Le Deal du moment :
SSD interne Crucial BX500 2,5″ SATA – 500 ...
Voir le deal
29.99 €

Irréconciliables



Ça grinçait. Y jetant périodiquement un œil agacé, Jacob ne saisissait pas pour quelle raison obscure le tenancier s'obstinait à maintenir le ventilateur de plafond en état de marche. Les lames rouillées et lourdes tournaient lentement ; pas un mouvement d'air frais ne se dégageait de leur danse macabre. Ça dynamisait le décor, mais surtout : ça grinçait.
Un chaleur à faire expirer un crotale enveloppait l'air lourd et vicié du bayou. Le ciel était d'un gris menaçant, mais pas une goutte d'eau ne se décidait à perler. Les trois individus louches attablés pour le poker du soir regardaient par la fenêtre cet orage qui ne venait pas.

- Ça va se décider à péter, bon Dieu ? Pesta un Glaiseux, un de ces locaux mal embouchés qui s'était imposé dans la partie de carte.

- Je vous prierai de ne pas invoquer le nom du seigneur en vain. Répliqua qu'un ton amer ce qui se présentait comme un pasteur tuberculeux et mité.

Jacob n'ajouta rien à la discussion. Pour ce qu'elle avait de capital. Causer du temps qui faisait ne l'intéressait pas, Dieu, encore moins. Il ne renchérit qu'avec cinquante-mille berries sur lesquels quelques cendres de sa cigarette avaient noirci le papier. Personne n'avait flanché de la partie, on dévoila cartes sur table et on fit deux malheureux. Le Pendu en première ligne.
Il se faisait tard. Longdrop appelait la banqueroute de ses vœux à chaque nouvelle partie, mais il replongeait inlassablement dans l'enfer du jeu.

On y voyait de moins en moins. Le tavernier, effacé jusqu'à lors, alla sans un bruit illuminer la lampe à pétrole située derrière les visiteurs du soir avant de s'en retourner derrière son comptoir. Il avait des allures de spectre et des gestes aussi lourds que machinaux.

- Bah mon Jaco ! Rempiler après t'être fait enfler de près d'un million, on peut dire que t'as une paire bien accrochée.

- Dommage que ce ne soit qu'une paire et pas un brelan.

Rires gras, mêlés d'une toux tonitruante pour le révérend, il était bon d'avoir des assises confortables pour prendre le Pendu de haut. Car une fois la table de poker loin derrière eux, la supériorité ne leur revenait plus de droit.
Un gringalet mal rasé à la tignasse tendant vers le roux et un foulard noué autour du cou fit irruption dans le troquet quasi désert. Pas un bonjour, pas un regard pour la basse plèbe, juste des yeux de dément pointés sur Longdrop. Il n'avait d'yeux que pour lui et se rua jusqu'à ses côtés sans considération aucune pour ses partenaires de jeu.

- On peut savoir ce que tu fous ?

- T'vois pas ? Y nous tricote des mitaines. L'hiver sera frais.

Sarcastique sans quitter les cartes des yeux, Bobby ricanait de voir un freluquet aussi impétueux oser venir secouer le Pendu. À dire vrai, il imaginait déjà la carcasse du jeune homme se balancer au bout d'une branche d'un arbre mort. Mais Jacob n'était pas un impulsif. Il tuait à tort, mais jamais à travers.

- Toi, ferme-là. Je parle à monsieur tête-de-nœud assis ici.

Une corde avec un nœud de pendu autour du cou porte en écharpe, Jacob avait mérité le sobriquet qui, une fois encore, ne manqua pas de faire ricaner Bobby.

- T'as pas l'impression que t'as du boulot ? Que certaines personnes t'ont filé une mission ?

«Certaines personnes». Comme si le secret valait la peine d'être gardé. Dans le territoire glaiseux, tout le monde savait que le père Longdrop était acoquiné avec la révolution. Et au fond, tous s'en accommodaient for bien. La révolution, pour eux, c'était si lointain. Qu'y avait-il à révolutionner chez eux ? Qui s'emmerderait seulement à venir inculquer les bonnes manière à des rustres et des demi-sauvages installés au milieu d'un territoire hostile et impitoyable ? Qui serait assez con pour seulement envisager la chose ?
La révolution, les Amerzoniens ne la craignaient pas ; leur personnalité terre-à-terre les en prémunissait naturellement. Au mieux, la chose leur paraissait une facétie de gens névrosés et fainéants qui n'avaient rien d'autre à faire de leur vie. Ils n'étaient pas si loin de la vérité.

- Limonade.

Jamais d'alcool. Pas par trente-cinq degrés Celsius à l'ombre en tout cas. Jamais d'alcool et jamais de bonne manière non plus. Le rouquin lui avait été mis dans les pattes pour le surveiller et faire un rapport au Cavalier de la révolution référent. Un mouchard maigrichon qui ne quittait pas Longdrop d'une semelle.

- Qu'est-ce que t'as dit ?

Blessé dans son estime, le commissaire politique cru défaillir, se pensant même menaçant un bref instant. Bobby plaqua alors ses deux cartes contre la table, quelque peu excédé. Père de famille - père indigne, certes, mais père tout de même - il ne supportait que trop peu ces petits merdeux qui venaient déranger les grands de ce monde. Il se leva, mit la baffe de courtoisie au révolutionnaire en herbe et pointa du doigt le comptoir tandis que le jeunot terrifié se frottait la joue.

- Le m'sieur t'a dit qu'il voulait une limonade. Rajoute un whisky là-dessus. Et que ça saute !

- Deux whiskys. Ajouta l'ecclésiastique en levant deux doigts, résolument concentré sur son jeu.

Mais le gamin ne se laissait pas démonter. L'orgueil avait beaucoup à voir avec son refus d'obtempérer.

- Touchez-vous mes bon seigneurs, y'en a qui ont du boulot sur cette île de merde. Jacob le premier.

Mais Jacob ne levait pas la tête, il y alla de cinquante-mille berries une fois encore.

- T'as pas avancé d'un poil dans la recherche, hein ?!

Ses deux cartes dans la main droite, le Pendu usa de la gauche pour se saisir fermement des bourses du jeune homme qui ne le resterait plus très longtemps encore si la patience de Jacob venait à s'éroder davantage.

- Que je sache, en t'activant pendant un mois, t'as rien trouvé non plus, je me trompe ?

Si ce n'est des couinements, aucune réponse ne suivait. Sans doute était-ce le signe qu'il fallait serrer davantage. C'est en tout cas ainsi que Jacob interpréta la chose.

- Je me trompe ?

- N..non....! NON !

- Ça veut dire qu'en restant à rien faire ces trois derniers jours, j'en ai fait autant que toi en un mois. C'est dire si je suis performant.

Sur ce trait d'esprit qui provoqua un sourire dissimulé chez le révérend, Jacob lâcha les grappes du jeunot dont il n'avait pas retenu le nom afin que ce dernier ne lui lâche les siennes.

- Amène-moi ma limonade.

- Le whisky aussi.

- LES whiskys.

C'était un monde d'hommes dans lequel le rouquin s'était jeté à pieds-joints. Il n'en était pas. Et s'il ne se pressait pas pour mettre de la glace sur ses valseuses, il n'en serait vraisemblablement jamais. La limonade fut servie sans faute avec les boissons. Elle était tiède la limonade. Mais à Amerzone, tout était réchauffé et poisseux. Il fallait se faire une raison. Ou crever. Au choix.

Un mois auparavant, on rapportait un signal de détresse au QG révolutionnaire de South Blue. Un de leurs hommes qui s'était emparé d'une documentation compromettante pour le Gouvernement Mondial avait mis les voiles. Traqué, il n'avait trouvé de répit que sur cette terre abandonné de Dieu des hommes qu'était Amerzone. C'est d'ici que l'appel de détresse de son escargophone avait été tracé. Injoignable depuis.
Acculés sur divers théâtre d'opération, la recherche au point morts, les Cavaliers de la révolution de South Blue avaient demandé un agent extérieur en renfort. Un de West Blue. Pas le genre limier pour un sou. Un de ces indésirables de l'armée révolutionnaire que l'on ne sortait que pour les grands ménages de printemps. Aeden s'était trouvée trop contente de se débarrasser de Longdrop débarrasser pour un temps. Le temps qu'il ne déboise tout comme un forcené et ne fasse sortir l'agent du guet.
Pour l'instant, il s'échauffait au poker. Une fois rincé, Amerzone allait se sortir de la quiétude nonchalante dans laquelle l'avaient plongé son climat et ses habitants.

Les volets battants du boui-boui claquèrent une fois de plus.

- Toubib ! V'nez ! Ma... ma p'tite fille.

Quelque peu à la masse niveau catéchisme, les Glaiseux comme les autres Amerzoniens appelaient le révérend «toubib». Pas religieux pour un sou mais superstitieux jusqu'au déraisonnable, toute figure de clerc avait à leurs yeux des allures d'homme médecine. Si ce n'est des rudiments de secourisme, le révérend Alioz n'avait rien de particulier à offrir. Mais c'était toujours mieux que ce que les locaux avaient à disposition.
Sans demander de quoi il en retournait, le missionnaire vida son verre d'une traite et reprit sa mise à la hâte. Bobby l'imita. De ses yeux froids et pâles, Jacob interrogea ce dernier d'un regard signifiant «Toi aussi ?». Un homme qui se respectait n'avait pas besoin de parler pour se faire comprendre. Et Longdrop se respectait pas mal.

- C'est mon cousin. Si sa fille a un problème, c'est aussi le mien.

Et il détala.
À Amerzone, ils étaient plus ou moins tous cousins. Les étrangers comme Alioz et Jacob préféraient ne pas demander comment cela était concevable. Ils comprenaient simplement que cette singularité dans l'arbre généalogique expliquait bien des choses sur le plan comportemental chez l'habitant moyen.

Au fond du bar à présent totalement vidé - tenancier compris - les bourses enveloppées dans des glaçons à moitié fondu, Jinfred, comme un gosse paumé demanda à son compère s'il fallait les suivre. Avoir les couilles broyées l'avait rendu plus docile. Il fallait savoir le prendre par le bon bout pour en tirer le meilleur parti.

- Non. Je vais me coucher.

Cette histoire ne le concernait pas. Elle ne suscitait pas même vaguement son intérêt. Sa limonade terminée, il se dressa à son tour, insérant délicatement les mains dans ses poches et fit claquer ses talons contre le parquet presque aussi grinçant que le ventilateur qui trônait au-dessus ; l'ombre de ses lames tournoyant au milieu de la lueur blafarde des lampe à pétrole.
Suivi de près - mais pas trop - par le rouquin, Jacob s'en allait retrouver sa chambre d'hôtel miteuse située à un kilomètre, à la lisière du marais. Les cris et les torches enflammées attirèrent toutefois son attention. La gamine y était passée. Mais pas que.

Cigarette au bout des lèvres, pas même allumée, le Pendu demeurait contemplatif. De loin, observant cette petite foule qui se lamentait dans la nuit naissante, il se sentit si étranger à tout cela. Si indifférent.
Combien de temps était-il resté là à les scruter comme un enfant qui étudierait les fourmis ? Une minute ? Peut-être cinq. Jinfred le sortit de sa torpeur. Lui n'avait pas été indifférent.

- Violée et tuée.

- Mh.

- Par un homme-poisson...


Alors l'indifférence s'estompa. Ses sentiments lui revinrent par bribe. Une portion de mémoire à la fois. Il n'oubliait pas. Il n'avait jamais oublié. Pourtant placide, glacial, imperturbable, son visage se déforma. Les traits étaient plus tirés, les yeux plus fins et les prunelles... enfin expressives mais si peu avenantes.
Cette race qu'il exécrait, elle savait faire honneur à son stéréotype. Engeance criminelle et menaçante, les amphibiens sur patte ne trouveraient jamais grâce aux yeux du Pendu. Ils ne trouveraient que la corde.
Révélant peu à peu ses dents serrées, Longdrop avait été piqué au vif. La simple mention de l'existence de cette race maudite pouvait lui faire perdre tous ses moyens.
Malgré cette colère sourde qui macérait en lui sans trop déborder pour l'instant, Jinfred osa ajouter.

- D'après la description de ceux qui l'ont vu s'enfuir.... ce serait notre homme...
      - Alors ?
      - Rien du tout mon caporal. Le sergent-chef est peut-être allé voir sa famille sur East blue.


    Camille soupira avant d’avaler goulument le fond de sa bouteille de rhum ambré. D’habitude ses rondes de nuit étaient calmes, paisibles et le plus important, exemptes de toute forme de responsabilités administratives. Mais pas cette nuit. Elle avait pourtant bien commencé : après avoir patrouillé le quartier Nord, Camille était venu s’installer dans un bar presqu’abandonné qu’il affectionnait tout particulièrement. Un siècle de poussière nimbait l’unique fenêtre et la paille sur le plancher moisi. Une odeur de vin éventé parcourait la salle entre les chaises ébréchées et les tables bancales. Un homme entre deux âges avait siroté une bière bien fraîche avant de s’en aller, laissant le caporal seul avec une catin en robe rouge assise contre un mur qui somnolait à moitié. C’est à ce moment-là que Mayers était arrivé pour le prévenir.
    Un meurtre. « Un de plus » s’était simplement dit Camille. Mais cette fois-ci, le coupable s’était attaqué à la mauvaise personne. La victime était une petite fille, filleule de l’un des proches amis du King de Freetown. Il suffit d’un seul coup de fil passé au commandant de base pour que Camille soit averti sur-le-champ. Et malheureusement pour lui, impossible de refiler le bébé à son sergent-chef qui était sûrement en train de se faire masser l’oignon dans l’un des bordels du coin. Ou en vacances auprès de sa famille sur East Blue s’il en croyait les dires du jeune matelot Mayers.

