention du nouveau venu, quel qu'il soit, qu'il s'aventure sur un terrain de chasse gardé.

Il faut dire que M.Comptable, alias sbire, alias surement un autre nom, doit plus avoir l'habitude des missions bagarre que des missions d'infiltration. Et je ne te permets pas de critiquer le nom que je lui ai attribué journal, il est très bien et très facile à retenir ! En plus j'ai déjà pris tous les patronymes avec mon faux nom. D'ailleurs je ne vois pas pourquoi un comptable ne pourrait pas s'appeler M.Comptable ! Il y a bien des Leboucher, des Boulanger, des Je-ne-sais-quoi-ier ! E toute manière quand on est un journal qui s'appelle Journal on ne se la ramène pas trop !

Plantée debout à côté de nous, le sergent Leloup n°2 ne dit pas grand-chose. Il semblerait qu'en l'absence de ses triplées elle se sente un peu perdue, ou bien que son intellect soit divisé par trois.
Bon débarras ! Bien décidée à ne pas laisser tous les importuns du monde me gâcher mon bain de soleil, je m'allonge sur le ventre et fais signe à sbire de sortir la crème solaire de son sac.

"- Que puis-je pour vous faire plaisir ? Ne vous inquiétez pas vous ne prenez pas la place de Mme Sergent... euh, du sergent Leloup, elle ne fait que me tenir compagnie pendant ma sortie à la plage."

Nous sommes rejoints à point nommé par les deux autres triplées qui reviennent vers nous avec un air guilleret et plusieurs cornets de glace:

"- Revoilà les fées des glaces ! J'ai pris une menthe-chocolat avec trois boules pour vous inspectrice, comme vous aviez demandé ! Vous avez raison elle a l'air délicieuse ! "
"- C'est beaucoup trop cher d'acheter ça près de la plage, il n'y a que les pigeons qui font ça."

Oh mais chut toi ! Une inspectrice ça n'évoque pas les photos de mode ! Ce n'est pas sexy du tout ! J'ai l'air de quoi moi après ?
Indifférente à ma contrariété muette, la pétulante soldat me tend ma glace avec un sourire ravi puis en propose d'autres à ses sœurs et à mon homme de main:

"- Comme je ne connaissais pas les goûts de votre collègue je lui en ai pris une à la vanille et au chocolat. Il y en a une à la mangue pour Luna, une à la fraise pour moi... et pas de glace pour Loona qui n'aime pas ça !"
"- Oh, c'est gentil Louna mais pas pendant le service."
"- C'est merveilleux tout ça, quelle remarquable mission accomplie pour la marine !"

A ce moment, le regard de triplée n°1 se pose sur le dénommé Koeda:

"- Je ne savais pas que vous aviez un autre collègue inspectrice ! Voulez-vous que nous allions lui chercher une glace lui aussi ?"
"- On peut le faire, mais je ne suis pas sûre que le commandant nous ait vraiment confié ce genre d'attributions..."
"- Oh non, pas encore ! On ne va pas nourrir tous les casse-pieds qui viennent parce qu'ils voient une exhibitionniste en maillot de bain !"

Malgré l'enthousiasme des triplées à se rendre utile, j'ignore leur offre et ne propose pas de glace à mon visiteur pour le moment (pas dès la première rencontre !), me contentant de lui faire la conversation.

"- Vous êtes en affaires avec la marine vous aussi ? C'est chez eux que vous faites vos photos en ce moment ?"
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Ce fut dit avec une grande innocence, mais Jaros ingéra l'information avec avidité. Une "inspectrice" s'occupant d'on ne savait trop quoi à la garnison, recevant qui plus est une attention toute particulière au point d'avoir trois gradés comme larbins, voilà qui était particulier. Lorsqu'on croisait cela avec les sources du Cipher Pol 4, cela en devenait du plus haut suspect. Elle trempait dans quelque chose de louche et les marines la couvraient, le jeune homme en était presque certain à présent.

Mais la situation s'était rapidement complexifiée. Comme si trois sœurs ne suffisaient pas pour jouer les chaperons, voilà qu'un énergumène plus proche du gorille s'ajoutait. Figure saugrenue et qui ne faisait qu'ajouter à l'aspect louche de ce petit rassemblement. Jaros aurait donc déjà eu bien assez de matière pour s'inquiéter, et il fallut en sus qu'on se mette à lui servir un affreux galimatias.

Pendant un court, très court instant, le jeune homme se sentit totalement perdu. Ce qu'on venait de lui dire n'avait pas le moindre sens à ses oreilles. *Des... Des photos ?* Soit on se moquait de lui, soit quelque chose de crucial lui avait échappé, soit l'esprit de cette jeune Smith-machin-truc-chose était aussi tordu que son enfilade de noms. Probablement un peu des trois à la fois. Restait qu'il devait réagir, vite et bien avec ça... Sans se départir de son sourire, il répondit donc comme il put, en commençant par nier d'un petit air gêné à la soldate, se tournant ensuite vers la dite "inspectrice".

- Ah, je crains de vous décevoir officier... Et non, je ne travaille pas directement avec la garnison.

Une part de lui voulait s'arrêter là, mais s'il comptait en dire le moins possible, il se devait d'occuper le terrain et faire illusion. *Bon, espérons que ça passe en tant que tel...* Il continua donc, puisant dans les antisèches contextuels que tout agent se devait de préparer.

- Mais vous n'êtes pas loin de la vérité, mademoiselle. D'ailleurs... Voilà, si cela pourrait vous intéresser.

Jaros sortit d'une poche intérieure de sa veste une jolie mais sobre carte de visite, à l'écriture stylisée et aux bords ornés d'un liserai argenté. Après un léger temps d'hésitation, la jeune femme en maillot de bain la prit. Parfait. Ne restait plus qu'à... *Pulu*Pulu*Pulu*Pulu* L'escargophone de l'agent se mit à sonner dans sa sacoche. *Bordel, elle se fout de moi ou quoi ?* Pestant intérieurement, il hésita très brièvement à ne pas répondre, mais le mal était déjà fait.

- Oh, excusez moi. Si vous permettez...
- Vous êtes quelqu'un de bien occupé, on dirait !
- De bien envahissant surtout...

Adressant un bref sourire gêné aux marines, il s'éloigna d'un bon pas en décrochant, tournant le dos au petit groupe. Cette fichue sous-fifre ne semblait pas avoir compris. Il lui répondit d'un ton très froid et professionnel une fois une bonne dizaine de mètres parcourus.

- Oui, il se passe quelque chose ? Je suis plutôt occupé pour le moment.
- On a un client de plus on dirait, m'sieur...
- Oh, encore un. Et donc ?
- M'sieur, y a vraiment un truc qui cloche... Faut qu'on se parle.

Difficile de se retenir de soupirer, cette fois. *Riche idée de nous fourguer des incapables pareils...* La bougresse ne respectait plus du tout ce sur quoi ils avaient convenu, manifestement déroutée. Par quoi, Jaros n'en avait aucune idée et cela ne le concernait pas, entrait même en conflit direct avec le bon déroulement de sa mission. D'un autre coté il ne pouvait pas ignorer un tel risque. Quelques bruits sur le sable derrière lui trahirent l'indiscrétion mal camouflée de "monsieur Comptable". *Huh, évidemment...* Il n'avait plus vraiment le loisir du choix maintenant, et se résolut donc.

- Ne vous en faites pas... Faites valoir votre prix, et puis tout ira bien, compris ?
- ... Oui m'sieur, à t... enfin, merci.

Il raccrocha rapidement avant de se retourner, lançant un regard innocent au fouineur qui, réajustait son ridicule canotier maladroitement.  Même sans prendre cela en compte, on avait causé dans son dos, il l'avait bien senti, et le temps pressait, maintenant. Du moins, en espérant que cette fichue sbire n'était pas passée à coté du message codé... Il se permit donc un autre sourire un peu contrit, alors que les triplettes s'interrompaient dans leurs petites discussions en le voyant revenir.

- Navré, vraiment, les impératifs professionnels vous savez...
- Oh je comprends. Moi-même, j'ai peur que le travail ne finisse par me rattraper sous la forme de trois sœurs étrangement semblables.
- Dites tout de suite qu'on vous embête, ça sera plus clair...
- Loona, ne soit pas si impolie, nous sommes là pour l'aider et pas pour la houspiller.
- Oui, il ne faut pas être susceptible comme ça ! En plus on mange des bonnes glaces ensemble, c'est super non ?

Jaros hocha poliment du chef, alors que la sergente mordait avec entrain dans son cornet, manquant de se mettre de la crème glacée sur les joues. Force était d'admettre que pour des militaires, le moment était exceptionnellement confortable, autant ne pas cracher dans la soupe. Cette chère Smith-truc-muche n'en avait pas fini, et questionna le jeune homme de derrière son cornet de glace. Il nota d'ailleurs que sa carte de visite avait disparu.

- Et quelles affaires vous amènent à Shell Town, monsieur Koeda ? Vous vous rendez bien mystérieux !

Quel que soit son degré d'implication dans les affaires de la garnison, difficile de nier que cette blonde avait du charme. Sous ses longs cils, son regard se faisait taquin, presque joueur; diablement digne de méfiance donc. Restait qu'il n'était pas difficile pour son interlocuteur de laisser paraître un certain émoi, remettant prestement en place une mèche de cheveux menaçant son œil.

- À moins que vous ne viviez ici ? Vous êtes un habitué de cette plage, peut-être ? Venez-vous souvent pour complimenter les baigneuses ?
- Oh non, mais je dois dire que rares sont les personnes attirant autant l'attention que vous. Je m'occupe du bon déroulé de transactions commerciales diverses, rien de bien passionnant donc... Et non, je suis à Shell Town que pour quelques temps ! J'ai plusieurs petites affaires à mener à bien, notamment avec un certain Lieutenant-Colonel, Padin-quelque chose.
- Avec monsieur Rogue Paddington ? Un vieux grincheux tout chauve avec une grosse barbe ?
- Louna...

De son air polis et badin Jaros ne dévia pas, mais intérieurement il jubila. Il ne connaissait jusqu'à présent que le nom de ce gradé, lu parmi d'autres dans les innombrables fiche, facture et contrats qu'il avait dû se coltiner. Le trouver se révélerait donc bien plus facile maintenant. En réponse, il mâtina un petit mensonge d'une dose de vérité, asseyant la légitimité du métier qu'il prétendait exercer d'un air confiant.

- Exactement, oui ! Apparemment vous manquez de beaucoup de choses à la garnison, les commandes semblent importantes d'après les factures !

Cela jeta un froid assez conséquent sur les triplettes, la plus grincheuse des trois jetant de rapides coups d’œil anxieux à sa protégée en maillot de bain. Le jeune agent n'en avait pas fini cependant. Ton aussi léger que possible, il était grand temps de pêcher quelques autres informations.

- Mais que de questions ! Vous semblez avoir votre fonction d'inspectrice très à cœur. Vous travaillez avec la garnison, si j'ai bien compris ?
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Cher journal,

L'air de rien, je compte les points. Des compliments, mais sans tomber dans le banal, le vulgaire ni l'insistant, c'est un point de gagné. Un joli visage gentil, un peu maigre mais j'aime bien les gens maigres: un point aussi. Le métier d'agent pour mannequin, c'est trois points d'un coup ! En revanche quitter la conversation pour répondre à un appel escargophonique c'est très mauvais pour lui. Sans parler du fait qu'il ne serait finalement pas un agent de mannequinat !
Sa petite interruption escargophonique, en dépit des points qu'elle lui coûte, nous permet à sbire et moi de faire un rapide échange sur la situation:

"- Je le trouve suspect, ce gars. Voulez-vous que je vous en débarrasse ?"
"- Oh non pas besoin. Pas encore, son score des toujours dans les positifs. On envisagera ce genre de solution radicale si je me rends compte que c'est juste un dragueur des plages ou un menteur."

Mais dis-moi... Sbire ne serait-il pas en train de me faire une crise de jalousie ? Est-ce que... nooon, quand même pas ?! La présence de ce jeune homme éveillerait-elle son côté possessif ? J'imagine déjà le grand maigre et le grand costaud de battre pour moi sur la plage, luttant pour leur amour, finissant dans l'eau, leurs chemises déchirées et... Qu'est-ce qu'il y a journal ? C'est tout à fait plausible comme scénario ! Je n'entends pas encourager ce comportement évidemment: j'aime bien les hommes un peu grands, mais lui c'est carrément une armoire à glace ! Et puis c'est juste un sbire...

Trop occupée par mes pensées, je n'entends pas la proposition de Sbire et accepte sans réfléchir. Ce dernier emploie donc la technique n°32 pour obtenir des informations discrètement, autrement appelée "oh là là mon chapeau s'est envolé et je dois aller le ramasser".
Je ne suis pas du genre à écouter l'avis d'un sbire, journal, mais je pense qu'il a malgré tout raison sur un point: j'ai intérêt à en savoir un peu plus sur mon galant avant d'aller plus loin. Ne serait-ce que pour ne pas perdre mon temps avec un représentant en quincaillerie chargé de négocier la livraison de deux mille litres de peinture bleue spéciale rayures moches.

Lorsque les deux hommes sont de retour une petite minute plus tard, je reprends la conversation l'air de rien et questionne notre visiteur. Nos échanges me permettent d'en apprendre bien plus que la technique n°32 de Sbire, entre autres le nom de son interlocuteur à la garnison: un lieutenant-colonel du nom de Paddington (je le note dans un coin de ma tête pour ne pas l'oublier). Il faudra que j'aille le cuisiner dès que possible celui-là, pour en apprendre plus à propos de ce cher monsieur Koeda et de ses si mystérieuses affaires. Car il faut bien le dire, il n'est pas très bavard en ce qui concerne son métier. Secret, même ! A base de "ouiii, maiis nooon, maiiis mon métier ce n'eeeest pas très intéressant vous voyeeeez", et "je fournis beaucoup de chooooses, vous voyeeeez, mais je ne vous dirai pas quoiiiii parce que c'est trop mystérieuuuuux" (il n'a jamais dit "vous voyeeeez", mais tu comprends l'idée journal) ! Bien sur que si c'est important, et si ça ne l'est pas pour toi c'est soit que tu es très modeste, soit que tu as des choses à te reprocher, ou pire encore que tu es pauvre !

