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La Couronne d'Émeraude de la reine Kalida (partie 3)


_____L’archipel aux éveillés, enfin ! Escorté par un navire de la Marine dont la présence a été expressément requise par la compagnie de transport, le Passe sans Casse, fier bâtiment de la Translinéenne, fait son entrée dans le port tranquille de la plus grande île parmi cet archipel. Il faut dire que notre traversée n’a pas été de tout repos : juste après le cap des jumeaux, nous avons été victimes d’une terrible tentative de mutinerie ! Orchestrée par deux horribles jumeaux, Zanko et Kuna, elle a bien failli prendre le contrôle de tout le bateau et ce n’est qu’en unissant les forces de tous les passagers que nous avons pu reprendre le contrôle de nos vies et de notre liberté… restait la question des nombreux pirates que nous avions fait prisonniers ! Bien qu’il ait été de nombreuses fois question de les exécuter froidement, nous les avons gardés sous bonne garde jusqu’ici où la Marine a accepté de dépêcher un équipage spécialement pour prendre en charge tous ces criminels.

_____Franchement, je suis soulagée parce qu’il n’y a pas de base de la Marine sur l’archipel. Sans cela l’équipage n’aurait jamais accepté de garder ces dangereux individus en vie. Les autres peuvent bien avancer tous les arguments qu’ils veulent, mais un tueur reste un tueur et si on se mettait à tuer des gens de sang-froid, on aurait beau avoir toutes les raisons du monde, ce ne serait plus de la légitime défense. Quelle serait la différence entre ces pirates et nous ? Ces bandits avaient sans doute toute une flopée de justifications pour nous liquider, et peut-être qu’ils ne se voient pas comme des méchants mais comme des gens acculés sans autre solution… Quoi qu’il en soit, ils restent des humains et ils ont donc le droit à être jugés en toute impartialité ! Je suis sûre que le gouvernement saura prendre des décisions au cas par cas en tenant compte de la situation de chacun, et donc je suis rassurée. Peut-être que certains vont se racheter, se rendre compte de leurs erreurs et se réinsérer dans la société, qui sait ?

_____L’île est époustouflante. Gigantesque, un volcan y a élu domicile et crache en permanence des nappes de fumée qui grondent de puissance. Impérieux, il domine les terres, pour la plupart recouvertes d’une végétation incroyablement dense qui fait la richesse des environs. En effet, il y pousse du bois phosphorescent dont les fruits sont également lumineux ! D’après la légende, il ne fait jamais nuit par ici et c’est de là que l’archipel tient son nom. En plus de cela, les eaux volcaniques attirent une espèce bien particulière de poissons-lanternes qui contribue elle aussi à l’éclairage permanant de cette île. Ah là là, j’imagine bien les soirées d’enfer qu’il doit y avoir toutes les « nuits » !

_____Mais qu’est-ce que je fais sur cette île ? Sur Grand Line, qui plus est ! Bonne question : alors que je tenais une boutique sans histoire sur la petite île paisible de Cocoyashi, j’ai fait la rencontre d’une certaine Caramélie, une élégante jeune fille pleine d’énergie et d’enthousiasme. À nous deux, nous avons réussi à décoder une carte au trésor qui mènerait jusqu’au légendaire trésor de la reine Kalida, qui aurait régné ici avant le siècle oublié. La plupart des forêts étant inexplorées, c’est tout à fait plausible que le trésor ait traversé les âges sans que personne ne vienne le piller ! Motivées par l’aventure et la richesse, nous avons décidé de nous associer et avons fait voile à bord de la Translinéenne, et nous voilà !

_____Après avoir fait nos adieux à l’équipage qui a énormément de soucis à régler avant de pouvoir repartir (qui sait, peut-être qu’ils vont rafistoler leur navire avec du bois phosphorescent ? Rien que l’idée m’arrache un sourire et je me dis que la compagnie tient un nouveau concept qui pourrait faire gonfler son chiffre d’affaire tout en privilégiant le commerce local), nous six décidons de nous poser dans une petite taverne pour profiter de nos derniers instants ensemble autour d’une boisson fraîche. Il faut dire qu’il fait chaud, par ici. L’atmosphère est lourde, presque collante. Elle est tellement humide qu’on a l’impression de dégouliner de sueur en permanence, et ce n’est vraiment pas agréable. Je n’aimerai pas vivre ici, à la longue ça risque d’être pesant.

_____Nous six, c’est Cara, Suji, Victoire, les Duplessis et moi. Cara et moi avons rencontré les quatre autres sur le bateau, et ils ont tous contribué à résister aux pirates. Suji, c’est un gros plein de muscles très gentils mais un peu bavard et orgueilleux. Il est digne de confiance et a montré qu’il n’y avait aucun obstacle qu’une montagne de muscles ne peut franchir. Comme il se rend aussi sur l’archipel aux éveillés, il a accepté de continuer l’aventure avec nous. À vrai dire, il cherche un cadeau pour l’anniversaire de sa petite sœur et il se dit qu’un trésor légendaire ça devrait être pas mal. Moi, ça ne me dérange pas de partager le trésor avec lui, et le connaissant, il ne prendra qu’une petite statuette, celle où il y aura le plus de muscles. Quant aux autres, ils continuent jusqu’à Nebelreich et je ne sais pas si je vais les revoir un jour… Je leur souhaite plein de bonnes choses en tout cas !

_____Les adieux et embrassades terminés, Suji nous a proposé de nous faire visiter l’île qu’il connait relativement bien puisque sa famille y vit depuis des générations ! Poissons-lanternes, arbres phosphorescents et bâtons magiques, il nous a montré de nombreux objets aussi lumineux que surprenants. L’utilisation qu’on en fait reste de l’ordre de la curiosité mais il m’a expliqué que ça pouvait être extrêmement utile pour la plongée, par exemple. En plus, c’est infiniment moins cher que l’équivalent en coquillage, les lumini dials qui coûtent pas moins de un million de berries chacune ! Moi, j’ai fait l’acquisition d’une petite lanterne, un objet très peu coûteux mais tout à fait indispensable à toute chasseuse de trésor qui se respecte. Il s’agit d’un globe jaune contenu par un récipient de verre doté d’une poignée. Fort pratique, elle n’est pas très encombrante et émet une lumière suffisamment puissante pour s’éclairer dans des pièces sombres et oubliées. En plus, elle est garantie un an !

_____Cara, elle, a l’air très intéressé par les sculptures phosphorescentes et je la soupçonne d’en avoir acheté une pendant que nous avions le dos tourné. Personnellement, je les trouve aussi magnifiques qu’invraisemblables mais je ne peux pas m’encombrer de ce genre d’objets. Si j’avais une maison, peut-être que j’achèterais de la décoration mais là je suis une voyageuse et je voyage léger ! Mais cela ne semble pas être le cas de mon associée qui s’est précipitée sur la seule boutique de vêtements tendances de l’île en prétextant qu’elle n’allait pas aller chercher le trésor toute nue. Moi non plus, c’est sûr ! Mais j’ai pris de quoi me changer avant de partir, moi ! Hihihi, je dis ça mais ça m’arrive souvent d’oublier des trucs en partant, je suis plutôt du genre tête en l’air et ça m’amuse d’apprendre que Cara a parfois les mêmes problèmes que moi !

_____Après un rapide tour de l’île, Suji nous a proposé de nous présenter à sa famille qui allait sans doute accepter de nous héberger. Cara et moi avons prévu un budget pour cela et nous ne voulons pas forcément nous inviter mais moi je n’y vois pas d’inconvénients ! Au contraire, vivre chez l’habitant c’est le meilleur moyen de bien se rendre compte de comment est la vie ici, et nous aurons tout de suite des informations importantes, comme comment se rendre deux îles plus loin sans se faire emporter au loin par les courants, par exemple.

_____Après avoir consulté ma camarade du regard, je fais un grand sourire et je rejoins Suji en sautillant, lui demandant moult détails sur sa famille et son mode de vie. Il me parle beaucoup beaucoup beaucoup et je ne suis pas sûre d’avoir très bien suivi, en fait je crois que j’ai décroché au bout d’un moment. Je suis une personne capable d’écouter mais là c’est trop d’informations, je me noie ! Quoi qu’il en soit, nous arrivons face à une petite maison en bois. Bien qu’elle ne soit pas phosphorescente (apparemment, le bois d’ici nécessite d’être traité pour le devenir), elle est tout à fait charmante avec ses grandes vitres, ses pilotis et son colombage. Une enseigne annonce que nous sommes chez des bûcherons et Suji nous raconte d’ailleurs avec fierté que c’est en exerçant ce viril métier qu’il a développé sa si proéminente musculature et donc que c’est un métier noble qui forge à la fois l’esprit et le caractère en plus de modeler le corps et qu’on n’est vraiment un homme que quand on est capable de porter le tronc d’un arbre sur son dos. Il me dit que ce n’est pas grave si je n’en suis pas capable parce que moi je suis une femme mais il se reprend en disant que les femmes ne sont pas toujours moins forte que les hommes, c’est juste qu’on n’attend pas la même chose d’elle, et d’ailleurs une fois…

_____Bref, arrivé devant la porte de la maison qui l’a vu grandir, le moulin à paroles stoppe net son débit et tambourine violemment pour manifester sa présence. À ce moment précis, j’avoue que j’éprouve beaucoup d’appréhension quant à la famille de cet homme si particulier…
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Cher journal,

J'ai acheté une nouvelle paire de collants noirs, tout doux et très élégants, pour remplacer ceux qui ont été abîmés lors de notre combat en mer. Ils iront parfaitement bien avec mes nouvelles chaussures bleues assorties à mon sac à main, ma robe en tissu épais et mon chemisier blanc à froufrous qui me donnent un style "lady aventurière". En plus d'être parfaitement adaptés pour l'expédition qui se profile, ces jolis vêtements m'aident à compenser l'impression de mal être qui m'habite depuis notre arrivée, en grande partie causée par la moiteur ambiante et l'impossibilité de déterminer clairement à quel moment de la journée nous sommes.
Ma tournée des boutiques ne m'a pas seulement servi à contenter mes besoins vestimentaires: mieux encore que des habits, j'ai trouvé ce qui manquait jusque là à mon aventure: des souvenirs !! Les habitants de l'Île des Éveillés produisent de véritables œuvres d'art autochtone à partir de bois fluorescent ! Écoutant mes envies, j'ai pris un petit coffret en bois scintillant sculpté pour père, un petit bijou fluorescent pour mère (quelque chose qu'elle pourra facilement ranger et perdre pour ne pas l'encombrer), une figurine de chien moche qui brille dans le noir pour ma sœur aînée Réglisophie, et une autre représentant un lapin trop mignon pour ma petite sœur Chocolannabelle. J'ai également acheté un nain de jardin fluorescent que j'offrirai à mon chef une fois de retour à Enies Lobby, il sera ravi.
Dans un registre un peu moins excitant nous avons mis la main sur le matériel qui nous manquait pour débuter l'expédition: couvertures, lampes, outils divers, nécessaire de camp, et provisions.

Nos valises pleines de trésors (surtout les miennes, mais comme nous avons un galant compagnon pour la porter ce n'est pas trop grave), nous suivons l'aimable Suji qui nous conduit auprès de sa famille. Je t'avoue, journal, que je suis très curieuse de découvrir à quoi peuvent ressembler les géniteurs de cette montagne de muscles, chauve (à l'exception de sa petite houppette blonde), moustachue, et excessivement fière de son corps ! Si un de ses frères et sœurs a le même corps que lui mais le visage de Prad Bitt, ça m'intéresse aussi !

La Couronne d'Émeraude de  la reine Kalida (partie 3) Sxjg

♦♦♦♦

La maison familiale de notre ami, tout en bois et ornée de quelques sculptures, est jolie comme tout ! J'entends vaguement Suji nous expliquer qu'elle a été bâtie par son père à la force de ses bras, mais je dois t'avouer que j'ai pris l'habitude de n'écouter que d'une oreille distraite ses propos intarissables et de n'en retenir que quelques mots-clés.
Le moustachu nous fait un clin d’œil, tambourine à la porte, et quelques instants plus tard un jeune homme d'un gabarit similaire au sien vient nous ouvrir. Il est presque aussi grand et bien bâti que Suji, et leur lien de parenté ne fait aucun doute étant donné les généreuses boucles blondes coupées court qui garnissent sa tête ! Il ne ressemble pas vraiment à Prad Bitt mais il n'est pas déplaisant à regarder avec ses traits fins, son visage espiègle et son corps finement sculpté. En plus il ne porte pas de moustache !

"- Suji, tu es rentré !"

Le beau jeune homme prend son frère dans les bras et l'étreint avec une force qui suffirait à broyer le commun des mortels ! J'en profite pour vérifier dans le reflet d'une des vitres que je suis à mon avantage, et prépare mon plus beau sourire. Oh, ne me juge pas journal, pour une fois que je rencontre autre chose que des pirates, des criminels ou des gens bizarres !

Suji, visiblement aux anges, serre à son tour son frère entre ses puissants bras et s'exclame:

"- Jumanji ! Je suis tellement heureux de te revoir !"

J'ai du mal à déterminer si je suis en train d'assister à des salutations fraternelles ou à un concours de force ! Contractant leurs muscles à l'extrême, les deux géants alternent étreintes et serrages de bras en poussant des "gnnnn !" et des "haaaaan !". La meilleure attitude que je puisse avoir dans ce genre de situation c'est encore de rester naturelle et d'avoir l'air de ne pas voir ce qui se passe, en attendant que tout redevienne normal. Ce qui ne tarde pas et Suji, le front en sueur, ayant déjà trouvé le moyen d'ôter sa chemise pour exhiber ses pectoraux, se retourne vers nous et nous présente à son parent:

"- J'ai amené deux amies avec moi, deux femmes courageuses avec qui j'ai voyagé et mené une bataille des plus héroïques ! Voici Anatara et Caramélie."

Je fais un sourire au charmant petit frère et lui adresse un regard pétillant lorsqu'il me tend la main pour me saluer. Je suis soulagée qu'il se contente d'une accolade et d'un "bienvenue" plutôt que de nous infliger les salutations familiales traditionnelles !
Suji ajoute en prenant le jeune homme par l'épaule:

"- Mes amies, je vous présente Jumanji ma petite soeur !"

Petite... sœur ?! Mon monde s'écroule.

♦♦♦♦

Installés autour de la table familiale -bâtie aux dimensions de ses occupants, c'est-à-dire avec des sièges pouvant abriter chacun deux Caramélie chacun- nous faisons la rencontre avec nos hôtes autour d'un délicieux thé.

Monsieur "papa", puisque c'est comme ça qu'on nous l'a présenté, est un bûcheron bien en chair qui ne dépareille pas à côté de ses enfants ! Aussi grand, blond et bouclé que ces derniers, il arbore une magnifique barbe de patriarche et une musculature surdéveloppée, néanmoins gâchée par un imposant embonpoint. A le voir, j'imagine tout à fait ce à quoi ressemblera son fils dans vingt ou trente ans, lorsqu'il aura troqué les heures à entretenir son corps contre autant de temps à profiter d'une nourriture copieuse et de longues heures de repos paisible au soleil. Plutôt sympathique et bienveillant, il est également très taciturne et je ne crois pas l'avoir entendu prononcer de phrases de plus de quatre mots.

Madame "maman" est un minuscule bout de femme grisonnante, petite et menue, le regard sans cesse plein d'admiration pour sa tonitruante progéniture ! Extrêmement gentille et attentionnée -mais autoritaire !- C'est visiblement d'elle que notre ami moustachu tient son bagout, et sa présence est inversement proportionnelle à son gabarit ! Son obsession dans la vie semble être de mettre un terme à la fin dans le monde, à commencer par celle de ses enfants:

"- Suji, mon pauvre petit, ce voyage t'a rendu horriblement maigre ! Tiens mon chéri, reprends encore un peu de beurre avec ton pain ! Et tu me goûteras bien une tranche de ce délicieux saucisson ? Prends-en même deux ou trois ! Il nous vient de chez les O'Biran, bla bla bla... D'ailleurs, tu savais que leur second fils était parti à l'aventure comme toi ? Patati patata... Et vous mademoiselle, vous êtes terriblement maigre ! Tenez, prenez de ce délicieux pain aux noix... et mettez un peu de beurre dessus. Encore un peu, vous allez voir il est délicieux !"

Je n'écoute pas vraiment. Faisant danser les glaçons que j'ai insisté pour mettre dans mon thé, je me remets avec un certain dépit de ma désillusion. C'est vrai qu'à y regarder de plus près la jolie peau bien lisse de Jumanji n'est peut-être pas seulement due à sa jeunesse, et ses pectoraux bien développés peuvent passer pour des seins. Bon eh bien tant pis je suppose, j'imagine qu'il vaut mieux que je m'en rende compte maintenant. Et puis... elle est mignonne quand même.

Nous sommes sauvés d'une mort par gavage au moyen de délicieuses mais bourratives tartines au beurre, aux charcuteries et à la confiture par l'arrivée d'un nouveau membre de la famille dont la voix résonne dans le vestibule:

"- P'pa, m'man, je suis là ! Le forgeron a dit que la scie serait prête pour demain."

Je reste un moment éberluée devant ce qui ressemble pratiquement à une copie conforme de Suji. Ruji, l'aîné de la fratrie, est lui aussi une montagne de muscles chauve et moustachue, et le principal élément que j'ai trouvé pour le différencier de son frère est la petite houppette blonde qui, chez lui, a quitté son crâne chauve et migré sur son menton en un petit bouc en forme de croissant de lune ! Un autre point commun qu'ils semblent avoir, c'est leur facilité à exhiber leurs corps. Après quelques minutes à peine, voilà Suji et lui à moitié dévêtus en train de comparer leurs muscles afin d'essayer de démontrer si oui ou non le voyage en a fait perdre à notre compagnon à houppette !
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_____La famille de Suji nous a accueillies avec le sourire ainsi qu'un grand naturel, comme s'ils nous connaissaient depuis toujours. Ils nous ont partagé leurs repas, leurs boissons et leurs histoires, surtout. À l'intérieur, des tableaux et des sculptures en bois représentent des hommes et des femmes qui ont tous un flagrant air de famille, sûrement leurs ancêtres ou leurs cousins. Non sans fierté, la mère et les fils nous ont raconté les exploits de leur oncle Ferdinand et patati et patata, et même qu'il a réussi à porter un navire entier sur son dos, par sa seule force ! Franchement, je trouve ça impressionnant et je suis d'accord qu'il y a de quoi être fier. Mais eux, ils ne se contentent pas de rapporter les exploits de leurs proches : ils s'évertuent à les égaler, voire à les surpasser au quotidien ! Ainsi, il y a un concours annuel de porter de bateaux, et c'est Ruji qui l'a remporté l'année dernière.

_____Après un dîner mouvementé, Cara et moi nous sommes repliées dans la chambre d'amis où nous avons pu profiter d'un repos bien mérité. J'y ai minutieusement testé la qualité du matelas et je me suis littéralement affalée. Ahhh ! Comme ça fait du bien de profiter de quelques minutes de vide. Il s'est passé tellement de choses,  ces derniers temps. J'ai du mal à y croire. En fait, c'est surtout le fait d'être bel et bien sur Grand Line, la route de tous les périls, qui m'impressionne au plus haut point. Je suis sur Grand Line... pour de vrai ! Je ne suis pas en train de rêver ! Quelle aventure, dis-donc ! Et dire que ça n'a pas encore commencé.

— Dis, Cara ? Tu en fais souvent, des aventures comme ça ?