      - Johnny est avec toi ?
      - Il est resté calmer la population.
      - Johnny … ? (Mayers haussa les épaules.)


    Johnny était le petit nouveau à la caserne. Un visage enfantin et un corps maigrichon, la seule chose qui lui évitait de se faire bouffer tout cru dans les rues d’Amerzone était son bon mètre quatre-vingt-dix. Pour autant, Johnny était le genre d’homme qui quand on lui marchait sur le pied s’excusait aussitôt.

      - Tu vas me taper ta plus belle course jusqu’au fort et me ramener les trois sections les plus remplies pour une expédition nocturne.
      - C’est noté Caporal. Je vous retrouve où ?
      - Près du corps, voir si je peux trouver quelque chose et éviter la pendaison au bleu… s’il survit jusqu’à la fin de mon verre.


    Tandis que le jeune matelot s’éloignait, la catin s’était hissée péniblement sur ses jambes pour traverser le plancher et venir s’asseoir au comptoir à côté de son seul voisin.

      - Bonjour, dit-elle en s’affalant sur le bar.
      - Les affaires marchent ? Répondit Camille en la saluant.
      - Tout doucement. Ca marche toujours tout doucement (elle poussa un soupir). Je suppose que vous ne pourriez pas offrir un verre à une jeune fille assoiffée ?
      - Et pourquoi pas. Tavernier, ce que t’auras de plus frais pour la dame.
      - Merci brave marin. (Elle examina la salle.) Ce n’est pas exactement un palace mais je ne tiens pas à travailler dans la rue ; il fait humide, les rues sont très sales et puis on est moins en sécurité quand on travaille seule comme moi. (Elle poussa un nouveau soupir). Vous savez une chose ? Mes pieds me font mal. Plutôt étrange pour ma profession hein ? On pourrait penser que ce soit le dos qui me fasse souffrir. Merci encore monsieur le marin.


    Les prostituées étaient des personnes simples. Camille appréciait ce point de vue sympathique et sans complication de la vie. Il déposa quelques billets à l’attention du barman avant de quitter la taverne.
    Les marins du fort Plud s’aventuraient rarement au-delà de Freetown. Les mangroves où vivaient les glaiseux cumulaient un taux de criminalité plus élevé en un mois que sur le reste de l’année chez les zoniens. Quant aux poussiéreux, ils vivaient en autarcie, satisfaits d’ignorer et d’être ignoré par le reste de l’île.

    C’est à la lisière d’un petit village dans les mangroves que le caporal Vetinari se dirigeait d’un pas fébrile et l’esprit agacé. Non pas qu’il nourrissait une antipathie envers ces rares moments où lui était confié quelques responsabilités, il les adorait ces moments, mais habituellement il les saluait de la main alors qu’ils passaient au loin.
    A côté d’une veille souche morte, tout un tas de silhouettes réunies en cercle dansaient au crépitement de torches improvisées. Les nombreux chuchotements étaient tels qu’ils parvenaient à supplanter le vacarme de la faune nocturne. Au centre, un homme portant la traditionnelle bure ecclésiastique noir examinait un le cadavre d’une petite fille à moitié recouverte d’un drap grisonnant. Devant lui, Johnny tentait de réfréner le dynamisme de quelques contestataires :

      - A quoi vous nous servez si vous êtes même pas foutus de défendre nos gosses exactement ?
      - Je vous assu…
      - T’assures mon cul gamin. Je devrais te cramer la tronche et aller retrouver la sale enflure de poiscaille qu’est responsable de ça.
      - L’hypothétique, fit le révérend en se relevant.
      - Hein ?
      - L’hypothétique responsable, reprit-il. Outre les signes évidents de pénétration forcée, je ne vois qu’une gorge complètement bousillée. A mon avis l’agresseur lui a enfoncé la trachée et elle s’est étouffée. Pas spécialement besoin d’être un homme-poisson pour ça.


    Camille se fraya un chemin jusqu’au centre de la foule. Il jeta un bref coup d’œil au cadavre. Les morts ne parlaient pas et il n’était pas en mesure de distinguer beaucoup plus que ce que le proclamé médecin pouvait en dire.

      - Pourquoi un homme poisson ?
      - T’es qui toi ? Une autre blouse blanche ?
      - Ah, Cam’ ! S’exclama un homme mal rasé. Ils sont plusieurs à en avoir aperçu un trainer aux alentours avant qu’on retrouve la fille. Un étranger. Et elle est couverte d’un espèce de gel visqueux. Faut qu’on fasse quelque chose. FAUT CRAMER CETTE PUTAIN DE VERMINE.


    L’agglomérat de testostérone approuva à l’unisson d’une voix particulièrement grave. Les preuves étaient maigres à l’encontre du suspect. Mais il n’en fallait pas plus au Caporal. Un étranger doublé d’un homme poisson sur Amerzone... Il aurait pu venir proposer des tartines au miel et une chope de lait qu’il aurait finit au bout d’une corde tout pareil.

      - Deux bonnes douzaines de marins devraient ramener leurs fesses d’ici une trentaine de minutes. (Il fixa l’horizon). On est pas très loin des déserts du centre. Si j’étais lui c’est là que j’irais me terrer. Aucun poussiéreux nous laissera entrer. Si on veut le choper, faudra le trouver avant la fin de la nuit. Que tous les volontaires partent récupérer de quoi s’éclairer pendant quelques heures. On partira à l’arrivée des troupes.
      - Et pourquoi ce serait à toi décider le maigrichon ? Z’avez pas été foutu de gérer le moindre problème sur ce foutoire depuis que je suis haut comme ça. Je vois pas pourquoi ça changerait aujourd’hui.
      -Tu veux prendre la main ? Avec plaisir, au moins je saurais vers qui renvoyer les gros bras du King quand ils voudront des explications sur la fuite réussie du meurtrier qui arrivera si on continue à se bouffer le nez. (Il laissa un silence). On est d’accord donc. Au boulot.


    Une partie s’exécuta, une autre partit en solitaire explorer les environs tandis qu’une dernière, plus spectatrice qu’actrice se contenta de jeter des regards intrigués vers le corps de la petite fille. Curieusement, Camille s’en était plutôt bien sorti. C’était bien la première fois que ces hommes allaient s’aligner sur qui que ce soit et ce sans un seul coup de feu ou menace. Peut-être était-ce l’abomination du viol d’un être innocent qui les fédérait. Ou la haine de l’engeance que représentait les hommes poissons sur l’Amerzone. Dans tous les cas, le caporal sentait son sang bouillir à l’intérieur. Et malgré cette tension qui parcourait tous ses membres, il avait apprécié ce bref moment de commandement. Etrange pour lui de dicter autre chose que le planning de nettoyage des latrines du fort. Tandis qu’il contemplait les franges de la nuit étoilée, Johnny s’approcha vers lui.

      -Caporal, chuchota-t-il.
      -Hm ?
      -Vous trouvez pas ça étrange ? On est en plein milieu des mangroves là où il y a plus de crocodrilles que d’Amerzonien au kilomètre et pourtant, le cadavre est « intact » au moment où on le retrouve ?


    « Un coup de chance peut-être. Ou peut-être pas. » se dit-il. A quoi bon se creuser le crâne. Une piste, un homme pendu, un supérieur content, et un retour rapide devant sa bouteille de rhum, c’était tout ce qu’il espérait. Voilà pourquoi Camille croupissait encore au grade de caporal après tant d’années passées au sein d’un fort miteux d’une île oubliée.
    • https://www.onepiece-requiem.net/t20109-camille-vetinari-le-verit
    • https://www.onepiece-requiem.net/t19790-presentation-camille-vetinari
    La marine. Une des leurs se retrouvait souillée par ce qui se présentait à leurs yeux comme la plus sordide et exécrable des races, et ils devaient renoncer à la justice parce que la marine était là ? Plus tribaux que la faune humaine côtière de l'île, les Glaiseux n'appréhendaient tout simplement pas l'idée d'une police en leur sein ; qu'une instance intermédiaire, que des inconnus ne décident de comment régler des affaires qui ne concernaient qu'eux les dépassait. Les dépassait et les révulsait.

    À leurs yeux, la police n'avait une légitimité que parce qu'elle était plus armée qu'eux. L'ordre social, ils l'avaient défendu des siècles si ce n'est des millénaires durant avant que des minets en uniforme ne viennent les castrer pour régenter en leur nom. La domestication des lions en chat était une facette de la civilisation qui ne leur faisait que trop horreur. Une facette parmi d'autres justifiant pourquoi ils se complaisaient dans la barbarie.

    Car ils étaient peu en clin à céder devant l'argument d'autorité qu'était la hiérarchie militaire, une battue fut organisée en parallèle. Une trentaine de pue-la-pisse en quasi-haillons qui parcourait les Mangroves, ça avait tristement moins de gueule qu'une armée régulière, et pourtant, c'était plus redoutable encore. Les clébards étaient de sortie et s'égosillaient dans les ombrageux marais, talonnés de prêt par tout ce qui avait des oreilles et deux pattes pour les courser à vue.
    Se jeter au milieu de cette flore sordide, ce terrain humide et poisseux, ça avait comme des airs d'insouciance. De suicide. Parce qu'à la flore, s'ajoutait la faune. Elle avait faim la faune. Tout le temps faim. Mais elle ne dépérissait pas pour autant. Pour elle, il y avait toujours quelque chose de bon pour garnir son estomac. Les bestiaux les plus vicieux - il n'y avait guère que ça dans l'ombre de chaque arbre mort - tentèrent leur chance, cédèrent à un appétit naturel. Puis ils crevèrent, car cela était dans l'ordre naturel des choses. Prédateurs ou pas, les Glaiseux demeuraient les maîtres de leur environnement. Tous avaient chassé ici sous le patronage de leur père. Ils connaissaient les recoins les plus retors et les méthodes de braconnage les plus incisives. Dans leur sillage, tout finissait irrémédiablement par périr. En bout de course, c'était aussi ce qui attendait le bourreau d'enfant.

    Machine implacable lancée après le tueur, la petite horde des Mangroves semait la désolation en rangs serrés. Entre aboiements et coups de feu intempestifs, les marines les ayant devancé pouvaient situer à quelle distance ils se trouvaient exactement. Nulle question de chercher à entraver leur marche, c'eut été un casus belli. À la complexité de la traque en milieu marécageux s'ajoutait maintenant l'urgence. Il fallait trouver l'enfant de salaud avant la concurrence.
    Et pourquoi au juste ? Pour que le même sort lui soit attribué, mais en différé ? La Justice institutionnelle avait ça de dysfonctionnel qu'elle travaillait plus lentement que les tribunaux populaires et avait en plus la prétention d'être moins faillible. Sophistiquer la potence rendait - paraît-il - la sentence plus acceptable aux yeux de l'opinion.

    - Caporal, on est suivi.


    Ils l'étaient de fait avec toute la troupe enragée qui battait la pampa quelques centaines de mètres plus loin derrière. Mais ils l'étaient d'autant plus par cette silhouette uniquement perceptible lorsque de rares éclats de lune traversaient les feuillages touffus pour mieux se trouver révélée. Celui-là qui ne les quittait pas d'une semelle, cherchait-il seulement à se montrer discret ? Lui, ne zigzaguait pas entre les obstacles que la marine s'employait prudemment à éviter. Une poche d'eau suspecte ? Il pataugeait à travers, implacable jusqu'à s'en retrouver trempé jusqu'à la taille. Sa trajectoire n'obliquait en aucune circonstance ; il traquait les traqueurs.

    - Sûrement pour tenir les autres au courant de notre avancée.

    Un espion Glaiseux ? C'est vrai que leur poursuivant avait une sale gueule. Mais pas ce phénotype qu'on retrouvait parmi les locaux. Les trais fins, cheveux tout autant, il manquait d'avoir les joues creusées au milieu de cette gueule de cire. Une gueule cireuse et blanche comme la brume sur une île où le soleil cognait la plupart du temps. Là était l'indice suggérant au caporal que cet homme ou, tout du moins, ce qui s'en rapprochait, n'était pas d'ici. Après tout, quel autochtone, érudit aux choses du climat sur Amerzone, aurait seulement eu la bêtise de nouer une écharpe autour de son cou par trente-cinq à l'ombre ? Une écharpe si épaisse. Une corde ?

    - Johnny, presse le pas.

    S'il s'en était fallu de si peu pour semer Jacob.