A moins que... je le savais, c'est bien lui le livreur de peinture !!! Je m'en doutais depuis le début !!! Et vu le regard coupable que me jettent les triplées, je crois que j'ai bel et bien découvert le pot aux roses ! Après avoir noté mentalement "moins un point", je ne peux pas m'empêcher de m'amuser à enfoncer un peu le clou en attrapant leur regard à toutes les trois et en leur faisant la tête de "moi je sais, et vous savez que je sais, et vous savez que je sais que ce n'est pas bon pour vous que je sache " !

Ayant, contrairement à l'homme, un métier bien défini et respectable (ce qui m'autorise à renier tous les principes que j'ai cités juste avant), je me permets d'éluder sa question sur mes enquêtes et de répondre d'un air badin:

"- Oh, je sais faire la part des choses ! J'évite autant que possible de mélanger le travail et ma vie privée, ça évite que le premier gâche la seconde. Là par exemple, je profite de la plage et mange une glace sur mon temps de détente..."

... Avec l'argent du gouvernement. Oui, bon, disons que je fais la part des choses quand ça m'arrange.

"- ... et l'inspectrice qui est en moi est restée avec mon tailleur dans ma chambre. Vous pourriez m'annoncer que L(o)(o)una et vous organisez un trafic d'armes que ça me serait égal !"

Evidemment que non journal, ce serait même une information très croustillante ! Mais ce qui est sans intérêt pour la soi-disant madame Smith-Martin-Lepetit-Kalinsky peut très bien ravir les oreilles de l'agent secret qui se cache derrière, et qui elle reste de service en toutes circonstances ! Et même si parfois on en a l'impression que je ne prends pas ma mission très au sérieux, comme actuellement ou je ressemble plus à une touriste qu'à une agent secret... eh bien en réalité tout est calculé ! C'est du travail, il ne faut pas croire ! Tu comprendrais si tu étais un agent hautement qualifié toi aussi.
Bien sûr que si c'est calculé ! J'ai même très bien calculé combien je pourrais me faire rembourser par le pôle trésorerie du CP5 en comptant les glaces et l'achat de ma tenue de plage comme des "frais divers de mission".

Nous bavardons un petit moment tous les six, seulement interrompus lorsque je me passe de la crème solaire écran total sur le corps et que j'encourage les autres à s'installer sur le sable eux aussi. Parce que bon, sinon je ressemble un peu à une star entourée de ses gardes du corps ! Non pas que ça me dérange, mais j'ai quand même vu plusieurs passants me regarder avec insistance. A tous les coups ça va jaser... Je sais bien que je ressemble un peu à la célèbre France Rodriguez, mais non ce n'est pas moi ! D'ailleurs en dehors du fait qu'on est toutes les deux blondes et qu'on passe notre temps à jouer des rôles, on a pas vraiment de points communs.
Au cours de la conversation, je note intérieurement pas mal de petites choses comme "trouver un moyen de semer les triplées", "interroger le Lieutenant-Colonel Paddington, et si possible avant M. Koeda pour pouvoir le cuisiner à son sujet", ou encore "se renseigner à propos des si nombreuses fournitures manquantes", et enfin "envisager d'interroger M.Koeda entre quatre yeux dans le cadre de mon inspection de couverture". Mais est-ce vraiment nécessaire ? Je veux dire, je m'en fiche royalement de cette inspection en vérité. A part pour m'amuser à mettre la pression au colonel Vélasquez évidemment.

Que dit le décompte des points journal ? Qu'il est l'heure de mettre les voiles ? Bien, il va bien falloir que je retourne au travail de toute manière sinon les gens vont se demander pourquoi la fameuse inspectrice à la mine sévère, qui annonce venir ici avec l'intention de secouer le panier de crabes qu'est la 153ème division, n'en fiche pas une depuis son arrivée ! J'interromps donc ma tentative de séance de bronzette, qui de toute manière a pas mal capoté dès le départ, et annonce à la bande de squatteurs présente autour de moi:

"- Mesdames, messieurs, il va malheureusement être l'heure de se mettre au travail. Monsieur comptable et moi avons une après-midi chargée en perspective, et je ne voudrais pas que nos trois sergents de la marine se fassent reprocher d'avoir passé leur après-midi sur la plage à manger des glaces à la plage."
"- C'est gentil de vous inquiéter pour nous inspectrice mais ne vous en faites pas: nous avons hâte de nous mettre au travail !"
"- Oui s'il vous plaît ! Allons-y sans tarder, sinon j'ai peur que ça devienne vraiment embarrassant."
"- Sans rire ? A cause de qui on est là ? Elle a du culot de dire ça !"

J'ajoute, à l'intention de mon charmant compagnon:

"- Monsieur Koeda, ce fut un plaisir. Puisque nos affaires nous conduisent tous les deux au même endroit, je suis certaine que nous nous reverrons.

Oh, et pas seulement pour une conversation galante. Si je n'ai rien de mieux à faire, ou s'il me gêne à un moment ou un autre, je n'exclus pas de lui envoyer une gentille petite note intitulée "vous êtes convoqué pour un entretien avec Mme Smith-Martin-Lepetit-Kalinsky dans le cadre d'une inspection du travail" ! Et les mots "livraison de peinture" risquent fort d'y être prononcés !
Ayant pris congé de lui, et pouvant donc de nouveau parler de travail sans impliquer un civil, je demande à mon sbire:

"- Monsieur comptable, par où devrions-nous commencer ?"
"- Je suggère de faire un rapide tour du port inspectrice, c'est le site le plus proche d'ici."
"- Parfait ! Allez donc vous occuper du port avec nos charmantes accompagnatrices, pour ma part je vais... ahem... faire des trucs super importants dans ma chambre, comme, euh, ahem... des trucs importants. Laissez-moi la crème solaire, elle risque de me servir encore."

Vu les regards accusateurs que me lancent au moins deux des trois triplées, mon faux prétexte passe plutôt bien. Sbire lui reste stoïque: il n'est plus à une fantaisie près.

"- Laissez-moi vous accompagner inspectrice, vous aurez certainement besoin d'une guide !"
"- Oh non surtout pas toi Louna. Je vais m'en occuper."
"- C'est quoi cette manie de nous forcer à scinder notre trio ? C'est scandaleux !"

♦️♦️♦️♦️

Finalement, c'est Louna et Loona qui m'accompagnent. Ou alors Loona et Luna ? Zut, j'ai un doute ! Bon, deux des trois sœurs en tout cas. Ce qui importe c'est qu'on puisse croire que Sbire va travailler tandis que moi je retourne me la couler douce. Parce que j'ai menti quant à mon but, évidemment... enfin non, pourquoi évidemment ? Je dis souvent la vérité, que je sache ! N'est-ce pas journal ? Contente que tu sois d'accord ! A peine de retour à la base je ne perds pas de temps: plutôt que de retourner à ma chambre comme je l'avais annoncé j'indique à mes guides:

"- Maintenant que nous sommes ici, j'aimerais beaucoup rencontrer ce fameux lieutenant-colonel Paddin-machin tout compte fait. Rapport à cette histoire de fournitures manquantes, vous comprenez ?"
"- Bien sûr inspectrice ! Il est surement dans son bureau à cette heure-là, ou bien près de la cafetière. Il passe beaucoup de temps à la cafetière !"
"- Oui oui, bien sûr. Je te laisse t’en charger Louna, je vous rejoins là-bas."

C'est pour ma couverture évidemment, et pas parce que j'ai très envie de le cuisiner à propos de Koeda. Ni parce que je suis une vilaine curieuse, une grande gamine, et que j'ai très envie de lui couper l'herbe sous le pied en le rencontrant avant lui ! Absolument pas journal, d'ailleurs c'est très médisant de ta part de penser ça !
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Jaros ne s'était pas attendu à ce que tout se passe sans accroc ni imprévu, certes, mais on lui avait refourgué cette mission comme une ennuyeuse enquête dans un coin perdu des Blues. Sans espérer se la couler douce son esprit s'était conditionné à une tâche relativement morne et tranquille, mais là... Tout était bien plus compliqué que prévu. Au moins le jeune homme était-il à présent persuadé que cette fichue donzelle était ce soit-disant comptable gouvernemental en inspection, à défaut d'en être bien assuré. Restait qu'elle constituait une jolie épine à son pied, en plus d'une inconnue de taille. Inconnue qui semblait presque le narguer avec ses petites phrases légères et taquines, merveilleusement bien portées par son physique attrayant.

Leur conversation ne s'éternisa plus. Faire durer le tout plus longtemps aurait définitivement relevé de l'impolitesse après tout. Ayant pris congé poliment, et une fois hors du champ de vision de la suspecte jeune femme, son gorille et sa garde soldatesque, il ne perdit donc pas de temps. Il était plus que temps de passer à l'action. Il chercha et trouva rapidement une petite ruelle vide, s'y engouffra, souffla quelques instants en regardant le mur ombragé devant lui, tout en sortant son escargophone. *Plus qu'à espérer qu'elle n'ai pas déjà tout fait foirer...* Après quelques secondes d'attente, sa collègue décrocha.

- Détente. Bon, c'est quoi le problème ?
- Vous foutiez quoi ?! Moi ça fait quinze pige que j'suis dans l'métier et v... Donc vous savez que ce qui compte c'est la mission, non ? C'est quoi le problème ?

Un silence de quelques secondes succéda ce recadrage sec, puis la sbire se décida à répondre, son grief ravalé.

- ... Y préparent j'sais pas quoi à la garnison, y'a eu d'la fumée dans la cour.
- Et merde... Quand ça plus précisément ?
- Que... Quand... vous m'avez raccroché au nez la première fois.
- Bon, c'est déjà ça.

Jaros fronça les sourcils. *Qu'est-ce qu'ils fichent ces saligots...* Jusqu'à présent il n'aurait vraiment su dire si les trois Marines aux basques de l'inopportune étaient de mèche avec elle ou, scénario plus problématique encore, si au contraire elle relevait de l'élément surprise pour tous. Mine de rien on lui apportait une information au potentiel des plus contrariants, ici. Dans tous les cas il devait réagir au plus vite. Le jeune homme écourta donc.

- Merci, restez à votre poste comme prévu pour le moment. Je vais tirer tout ça au clair.

Et il raccrocha aussi sec, soupira. Un bon agent savait s'adapter lorsque l'inopiné s’immisçait dans ses petites affaires. C'était le moment où jamais de faire ses preuves et de mettre en pratique ce qu'on lui avait si précipitamment inculqué. Le jeune homme leva pensivement les yeux en réajustant ses vêtements. Il lui fallait arriver le plus rapidement possible à la garnison, maintenant. *Bon... Faut bien admettre que ce fichu entraînement ouvre quelques portes.* Précautionneusement, il tapota son pied sur le sol, doucement, à la recherche d'un possible élan de douleur. Pas le moindre, bien. Il s'accroupit.

L'instant d'après, Jaros sauta à la verticale d'une puissante détente de ses longues jambes, jusqu'à atteindre la moitié de la hauteur du mur. Aussi impressionnant le bond soit-il, l'objectif était encore à quelques mètres. D'une vigoureuse et savante poussée du pied, le jeune homme se propulsa à nouveau, atterrit souplement sur le faîtage. *Bien pratique, ce "geppou", faut l'avouer.* Petit instant à chasser l'idée que, si peu de gens s'amusaient à regarder les toits en pleine journée, l'idée était tout de même diablement saugrenue, et il se lança dans une course effrénée. Il y avait quelque chose de diablement libérateur à sauter de bâtiment en bâtiment. Même si le jeune homme n'osait pas user de tout ce qu'il avait appris, de peur de faire trop de bruit sur les toits, la sensation de vitesse restait bien notable.

Il descendit cependant avant d'arriver trop prêt de la garnison, et finit son trajet sur le plancher des vaches. Son objectif n'était bien évidemment pas l'entrée principale. Il n'avait pas dû potasser tous ces plans et indications pour rien. Sa cible, c'était une fenêtre un peu isolée du coté est de l'énorme bâtisse. Ouverte qui plus est, quel luxe. Passer le mur ne lui poserait pas de problème en soi, ne restait plus qu'à éviter de se faire repérer. Et pour ça... S'appuyant nonchalamment contre un mur en vue de son objectif, il sortit son escargophone, le fit sonner une fois, deux fois, trois fois, le rangea, puis attendit.

*BOOOUUUM*

Quelque part de l'autre coté de la garnison retentit soudain une détonation. *Elle sait faire diversion cette sbire, c'est déjà ça.* En quelques dizaines de secondes, les quelques soldats présents sur le chemin de guet du mur d'enceinte disparurent tous sous l'injonction des sous-officiers, se pressant comme des oiseaux affolés. Jaros doutait que cela dure longtemps - des militaires plus aguerris auraient au contraire gardés leur position - et ne perdit donc pas de temps. Quelques enjambées, un saut puis un deuxième en s'appuyant sur l'air, réception toute en souplesse au sol, rebelote et le rebord de la fenêtre fut sur son genou.

Le jeune agent craignait que le couloir dans lequel il avait atterri ne soit emprunté par quelque bleu en pleine course, mais heureusement pour lui non. L'endroit était vide, pour le moment. *Bon, vite, le bureau du Lieutenant-Colonel...* Il ne savait pas précisément où ce Paddington se trouvait, ni même où son bureau était, et la situation risquait de se complexifier rapidement, il fallait donc faire vite et bien. L'étage était en tout cas dédié aux bureaux des officiers supérieurs, et ce qui ressemblait diablement à un petit coin cuisine ou détente n'était pas non plus loin.

Un peu tendu, sa sacoche toujours en main, il se dirigea vers la porte la plus proche et lut le petit écriteau sur le battant, continua jusqu'à la suivante, mauvaise pioche. Puis celle d'en face, puis celle d'après... Il arrivait à la dernière avant le virage du couloir quand une s'ouvrit toute seule devant lui. Il se plaqua de suite au mur, en tentant de ne faire aucun bruit.