_____Cara et moi, on ne se connaît pas encore très bien. À vrai dire, je ne sais pas vraiment ce qu'elle fait dans la vie, à part travailler dans « l'organisme gouvernemental et administratif »... franchement, pour quelqu'un qui s'occupe des papiers, elle est plutôt forte ! Mais ça ne m'étonne pas plus que ça. Par exemple, je sais que dans la Marine, le grade n'est pas décidé par l'aptitude à commander mais par la force. Je ne dis pas que Cara est nulle pour gérer des papiers, ah non ! Je n'en sais rien en fait. Mais en tous cas ce n'est pas surprenant de voir quelqu'un de très fort occuper une fonction très importante. Encore que je ne sais même pas si Cara fait quelque chose d'important vu que je ne sais pas ce qu'elle fait en fait... Bref, on s'en fout ! Le plus important c'est qu'on a appris à se faire confiance et qu'on a vu qu'on pouvait compter l'une sur l'autre en cas de danger et de situation imprévisible, par exemple quand des pirates tentent de prendre le contrôle du navire et menacent de revendre les passagers dans un marché aux esclaves plus ou moins légal.

_____Dans un cas comme ça, beaucoup de gens auraient oublié les autres et n'auraient pensé qu'à leur peau mais pas Cara. Pas moi. D'une certaine façon, nous sommes fières de la façon dont nous avons réagi et nous éprouvons chacune du respect pour l'autre, et pour Suji, aussi. Des histoires comme ça, même si elles ne durent que quelques heures, ça soude, et après il n'y a plus de question à se poser. C'est comme un frère, en fait !

_____J'écoute Cara me raconter sa vie et je rebondis souvent pour faire des commentaires, par exemple sur ses préférences en terme de chocolat et de sucreries. À ce sujet, nous avons pas mal de points communs et je suis ravie de trouver quelqu'un avec qui partager ma passion de la nourriture. Je lui explique que je suis une spécialiste des desserts et que j'ai même travaillé dans un restaurant à Cocoyashi, juste avant de devenir vendeuse dans la bazar où nous nous sommes rencontrées. En fait, ils m'ont annoncé que je « goûtais » une trop grosse proportion de mes créations et donc qu'ils étaient obligés de me remercier. Franchement, c'est n'importe quoi : un vrai cuisinier se doit de s'assurer que le produit qu'il propose est sans défaut, et comment faire si on n'a pas le droit de goûter ? Je mets bravement ma vie en danger en goûtant des desserts potentiellement pas assez cuits et c'est comme ça qu'on me remercie ? Enfin bon, je leur suis tout de même reconnaissante de m'avoir accueillie parmi eux parce que j'y ai vécu d'inoubliables moments à la gloire de la gastronomie, et que ce fut une très belle expérience.

_____Nous passons ainsi la soirée à nous échanger des anecdotes, des sucreries à goûter et des recettes à tester absolument. Nous nous échangeons des promesses et je lui garantis que, une fois rentrées de cette aventure, je lui ferai le meilleur gâteau qu'il lui a jamais été donné de manger. Pour cela, je lui demande une petite liste de ses aliments préférés et de ceux qu'il faut éviter, parce que c'est important de faire en fonction des goûts des gens. Je m'endors avec des rêves de gâteaux au chocolat fruités, de meringues caramélisées qui parlent et qui dansent et de couronne en chocolat vert de la reine Ladika.

_____Demain, nous partons en expédition.
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Cher journal,

Aujourd'hui, nous partons en expédition !

La nuit n'a pas été très reposante. Ce n'était pourtant pas la faute de mon lit qui était très confortable, ni même des ronflements de Ruji dans la chambre voisine auxquels on finit par s'habituer. Mais cette ambiance familiale, ce cadre apaisant, ainsi que le fait qu'il s'agisse de notre première vraie nuit en paix, sur la terre ferme, depuis le début de notre aventure, ont fait que cette nuit était propice aux discussions et aux confidences. Anatara et moi avons profité de ce moment de calme pour nous ouvrir davantage l'une à l'autre. Nous avons eu beau voyager ensemble nous ne nous connaissons encore que depuis peu de temps et j'étais ravie d'en apprendre plus sur elle, mais également de me confier sur quelques-uns de mes plaisirs. Pour une fois, j'étais contente de pouvoir papoter de tout et de rien, mais surtout de moi, à quelqu'un d'autre que mon journal.
Oh, ne prends pas la mouche ! Tu es sans aucun doute celui qui en sait le plus à mon sujet, bien loin devant n'importe quel être humain ! ... A l'exception peut-être de mon supérieur au Cipher Pol peut-être, mais lui je le soupçonne de savoir jusqu'à mon type de sous-vêtements préférés. Ça n'a sans doute aucun lien avec le fait qu'il voit passer toutes mes notes de frais de mission...
J'ai parlé à Anatara de ma passion les bains, celle pour le chocolat (il va de soi que celui aux noisettes est le meilleur, sans rival possible !), et ma tragique tendance à dépenser mon argent -ou de préférence celui des autres- à tout va, ce qui est au moins très apprécié par mes deux premières passions ! De son côté elle m'a parlé de ses voyages, de sa famille, et de ses talents de pâtissière qui font d'elle -selon moi- une personne exceptionnelle !

C'était donc une nuit passionnante, mais peu propice au sommeil et j'ai bien compris mon erreur lorsque nous avons été tirées du lit au lever du soleil par une fratrie des musclés frais comme des gardons !

Nous aurions pu nous rendre directement au port pour prendre possession de notre embarcation, mais Suji, Jumanji et Ruji ont insisté pour aller la chercher eux-même et pour la porter à bout de bras d'un bout à l'autre de l'île ! Soi-disant que ça nous permet de partir directement du bon côté ! Et puis évidemment c'est un défi contre soi-même, une saine épreuve sportive qui met à l'honneur le force musculaire et la volonté de l'esprit !
Arrivés à ce stade, moi je ne dis plus rien. Qu'ils le fassent si ça les amuse, tant qu'on ne me demande rien de plus compliqué que de me traîner d'un point A à un point B en gardant les yeux vaguement ouverts. C'était tout de même très amusant à voir ! En revanche la matinée est déjà bien avancée lorsque nous quittons le rivage en faisant de grands et joyeux au-revoir à la famille de notre ami.

♦♦♦♦

L'air marin vivifiant et le mouvement des vagues m'aident à chasser la fatigue de la nuit. L’imminence du trésor également ! Actionnée par les puissants bras de Suji qui met un point d'honneur à ramer seul, la barque s'éloigne peu à peu de l'immense île volcanique où nous avons dormi et nous nous enfonçons peu à peu au milieu des différentes îles à la végétation luxuriante.
Nous avons opté pour une embarcation de petite taille, assez grande pour nous abriter Anatara, notre compagnon moustachu et moi, ainsi que nos bagages et notre équipement de chasseurs de trésors. Il était hors de question de louer un voilier: quelqu'un aurait risqué de suggérer de se propulser par un moyen qui ne permet pas de faire usage des muscles de Suji !

Pour ce qui me semble être la millième fois je déplie notre carte et la consulte avec mon associée. A l'origine codée et divisée en deux morceaux qu'il a fallu assembler, même sous sa forme finale elle reste compliquée à déchiffrer ! Si toutefois nos estimations sont les bonnes -et je prie pour qu'elles le soient !- notre but se trouve sur l'une des îles les plus éloignées de l'archipel, une étendue de terre ferme en forme de croissant de lune sur laquelle figurent quelques indications assez vagues mais surtout l’alléchante mention "montagna de fricus" ! En nous fiant à une carte plus récente et plus à jour (mais pas pour autant moins parasitée par des dessins de monstres marins et de sirènes en train de s'étendre lascivement dans l'eau) que notre carte au trésor, nous pouvons déterminer que l'île n'est pas plus grande que celle où nous venons de passer la nuit. Il ne devrait pas être trop difficile de la quadriller et d'y repérer ce que notre carte au trésor appelle un mausolée ! A condition évidemment, qu'il ne s'agisse pas de cette île là-bas dont nous nous approchons depuis tout à l'heure, forme verte à l'allure sauvage et menaçante grossissant à l'horizon, dont la végétation déborde tellement dans tous les sens qu'elle ressemble moins à une île qu’à un agglomérat d'arbres poussant directement à la surface de l'eau, et où les plantes prennent racine les unes sur les autres au point que pour certaines la terre ferme ne doit être rien d'autre qu'une lointaine légende !

"- Grâce aux cendres volcaniques la terre est extrêmement riche et fertile ici", nous indique notre M.Muscles. "La végétation pousse si vite et si densément qu'il faut sans cesse entretenir les terres habitées sous peine qu'elles ne finissent comme cette île ! C'est un travail pour les hommes les plus courageux ! Seuls les plus forts et les plus musclés, ceux dont les corps est..."

Je n'ai pas écouté la suite, mais je ne crois pas avoir manqué grand-chose d'intéressant. J'échange simplement un regard avec Anatara et je vois que nous pensons la même chose: nous ne sommes pas au bout de nos peines !
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_____L’île nous fait face, majestueuse, impertinente. Immense, verte et tentaculaire. Des arbres dans tous les sens, entremêlés les uns sur les autres, parfois décorés de ces étranges fruits phosphorescents et parfois simplement sinistres, inhospitaliers. Ils forment une sorte de muraille qui nous barre l’entrée tant convoitée, quelque soit l’angle d’approche. Où que l’on regarde, on ne peut pas voir à plus de quelques centimètres tellement la végétation est dense, et bien sûr il n’y a ni port, ni jetée, ni quoi que ce soit qui permette de s’amarrer conventionnellement. Certes notre aventure a commencé dans les transports en commun mais là, nous sortons des sentiers battus, adieu la zone de confort !

_____Avant de débarquer, nous décidons d’essayer de faire le tour de l’île pour voir s’il n’y aurait pas un endroit moins touffu, avec de la roche par exemple, quoi que ce soit qui nous permette de poser le pied dessus. Parce que là, pas de belle plage de sable, pas de plage du tout, juste des racines, des lianes et des ronces qui semblent s’agiter pour nous accueillir. D’après le discours de Suji, c’est pareil partout mais Cara et moi aimerions voir ça de nos propres yeux, surtout qu’il nous est indispensable de bien discerner les contours des lieux, c’est quand même la moindre des choses.

_____Malheureusement, nous sommes sur Grand Line et sur Grand Line, la mer n’est pas la même que sur East Blue. Ça, on nous l’a répété à de nombreuses reprises mais puisque domestiquer l’océan a été la dernière de nos préoccupations lors de notre voyage à bord de la Translinéenne (qui, pour rappel, a été ponctué de quelques tentatives de mutineries, de réduction de l’équipage en esclavage et autre vol de navire à mains armées), j’avoue que j’avais plus ou moins oublié ce détail. Grossière erreur.

_____Une montagne, non, un tsunami nous renverse. Nous buvons la tasse, je m’accroche à l’embarcation tant bien que mal et celle-ci semble se remettre à l’endroit comme par magie, je respire. Péniblement, je me hisse à l’intérieur, aidée par Cara qui a miraculeusement réussi à rester à bord. Ensemble, nous nous agitons pour écoper l’eau au plus vite, parce que la barque s’est remplie et que ça risque de limiter notre flottaison. En d’autres termes, nous risquons de couler !

_____Suji, qui ne se laisse pas abattre pour si peu, pagaie à toute vitesse pour contrecarrer vents et marée. La pluie nous mutile la peau, le froid pénètre nos vêtements qui pourtant ont été pensés pour y résister et les vagues nous font reculer plus vite que nous avançons. Timidement, je suggère à Suji de ramer dans l’autre sens pour tenir compte de la si soudaine mais irrésistible force des flots mais il se vexe et rame de plus belle, nous amenant à faire du sur-place. Au bout de quelques minutes, la tempête cesse et c’est le calme plat. N’ayant plus rien pour s’opposer à sa force, Suji nous propulse à toute vitesse, manquant de nous faire tomber par-dessus bord.

_____J’en profite malgré tout pour jeter un coup d’œil aux abords de l’île, mais c’est la même chose de tous les côtés : des racines, des lianes et des ronces. Maintenant que la pluie s’est calmée, Cara griffonne quelque chose sur son carnet qui ne semble pas avoir été inquiété par les intempéries. Quant à moi, je compare pour la millième fois notre carte à celle, plus moderne bien que peu précise, de l’île que nous avons sous les yeux. Pas de doute, les formes correspondent et comme nous savons à peu près où nous sommes sur la carte officielle, on peut en déduire où nous sommes sur la nôtre. Mais bon, une vraie aventurière ne trouve pas des trésors dans son bureau en faisant des calculs à la règle et au compas. Seule la vraie connaissance du terrain compte, et c’est aussi pour cela que nous faisons ce tour de reconnaissance.

_____Après une deuxième tempête qui nous a frappés dans l’autre sens (sans doute parce que nous en étions à la moitié et que du coup nous étions nous-mêmes tournés dans l’autre sens), nous avons terminé notre petit tour de chauffe sans en avoir vraiment appris plus que ce que nous savions au départ. De dépit, nous avons décidé de nous rapprocher le plus possible de l’île et de tout simplement nous jeter à l’eau pour faire le reste à la nage. Brrr, froid !

_____Je m’accroche à une racine et j’aide Cara à prendre plus ou moins pied sur les quelques centimètres carrés de disponibles pendant que Suji attache notre barque à une branche. Si nous n’avons que quelques centimètres carrés, c’est parce que le reste de l’île est occupé par ces maudits végétaux ! Bon sang, mais qu’est-ce qu’ils sont indisciplinés ! Sur Sirup, il y a des sentiers, dans les forêts, pourquoi là il n’y en a pas ? Comment ils font les petits enfants pour passer quand ils jouent à chat ? Du coup, c’est un mur de ronces, de feuilles, de branches qui griffent, d’orties, de troncs, de fougères et de racines qui nous empêche d’avancer.

— Ne vous en faîtes pas, dit Suji : vous avez un véritable bûcheron avec vous !

_____Tout fier de lui, il sort une hache de je-ne-sais où et entreprend de nous défricher le passage à la force de ses bras, et à voir comment il en sue, ce ne doit pas être de tout repos ! Le moindre centimètre est une bataille de gagnée contre la végétation, et les coups de hache ne nous épargnent malheureusement pas les morsures d’insectes qui s’infectent, qui gonflent et qui font des boutons qui grattent, sans parler des éraflures bien énervées que la végétation outrée nous laisse sur le corps pour manifester son mécontentement.

_____Fort heureusement, nous avons prévu le coup et nous nous sommes habillées en conséquence. Enfin… moi oui, en tout cas. Suji est torse nu et quant à Cara, elle s’est vêtue de manière bien chic, ça je dois bien lui reconnaître mais pour le côté pratique j’avoue qu’il est plutôt… discutable. Mais bon, elle semblait si heureuse dans ses nouveaux vêtements que je n’ai pas osé lui faire de remarque quand nous nous sommes préparées pour l’expédition. Et puis elle est grande aussi, c’est à elle de décider ce qu’elle met, de quoi je me mêle !

_____Assez rapidement, la lumière du Soleil est complètement masquée par le tapis de feuilles qui recouvre nos têtes et seuls ces étranges fruits phosphorescents nous assurent un éclairage relatif particulièrement oppressant. Cette lumière, diffuse et étouffée, crée une atmosphère pour le moins glauque qui nous rend tous nerveux. Au moindre bruissement, au moindre cri d’oiseau, au moindre petit écureuil dont l’ombre court sur les bois, je sursaute et j’ai un petit accès de panique ; j’ai l’impression qu’on va me sauter dessus à la moindre occasion et le pire dans tout ça, c’est que je ne sais même pas qui est le « on » ! Pour nous rassurer, Cara et moi nous sommes rapprochées et suivons Suji de très près… Bon, étant donné la place assez limitée que nous avons pour progresser, nous sommes obligées de nous coller de toute façon mais voilà, je l’avoue : j’ai peur !

— Haha ! Vous voyez, je l’avais bien dit qu’aucune forêt ne pouvait m’arrêter ! Même les arbres se sont enfuis en me voyant à l’œuvre.

_____Triomphant, Suji débouche dans ce qui semble être une clairière, sauf que l’herbe fait deux mètres de haut et que l’endroit n’est pas beaucoup plus praticable que le reste de l’île. Parfois, les tiges des fleurs sont si hautes, si épaisses et si rapprochées que nous ne pouvons tout simplement pas passer sans tout couper à la hache, mais au moins le Soleil parvient-il de nouveau jusqu’à nos yeux. Ouf, je me sens beaucoup mieux ! Unilatéralement, je décrète que c’est le bon moment pour s’arrêter.

— Bon, pause.
— Comment ça, pause ? Je peux encore continuer toute la journée s’il le faut, je ne suis pas fatigué vous savez !
— Non-non, ce n’est pas ça Suji, nous avons simplement besoin de consulter la carte pour savoir par où continuer.

_____Sur Sirup, il y a des bancs dans les endroits comme ça, pour que les gens puissent s’asseoir quand ils font une pause. Mais bon, puisqu’apparemment ils n’ont pas pris la peine de mettre des sentiers, je suppose que c’est logique qu’il n’y ait pas de bancs. Ah, mais quelle bande de sauvages !

_____Mais il y a plus important. Normalement, nous devrions avoir un mausolée sur notre gauche et là, j’ai beau essayer mais je ne vois rien qui indique que cette île a été visitée par des humains durant les trois derniers millénaires. Bon, pas de panique. Après tout, nous sommes partis dans une direction approximative donc c’est normal qu’on n’arrive pas tout pile au bon endroit comme dans les livres. Et puis nous avons trouvé cette clairière, ça prouve qu’on ne s’est pas trop trompés, n’est-ce pas ? Après avoir longuement débattu sur le pourquoi et le comment, nous avons émis de nombreuses hypothèses dont une qui semblait des plus convaincantes. Malheureusement, après vérification, ce n’était pas la prétendue « clairière du Soleil » où il devrait en principe y avoir des tournesols.

_____Dépitées, Cara et moi sommes obligées de nous rendre à l’évidence : nous sommes perdus.
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Cher journal,

Notre aventure depuis notre arrivée aux abords de l'île s'est révélée plus compliquée que prévu. J'avais évidemment envisagé que ce serait une étape un peu longue et sans doute dangereuse de notre périple, mais j'avais également espéré qu'il nous suffirait de suivre des repères indiqués sur la carte et de quadriller un peu le secteur pour atteindre notre but sans trop de mal. Une île ce n'est pas si grand après tout, et un vieux mausolée ça ne passe pas inaperçu comme ça ! Mais je dois te confesser journal, j'ai un peu sous-estimé la résistance que nous opposerait la dernière étape de notre aventure.

Le principal problème, c'est que chaque pas nous coûte énormément d'efforts en débroussaillage (enfin surtout à Suji, mais je t'assure que ça le vexerait que nous fassions le travail à sa place) et ajoute un nouvel accroc à ma jolie jupe longue ! Heureusement que j'ai choisi une laine bien épaisse, sinon je ne te raconte pas l'état de mes jambes à l’arrivée ! Ensuite, il est extrêmement difficile de nous orienter puisque l'île entière est un amas plus ou moins compact de végétation ! Enfin, ne pouvant pas compter sur l'aide d'une boussole puisque ces dernières ne fonctionnent pas sur ces mers, nous devons nous aider de la position que pointe le log pose pour nous repérer, ce qui est beaucoup moins intuitif.