    D'un pas pressé, on se décida à trottiner pour finir par courir. Plus le temps d'enquêter à la recherche d'éventuelles traces de leur assassin. Quelque chose de malsain les suivait. C'était humain, ça en avait en tout cas la forme, mais pas la présence. Johnny interrompit la cavalcade pour faire brusquement volte-face et braquer son fusil derrière eux. Pas le temps de hurler «Halte !», car il se rendit compte qu'il ne visait que des saules, des lianes et le terrain escarpé qu'ils venaient de franchir à toute blinde. Ça, et rien d'autre.
    La sueur perlait le long de la tempe du gaillard. Il faisait chaud. Ce serait en tout cas son prétexte pour justifier la sudation, il lui faudrait trouver autre chose pour expliquer les tremblements. Il sursauta quand le caporal plaça une main sur son épaule. L'indésirable semé, il fallait se remettre en piste.

    Ce sinistre et épais saule sur lequel Johnny avait pointé son arme était d'un bois gris et terne. Une faune grouillante et rampante l'habitait, l'entourait, en dépendait. Ses branches fines et filandreuses, s'élevaient et s'étendaient pour mieux retomber. Confronté à une flore aussi oppressante, il y avait de quoi perdre ses nerfs. Dans le meilleur des cas.
    Au milieu des lianes, l'une d'elles, plus épaisse, plus rugueuse, se dandinait plus que ses semblables, elle s'étirait même. À son extrémité, un vilain fruit recroquevillé descendait prudemment pour toucher terre sans un bruit. La liane se rétracta jusqu'à ce qu'elle n'ait intégralement disparue dans sa manche de l'homme à son bout qui se redressait enfin.

    Le Pendu, après s'être dissimulé derrière sa cachette arborescente, retrouvait le sentier de la traque. Les circonstances nécessitaient à présent qu'il se montre plus discret. Il en serait ainsi. Sa démarche lente, acharnée et imperturbable reprit. À eux le travail d'enquête, à lui les délices de la sentence.


      La nourriture facile se faisait rare dans un tel environnement. Les plus téméraires pouvaient trouver leur bonheur dans la dégustation de quelques poissons locaux, si tant est qu’ils arrivent à les pêcher sans perdre un membre. Accumulées sur un sol de végétaux humides en décomposition, une dizaine de carcasses furent balancées dans l’eau trouble. A leur droite, la dépouille d’un énorme saurien aux dents de la taille d’un poing s’enfonçait lui aussi dans les profondeurs aqueuses. Leur bourreau apparu soudainement tel un morceau du décor se déplaçant du paysage. Sa silhouette s’évanouit la seconde d’après tandis qu’il s’imprégnait des couleurs verdâtres de ses alentours.

      Réunis à la lisière d’un marécage à la profondeur inconnue, la brigade d’intervention réunie en urgence fixait un seul homme. La tension était palpable et leur impatience se lisait au tapotement régulier de leurs pieds sur le sol boueux. Camille parmi tous, semblait le plus inquiet. Se coltiner quelques maringouins faisait partie du métier, mais quand une meute de Wendigo leur rentrerait dans le lard, la soirée allait devenir nettement moins appréciable.

        - Bon Mayers, ça arrive cette piste ou on sort la tambouille ?
        - Ben pour moi il est pas passé par devant, Caporal. Donc par là, ou peut-être de l’autre côté.


      Les soupirs fusèrent parmi les marins, seul Johnny semblait trop angoissé par les bruits qu’il entendait dans son dos pour réellement s’intéresser aux dires de son camarade.

        - Super. Heureusement qu’on a un pisteur, on se demande ce qu’on ferait sans toi.
        - Non mais moi j’en ai jamais voulu de ce poste à la con. Tout ça parce que j’avais retrouvé une vieille qui s’était paumée à l’extérieur de la ville lors d’une de mes permissions.


      Les rumeurs qui entouraient l’incompétence du Fort Plud au sein de la marine étaient bien loin de la vérité : à l’exception de leur commandant, l’intégralité des effectifs avaient plus l’étoffe de clodos que de matelots. Les rares entrainements encore pratiqués au sein du fort n’étaient même plus obligatoires et un bon tiers s’en dispensait allégrement sans la moindre réprimande. La seule chose dont le Fort pouvait être fier, c’était l’impeccable propreté de ses toilettes.

        - On va partir sur la gauche, ça s’éloigne plus des habitations. Avec un peu de chance les glaiseux partiront sur l’autre piste. A moins qu’ils aient un pisteur compétent, eux.


      Le ton se voulait moqueur mais pas insultant. Le Caporal Vetinari et le matelot Mayers avait rejoint la marine pratiquement en même temps et se connaissait de fait depuis de nombreuses années.
      La formation se révélait pour le moins approximative. Une dizaine de marins avançaient en flèche à l’avant et assumaient le rôle d’éclaireur. C’était là le seul brin de stratégie puisque le reste des troupes avançaient dans un amalgame informe. La progression déjà ralentie par les marécages s’en retrouvait encore plus handicapée par le manque d’expériences des marins. Ils réussirent néanmoins à couvrir du terrain jusqu’à cet instant précis.
      Le mouvement fut bref. Peut-être le frétillement un peu trop intense d’une liane au contact d’un coup de vent isolé ou bien l’éclatement d’une bulle de gaz provenant de la da décomposition permanente de la flore. En tout cas, cela suffit à alerter les sens déjà trop aux aguets de Johnny. Il se retourna et fit feu sans la moindre somation. Le bruit assourdissant de la balle fut rapidement étouffé par la symphonie sauvage des mangroves. Sous le regard accusatoire de ses camarades, son visage tourna au rouge pivoine.

        - J’ai senti un poids sur mon épaule, se justifia-t-il.


      Les marins qui s’étaient tous retournés, fusils en joue et cœurs en émois furent rassurés. Du moins pendant une courte durée. Un hurlement humain retentit, suivit d’un brouhaha bien distinctif.

        - Fais chier.


      A peine plus malin que le reste de la brigade, le Caporal venait d’imaginer l’avenir de cette opération quand une troupe de glaiseux en colère armés et vindicatifs décideraient de se venger du coup de traître dont ils penseraient être victimes. Il ne semblait pas brillant. Quelques troncs aux racines anciennes allaient leur servir de couverture. Quant à leur torche ils allaient probablement devoir les éteindre quelques instants pour profiter d’un semblant d’effet de surprise.
      Dans l’ombre, un sourire se dessinait sur une peau visqueuse.
      • https://www.onepiece-requiem.net/t20109-camille-vetinari-le-verit
      • https://www.onepiece-requiem.net/t19790-presentation-camille-vetinari
      Lui n'était qu'un vautour. Il en avait l'allure, les manies. Perché sur une branche, le drôle d'oiseau ne respirait que faiblement entre ses lèvres légèrement entrouvertes. Pas question de respirer la pestilence. Les charognards comme lui aimaient les relents d'une chair faisandée, pas celle de marais nauséabonds, presque autant que la foule en colère qui retournait chaque ronce sur son chemin.

      Le vautour scrutait, caressant son écharpe en corde comme s'il se serait agi d'une barbe, pensif. Il n'était pas un pisteur hors-pair, juste un oiseau de proie particulièrement vorace et fainéant. Dissimulé dans les branchages sinueux et laids de l'arborescence grisâtre assombrissant le marais, il suivait ses prédateurs en chef qui s'esquintaient le museau à renifler le poiscaille retors. Le genre insaisissable.
      Derrière la petite troupe de marines qu'il survolait de si loin et de si haut qu'ils ne le verraient fondre sur eux que lorsque viendrait le moment de leur chiper leur proie, Jacob prenait son mal en patience. Devant lui, les chiens du gouvernement mondial tenaient plus de corniauds que de limiers. Mais il fallait faire avec. À défaut de mieux en tout cas.

      Le regard s'était peut-être fait trop pesant, mais Johnny avait encore une fois réagi vivement. Trop cette fois. Ne se contentant plus de braquer là d'où il sentait venir la menace, il avait sauté le pas et fait tonner le fusil. Viser à l'aveugle. Ils n'étaient guerre capables de mieux à fort Plud. Ils étaient en tout cas capables de pire. Cela se démontra quand le projectile fusa à travers les lianes et autres branchages encombrants - mais si pratiques pour s'y planquer - et se logea malencontreusement dans la cuisse d'un glaiseux. Le genre vieillard. Soupe-au-lait aussi. Plus encore quand on lui jetait un projectile de plomb brûlant dans la chair.

      - Tché... n'avait pu s'empêcher de lâcher le Pendu en un crachat de dépit.

      La traque allait dès lors prendre un tournant regrettable. Si les chiens de Longdrop s'affairaient à devoir aboyer et mordre, ils en oublieraient de renifler la piste. Une fusillade entre l'autorité compétence et l'autorité incompétente ne serait pas du plus meilleur goût. Pas à celui de Jacob en tout cas. Retarder la poursuite était déjà déplorable, mais faire du grabuge et donner sa position à l'amphibien bipède aurait enterré tout espoir de lui mettre la main dessus. Après tout, c'était un révolutionnaire, disparaître faisait partie de ses prérogatives.
      Alors, le Pendu s'engageait à faire une fleur au caporal et à sa meute.

      Fouillant dans ses poches, il en débusqua son escargophone. Point question d'appeler du renfort. Ce n'était déjà pas le registre du bonhomme et le soutien le plus proche se serait immanquablement paumé dans la mélasse aqueuse et odorante des marécages hostiles. Il le rangea alors et en sortit un objet rond, un coquillage rose parsemé de trous.

      - Quand je pense à ce que ça m'a coûté...

      Il étaient rares le audio dials. Surtout sur les Blues. Mélomane à ses heures perdues - car même les bêtes sauvages étaient réceptives aux symphonies - il ferait le meilleur usage possible de l'engin. De quoi couvrir le bruit de ses déplacements à venir. Car il allait devoir s'activer et se remuer, déjà, les premiers glaiseux en colère approchaient la position des marines qui, eux, s'étaient lâchement terrés derrière trois souches mortes et deux feuilles de saule. Autant dire qu'avec un choix tactique aussi peu judicieux et l'infériorité numérique flagrante aidant, seule l'intervention d'un ange-gardien pouvait faire la différence.
      Il s'apprêtait à quitter brusquement les branchages comme il serait subitement descendu du ciel. L'ange-gardien Jacob venait à la rescousse.

      Jeté comme un frisbee, allant se loger dans le creux d'un tronc, l'audio dials s'enclencha afin de débuter la diversion d'usage alors que les premiers glaiseux passaient sous l'arbre où était perché le vautour. Ils avaient beau vivre, l'ombre qui pesait sur eux faisait ressortir de leur carcasse en devenir une affriolante odeur de charogne.


      La musique adoucissait les mœurs. Celle-ci assouplissait les morts alors que deux malheureux lévitèrent soudain, tête penchée et membres ballants. Surpris par la musique, le reste de la troupe le fut tout autant des pendus intempestifs. Le temps qu'ils lèvent leur nez en direction de la cime, les flagelles s'étaient délassés de la gorge de leur victime, ces dernières retombant sur leurs contemporains.
      Cons qu'ils étaient, les locaux eurent le même réflexe que les soldats qu'ils s'apprêtaient à écorcher vif et tirèrent aveuglément en l'air. Le son des pétoires comme celle de la chanson dissimulèrent le bruit vif mais inquiétant d'une créature rampant du sommet de sa branche jusqu'en bas du tronc, le long de la surface de l'arbre se trouvant de l'autre côté de là où où les chasseurs étaient postés.

      De là où étaient postés les marines, il sembla qu'une masse, une ombre même grouillait pour retrouver une des innombrables flaques marécageuses. Deux nouvelles lianes à nœud serpentèrent depuis le fond de la mare vaseuse où s'était enseveli Jacob pour se saisir des chevilles d'un des insouciants qui en était encore à tirer en l'air. L'ange était déchu. Il amena à lui, au fond de la flotte poisseuse et visqueuse, le troisième larron disposé à devenir sa nouvelle victime. L'eau ensevelit son cri et la musique n'en finissait pas de confondre la petite horde qui ne savait déjà plus où donner de la tête.

      Puis, chose rare, le captif des cordes du Pendu reparut, jaillissant de l'eau qu'il avait maintenant jusqu'aux hanches.

      - Hancel ! Qu'est-ce qui t'a attaqué ?

      Probablement la même créature qui l'attaqua lui dans la foulée. Jaillissant à travers la manche du bras mou mais tendu en avant de Hancel sous l'effet des deux épais fils qui en faisaient maintenant la marionnette du Pendu, une corde s'empara du fusil de son compagnon d'arme pour le ramener à lui. Pervers comme un de ces animaux qui aimaient jouer avec les proies entre leurs serres avant de les achever, Jacob usa de sa deuxième corde pour redresser la tête d'Hancel, prélude à ce qui attendait ses camarades.
      Il n'était pas mort depuis long, mais il avait déjà une gueule des mauvais jours. Couvert de la vase visqueuse dans laquelle il avait été enseveli, les yeux exorbités de terreur au moment de sa mort, sa bouille de cadavre livide pétrifia les autres un instant.
      Mais le fusil n'avait pas été volé pour l'esbroufe. Trouvant son chemin jusqu'aux mains d'Hancel - ou plutôt celles de celui qui le faisait se mouvoir depuis les coulisses marécageux, la corde vint trouver la gâchette, donnant l'illusion sommaire que le cadavre avait lui-même fait feu. Une victime de plus.
      Trois autres fusils furent saisis par le même principe et trois autres corps tombèrent à terre avant que les glaiseux ne se décident enfin à faire feu sur l'un des leurs. Ils y allèrent d'ailleurs gaiement, trouant la marionnette cadavérique de toutes parts.