- Huuuhhhhhh, qu'est-ce qui se passe encore...

Silhouette pas bien grande, manteau blanc caractéristique et crâne chauve, c'est ce que le jeune homme eut le temps d'apercevoir. Le reste se passa de toute réflexion. *Soru !* Se rapprochant en un éclair, il administra un savant coude descendant à la nuque de Paddington, qui s'écroula  instantanément. Et aurait violemment cogné le sol, si son agresseur ne l'avait pas rattrapé un peu maladroitement, manquant de lui tordre le bras dans l'opération. Jaros se permit un petit soupir avant de porter le vieil homme dans son bureau, le déposer au sol - ainsi que sa serviette de cuir - et fermer la porte derrière eux. Intérieurement, l'infiltré pria pour que personne ne se décide à venir maintenant; il avait quelques petits papiers à trouver et un barbu à interroger, si possible.


Dernière édition par Jaros Hekomeny le Mar 11 Juin 2019 - 13:52, édité 2 fois
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Cher journal,

*BOOOUUUM*

Et voilà que ça commence par une explosion ! Les gens ne sont vraiment pas tenables ici ! Ils ont beau vivre sur une île minuscule, on a l'impression que les habitants de Shell Town passent leur temps à vouloir faire les intéressants. Et voilà que je te fabrique un gros bateau à gros problèmes, que je te crée des ennuis en veux-tu en voilà, vas-y que je t'invente des magouilles financières, et maintenant on nous colle des explosions sorties de nulle part !
Jouant avec un certain plaisir malveillant mon rôle d'inspectrice sévère, je m'exclame à l'intention de ma guide:

"- Eh bien, expliquez-moi ! Qu'est-ce que c'est que cette explosion ?"

Mon air outré laisse entendre que je trouve ça inacceptable, et que quand on a des soucis de finances on ne peut pas se permettre d'avoir des choses qui explosent comme ça à tort et à travers: un peu de tenue, non mais !

"- Je ne sais pas inspectrice. Mais on pourrait aller voir ! Ce serait une très bonne idée ! Le bruit venait de l'autre côté de la garnison, mais on aura vite fait le tour."
"- Eh bien allons-y sergent !

Que veux-tu journal, je suis une vilaine curieuse. Guidée par la seule des triplées qui est restée avec moi, je fais le tour par l'extérieur du mur d'enceinte et atteint rapidement le lieu incriminé où il règne une certaine animation. Un groupe de soldats est présent, occupé à s'agiter dans tous les sens, et à notre arrivée l'un d'eux se dirige vers nous, salue le sergent Louna, et nous arrête:

"- Restez à l'écart s'il vous plaît, c'est dangereux pour les civils. Nous sommes en train d'inspecter la zone, il y a peut-être d'autres explosifs."
"- Il s'agit de l'inspectrice Smith, soldat. Elle est venue ici... pour inspecter."

Le soldat me dévisage avec un air étonné et un peu incrédule. Peut-être que j'y aurais gagné à passer remettre mon tailleur et tout mon déguisement avant de venir jouer les inspectrices ici. Le soldat, lui, passe de l'étonnement à une gêne très perceptible. Je ne me démonte pas pour autant et compense le ridicule de ma situation en prenant une pose autoritaire et en le fixant avec toute la sévérité de mes lunettes !

"- Faites-moi un rapport, soldat."

Tout en baissant les yeux, sans doute pour fuir mon regard, il répond:

"- Eh bien... quelqu'un a tenté de faire exploser le mur. Il n'y a aucun dommage important ni aucune victime heureusement. Nous ignorons s'il s'agit d'une attaque, d'une tentative d'intrusion ou d'un acte de vandalisme mais..."

Je le coupe d'un air autoritaire et désagréable, et m'adresse au sergent Louna:

"- C'est sans intérêt. Tout ceci est une affaire de militaires. Je suis ici pour réaliser une inspection administrative, pas pour savoir si vous savez faire correctement votre travail de soldats !"

J'agite mon index:

"- Sergent Leloup, direction mes appartements !"

Ma curiosité satisfaite (car contrairement à ce que je montre je suis ravie !) et ma réputation de personne à sale caractère alimentée à peu de frais, je fais demi-tour et retourne en direction de l'entrée de la base.

♦️♦️♦️♦️

Je regarde mon reflet dans la glace, et ce que j'y vois est parfait: j'ai beaucoup plus l'air d'une inspectrice comme ça ! Le tailleur strict, les talons stricts, les lunettes... tout y est ! Juste avant de repartir mon chaperon et moi sommes rejointes par une autre des triplées, Lou...Lu... enfin bref l'une des trois. Si je n'avais pas autant confiance en leur bienveillance et en leur bonne foi, je serais certainement convaincue que cette dernière a profité de sa petite absence pour aller faire son rapport au Colonel et lui détailler le moindre de mes faits et gestes. Toujours selon cette très improbable hypothèse, je serais à présent pratiquement certaine que le fameux lieutenant-colonel Paddington s'attend à ma visite à présent, et qu'il a eu le temps de préparer ce qu'il fallait et de faire disparaître ce qu'il ne fallait pas. Peu importe ! Enfin... pas grave. On n’est pas là pour ça journal, on est là pour... notre mission secrète... (là il faut que tu imagines que je te fais un clin d'oeil. Mais je ne le fais pas pour de vrai, sinon les deux sœurs vont trouver que je suis vraiment bizarre ! Enfin encore plus bizarre. Mais je ne te permets pas de me traiter de bizarre, journal mal élevé !).

Équipée et prête à semer la terreur dans les bureaux tout en prenant quelques repères pour ma véritable mission, je me fais conduire par les deux jumelles jusqu'à un étage visiblement destiné à accueillir des bureaux. Nous ne croisons pas grand monde, sans doute à cause de leur histoire d'explosion ou bien de l'affairement causé par ma venue et par la présence de M. Comptable au port.

"- Voilà, c'est ici ! Le bureau du lieutenant-colonel est juste là. Il sera étonné de vous voir mais je suis sûre qu'il vous aimera bien."
"- Oh oui, j'en suis persuadée..."

Les jumelles frappent à la porte, mais n'obtiennent aucune réponse.

"- Lieutenant-colonel ? Vous êtes ici ?"
"- Tu vois bien que non. C'est bizarre."
"- Il doit être en train de prendre son café alors ! Allons voir !"

Qu'une personne ne soit pas dans son bureau ça n'a rien d'étonnant. Tu n'imagines pas, journal, le temps que j'ai passé à chercher mes supérieurs au cours de ma formation et de ma carrière sous prétexte que ces derniers étaient en réunion/en pause/indisponibles pour le moment/pas la pour une vulgaire élève ! Donc qu'un lieutenant-colonel certainement très occupé soit introuvable ça n'a rien d'étonnant. Avec ma chance, il sera même en train de superviser l'enquête sur l'explosion vandalisante ou je ne sais quoi. Ou alors il a mis les voiles en apprenant que je désirais le voir, et de drôles de hasards feront qu'il cherchera à m'éviter pendant tout mon séjour.
Ce qui me m'intrigue en revanche, c'est que les jumelles trouvent ça bizarre. Déjà ça me confirme que j'étais attendu, mais surtout ça me met la puce à l'oreille. Oreille que je colle près de la porte, mais je ne perçois absolument rien. Une absence de bruit parfaite !

"- Suivez-moi inspectrice s'il vous plaît, la salle de pause est par là. On a du café à volonté en plus !"
"- C'est très intelligent de dire ça à la personne qui contrôle notre budget, Louna."

Je suis vaguement inquiète en apprenant ça, mais je n'en montre rien et répond d'une voix guillerette:

"- Oui bien sûr, j'arrive. On devrait en profiter pour boire un café nous aussi !"

En réalité, je ne bouge pas, et j'intime à mes deux compagnes de rester silencieuses en posant mon index sur les lèvres. Tout en faisant du sur place, je fais claquer mes talons sur le sol de manière décroissante, faisant ainsi croire que je m'éloigne... Si ce Paddington essaie de me prendre pour une idiote en restant caché dans son bureau, il va avoir une drôle de surprise ! D'un geste rapide je saisis la clenche et enfonce la porte avec force de manière à arracher la serrure en l'ouvrant ! A ma surprise, la porte n'était pas verrouillée et je me retrouve emportée par mon élan, la tête la première !
Oh la honte !! Je te raconte ça mais tu le garderas pour toi, d'accord journal ? Et si jamais tu cafardes la prochaine fois je te raconterai des mensonges à toi aussi !

Tandis que je reprends comme je peux mon équilibre (ce qui avec des talons relève de l'exploit), j'entends les deux Louna qui s'exclament d'un air scandalisé:

"- Lieutenant-colonel ! Vous allez bien ?!"
"- Koeda ?! Qu'est-ce que vous lui avez fait ?!"

Alors là je tombe des nues ! Je m'attendais à prendre en faute un officier qui se cachait de l'inspectrice moi, mais de découvrir... un meurtre, ou une agression je ne sais pas encore ! Je savais qu'il n'était pas net ce garçon, enfin qu'il m'avait embrouillé l'esprit avec son histoire d'agent commercial de mannequin, mais là c'est une autre histoire ! Il a intérêt à se trouver une excuse très rapidement parce que être surpris tout seul dans un bureau en compagnie d'un officier assommé c'est plutôt accablant comme situation !

Je m'avance avec toute l'autorité de celle qui est accompagnée de deux militaires et qui a des lunettes qui lui donnent un air sévère. Mon sourire n'a plus rien de charmeur cette fois: si je n'étais pas dans le camp des gentils, on pourrait même croire que c'est moi la méchante de l'histoire !

"- Vous avez de drôles de façons de négocier vos contrats, monsieur Koeda."

Je marque une petite pause:

"- Sergent Leloup, allez chercher quelques soldats immédiatement, qu'on arrête cet homme."

Je préfère être prudente, après tout notre séducteur des plages a été capable d'infiltrer la base très rapidement, sans se faire remarquer, et surtout de venir bout d'un officier de la marine ce qui n'est pas un mince exploit quand on sait qu'ils attribuent leurs promotions en fonction des muscles et pas de l'intelligence !

"- Un interrogatoire n'était pas au programme de l'après-midi, mais je suis très curieuse de connaître les raisons pour lesquelles un soi-disant agent commercial en mannequinat comme vous irait agir comme vous venez de le faire."

J'ai un signe de la tête en direction de Lo(o)una:

"- Sergent, veuillez tenir cet homme en respect. Au moindre..."

… mais il n’y a plus personne à côté de moi. Attends, ne me dis pas qu'elles sont parties toutes les deux ?! Quand j'ai dit "sergent Leloup", je pensais qu'elles comprendraient que je ne m'adressais qu'à l'une d'entre elles !! Les nouilles !!! Elles m'ont laissée seule avec...  Mon regard croise de nouveau celui de l'intrus, et je lis dans ses yeux que nous savons tous les deux que le rapport de forces vient de s'inverser...


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Pour un vieux gradé, Paddington ne brillait pas par ses qualités d'organisation. Beaucoup de papiers en désordre jonchaient son bureau, dont certains tiroirs dégueulaient du même foutoir. C'était tout bête, mais diablement handicapant pour ce que Jaros comptait faire. Il installa sommairement le vieil homme inconscient sur son siège, le positionnant bien dans son champ de vision, et entama un peu fébrilement sa recherche. Dossier des nouvelles recrues 1625, non. Rapports de manœuvres en mer 1622, 4/12, encore moins. Compte-rendu de perte de matériel 1627, 1/3 ? Oui, au cas où, le jeune agent posa le dossier à part, chercha ses deux autres petits camarades.

- Allez, allez...

Une petite minute après, trouvé. Restait... *Voilà !* Le dossiers des factures, parfait. Le tout risquait de ne pas rentrer dans sa petite mallette, indéniablement. Un peu fébrile, il prit un compte-rendu au hasard, regarda la date, chercha sa correspondante dans les factures. Et... *Huh, évidemment... Tout colle. Peut-être que...* Jaros se mit à fouiller un peu plus énergiquement, à la recherche de quelque chose de bien particulier, quelque chose qui ne devrait pas être là. Il ne prenait plus de gants, et jetait simplement tout ce qui ne correspondait pas au sol. Mais il devait ouvrir et feuilleter chaque dossier, un à un, procédé un peu trop fastidieux et long à son goût. D'autant que le temps pressait. Les fiches recouvraient petit à petit le carrelage, et toujours rien, toujours rien. Au bout de quelques minutes, la tension commençait à monter chez le jeune homme, quand enfin !

*Allez, dites-moi que c'est intéressant.* Le nom du dossier n'avait rien à voir avec son contenu, assez maigre par ailleurs, et il renfermait des documents, pour une fois totalement manuscrits. Une lecture rapide révéla qu'il s'agissait d'une curieuse liste chronologique, de noms auxquels correspondaient à chaque fois trois lettres majuscules - manifestement des réductions de noms communs - et un nombre. Un bref sourire se dessina sur les lèvres de l'agent. Il n'espérait pas quelque chose d'aussi *SLAAAM*

- Lieutenant-colonel ! Vous allez bien ?!
- Koeda ?! Qu'est-ce que vous lui avez fait ?!

Jaros, tout ce qu'il voulait en poche pour aller régler l'affaire de front, aurait sans doute répondu s'il n'avait pas été si surpris de voir débouler trois jeunes femmes. Dont une, surtout, venait de s'étaler sur le sol lamentablement, lui rappelant qu'il n'avait pas fermé la porte. *Machin-Smith et les triplettes... Eh ben, j'ai été si lent que ça ?* Les papiers furent prestement mis dans son sac, son autre main prête à aller piocher ce qu'il faudrait dans sa veste si nécessaire. Le regard d'une des Lieutenants - laquelle, mystère - s'arrêta sur les lettres noires qui marquaient l'un des dossiers, et elle se tourna vers sa sœur d'un air autrement plus alarmé. Un petit échange silencieux eut lieu entre les soldates.

- Vous avez de drôles de façons de négocier vos contrats, monsieur Koeda.