Il ne faut pas perdre espoir pour autant journal ! Après tout si le trésor avait été facile à découvrir il ne serait plus ici depuis longtemps !
Évidemment qu'il y est toujours, sinon la carte y menant ne serait plus en circulation depuis longtemps. … Non ? Oh, mais… une couronne en émeraude qui se vend aux enchères ça fait parler d'elle en général ! Alors, qu’est-ce que tu dis de ça ? Arrête donc d’être défaitiste ! Ma pire crainte en réalité c’est de tomber sur un trésor métaphorique. Je te fais la promesse que si le trésor de la reine Kalida c'est "le voyage, l'aventure, et les amitiés que vous avez nouées pour parvenir jusqu'ici", et que la couronne d’émeraude c'est "une métaphore pour le dôme de végétation qui recouvre l'île", eh bien je donnerai toute la métaphore en pâture à des bûcherons fanatiques !!!


L'atmosphère ici est très particulière. Je n'avais jamais rien vécu de pareil ! L'air est encore plus moite et lourd que sur l'île principale, et la présence de toutes ces plantes à la croissance surnaturelle a quelque chose d'oppressant. La lumière nous provient bien plus des nombreux végétaux qui scintillent d'une lumière jaune que du soleil, que nous distinguons à peine au travers de l'épais plafond de verdure qui nous entoure.
Et je ne te parle pas de tous ces animaux et autres insectes qui bavardent tout autour de nous: "krrrroui krrrroui, alors Martine, tu as entendu ce qui était arrivé à Mauricette ?" "Oui, elle s'est faite attraper par un oiseau à ce qu'on raconte !" ; "Sssssh sshshhh, quel est le malotru qui a découpé mes lianes préférées ?! Il y en a partout par terre !" ; "Cuicuicuicui, je suis le plus bel oiseau de cette forêt !" "Piou piou, goûte-moi donc cet insecte au lieu de dire des bêtises, il est délicieux !".

Nous avons fait une halte, au milieu de ce qui ressemble à une clairière remplie de hautes herbes (quand je dis "hautes", journal, ça veut dire en réalité qu'elles font pratiquement ma largeur et la hauteur de Suji !). C'est l'occasion de faire le point, et nous en avons profité pour mettre à sécher nos vêtements, trempés par notre arrivée un peu en catastrophe. Il vaut mieux prendre très soin de nos affaires et de notre hygiène car sans ça, avec la moiteur ambiante, l'air étouffant et toutes les bestioles qui rôdent autour de nous, nous tomberions vite malades ! Et quitte à laisser sécher nos vêtements, puisque de toute manière il convient de réfléchir un peu à la suite des évènements, nous pouvons tout aussi bien installer notre premier campement ici: nous ne sommes pas particulièrement pressés par le temps et il s'agit peut-être du seul endroit à peu près dégagé que nous trouverons sur cette partie de l'île.

D'un élégant et vif mouvement de jambe, je produis une lame d'air qui vient cisailler une rangée d'herbes géantes, libérant un espace en forme d'arc de cercle sur lequel nous pouvons déposer nos paquetages. Anatara et moi réunissons les herbes en faisceaux pour former une espèce de matelas, tandis que notre compagnon moustachu retourne sur nos pas pour ramasser de quoi faire du feu.

♦♦♦♦

Alors que nous prenons notre premier repas de campeurs (de délicieux sandwichs au pain frais et presque pas mouillés suite à notre quasi-naufrage, confectionnés par maman-Suji), nous repartons de plus belle en discussions quant à la conduite à adopter pour la suite des évènements. Vu la difficulté pour se frayer un chemin, quelle que soit la direction, nous ne pouvons pas nous permettre de progresser au hasard et c'est pourquoi je propose:

"- Notre carte au trésor n'est pas assez précise, et surtout elle n'est clairement plus à jour. Si nous voulons nous y retrouver nous devons absolument faire notre propre repérage de l'île. Si nous arrivions à grimper jusqu'à la cime des arbres, nous pourrions sans doute esquisser un plan et peut-être même trouver des points de repère qui correspondent avec ceux indiqués sur la carte."

Il s'ensuit une discussion sur pourquoi, quand et comment, mais mon idée reçoit l'assentiment de mes compagnons. Il est convenu que j'aille seule car je suis la plus à l'aise dans les airs grâce à mon rokushiki (du moins, je suis la seule qui n'est pas à zéro dans ce domaine !). Faisant un plus bel usage des techniques fétiches du Cipher Pol, je m'élance et enchaîne une série de geppous -de rebonds dans les airs- qui me propulsent jusqu'à hauteur des premières branches où je peux m'accrocher et reprendre mon souffle. Là, les choses se compliquent un peu. Au-dessus de moi s'étend un véritable dôme végétal, un enchevêtrement épais de branches, de plantes épineuses, d'arbres, de lianes et autres parasites qui poussent les uns sur les autres !

Après avoir trouvé un appui solide j'effectue une série de rankyakus -des lames d'air- acrobatiques et aériens avec mes jambes, et fais subir à cet indélicat plafond de jungle le même sort qu'aux herbes de la clairière. Tchaffff !
Bon, ce n'est pas facile de viser avec ses jambes quand on doit aller vers le haut comme ça ! Le premier tir touche au but mais un peu trop loin de là où je visais, et le second part beaucoup trop à gauche ! J'essaie d'affiner ma découpe avec quelques autres tirs et c'est tout un pan enchevêtré de branches et de lianes s'effondre... sur mes deux compagnons restés dans la clairière !

"- Attention en dessous !"

Pata-fatras !
Un silence un peu pesant s'ensuit, seulement rompu par le bruit des animaux qui reprend. Tu imagines mon soulagement lorsque j'entends les grognements d'Anatara et Suji qui émergent finalement du tas de végétaux coupés !

"- Ahem... tout va bien ?"

En voyant que oui je retrouve mon sourire.

"- Je suis désolééée !"

Finalement, je me retrouve dans la même situation que lorsque Suji nous dégageait le chemin sauf que moi je dois travailler à la verticale ! Cela prend du temps et demande de gros efforts, sans parler du danger ! Je manque même de tomber une ou deux fois, et Anatara finit par me suggérer de m'attacher à certaines branches avec une corde par mesure de sécurité. Quant à moi j’accepte de mettre mon ego de côté et de laisser Suji monter pour faire les grosses œuvres à un ou deux endroits, et il s’y emploie avec une agilité surprenante !

♦♦♦♦

Je pensais arriver là-haut en quelques minutes, mais il m'aura fallu finalement plusieurs heures pour atteindre le sommet ! La nuit est en train de tomber, du moins c'est ce qu'il me semble si je me fie au ciel qui se teint de rouge orangé et de rose. La vue des nuages colorés dans le ciel du soir qui tombent en dégradé sur les dômes lumineux que forment chacune des îles de l’archipel au point de former un tout où il fait entièrement jour est tout simplement magnifique à contempler !

Prenant mon élan sur une des dernières branches assez solides pour supporter mon poids, je m'élance une nouvelle fois dans les airs et me stabilise à une petite hauteur au-dessus des cimes. De là, et sans obstacles pour me gêner, j'ai une vue sur tout l'ensemble de l'île.
C'est à la fois beau et impressionnant: tout devant mes yeux n'est qu'enchevêtrement de végétaux, d'arbres qui poussent et débordent les uns sur les autres, de plantes colorées et de lumières qui scintillent. Une véritable mer verte qui frétille sous l'effet du vent ! Le geppou que j'utilise pour me déplacer dans les airs me permet plus de rebondir que de vraiment, voler, et il me faut plusieurs aller-retours entre le sommet des arbres et les airs (ce que je fais évidemment avec cette petite touche de raffinement qui me caractérise, journal, je ne ressemble pas du tout à une grenouille en train de rebondir sur les feuilles !) avant de parvenir à me faire une idée un peu plus précise de la topographie des lieux. Ayant vu tout ce que j'avais à voir, je redescends.
Ça paraît extrêmement simple dit comme ça, ça me prend tout juste une demi ligne pour te l'écrire, mais comprends bien que dans la réalité j'ai dû y passer quinze bonnes minutes le temps de contourner les banches, d'éviter les bouts pointus, de faire attention à ne pas tomber et surtout de ne pas faire tomber d'autres débris sur mes amis !

De retour en bas, je prends le temps de souffler et d'ingurgiter une tablette une barre de chocolat. Puis je m'empare d'une feuille de papier à peu près sèche et de quoi dessiner, et j'explique la situation à Anatara et Suji:

"- Comme nous le pensions, nous sommes actuellement sur la pointe sud, là où l'île prend la forme d'une espèce de... un peu comme la houppette de Suji. Nous sommes encore tout proches de la côte à vrai dire, nous avons beaucoup moins avancé que nous ne l'avions cru !"

Je dessine un petit cercle qui symbolise la clairière avec notre campement, puis continue mes gribouilles sur le dessin.

"- Ici et ici les végétaux montent plus haut, je pense qu'il y a un peu plus de relief. Ça pourrait juste être dû à des arbres qui ont poussé plus vite, mais je crois que ça correspond à peu près aux dénivelés indiqués sur la carte... ah non, celui-là est plus au nord..."

Je gribouille pour corriger mon dessin, compare encore avec la carte, ajuste un peu mes traits, puis reprends.

"- J'ai également repéré une espèce de grand enchevêtrement droit devant nous par ici... des ronces ou une espèce similaire"

Je dessine des espèces de plantes avec des piquants dessus. J'en mets plein et des pointues parce qu'elles avaient l'air redoutables !

"- A mon avis on y gagnerait vraiment à faire le tour plutôt que d'essayer de passer au travers."

Je prends encore quelques instants pour dessiner de mémoire les éléments notables que j'ai pu repérer, qui se résument hélas à pas grand-chose. Mais notre information principale est là: il faut encore avancer et suivre vaguement une direction "aiguille du log pose moins soixante degrés à gauche". En prenant en compte le fait que chaque jour pendant cinq jours l'aiguille va lentement se déplacer jusqu'à pointer vers les Pythons Rocheux, l'étape suivante de cette voie sur la route de tous les périls. Ce qui nous fait, d'après les estimations de grand-frère Suji, une perte moyenne de trois degrés sur le log pose à prendre en compte chaque jour. Tu es un peu perdu ? Ne t'inquiète pas journal, tu n'as pas besoin d'être calé en mathématiques ou en géographie: tu dois juste comprendre que je sais ce que je fais.
J'espère vraiment que je sais ce que je fais !!

"- Vous en pensez quoi ?"

De toute manière, même si ce n'est pas évident puisque la luminosité n'a pratiquement pas diminué, la "nuit" tombe sur l'archipel et il serait opportun de songer à nous reposer. C'est là que nous allons faire usage de notre arme secrète: des masques opaques pour les yeux gracieusement fournis par maman-Suji qui nous permettront selon ses dires de passer une nuit "pratiquement comme dans ces îles où il fait noir quand le soleil se couche" !

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  • https://www.onepiece-requiem.net/t21479-caramelie-la-critiqueuse

_____Il n’y a pas à dire, un bon lit bien douillet, il n’y a que ça de vrai ! Après deux jours passés sur l’île, nous avons décidé à l’unanimité d’effectuer un aller-retour pour se reposer, changer nos vêtements, refaire le plein de vivres et réfléchir à tête reposée. Grâce à nos différentes escapades et au talent de grimpe de Cara, nous avons une bien meilleure idée de la configuration de l’île et, normalement, trouver ce fameux mausolée n’est plus qu’une question de jours. En attendant, nous révisons nos plans, prenons un copieux petit déjeuner et nous félicitons d’avoir un « point de chute » pour se reposer dans le monde civilisé.

_____De retour sur l’île, nous continuons notre tâtonnement quand nous faisons soudainement connaissance avec la faune locale. D’abord, un cri :

Krââââoh !

_____C’est un cri strident, glacial, sauvage et surprenant. Un avertissement qui nous laisse tous pétrifiés et perplexes. Rapidement, nous interrogeons Suji sur les créatures recensées du coin mais comme personne n’a mis les pieds ici depuis des siècles, la base de données n’est pas vraiment à jour. À vrai dire, personne ne sait quel genre de monstruosité peut se développer ici, dans ce milieu si hostile et si préservé de toute activité humaine… Mais quoi que ce soit, ça n’est pas content d’être dérangé.

_____Ne voyant pas cette manifestation comme une raison suffisante pour abandonner notre quête, nous continuons comme si de rien n’était et tout se passe comme les deux premiers jours pendant tout le reste de la journée. La nuit venue, nous installons notre campement et discutons tranquillement de la suite des opérations. Suji commente ses nouvelles techniques de débroussaillage qui, d’après lui, sont plus rapides et permettront à la végétation de se remettre plus rapidement des séquelles qu’on lui inflige. Car – précise-t-il, c’est important pour un bon bûcheron d’être respectueux de la forêt : un bûcheron qui ne s’assure pas que les arbres repoussent c’est comme un agriculteur qui brûle son champ après la récolte. Cara, qui s’occupe du repérage et du calcul de la direction, semble très sûre de ce qu’elle fait, et sans elle je suis bien obligée d’admettre que nous avancerions au hasard dans l’immensité de l’île. Franchement, je me félicite de l’avoir dans l’équipe parce que franchement, les boussoles qui ne montrent pas toujours la bonne direction, ça ne me dit rien du tout ! Elle a essayé de m’expliquer son raisonnement à l’aide d’angle et de vitesse d’alignement magnétique mais j’avoue que je n’ai rien compris…

_____Quant à moi, le mieux que je puisse faire c’est d’aider Suji dans son opération de défrichage : avec mon épée, je suis capable de trancher net des arbres si je le veux ! Et oui, figurez-vous que j’ai suivi un entraînement spécial auprès du grand maître Hanzo lui-même, dans le temple de l’escrime : Shimotsuki. Bon, ce n’était pas vraiment un entraînement de bûcheron mais passons. À deux, nous n’allons pas deux fois plus vite mais nous ouvrons un chemin deux fois plus large, ce qui est mille fois mieux par rapport à nos débuts où nous n’avions qu’à peine la place de passer derrière Suji !

_____Peu à peu, la fatigue a raison de notre excitation et nous finissons par rabattre les cache-yeux pour profiter de la nuit.

Crack, crack, crack
Mmmh ?

_____Je vole au milieu de licornes roses aquatiques et de dauphins verts coureurs de jupons. L’un d’entre eux me dit que sa queue lui gratte et me demande de venir l’aider. Je nage alors en faisant de grands gestes au milieu des nuages mais au lieu de m’en approcher, je m’en éloigne de plus en plus ! Le dauphin commence à se contorsionner pour se gratter par lui-même mais soudain son nez devient pointu et lui fissure le ventre ! C’est maintenant un requin-scie. La fissure se propage partout dans le ciel, et les nuages sont obligés de se déranger pour ne pas être coupés en deux. Je me réveille en sursaut.

Haaaa !
Kssss !

_____Encore aveuglée par les cache-yeux, je me débats à l’aveugle face à ce qui au toucher ressemble à une horde de petites bestioles à poils qui me grimpent sur les jambes. Une créature à griffe me saisit la main droite et me blesse, je me débats mais, l’esprit embrumé, je ne rencontre que le vide. Mon sac de couchage est coupé et je sens une blessure s’ouvrir tout le long de ma jambe, j’en ai les larmes aux yeux. Ce n’est pas profond, n’est-ce pas… j’espère que ce n’est pas profond !

_____La douleur me réveille.

_____Ma jambe blessée se contorsionne toute seule, mes bras me débarrassent de mon sac de couchage, je roule sur le côté, rencontre la toile humide de la tente et m’empêtre dans les tissus. Je gigote encore maladroitement et réussis tant bien que mal à me débarrasser de ce qui m’aveugle. Face à moi, une ombre géante.

_____C’est grand, presque autant qu’un homme adulte, ça a des griffes, des crocs, des poils hérissés et des oreilles pointues. C’est fin, aussi, très fin. Tout en largeur. Je ne vois que sa silhouette mais je peux tout de suite constater à quel point cette créature, qui me domine de toute sa taille, possède un corps incroyablement aplatit.

Ksss !, fait-elle en esquissant des gestes menaçants.
— Va-t-en !

_____Je m’empare de la première chose qui me tombe sous la main – ma gourde, en l’occurrence –et je tente de frapper l’apparition avec mais son corps déjà tout fin se contorsionne à la limite de l’impossible, comme un bout de papier ! D’un geste fulgurant, ses griffes contre-attaquent et coupent mon arme de fortune en lamelles… me voilà bien, hein !

— Qu’est-ce qu’il se passe ?

_____Cette voix inquiète, c’est celle de Cara. Ça m’étonne qu’elle ne se soit pas manifestée plus tôt, mais peut-être aussi que ma perception du temps est faussée. Je serais bien incapable de dire s’il s’est passé une minute ou une seconde, tout semble si long, étiré. Un bruit assourdissant, une vague d’air comme je n’en ai jamais sentie ; la toile se tend : nous nous envolons !

Mouaaawouuuh !

_____La tente ne résiste pas et se déchire ; l’air glacial de la nuit vient lacérer ma peau. Mon épée, il me faut mon épée… Mais le monstre, qui a tout juste évité l’attaque de Cara, disparait en quelques bonds d’une agilité époustouflante. Nous le reverrons.

— Tout va bien ?, me demande Cara tout en m’apportant une couverture bienvenue.

_____Je hoche la tête, distraite, sondant les bois à la recherche d’un quelconque signe de notre adversaire. La tente a été attaquée à de nombreux endroits comme l’atteste les nombreuses déchirures, comme si le monstre avait vraiment eu du mal à trouver comment entrer. Une fois entré, il s’est manifestement précipité sur nos vivres étant donné leur état de ruine mais, après, il a dû sentir notre présence et s’attaquer à moi. Heureusement, je me suis réveillée pile à ce moment-là ! Chance ou instinct, je ne saurais pas trop, mais ce n’est pas la première fois que mes réflexes et mon « intuition d’urgence » me sauvent la mise… et Cara, aussi ! Merci Cara !

_____Quelle était cette créature ? Maintenant que j’y pense, sa morphologie me semble tout à fait adaptée à la vie dans cette forêt si dense : être fin comme un morceau de papier, ça permet de se déplacer sans difficultés… Mais… avons-nous affaire à un être intelligent ? Pourquoi nous a-t-il attaqués, que voulait-il ? Cherche-t-il à protéger son habitat, à nous faire peur ou a-t-il des intentions plus… effrayantes ?

_____Alors que mon cerveau tourne à toute vitesse, je m’emmitoufle dans la couverture de Cara et celle-ci me demande si je suis blessée, si tout va bien, enfin je pense que c’est ce qu’elle dit mais en fait je ne sais pas trop, je ne me sens pas très bien. Vaguement, j’entends Suji surgir de sa propre tente avec la virilité qui le caractérise, lançant de grands cris de défis à qui voudrait nous attaquer. Je l’entends parler mais je ne comprends pas trop ce qu’il dit, peut-être que tout le sang que j’ai perdu y est pour quelque chose ? Attends, quoi ? Du sang ?

Ouarg !

_____Mes yeux ont la mauvaise idée de se poser sur ma jambe, profondément mutilée par les griffes du félin. La vue de cette blessure béante qui me fend le mollet et la sensation des messages de douleur précipités, dont je prends soudainement conscience, parviennent tous ensemble à mon esprit paniqué. Là, c’est vraiment trop. Je m’évanouie.
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Cher journal,

Nous voilà bien embêtés: un monstre-tapis a attaqué Anatara, et en plus il a dévoré une partie de nos provisions ! Tu l'aurais vu journal, il était affreux ! Avec ses grands yeux aux pupilles écarquillées, ses oreilles pointues, sa bouche garnie de petits crocs trop mignons et ses petites pattounes toutes griffues qui déchiraient le tissu avec un plaisir évident... horrible !