      Mais on ne tuait pas un homme mort. Telles d'épaisses viscères agitées, les cordes trouvèrent leur chemin à travers les trous creusés par les balles pour ressortir violemment, faisant imploser l'abdomen d'où elles s'extirpaient. De là, elle s'en allèrent fouetter ceux-là qui avaient trouvé le courage de continuer à faire face à leur camarade déchu, restés au milieu de l'horreur et la cacophonie.

      - Putain de boudiou ! C'est quoi encore d'cette plante qui nous attaque ?! Barrez-vous les gars.

      Le marécage d'Amerzone avait ça de si fantastique que son bestiaire et sa flore se voulaient impitoyable. Au milieu des innombrables plantes carnivores et autres espèces vénéneuses, trouver une espèce dont les racines s'attaquaient au tout venant n'étonna guère les chasseurs. Aucun d'eux n'eut cependant la présence d'esprit de s'interroger sur l'origine de la musique, imputant probablement sa présence aux marines qu'ils poursuivaient jusqu'à lors et qui se retrouvaient maintenant hors de danger.
      Les glaiseux battaient en retraite d'ici à ce qu'ils ne trouvent un chemin plus sûr pour rattraper le menu bataillon qui, libéré de ses poursuivants hostiles, pouvait reprendre sa marche.

      Lentement, la carcasse profanée d'Hancel se rabougrissait pour retrouver le fond des marais. Elle donnait l'impression d'un homme rempli d'hélium qui se dégonflait doucement. Mais sûrement.

      La musique se stoppa enfin.

      - C'est un arbre qui a fait ça ?

      Sûrs de leurs yeux, les sous-officiers ne quittèrent pas la scène d'abomination du regard. Une ombre rampante et agile était entrée dans l'eau, elle en était ressortie après la déroute des glaiseux. Même les plus idiots n'étaient pas dupes.

      - Tu connais beaucoup de plantes qui savent éteindre un audio-dial ?

      Derrière l'arbre où il avait récupéré son précieux, Longdrop reprenait sa respiration. Les sédiments visqueux de la mare dans laquelle il avait batifolé lui avaient rempli les narines et il peinait à reprendre son souffle. Une balle lui avait éraflé une joue qu'il essuyait périodiquement, en proie à une infection éventuelle qu'il soignerait à la poudre.
      Ce qu'il détestait chez la marine n'était pas son caractère autoritaire et oppressif qu'il louait mais l'incompétence de ses éléments. Le vautour avait manqué de s'écraser le bec contre terre pour sauver trois lionceaux d'une horde de hyènse, cela n'avait pas intérêt à avoir été accompli en vain.
        Buste penché en avant, mains sur les genoux, le Caporal Vetinari avait repris son souffle après une poignée de grandes respirations. Ce n’était pas le cas de ses subordonnées qui haletaient de manière chaotique. L’air chaud et lourd qui les entourait ne leur facilitait pas la tâche.


          - Il est coincé.
          - Par quel pfff prodige ?

        Camille pointa du doigt plusieurs troncs successivement.


          - Ce sont des griffures de Wendigo qui marquent leur territoire. Personne n’en ressortirait vivant. Il est donc forcément parti par là ou a déjà fini dévoré.


        Il ponctua sa phrase d’un mouvement de tête.

        L’intervention salvatrice d’une obscure manifestation leur avait donné le temps de prendre les jambes à leur cou. C’est dans  cette course effrénée que l’un d’eux avait finalement heurté l’homme-poisson qu’ils convoitaient tant. Sans doute ne s’attendait-il pas lui non plus à un tel retournement de situation. Après avoir arraché la tête du pauvre malheureux, le suspect s’était échappé, rapidement poursuivi par toute la cohorte.

        Au fur et à mesure qu’ils s’étaient enfoncés au cœur des mangroves, la flore s’était densifiée. Les végétaux ligneux qui se développaient dans cette partie de l’île finissaient par former une véritable barricade naturelle quasi infranchissable. D’ici quelques centaines ou milliers de mètre tout au plus, leur proie allait se retrouver au pied du mur.


          - Johnny, Mayers, vous restez en arrière et vous surveillez la ligne de front. Pour les autres, on va s’étaler pour couvrir le maximum de largeur sur ce terrain. N’essayez pas de le capturer. Tirez d’abord, on verra ce qu’on peut faire en suite.


        Les hommes s’exécutèrent dans un silence presque religieux. Camille fit le choix de se placer au beau milieu de cette longue ligne de fusil. Hormis un ou peut-être deux autres de ses camarades, il était le seul à savoir réellement manier une arme à feu ; s’il voulait avoir la moindre chance de toucher l’homme-poisson, il lui fallait se positionner au meilleur endroit. En d’autres circonstances c’aurait presque put s’apparenter à de la bravoure mais en l’espèce, sa motivation relevait plus d’un instinct de survie.

        Les bottes en cuir aux semelles usées s’enfonçaient dans le mélange de boue et de végétation qui composait le sol, ralentissant la progression déjà fébrile soldats.  L’atmosphère devint crispante. Les mains se resserraient autour des crosses en bois. Chaque pas devenait plus angoissant que le précédent. Par moment, le doute s’emparait d’un matelot qui jetait alors un coup d’œil furtif en direction du visage imperturbable du Caporal, il s’en trouvait alors rassuré. Pourtant Camille était rongé par la peur du bas de ses jambes rabougries jusqu’au sommet de son crâne touffu. Il avait simplement appris à le dissimuler avec les années, une aptitude qui lui avait sauvé la vie plus d’une fois sur l’Amerzone.

        Le premier coup fut porté par la bête. Le matelot remarqua trop tard le subtil mouvement dans le paysage qui indiquait la présence de leur proie. La trachée fut complètement écrasée sous le coup du bras musculeux.  Dépassant les deux mètres, l’homme-poisson partageait les traits d’un Coryphène, capable de moduler la couleur de ses écailles au gré couleurs aux alentours. Au beau milieu de la nuit, il en devenait presque intégralement invisible.

        Sans que le moindre ordre soit donné, les tirs explosèrent de part et d’autres de la ligne. La plupart des balles se logèrent dans des troncs. L’une d’entre elles vint érafler l’épaule d’un des marins qui tomba au sol, hébété.  


          - Mayers ! hurla Camille. Où est-il ?


        Aucune réponse. Les deux hommes laissés en arrière plan gisaient à même le sol. La suite de l’affrontement se déroula comme une mécanique bien huilée.  Dans les rares moments où il apparaissait, leur adversaire ne prenait aucun risque : quelques attaques bien placées, pas toujours létales mais suffisantes pour mettre hors d’état de nuire ses limiers.  En quelques minutes, la brigade avait diminué de trois-quarts. La poignée d’hommes restante s’était regroupée en cercle pour couvrir leurs arrières.


          - Caporal ? Qu’est-ce qu’on fait ? gémit l'un d'entre eux.


        Camille aurait aimé avoir une réponse. Mais il n’avait pas plus d'idées qu'eux. Le simple terme de stratégie militaire relevait du néologisme pour lui et pour cause, il ne sut pas anticiper la salve de d’eau qui les frappa, une salve presque aussi dévastatrice qu’un tonnerre de balles. Camille fut touché au flanc et s’écroula, en même  temps que bon nombre de ses camarades moins chanceux. C’est à ce moment qu’il entendit un son, un son qu’il aurait reconnu entre mille. Un tintillement métallique, celui d’une flasque tombée de la poche de l’une des matelots. Il sourit, se saisit de la flasque et l’admira dans ses derniers instants. Au moins allait-il pouvoir pratiquer son activité favorite avant de passer l’arme à gauche.
        Juste avant de céder à son vice le plus absolu, son regard aperçut le Première classe Pyke – un des rares hommes du fort à faire honneur à la marine – tenir la tête haute face à l’homme-poisson qui s’était enfin révélé aux yeux de tous.

        Le bras du Caporal agit instinctivement, balançant la flasque tandis qu’il hurla :


          - GRENADE !


        Le soldat chevronné qu’était le Première classe Pyke réagit au quart de tour, se jetant à terre en couvrant sa tête. Le démon des mers, lui, eut juste le temps de voir le Caporal Vetinari empoigner son fusil. Il était trop tard. La gâchette fut pressée. L’explosion retentit.
        • https://www.onepiece-requiem.net/t20109-camille-vetinari-le-verit
        • https://www.onepiece-requiem.net/t19790-presentation-camille-vetinari
        Comme un poisson dans l'eau. De l'eau, il leur en avait jeté à la gueule jusqu'à les user jusqu'au sang. Dans un terrain bien dégagé, on l'aurait débusqué et tiré comme un lapin, mais ici, en territoire hostile, la marine douillait. Eux qui avaient - paraît-il - le pied marin n'en menaient pas large sur le plancher des vaches. Et quel plancher. Escarpé, glissant, bourré d'échardes et de termites. De grosses termites. Le genre capable de vous boulotter un bras rien que par caprice. De la termite de cette trempe là, l'homme-poisson en avait cassé un paquet sur sa route. Alors du fonctionnaire, même armé de fusil, ça relevait de la promenade de santé.
        Tout du moins jusqu'à ce que quelque chose ne lui pète à la gueule. Quelque chose. Il n'avait pas identifié quoi exactement et n'était pas prêt de le faire dans un futur proche. Cramer un amphibien imbibé de flotte - même marécageuse - : un vœu pieu. Au mieux. Mais il avait été aveuglé. Et méchamment.

        - WoOoAaAaArglLl avait-il élégamment déclaré, rugissant vers les cieux, mains palmées sur ses orbites d'où le liquide lacrymal coulait à flot.

        - L'avez eu caporal !

        S'il tel avait été le cas le bougre n'aurait pas pu se permettre le luxe de hurler comme un possédé. Au mieux, Camille l'avait énervé. Dans un conflit contre ces abominations sorties des profondeurs, la victoire ne se concevait sereinement qu'en cas de décès de ces dernières. On les disait fier. En réalité bêtes et méchants pour la plupart, leur ego ne savait souffrir d'une défaite.
        Aveugle ? Et alors ? Il foncerait tête baissée fasse à ses assaillants. Peut-être même crierait-il «vive la révolution ce faisant». Qu'est-ce que cela aurait eu de révolutionnaire ? Rien. Comme tout ce qu'occasionnait l'armée révolutionnaire par ailleurs. Les nuisibles nuisaient. Ils étaient ainsi dans leur rôle. Le vernis révolutionnaire ne demeurant qu'un alibi pour leurs méfaits.

        Ultime cavalcade, baroud d'honneur, la bête bondit droit devant elle. Rien sur son chemin ne connaîtrait un répit autre que celui de la tombe. Sur sa trajectoire, les hommes du caporal avaient braqué leur fusil. Ne leur restait qu'à parier sur le fait que leur cible ne meure de la salve qu'ils s'en allaient lui cracher à la gueule gaiement, poudre et plomb aidant. Leurs os n'auraient su résister à la ruade s'apprêtant à les percuter, le tir avait intérêt à être précis.

        Mais les nuisibles s'attiraient irrévocablement. Tant et si bien qu'ils venaient même à se coaliser. Plus vive encore que la charge héroïque de l'immense homme-poisson, une longue corde avait défilé entre les arbres afin de se nouer autour du large gabarit de l'animal-humain. Elle venait de loin. De trop loin en tout cas pour qu'on puisse en distinguer l'autre extrémité. Raide et tendue au point de se déchirer, la corde-à-nœud emporta l'amphibien qui, sans toucher terre, traversa branchages et ronces, échappant à une mort certaine.

        - Caporal, les glaiseux nous l'ont pris !

        - Glaiseux mon cul. Y'a définitivement quelque chose d'autre qui nous suit.

        Des renforts pour le poisson. Ce n'était plus l'affaire d'un crime crapuleux. Il y avait quelque chose de dissimulé et mieux valait ne pas y mettre l'orteil de peur de se faire happer par ce qu'il y avait en dessous. Mais la marine ne réfléchissait pas, et c'était bien pour ça qu'on la payait. Vetinari et ses hommes sautèrent à pieds-joints dans le nid à emmerdes, poursuivant les branches cassées pour retrouver leur proie. Ils en avaient suffisamment chié pour ne pas supporter de se la voir raflée sous leurs yeux.

        Qu'ils courent. Jacob avait brouillé les pistes sur trois-cent mètres, dévastant la flore afin de simuler le passage du poisson-volant. Le gros poiscaille avait fini pendu par les pieds, se présentant comme un hideux cocon rempli de fiel et d'entrailles.