Trop occupé à voir les les militaires décamper brutalement derrière la soi-disant inspectrice, le jeune homme resta de marbre, et regarda prestement l'heure qu'il était. Au vu de leur empressement, nul doute qu'on ne l'attendrait pas la bouche en cœur, sans doute devrait-il se préparer à une confrontation. Il espérait que son acolyte avait bien pris soin de laisser suffisamment de restes alarmant pour garder occupé les troufions avec ses explosifs de spectacle. Smith continuait son petit baratin, trop absorbée par l'écoute de sa personne, semblait-il, pour se rendre compte que ses petites complices l'avaient abandonnée. L'étaient-elles vraiment, d'ailleurs ? Leur réaction ne collait pas trop avec cette hypothèse, il ne pouvait s'empêcher de le noter. *Une seule manière de le savoir, je suppose...*

Devant lui, on réalisa soudain sa position. Jaros préféra ne pas laisser le loisir à cette femme d'en tirer plus de conclusions. *Soru !* En un instant il passa au dessus du bureau, la plaqua au sol, face contre terre, un genou sur ses reins et ses bras maintenus d'une poigne implacable. Son autre main, tenant son petit pistolet, se posa sur la nuque de sa captive, qui commençait déjà à chercher à se débattre.

- Tu bouges encore dans une seconde, tes cervicales sont en compote au plomb.

Il ponctua la phrase d'une savante pression de son genou osseux, et le *clic* du chien de son arme fut sans doute plus éloquent que sa voix glacée, car toute résistance cessa.

- Bien. Voilà comment ça va se passer. Tu vas rester au sol en mettant les mains sur la tête, immobile, je vais fermer la porte, et on va discuter tranquillement. Mains sur la tête, immobile. Tu tentes quelque chose, et c'est fini. Tu bouges, c'est fini. On est d'accord ?

Il relâcha légèrement la pression sur la nuque - fort jolie d'ailleurs - de sa prisonnière, qui opina comme elle pouvait, le visage à moitié écrasé sur le sol. Jaros, qui n'en revenait pas d'avec quelle assurance il opérait, relâcha les bras de Smith en appuyant un peu plus le canon contre sa chair le temps qu'elle s'exécute. Puis il feinta de se relever, voir si elle commençait à s'agiter. Non. La gardant en joue, il claqua la porte, bascula son loquet, les yeux rivés sur cette imprévue, et lui intima à nouveau de ne pas bouger. Tout se passait bien pour le moment. Bien. Cela ne le dissuada pas de revenir la bloquer. Il aurait dû la fouiller, mais le temps pressait.

- Bon. Faisons simple, ma chère. Tu parles uniquement pour répondre à mes questions, droit au but. Tu commences à dévier de ça, c'est fini. Je vais te laisser un peu respirer pour parler, mais tu essaie n'importe quoi d'autre, c'est fini.

L'agent attendit une seconde que l'information soit bien assimilée, diminua un peu la pression sur le corps de sa captive, qui crachota un petit peu.

- Tu es aussi comptable que je suis photographe. Qu'est-ce que tu viens faire dans les magouilles de la garnison ?
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Son attaque me heurte avec violence, et je me retrouve plaquée au sol en moins de temps qu’il ne faut pour dire “cher journal” !

Cher journal, donc.
Je m'étais préparée à ce que l’intrus tente quelque chose, de fuir, de dégainer une arme, ou même de me foncer bêtement dessus, mais je ne m’attendais pas à ce qu’il ne me laisse même pas le temps d'esquiver ! J’en suis réduite à utiliser mon tekkaï pour ne pas m'esquinter en tombant ! (Un tekkaï très élégant cela dit, aussi discret que raffiné. Je m’en jetterais des fleurs si je le pouvais. D’ailleurs je le fais). Au moins ça règle la question de savoir si je peux me permettre d'utiliser des techniques voyantes comme le kamie ou le soru, au risque de dévoiler mon jeu: même si je l'avais voulu je ne l’aurai pas pu ! Ça me vexe un peu je dois te l'avouer journal, mais ce qui me vexe encore plus c’est de découvrir que mon adversaire utilise lui aussi un soru. Je suis certaine que c'en est un, je l'ai suffisamment pratiqué moi-même pour le reconnaître ! Tu vois journal, ça c'est le fruit du laxisme de certains: on se permet de divulguer nos techniques secrètes soi-disant développées par et pour le Cipher Pol, de laisser des profanes les apprendre, et on ne prend pas la peine d'éliminer les déserteurs, les copieurs et autres contrevenants. Résultat on des pirates, des révolutionnaires, des marines, et même un Koeda juste devant moi suffisamment agiles et rapides pour être capables d’infiltrer une base de la marine sans se faire prendre et pour oser s'attaquer à une agent comme moi sans le moindre respect !

Cette contrariété mise à part, je suis plus curieuse qu’inquiète: ses menaces ne m'inquiètent pas car il faut plus qu'une balle de pistolet pour briser mon tekkaï. La vraie question  est: qui est donc ce margoulin, et surtout pour qui travaille-t-il ?  J'ai bien sûr rayé -à contrecœur- la mention "agent de mannequinat", je ne pense pas que ce soit un pirate non plus, ni le véritable inspecteur en mission incognito (même si ce serait cocasse !). Malgré son usage du rokushiki ce n'est évidemment pas un collègue, nos services ne sont quand même pas assez bêtes pour oublier de communiquer afin d'éviter ce genre d'erreurs basiques ! C'est donc soit un ripou, un mercenaire, ou encore un agent révolutionnaire. Ou alors une nouvelle sorte d'illuminé qui assassine des officiers de la marine ? Oh, ça, ça pourrait être plus amusant !
Une seconde question en découle: jusqu'où est-ce que je peux aller pour le faire capturer sans compromettre ma mission ? Il n'est pas question qu'un intrus s'échappe avec des documents confidentiels de la marine quels qu'ils soient bien sûr, et avant qu'il ne m'attaque j'avais envisagé de lui casser la figure vite faite bien fait et de faire passer ça pour un accident quand les renforts nous auraient rejoints. Seulement pour que ça marche il faut absolument que je le vainque rapidement et proprement sous peine de gâcher ma couverture, et je doute d'en être capable maintenant que je l'ai vu à l'oeuvre. Je suis certaine que je pourrais m'en débarrasser -où irait le monde si de simples espions/voleurs étaient capables de battre des agents d'élite gouvernementaux, je te le demande journal ?!- mais ça m'obligerait à faire tomber le masque de l'inspectrice et donc de faire échouer ma mission.

Tandis que le  soi-disant Koeda relâche son emprise, je fais mine d'avoir été secouée par son attaque comme le serait une véritable petite inspectrice sans défense ni rokushiki. En revanche je n'ai pas à feindre pour lui adresser un regard glacial ! D’ailleurs, mon expression pincée montre bien que le passage au tutoiement n'est pas d'actualité vu la chute vertigineuse qu'il vient de faire dans mon estime. Plaquer au sol la personne que l'on essaie de séduire et la menacer, ça lui a fait perdre combien de points à ton avis ? Le maximum ? Je crois que ça le range d'emblée dans la catégorie "garçon violent à castrer de toute urgence" !

"- Évidemment que vous n'êtes pas photographe, ça n'a pas été difficile de lire dans votre jeu."

En tout cas, c'est ce que je raconterai dans mon rapport de mission. Et aucune mention ne sera faite d'un quelconque intérêt pour un obscur agent en mannequinat ou je-ne-sais-quoi, ni aux possibilités qu’il pouvait offrir ! D'ailleurs ça n'a jamais été le cas journal !
Avec l'aplomb de celle qui est convaincue que l'on ne fait pas de mal à une inspectrice, encore moins si c’est une jeune femme bien élevée, je lui désobéis ostensiblement et me relève, réajuste mes lunettes, et plante dans ses yeux mon regard perçant. Pourtant un léger sourire finit par percer mon masque. Une expression presque bienveillante, comme une main tendue entre gens bien élevés.

"- Et vous avez bien fait de ne pas mettre vos menaces à exécution, tout comme vous avez bien fait de ne pas trop amocher le lieutenant-colonel. Être inculpé pour agression de deux officiers, pour irruption dans une base de la marine et possession de documents confidentiels, c'est toujours moins grave que d'être coupable de meurtre."

Enfin sauf s'il tombe entre les mains de mon Pôle évidemment. Parce que crois-moi journal, au CP5 on ne rigole pas avec le vol de documents !! En général ça se finit en sous-vêtements sur une chaise dans une cave sombre à se faire frapper à coup de serviette mouillée par le vieux Barracuda jusqu'à ce qu'il craque. Pas qu'il avoue, juste qu'il craque. Alors que tuer un officier de la marine, bah... tous les criminels font ça, c'est juste un crime banal aggravé !

"- Vous vous en êtes rendu compte bien sûr. Tout comme vous avez compris que vous vous êtes piégé tout seul en ne fuyant pas immédiatement."

Peu importe leur maladresse, les triplées doivent être en train de donner l'alerte (ne t'avise pas de suggérer que je suis fautive journal, c'est elles qui ont tout compris de travers, pas moi qui me suis mal exprimée !). D'une minute à l'autre les couloirs vont grouiller de soldats armés jusqu'aux dents et débordants de dorikis par toutes les ouvertures de leurs uniformes, et à mon avis ça va être un beau spectacle ! Il s'agit d'autre chose que de surveiller une inspectrice un peu encombrante là, on parle d'un vrai criminel à arrêter ! Et moi dans tout ça, tout ce que j'ai à faire c'est de tenir mon rôle jusqu'au bout et d'attendre que la tempête passe.

"- Là où vous avez de la chance, c'est que vous êtes tombé sur moi et pas sur les brutes du colonel Vérachez: j'ai un peu plus de doigté qu'eux. Donc au lieu de perdre notre temps tous les deux, de vous faire mal pour rien, de donner encore plus de travail à tous ces braves soldats, sans parler de mon inspection qui vient de prendre une bonne journée de retard, je vous propose de passer directement aux aveux. Promis, ça comptera à votre procès. Et puis on ne sait jamais, peut-être que vous allez m'expliquer de manière convaincante que tout ceci n'est qu'une monumentale erreur, que les apparences jouent contre vous, et qu'en réalité vous tentez de nous sauver l'officier et moi de d'une terrible conspiration ?"

Évidemment que je ne suis pas en train d'essayer de lui souffler des astuces pour l'aider à s'en sortir ! Je cherche juste à gagner du temps pendant que... ce n'est pas une cavalcade de pas que j'entends dans la cour ?
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*Rien à faire, quelque chose cloche...* Jaros ne mit pas sa menace à exécution. Pourtant le simple culot de cette impertinente lui aurait suffi, habituellement. Mais pas ici. Et ce n'était pas parce qu'elle était aussi jolie que charmante, du moins le jeune homme en était personnellement convaincu. Non, l'ensemble de détails étranges formaient un faisceau qui, au vu des réponses - ou plutôt leur absence notable - qu'on lui servait, le faisait trop pencher vers l'hypothèse du malentendu. L'idée que peut-être l'administration gouvernementale se soit trompé et qu'elle soit bel et bien une inspectrice s'immisça dans son esprit, sans qu'il arrive à s'y résoudre pour autant.

Smith en faisait un peu trop à son goût pour cela. Un peu trop éloquente pour une gratte-papier venu causer bilans semestriels, gestion et factures. Mais le comportement qu'avaient les Marines avec elle ne collait décidément pas. Quoi alors ? Il soupira. Son hésitation pourrait lui coûter cher, ici. Les bruits qu'il pouvait entendre lui indiquaient que, à défaut d'être tranquille pour encore longtemps, il avait peut-être encore un peu de temps devant lui. Peut-être. Il agit dès que la jeune femme ferma la bouche.

On lui avait explicitement indiqué que, au delà de la probable fraude qu'il fallait mettre au clair et arrêter rapidement et définitivement, il s'agissait de montrer l'exemple. Après tout, une affaire de comptes frauduleux pouvait très bien être réglée par de simples comptables. Mais non, il fallait mettre fin à une atmosphère relâchée et laxiste - fut-elle réelle ou fantasmée - et resserrer la vis. Dans les rangs militaires, on devait savoir le Cipher Pol 4, redoutée police des polices, bel et bien impliqué. Et on lui avait donné de quoi le montrer si nécessaire.

Sortant d'un mouvement preste un petit porte-carte sombre, il en sortit un papier. Puis il tendit, ouvert, le morceau de cuir sur lequel brillait d'un éclat terne l'insigne indiquant son pôle et son grade, gravé sur une petite plaque d'acier bleui. De l'autre main il déplia la feuille et l'ouvrit d'un geste du poignet.

- Je crains d'être celui qui devrait parler d'inspection, je suis mandaté par le Gouvernement Mondial.

Seul un militaire, un agent ou un fonctionnaire pourrait reconnaître le sceau du CP4, Jaros ne cherchait qu'à impressionner l'intrigante. Vu ses réactions il se doutait que même un mandat officiel, estampillé et signé du Gouverneur d'East Blue n'allait probablement pas l'empêcher de bluffer, mais qui sait. Toujours est-il qu'il ne s'attendait pas à sa réaction. Son expression dure et méfiante se figea, puis, alors que ses pupilles s'étrécissaient, se fissura. Elle se mit à marmonner.

- ...as assez bêtes pour envoyer deux agents au même endroit sans prendre la peine de se coordonner...

Ce fut au tour du jeune homme d'avoir une expression méfiante. Que déblatérait-elle ? La bougresse ne le regardait même plus, les yeux perdus dans le vague. Derrière elle, le couloir se remplissait de frottements et claquements de mauvais augure. Les bleus s'activaient enfin. Toujours dos à la porte, la confuse ne semblait pas s'en soucier. Elle se réanima brusquement.

- En fait si... c'est même tout à fait leur genre !