Je laisse notre compagnon et ses muscles s'assurer qu'aucun autre animal ne rôde dans les environs tandis que je m'occupe de mon amie évanouie. Je vérifie que son cœur bat toujours, c'est la base déjà, puis je l'allonge doucement et surélève un peu ses jambes en les posant délicatement sur un de nos sacs. Je prends évidemment soin de mettre un petit linge en dessous pour éviter de mettre du sang partout !
Le temps qu'Anatara reprenne ses esprits, je fouille dans nos affaires à la recherche de notre nécessaire de secours. Baume contre les piqûres d'insectes... oui mais non... crème solaire... pas maintenant... ah, des bandages ça c'est chouette ! ... Un nécessaire de couture ? Oh, je préfère ne pas me lancer là-dedans. Je ne suis pas très douée dans ce domaine que j'ai arrêté de pratiquer après mes huit ans, alors la couture sur humains... Je trouve également une bouteille contenant un liquide sombre avec une grosse croix rouge dessinée dessus, et ça en revanche c'est surement bien !

Mes connaissances en matière de premiers secours sont assez vagues, mais elles existent bien. Je ne pourrais pas me prétendre agent d'élite capable d'opérer seule en milieu dangereux si je n'étais pas capable de trouver toute seule dans quel sens on déroule un bandage et de deviner qu'un désinfectant ça ne se boit pas mais ça s'applique sur la plaie !
Après avoir autant que possible épongé le sang et nettoyé les plaies, je badigeonne allègrement la jambe et la main de mon amie -ainsi que mes propres doigts- avec le liquide couleur rose flashouille sentant fort la pharmacie que contient la bouteille. J'ignore si c'est à cause de ses effets qui piquent un peu ou bien grâce à mes premiers soins, mais Anatara semble revenir peu à peu à elle.

"- Ça va aller, ça n'a pas l'air trop grave" mens-je. Pas parce que sa blessure a l'air grave, enfin si aussi, c'est quand même moche. Mais bon j'ai vu bien pire. Bref ! C'est surtout que je ne m'y connais pas assez pour me prononcer. D’habitude les blessures je les occasionne moi, je ne les soigne pas !
Je balaie toutes ces réflexions bien trop fatigantes d'un sourire:

"- Comment te sens-tu ?"

Après avoir bien peinturluré les blessures et séché le tout, je referme avec assez d'épaisseur de bandages pour que ça ne saigne plus. Paaar-fait !

Il reste maintenant une décision importante à prendre. Le plus prudent serait sans doute de ramener notre amie directement chez la famille de Suji pour qu'elle récupère ; d'un autre côté ce n'est pas comme ça que nous allons progresser, sans compter qu'on va avoir l'air malines à rentrer une fois tous les deux jours ! Bravo les aventurières ! Biens évidemment je préférerais que nous puissions rester sur l'île pour le moment, au moins jusqu'à épuisement de nos dernières provisions, mais la décision reviendra à Anatara -ou plutôt à sa blessure- en fonction de son état. Les fièvres et les infections que l’on attrape dans la jungle en état de faiblesse sont un risque beaucoup trop grand pour que l’on tente la malchance !
Je laisse Suji prendre à son tour des nouvelles de la pauvre blessée qui n'a pas volé le morceau de chocolat que je lui donne (et que le tapichat a daigné nous laisser) (tapichat c'est le nom que je lui ai donné, comme il ressemble à un félin mais qu'il est plat comme un tapis !) avant d’annoncer à mes compagnons:

"- Nous avons été trop confiants je crois. A partir de maintenant il va falloir faire plus d'efforts et organiser des tours de garde. Et si jamais on se rend compte que la forêt devient trop dangereuse, il faudra envisager de dormir ailleurs que dans notre clairière."

Le reste de la nuit n'est pas très plaisant. Nous alternons des phases de somnolence entrecoupées de réveils brutaux -et trop fréquents-, si bien que je finis par ne plus essayer de dormir du tout et préfère m'installer près du feu en attendant l'aube.

Le jour ne vient pas nous apporter beaucoup de bonnes nouvelles, même si au moins aucun tapichat n'est revenu pour nous mordiller la plante des pieds sous les couvertures ! L'état d'Anatara ne me plaît pas trop. Après un petit déjeuner et une courte délibération, nous choisissons de rentrer une nouvelle fois à notre "port d'attache".

♦♦♦♦

Une semaine et un certain nombre de pages racontées au journal plus tard...


Cher journal

Anatara est de retour ! Il lui aura fallu du temps pour se rétablir, mais ce n'est qu'une chose de plus à ajouter à la longue liste des imprévus auxquels nous avons dû faire face. Au moins cette convalescence aura bien servi à Anatara qui semble débordante d'énergie ! Il faut dire que passer une semaine à se faire chouchouter par Papa et Maman-Suji et à se faire gratifier d'un régime de bûcherons que je soupçonne d'être garni aux stéroïdes ça a dû la remettre sur pied, sans mauvais jeu de mots !

Une autre des conséquences du prolongement de la durée de notre expédition, c'est que j'ai dû abandonner mon escargophone chez la famille de Suji en leur expliquant qu'il avait attrapé une maladie tropicale extrêmement contagieuse, qu'il devait rester isolé de tout contact à tout prix, et qu'il ne fallait surtout pas le décrocher quand il sonnait. C'est la seule solution que j'ai trouvée pour ne plus recevoir les appels de mes supérieurs qui sont vraisemblablement en train de chercher à me joindre pour me demander où j'en suis de mes congés, et si je n'ai pas oublié que j'ai un travail et des obligations !
Tu crois que je vais me faire sérieusement disputer à mon retour ? Mais non journal, je leur raconterai simplement avec un grand sourire comme je sais si bien les faire que je me suis perdue dans la jungle ! Ce n'est pas de ma faute quand même !

Suji et moi sommes venus récupérer notre amie suite à notre dernière escale pour nous approvisionner, et je crois qu'elle était très pressée de reprendre l'aventure... ou bien juste de quitter cette maison ! Sa démarche est encore un peu raide, mais enfin elle a l'air d'attaque pour la jungle !
Notre expédition a un peu avancé durant son absence, et c'est avec plaisir que nous lui faisons découvrir nos progrès. Nous laissons comme d’habitude notre embarcation prudemment tirée sur le rivage, puis nous pénétrons dans la forêt. Il ne nous faut pas longtemps pour traverser le chemin qui nous avait pris à l'époque une grosse demi-journée à dégager, avant d'atteindre la clairière des hautes herbes.

"- Nous n'y campons plus à présent. Elle nous sert juste d'étape et de point de repère."

Je jette un coup d’œil prudent aux alentours:

"- En plus on ne s'y attarde pas trop, des fois le tapichat y vient encore."

Nous continuons notre chemin dans ce qui ressemble à un tunnel de verdure, littéralement taillé au milieu de cet enchevêtrement de végétation beaucoup trop prolifique qui nous force à donner des coups de machette à chaque pas ! Nous profitons de notre passage pour éliminer toutes les jeunes pousses qui, après quelques jours seulement, repartent déjà à la colonisation de l'espace laissé libre !

Il nous faut presque deux heures pour atteindre le second point de repère, le tronc d'arbre qui enjambe le roncier géant. C'est un passage un peu délicat, mais Suji et moi sommes très fiers de la rambarde en cordes que nous avons installée pour pouvoir passer en toute sécurité ! J'en suis satisfaite c'est vrai, mais je suis encore plus contente de moi lorsque nous reprenons le chemin de verdure et qu'Anatara ne remarque pas le passage camouflé. Mais si journal tu te souviens ! Suji et moi nous sommes frayé un passage pendant presque une journée à cet endroit avant de nous rendre compte que nous faisons fausse route, et de carrément rebrousser chemin ! Nous avons ensuite décidé de dissimuler l'accès à ce passage avec des débris végétaux, et avons soigneusement évité de mentionner ce sujet un peu honteux depuis ! D'ailleurs, oublie ce que je viens de te raconter journal !

La marche est longue et se fait dans une atmosphère pesante, chaude et humide. Il faut faire attention à chaque pas pour ne pas s’emmêler les pieds dans les débris végétaux et les plantes qui jonchent le sol, ainsi que pour ne pas se faire agripper par une branche ou une épine qui dépasse. Mais le pire, c’est cette moiteur dont je n’arrive pas à m’accommoder malgré tout ce temps passé dans la jungle, qui rend chaque chose poisseuse et fait se coller les vêtements à la peau ! De nous trois seul Suji semble s’y faire: lui, de toute manière, il est déjà torse nu et en profite pour faire luire ses muscles en plein effort !
Finalement, notre longue marche nous conduit jusqu'à ce qui ressemble à un tronc d'arbre faisant au moins deux fois ma largeur, complètement lisse et vert. Je le désigne à mon amie et lui dit:

"- Voilà on y est: comme on te l'a dit, on a finalement réussi à trouver la clairière aux tournesols. C'était sans doute une jolie clairière à l'époque de la reine Kalida, mais à présent c'est devenu une véritable forêt de tournesols géants !"

D'autres spécimens comme celui-là de plus ou moins grande taille poussent un peu partout dans la zone. Les plus petits font la taille de tournesols normaux, mais la plupart ressemblent à des arbustes et les plus grands sont suffisamment spacieux pour que Suji et moi ayons essayé de dormir dedans une nuit ! On a bien vite regretté quand on a vu quel genre d'insectes ils attiraient ! D'ailleurs, j'explique à mon amie convalescente:

"- On évite de dormir à même le sol maintenant à cause de tous les... "habitants". Et c'est aussi à cause d'eux qu'on a voulu récupérer de nouvelles moustiquaires."

Les moustiquaires en question, ce sont les trois rouleaux de grillage à mailles très fines que Suji porte sur le dos et qu'on a pu ramener grâce à notre dernier retour à la civilisation.

"- D'ailleurs la nuit il vaut vraiment mieux éviter de faire du bruit ou même de sortir, parce qu'il y a souvent des prédateurs qui rôdent."

L'atmosphère est un peu différente ici. La végétation est peut-être un peu moins dense, ce qui permet à certains endroits de progresser sans faire usage de la force, mais ce n'est pas pour autant que nous sommes plus rapides ! Le terrain est traître, le sol peut se dérober à chaque pas en révélant un trou ou un fossé, et chaque détour peut abriter un serpent ou un animal qui rôde !


Dernière édition par Caramélie le Dim 15 Déc 2019 - 18:55, édité 1 fois
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_____Après plusieurs nuits bien fiévreuses passées au lit à mourir de chaud et sans avoir la force de me lever pour aller aux toilettes, les attentions du médecin ont fini par avoir raison de mon mal et j’ai pu reprendre pleinement conscience de moi-même. Heureusement pour moi, les accidents de bûcheronnage sont très fréquents sur cette île et ils possèdent de nombreux médecins spécialisés dans les blessures nettes du type coupures profondes. Soit à peu près exactement ce qui m’était diagnostiqué. Les parents de Suji possèdent même une assurance pour ce genre de situation et, d’après les petites lignes, ma prise en charge par le meilleur chirurgien-urgentiste de l’île (si j’ai bien compris ils affirment tous être le meilleur, mais j’ai décidé de prendre ça pour un gage de qualité) sera totalement prise en charge.

_____Ce sont les premiers mots qu’ils m’ont prononcés, mais à vrai dire je m’en fichais un peu. Ce qui m’intéressait c’était de savoir si j’allais survivre et apparemment oui. Le seul souci, c’est que je n’avais pas le droit de marcher. J’ai dû patienter deux jours, sans doute les deux jours les plus longs et les plus frustrants de toute ma vie. J’ai lu des livres sur les aventures des bûcherons héroïques, j’ai fait du dessin, j’ai fait les calculs que Cara m’a demandé de faire et j’ai pris des nouvelles de l’expédition qui me semblait s’éloigner de plus en plus, comme si elle avait lieu dans un autre monde, dans une autre réalité à laquelle je n’avais plus accès. C’est fou comme tout peut basculer d’une minute à l’autre !

_____D’après le médecin, il n’y avait rien de bien grave : les risques d’infection étaient écartés et l’os et les nerfs avaient été épargnés, ce qui faisait qu’il n’y avait pas besoin d’amputer… dieu merci ! J’allais recouvrer l’usage de ma jambe, et ça c’était le principal. Franchement qu’est-ce que j’aurais fait si je ne pouvais plus marcher ? Je me serais déplacée en fauteuil roulant ? Oh là là, j’aurais dû dire adieu au voyage, adieu à l’aventure, adieu à la danse et me reconvertir dans la peinture… Ah, mais quelle horreur ! Ce n’est pas que je n’aime pas la peinture mais ne plus pouvoir bouger c’est… c’est… non, pitié, tout mais pas ça !

_____Le médecin m’a dit que le muscle avait des séquelles et qu’il ne fallait pas trop pousser dessus à l’avenir. Mais il m’a garanti que ça finirait par guérir. Le corps humain est bien foutu : il s’acclimate de tout et au bout de quelques années tout sera redevenu comme avant… si ce n’est cette grosse cicatrice qui me lacère le mollet et qui, d’après lui, ne me quittera jamais, quoi que je fasse. Beurk beurk beurk. Pendant les cinq premiers jours je n’ai pas pu la voir parce que j’étais encore inconsciente (ou délirante, ce qui revient presque au même) quand ils ont changé mes bandages donc j’ai passé mes journées à angoisser, à croiser les doigts, à m’imaginer à quoi ça pouvait bien ressembler et il faut dire que j’avais de l’imagination ! … j’avais tellement peur !

_____Entre nous, j’ai de belles jambes et j’en suis plutôt fière, même ! Ça m’embête énormément d’en voir une mutilée et amochée. Mon corps, c’est important, ça fait partie de moi et si j’en perds un morceau je pers un morceau de moi-même. Je ne me sens plus entière, maintenant, et cette cicatrice est la marque du vide que je porte, le souvenir qu’il me manque un bout de moi et que je ne le retrouverai jamais. Alors quand ils ont changé le bandage, j’ai failli m’évanouir… c’était dégoûtant ! Il y avait du sang, du noir et des poils mélangés, c’était immonde ! Là j’ai failli paniquer mais comme je ne pouvais pas bouger, je me suis contenté d’avaler ma salive de travers. Le médecin s’est mis bien devant moi et m’a forcé à m’allonger pour ne pas que je puisse regarder trop longtemps. Il a tout nettoyé et à la fin il m’a laissé jeter un coup d’œil pour me prouver que non, ce n’était pas si moche que ça. Il y a quatre longues estafilades parallèles qui forment de grosses marques blanches parsemées d’abominables points de sutures qui sortent tout droit d’un film d’horreur. Mais, avait-il précisé, il m’enlèvera ces derniers au bout de quelques jours et en suite ce sera tout beau tout propre. Mais là il préfère juste me les laisser pour renforcer l’effort de cicatrisation.

_____Le sixième jour, j’avais de nouveau le droit de marcher mais quelle surprise ! Je n’y arrivais pas. Là, je me suis sentie toute bête. Je n’avais plus du tout de force dans les jambes et j’avais presque perdu le sens de l’équilibre. J’ai passé la journée entière à faire des exercices de rééducation, d’abord accompagnée du médecin puis de la mère de Suji, puis seule. Fort heureusement, c’est revenu très vite et ce qui me semblait impossible le matin, j’y arrivais sans trop de difficultés le soir. Le lendemain, je pouvais à nouveau marcher, mais je n’avais pas le droit de marcher trop longtemps ni de faire d’effort ou d’impulsion : ne pas courir, ne pas sauter, ne pas danser, juste marcher mais pas trop.

_____J’en ai profité pour me dégourdir les jambes et ça m’a fait un bien fou. Savoir que je pouvais marcher de nouveau, le simple fait de poser un pied devant l’autre, c’était si rassurant ! J’avais l’impression de sortir d’un cauchemar et, surtout, le fait de sentir que ça allait de mieux en mieux, d’heure en heure et de jour en jour, ça me rassurait. Je me sentais revivre ! Deux jours plus tard, bien que le médecin me déconseillait toujours de faire trop d’efforts, j’ai décidé d’embarquer avec Cara et Suji pour faire acte de présence et voir où ils en étaient. Je n’ai pas fait grand-chose : j’ai juste regardé. Pas d’efforts, ne pas rester debout trop longtemps, ça, j’avais compris.


_____Pendant mon absence, mes compagnons ont bien avancé et ils ont même fini par trouver la clairière aux tournesols dans laquelle, d’après la carte, se trouve le fameux mausolée où est enterré le trésor. Malheureusement, lesdits tournesols font trois mètres de haut et nous bouchent complètement l’horizon, donc pas de mausolée en vue pour l’instant. D'après la légende, il est érigé sur une « montagna de fricus » donc on ne devrait pas le rater normalement… reste à bien ratisser et quadriller les environs, parce que la carte n’est pas assez précise pour connaître la position exacte du bâtiment dans la clairière. Bon, d’accord, en fait la carte on l’a obtenue en superposant intelligemment deux cartes qui semblaient de rien vouloir dire et peut-être qu’on progresserait beaucoup plus vite si mon recollage avait été un peu plus professionnel mais qu’est-ce que j’y peux ? On fait ce qu’on peut avec ce qu’on a, que diable ! Du coup, il y a certaines informations que nous ne pouvons pas lire et d’autres qui sont tout simplement fausses ou tellement imprécises qu’on s’est complètement trompé de clairière la première fois. Mais ce n’est pas grave. On va quand même trouver le trésor, ça c’est sûr et certain !

_____Nous progressons rapidement. Les tiges des tournesols sont suffisamment fines et souples pour que nous puissions passer sans avoir à tout couper, aussi nous contentons-nous de faire quelques marques bien visibles par-ci par-là histoire de ne pas tourner en rond. Cela fait quelques jours que je suis de nouveau dans l’équipe et bien que je doive ménager ma jambe, je me rends quand même utile en préparant les repas, en gérant la cartographie, en faisant les calculs et en aidant à préparer le campement. Ce ne sont pas les tâches les plus faciles ni les plus reposantes mais ce sont celles qui sollicitent le moins les mollets, et comme je m’y atèle les deux autres peuvent consacrer plus de temps à l’exploration.

_____Pour dormir, nous nous enfonçons de quelques mètres dans la forêt où Suji et Cara ont fabriqué une sorte de cabane de fortune. Apparemment, c’est la spécialité de notre bûcheron et son record de vitesse c’est quatorze minutes trente-deux ! En tout cas, ça nous met à l’abri de tous les insectes un peu disproportionnés qui se baladent dans la clairière, suivis de près de leurs prédateurs et des prédateurs des prédateurs qui pourraient tous avoir envie de changer un peu leur routine alimentaire pour se mettre de l’humain sous les crocs. Pas question de finir en bifteck !

_____Dans la forêt, c’est un peu plus calme et les créatures ont des tailles un peu plus raisonnables. Il faut dire que la végétation est tellement épaisse qu’il est impossible d’y évoluer dès que l’on fait un peu plus de quelques centimètres carrés… à l’exception du chat-fin, bien entendu. Ou le tapis-chat, comme dirait Cara. Lui, il me file la frousse. Je le vois partout. À chaque bruissement de feuille, à chaque cri de singe, à chaque chant d’oiseau, à chaque cri-cri d’insecte et jusque dans mes cauchemars, je le vois. Il me poursuit. J’essaie de rationaliser la chose, j’en parle à Cara, je lui dis que je ne suis pas folle et que j’ai vraiment l’impression d’être suivie : qu’il y a quelqu’un qui nous observe, de loin, et c’est très désagréable. Mais je suis la seule à sentir ça et peut-être que je suis devenue un peu parano.