        - Là, je suis censé réciter un mot de passe avec des nuages et des mésanges.

        Niché dans le creux des branchages d'où seul son bras dépassait, corde sortant de sa manche, Jacob était resté prudent. Imperceptible aux yeux de son camarade.

        - Des hirondelles...

        Bien sûr, le mot de passe nécessaire à la reconnaissance entre membres du même monde avait été oublié par le Pendu.

        - Je suis pas là pour causer volailles. Tu as des informations à transmettre.

        - Ce genre de choses se font généralement au calme. Après s'être présenté dans l'idéal...

        La voix rocailleuse du merlan s'égosillant tête à l'envers se voulait malicieuse. Aveugle, suspendu comme un vilain fruit à la pulpe sanguine, il ne manquait pas de sang-froid malgré tout. Sans doute se croyait-il en présence d'un ami. Jacob tînt à éclaircir le malentendu au plus tôt.
        Déjà, une seconde corde vint longer les courbes du bestiau jusqu'à l'enserrer de l'aine à la gorge. Elle serrait drôlement. La voix du Pendu se montra plus menaçante et contrariée d'une phrase à l'autre.

        - Bonjour. Je m'appelle Jacob. J'aime qu'on réponde favorablement à mes requêtes et suis d'un tempérament soupe-au-lait. En-chan-té.

        À l'air libre, les branchies de son camarade - devenu depuis son supplicié - ne lui étaient d'aucun recours. Sa cage thoracique comme ses boyaux se retrouvaient davantage compressés. Juste assez pour survivre. Juste ce qu'il fallaitt pour cracher les informations exigées.
        Longdrop était un mauvais camarade. C'est bien pour cela qu'il était un excellent révolutionnaire.

        - Voilà pour les présentations. Parle.

        Pour parler, il lui fallait encore pouvoir souffler. Cela, Jacob le comprit en affaiblissant son affectueuse étreinte.

        - Ce... ce que disent les autres. C'est faux... je l'ai pas violée. Je suis innocent. C'est le père... je l'ai surpris en train de...

        - Tu ne t'adresses pas à un juge mais à un bourreau. Parle-moi de ce qui m'intéresse.

        Les excentricités incestueuses de l'île n'étaient pas ce après quoi avait couru Longdrop toute la nuit. À ses yeux, même le drame le plus sordide relevait de enfantillage, un génocide : une affaire de mœurs si ce n'est une bénédiction. Alors un viol...

        - Mes transmissions étaient surveillées, j'ai pas pu dire ce qu je savais au bercail sans que la marine ne puisse intercepter. J'ai réussi à faire parler un informateur du G.M du coin, il m'a filé le nom d'un agent pour qui il travaillait infiltré chez nous. Adim Akhan.

        D'un mot de passe, Jacob n'en avait cure, c'est encore pour ça qu'il ne faisait pas l'effort de le retenir. Un traître en revanche, c'était du pain béni. Savoureux même. Lui qui avait la purge dans le sang n'était pas prêt d'oublier ce bête nom. Ce serait encore la dernière chose qu'il aurait en tête à l'article de la mort. Le pendu avait la rancune tenace, c'est pour ça qu'il avait si bonne mémoire.

        - Autre chose ?

        - J'ai le sang qui me monte à la tête. À part ça, rien.

        Ce n'est pas pour autant qu'il fut redressé, se balançant toujours mollement au sommet d'un arbre au gré du bon vouloir de son sauveteur.

        - Tes yeux. Ils saignent.

        Jacob s'était risqué à un coup d'œil.

        - C'est l'autre.... il m'a balancé je sais pas quoi à la gueule... je vois plus rien. Mais je peux te suivre quand même.

        Sans même y réfléchir à deux fois, une phrase sentencieuse résonna a milieu des gargouillis multiples du marais.

        - J'aurais besoin que tu fasses diversion avant.

        Dupés par l'embrouille d'une piste qui s'arrêtait au milieu de nulle part, le contingent de marine était revenu sur ses pas, quadrillant la zone où ils estimaient avoir cerné leur homme. Ils ne s'étaient d'ailleurs pas trompé dans la manœuvre.

        - Dans mon état ?

        La corde se serra à nouveau au point que chaque fibre n'égratigne le cuir épais et luisant de l'amphibien. Prélude à une réponse qui ne plairait pas à l'homme-poisson dont Jacob ne s'était pas même embêté à retenir le nom.

        - Non. Dans un état pire encore.

        D'un coup sec du bras gauche, il tira sur la corde pourtant solidement nouée autour de son camarade. La puissance de ce mouvement brutal, la friction, la rugosité de l'instrument, tant de paramètres qui firent qu'en se dénouant aussi violemment, la corde arracha la peau et même jusqu'aux muscles du malheureux sur toute la surface du tronc, bras compris. Un morceau de chair sanguinolente et hurlante s'écrasa au sol avec fracas avant qu'un autre son de chute plus gracieux et discret ne l'accompagne. Longdrop avait lui aussi retrouvé la terre ferme, disposé à laisser les restes de son en-cas aux bleus alertés par le cri d'agonie. De quoi les occuper le temps de mettre les bouts.

        La cécité du bougre n'avait en rien pesé dans la décision du Pendu. Eut-il été valide et bien-portant, primordial et nécessaire à la cause : il demeurait un homme-poisson. Une sale race que Jacob n'aurait su laisser prospérer plus longtemps. Entre lui et la faune aquatique, il y avait un contention irrésolu et insolvable. Un mal suffisamment profond pour que le Pendu n'envisage pas seulement leur mise à l'écart, mais leur éradication absolue.
        La révolution n'avait pas vocation chez lui à apporter la panacée universelle mais rétablir des désordres dont il ne pouvait tolérer l'existence.

        Longdrop mit le pied à l'étrier. En tout cas, le crut-il avant qu'une poigne solide ne se saisisse de son mollet gauche.

        - La racaille a la vie dure à ce que je vois.

        Plus robuste que le sapiens moyen, l'homme-poisson n'avait pas succombé à la douleur atroce qu'avait su faire générer en lui le Pendu. Il le tenait. De part et d'autre, des bruits de pas se rapprochaient. Pied plus engourdi encore que s'il l'avait mis dans un piège à loup, Jacob demeurait immobile malgré lui aussi longtemps que son regretté camarade n'aurait pas expiré.





          Ca ne collait pas. Le chemin était tracé, trop bien tracé. A en juger par la manière dont il avait été kidnappé, la poiscaille aurait du se débattre et fracasser les branches et autres lianes sur son passage de manière anarchique. Ici, le sillage était presque géométrique comme l’aurait fait un corps inerte. La dernière fois que la brigade avait croisé le monstre, ses muscles gondolaient pourtant sous l’effort et la rage.

          Et puis pourquoi le récupérer de toute manière. Les glaiseux connaissaient le sort qui attendait le coupable une fois remis à la juridiction de Free Town. Le King appréciait les tortures sophistiquées avant une exécution publique, il avait même construit une pièce personnalisée à cet effet. Non, celui qui avait récupéré le globuleux poursuivait un autre dessein que la justice.

            - Demi-tour. Jetez un œil en hauteur, il a du nous suivre depuis le début. M'étonnerait pas qu'il soit pour quelque chose dans le massacre des glaiseux. Le seul moyen d'avoir eu un pas d'avance sur les deux camps sans risquer de se faire prendre c'était dans ces saloperies de branches.


          La troupe donnait peine à voir. Quand ils ne boitaient pas, ils se tenaient penchés du côté de leur blessure respective, pressant un tissu sale contre leur plaie pour contenir une hémorragie qui n'était rien en comparaison avec la quantité d'infections se baladant dans le coin qui allait leur rappeler la définition d’une septicimie. Les Amerzoniens étaient réputés pour une constitution impressionnante, on comprenait pourquoi.

            - Toi et toi, vous allez rester en retrait et nous observer de loin. Je voudrais pas qu’on nous tombe sur le râble à nouveau. Un doute, vous tirez. C’est clair ?
            - Oui Caporal !


          Camille avait choisir les deux gaillards les moins blessés. En cas de fuite ou d’un nouvel affrontement, il tenait à ce que ceux qui pourraient leur sauver la mise aient la main sûre, l’œil alerte et le pied vif.
          Leur recherche fut de courte durée cette fois. Tandis qu’ils balayaient avec attention chaque parcelle d’horizon surélevée, ils entendirent un hurlement d’effroi suivi d’un bruit sourd. D’un signe de la main, les militaires entourèrent la zone avant de resserrer leur présence.

          La scène était cocasse. Celui qui avait anéanti une troupe de marins se retrouvait face contre terre, complètement déchiqueté. Le sang ruisselait sur sa peau écharpée par le cordage du Pendu. Un membre sanguinolent, tombé quelques mètres plus loin, commençait déjà à se faire dévorer par des insectes charognards.

          Camille dirigea son attention vers l’homme qui se tenait à ses côtés par ailleurs agrippé au mollet par une main palmée. Le teint était blafard et son regard absent. Comme une coquille vide, il se tenait droit sans le moindre signe de stresse alors que suffisamment de canon étaient pointés en sa direction pour ne laisser de lui qu’une bouillie vaguement reconnaissable. Le plus intriguant ? Un nœud coulant, serré autour de son cou tel un trophée.

            - Mais c’est Jacob ! s’exclama un matelot à la barbe étoffée.
            Aussitôt dit, les têtes se tournèrent en direction du matelot avec incompréhension, si ce n’est suspicion.
            - Il est arrivé y’a quelques jours, ou p’tet semaines. Y passait une bonne partie de ses journées à jouer aux cartes. Par contre euh… (Il jeta un regard inquiet en direction du Pendu ) Ct’un révolutionnaire, Caporal.


          Les révolutionnaires. Camille en avait entendu quelques histoires de la bouche du Commandant Glauque. Des fouteurs de merde qui estimaient que la politique poursuivie par le gouvernement mondial était inacceptable et souhaitaient le renversement de l’Oligarchie assurée par les Cinq Etoiles. Alors ça y allait en propagande, en guérilla et en empoisonnement sordide. Pour Camille cette guerre ne l’intéressait pas plus que la couleur des chaussettes trouées qu’il enfilait le matin, seule l’Amerzone comptait à ses yeux. Du côté de la Révolution, l’Amerzone constituait plus un point de passage qu’autre chose. Elle n’était pas dirigée par le gouvernement mondial mais bien par le King, et les marins qui remplissaient le Fort Plud ne pourraient de toute manière jamais empêcher une action révolutionnaire d’envergure.

            - Je vais être franc, j’en ai pas grand-chose à carrer de qui tu es, c’est l’engeance à tes pieds qui m’intéresse. Je vais la ramener au fort. Tu comptes être un problème ?

          Camille était las de cette soirée qui s’éternisait. La douleur à la hanche lui rappelait constamment qu’il avait besoin de s’asseoir et de siroter un bon verre de rhum.

            - Ca va dépendre de vous.
            - Pour autant que je sache, t’es celui qui nous a enlevé une belle épine de pied. Mais ta tronche m’inspire pas confiance et je tiens pas à terminer manchot avec un gros plan sur mon anatomie interne. Alors on va tous rentrer jusqu’au port.
            - D’accord.
            - Passe devant, rétorqua Camille. Tu m’as l’air capable de commettre des erreurs de jugement.


          Le Pendu s’exécuta avec la nonchalance qui le caractérisait. Deux hommes s’emparèrent de l’homme-poisson qui avait perdu conscience au milieu de la conversation. Sur ordre du Caporal, l’un d’eux dénoua sa ceinture et s’en servit pour poser un garrot sur le moignon.

          Alors que tous les marins avaient baissé leurs armes, deux fusils demeuraient pointés directement sur le révolutionnaire. A deux douzaines de mètres de distance, ils constituaient l’assurance d’un voyage sans encombre.
          • https://www.onepiece-requiem.net/t20109-camille-vetinari-le-verit
          • https://www.onepiece-requiem.net/t19790-presentation-camille-vetinari
          Les mains, dans les poches. Jamais en l'air. Que ce fut deux fusils braqués sur ses lombaires ou bien une batterie d'artillerie, Jacob ne cédait pas à la menace. Ni à la raison. Il coopérait toutefois. Mollement. Il filait doux. La révolution sous certaines latitudes n'avait pas ce tempérament de feu qu'on lui supposait. Lui n'était qu'un modéré. Un tiède disait-on. Chez Longdrop, le renversement d'un ordre établi n'était pas le fait du chaos mais d'un travail de sape méthodique. Renverser en douceur pour purger en profondeur. Tempéré, mais réaliste.