Une intuitive compréhension frappa Jaros alors qu'elle bougeait. La jeune femme, décidément fort insouciante, mit la main dans sa poche. Pas pour prendre une arme. Mais par réflexe pur, l'agent tira. Il dévia son tir dans un ultime effort, et la balle se perdit dans le mur. Même pas le temps d'un clignement de paupière, mais pour le jeune homme l'instant parut douloureusement long et pesant. Devant lui, la blonde sursauta à peine, et lui montra après une petite seconde une petite plaque d'argent. *Non mais...* Une autre seconde, presque interminable, s'écoula. Puis le déclic se fit.

Si l'ancien vagabond avait une somme assez conséquence d'informations mémorisées au sujet du Gouvernement Mondial et de sa myriade d'organisations,l'insigne lui était reconnaissable comme celui d'un agent du CP5, mais difficile de se souvenir le rôle de ce dernier. *Un autre pôle, évidemment. Mais qu'est-ce qu'elle peut bien ficher ici à jouer les comptables ?* Un appel étouffé dans les couloirs vint le rappeler à des sujets plus immédiats.

- Qu'est-ce que vous venez faire dans... Bon, il va falloir que l'on discute un peu mais...

En quelques enjambées il rangea ses papiers et se positionna derrière la chaise du Lieutenant-Colonel, qui commençait à pousser de petits grognements. Jaros rechargea consciencieusement son pistolet, vérifia rapidement l'emplacement de sa Dial.

- Les soldats risquent de passer à l'action, surtout après le coup de feu.

Son intention était de se faire connaître et de confronter le Colonel au plus vite. Beaucoup de possibilités s'offraient à lui pour se faire, mais il n'avait aucune idée de comment prendre en compte cette agent dont il ne connaissait ni les attributions ni la mission. Il n'avait pas encore en tête les problèmes que pourraient poser cette présence pour la bureaucratie du CP4, heureusement. Ne pas tuer ou se faire tuer par erreur était une préoccupation suffisante.

De l'autre coté de la porte, les Marines étaient prêts, fusils chargés et armés. Les coins étaient blindés de soldats collés au mur, d'autres se tenaient prêts aux escaliers, sous les fenêtres.
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Cher journal,

Je regarde le visage de mon apparemment-collègue, puis le trou dans le mur encore fumant causé par la balle, puis mon apparemment-collègue de nouveau, et je m'exclame:

"- Vous tuez souvent le personnel de la marine au CP4 ? Vous m'avez l'air d'un drôle d'énervé de la gâchette quand-même !"

Pense à me rappeler de glisser deux ou trois notes là-dessus dans mon rapport journal. Ils se prennent un peu pour le CP9 ces cow-boys du Cipher Pol 4 !
Bon. Maintenant que ce quiproquo qui a failli gravement dégénérer est dissipé, il va falloir que je réfléchisse vite si je ne veux pas me retrouver avec comme intitulé pour ma prochaine mission: "un de vos collègues du CP4 a été capturé par erreur par la marine, veuillez le délivrer au plus vite". Ou pire encore: "suite à une bavure en mission, douze soldats de la marine ont été tués. A vous de nettoyer les preuves". Et je déteste nettoyer les saletés des autres journal, je ne suis pas une larbine ! Le fait que ce sauvage soit un collègue change beaucoup de choses évidemment, mais ma première préoccupation maintenant que l'obligation de l'arrêter n'est plus d'actualité c'est de savoir comment l'intégrer ou l'exclure au plus vite de mon plan.
Je concède un sourire au grand jeune homme, et lui dit:

"- Bon, je suis bien contente de ne pas avoir eu à griller ma couverture. Si on avait dû commencer à se battre j'aurais eu du mal à expliquer pourquoi une inspectrice utilise le rokushiki."

Je hausse les sourcils et désigne son arme en le grondant gentiment:

"- Par contre vous devriez vraiment ranger ça, vous allez finir par tuer quelqu'un pour de bon !"

Je désigne ensuite sa victime sur la chaise:

"- Et lui ? Vous avez eu ce que vous vouliez avec ? J'espère, parce que maintenant je vous recommande de repartir aussi discrètement que vous êtes venu... et il reste à savoir comment vous allez faire sans tuer personne vu que toute la base doit en avoir après vous."

Tu suggères que c'est un petit peu de ma faute journal ? Hé, ho, sans lui je n'aurais même jamais été au courant de l'existence du lieutenant-colonel Machin ! Ça lui apprendra à venir faire la cour aux jeunes femmes sur la plage !

Un discret coup d’œil par la fenêtre m'indique que plusieurs soldats sont disposés en rangée en bas, l'arme à la main, prêts à tirer sur tout ce qui bouge. Le même spectacle doit être en train de s'organiser derrière la porte, c'est en tout cas ce que voudrait la logique s'ils suivent le plan classique en cas d'arrestation d'un forcené barricadé ou de prise d'otage. Je pourrais me contenter de laisser mon collègue dragueur des plages se dépêtrer avec ses ennuis, mais contrairement aux apparences il existe un certain esprit de solidarité entre les différents pôles du CP.

"- Vu que je suis gentille, je veux bien vous aider à vous enfuir. Dommage, j'aurais eu plein de questions à vous poser comme de savoir pour quelle raison vous êtes venu me trouver sur la plage, et pourquoi cette histoire d'agence de... bref ! Vous n'avez qu'à vous cacher avec vos dossiers volés dans l'armoire ici, et je briserai la fenêtre pour faire croire que vous vous êtes échappé par là. Je témoignerai dans ce sens et ils ne pourront que croire que vous avez été trop rapide pour eux. Vous vous en irez ensuite plus discrètement une fois que la tension sera retombée."

Le principal avantage de ce plan, c'est qu'on évite d'avoir un acrobate qui utilise de rokushiki devant plein de soldats de la marine, et surtout devant le colonel de la base qui aux dernières nouvelles en est un adepte lui aussi (tu vois journal, quand je te dis qu'on divulgue vraiment nos techniques à n'importe qui ! Il en a fait quoi ce cet art à la fois élégant et mortel habituellement réservé à l'élite le colonel Pal ? Au mieux, ça doit lui servir à se déplacer instantanément de son bureau à la machine à café !). Le second avantage, et pas des moindres, c'est qu'il me permet de garder Koeda ou quel que soit son vrai nom à portée de main le temps de passer un appel escargophonique aux bonnes personnes, histoire de m'assurer qu'il existe bien un collègue du CP4 actuellement en mission à Shell Town et que je ne suis pas en train d'aider un criminel. Après tout, qui peut voler des documents secrets peut très bien aussi voler un insigne du CP ! On nous vole bien nos techniques secrètes...

A ce moment, une voix résonne derrière la porte. Une voix drôlement amplifiée, comme si elle était retransmise par un escargophone de taille XXL:

"- Ici le commandant Ewan Koro, de la 153ème division. Vous êtes actuellement cerné, et toutes vos issues sont bloquées. Déposez vos armes, ouvrez doucement la porte, et je jure sure l'honneur qu'il ne vous sera fait aucun mal."

Je pose mon index sur les lèvres pour indiquer à mon probable-collègue de ne pas faire de bruit, et lui indique d'un coup d'oeil qu'il va devoir se décider vite.
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Ce n'était pas que le plan qu'on lui proposait lui semblait mauvais, mais Jaros resta interdit l'espace d'un court instant. Une part de lui qu'il aurait eu peine à quantifier se crispait instinctivement devant cette manifestation aussi éhontée que malvenue d'autorité. À peine relevée et voilà que la jeune femme jouait la petite cheftaine... Il était certes rentré dans le rang et dans le jeu de la hiérarchie, mais sa fierté n'en restait pas moins aussi rigide qu'omniprésente. Mais même au delà... Que cela soit voulu comme une aide ou non, elle n'empiétait pas moins en toute conscience sur la mission d'un agent d'un autre pôle. Et en l'absence de confirmation explicite, mieux valait supposer que le CP5 l'envoyait pour autre chose que ce lui le préoccupait lui. Sans tomber dans une mécanique corporatiste qui lui était étrangère, le jeune homme ne pouvait donc s'empêcher de se méfier. Ne serait-ce que parce que, précisément, il faisait plus figure d'exception que de règle en la matière.

Tergiverser n'était pas une option cependant, et il s'exécuta donc avec un goût amer en bouche, et s'enferma sans un bruit, laissant une minuscule ouverture afin d'avoir un brin de visibilité. Du verre brisé et un cri plus tard, sa comparse alla ouvrir la porte, jouant son rôle avec assurance. Sans doute s'apprêtait-elle déjà à se fendre d'une feinte frayeur tremblotante, rapidement suivie d'un sursaut incisif d'honneur outré. Mais le battant n'avait pas fini de basculer qu'un Marine, sans doute paniqué, tira. Une volée un peu désordonnée le suivit presque immédiatement, comme quoi jurer sur l'honneur n'engageait que celui qui parlait. Le déluge de détonations résonna entre les quatre murs, assourdissant. *Merde !*

Quelques instants plus tard les soldats entrèrent, épaulés par les aboiements hystériques des officiers. En quelques secondes le bureau se remplit, au point qu'on dut ordonner à certains bleus de retourner dans le couloir. Assez stupidement, leur mouvement se retrouva semble-t-il entravé par leurs camarades restés à l'extérieur, créant un instant de confusion. Il n'en fallut pas plus au jeune agent pour se décider. Sortant de son placard comme un diable de sa boîte, Jaros passa à l'action avant que les bleus n'aient eu le temps de réarmer leurs fusils. Coup d’œil en plein mouvement. Impossible de dire si Smith avait été touchée ou non, mais elle avait apparemment roulée au sol, à gauche de la porte amochée. Le siège du Lieutenant-Colonel avait basculé en arrière derrière le bureau. Un, deux trois... six marines dans la pièce, deux au niveau de la jeune femme, un à la fenêtre, les trois derniers près de la porte.

Un coup de Thunder Dial libéra un arc électrique bleuté, qui jaillit dans un chuintement sauvage. L'éclair frappa un, puis deux et trois avant de se perdre au sol, et les hommes se crispèrent plus que jamais sur leurs crosses alors que leurs jambes se dérobaient sous eux. L'un d'entre eux eut l'entrejambe soudain plus sombre, détail vaguement morbide que le regard de l'agent capta mécaniquement. *Soru !* Un des soldats près de l'entrée, à moitié retourné, reçut un vilain coup sur le coté du cou et valsa sur les deux derrière lui, et les trois perdirent ensemble l'équilibre. Loin de laisser tomber sa cible, Jaros l'attrapa par le maillot, puis le propulsa d'une savante détente de la jambe dans le couloir, finissant ainsi de semer la confusion dans les rangs. Puis il ferma la porte avec violence. L'action n'avait duré qu'un instant.

De là, il n'avait probablement qu'une seconde pour agir sans doute moins. Le jeune homme hésita à venir en aide à la jeune femme, mais cette dernière se redressa quelque peu, et un tintement métallique accompagna son mouvement. *Tekkai ? Joli réflexe..* Un bref échange de regard s'opéra entre les deux agents. *Je ne vais quand même pas la laisser... Oui non, ils ne feront pas ça, sans doute. Autant profiter du moment.* Il salua sa comparse d'un "bonne chance" muet, puis le jeune homme fonça jusqu'à la fenêtre et plongea. Dans le mouvement, il sentit quelque chose le brûler dans le dos.

Arrivé à l'extérieur, il se laissa tomber suffisamment pour ne plus être en vue de la fenêtre. Le sang battait dans ses tempes au point de saturer son audition. Bluff de l'officier ou mauvaise organisation, toujours est-il qu'il n'y avait pas de Marine l'attendant directement en contrebas. Plus encore, la cour était surprenamment vide. Jaros n'atterrit pas tout de suite cependant, et resta en l'air à l'aide de brusques impulsions *Pratique ce Geppou...*. Il tenta de rapidement se repérer avant de descendre sur la terre ferme. Quelque chose n'allait pas à ce niveau. Des balles sifflèrent au dessus de lui, sortant de la fenêtre brisée. Restait à trouver... *FFFOOOIIISSHH* Une violente coupe le frôla, et il se propulsa jusqu'au sol, aux abois. Une attaque aérienne ?

- Pas si vite !

À peine le temps pour l'agent de relever la tête pour voir qu'une silhouette indistincte lui tombait dessus qu'elle lui décocha un monumental coup de pied. S'il le bloqua de justesse, ses avant-bras s'engourdirent instantanément sous l'impact, si puissant qu'il lui fit perdre l'équilibre. Il n'avait même pas eu le temps d'utiliser le Tekkai. Le souffle coupé, Jaros se reprit pourtant en un instant. Utilisant la force du coup reçu, il sauta en arrière et prit ses distances, cherchant du même mouvement à identifier la menace du regard. Alors que son agresseur atterrissait souplement, le long manteau blanc, à galons et épaulettes dorées et au dos marqué d'une massive inscription, retomba en un lourd drapé aisément reconnaissable. Le jeune homme ne put retenir un sourire ambigu.

- Vous tombez bien, Colonel Vehachez.

Les cris - ou plutôt les acclamations - des soldats qui accouraient de l'autre bout de la cour et de ceux postés sur le toit du bâtiment auraient suffi à confirmer la chose. *Pas bête ça, je n'aurais pas pu les voir à temps s'ils avaient chercher à m'aligner.* La situation n'eut-elle pas été si pressante que ce manquement aurait pris une place démesurée dans les pensées de l'agent. Au vu de la manière rude au possible avec laquelle il menait sa mission cependant, le détail en devenait insignifiant. Aussi insignifiant que la mission en elle-même aux yeux de ses supérieurs, sans doute, au vu des consignes laissées.

Jaros avait toujours les documents en poche, ou plutôt à la main, il n'avait plus qu'à confronter le responsable de tout ceci aux yeux du Gouvernement. Tout cela alors que les bleus se rassemblaient autour de lui et son interlocuteur souhaité et adversaire effectif, lui coupant toute retraite. Le jeune homme n'eut pas le temps de se demander comment faire que le Colonel passa à l'attaque sous les encouragements presque forcenés de ses subordonnés. Sabre au clair, Vehachez montra une admirable maîtrise du Rokushiki en se rapprochement d'un chuintement brusque, et fouetta furieusement l'air de sa lame. L'agent avait répliqué au Soru par un Soru, se retrouvant à droite du marine. L'occasion était parfaite pour répliquer, mais il n'en fit rien.