— Là, vous avez entendu ?

_____C’était un bruissement, comme quelqu’un qui bouge entre les feuilles, j’en suis sûre ! Cara redresse sa tête du bouillon de légumes qu’elle était en train d’ingurgiter avec appétit, regarde à gauche, à droite et se fige. De nouveau, on entend une branche qui frappe contre une autre branche, comme quand elle revient comme un coup de fouet après avoir été écartée. Ça vient de loin, mais nous l’avons tous entendu : je ne suis pas folle.

— Ne t’en fais pas, dit Cara : ça ne peut pas être le tapis-chat.

_____Je respire un peu plus doucement et je réfléchis deux minutes : oui, le principe de cette créature c’est qu’elle est tellement fine qu’elle peut se déplacer sans mal dans la forêt, donc en principe elle ne devrait pas faire de bruit. Ça devait être un écureuil, c’était sûrement un écureuil.

_____Cette nuit, comme toutes les autres depuis mon accident, je ne mets pas le cache-œil et je ne dors que sur une oreille.

Ksss !
— HEIN ?!

_____Je me réveille en sursaut, manquant de faire sauter Cara au plafond tellement je lui ai fait peur. Elle se bat avec sa couverture, perd en duel contre son oreiller, marmonne quelque chose d’un air paniqué au sujet de créatures à huit pattes pour finalement se réveiller tout à fait.

— Tu as entendu quelque chose ?

_____Elle m’a murmuré ça d’un ton rapide mais sérieux, pour bien me montrer qu’elle ne prend pas la situation à la légère et qu’elle a conscience que nous sommes au milieu de la forêt dans une île sauvage et pas dans un hôtel de luxe bien sécurisé. Je reste silencieuse, la tête aux aguets. Je suis sûre de l’avoir entendu, mais seul le gri-gri des cigales semble déranger le calme de la nuit.

_____Curieuse, je sors la tête de la tente et, m’aidant de l’éclairage plus que suffisant prodigué par les divers fruits phosphorescents, je scrute les environs à la recherche d’un signe, d’un mouvement… Ne voyant rien de bien menaçant, je décide de sortir complètement et je me relève entièrement, sur mes gardes, prête à affronter le moindre danger.

Rrrrraaaaaaaah… Pscccchhhhh…. Raaaaaaah….
— …

_____Le son provient bien de la tente de Suji, il n’y a pas d’erreur. Cara est sortie, elle aussi, et n’émet pas de commentaire. Je me sens toute bête, je voudrais m’excuser mais je n’ose même pas la regarder. Franchement, je suis vraiment nunuche : déjà que je ne les aide pas beaucoup mais si en plus je les empêche de dormir… Soudain, Cara se retourne, l’oreille aux aguets. Complètement réveillée, elle enfile une veste par-dessus son pyjama bleu clair à pompons tout doux, histoire de ne pas le déchirer en marchant trop près des ronces et autres inhospitalités. Sans rien dire, elle fait quelques pas pour contourner la tente, le plus discrètement possible. Je retiens ma respiration et je la suis du regard.

Kssss !

_____Là, le chat-fin lui saute littéralement dessus mais elle réagit au quart de tour : d’un coup de pied vertical, elle le fait… s’envoler ! Emporté par le vent, il volette entre les branchages, fais deux fois le tour d’un tronc puis atterrit en douceur en feulant et miaulant son mécontentement. Connaissant Cara, je sais que ses coups de pieds ne sont pas du genre à faire de la dentelle et pourtant, le monstre ne semble avoir subi aucun dégât. Il se déplace de manière très curieuse : parfois en crabe, parfois en serpent ; c’est une sorte de mélange des deux, c’est tellement rapide et tellement surprenant qu’on a du mal à le suivre du regard.

Mmaaawouuh !

_____Il fait le gros dos, les poils hérissés, il nous tourne autour en émettant des protestations, il gratte le sol. Je m’approche tout doucement de Cara, les mains bien en évidence comme pour montrer à la créature que je ne veux pas lui faire de mal. C’est vrai que c’est l’un de ses semblables qui m’a attaquée et lui j’en ferais bien une carpette mais il est hors de question de mettre tous les chats-fins dans le même panier, ce serait de l’espècisme ! … de la xénophobie ? Bon, peu importe : de toutes façons j’ai bien l’impression qu’il n’est pas foncièrement méchant… il essaie juste de nous faire peur. Au bout de quelques secondes, entre deux ronflements de Suji qui dort toujours aussi paisiblement, je fais part de mon analyse :

— Je crois qu’on est sur son territoire. On devrait s’éloigner.

_____Prenant Cara par l’épaule, je lui fais signe de reculer un peu et je la supplie du regard de me faire confiance. Bien qu’elle ait l’air d’être prête à en découdre, nous nous accordons tacitement sur le fait que la meilleure solution était pacifique et qu’il valait mieux éviter un combat que nous n’étions pas sûres de gagner. En plus, qui sait combien d’autres tapis-chat se terrent dans la forêt ? Si nous commençons à en combattre un, nous prenons le risque d’avoir tous les autres sur notre dos. Nous ne savons pas du tout comment ils vont réagir, alors il vaut mieux trouver un terrain d’entente tout de suite. Se prenant au jeu, Cara et moi reculons lentement jusqu’à ce que le fin félin ne nous suive plus. C’était long, c’était éprouvant, ça a semblé durer une éternité mais au moins nous avons l’impression d’avoir trouvé la limite de son territoire.

_____Nous marquons le lieu d’une croix sur le tronc d’arbre le plus proche : à partir de maintenant, c’est au-delà de ce point que nous passerons nos nuits.


_____Ah, et je crois qu’il va falloir réveiller Suji.
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Cher journal,

Tout est un petit peu flou. Je marche sur un pont de cordages étroit, très ancien et abîmé, complètement recouvert de lierre et de mauvaises herbes qui usent la structure et abritent toutes sortes de vilaines bêtes. Mais celles que je fuis sont bien plus terribles ! On dirait d'énormes bernard-l’ermite, mais avec de gros champignons de la taille d’un couvercle de poubelle à la place du coquillage et surtout... avec huit horribles pattes de tu-sais-quoi ! Ça ressemble bien trop à des tu-sais-quoi pour ne pas être considéré comme tel !!! Je ne veux pas qu'elles m'approchent alors je cours aussi vite que je peux sur le pont, mais il y en a d'autres qui me poursuivent ! Elles arrivent en face de moi, et au-dessus aussi, j’en vois même qui descendent grâce à leurs fils en agitant leurs pattes répugnantes ! Quelle horreur !!! Tant pis je saute, pas question que ces choses m'approchent et tant pis si je me tue en tombant ! J’enjambe la rambarde, et mon cri résonne alors que je tombe dans le vide...

... et je me réveille en réalisant qu'il ne s'agit pas de ma voix que j’entends, mais d'un cri de surprise poussé par Anatara !

Il ne me faut pas longtemps pour être totalement éveillée et prête à agir. S'il y a la moindre tu-sais-quoi de n'importe qu'elle sorte que ce soit, moi je saute dans le vide ! Tu es prévenu maintenant journal !!!
Heureusement, il ne s'agit pas de ça. Visiblement je ne suis pas la seule à avoir des rêves hantés par des créatures monstrueuses, et Anatara s'inquiète de la présence du tapischat -ou du chat-fin comme elle l'appelle-. Je ne peux pas le lui reprocher vu leur passif, et je préfère d'ailleurs écouter son instinct: que ce soit lui ou autre chose, autant s’en assurer maintenant que je suis réveillée. La jungle est pleine de dangers et nous avons déjà assez expérimenté douloureusement ce que coûte le manque de prudence.

Nous inspectons précautionneusement les alentours de notre campement surélevé. Toute la forêt baigne dans cette lumière jaune aussi poisseuse que l'air ambiant qui me donne l'impression d'être en fin d'après-midi un soir d'automne, alors que tout mon corps me dit qu'il est surement minuit passé et l'heure de dormir !
Alors que je me fais cette réflexion... Kssss ! La bête me saute dessus ! Par réflexe, avant même qu’elle ne me touche je frappe et la  le repousse d'un bon coup de pied ! Pas question de me laisser grignoter les orteils !! C'est une sensation étrange, un peu comme si j'avais frappé dans un drap. M’attendant à un nouvel assaut je prends ma posture de combat, tous les sens aux aguets.

Nous avions rarement eu l'occasion d'observer notre “monstre” d'aussi près. Il ressemble vraiment à un affreux et terrifiant matou plat avec sa mignonne petite tête ronde aux oreilles toutes pointues, son joli pelage noir satiné et ses petites pattounes avec des coussinets arrondis au bout desquelles pointent de petites gri-griffes acérées. Le félin, visiblement contrarié, se met à nous faire toute la démonstration de la parade du prédateur menaçant en gonflant son dos, hérissant sa queue au point de tripler son volume, et en se déplaçant devant nous d’un air agressif… Il se roule également par terre, se tortille, se met sur la tête, mais j’imagine que pour lui c’est très sérieux de faire ça.

Sans vraiment le faire exprès, j'adopte la même technique que lui en prenant une posture assurée, les mains sur les hanches et la poitrine bombée pour me donner de la contenance, et je m'exclame d'une voix sévère:

"- Vilain ! Pas mordre ! Pas griffer !"

La bête se hérisse de plus belle mais elle n'attaque pas. Anatara, elle, choisit une approche plus diplomate. Je n'ai vraiment pas envie de me bagarrer avec cet animal, c'est un coup à finir toute lacérée de partout que je gagne ou que je perde, aussi je me laisse guider lorsque mon amie décide de nous éloigner. Nous reculons prudemment sans quitter l’animal des yeux et en prenant garde de ne pas trébucher sur les nombreux obstacles végétaux au sol. L'horrible, affreuse, terrible bête nous suit sans cesser de nous fixer avec ses adorables yeux verts aux pupilles toutes écarquillées. Au cas où il lui sentirait l'envie de trop s'approcher, je lui lance de nouveau un sec:

"- Pas mordre, hein ?! Et pas griffer non plus ! C'est bien... bon ch... tapischat..."

Ça reste entre nous journal, mais j'ai toujours préféré les chiens ils sont beaucoup plus fiables.
Finalement le félin nous repousse jusqu'à la limite de son territoire, mais Anatara et moi nous plaisons à penser que c'est simplement nous qui l'avons incité à nous montrer sa zone de confort dans un échange diplomate, d’égal à égal, et que les deux partis y sont gagnants. En tout cas c'est ce que je raconterai quand je parlerai de cette histoire, et je te prie de croire que je suis toujours très objective dans mes récits, journal !
Alors que nous nous félicitons de nous en être aussi bien arrangées, l'évidence s'impose à nous:

"- J’imagine qu’on va quand même devoir y retourner pour récupérer Suji et nos affaires ?”

Notre compagnon ronfle comme une bûche et n'est pas très sensible à nos "Psssst ! Sujiiii ! Psssst !!". Je n'ose pas non plus appeler trop fort de peur d'attirer un des nombreux autres prédateurs qui rôdent dans la forêt la nuit et ne sont jamais loin. Le tapischat, lui, monte la garde et il ne semble pas avoir très envie de nous laisser revenir réparer notre oubli. Il s'est replié hors de notre portée, mais je vois très bien son adorable petite tête de chat et ses grands yeux qui nous guettent dans l’ombre !
Je chuchote à l'intention de mon amie (je parle à voix basse des fois que le monstre comprenne ce qu'on se dit. Après tout il comprend "pas mordre", alors pourquoi pas "on va le feinter" ? Bien sur que si, c’est parce qu’il m’a comprise qu’il n’a pas attaqué ! J’ai le pouvoir de la voix moi journal ! Celle qui me permet de me faire obéir quand je dis "assis !", "couché !" et "va me chercher un autre thé, sbire !"):

"- Tu veux bien rester ici pour le rassurer en lui montrant qu’on ne l’envahit pas ? Je vais me faufiler rapidement et discrètement jusqu'à notre campement."

A mon tour de lui demander de me faire confiance. Je suis désolée de laisser mon amie et sa jambe encore fragile toute seule, mais je ne peux pas non plus lui laisser prendre le risque d’y retourner et nous devons faire quelque chose car Suji est toujours en danger. Le pire c’est que s’il est blessé, ni Anatara ni moi ne pourrons le transporter ! De toute manière je n’en ai que pour quelques minutes: après tout je ne sais peut-être pas me contorsionner entre les arbres de la jungle comme un tapis, mais je n'ai rien à envier au félin question vitesse ! D'un soru rapide (mais néanmoins particulièrement bien exécuté, en toute modestie je lui attribuerai un petit 19,5/20, uniquement parce que le rokushiki en pyjama c'est quand même moins élégant. Quand bien même je suis parfaitement distinguée même en pyjama !), je me déplace jusqu'à notre campement. Je me faufile jusqu'à la tente de Suji et trouve ce dernier toujours à rêver... sûrement à des muscles, de concours de force, de la fois où il a gagné le concours d'abattage de tronc lors de la dernière course de weavers, ou bien de moustaches.
Je ne résiste pas à l'envie, en voyant ses pieds dépasser de sous sa couverture, de prendre une petite branche dans la main et de commencer à les lui griffouiller gentiment. Hi hi hi ! Notre ami tout en muscles réagit instantanément et se relève brusquement, faisant voler ses couvertures, arrachant sa tente pourtant solidement fixée à notre abri au-dessus du sol, et se révélant dans toute sa splendeur musculeuse avec pour seul vêtement un caleçon aux motifs navrants ! Je me sens gênée l’espace d’une seconde, avant de me dire que j'ai tellement l'habitude de le voir torse nu que la différence n’est pas si grande et que ça ne vaut pas le coup de me culpabiliser pour si peu. Si encore ça avait été sa sœur Jumanji...

"- Où est-il ?!" Rugit Suji. "Approche, monstre ! Je n'ai pas peur des prédateurs ! Déjà une fois, alors que je..."
"- Chuuuut, Suji, c'est moi. Il faut que nous récupérions discrètement nos affaires et que nous nous en allions rapidement, nous sommes sur le territoire du tapischat."
"- Pardon ?!"

Comme pour illustrer mes propos, un bruissement se fait entendre dans les branches juste au-dessus de nous. Nous échangeons un regard, puis Suji semble comprendre l’urgence de la situation et se contente d’obtempérer: il s'empresse de replier nos tentes tandis que je réunis nos paquetages. Heureusement nous prenons toujours bien soin de ranger correctement nos affaires et l'opération ne dure que quelques minutes. Nous entreprenons ensuite de parcourir le chemin jusqu'à la sortie, là où est restée notre amie...

"- Là... voilà... gentil tapischat... pas mordre..."

En signe de bonne volonté, je tire de l'un de nos sacs un emballage de papier journal contenant un peu de viande séchée que j'ouvre et que je dépose au sol.

"- Voilà, c'est pour toi. Gentil tapischat. C'est biennn ♫"
"- Vous ne devriez pas faire ça vous savez." Me dit Suji. "Chez moi on a tendance à dire que si l'on nourrit les chats errants ils ne vous lâchent plus. J’adore les animaux, et il ne sera jamais dit que j’ai abandonné un petit animal dans le besoin, mais celui-là me paraît dangereux."
"- Mais là ce n’est pas un chat, c’est un tapischat ! Un gros spécimen sauvage et tout plat ! Ce n'est pas vraiment la même chose, si... ?"

Un éclair noir passe devant nous, le feuillage bruisse, et l'instant d'après le morceau de journal et son contenu ont disparu. Nous n'entendons plus qu'un bruit de papier que l'on froisse quelque part non loin de nous...

Nous nous éloignons sans demander notre reste et rejoignons Anatara sans encombre, soulagés de nous en sortir intacts cette fois !
Il s’agit maintenant de trouver un endroit pour s’installer et passer la nuit. Il est malheureusement hors de question de nous aventurer trop profondément dans la "clairière" des tournesols à cette heure à cause du risque d'y croiser des animaux féroces, et nous attendons donc un peu misérablement l'arrivée du jour perchés sur une branche d'arbre, en essayant de nous faire les plus discrets possible.
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_____Quitter le territoire du chat-fin n’a pas résolu tous nos contentieux avec la faune locale. Dès les premières minutes, nous sommes agressés par une armée de petites bestioles noires, sans doute des fourmis. Ce n’est pas très évident de voir ce qui nous attaque avec l’obscurité ambiante mais nous sentons quand même des petites choses grouiller à nos pieds, nous mordiller des chevilles et certaines vont même jusqu’à escalader nos jambes. Nous paniquons, ne sachant comment réagir face à cet adversaire invisible. Je gigote sur place, j’essaie de m’en débarrasser en les écrasant de mes mains mais rien à faire : elles sont trop nombreuses.

_____Finalement, c’est Suji qui nous sauve la mise en nous criant « Venez avec moi ! » : ayant escaladé un arbre, il a fabriqué une plateforme de fortune (en très exactement quarante-sept secondes trente-deux, ce qui établit un nouveau record) sur une branche plus grosse que les autres et nous fait de grands gestes pour nous inviter à le rejoindre. Moi, je ne me le fais pas dire deux fois : j’escalade le tronc tellement vite que j’aurais tout aussi bien pu courir dessus ; après tout la gravité c’est relatif et ça l’est d’autant plus quand on est en train de se faire dévorer tout cru par des bestioles dont la morsure est potentiellement porteuse d’une maladie ou imbibée d’un poison mortel.

_____Lorsque j’arrive enfin à me hisser à leur niveau, Cara et Suji sont déjà là et se frottent avec frénésie pour se débarrasser des derniers nuisibles qui restent accrochés avec vice et acharnement. Je m’empresse de faire de même et, soulagée de ne plus sentir de morsure nulle part, j’inspecte mes jambes à la recherche de morsures et… c’est tout gonflé de partout ! Aaahhh, au secours !, et ça gratte en plus ! Mes pauvres jambes… Je vois que mes deux compagnons ne sont pas mieux logés que moi et je m’empresse d’appliquer la crème que me tend Cara –j’ai pris ça pour les piqûres de moustiques, me dit-elle. Je ne sais pas si c’est vraiment indiqué pour notre situation mais ça me gratte tellement que je n’ai pas le temps de réfléchir ! Heureusement pour ma santé mentale, au bout de quelques minutes qui nous semblent durer des heures, la sensation de démangeaison finit par disparaître et Cara et moi pouvons nous arrêter de nous tenir les mains parce que pendant tout ce temps, nous étions restées assises face à face, chacune empêchant l’autre de se gratter. Épuisés, nous nous affalons du mieux que nous pouvons sur cet abri improvisé pas si stable que ça, et personnellement je n’ai plus spécialement envie de dormir, avec tout ça.

_____Cara, elle, essaie de somnoler un petit peu mais je sens qu’elle attend juste que le soleil se lève, ce que je ne trouve pas franchement logique parce qu’avec toute cette végétation il n’y a pas beaucoup plus de lumière le jour que la nuit… Quant à Suji, il surveille les petits êtres qui dessinent des cercles concentriques autour de notre arbre, comme s’ils voulaient l’assiéger. Heureusement pour nous, les arbres et les fourmis ont évolué ensemble sur cette île et au fur et à mesure que les fourmis sont devenues de plus en plus nombreuses et résistantes, les arbres ont développé toute une panoplie de systèmes de défense à base de fumées qui piquent les yeux et tuent les insectes, de fruits qui attirent les hérissons (qui mangent les fourmis) et autres dispositifs aussi incompréhensibles que redoutables. Pour ces raisons, les insectes ne tentent pas trop longtemps de nous poursuivre jusqu’en haut : nous sommes sauvés !