          Il n'y était pas. Il en était même loin. Perdu dans pampa, couvert de boue et de vase, une troupe de marines hydrocéphales lui collant au cul : la révolution n'était pas pour demain. Mais il n'était pas venu pour ça. De temps à autre, il se stoppait et regardait derrière. Le Pendu faisait ainsi mine de regarder où son escorte en était. Mais ses yeux mornes et froids se posaient systématiquement sur le tas viande qu'il avait charcuté plus tôt. Les plaies avaient beau être grandes ouvertes et à l'air libre, la carne résistait. Fallait justement pas qu'il tienne le coup.
          Que la poiscaille crache le morceau sur l'infiltré dans les rangs révolutionnaire, Longdrop n'aurait pu s'en foutre davantage. Qu'il commence à rapporter qu'un camarade l'ait écharpé uniquement parce qu'il avait des écailles : ça pouvait faire mauvais genre. On n'aimait pas trop le racisme dans les rangs de l'armée révolutionnaire ; on acceptait tout le monde indépendamment de ses origines. C'était sans doute pour ça qu'ils ne parvenaient à rien.
          Incapables, mais nombreux, l'armée révolutionnaire pouvait se montrer rancunière avec ses mauvais éléments. D'autant plus quand ces derniers s'obstinaient à leur mener la vie dure.

          Puisque l'infection ne guettait pas la grosse sardine et que la nature se refusait à terminer ce que l'homme avait commencé, quelques manœuvres détournées s'imposaient.

          - Qu'est-ce que tu fous ?

          - Je m'arrête.

          Les deux préposés à le maintenir en joue cherchaient le regard de leur supérieur hiérarchique. Ils n'avaient pas prévu pareil tour de force.

          - Non mais ça, on a tous compris je pense. Ce que je veux dire, c'est pourqu...

          - Trop sombre.

          Évidemment qu'il faisait trop sombre. La nuit leur était tombé sur la gueule comme la misère sur le monde. Mais on faisait avec. Malgré les racines dans lesquelles on butait périodiquement, malgré une faune tapie dans chaque recoin d'obscurité, on s'abstenait d'allumer la moindre lampe à pétrole.
          D'abord, parce que la marine locale était justement trop incompétente pour seulement avoir envisagé l'idée qu'ils puissent en avoir besoin. Le facteur négligence jouait pas mal. Mais le facteur trouille n'était pas en reste.
          Si les ténèbres dissimulaient leur lot de saloperies, une lueur dans la nuit aurait eu très vite fait de montrer ses mauvais côtés. Les bestioles dans l'ombre étaient une chose. Celles attirées par les lumières vives - d'autant plus vives que le contraste avec l'obscurité ambiante était saisissant - avaient de quoi dissuader de craquer la moindre allumette.

          - Que je sache, ça n'avait pas l'air de te déranger des masses tout à l'heure. Pas de lumière qui tienne. Marche.

          Cependant, rien ne se passait jamais comme prévu. Un tronc prit feu instantanément. Puis un deuxième. La combustion spontanée sans doute.
          À la décharge du caporal et de ses hommes, ils n'avaient pas pu voir dans la nuit ces flagelles glisser lentement et pernicieusement. Yeux rivés sur les manches du gaillard, de là d'où venait le malheur, ils n'avaient pas pensé que les cordes puissent onduler autour de sa taille et ressortir discrètement par le bas de son pantalon.
          Leur restait à serpenter silencieusement, couverts par les bruits des insectes afin de se nouer chacune autour d'un arbre. Il s'en était ensuite fallu d'un coup sec et violent pour que la friction n'opère. L'écorce sèche avait crépité pour se consumer sans attendre, vendue aux flammes.

          - Problème réglé.

          Lui comme eux savait grâce aux bavardages intempestifs en taverne qu'il ne faisait pas bon allumer quoi que ce soit à la nuit tombée, aussi bien dans le bayou qu'en agglomération.

          On les appelait maragouins d'eau douce. Des moustiques de plus de cinquante centimètres. Voraces. Nombreux surtout. Tout chez les glaiseux empestait le citron et l'acidité la plus âcre justement pour les repousser. Une piqûre et c'était l'anémie. Dans le meilleur des cas.
          Au vrombissement qui se faisait déjà entendre dans les alentours, une nuée de ces abominations fusait vers la lumière et la chaleur. Agiles comme ils étaient, les dégommer au fusil ne serait pas chose aisée. Il en venait de partout, aucun échappatoire envisageable, pour Jacob comme pour les autres.

          - En... enfoiré !

          C'était le terme adéquat pour désigner Longdrop. Mais avant que le plaignant n'ait pu faire un carton sur le révolutionnaire placide, son caporal dévia la trajectoire du fusil.

          - Ça, c'est pour plus tard. Je vais pas me priver de main d'œuvre. Pas maintenant.

          Car maintenant était venu le temps de sauver sa peau. La première salve grondait, les ailes battantes, l'aiguillon prêt à vider le tout venant, les ombres se dévoilaient pour devenir des formes distinctes. Distinctes et horribles.

          - Putain caporal.... y'en a des dizaines.

          Apathique et quasi inerte, pourtant aussi en danger que les autres, Jacob observait calmement la nuée approcher de tous les angles à la fois.

          - Des centaines.
            « Comment cette raclure a réussi à trouver un bois suffisamment sec au beau milieu du bayou » la réflexion traversa l’esprit du Caporal Vetinari.

            C’est curieux la vitesse à laquelle un homme passe de sauveur à bourreau. Un changement qui ne semblait pas affecter le pendu le moins du monde. L’intégralité des personnes présentes pouvaient mourir, lui compris, et ça ne lui arrachait même pas une expression singulière. Un ingrédient de plus rajouté au bouillon de haine qui fulminait dans la tête du Caporal. S’il ne comptait pas sur chacune des balles restantes à l’intérieur de son fusil, Camille en aurait tiré une dans le genou du révolutionnaire juste pour voir comment il boîte.

            Pour l’heure ses pensées étaient toutes dirigées sur l’essaim qui se dirigeait vers eux. Les marins n'étaient plus très nombreux, et pas parmi les meilleurs. Même en faisant de chaque tir un mort, il en resterait trop. Et cela, bien-sûr, en partant du postulat que l’instigateur de cette situation désastreuse allait sagement attendre la fin des hostilités sans leur mettre de bâtons dans les roues.

              - Économisez vos balles. On ferait qu’amener d’autres bestioles. Johnny, place à ton exercice préféré.*

            Le jeune matelot s’apprêtait à répondre « les latrines ? » mais il n’en eût pas le temps. Camille enfonça son corps, tête la première, dans l’immonde mélange qui couvrait le sol avant de plonger à son tour. Sur l’Amerzone, la boue était l’unique recours des habitants face à ces nuisibles. La décomposition dans la boue du cadavre de certaines bêtes dégageait une phéromone extrêmement répulsive pour ces insectes. Ou tout du moins c’est ce que les rumeurs voulaient faire croire. Pour Camille, la simple éventualité de sauver sa peau lui suffisait.

            Deux matelots succombèrent à l’assaut des insectes vampiriques, attaqués par surprise à la gorge. Les autres marins suivirent le mouvement de leur supérieur sans trop poser de questions. C’est à ça qu’on reconnaissait les bons matelots.

            Pendant un moment, le Pendu n’avait plus un seul fusil pointé sur son dos. Pour autant la fuite était compliquée. Les maringouins pullulaient comme des abeilles attirées par le miel. S’éloigner seul revenait à demander une mort lente et très douloureuse, même pour un être aussi talentueux que Jacob.

              - Recouvre-toi de boue toi aussi.
              - Non.


            La menace des fusils ne suffisait plus. Le Pendu savait pertinemment qu’ils voulaient le ramener en vie et que s’ils tiraient, il deviendrait un poids de plus à trimballer. Les marins durent donc changer de tactique. Place à l’huile de coude. Un sur chaque membre, plus deux autres pour l’attirer au sol. Le bain de boue fut forcé.

            Entre temps la totalité des maringouins avaient fait leur entrée. La boue se révélait d’une efficacité redoutable, les nuisibles esquivant comme la peste les silhouettes qui en étaient recouvertes. L'initiative semblait presque parfaite mais Camille s’aperçut trop tard de son erreur. Le coryphène avait été laissé à la merci des prédateurs volants. Les balles fusèrent réduisant trois des insectes à l’état bouillie rougeâtre où se mélangeaient des restes de leur exosquelette.

            Les hommes se précipitèrent sans que le moindre ordre soit proféré. La dépouille inconsciente de leur captif homme-poisson fut à son tour roulée dans la boue. Le teint déjà pâlit tirait presque vers le blanc après la courte mais intense succion des maringouins.

            Tandis que les battements d’ailes continuaient à vibrer en cercle autour de ce beau monde, le Caporal Vetinari se plia en deux posant finalement un genou à terre. Sa plaie empirait avec les minutes qui passaient. Il se releva dans un grognement et s’approcha du révolutionnaire.

              - Première et dernière chance.


            La colère fusait à l’intérieur de son corps. Il venait de perdre deux hommes pour absolument aucune raison si ce n’est une lubie d’un inconnu. Yeux plissés, il fixait le révolutionnaire avec un dégoût évident. La tentation était forte de l’exécuter sur le champ. Il jeta un coup d’œil aux restes des troupes, notamment leur captif qui semblait plus que jamais aux portes de la mort. Cette vision illumina tout d’un coup une réflexion dans son esprit : est-ce que le révolutionnaire venait de risquer sa vie pour tuer l’homme-poisson ? Le plan était plus que risqué et totalement aléatoire, pour autant la sanité de ce Jacob ne semblait pas faire partie de ses premières qualités. Dans le doute, le Caporal aurait voulu le menotter, voire même le saucissonner des pieds à la tête mais le risque était trop grand. Si Camille avait vu juste, il s’était probablement laissé traîner dans la boue, pour occuper l’attention et détourner les soldats de leur prisonnier.

              - Prochaine étape, le fort. Pyke, comment vont tes brûlures ?
              - Superficielles, ça ira Caporal.
              - Ça tombe bien. Rentre au fort, préviens les de notre arrivée et va chercher des renforts.


            Au milieu de cette dense végétation, les escargophones avaient souvent du mal à percer. Sur l’Amerzone, on préférait le rustique message de bouche à oreilles. La brigade arrivait bientôt en terre connue. Une fois les mangroves quittés, la ville et le fort seraient à portée de main. Jusque là Camille devait donner l’impression de tenir la situation d’un gant de fer pour que le révolutionnaire se tienne à carreaux. A défaut, il tirerait, dans le dos et sans la moindre sommation. Le Caporal avait ça de commun avec les pirates qu’il n’hésitait pas à tuer pour sauver sa misérable vie.


            *
            Explication:
            • https://www.onepiece-requiem.net/t20109-camille-vetinari-le-verit
            • https://www.onepiece-requiem.net/t19790-presentation-camille-vetinari
            - Pauvres bêtes.

            Personne n'aurait su dire s'il avait fait référence aux insectes ou à leurs proies tombées au combat. Un combat. Un massacre en réalité. D'autant plus monstrueux qu'il n'avait aucun sens. Ou un sens précis, défini mais connu seulement d'un seul homme.
            Qui se serait risqué fouiller dans la cervelle du Pendu ? Il avait ses raisons et il fallait se résigner à ne pas chercher à les comprendre.

            Pourtant, en dépit de son faible niveau d'instruction et de la bibine qui, à force d'être ingurgitée par hectolitres, avait fini par se mêler à ses fluides encéphaliques, le caporal savait. Dans le tumulte, l'amphibien avait expiré. Pas une trace d'aiguillon dans le corps. Juste un cou brisé. Par maladresse sans doute. Jacob Maladresse Longdrop. Ça sonnait bien. Ça résonnait même tant la maladresse était coutumière lorsqu'il était dans les alentours.

            La fine équipe était bonne pour reprendre le sentier de la guerre, seule route accessible et praticable sur Amerzone. Rapace escorté par des charognards, Jacob scruta par-dessus son épaule ces derniers, attelés à détrousser les leurs, de l'eau et des munitions. Ils ne faisaient pas grand cas de leurs camarades tombés. Brutes épaisses qu'ils étaient, ils avaient accepté ce châtiment avec fatalité. «Plutôt eux que moi».
            Seul le caporal accusait le coup. Jacob lui, demeurait fidèle à ses principes : il s'en foutait royalement. Du moment que son objectif était rempli, les à-côtés ne le concernaient pas.

            - Y'a du grabuge par là les gars.

            Un malheur ne venait jamais seul. Surtout quand on arborait Longdrop parmi ses prises de guerre. Un aimant à emmerdes avec deux bras et deux jambes. Et deux cordes surtout.
            Du grabuge, il y en avait eu. De la casse, tout autant. En fin de compte, ces gros moustiques, ce n'étaient que les hors-d'œuvre. Le plat de résistance, c'était celui que Jacob avait appelé de ses vœux en tentant de provoquer un début d'incendie. Les flammes prenaient mal dans le marais, il aura fallu le temps pour que le gros gibier ne rapplique.

            - Merde... les glaiseux.

            «Glaise, les merdeux» aurait été une remarque tout aussi acceptable. C'était eux que Jacob avait cherché à attirer. Ils ne vrombissaient pas comme une chaudière, ne volaient pas avec grâce et célérité, mais il aimaient le sang. Surtout quand il était question de se payer quelques marines perdus loin de tout renfort.
            C'était pas vaillant un Amerzonien. Mais c'était armé. Au fond, cela leur suffisait. À eux, comme à leurs victimes. Il n'en fallait guère plus. Jacob en tout cas, s'en satisfaisait amplement. Pas capricieux pour un sou, il se contenterait de sauveteurs aussi miteux et lâches.