- Calmons-nou*FFFOOOIIISSHH*

L'acier lui chatouilla la joue. La communication risquait d'être difficile.
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Cher journal,

Je ne sais pas ce qu'ils ont tous avec les armes à feu mais il va falloir sérieusement les calmer ! Ça fait déjà deux fois en quelques minutes que je me fais tirer dessus par quelqu'un de mon propre camp ! Qu'est-ce que les marines n'ont pas compris quand je leur ai dit "il s'est enfui, j'ouvre la porte" ?! Et qu'est-ce que cet espèce de cow boy du CP4 n'a pas compris dans “rester caché le temps que la situation se tasse ?" On est bien d'accord journal, c'est ce que je lui ai dit ? Et pour de vrai hein, là je ne suis pas en train d'embellir l'histoire pour me mettre en valeur. J’ai l’air maline moi maintenant avec ma diversion...

Tandis que mon collègue, dont je me permets de douter légitimement de la véritable nature au vu de ses actions, est parti faire une démonstration d'acrobatie en bas, les soldats m'aident à me relever et m'emmènent à l'abri. Je n'ai pas beaucoup à me forcer pour jouer la contrariété:

"- Cette caserne est une vraie passoire remplie d'incompétents ! Ils vont en entendre parler au QG !"

Après s’être confondu en excuses et avoir assuré que oui, oui, le soldat qui a tiré sur moi serait retrouvé et sanctionné, l'officier du groupe m'annonce:

"- Le colonel nous a donné l'ordre de vous confiner dans vos appartements. Tant que l'état d'urgence est en cours, c'est son commandement qui prime."

Plus le temps passe, plus je me dis que le colonel n'est pas la grosse nouille qu'il avait l'air d'être. De là à supposer que l'on cherche à m’éloigner des informations compromettantes, à me mettre des bâtons dans les roues, voire à espérer qu'il m'arrive un bête accident pendant la prise d'otage... il n'y a qu'un pas que je me permets de franchir allègrement !

♦♦♦♦

De retour dans ma chambre, enfin seule mais également convaincue que tous mes faits et gestes sont épiés d'une manière ou d'une autre, je prends mon escargophone et y ajuste son dispositif spécial CP que je gardais dans mon sac camouflé sous la forme d'un petit pot de fond de teint. Je compose le numéro de mon contact, l’agent chargé de coordonner ma mission à distance ; après quelques longues secondes, j'entends:

"- Euh... allô ?"

J'énonce rapidement les codes censés attester mon identité et m'ouvrir un contact prioritaire avec l'agent coordinateur:

"- Ici “l'inspectrice Smith-Martin-Lepetit-Kalinsky”, identifiant EB28-007. J'ai besoin d'une mise en rapport avec “M. Berlingot”."

La voix, hésitante, me répond:

"- Bonjour. Monsieur B... ah oui. Euh... pourriez-vous attendre un petit peu ?"

Je ne voudrais pas faire ma mauvaise langue Journal, mais j'ai l'impression d'être tombé sur un stagiaire. La voix pas tout à fait muée, l'air de ne rien savoir, le manque de professionnalisme... en tout cas il ne s'agit certainement pas de l'agent William Clifton, nom de code pour cette mission "monsieur Berlingot" qui était censé être mon contact. Quelques instants plus tard j'entends de nouveau la voix:

"- L'a... Monsieur Berlingot est en réunion. Pourriez-vous rappeler tout à l'heure ?"
"- Ecoutez-moi, jeune homme !" En réalité on a surement pas plus d'un ou deux ans d'écart, mais c'est le genre de petite phrase réductrice qui pose le rapport de hiérarchie. Dommage, la plupart que je connais s'appliquent aux femmes. "Ceci est une communication prioritaire. Passez moi immédiatement M.Berlingot."
"- Maiiis euuuh je ne sais pas où il est moi ! Il m'a dit qu'il revenait tout à l'heure ! Je suis juste en stage d'observation moi, je ne suis pas sensé..."

Je lui raccroche au nez. Bon, tu sais quoi journal ? Si on me demande, je dirais que j'ai bien escargophoné à mon supérieur et que j'ai bien confirmé l'identité du soi-disant agent du CP4 qui est en train de se mettre toute la base à dos.
Puisque le problème réglé, revenons donc aux affaires qui m'intéressent ! Je passe un second appel, qui débouche aussitôt sur la voix -très agréable à entendre compte tenu des circonstances- de Sbire.

"- J'écoute ?"
"- Revenez à proximité de la caserne et restez disponible, il y a de l'agitation ici."
"- Oui madame. Je suis déjà en route, j'ai entendu l'alarme."

Haaaa, des fois on oublie à quel point ils sont compétents ces sbires. On ne les met pas assez en valeur je trouve ! Moi au moins je le fais, mais c’est loin d’être le cas de tout le monde. Quoi ? Bien sûr que si c’est vrai !  Regarde, je viens de le faire là ! Et je l’ai déjà aussi fait… Bein… Je les mentionne parfois, c’est déjà beaucoup !

♦♦♦♦

L'avantage avec l’état d'alerte dans lequel est toute la base, c'est que tout le monde est occupé à essayer d'empêcher "Koeda" de sortir de la base, ou bien d'admirer son duel au sommet avec le colonel Pal. La diversion est parfaite puisqu'on ne se soucie plus trop de moi ! J'espère quand même qu'ils n'abimeront pas mon collègue, je commençais à bien l'aimer malgré tout même si ce n'est pas vraiment un agent de mannequinat. Au moins il faudrait qu'ils épargnent son visage, quoi.

Ce serait presque faire offense au Cipher Pol de dire que j'utilise tous mes talents d'agent pour filer de mes quartiers au nez et à la barbe des sentinelles censées assurer ma protection, et moins d'une minute plus tard je me retrouve à marcher d'un pas rapide dans un couloir désert. Je ne croise personne, mais même si c'était le cas la vue de l'inspectrice toute en tailleur et en lunettes sévères qui fait claquer ses talons d'un air décidé serait suffisante pour dissuader de me demander pourquoi je descends vers la réserve des fournitures. Ils feraient bien pourtant, car pour moi les choses sérieuses commencent...
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Pour un Colonel réputé calme et nonchalant, Vehachez était étonnamment agressif. Mais à ce compte-là, qu'il se mêle personnellement de l'intrusion relevait aussi d'une certaine étrangeté. Ce qui faisait une belle jambe à Jaros alors qu'il esquivait tant bien que mal les attaques au sabre du militaire. Comme subjugués par leur supérieur, les soldats avaient formé un cercle autour d'eux, et encourageaient leur champion d'aussi poignante que risible manière. *Dans le plus pur esprit chien de meute, hein...* Mieux valait cela que de les voir tous lui foncer dessus, garantissant ainsi sa capture... Restait que tout cela n'arrangeait guère le jeune agent. Il s'était fait prendre à son propre jeu, semblait-il.

Entre les consignes de son supérieur qui l'invitait à régler l'affaire au plus vite - le dossier avait apparemment un peu trop traîné - et les imprévus personnifiés par cette bougresse du CP5... Il avait les cartes en main, mais s'était mis dans une situation qui paraissait ne devoir se régler que par la force. Pas la solution qu'il aurait préféré, mais si cela pouvait écourter sa mission, pourquoi pas. Le hic était que son adversaire était un gros client. D'autant plus gros qu'il semblait animé d'une conscience un peu trop aigüe de la situation. Comme pour appuyer cette pensée, le fil de sa lame effleura la joue de Jaros, et une goutte de sang perla de la ligne brûlante. *Peut-être que...* Une puissante détente mit à nouveau de la distance entre les deux combattants.

Pas tout à fait deux combattants, à dire vrai. L'un attaquait et l'autre se dérobait, jusqu'à présent. Le Colonel, chargeant à nouveau, augmentait graduellement la cadence de ses coups de taille, et le point où son sabre irait trop vite pour être simplement esquivé se rapprochait de plus en plus. Conscient lui aussi de cette échéance, le militaire déporta sa lame, et ponctua brusquement son assaut d'un méchant coup de pied. L'agent l'évita comme il put d'un bond éclair sur le coté... Et il reçut le katana de plein fouet. Vehachez, loin de s'arrêter dans l'élan de son coup, s'était laissé emporter par la détente de sa jambe, mettant tout son poids dans un meurtrier arc de cercle tranchant. Le jeune agent, sous l'impact, fut projeté en arrière, d'une manière un peu étrange.*Tekkai.*

Juste à temps. L'utilisation d'une telle technique sembla troubler le marine, qui arrêta brièvement son assaut alors que son auditoire s'épanchait en manifestations d'étonnement presque comiques. Ce n'était sans doute pas le moment mais l’œil de Jaros fut attiré par des traces sombres au milieu de la cour. À peine visibles derrière les rangs des soldats, elles restaient assez reconnaissables. Les restes d'un feu, origine de la fumée observée tout à l'heure, probablement. Cette distraction lui presque oublier de profiter de l'accalmie pour s'imposer. Il inspira profondément.

- IL SUFFIT !!

La foule de plantons, loin de se figer, se répandit en cris divers, que le jeune homme ignora. Ses yeux étaient vissé sur le Colonel Vehachez. Lui ne bougeait plus, le visage quelque peu crispé. L'espace d'un instant, leur regard se heurtèrent jusqu'à ce que les prunelles sombres du militaire se détournent. L'air plus que contrarié, il fit un geste sans équivoque à l'intention de ses troupes. L'agent lança au gradé un papier plié, son mouvement souligné par une sourde exclamation du public. Leur chef lut avec nervosité, et son visage se froissa rapidement.

On commença à jacasser dans l'audience, mais après quelques secondes et un autre signe du responsable de la garnison les sergents se reprirent. À coup d'aboiements frénétiques de leur part, des rangs furent reformés et les troufions retournèrent petit à petit à leurs occupations, manifestement à regret. Pire qu'une bande de commères, ils se dévissaient le cou pour continuer à regarder le plus longtemps possible. Jaros ne leur prêta attention que du coin de l’œil, et s'avança une fois la situation suffisamment calmée à son goût.

- J'ai un mandat de l'Archigouverneur d'East Blue. Donc évitons de nous éventrer, Colonel.
- Je sais lire, merci... *Huuuuuuhh* Mais qu'est-ce qui vous prend d'entrer par effraction dans une zone militaire ?!
- Mes excuses pour cela oui, j'aurais pu venir poliment toquer à votre porte. Allons discuter, voulez-vous ?

Réponse bien cavalière dont Vehachez devrait se contenter, et qu'il ravala sans un mot. Le bougre avait semble-t-il bien compris la balance des pouvoirs. En soi l'agent ne pourrait rien faire, si la garnison entière se décidait à le supprimer. Mais ils ne pourraient rien faire lorsque le Gouvernement Mondial viendrait les cueillir pour haute trahison. En homme prudent, le Colonel se rabattait vers la solution qui lui coûterait le moins, et c'était exactement ce que voulait Jaros. En passant, il fit semblant de ne pas noter le petit regard nerveux que le militaire lança aux restes du feu. Il ne savait pas dans quelle mesure il était compromis, manifestement. *Bien.* Le voir héler un subalterne pour l'envoyer chercher son Lieutenant plut bien moins au jeune homme. Voyant qu'on s'apprêtait à entrer à l'intérieur des bâtiments de la garnison, il s'arrêta net.

- Nous sommes très bien ici, Colonel.
- ... Très bien.

Malgré son air froid et calme, le stress s'accumulait en Jaros jusqu'à rendre douloureux chaque mouvement. Une terrible peur d'échouer, presque ridicule en ces circonstances, lui enserrait les tripes d'une poigne glacée. Et, comme il le craignait, Vehachez venait à peine de s'asseoir sur les marches de l'entrée que de l'autre coté de la cour on venait vers eux en boitillant. *Foutu Paddington, j'aurais dû frapper plus fort...*


Dernière édition par Jaros Hekomeny le Lun 3 Juin 2019 - 23:00, édité 1 fois
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Journal de Caramélie, une page datée d'une dizaine de jours plus tôt:


Cher journal,


L'attente a été légèrement moins longue qu'à l'accoutumée, et je pénètre dans le bureau de de Yatusuki Rei, mon supérieur au CP5, après seulement une petite vingtaine de minutes à patienter dans le couloir ; comme souvent, il règne dans la pièce une légère odeur de foin frais que je me garde bien de commenter. Mon chef, assis derrière son bureau dans une pénombre qui lui donne un air ténébreux et mystérieux, m'accueille sobrement puis m'annonce:

"- Agent d'Isigny, j'ai une mission pour vous. Il s'agit d'une tâche de la plus haute importance et vous êtes certainement l'agent la plus adaptée pour l'effectuer."

Il est convenu évidemment que ce n’est qu'une formule de politesse: "vous êtes certainement l'agent la plus adaptée pour l'effectuer " c'est le genre de phrase que l'on dit à chaque CP avant de l'envoyer dans une situation potentiellement pénible ou dangereuse. C'est l'équivalent au Cipher Pol du "salut ça va ?" qui n'attend pas de réponse. Mon chef poursuit:

"- Il s'agit d'une d'infiltration extrêmement délicate qui nous a été commanditée par les hautes sphères de l'amirauté. Le risque est grand mais les enjeux le sont tout autant, alors prenez-vous y comme vous le voulez mais retenez bien ceci: l'échec n'est pas une option."

J'ai beau affecter un air neutre et détaché, je frémis d'enthousiasme. Qui a osé dire que les agents de catégorie III étaient trop souvent traités comme à peine mieux que des sbires et qu'on ne leur confiait que des missions de second ordre ?

"- Vous vous rendrez à East Blue, sur la petite île de Shell Town, dans la garnison locale tenue par un petit colonel de la marine. Votre tâche consistera à mettre la main sur votre "colis" et à l'extrader le plus rapidement et surtout le plus discrètement possible."

Ma tension est palpable. Je n'avais jamais remarqué à quel point le bureau de mon supérieur était sombre et ténébreux. Dommage qu'il sente vraiment le fourrage.