_____Une semaine et deux allers-retours à notre base plus tard, alors que sommes de nouveau en train de quadriller la clairière des tournesols, je tombe sur quelque chose de suffisamment étrange pour appeler mes deux camarades.

_____Il s’agit d’une sorte de colline, un relief bien marqué sur lequel les tournesols ne poussent pas. À la place, s’y développent des moisissures et des champignons, entourés par beaucoup trop de moustiques géants pour que je puisse regarder de plus près sans risque. Les moustiques ne sont pas dangereux en eux-mêmes : la plupart du temps, ils nous ignorent et se méfient de nous. Ils essaient de nous éviter le plus possible, mais quand on s’aventure trop près d’un de leur nid ou quoi que ce soit de précieux à leurs yeux, ils peuvent se décider à nous attaquer tous en même temps et là c’est vraiment l’enfer !

_____Imaginez-vous attaqués par un essaim de moustiques qui bizzent et qui battent des ailes et qui mordent et qui se posent sur vous et qui sont nombreux… déjà là c’est horrible mais si en plus chacune de ces maudites bestioles fait la taille d’un poing, vous mourrez d’une crise cardiaque tout de suite, je peux vous le garantir !

— Hééé, Caraaa, Suuujiii : VENEZ ! J’AI TROUVÉ QUELQUE CHOSE.

_____Gros silence de mort, suivi par le croassement désapprobateur d’un corbeau qui se répète, quatre fois : « Crââaa, crâa, crââa, craaa. » Là, je me sens terriblement vulnérable et terriblement seule. Je sens que toute l’attention de la clairière s’est focalisée sur moi et que tout le monde me regarde, je me sens épiée. J’ai l’impression que le monde autour de moi c’est arrêté et que la clairière retient sa respiration pour mieux m’observer. Là, un bruissement ! Une silhouette qui disparaît entre les tiges ! J’essaie de la suivre des yeux mais c’est bien trop rapide : à peine une fraction de seconde. Était-ce mon imagination ? Cela fait quelques jours que j’ai l’impression d’être suivie et jusque-là je m’étais dit qu’il s’agissait du tapis-chat-fin mais maintenant que nous avons réglé nos différends, il ne devrait pas avoir de raison à s’en prendre à nous, si ? Alors c’était quoi, cette ombre ? Un tapis-chat ? Pire ? J’ose à peine l’imaginer … Je n’ai pas rêvé, quand même ?

Anaaa ?

_____J’entends une voix qui s’éteint, toute petite, toute timide. Elle est ma lumière dans le noir, elle brise agréablement ce silence bien trop oppressant qui s’était installé depuis mon cri.

— Anataraaa ? TU ES OÙÙÙ ??
— Je suis là !

_____Maintenant, la clairière me semble de nouveau normale. Je ne suis pas seule, les insectes et les fleurs me regardent, certes, mais avec la plus complète indifférence et bientôt Cara surgit de nulle-part, à moitié essoufflée et à moitié rassurée. D’un coup de pied, elle se débarrasse de deux tiges de tournesols collants qui nous empêchent de bien nous voir et m’adresse un sourire qui révèle tout de son excitation.

_____« Viens, suis-moi » lui dis-je en profitant de sa présence pour m’approcher de ma découverte. À vrai dire, j’aurais pu y aller toute seule mais vous savez, avec ma jambe, je préfère que Cara soit là au cas où les moustiques péteraient encore un plomb. Dès que je juge que nous sommes assez près, je pousse un soupir d’admiration, n’arrivant pas tout de suite à réaliser ce qui vient de se passer. Je tombe à genoux et, les larmes aux yeux, je prends Cara à témoin pour lui montrer ce qui se trouve devant nous :

— Cara, on a trouvé ! C’est ici !

_____Au début elle semble dubitative et silencieuse mais, dès que je prononce cette phrase magique, elle me crois sur parole, prononce un petit « vraiment ? » auquel je réponds par un hochement de tête désabusé et saute littéralement de joie :
— Ouais, à nous la montagne de fric ! Nous sommes riches, Anatara ! Nous avons réussi, tu te rends compte ?
— Cara, je…

_____Puis c’est Suji, toujours à la ramasse, qui fait son arrivée fracassante. Mais lui, il comprend tout de suite :

— Je suis là ! Que s’est-il passé ? Oh… Oh non…

_____Il secoue la tête, comme s’il pouvait révoquer la réalité de ce simple geste et remplacer ce que nous avons trouvé par ce que nous cherchions. À ce moment, alors qu’elle découvre ce qui se trouve derrière moi, je vois Cara perdre son sourire et passer de l’excitation la déception, une métamorphose qui me fend le cœur.

_____« Tu… tu es sûre que c’est là ? », demande-t-elle timidement comme si elle voulait que je lui dise que ce n’était pas vrai, que c’était une mauvaise blague et qu’on était encore en train de faire un mauvais rêve. « Oui », je confirme, et sans un mot je retourne à la contemplation de ce qui m’a décidée à les appeler.

_____Un dépôt d’immondices en état de décomposition avancé, de la boue, de la crotte, des insectes et, parfois, des traces imperceptibles d’une civilisation disparue.

_____Ici, un morceau de marbre effrité, dernier vestige de ce qui avait été autrefois une colonne imposante et majestueuse. Là des pierres plus ou moins carrées qui n’ont rien à faire là, et, surtout, du papier. Le papier, si vous le jetez par terre et que vous revenez huit cent ans plus tard, vous pouvez vous attendre à ce qu’il n’en reste rien. Mais pas ce papier-là. Celui-là, il faut croire qu’il a été traité tout spécialement pour faire face au mauvais temps, à l’enterrement prolongé et aux morsures d’insectes. Ce que nous avons devant nous, c’est une montagne de papier, un papier tellement décomposé et tellement réduit en bouillie qu’on dirait de la terre, voire un marécage.

_____Mais cette bouillasse noire et verte, ce n’est pas de l’eau croupie, non : c’est de l’encre. Nous pouvons le dire à l’œil. L’odeur, ça ne nous aide pas parce qu’entre nous ça sent bien la merde mais par contre la vue, ça ne trompe pas. Par moments, nous pouvons apercevoir des petits triangles de papiers qui ne sont pas encore décomposés et, en s’approchant de plus près, nous avons pu voir une boucle de cheveux dessinée sur l’un d’entre eux. Pas de doute, nous l’avons trouvée.

_____Devant nous se trouve la montagna de fricus.
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"- Ça suffit Gargamel ! Les autres vont finir par s'en rendre compte si je te donne toutes nos provisions !"

Indifférent à mes supplications, Gargamel pousse un sifflement qui signifie sans équivoque: "j'en veux encore !"

"- Bon, juste un morceau alors. Mais c'est le dernier !"

Alors que je fouille dans mon sac, je sursaute en entendant mon nom ! D'un air coupable je me retourne, jette des regards inquiets autour de moi, mais ne vois personne d'autre que le grand et plat tapischat noir que j'ai prénommé Gargamel. Par précaution je garde un moment le silence avant de chuchoter à l'intention du félin:

"- Voilà ton morceau de viande. Maintenant, file !"
"- Kssssss ♪"

Cela fait une semaine que le tapischat me suit et vient régulièrement quémander de la nourriture que je lui donne en cachette, à l'insu de mes compagnons. Oui, oui journal, Suji avait raison et j'avais tort, je n’aurais jamais dû nourrir cet animal sauvage et maintenant je lui donne de mauvaises habitudes ! Mais Gargamel est tellement mignon avec ses petits miaulements, son joli pelage, ses oreilles pointues... et tellement terrifiant aussi avec ses longues griffes et ses crocs ! J’ai encore en tête la vilaine blessure qu’un de ses congénères a infligée à Anatara… Difficile de lui refuser !

Le glouton des bois ayant disparu entre les arbres avec son butin, je m'inquiète à présent de savoir pourquoi on m'a appelée ! La plupart des prédateurs de la jungle suivent un rythme nocturne, sans doute un instinct conservé malgré la spécificité de l'île, mais il en reste bien assez la journée pour que l'un d'eux ait pu attaquer mes compagnons ! Heureusement Anatara n'est pas trop loin et je la rejoins vite. Je l'avais rarement vu aussi euphorique alors qu'elle m'annonce qu'elle... a trouvé le mausolée !!!

Tu conviendras, journal, qu'il est légitime que j'émette une certaine réserve. Le lieu qu'elle m'indique ne m'inspire pas trop avec tous ces champignons et ses nuées de moustiques... tu comprendras aussi pourquoi c'est un des derniers endroits que nous avons explorés ! J'hésite, mais Anatara est sûre d’elle. C’est vrai qu’il y a beaucoup d'indices. D'ailleurs en y réfléchissant ça devient logique: la raison pour laquelle nous ne trouvons pas la tombe de la reine, la raison pour laquelle personne n'y a réussi depuis des siècles, c'est que la végétation qui pousse si rapidement ici a eu vite fait de tout recouvrir ! Je lui saute au cou:

"- Tu as trouvé ...! Bravo Anatara !!! À nous le trésor !"

Je ne peux pas m'empêcher de consulter la carte encore et encore, et de laisser mes yeux parcourir les dessins, les indications, ses inscriptions énigmatiques et les promesses de richesses qui deviennent enfin réalité ! "Kalida traesorum maxima pecuniam, montagna de fricus", "plena richessorum",... il me semble qu'il s'est écoulé une éternité depuis que nous avons déchiffré ces signes dans la boutique qu'Anatara occupait alors ! Après avoir passé autant de temps à voyager et à le chercher, le trésor est peut-être enfin là devant nous !

♦♦♦♦

Le plus étrange, c'est la composition de la montagne en elle-même. Je n'arrive pas à comprendre pourquoi la végétation a été remplacée par ce qui ressemble à des tas de petites feuilles de papier délavées, usées par le temps et l'humidité, et tellement pourries qu'elles sont la cause de la prolifération des champignons ! C'est Anatara qui finit par comprendre et par m'expliquer: la "montagna de fricus" c'était à prendre au sens littéral ! Le mausolée de la reine Kalida a littéralement enterré sous une montagne de billets !!! C'est tellement dément que je n'arrive même pas à l'expliquer... quelle folie a bien pu conduire les sujets d'une reine à déverser des monceaux de richesses ici ?! Etait-ce un rituel courant ? Après tout enterrer les trésors dans la tombe avec le défunt plutôt que de les accumuler à l’extérieur ce n’était peut-être pas évident pour tout le monde ? Ou alors peut-être que l'auteur du concept d’empiler des billets sur une tombe était le même genre de génie que celui qui a eu l'idée d'inciter les gens à jeter des pièces dans les fontaines ?

Hélas ces billets sont tous inutilisables. Même ceux situés plus en profondeur dans le tas ne sont plus que des amas de pourriture qui se décomposent dans nos mains. C’est déjà un miracle qu’ils aient résisté aux caprices de la météo et des années ! Mais c’est sans regrets pour nous: les billets n'ont de valeur que parce que l'état qui les émet fait office de garantie, et ceux d'un royaume disparu depuis longtemps ne valent même pas le papier sur lequel ils sont imprimés. Ne t'en fais pas journal, il nous reste au moins la légendaire couronne d'émeraude à trouver et je compte bien qu’elle ne soit pas en papier !

Après avoir inspecté la zone, nous pensons avoir délimité à peu près l'étendue du mausolée et avoir une vague idée de sa disposition. Difficile d'être précis, mais il devait y avoir une allée avec des colonnes au devant avec une cour, et la grosse montagna de fricus doit occuper l'emplacement du bâtiment principal, de forme plus ou moins rectangulaire. Cet édifice, si on se fie aux dimensions de la colline, fait au moins une quarantaine de mètres de largeur et reste très difficile d'accès par endroits à cause de l'abondance de végétation, des essaims de moustiques et surtout de l’épaisse couche de papier ! Nous passons un long moment à chercher l'entrée jusqu'à ce que Suji nous propose:

"- Et si nous percions simplement une ouverture ? Je pense que la véritable entrée a été engloutie depuis longtemps, mais nous pouvons passer par le toit ou par un des murs."

Je le dévisage avec de grands yeux ronds, outrée qu'il puisse suggérer d'abimer un bâtiment aussi ancien, une tombe qui plus est ! Et puis... en y réfléchissant, je me dis qu'il n'a pas tort. J'ignore si cela est dû à la croissance de la végétation qui a fini par remplacer les couches successives de terrain ou si c'est le mausolée qui s'est enfoncé dans la terre au fur et à mesure de son oubli, mais tout porte à croire que la porte -qui de toute manière a sûrement été scellée- repose sous une couche de terre, de racines et de champignons. Et puis quitte à piller le trésor d'une morte, j'imagine que nous ne sommes plus à ça près dans le vandalisme !"

"- Bonne idée Suji ! Je ne pense pas que quelqu'un nous en tienne rigueur de toute manière."

Tandis que notre compagnon commence à déblayer un espace à la base de la colline de papier, Anatara et moi retournons à notre bivouac afin d'y récupérer du matériel. Nous ne démontons pas les tentes qui pourront encore nous servir (je refuse de dormir à proximité d'une fange remplie de moisissures et de moustiques !), et emportons nos pelles, pioches, haches, cordages ainsi que de la nourriture.

A notre retour nous retrouvons notre bûcheron torse nu, en train de suer à grosses gouttes alors que des morceaux de végétation volent dans tous les sens autour de lui ! Haaan ! Tchac ! Regardez-moi ces beaux muscles ! Et ce mouvement élégant de la hache qui vient tailler le sol avec un angle parfait ! Quel art !
Après un travail acharné, Suji nous présente fièrement un magnifique carré d'un mètre cinquante de côté parfaitement ratiboisé, délesté de son épaisse couche de papier et de ses champignons, ses racines et autres mauvaises herbes qui l'envahissent. En dessous nous découvrons un mur de pierre d'un autre âge, usé et sali par le temps mais malgré tout encore debout. Équipé d'une pioche, notre ami expert en gros travaux se remet à la tâche...

Certains diraient que ce n'est pas très courageux de notre part de laisser l'homme du groupe travailler pendant que nous ne faisons rien. Mais pas toi journal, tu ne te permettrais pas des remarques aussi désobligeantes n'est-ce pas ?! D'ailleurs si on le laisse faire c'est uniquement parce que ça froisserait son ego s’il ne pouvait pas faire la démonstration de ses talents physiques ! Ça, et puis c'est lui l'autochtone alors il est bien plus habitué que nous à travailler dans ce climat étouffant ! D’ailleurs pendant ce temps nous chassons les moustiques, c'est un travail aussi éprouvant et très ingrat !

♦♦♦♦

Cher journal,

Ils faisaient de bonnes constructions à l'époque de la reine Kalida ! Bon, ils n'étaient pas prévoyants en matière de gestion à long terme de leurs édifices et personne chez eux n'a visiblement songé à l'entretien que ça demanderait de s'installer dans une forêt à croissance rapide, mais au moins les murs de leurs mausolées sont solides ! Il nous a fallu du temps à tous les trois pour aménager une ouverture capable de nous laisser entrer ; nous avons dû  renoncer pour ce soir et reprendre notre travail le lendemain, et ce n'est que dans l'après-midi du lendemain que, enfin, nous parvenons à faire sauter un pan du mur et à aménager une entrée vers l'intérieur !

Impossible d'y voir quoi que ce soit à travers notre ouverture si ce n'est du noir, du noir et encore du noir. Cette obscurité contraste énormément avec la lumière que nous subissons en continu depuis des semaines, mais elle provoque chez moi un sentiment de désir étrange... Elle me fascine, me fait envie... je donnerais n'importe quoi pour pouvoir passer une nuit dans l'obscurité totale !

Pour commencer, nous accrochons un morceau de plante brillante à une corde que nous glissons dans le trou. La plante-lampe n'éclaire rien tout d'abord, puis une lumière chaude et jaune finit par se répandre en bas, révélant un couloir en vieilles pierres envahi de tas de papiers. Il y a des billets partout, en pyramides, en cubes, étalés sur le sol, transformés en bouillie...!! Il y en a des délavés, des moisis, des presque intacts ! J'ignore toujours qui était cette Kalida mais je suis à présent persuadée qu'elle avait une obsession malsaine pour l'argent !!!

La pièce n'est pas très profonde, sans doute pas plus d'un mètre en dessous du niveau du sol. Je me dévoue pour passer la première, et aidée par la corde que nous fixons solidement à l'extérieur je me laisse glisser jusqu'en bas. Le sol est poisseux et humide, j'ai l'impression de marcher sur une pâte molle et collante dans laquelle je m'enfonce jusqu'aux chevilles ! Sploutch, sploutch ! Ce n'est vraiment pas comme ça que j'imaginais mon exploration du mausolée ! Pour la nuit dans le bâtiment on repassera en tout cas si toutes les pièces sont comme ça.
A l'aide d'une nouvelle plante lumineuse j'éclaire autour de moi, et constate que je me trouve dans un petit couloir ni très haut ni très large, dont les deux extrémités se poursuivent dans le noir. Je suis bientôt rejointe par mes compagnons qui apportent avec eux plusieurs brassées de plantes qui nous permettront d'illuminer le mausolée et de baliser notre chemin afin de ne pas nous y perdre.

Malgré l’inconnu j'ai le cœur qui bat à toute allure et un sourire ravi illumine mon visage. Ça, c'est le véritable plaisir d'une aventure ! Il ne s'agit plus de chercher au hasard un hypothétique mausolée indiqué par une carte que l'on suppose vraie: nous y sommes pour de bon !

"- L'escalier à gauche a l'air de descendre. On commence par là ?"

Equipés en quantité raisonnable de cordages et outils pour déblayer notre chemin, plusieurs plantes-lampes dans les mains, nous descendons précautionneusement les marches en prenant garde à ne pas glisser sur la bouillie qui tapisse le sol et qui rend notre progression périlleuse !

L'escalier descend dans les profondeurs et fait visiblement le tour du bâtiment. Sans tous ces tas de billets qui traînent et se décomposent un peu partout il serait surement bien plus rapide à parcourir !
Alors que nous posons le pied sur une marche un peu plus large que les autres, nous entendons très distinctement un "clac" raisonner dans le couloir. Soudainement toutes les marches de l'escalier basculent, pivotent, et nous entraînent vers l'avant, droit vers un gouffre hérissé de pieux qui s'ouvre devant nous ! Les monceaux de papier sont emportés eux aussi, comme une marée, un tourbillon qui nous entraîne vers son centre ! J'ai déjà des billets poisseux jusqu'à la taille et je suis bien trop empêtrée pour tenter d'utiliser mon rokushiki ! Anatara essaie de se servir de sa corde, Suji tente de nager le crawl, mais en vain ! Et puis tout à coup... plus rien. Rempli à ras bord de tous les billets qui nous ont précédés, le trou visant à accueillir les victimes du piège est tellement bouché que nous ne nous y enfonçons même pas !
Je regarde tour à tour mes compagnons et le trou obstrué avec une expression fautive. Bien sûr je suis soulagée, on a eu très chaud, mais j'ai un peu l'impression de ne pas jouer le jeu et d'avoir tout gâché en ne laissant pas le piège agir comme il le devrait. Tu en penses quoi journal ? C'est un peu de la triche non ? Un peu hagards, nous nous dépêchons en tout cas de nous extraire de là et de reprendre notre route. A présent l'escalier est terminé et le couloir avance en ligne droite. Ça sent le trésor journal, crois-moi !
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_____Noires. Oppressantes. Silencieuses, indécentes. Les entrailles de l’histoire nous ont avalés tout cru. Nous avons peur. Nous nous sommes rapprochés sans le remarquer, nous brandissons nos lampes comme des talismans qui pourraient nous protéger du mal et nous avançons lentement, pas à pas, avec mille précautions.