            - Jacob... si jamais tu oses l'ouvrir...

            À l'approche d'un essaim plus hargneux encore que le précédent, la petite troupe - plus petite à chaque embûche - s'était mise à couvert. Au milieu de tous, seul, le Pendu restait debout, bien droit, mains dans les poches, à les regarder planqués comme des vermiceaux mal lôtis.
            Il tendit l'oreille en direction de Camille qui le foudroyait du regard après l'avoir mis en garde, main en porte-voix.

            - Je t'ai dit de te taire.

            - Parlez plus fort caporal, je vous entends pas.

            Lui qui avait une voix basse et doucereuse était monté en gamme. L'émotion. Sûrement.

            - SOMBRE ENFOIRÉ !!! s'était écrié avec justesse un marine for avisé dans ses remontrances.

            Pas si avisé que ça sans doute. En dernière instance, aux oreilles des glaiseux encore lointains, la voix de Jacob ne leur était parvenue que comme un vague bruit sourd. C'est uniquement la vive réaction qui leur permit d'identifier les mouettes. Animaux bruyants et stupides s'il en était.
            Si le braillard n'aurait pas la satisfaction de voir demain, il se paierait au moins un révolutionnaire avant d'y passer.
            La gâchette, le percuteur, la détonation, tout ça en bon ordre pour au final se terminer avec Longdrop se contentant de pencher la tête sur sa droite afin d'éviter la cartouche. C'était pourtant un joli tir. Plus en tout cas que celui qui fut répliqué en retour par les glaiseux qui vidaient leurs munitions avant même d'avoir qui que ce soit en vue.
            Ça fusait comme les saillies de chasseurs bourrés. Personne de blessé. Pour le moment. Mais ils se rapprochaient.

            - Bonne chance messieurs. Soupira le Pendu de sa voix à nouveau étouffée et calme.

            Il croyait à sa bonne étoile. Il se doutait surtout que la pétaudière humaine qui approchait inéluctablement ferait feu sur tout ce qui porterai un uniforme. Lui, n'en avait pas. Juste ses loques habituelles recouvertes de boue.
            Corde ascensionnelle accrochée autour de la branche le surplombant, il se hissa au sommet de cette dernière, recouvrant son corps de ses cordes qui serpentaient autour de sa silhouette comme deux boas lents et affamés. Il se laissait ensevelir sous leur étreinte, ultime barrière de protection entre lui et les balles perdues qui allaient fuser sous peu.

            Ainsi perché, il trônait au-dessus de l'arène marécageuse comme un gros fruit repoussant. Un fruit étrange.
                - FEU A VOLONTE SUR LE REVOLUTIONNAIRE

              Il avait été prévenu. Un barrage de tirs tonna en direction des hauteurs. L’on pouvait largement décrier la précision des marins du fort Plud mais une chose était sûre : une armée de fusils, même dans la forêt la plus sombre, touche toujours sa cible.

              Quand il eut utilisé ses dernières munitions, le Caporal laissa s’échapper un soupir. Ses bras tombèrent lourdement au sol comme aspirés de toute vie. Le bois volait en éclat autour de lui. Le son des coups de feu devenait un bruit de fond que son cerveau se laissait progressivement ignorer. Avachi contre une immense souche, il contemplait le ciel à travers les branches des immenses arbres. Une étoile scintillait. Il sourit. Les hommes autour de lui paniquaient. Ils lui demandaient la marche à suivre en hurlant, mais comme le reste, cela finit par ne rester qu’un bruit sourd. Certains partirent en courant. Il n’attendait plus que l’inflexible marche de ses assaillants. Au moins espérait-il avoir tué ce salopard de révolutionnaire.

              -----------------------------

              D’abord une petite pique. Puis une seconde. Camille rouvrit ses yeux en papillonnant quand la troisième frappa de plein fouet, plus fort cette fois.

                - Hé oh, Caporal !


              Il ouvrit ses yeux pour découvrir Pyke et une foule d’hommes qui lui jetaient un regard inquiet.

                - Qu’est-ce que… Où est le révolutionnaire ?
                - Probablement loin, Caporal. On est arrivé juste à temps pour mettre en déroute les glaiseux. Ils ont pas demandé leur reste quand ils nous ont vus arriver. Aller, debout Caporal, on rentre au fort.


              Pyke hissa son supérieur et lui servit d’appui pour marcher. Le Caporal avait perdu beaucoup de sang et donnait l’impression d’avoir mangé quelque chose de vraiment pas frais. Il donnait peine à voir.

              Autour de lui, il reconnut le visage de ceux de ses compagnons qui avaient préféré la « retraite tactique ». Ils refusaient tous de croiser son regard et préféraient fixer le sol. La honte se lisait sur leur visage. Le reste des matelots paraissaient légèrement effrayer. Ils se demandaient sans doute pourquoi cette brigade était partie faire autre chose que récupérer le ravitaillement bimensuel ou faire leurs patrouilles quotidiennes. Ces deux obligations présentaient l’avantage d’être sans le moindre risque et de pouvoir dans les deux cas profiter de quelques « bonnes » bouteilles sur le trajet. « Pourquoi faire plus ? » était le crédo de ces marins.

              Ils arrivèrent en ville à l’aube. Les rescapés de l’intervention avaient le visage noirci par un mélange de boue, de saleté et de sang et titubaient. On pouvait les compter sur les doigts de deux mains. Les quelques Amerzoniens déjà debout leur jetaient des rires moqueurs.

                - Bah qu’est-ce qu’il s’est passé, vous avez trébuché en chassant des bouteilles de rhum ?


              Ce genre de remarques narquoises se multiplièrent comme des petits pain au fur et à mesure de leur avancée dans la ville. Les soldats marchèrent sans une réponse, en baissant les yeux, comme à leur habitude. Personne n’aperçut le cadavre de l’homme-poisson – couvert d’un linge – qu’ils transportaient avec eux. Pas plus d’ailleurs que les dépouilles des camarades qu’ils avaient pu recouvrir.

              Une larme, solitaire, fut rapidement essuyée par le Caporal avant qu’elle n’ait le temps de dévaler sa joue.

              Une nuit de plus venait de s’écouler pour la garnison du Fort Plud.
              • https://www.onepiece-requiem.net/t20109-camille-vetinari-le-verit
              • https://www.onepiece-requiem.net/t19790-presentation-camille-vetinari
              La nature était bien faite. Ici et là, sur les continents, il se trouvait encore des esprits béats et naïfs pour la trouver belle. Belle ? Comme pouvait l'être une femme aux attributs alléchants et aux intentions peu louables. Elle était impitoyable la nature. Repoussante à certains endroits. À Amerzone par exemple. Dans ses marais putrides, noyés dans une flore ombrageuse parsemée d'une faune sans scrupule, la nature se mettait en branle à la suite des festivités.

              Si l'animalerie locale n'avait pas de scrupule, elle avait en tout cas la dalle. Une trentaine de cadavres semés au gré du plomb et de la poudre : une aubaine pour le cycle de la vie. Ce fut d'abord le tour des insectes. Les bougres s'étaient glissés lentement et insidieusement dans les plaies ouvertes. Elles étaient nombreuses. Habituellement nécrophages, les bestioles avaient fait bombance dans les entrailles du tout venant. Jusqu'à ce que l'engeance aviaire ne fasse valoir ses droits. Des larves gorgées des sang humain ; les piafs en avaient fait un festin. De ça, et des chairs mortes et calcinées présentées à elles.
              On picora bien sûr les yeux et la gorge en premier lieu. C'était là où la viande était la plus tendre, pas nécessairement la plus savoureuse. Mais un attroupement de créatures à plume, ça suffisait à susciter la curiosité de celles à poils durs et à dents longues. Les volatiles n'avaient pas le monopole de la charogne. Quelques petits mammifères divers et variés s'agglutinaient, toujours plus nombreux.

              De la barbaque humaine. Le genre de festin qui ne se présentait pas tous les jours. Rares étaient les occasions de s'écharper dans la bayou, les charognards en étaient les premiers à le déplorer. Eux n'étaient pas très regardant sur l'origine. Qu'ils aient une casquette et un fichu bleu autour du cou ou bien qu'ils soient recouverts de crasse et hirsutes, ils avaient le même goût. Les hommes n'étaient égaux qu'à compter de l'instant où ils effleuraient le palais d'un chacal.

              Toutes ces saloperies, la gueule garnies de dents, en venaient à se chicaner périodiquement. Ça piaillait, ça grognait, ça se mordait tant et si bien qu'on finit par trop tirer sur la chaîne alimentaire. Silencieux, émergeant de son marécage, s'approchant à l'insu des convives de ce grand banquet d'organes et de muscles à ronger, un crocodrille mit fin aux hostilités.
              Une gueule de plusieurs pieds de longs lui suffisait à se saisir d'un corps entier. Et de tout ce qui se trouvait entre. Un coup de mâchoire généreux et il fit s'entrechoquer ses dents alors qu'il broyait son repas.

              Elle était belle la nature. Une belle salope, oui.

              De dessous, ça renâclait doucement. Entre la pestilence des restes du carnage et le souci de se faire discret au milieu de l'animalerie, mieux valait domestiquer ses narines. De dessous quoi au juste ? Ça, c'est le crocodrille qui en eut la réponse le premier. Il écumait du cadavre au point où, à terme, plus aucune preuve d'un massacre ne subsisterait. Mais couche de défunt après l'autre, épluchant ce mille-feuille carné, le prédateur ultime de ces bois révéla le plat de résistance. Moins tendre celui-ci.
              L'avait-il à peine tâté du bout du museau que le reptile regretta ses appétits démesurés. La corde s'était très vite enroulée autour de sa gueule écailleuse.

              Le museler. On osait ? Lui qui était réputé pour avoir l'une des mâchoires les plus puissantes du règne animal s'avisa de l'ouvrir en grand. Mais l'étreinte restait serrée. De ses petites pattes trop courtes pour atteindre quoi que ce soit, le bestiau - ses grognements étouffés - tentait en vain d'égratigner la corde, de toute manière trop éloignée. Il se roula sur place. Cela ne fit qu'enserrer davantage le flagelle. D'abord agressif, dominateur, frénétique, il couinait à présent. Et il avait de quoi.
              Le règne animal venait de révéler le prédateur ultime. Caché sous des cadavres depuis des heures, affichant une mine des bons comme des mauvais jours, froid, glacial, visage cadavérique mais plus vivant que la compagnie à ses pieds, le Pendu fit glisser un nœud le long de la corde. La pression fut telle qu'à l'usure, il brisa la grande gueule de l'animal dont le bec vrillé forma alors un angle droit s'orientant vers le soleil blafard qui les surplombait. Le cri d'agonie de l'animal ainsi que ses mouvements de course désespérés contre la douleur firent déguerpir le reste des charognards.

              Jacob dénoua son arme sans même faire attention à l'animal. C'est par instinct qu'il l'avait rabroué. Des deux, la créature à sang-froid n'était pas celui qu'on croit.
              Alors que le crocodrille détalait, probablement condamné à mourir de faim maintenant qu'il ne pouvait plus se saisir de quoi que ce soit, Jacob porta une main à sa cuisse gauche. La plaie ne coulait plus autant mais lui faisait toujours un mal de chien.

              - Les cons...

              Les cons, ils s'en étaient allés depuis un certain temps déjà. Son cocon impénétrable avait soudain perdu de sa superbe quand, sous un feu nourri, la branche à laquelle il était resté suspendu s'était brisée. Une chute, les liens qui se défont : il s'en était suffit d'une balle bien placée d'un caporal vindicatif. Pour le reste, il avait fallu faire le dos rond pendant que tout ce petit monde s'était écharpé. Planqué sous trois cadavres, il avait échappé aux renforts.
              Débuter un incendie de forêt était une chose, le contrôler jusqu'à son terme s'avérait généralement plus ardu. Entre deux feux, il n'avait pu faire grand chose. Juste se prendre un pruneau et ramper. Il était une personnification vivante du mouvement révolutionnaire.

              Perdu au milieu d'un marécage hostile, blessé, peut-être un début d'infection sur la route, isolé, seul, sans aucun soutien sur lequel compter, il devait retrouver le littoral. Alors, il marcha tout droit. Sur une île, fatalement, il finirait bien par retrouver son chemin jusqu'à l'océan.
              Un bâton en guise d'appui, il pouvait - alors qu'il boitait sur sa route escarpée - sentir le regard d'une multitude de bêtes hostiles n'attendant de lui que le premier faux-pas.

              Il s'enfonçait dans le marécage, se perdait dans une ombre qui l'avalait comme s'il en était partie intégrante. Sa mission était un succès. L'odeur de tripes humaines faisandées en attestait.
                Le soleil réveillait tout doucement la végétation, léchant la flore humide de ses rayons. Les bêtes nocturnes repartaient se terrer dans leurs abris. D’autres, à l’inverse, entamaient le début de leur journée. Seul une bête parcourait encore les mangroves après s’être mue toute la nuit. Blessée, elle traînait sa jambe comme un poids, raclant le sol sur son passage. Son regard était vacillant et rempli de fatigue. Elle parvenait tout juste à esquiver les obstacles sur sa route, avançant inlassablement droit devant elle. Bientôt, une terre ferme remplacerait la boue molasse sous ses pattes.