"- Une fois le "colis" en votre possession la prudence et la discrétion seront de mise. Vous devez vous rendre à Marie Joie par les moyens les plus rapides et vous remettrez votre colis au vice-amiral Fuku Teitoku en mains propres, en personne."

J'affiche à présent la posture déterminée et ardente de celle qui est prête à tout pour son gouvernement et ses valeurs, surtout s'il y a une promotion à la clé. Je réponds:

"- Bien compris chef. Je ne laisserai personne de mettre sur le chemin entre moi et ce colis."

Rei se permet un sourire approbateur puis me tend une enveloppe qu'il dépose sur son bureau.

"- Tous les détails de votre mission sont ici, détruisez les après en avoir pris connaissance. Et n'oubliez pas: ramenez ce colis, ou mourrez en essayant !"

♦♦♦♦

Cher journal,

Quand on m'a présenté cette mission je m'étais attendu au pire: des documents compromettants certainement, ou bien, sachant que la mission se déroulait à Shell Town, les traces d'un prototype secret à faire disparaître. Mais non, rien de tout ça ! Je suis censée retrouver une caisse, une simple petite caisse frappée du logo de la compagnie d'exportation des mers bleues contenant deux sacs d'un café très précieux, extrêmement cher, et surtout livré par erreur à Shell Town au lieu d'être expédié au mess de l'amirauté à Marie Joie...

Flanquée de Sbire qui m'a rejointe, je descends dans les entrailles de la base d'un pas décidé tout en essayant de me convaincre que j'exécute une glorieuse mission pour le compte du gouvernement mondial. Alors c'est sûr, ça ne va pas aider à mettre fin à la piraterie ou à la révolution... Disons… je sais bien que ça ferait jaser si l'on apprenait que certains privilégiés ont le droit à autre chose qu'au café amer et dégoûtant de la marine, et que si l'erreur avait été simplement signalée, adjointe d'une demande de réexpédition, la réponse la plus probable renvoyée par les officiers de Shell Town aurait été "C'est vraiment dommage on a déjà tout bu. Vraiment désolés, halala, c'est trop bête". Mais je ne peux m'empêcher d'avoir l'impression qu'on se sert de moi comme d'une livreuse ! Regarde Koeda -ou quel que soit son nom-, lui au moins il a une mission cool ! Il vient voler des documents, il tape ses alliées, combat le boss, et pendant ce temps moi je vole du café ! Et après tu me reproches de laisser planer le mystère sur le véritable but de ma mission...

Comme prévu je ne croise pratiquement personne, ce qui arrange bien mes affaires, et j'arrive sans encombre devant d'entrée de la réserve principale. Il n'y a qu'une seule sentinelle en faction devant la porte, et cette dernière doit vraiment doit trouver le temps vraiment très long ici au point que je ne lui en veux pas de se laisser distraire en se faisant dragouiller par le chef magasinier.
Cela me permet de la prendre au dépourvu et de tourner la situation à mon avantage. Je toussote pour signaler ma présence, et leur laisse à peine le temps de sursauter avant de dire:

"- Bonjour soldats. Nous sommes ici pour l'inspection, veuillez nous ouvrir la porte et nous apporter les listes des inventaires afin que nous puissions procéder."
"- Une inspection maintenant ? Mais je pensais que nous étions en alerte...?"

Je prends mon air le plus strict et le plus sévère:

"- La marine ne vous paie pas pour penser, soldat. La porte. Maintenant. Merci."

La réserve de la garnison de Shell Town est un hangar souterrain de taille moyenne où s'empilent de nombreuses caisses, des sacs, et des boîtes de fournitures diverses. Je me faufile rapidement entre les allées formées par cette accumulation de cargaisons, flanquée de mon sbire et rapidement rejointe par le chef magasinier qui semble un petit peu embêté de laisser une inconnue, toute inspectrice qu'elle soit, seule avec ses marchandises.

Si je fais vaguement semblant d'inspecter, je suis surtout préoccupée par l'objet que je cherche et je fais rapidement le tour du propriétaire, mais sans rien trouver.

"- Rien de votre côté monsieur Comptable ?"
"- J'ai noté trente-sept fautes mineures mais rien de remarquable, madame l'inspectrice."

Je feuillette une nouvelle fois les nombreuses fiches de l'inventaire que m'a fourni le chef magasinier -qui me colle d'ailleurs toujours-, et finit par lui demander:

"- Je vois que vous recevez des quantités impressionnantes de café ! Pourquoi est-ce que j'en trouve aussi peu ici ?"
"- Nous le stockons dans un local fermé sous clé madame. Pour contrôler le débit, vous comprenez ? Sans ça nos réserves ne tiendraient que quelques jours ! Nous faisons également pareil avec les petits gâteaux et le petit matériel de bureau..."
"- Eh bien montrez-moi."

L'homme, apparemment fier de sa prévoyance, nous conduit devant une petite pièce non loin, à peine un grand placard, dotée d'un très bon verrou et abritant visiblement tout ce qui pourrait être sujet à ce que l'on appelle dans de milieu "de la gratte". On y trouve sur des étagères bien rangées des plumes et des crayons, des gommes, des boîtes pleines de trombones, du papier toilette, des paquets de gâteaux, et évidemment plusieurs caisses de café.

Dissimulant ma grande satisfaction derrière un air contrarié, je m'exclame:

"- Oh mais ça ne va pas , pas du tout ! J'en ai pour je ne sais combien de temps à classifier tout ça ! Au travail, monsieur comptable."

Je lance ensuite un regard plein de reproches au pauvre maître des lieux:

"- Quand à vous ne restez pas planté la, c'est d'un pénible ! Allez donc plutôt vous occuper de remettre en ordre votre entrepôt si vous ne voulez pas que votre nom figure dans mon rapport !"

La réputation de terrible inspectrice que je me suis amusée à façonner depuis mon arrivée à dû parvenir jusqu'aux oreilles du pauvre homme qui m'obéit sans demander son reste. Dès qu'il a le dos tourné, Sbire et moi nous précipitons vers les caisses de café. Et la... bingo ! Au milieu de toutes les caisses standard de fournitures de la marine il y en a une, identique à première vue, qui se différencie des autres par son estampillage. Je n'y connais rien en café, la drogue des employés, mais rien qu'à l'odeur qui émane de la caisse je peux affirmer qu'elle m'inspire bien plus que toutes les autres !

♦♦♦♦

Quelques minutes minutes plus tard à peine, nous sommes sortis. Les deux gugusses en bas ne doivent pas en revenir que la tempête soit passée si rapidement mais je m'en moque car maintenant que j'ai eu ce que je voulais je ne tarderai pas à faire tomber les masques ! Sbire a mystérieusement pris un peu d'embonpoint mais il est tellement costaud et effacé par ma présence que personne ne remarquera rien, et les deux sacs de café qu'il a dissimulé sous sa veste ne devraient pas faire de bruit tant qu'il ne court pas.
Quoi ? Tu t'attendais à quelque chose de plus élégant qu'une méthode digne d'enfants pour piquer des choses dans la réserve, journal ? Hé ho je ne suis pas magicienne moi hein, je n'ai pas mangé le cachette-cachette no mi et le rokushiki ne permet pas encore de cacher des affaires ! Et puis je trouve que ça fonctionne parfaitement bien comme ça.

Sachant que j'attirerai plus l'attention que mon comparse, j'ordonne à ce dernier d'aller mettre notre précieuse cargaison à l'abri tandis que je vais faire un peu de tapage, après quoi je m'arrangerai pour filer au plus vite de cette île de ploucs. Mais alors que je vais pour retourner dans la cour de la caserne où les choses ont l'air vaguement plus calmes que tout à l'heure, je tombe une dizaine de marines armés jusqu'aux dents qui se tiennent dissimulés et visiblement prêts à agir.

"- Madame l'inspectrice, c'est vous ?!"
"- Chut Louna, on est censées être discrètes !"
"- Elle a le don d'être là où il ne faut pas celle-là..."

Après une brève discussion, les charmantes triplées m'indiquent qu'elles sont chargées avec leur unité de couvrir le Colonel Pal et de se tenir prêtes au cas où il aurait besoin de leur aide. Effectivement, depuis leur abri derrière une fenêtre j'arrive à observer le conciliabule regroupant trois individus discutent sur les marches à l'entrée du bâtiment principal. Le premier est évidemment ce cher Colonel Pal, visiblement moins enclin à jouer au caliméro quand il n'a plus l'inspectrice en sa présence. Le second individu je n'en suis pas sûre car tous les chauves barbus se ressemblent, mais je crois que c'est ce type pas net de Paddington. Et en parlant de pas net, le troisième larron n'est autre que le fameux Pas-Koeda, qui n'est toujours pas parti et qui a visiblement beaucoup de mal à suivre mon plan !!

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- Personne n'est trop mal en point j'espère, Lieutenant-Colonel.

Avant même que le chauve vieillissant n'aie le temps de prononcer le moindre mot, Jaros l'interpella. Voix un petit peu plus forte que de raison, ton très égal, le jeune homme cherchait à ne pas lui laisser trop la possibilité de faire à son idée. Un bref échange de regards eut lieu entre les deux militaires présents, écourté par la présence appuyée de l'agent gouvernemental.

- Euh... Non, ils sont... Enfin, juste un peu secoués.
- Bien, tant mieux. Navré pour tout à l'heure d'ailleurs.

Paddington amorça machinalement une réponse, bienveillante banalité du type "vous en faites pas" ou autre, mais il sembla réaliser brusquement la situation, et rien ne passa la barrière de ses lèvres. Le silence s'installa, prit ses aises, au contraire des deux gradés, visiblement gênés et irrités. Véhachez, un peu moins contrit que son subalterne, semblait chercher ses mots, sous l’œil léger mais attentif de Jaros. Patient, il attendait que l'autre trouve un angle d'attaque à la conversation, tente de prendre ses appuis. Le Colonel n'en finissait pas, et un léger tic vint agiter sa paupière gauche au bout d'une trentaine de secondes. *Allez, allez...* Le grand homme bouclé, une lueur ravivée dans ses prunelles sombres, se redressa légèrement, moment que l'agent choisit pour lui couper l'herbe sous les pieds.

- Savez-vous ce qui m'amène ici, Colonel Véhachez ?
- J... Je...

Le front strié de plis de frustration, il s'ébroua, les gestes un peu raides, puis afficha un sourire aussi forcé que peu amène.

- Pardonnez moi l'expression, mais là je ne sais pas à quel jeu vous jouez ! Vous vous infiltrez dans ma garnison, molestez quelques-uns de mes hommes, et c'est à moi de vous dire ce que vous venez y faire ?! C'est à se demander si on ne distribue pas les mandats au premier venu.
- Pal...
- Vu la pagaille que vous avez foutu, ça ne serait pas trop que vous nous disiez au moins pourquoi vous êtes là.
- Je suis sincèrement navré de vous avoir causé du tracas à vous et vos hommes, ils ont en effet été un peu pris de court.

La pique toucha en plein dans le mille, et le Colonel se raidit plus encore. Appliquer la méthode d'Hohenstein, certes bien sommairement, se révélait assez facile pour Jaros. Il s'étonnait lui-même de l'aplomb avec lequel il insultait un militaire en plein milieu de sa base, mais force était de constater que le culot jouait pour beaucoup, ici. Véhachez s'était mis tout seul sur le terrain glissant de la confrontation alors que son adversaire était peu ou prou intouchable, il suffisait de l'entraîner un peu plus loin. En évitant soigneusement de briser la fragile protection du mandat, promesse d'un châtiment aussi terrible que... Lointain, surtout comparé à la réalité bien concrète des lames et des fusils. Le jeune homme laissa mariner sa remarque quelques instants avant de reprendre. À sa droite, Paddington semblait s’affaisser de secondes en secondes.

- Mais ne parlons plus de cela, voulez-vous. Il y a quelques petites questions que j'aurais à vous poser, Colonel.
- ... Si vous n'êtes venu que pour poser quelques questions, vous avez fait perdre beaucoup de temps à tout le monde, monsieur... ?
- Oh, suis-je bête, je ne me suis même pas présenté ! Je m'appelle Jaros Hekomeny. Si vous êtes pressé, nous allons faire cela rapidement.

Le moment lui parut opportun. Sortant prestement un crayon et un carnet un peu écorné de sa sacoche, l'agent la posa entre ses jambes, puis commença à écrire.

- Monsieur Pal Véhachez... C-H-E-Z, n'est-ce pas ? Oui. Puisque vous êtes là, monsieur Rogue Paddington... Bien, avant d'en venir aux faits, avez-vous quelque chose à déclarer ?

Les deux militaires se figèrent, se regardèrent, des expressions diverses passant dans les yeux de chacun. Jaros ne put s'empêcher de remarquer que le Lieutenant-Colonel était sensiblement plus nerveux que son supérieur. Celui-ci devenait dangereusement sombre, le visage se refermant petit à petit, ne laissant visible qu'une irritation toujours croissante. Sans doute aurait-il mieux valu ne pas en rajouter, mais le jeune homme, cédant quelque peu à son stress converti en une vibrante énergie, en rajouta une couche d'un ton toujours aussi égal.

- Vous n'avez aucune obligation de me répondre, bien sûr.

La tension, déjà montée à un niveau préoccupant, ne monta pas vraiment mais s'étira, sensation étrange, accompagné d'un silence aux accents menaçants. L'impression nette de s'être raté étreint Jaros au bout de quelques secondes, lui broyant sans pitié les viscères d'une poigne glacée.

- Mais bordel vous nous prenez pour quoi... C'est la meilleure ça, c'est vous qui osez me demander des comptes, alors que vous vous êtes infiltré dans ma garnison pour brutaliser mes hommes ?! J'aurais pu vous faire fusiller en tout état de cause et vous venez faire le coq devant nous, sans qu'on sache ne serait-ce que pour quoi vous êtes là ?!

Ponctuant sa tirade animée de gestes excédés, Véhachez fit froufrouter le manteau couvrant ses épaules, répandant un peu du cocktail de fleurs qui le parfumait. La manœuvre piètrement exécutée du jeune homme se retournait contre lui. La salut vint de manière inattendue.