_____Au début, nous étions très excités. Moi parce que, passée la déception d’avoir trouvé une montagne de détritus à la place d’une montagne de fric, j’ai compris que la partie n’était pas encore terminée et que la reine Kalida était loin de nous avoir livré tous ses secrets. Cara l’était pour les mêmes raisons, et je l’ai même vue s’enfoncer dans le noir, mue par quelque force hypnotique et irrésistible. Enfin, pour Suji, je crois que c’est l’occasion de mettre à l’épreuve sa musculature qui le ravissait au plus haut point. Et des occasions, il en a eues, par exemple à chaque fois que des pièges se sont déclenchés et que le plafond nous est tombé sur la tête ou encore qu’une pierre bien ronde et bien géante nous a roulé dessus à toute vitesse.

_____Après le énième piège, nous avons commencé à prendre plus de précautions, mais pas Suji. Malgré nos avertissements, il semblait déclencher tous les mécanismes mortels volontairement, juste pour voir s’il serait capable d’y résister ou pas. Sauf qu’au bout d’un moment, c’est le sol qui s’est dérobé et il est tombé dans le noir, « waaaaaaah ! ». Depuis, plus de nouvelle de lui.

_____Confiantes quant à ses capacités à s’en sortir tout seul, nous avons décidé de contourner le trou béant, ténébreux et terrifiant dans lequel il avait disparu pour continuer notre exploration des lieux, et nous voilà livrées à nous-mêmes, dans un endroit peu avenant que je voudrais fuir de toutes mes forces. Franchement, mon instinct ne me trompe presque jamais et là, il me dit de partir le plus vite possible. Et pourtant, je continue l’exploration auprès de Cara comme si de rien n’était. Je sais que quelque chose cloche et ne va pas du tout, je sais que nous nous sommes jetés dans un piège bien plus terrible que tous les autres mais je ne saurais pas dire pourquoi ni comment. Bref, j’ai un très mauvais pressentiment.

_____D’après les différentes fresques que nous avons trouvées sur les murs, nous ne sommes pas vraiment dans un mausolée mais plutôt dans un palais, et il s’étend sur quatre étages : le sous-sol où a disparu Suji, un rez-de-chaussée où nous nous trouvons et deux étages. Nous continuons à longer les murs, ne sachant pas vraiment à quoi nous attendre et, mécaniquement, nous déposons une lampe sur le sol dès que celle d’avant n’est plus visible. De cette manière, nous sommes sûres de ne jamais nous perdre bien que nous risquons de tomber rapidement à cours de lampes. Enfin bon, ce n’est pas vraiment ce qui manque sur cette île alors je suppose que ça ne devrait pas trop poser de problèmes.

_____Tout est calme. Silencieux. Depuis qu’il n’y a plus une certaine personne pour déclencher tous les pièges, il ne s’est absolument plus rien passé. C’est… trop facile. Je ne sais pas pourquoi, mais je sens que ça cache quelque chose. Et puis, j’ai toujours cette étrange impression de me sentir épiée. Soudain, je me rends compte de ce qui ne va pas depuis le début.

— Ah, mais c’est quoi ça ?!

_____Une dizaine de petits scarabées, dérangée par la soudaine lumière, nous file entre les jambes et disparaît dans l’obscurité, nous arrachant un cri de surprise à toutes les deux. Mais… maintenant que j’y pense… comment ça se fait qu’on n’ait pas rencontré plus d’insectes ? Normalement, il devrait y avoir des moustiques partout, des cloportes, des fourmis, des araignées ! Vu comment c’est à l’extérieur cet endroit devrait être littéralement envahi de bestioles, alors pourquoi est-ce qu’il n’y a pas âme qui vive ? Ce n’est pas vraiment que je m’en plaigne, mais je trouve ça louche. Est-ce qu’il n’y aurait pas, pas hasard, une raison pour laquelle aucune trace de vie ne soit détectable à l’intérieur de ce palais, même après plus de huit cent ans ?

_____Non, je n’y crois pas, c’est moi qui me fais des idées, n’est-ce pas ? Je suis parano, c’est sûr. Quand j’en parle à Cara, elle ne semble pas si étonnée que ça : peut-être que le bâtiment était tellement bien scellé qu’il n’y avait pas moyen d’y entrer, et puis de toute façon il n’y a rien à manger donc ce n’est pas intéressant pour les insectes… et puis c’est mieux comme ça, non ? D’accord Cara, mais n’empêche que je trouve ça étrange…

_____Tout à coup, un cri d’outre-tombe résonne entre les murs, puissant, décharné :

Waaaaaaah !

_____Cara et moi sursautons, toutes deux aux aguets. « Tu as entendu ? », je demande histoire d’être sûre que ce n’est pas mon imagination qui me joue des tours. Mais oui, elle a bien entendu et je n’ai pas rêvé. « Tu crois que… c’est un fantôme ? » Cara secoue farouchement la tête. Mais non voyons, ça n’existe pas les fantômes. Les fantômes c’est dans les légendes, le seul truc qu’il y a dans ce bâtiment c’est un trésor, et on va le trouver. Un peu rassurée, je hoche la tête et je trouve tout à coup une autre fresque sur le mur :

— Cara, regarde !
— C’est quoi ? On dirait…
— Des symboles…
— Carré, triangle, rond…
— Attends, ne touche pas !

_____Trop tard. Dans un bruit de la fin du monde, les briques du mur se réagencent et révèlent un trou béant, prêt à nous avaler. Et là, le cri résonne de nouveau. Beaucoup plus proche, beaucoup plus vibrant.

Waaaaaaaah !

_____« Courage, fuyons ! » Je prends Cara la main, ramasse la dernière lampe que nous avons déposée par terre et nous plaque contre le mur au premier virage venu, prenant le temps de réfléchir et d’analyser la situation. Mince, mince, mince… Qu’est-ce qu’on va faire, c’est un fantôme on est foutu est-ce qu’on va mourir ?

— Anatara, tu vas m’écouter ou non ?
— Hein, quoi ?
— C’est Suji !
— Suji ?
— Les cris. C’est sans doute Suji qui se fait poursuivre par un rocher trop gros pour lui.
— Ah bon.

_____Après quelques instants de réflexion, nous ne pouvons retenir un gloussement qui finit par dégénérer en fou rire. Nous sommes deux filles paumées au milieu d’un bâtiment truffé de pièges et englouti sous une montagne de papiers depuis plusieurs siècles, seules dans le noir et probablement en danger de mort imminent mais tout va bien. Il n’y a pas de fantôme.

_____Revenant sur nos pas, nous regardons le trou béant qui s’ouvre face à nous. Apparemment, il donne sur un escalier en colimaçon qui permet à la fois de descendre et de monter. Après avoir consulté Cara du regard, je m’avance la première, lampe phosphorescente brandie en avant, et j’entame la descente vers les sous-sols où se trouve encore notre compagnon égaré.
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Cher journal,

La dernière demeure de la reine est bien plus vaste que prévu ! Nous enchaînons les couloirs et les escaliers sans trop savoir ou nous allons, traversant de grandes pièces désertes dans lesquelles nous trouvons parfois quelques restes de vaisselle et de poteries brisés, des pièges désactivés, ou encore des colonies de moisissures tellement importantes que je les imagine déjà en train de développer leurs micro-sociétés et de planifier, à leur échelle, la conquête du monde ! Mais surtout nous tombons sur des tas, des tas et des tas de billets en décomposition !
Cela fait drôle de s'imaginer que des gens ont pu vivre ici, trouver ces endroits familiers, aimer ou détester toutes ces pièces que nous découvrons avec curiosité...

J'ai perdu le compte du nombre d'étages que nous avons descendus. Je croyais que nous parcourions des sous-sols mais plus nous avançons et plus nous acquérons la certitude de nous trouver dans une grande demeure, sans doute un palais autrefois habité et qui aurait été englouti au fil des siècles. Nous serions alors entrés par le dernier étage, le seul qui soit resté encore émergé ? Ça paraît crédible même si ça n'explique toujours pas la raison de tous ces empilements démesurés de richesses.
Et pour les pièges installés dans un palais ou des gens sont censés avoir vécu ? Mais non journal, ça c'est parfaitement logique ! Nous sommes dans un monument oublié abritant un trésor, évidemment qu'il doit y avoir des pièges ! Tu n'y connais rien à la chasse au trésor mon pauvre !

Notre descente de l'escalier en colimaçon nous emmène vers un nouvel étage dans les profondeurs. Celui-là est nettement plus vétuste que les autres: les murs sont effondrés par endroits, la terre et la boue se sont infiltrées partout, se mélangeant aux tas de billets pour former un magma infâme obturant même complètement certains passages. Par commodité on a supposé que les passages bouchés n'abritaient rien d'intéressant et que le trésor était plus loin !
Après une petite minute de marche seulement nous entendons un nouveau cri:

"- Waaaaaaaaaaaaah"

Suivi d'un:

BaMbAmBaMbAmBaM !

Je prends ma compagne par la main et m'exclame:

"- Suji n'est pas loin, viens !"

Nous nous élançons à travers les couloirs en suivant le vacarme que produit notre ami. Nous avançons sans vraiment savoir où nous allons, mais ça n'a pas vraiment d'importance puisque nous sommes déjà un peu perdues. Nous n'avons plus de lumières en réserve non plus et nous éclairons à l'aide des dernières tiges lumineuses encore en notre possession. Au moins les pièges ne sont plus trop un souci: çà et là nous en découvrons qui ont été activés ou brisés, et parfois nous reconnaissons la silhouette toute en muscles et moustaches caractéristique de notre ami fraîchement moulée dans un tas de vieux papiers !

BaMbAmBaMbAmBaM !

"- Waaaaaaaaaaaaah"

"- Il venait de derrière nous celui-là, non ?"
"- Mais Suji n'était pas censé être devant ?"

Nous agitons nos lampes végétales autour de nous mais sans rien y voir.

"- Suji ?"
"- Suji ! Nous sommes là !"

BaMbAmBaMbAmBaM !

"- Tu as raison, le bruit vient de derrière nous tout compte fait."

BaMbAmBaMbAmBaM !

"- ... Et ça se rapproche drôlement !"

BaMbAmBaMbAmBaM !

Le sol lui-même semble trembler. Soudain, à la lueur de nos lampes, nous voyons notre ami émerger de la pénombre et courir dans notre direction. Et derrière lui... un énorme rocher sphérique qui roule en tambourinant, écrasant les tas de billets, ricochant contre les murs, entraîné dans une course irrésistible !

"- Caramélie, Anatara, coureeez !!!"

Il ne faut pas nous le dire deux fois ! Sans réfléchir, devançant notre compagnon, nous nous élançons aussi vite que nos jambes le peuvent ! J’ai l’impression de voler plus que je ne cours tellement j’y mets toute mon énergie et pourtant, emporté par sa masse et par le sol qui est légèrement en pente, le bloc de pierre va plus vite que nous ! Heureusement le couloir tourne en angle droit juste devant nous: plus que quelques mètres à franchir... nous y sommes presque... mais le rocher se rapproche !
Ouf, nous y sommes ! Nous nous jetons sur le côté, soulagées d'être à l’abri. Je m'appuie contre le mur pour reprendre mon souffle et salue Suji d'un sourire avantageux lorsqu’il nous rejoint, couvert de sueur, d'hématomes, et soufflant comme un bœuf.

"- Ne vous arrêtez pas, ce n'est pas un rocher normal !"

Je n'ai même pas le temps de me demander pourquoi ni comment: l’énorme bloc de pierre roulant s’écrase contre l’angle du couloir, rebondit sur le mur dans une avalanche de gravats, et se remet à rouler dans notre direction avec la même frénésie implacable, comme s'il était attiré par les intrus que nous sommes !
Je t'imagine déjà, journal, en train d'essayer de m'assaillir de questions comme "Pourquoi ? Comment ? Ça fait ça les rochers habituellement ?! Pourquoi tu n'as pas essayé de faire quelque chose au lieu de courir bêtement ? Ou encore pourquoi tu n'as pas abandonné Suji à son sort puisque le rocher a l'air de le poursuivre, et puis c'est bien ton style de faire ça ?"?
Sincèrement, je suis bien trop occupée à essayer d'échapper au danger pour pouvoir y penser sereinement ou pour réfléchir aux questions d’un journal qui devrait plutôt s’inquiéter un peu au lieu de faire le malin ! Un rocher hargneux, qui en plus a été capable de résister aux muscles de notre compagnon à moustaches, je préfère ne pas m'y frotter ! ...Et puis tu n'es pas gentil journal, je ne l'ai pas fait si souvent que ça d'abandonner mes compagnons en situation difficile ! En plus c’était des sbires ça ne compte pas...

Nous traversons un autre couloir, virons à gauche en catastrophe, parcourons un autre couloir, et pourtant le bloc de pierre continue de nous suivre ! Je ne reconnais même pas les endroits dans lesquels nous passons en courant à perdre haleine et pourtant j'ai l'impression de tourner en rond.

"- Aaaah !"

Je vois soudainement Anatara trébucher à côté de moi et s'étaler de tout son long sur le sol plein de billets, trahie par sa jambe encore faible ! Catastrophe ! Le rocher n'est plus qu'à quelques mètres derrière elle, il va la transformer en purée de marchande ! Même Suji, l'inarrêtable tête brûlée du groupe, est désemparé. Nous échangeons un regard et il semble me dire "je ne peux pas l'arrêter, j'ai déjà essayé". Ah oui, vu l’état dans lequel est son épaule je veux bien le croire.
Dans un élan désespéré je m'élance au-devant du rocher et projette plusieurs lames d'air qui cisaillent aussi bien notre poursuivant implacable que le sol, non sans une certaine élégance tout à fait à propos dans ce genre de moments... mais sans lui faire le moindre effet notable.

"- Va-t-en de là rocher, tu... ne passeras... pas !!!"

BaMbAmBaMbAmBaM !

L'énorme projectile poursuit sa course, mu par la force surnaturelle qui le dirige contre nous... il est presque sur notre amie que Suji tente d’aider à se relever avec son seul bras valide... il va les écraser… et à ce moment je vois le sol céder et s'effondrer, emportant le bloc de pierre avec lui ! Je reste éberluée l’espace d’un instant, mais je le suis encore plus quand je sens le sol céder sous mes pieds également et que je me retrouve emportée à mon tour !

♦♦♦♦

Cher journal,

Il me faut de longues secondes pour reprendre mes esprits et pour comprendre ce qui s’est passé. Fragilisé par mes lames d’air le sol n’a pas supporté le poids de notre poursuivant, il s’est écroulé (on va finir par devenir des spécialistes en sabotages de plafonds, après nos exploits dans la translinéenne !), et nous voilà dans un nouvel étage inexploré !
La pièce est plus petite que toutes les autres si je me fie aux échos, ou bien plus remplie. Je suis plongée dans le noir et je crains un moment que les plantes-lumières se soient éteintes, mais cela est en réalité dû à l’important nuage de poussière et de terre que nous avons soulevé en tombant, qui met du temps à se dissiper. En revanche je n’ai aucune idée d’où sont passés mes compagnons.

"- Anatara ? Caramélie ? Vous êtes là ?"

Mon coeur s’accélère:

"- Oh, je suis soulagée d'entendre quelqu'un parler !"
"- Je suis là aussi. Aïe !"

Je me relève, un peu étourdie, et m'inquiète du sort de mon amie à la patte folle:

"- Tu vas bien ? Qu'est-ce qui t'est arrivé ? C'est ta jambe ?"

Après m’être assurée qu’elle allait bien et l’avoir réconfortée comme je pouvais, j'aide Anatara à se redresser et à voir si elle peut marcher. Suji nous interrompt, et pour la première fois je perçois un réel trouble dans sa voix. Son visage viril et moustachu, habituellement si déterminé, affiche une expression émerveillée:

"- Regardez… autour de nous..."
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_____Nous sommes dans une pièce immense éclairée de petites loupiotes toutes pâles qui portent les fruits de ces étranges arbres phosphorescents qui pullulent sur cette île. Autour de nous, les décombres du plafond que nous venons de faire effondrer s’entassent sur un tapis rouge tellement usé qu’il en devient noir par endroits. Le sol est plat, fait d’un savant dallage de pierre qui évoque la peau d’un reptile et, surtout, les murs sous couverts de magnifiques gravures qui représentent… des hommes. Des hommes et des femmes dans des postures diverses et variées.
Stupéfaits, nous parcourons les murs pour en apprendre plus sur l’histoire racontée par ces gravures, et il me semble qu’elles relatent le déroulement d’une guerre. Ici une île inconnue assiégée par une armada de navire, là une grande bataille et au centre, les muscles virils rencontrent les muscles saillants et laissent Suji en pleine admiration. Des inscriptions écrites dans une écriture oubliée accompagnent les gravures, et certaines d’entre elles m’évoquent vraiment quelque chose…

— Oh, celle-là, regardez !

_____Je fais de grands gestes à mes deux compagnons pour captiver leur attention et je leur désigne ce qui semble être une phrase du bout du doigt.

— Celle-là ?
— Oui, quoi ?, s’impatiente Suji qui voudrait de suite retourner à l’admiration des plus belles gravures.
— C’est exactement la même que celle sur la carte !
— Ah oui ?

_____Sans plus attendre, Cara et moi sortons la carte et comparons les deux écritures. Effectivement, parmi les nombreuses annotations se trouve une inscription qui semble être exactement la même, au moindre détail près, à celle qui figure sur nos yeux. Hélas, elle n’en reste pas moins du charabia et ce constat ne nous avance pas beaucoup plus. Cara et moi essayons de déchiffrer les autres inscriptions de la carte mais elle est de trop mauvaise qualité pour que nous puissions en tirer quelque chose. À vrai dire, c’est déjà un miracle que nous ayons trouvé ce bâtiment grâce à elle, donc on peut dire qu’elle a largement fait sa part du boulot.

— Peut-être que ça veut dire que c’est de l’autre côté du mur ?, je suggère.
— On peut essayer, dit Suji en haussant les épaules.

_____Nous sortons de la pièce par la porte et nous retrouvons aussitôt plongés dans l’obscurité, car la lumière provenant de la salle où nous avons atterri ne parvient plus à nous éclairer. Brandissant nos propres lampes, nous prenons la première à droite. Là, nous rencontrons une impasse qui nous oblige à prendre à gauche, alors nous prenons de nouveau la première à droite, mais nous débouchons sur un cul-de-sac.

— C’est ici ?, demande Suji.

_____Je regarde autour de nous mais rien ne semble distinguer cet endroit des autres. Les inscriptions courent toujours sur les murs mais j’ai beau les regarder de plus près, elles ne m’évoquent rien du tout. Dépassée, je réponds la seule chose qui me vient à l’esprit :

— J’en sais rien…
— C’est un vrai labyrinthe, ici !, se plaint Cara.
— On ne peut pas juste défoncer les murs ?
— Non Suji, on risque de faire s’effondrer le bâtiment.
— Je suis d’accord, renchérit Cara : vaut mieux garder cette solution en dernier recours.