                --------------------

                Au même moment, au port d’Amerzone
                Un vieil homme dont la sagesse se devinait à la blancheur de sa pilosité débordante examinait une carte avec attention assis sur un tabouret en bois.

                  - Capitaine ! Le ravitaillement est terminé, on peut repartir pour Saint-Urea.
                  - Et le vent ?
                  - Bon plein capitaine, mais d’ici peu on devrait pouvoir sortir toutes les voiles et repartir par vent largue.

                Le Capitaine Smiling acquiesça. En bon marin, il savait qu’attendre quelques heures tout au plus pour repartir sur un vent favorable rendait le voyage plus agréable pour les passagers. Et il mettait un point d’honneur à ce que tous ceux qui montaient dans son bâtiment, peu importe leur statut, passent un temps paisible à son bord.

                --------------------

                  - Putain de me...rcredi .


                Le gémissement de douleur s’était poursuivi d’un traditionnel juron, coupé à mi-chemin dans son élan – on ne jurait pas devant un supérieur. L’envie ne manquait pourtant pas. Le « médecin » du fort Plud avait cette tendance à manquer de délicatesse, ce qui se ressentait très nettement au moment de la pose du bandage.

                  - Et bien ?
                  - Ne vous inquiétez pas Sergent, c’est juste une égratignure.
                  - Et si je vous faisais la même chose avec une balle pour voir ? rétorqua Camille avec une certaine acidité.

                L’assurance tranquille du soignant fit volte-face, laissant une pâleur soudaine s’emparer de son visage. On l’aurait cru souffreteux. Le Caporal Vetinari se révélait toujours un peu soupe-au-lait quand sa nuit de patrouille se terminait non pas sur un lit douillet, mais assis au fort à se faire rafistoler par des mains froides et brutales lors d’un interrogatoire protocolaire.

                Le Sergent-chef Rattataki était un homme sévère à la chevelure grisonnante et à la bedaine bien développée. Contrairement aux autres occupants du Fort Plud, il avait une excellente estime de lui-même et se considérait comme le véritable commandant de cette garnison. En réalité, il était frappé des mêmes vices que ses subordonnés, il s’arrangeait juste pour ne pas les révéler au grand jour.

                  - Je résume donc la situation : vous avez décidé d’intervenir sur une affaire de glaiseux sans confirmation de l’un de vos supérieurs, avez réquisitionné trois sections pour n’en revenir qu’avec une dans un état lamentable et ne ramenez en fin de compte que le cadavre d’un homme-poisson. Cela bien sûr sans parler du révolutionnaire en partie responsable de ce désastre que vous avez laissé s’échapper. Dites moi Caporal, est-ce que les termes de boulot de merde magistral vous inspirent ?
                  - Quoi, c’est ma faute c’est ça ?
                  - Vous vous croyez brillant Camille mais sans rire, ce que vous êtes stupide.
                  - Et ben la prochaine fois, soyez en poste. Je vous laisserais la main Sergent, fit le Caporal en quittant l’infirmerie dans une grimace de douleur.


                Il paierait cette remarque, il le savait. Mais Rattataki était probablement la personne qu’il exécrait le plus dans le fort. Il n’avait plus de Sergent-chef que le titre et se contentait de s’asseoir sur son autorité pour s’éviter les tâches les plus désagréables. Le Lieutenant Glauque n’en savait rien, et de toute manière lui aussi n’était plus que l’ombre du Lieutenant qu’il avait été.

                Certes, Camille s’était fait baladé. Il avait merdé. Mais personne ne pouvait le blâmer, il n’avait eu en exemple que les pires parmi les pires au sein de la fange qu’était l’Amerzone. Aujourd’hui, Camille n’était rien de plus qu’un ivrogne qui allait rentrer chez lui.

                En guise de réconfort, Camille ouvrit une bouteille récupérée dans les réserves du fort alors qu’il descendait vers la route qui menait jusqu’au port. La sensation de l’alcool bon marché qui lui décapait la gorge avait quelque chose d’étrangement réconfortant.

                Quelques mètres plus tard, ses pieds s’immobilisèrent. Sa tête se pencha vers l’avant et il plissa les yeux avant de les ouvrir en grand. La bouteille lâchée sans état d’âme se brisa contre le sol, laissant s’échapper un liquide brunâtre. Devant lui, une silhouette familière couverte de crasse s’approchait des quais dans une démarche lamentable.

                Il dégaina son pistolet, faute de mieux, et visa d’une main fébrile. Sa blessure à la hanche le forçait à se pencher et la fatigue prenait le pas sur ses capacités de tireur. A la place de la tête, le projectile impacta l’extrémité de l’épaule gauche.

                Le révolutionnaire manqua de chuter mais sut garder son équilibre. Qu’à cela ne tienne. Son sabre finirait le travail. Camille partit à l’assaut. La providence lui donnait l’occasion de prendre sa revanche : il ne l’abandonnerait pas.

                Un optimisme quelque peu exagéré. Avant que le Caporal n’ait eu le temps de terminer sa course, un cordage était venu s’enrouler autour de son pied et le fit virevolter dans les airs pour finalement s’écraser plusieurs mètres derrière son opposant.

                Malgré les blessures subies par le révolutionnaire, l’affrontement ne serait clairement pas une promenade de santé.
                • https://www.onepiece-requiem.net/t20109-camille-vetinari-le-verit
                • https://www.onepiece-requiem.net/t19790-presentation-camille-vetinari
                De toutes les bestioles qui avaient pu rôder dans les alentours, celles en uniforme avaient encore été les plus contrariantes. Mais on ne les écrasait pas d'un coup, elles. Pas qu'elles étaient si coriaces qu'on le prétendait, simplement que l'instinct grégaire sur-dominait chez leurs congénères. Qu'on en écrase un d'un malheureux coup de semelle et tout un essaim avait vite-fait de vrombir pour vous encercler. Coriace l'essaim. Collant aussi. Où que vous alliez, un de ces spécimens surgissait afin de vous rappeler que vous aviez - fut-ce jadis - ébroué un des leurs.
                À moins d'une éradication méthodique et intégrale de l'engeance, rien n'y faisait, la rancune persistait dans leur ADN jusqu'à ce que leur proie ne cède et ne se laisse traîner dans leur tanière.

                - Savez pas... quand vous arrêter.

                Ce n'est que d'une main que Jacob se redressa. Lentement. Il fallait rompre avec ses habitudes quand quelqu'un se mettait dans l'idée de vous loger une cartouche dans l'épaule. Des habitudes, le Pendu n'en avait que des mauvaises. On disait d'ailleurs que les celles-ci menaient la vie dure. Avec maintenant deux balles dans la carcasse, l'adage prenait curieusement forme.
                Une mauvaise habitude parmi tant d'autres était ce mépris sidéral qui amenait parfois Longdrop à sous-estimer ce qu'il ne daignait même pas considérer comme des adversaires mais plutôt des contre-temps. Passer comme il le fit, en boitant, devant la garnison de marine locale après avoir copieusement cadavéré ses effectifs avait frôlé l'insolence. Camille s'était en tout senti comme un brin provoqué par la chose.

                Bouche sèche et pâteuse, souffle court, en surchauffe, en nage, en sang et en ligne droite pour le caveau, Jacob demeurait démuni devant les circonstances. Si cela n'avait été l'affaire que d'un caporal, il n'eut été question que de quelques effets de manche - littéraux - afin que l'air ne devienne plus respirable. Mais le coup de feu avait rameuté du monde. La curiosité, sans doute. Le sens du devoir ergoteraient les plus romantiques. Toujours est-il que la garnison s'était mise en branle. On n'aimait pas trop les coups de feu dans le coin. Ça dérangeait.

                Dérangé, Camille l'était drôlement après son vol plané. Des camarades vinrent lui retirer la tête du fond du cul où elle avait manqué de se loger tant la répartie du Pendu avait été fulgurante et magistrale. Pas mortelle en revanche. Hélas pour lui.

                En traînant la patte comme il le faisait et avec un bras plus même foutu de porter une cigarette à son bec, Jacob devina l'issue de sa nouvelle interaction avec les autorités. Qu'ils soient tous situés autour de lui, fusil braqué dans sa direction, constituait en soit un indice sur le dénouement qui s'apprêtait à advenir. Cynique, avec un court ricanement las et fatigué qu'il lâcha comme il l'aurait fait même dans sa meilleure forme, Longdop se dit qu'il n'était plus à une provocation prêt.

                - Pardon messieurs, le port, c'est par où ?

                - T'as oublié d'dire «s'il vous plaît»
                .

                Johnny était joueur lui aussi. Mauvais joueur, mais joueur quand même. Son index se crispait à sa gâchette, le Pendu en ligne de mire.

                - Pour toi, pas d'port qui tienne. À la place, une pelle, un trou et une histoire qui finit bien.

                Ceux qui n'avaient pas pris la peine d'armer leur pétaudière s'activèrent suite à l'annonce de la suite du programme par leur caporal. Y'aurait de la charogne révolutionnaire sous peu, maintenant, c'était certain. Ça l'était en tout cas jusqu'à ce qu'un plus gradé ne rejoigne la joyeuse troupe.

                - C'est «ça» qui vous a attaqué dans les Mangroves ?

                Sûr que «ça» ne payait pas de mine avec deux balles bien logées et une nuit passée en enfer, mais ça avait eu son petit effet quand même. On contint des soupirs alors que le sergent venait de faire irruption dans leurs rangs. Plus d'exécution sommaire qui tienne. Il n'y aurait pas de Justice. Juste la loi ; son parent pauvre et indigne.

                - Avec tous les hommes qu'on a perdu dans l'affaire, je vous prie de croire que le premier qui tire passe en cour martiale avec jugement pré-rédigé. Non. Celui-là, on va l'interroger. Si nous on doit rendre des comptes, pas de raison que le principal responsable ait une dispense.

                Faisait pas bon être révolutionnaire en cabane. Surtout quand les geôliers avait une dent contre vous et quelques problèmes pour saisir les données élémentaires inhérentes au respect de l'État de droit.
                Jacob en tout cas ne se faisait aucune illusion.

                - Quand vous aurez fini de bavarder, y'en a un qui se dévouera pour m'allumer ma clope.

                Johnny se dévoua, bon camarade qu'il était. Arme au pied, il marcha d'un pas pressé pour venir en aide à ce déshérité sans tabac et, d'un geste aussi inattendu que malheureux, vit valdinguer la crosse de son fusil dans la mâchoire du petit malin. Dodo instantané. Qu'est-ce que la marine ne fait pas pour vous ?
                  Dans le dernier étage du fort, des pas résonnaient à travers le sol. S’arrêtant brièvement devant un bureau, ils reprirent jusqu’à s’éteindre complètement aux grincements d’un fauteuil en cuir lourdement écrasé.

                  La silhouette examina quelques papiers posés sur un vieux meuble en bois avant de sortir d’un tiroir un réservoir d’encre et une plume.



                  Régiment du fort Plud
                  Amerzone, 1628
                  Le Sergent-Chef RATTATAKI Eric, pour le compte du Lieutenant GLAUQUE Reynald

                  A Monsieur le Colonel KOMAMURI Hyugen, Garnison du G-4, QG de South Blue

                  Par ce rapport, j’ai l’honneur de vous rendre compte de la mort de vingt-trois matelots de seconde classe affectés au fort Plud : BRISEBOIS Artus, EDWARDS Luca, CAROLOS Laurent, PETRIE Ray, MOORE Gamelin, SEGUIN Gauthier, HAYES Christopher, LAVOIE Hugh, RABICAN Martin,  MCLAUGHLIN Richard, LACROIX Chapnell, BONCOEUR Bartlett, CHASTEEN Jones,  SOMMERVILLE Calo, PENICK William, BRIE Guy, GUTHRIE Joshua, AUTHIER Jack, SMITH Leslie, FORGES Bellamy, DUNNE Billy, BERMUDEZ Keith, VERNEY Hans.

                  Ces pertes regrettables sont le résultat de l’incompétence et des carences évidentes en matière de commandement du Caporal VETINARI Camille, ce dernier ayant, sans l’accord de ses supérieures hiérarchiques, entraîné trois sections de marins dans une chasse à l’homme  démesurée.

                  Néanmoins, sachez que ce tragique évènement m’a donné l’opportunité de capturer un agent révolutionnaire opérationnel répondant au nom de Jacob Longdrop. Celui-ci croupit actuellement dans l’une de nos geôles et sera dans un état permettant son transfert au QG d’ici 5 jours.  Je puis vous assurer qu’il restera d’ici là sous bonne garde.

                  Je vous prie de bien vouloir agréer, mon Colonel, mes sincères et respectueuses salutations.

                  RATTATAKI
                  • https://www.onepiece-requiem.net/t20109-camille-vetinari-le-verit
                  • https://www.onepiece-requiem.net/t19790-presentation-camille-vetinari