- Et puis merde hein... Il sait déjà tout, Pal, on va juste s'enfoncer. Je t'avais bien dit qu'y restait deux-trois trucs dans mon bureau...
- ... Qu'est-ce que tu racontes Rogues...
- Ces conneries me fatiguent alors autant en finir. Et puis... ça nous pendait au nez Pal.

Plus raide que jamais, le Colonel ne partageait manifestement pas les idées de son vétéran de lieutenant. Jaros, presque trop soulagé pour se détendre, continua pourtant d'une voix calme.

- Peut-être serions-nous mieux assis autour d'une table pour en discuter. Dois-je comprendre que vous n'avez rien à dire, Colonel ?
- ...... Venez...


Quelques minutes plus tard, dans le bureau de Véhachez...


- ... et c'est comme ça que les choses ont... dérapé, disons.

Paddington hocha la tête. Son supérieur lui ne bougea pas. Les bras croisés, le visage fermé et le regard fixé sur la table devant lui, il ne participait guère, et le jeune agent ne lui prêtait que peu d'attention. Ils avaient déballé l'affaire, et c'était ce qui comptait. *Toujours le même principe hein...* Les choses avaient commencé bêtement, bénignement, un petit oubli par-ci, un petit oublié par-là, parfois un peu plus volontaire. La garnison remplissait ses devoirs tant que la population était protégée et satisfaite, aux yeux du Colonel, quelques petites erreurs comptables ne nuisaient en rien à cette vocation. Mais évidemment il arriva un moment où les petites maladresses avantageuses se firent bien pratiques, bien confortables, et où elles furent petit à petit organisées.

- Et qui a eu la brillante idée de revendre à votre profit le matériel militaire ?

Aucun des deux ne se sentit de répondre à la question, apparemment. Jaros se permit un petit soupir, tapota du bout des doigts la liasse de papiers devant lui.

- Bon, peu importe. Je suppose que là aussi, c'était progressif ?
- C'est surtout que les habitants ont vite pris goût à la combine... Pour vous dire, c'est même eux qui nous ont proposé de produire des fausses factures. Et... Enfin, il y avait comme un point de non retour, au bout d'un moment.

*Ils ne manquent pas d'air à Shell Town, ça c'est sûr...* Dire que l'agent n'était guère convaincu eut été un euphémisme. Avec son air abattu, le bougre cherchait tout de même à lui faire avaler qu'ils avaient détournés les biens de la Marine et du Gouvernement Mondial pour leur profit personnel, certes, mais un petit peu contre leur gré tout de même. Véhachez crut bon d'en remettre une couche.

- Mais vous comprenez, les habitants en étaient très contents... Et ça paraissait si inoffensif, si facile.
- Allez, tant qu'on y*TOC*TOC*TOC*
- Colonel, vous êtes là ?

Les trois hommes se tournèrent d'un bloc vers la porte du bureau. Jaros reconnut la voix d'une des triplettes, et par association d'idée se rappela soudain de la présence de la prétendue comptable dans la garnison. Ils ne l'avaient, assez curieusement, pas encore évoqué, et surtout lui l'avait complètement oublié entre deux bouffées de stress.
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Cher journal,

Il est temps pour moi de tirer ma révérence. Le trio Colonel-Pal/Pas-Koeda/Paddington-Chauve-Barbu semble parti pour emprunter la voie de la diplomatie et de la coopération, ce qui met potentiellement en danger ma couverture si je prends en compte le gros manque de fiabilité de mon collègue du CP4. Mon véritable travail ici est terminé de toute manière et il ne me reste plus qu'à sauver les apparences avant de quitter Shell Town une bonne fois pour toutes !

Lorsque les membres du trio se décident à quitter le recoin où ils avaient commencé leur conciliabule pour s'engouffrer dans le bâtiment, les triplées et leurs soldats s'apprêtent à les suivre pour continuer leur mission de protection mais se retrouvent face à un petit obstacle: moi.

"- Madame l'inspectrice, que diriez-vous si on vous raccompagnait dans vos quartiers ? Je suis vraiment inquiète que vous puissiez être en danger..."
"- ...et puis le colonel a déclaré l'état d'urgence pour le moment..."
"- ...en plus vous avez déjà été mise en danger une fois, il s'agirait de ne pas recommencer."

Affichant toute l'arrogance et la sévérité que je me suis appliquée à cultiver depuis mon arrivée (les moments en maillot de bain ça ne compte pas journal, mais merci de me les rappeler), j'annonce aux triplées et aux autres marines ici présent:

"- J'ai assez perdu de temps avec Pal et cette base ou je découvre une magouille sous chaque tapis: emmenez-moi voir immédiatement voir votre colonel ! Et croyez-moi, ça va chauffer quand ma hiérarchie apprendra ce qui m'est arrivé ici... !"

Et ça journal, ce n'est même pas forcément un mensonge !
Les trois sœurs se consultent un moment puis répondent avec leur enthousiasme habituel:

"- Bien sûr inspectrice, avec plaisir ! Le colonel Pal sera ravi de vous recevoir j'en suis sûre !"
"- Même si vous risquez d'attendre un petit peu, il a l'air occupé."
"- Et ne vous étonnez pas si vous avez l'impression de faire quelques détours dans les couloirs c'est tout à fait normal."

♦♦♦♦

*TOC*TOC*TOC*
- Colonel, vous êtes là ?

La gentille L(o)(o)una ouvre timidement la porte, mais à peine a-t-elle eu le temps de présenter ses respects à son supérieur que je la bouscule et prends place dans la pièce.

"- Colonel Pal, c'est très aimable à vous de me recevoir aussi vite."

Ma remarque n'est même pas ironique, juste obstinément aveugle au manque de civilité dont je fais preuve.
Je prends le temps de croiser le regard des trois hommes présents. Ils ont tous les trois de petites mines de coupables, comme si la directrice de l'école était entrée au moment où le p'tit Pal venait de sortir les cigarettes en cachette. J'en rajoute une couche en les gratifiant tous les trois de mon fameux regard du "Je sais. Et je sais que tu sais que je sais. Et tu sais que je sais que tu sais", sauf qu'en réalité je ne sais rien même si je suppose beaucoup ! Je commence par adresser un signe de tête à l'officier barbu, le fameux et pas très net Paddington-chauve-barbu:

"- Contente de voir que vous vous êtes remis de votre agression, lieutenant-colonel. Vous faites véritablement un métier dangereux et vous avez toute mon admiration. J'espère que vos soldats attraperont le coupable."

J'affiche un sourire faussement aimable, comme si l'agresseur se trouvait pas juste à côté de lui. Agresseur à qui je dis d'ailleurs:

"- Si je puis me permettre monsieur Koeda, en tant que commercial vous devriez proposer de leur fournir une peinture un peu plus seyante avec votre prochaine livraison de fournitures: la peinture "tigre bleu imitation camouflage moche" qui colore leur base est vraiment du pire effet ! Il n'y a pas de meilleur moyen pour défigurer le paysage d'une île !

Attends, on avait pas conclu que Koeda, agent, commercial et tout le reste c'était du vent ? Chuuuut, laisse parler les grandes personnes journal !

"- Colonel Pal, je viens vous annoncer ce qui sera peut-être votre seule bonne nouvelle de la journée: nous nous quittons. Étant donné que vous n'êtes pas en capacité d'assurer ma protection je me vois dans l'obligation de reporter mon inspection. Rassurez-vous, vous aurez certainement des nouvelles de mon service dès mon retour."

Et plus le temps passe, plus je me dis que même si je ne suis pas inspectrice j'ai très envie d'être vilaine dans mon rapport !
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S'il fallait une ultime épreuve pour mettre à mal la contenance de Jaros, elle venait de se présenter. Le jeune homme tourna le regard vers l'entrée du bureau, se raidit quelque peu. Flanquée des triplettes, la blonde du CP5 venait mettre son grain de sel. Pal Véhachez et Rogues Paddington, eux, se décomposèrent dans un bel ensemble coordonné. Il y eu d'abord un vague flottement, comme s'ils peinaient à se rendre compte de la réalité de la situation. À leur décharge, les militaires étaient déjà dans une vilaine position. Devant le culot et la légèreté outranciers de cette chère "Smith" qui, décidément, tenait à son rôle jusqu'au bout, les deux hommes se retrouvèrent comme deux - ou plutôt quatre - ronds de flan.

Observant du coin de l’œil cet inquiétant spectacle, l'agent du CP4 craignait le pire. D'anxiété, ses mains se firent moites, concession discrète et invisible mais qui mit un peu plus à mal son esprit. Mais, presque miraculeusement, personne n'interrompit ces incongrues divagations, qui cependant se finirent sur une note qui ne pouvait pas ne pas provoquer une réaction. Et cette fois le Colonel de Shell Town fut le plus rapide, à défaut d'être le plus percutant.

- Qu... Qu'est-ce que...

Jaros n'aurait pas dit mieux. Son étonnement était cependant d'une autre nature. La raison de sa présence à lui explicitée, la couverture de comptable de la jeune femme pouvait être mise mal. Pourtant cela ne l'avait nullement retenue de continuer son petit cinéma, et par là même de s'exposer déraisonnablement. Car passé le moment de stupeur, il devenait tout à fait clair que le discours de cette "Smith", confronté à la concrète présence d'un agent mandaté, relevait au mieux de la fable. Peut-être cherchait-elle à convaincre qu'elle y croyait ?

- Qu'est-ce que c'est que ces histoires ?! Elle est avec vous, Hekomeny ?

L'interpellé ne répondit pas immédiatement. Une partie de lui le poussait de très altruiste - ou primaire - manière à tenter d'aider l'inconsciente, bien sûr, mais... Les quelques années de misère que le jeune homme avait vécu lui avaient appris à mettre en sourdine ce genre de bons sentiments. En outre il n'était plus qu'un vagabond au ventre un peu trop vide. À présent il était un agent, il avait une mission. Et cette aussi jolie que délurée homologue avait la sienne. Et n'avait fait que lui compliquer la tâche accessoirement. Même en mettant tout cela de coté, lui n'avait pas vraiment de raison de la secourir. Jaros ne trancha pas complètement, et ignora tout d'abord la question de Véhachez.

- Mesdemoiselles, si vous pouviez éviter de nous interrompre...

Ses mots sonnèrent horriblement faux à ses oreilles, tombèrent complètement à plat. Le jeune homme comprit qu'il ne pourrait plus choisir, amorça une réponse... Et se fit couper en plein élan par une voix féminine.

- Ils sont pas ensemble du tout, Colonel.

Personne ne s'attendit à la remarque de la marine, pas même ses sœurs ou ses supérieurs visiblement. Ledit Colonel n'en réagit pas moins au quart de tour, trop heureux de sentir un peu de pouvoir lui revenir dans les mains. L'homme se leva brutalement, un petit sourire dur aux coins des lèvres. Derrière la prétendue comptable, les sergentes changèrent de position, l'encadrant fermement. La tension montait à un rythme soutenu.

- Hekomeny ?

Jaros se reprit, imposa un petit silence devant l'impatience de Véhachez. *Décidément ils s'excitent bien vite, ces militaires...* Si l'agent chercha à savamment doser sa pause imposée, la dextérité lui faisait quelque peu défaut, et il prit la parole plus tôt qu'il ne l'aurait voulu. Son ton n'en fut pas moins égal et sans hésitation, tranquille.

- Je ne travaille pas directement avec les services comptables du Gouvernement Mondial, mais j'ai eu à croiser cette inspectrice, vos subalternes peuvent le confirmer. J'ai inventé un petit mensonge sur le moment pour ne pas éveiller les soupçons. Je suis navré de vous avoir dupé d'ailleurs, vous quatre. Mais concernant mademoiselle Smith...

Le jeune homme ne put s'empêcher de les laisser attendre un petit peu plus. Sans la regarder directement dans les yeux, il capta brièvement les prunelles perle de la jolie blonde. *J'espère qu'elle se rend compte de son imprudence...* Se comprirent-ils ou pas, il n'aurait su le dire. Les marines s'impatientaient tout cas.

- On vous a envoyé en tout état de cause mais un petit peu tard, je le crains. Je pense que vous n'aurez pas besoin de revenir une fois que nous en aurons fini, mais je ferai en sorte que le dossier soit transmis à vos services. Colonel, pouvons-nous poursuivre ?
- ... Sergentes, raccompagnez-là jusqu'à la sortie de la garnison puisque son inspection est finie.

Jaros se laissa aller à un petit soupir lorsque la porte se referma. Pendant tout ce temps Paddington s'était fait fort discret, regardant tout d'un œil un brin éteint. Une fois Véhachez rassit, l'agent se remit dans le bain.

- Hum, bon, reprenons. Où en étions-nous déjà... ?
- Aux... Aux arrangements avec la populations.
- Ah oui c'est vrai. Les habitants étaient donc bien contents de vos petites combines.
- Oui, ils "étaient bien contents"... Ils étaient contents car tout allait pour le mieux ! La garnison remplissait ses devoirs, nous n'avons jamais été laxistes avec les criminels. Grâce à nous ils avaient même la possibilité de... De se défendre eux-mêmes. C'était gagnant-gagnant.
- "Donner aux habitants de quoi se défendre eux-mêmes" hein... Une bien jolie façon de dire que vous leur avez vendu des armes.

Le vieux militaire se tortilla un peu sur son siège. Son supérieur vint à sa rescousse.

- Vous pouvez le tourner comme vous voulez, parlez de trafic et de fraude et autre... Mais jamais ont ne s'est écarté de notre vocation.
- Votre vocation.
- Exactement. Nous sommes là pour protéger la population au mieux, nous sommes les garants de la paix, celle pour laquelle le Gouvernement Mondial a tant combattu.
- Vous n'êtes qu'un rouage parmi d'autres à cette échelle. En tant que militaire votre vocation est d'obéir.

La remarque du jeune homme fut peut-être un peu plus sèche que nécessaire, mais ni Véhachez si Paddington ne répondit sur l'instant. Le second sembla autrement plus touché que le premier. Mais Jaros n'en avait pas encore fini.
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