_____Voyant que nous risquons très rapidement de nous perdre si nous continuons à déambuler au hasard dans ce dédale sombre et mystérieux, je propose que nous commencions par faire le plein de petites lampes, histoire que nous puissions baliser le chemin du retour comme nous l’avons fait jusque-là. Aussitôt dit, aussitôt fait et nous revenons avec suffisamment de lumière pour éclairer tout l’étage. Cara sort alors un calepin et un crayon, bien déterminée à dénicher son trésor.

— Bien, maintenant je propose que nous dessinions un plan.

_____Des heures durant, nous explorons la moindre piste, le moindre virage, la moindre pièce et le moindre cul-de-sac. Les murs sont toujours de cette même couleur noire unie et parcourue de gravures. De temps en temps, nous tombons sur de nouvelles pièces éclairées de ces mystérieuses lumières naturelles et nous sommes tout excités, persuadés d’avoir enfin mis le doigt sur le trésor… mais ces pièces ne semblent pas renfermer de secret particulier, peu importe combien on les étudie.

_____Fatigués d’avoir déambulé des heures durant, nous nous asseyons dans l’une de ces pièces et consultons l’ébauche de carte que nous avons esquissée au fur et à mesure de notre exploration.

— Je ne comprends pas !, s’écrie Cara qui commence à s’impatienter : nous avons tout exploré !
— Peut-être que le trésor se situe à un autre étage ?

_____Moi-même je n’y crois pas trop. Au fond de nous, nous sommes persuadés que le trésor se trouve juste là, à quelques pas d’ici, juste sous notre nez ! Et pourtant, nous ne le voyons pas. Finalement, après un long silence, Suji fini par remarquer la seule chose que nous n’avions pas essayée :

— Regardez, ici.

_____Ici, c’est un endroit au centre de la « carte ». C’est un grand triangle inexploré auquel nous n’avons pas accès car le labyrinthe a été dessiné pour ça. De chaque côté de ce triangle, les trois grandes pièces rectangulaires éclairées des plantes locales et couvertes de magnifiques gravures, gravures qui s’étendent sur tout le labyrinthe comme pour nous narguer, comme pour nous dire qu’il suffit de savoir lire une écriture oubliée depuis des siècles pour trouver ce que l’on cherche.

— Quoi, ici ?, demande Cara.

_____Nous nous penchons sur la carte mais nous ne voyons pas ce qui pourtant troue les yeux tellement c’est évident.

— C’est le seul endroit où nous ne sommes pas allés.

_____Suji, d’habitude si bavard, se contente de cette explication lapidaire. Je reste sur ma faim et en demande d’avantage.

— Et ?
— Et bien c’est là qu’il faut aller.

_____Pour ma défense, ça ne m’avait pas l’air aussi évident, sur le coup. C’est vrai, quoi, ça ne vous paraît pas normal qu’il y ait un endroit inaccessible pile au milieu d’un labyrinthe enfoui au sous-sol d’un palais lui-même enseveli sous une montagne de papier, elle-même perdue au milieu de nulle-part sur une île recouverte de jungle et habitée de chats meurtriers ? Ben moi, oui. Je me suis dit que c’était sans doute pour soutenir le reste de la structure, pas pour cacher la salle au trésor que nous cherchons depuis tout ce temps.

— Dîtes, je peux défoncer le mur, maintenant ?

_____Et le pire dans tout ça, c’est que nous y serions arrivés dès le premier coup si nous avions détruit ce maudit mur au lieu d’essayer de faire le tour ! Comme quoi des fois il ne faut pas trop réfléchir, c’est contre-productif.
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Cher journal,


BAAAM !

C'est dans une explosion de gravats que notre ami à la musculature surdéveloppée ouvre grand le passage à travers le mur aux statues centenaires ! Mon point de vue sur la question tu le connais déjà: c'est triste de saccager un monument aussi ancien, scandaleux même, mais nous sommes des pilleurs de tombes qui s'assument. Ravie que tu partages mon point de vue ! Évidemment que tu as le choix journal, je ne suis pas une propriétaire tyrannique. Mais si tu n'es pas d'accord tu risques de devoir trouver une autre personne pour t'écrire dedans ! Tu as envie de finir ta carrière en tant que cahier de brouillon pour Timéo, onze ans, expert en dessins péniens ?! Non ?! Alors estimes-toi heureux d'être juste le complice d'une profanatrice de vestiges anciens !

Notre compagnon traverse la paroi avec toute l'exubérance qui le caractérise et disparaît dans le noir. La méthode brute ça fonctionne bien finalement, on devrait toujours avoir Suji de poche à disposition pour détruire toutes sortes de choses !
Alors qu'elle est sur le point de le suivre, je retiens Anatara d'un geste et pose mon index sur mes lèvres pour lui demander de garder le silence. Nous tendons l'oreille quelques instants, mais avec soulagement nous n'entendons rien de plus anormal qu'un Suji qui se relève en déblayant les débris autour de lui, toussant toute la poussière qu'il a avalé ! Ma prudence se justifie: nous connaissons suffisamment la reine Kalida pour savoir que c'était une maniaque des pièges !
J'annonce à mon amie d'un air guilleret:

"- Pas de bruit d'effondrement ni de piège. Tout va bien on peut y aller !"

Rassurées, nous rejoignons notre compagnon en tendant nos lampes végétales devant nous.
Derrière le mur se trouve une pièce de taille moyenne un peu semblable à celle que nous venons de quitter. Nous retrouvons le même sol écailleux ainsi que les mêmes murs somptueux et décorés que dans le hall des statues d'où nous venons. En revanche l'air est différent ici: plus sec, préservé de la moisissure générée par la très lente désintégration de millions de billets.
Une forme au centre de la pièce attire presque aussitôt notre attention. Anatara tend sa plante-lampe et éclaire... un immense tapischat qui lui fonce dessus !!!

"- Attention !!"
"- ... Pas bouger ! Pas griffer !"
"- Chaud devant !!!"

Notre catcheur fonce, l'épaule en avant, se propulse avec force sur la créature et frappe de toute sa force !

"- Ourgh !"

L'animal reste inerte et nous comprenons mieux le ridicule de la situation: il ne s'agit que d'une statue, une grande sculpture dorée représentant l'un des fameux prédateurs au corps souple et fin comme un tapis qui habitent l'île. Il en a trois autres d'ailleurs, disposées en carré, tournées chacune vers l'extérieur telles des gardiennes protégeant un trésor. Et le trésor en question c'est une cinquième statue, une humaine cette fois.
Il s'agit d'une femme au visage sévère, les yeux clos. Allongée sur un large socle sculpté comme un lit de pierre, royale et majestueuse dans sa posture mortuaire, elle est vêtue d'une robe extrêmement raffinée en forme de cône renversé formée de spirales blanches et dorées. Elle tient dans sa main droite une épée et dans la gauche une liasse de billets bien fournie. De longues boucles d'or en forme de demi-lunes agrippées les unes aux autres cascadent sur ses épaules, et s'échappent de sa couronne d'un vert troublant...
Je laisse échapper un murmure:

"- C'est elle, c'est obligé..."

Avant d'ajouter, avec des étoiles dans les yeux:

"- Mes respects, reine Kalida."

Je m'arrache à la contemplation de la statue pour rejoindre mes compagnons partis inspecter le reste de la pièce. Nous y trouvons un mobilier beaucoup plus fourni et surtout beaucoup mieux conservé que dans le reste du palais: de très nombreuses tables et des bancs , des présentoirs des coffres et coffrets, ainsi que des vases, des vases, et encore des vases ! Il y en a de toutes les formes: allongés, arrondis, finement ouvragés ou de facture plus simple.
Les présentoirs alignent des rangées de statuettes de plus ou moins grande taille et de plus ou moins bon goût, mais avec une obsession notable pour les figurines de chatons avec des rubans noués autour du cou. Les coffres abritent une quantité importante de vaisselle, des dizaines de peaux d'animaux tellement sèches qu'on les dirait momifiées, et une collection de perruques dans un état avancé de désintégration. Plus insolite, nous découvrons une importante collection de roues de char, un howdah pour éléphant, et assez de matériel pour assembler plusieurs navires !

Tous ces objets ont un point commun: ils scintillent tous de la même couleur qui reflète avec mille feux la lumière de nos lampes: la couleur de l'or !
Tu réalises journal ?! Moi-même j’ai du mal à me rendre compte: des coffres remplis de vaisselle en or et argent ! Des statuettes et des bibelots, des ustensiles en or, argent et électrum ! Vingt-sept roues de char en or ! Assez de matériel en pièces détachées pour assembler au moins trois navires entièrement en or !!!

Ma poitrine résonne au son de mon cœur qui bat à toute allure ! Mes yeux doivent briller aussi fort que toutes les richesses qui nous entourent ! Je dois vivre un rêve, un rêve éveillé... Heureusement que les très nombreuses petites coupures ainsi que les piqûres d'insectes que j'ai accumulées un peu partout sur mon corps à force de crapahuter dans la jungle me démangent assez pour me confirmer que tout ça est bien réel !
J'ouvre une cassette et en sors une série de fourchettes dorées que j’inspecte sous toutes les coutures. Je m'empare d'une coupe que j'admire à la lumière de ma lampe, la remet en place avant de faire de même avec un œuf scintillant monté sur un socle, disperse plusieurs figurines de chatons un peu partout dans la pièce, renverse le howdah en faisant rouler une des roues de char,... le tout en poussant des exclamations admiratives à chaque découverte !

Passée notre longue exultation, nous décidons de la marche à suivre et commençons à inventorier notre butin. Les coffres et les vases sont bien trop lourds pour être transportés mais leur contenu peut aisément être vidé dans des cassettes plus petites. Je ne suis pas sûre que nous puissions transporter les plus grandes statues et encore moins les pièces détachées de navires, mais après une inspection plus poussée il semblerait que ces dernières ne soient en réalité que plaqués d'une fine couche d'or, quand elles ne sont pas tout simplement peintes en doré. Tant pis, il y a déjà bien assez avec tout le reste !

"- Suji, est-ce que vous pensez que vous pourrez porter..."

Notre compagnon ne m'écoute pas. Je le retrouve dans un coin de la pièce, complètement hypnotisé par une statuette dorée de belle taille. L'homme qu'elle représente possède des muscles tellement saillants que je crois que pour arriver au même résultat sur un véritable être humain il faudrait utiliser un marteau et un burin ! Il est sculpté (ou moulé ? J'ignore comment on réalise ce genre d’oeuvre) dans une posture virile et pensive, qui a l'avantage de dissimuler sa nudité.

"- Oh... il est vraiment beaucoup trop musclé non ?"
"- Il est... parfait. C'est la virilité incarnée, la musculature portée à la perfection ! La quintessence du corps humain dans toute sa splendeur !"

Je commence à m'habituer aux réactions parfois disproportionnées de notre bûcheron bodybuildé, mais je ne l'avais jamais vu à la fois aussi ému et émerveillé !

"- Un tel chef-d’œuvre ne peut pas être oublié dans une cave sombre ! Il doit être porté à la lumière et chéri, adulé, suivi comme un modèle d'inspiration pour chaque homme qui posera son regard dessus !"

Je souris et pose la main sur son avant bras:

"- Vous pensez que vous arriverez à la transporter jusque là haut ?"

Suji s'exclame, plein d'ardeur:

"- Évidemment !"

♦♦♦♦

Anatara et moi avons été plus raisonnables. Nous avons rempli autant que possible les cassettes les plus légères, et avons entrepris un premier voyage vers la surface avec deux boîtes pleines à craquer chacune. Nous tâtonnons un peu pour retrouver la sortie, avant de nous rabattre une nouvelle fois la méthode brute qui après tout a très souvent porté ses fruits !
Le retour à la lumière du jour nous éblouit sérieusement et il me faut une bonne minute avant d'être capable de garder les yeux ouverts ! Nous entassons soigneusement notre butin entre deux tas de billets devant la montagna de fricus avant de courir jusqu'à notre campement récupérer tous les sacs et contenant que nous pouvons, puis de retourner nous plonger dans les profondeurs du palais et sa salle au trésor !

Les nombreux allers-retours nous ont épuisés, mais nous avons finalement vidé la pièce de tout ce qu'elle contenait d'intéressant et de transportable par nos moyens, y compris les vingt sept roues de char. La salle du trésor a nettement perdu de sa superbe et j'ai une petite pensée pour les pauvres explorateurs qui, un jour peut être, dans plusieurs décennies, s'aventureront sur cette île grâce à une mystérieuse carte leur vantant les merveilles d'un trésor royal et n’y trouveront rien d'autre que des statues trop encombrantes, de la poterie à foison, des tables poussiéreuses et de quoi construire une flottille dorée !

Ah... oui, tu as raison journal: j'ai également une pensée un peu plus émue pour la pauvre reine Kalida qui a sans doute cru pouvoir reposer avec son trésor pour l'éternité. J'adresse un regard de compassion à l'intention de la statue endormie qui... attends voir...
Je pose mes mains sur la couronne que porte le gisant, tire, et celle-ci s'en détache avec facilité. Elle est plutôt lourde dans mes mains, extrêmement lisse aussi et très agréable au toucher. Son scintillement vert exerce sur moi une fascination dont j'ai du mal à me détacher...

La mettre sur ma tête pour l’essayer ? Tu es fou journal ! Tu n'as jamais entendu parler des malédictions que les couronnes anciennes abattent sur ceux qui les portent sans être des souverains légitimes ?! Sans parler du fait que ce serait totalement irrespectueux vis-à-vis de la reine Kalida !
Oui je sais que je viens de lui voler son trésor et que je suis en train d'emporter sa couronne légendaire mais... ça n'a rien à voir d'accord ?!
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_____Grande, sombre et menaçante. Elle a des yeux d’émeraude et un regard d’acier, elle est blanche, fière et déterminée. Habillée de vert, elle nous fait face dans sa tenue de combat, elle respire le danger. C’est elle. Elle qui nous surveillait depuis tout ce temps, elle que j’entendais parfois nous suivre dans la forêt, elle que j’ai entraperçue quand on a découvert le temple et elle qui me donnait sans cesse l’impression d’être épiée. Je n’avais donc pas rêvé. Le cauchemar brun ! Il se tient devant nous, telle une malédiction prête à nous frapper, nous qui avons osé profaner ces lieux quasi millénaires.

_____Elle est calme et presque immobile. Elle ne cherche plus à se cacher. Elle se montre à la vue de tous, comme un mauvais présage, comme un avertissement silencieux. Elle s’approche, presque hypnotique. Elle donne l’impression de glisser sur le sol, de s’avancer sans bouger, elle est sûre d’elle. Le brouillard de la guerre voile ses yeux et sa main se referme sur la garde du sabre qu’elle porte à la ceinture. Un sabre aussi mortel que somptueux.

_____Nous sommes pétrifiés. C’était notre dernier aller-retour depuis la salle au trésor et nous nous apprêtions à embarquer nos trouvailles pour nous couvrir d’or et de gloire, mais le sort en a décidé autrement. Nous l’avons vue. Nous avons posé nos affaires, nous nous sommes rapprochés les uns des autres, inconsciemment, comme des enfants qui cherchent à se consoler mutuellement de leur peur du noir quand ils savent pertinemment que le grand méchant loup est là et qu’il les a repérés. Cette femme… je ne peux pas dire pourquoi, mais je vois bien qu’elle est forte.

_____Elle n’a rien à voir avec tous ceux que j’ai rencontrés jusque-là. Elle… Sa façon de bouger, de respirer, d’être si incroyablement calme et silencieuse malgré les circonstances, malgré notre surnombre et malgré ses intentions des plus explicites… tout en elle me crie de fuir, de me méfier, de ne pas la défier. Il semble que nous soyons tombés sur un adversaire plus fort que nous, aujourd’hui.

— Qui… qui êtes-vous ? Que voulez-vous ?

_____Je suis sur la défensive. J’aimerai éviter l’affrontement mais je sens qu’il est inévitable. Pour me répondre, la femme désigne les nombreux sacs et coffres que nous avons rassemblés et se contente d’un seul mot, aussi énigmatique que glaçant : « Ashikoi ».

— Ahi… c’est votre nom ?, je demande.
— Je n’ai plus de nom.

_____Après ces mots, elle se rapproche encore de quelques pas, encore un peu et nous serons à sa portée. J’aimerais qu’elle s’arrête.

— Euh, attendez ! Ne vous approchez pas. On pourrait négocier, vous savez !
— Allez-vous en.

_____Cette fois-ci, c’est Cara qui intervient pour exprimer ce que nous avons tous sur le cœur :

— Non ! C’est notre trésor. C’est nous qui l’avons trouvé : il est à nous !

_____C’est clair ! Après tout ce qu’on a fait pour mettre la main dessus, on ne va pas y renoncer au dernier moment juste parce qu’une inconnue énigmatique et menaçante nous le demande gentiment. Ce serait trop facile, et puis quoi encore ? Nous on se tape toute la chasse au trésor et elle, elle nous attend tranquillement à la sortie, comme si on était ses esclaves et que tous nos efforts étaient juste bons pour lui faire plaisir. Et ben non ! Ça ne va pas se passer comme ça, je vous le garantis ! Je suis prête à me battre pour ce trésor, moi. D’ailleurs je me suis déjà battue, et nous avons même envoyé des pirates maléfiques en prison lors de notre voyage sur la Translinéenne.

_____J’en suis à peu près à ce niveau de réflexion interne quand la prénommée Ashikoi dégaine lentement son arme, le plus ostentatoirement du monde. « Dernier avertissement », semble indiquer son regard. Argh, que faire… On ne peut pas s’en aller comme ça, non ! Peut-être qu’on peut tenter de s’enfuir en emportant la couronne que Cara a dans les mains et les quelques statuettes d’or que j’ai fourrées dans mon sac ? Non, ce serait beaucoup trop décevant ! Et puis on ne sait pas tant qu’on n’a pas essayé. D’expérience, les pirates font tous très peur au début mais ensuite, dès qu’on leur résiste un peu ils se dégonflent ou ils perdent. Si ça se trouve elle bluffe, et elle n’est même pas capable de nous affronter tous les trois. Et le meilleur moyen de réfuter un gambit, c’est toujours de l’accepter.

— Suji, attrapez !

_____Cara, qui a l’esprit plus pratique que Suji et moi réunis, lui lance des gants tout ce qu’il y a de plus dorés, qu’il attrape par réflexe. Puis, pour ne pas avoir à lui expliquer les vraies raisons de cet échange impromptu, elle lui invente l’explication suivante :

— Ça fera ressortir la musculature de tes bras.

_____En effet, ces gants sont légèrement trop petits pour lui et, une fois enfilés, risquent bien de souligner le relief de ses bras de manière avantageuse. Cela suffit pour qu’il enfile la paire qui lui remonte jusqu’aux coudes. À ce moment, je comprends le but de l’opération : Suji étant persuadé que faire bloc bloque le fer, il aurait essayé de bloquer les coups d’épée avec ses muscles et se serait fait découper en petits morceaux en moins de temps qu’il faut pour le dire. Au moins, avec ces protections, il n’est pas complètement sans défense.

— Cara, à terre !

_____Juste à temps. En la plaquant au sol, je lui permets d’éviter la trajectoire de l’épée. Je me relève d’une roulade, imitée par ma partenaire qui effectue une manœuvre aussi élégante qu’improbable. Sans attendre, je dégaine mon arme et je tente une dernière fois de négocier :

— Prends garde ! J’ai appris l’art de l’épée auprès du grand maître Hanzo lui-même ! Tu n’as aucune chance.

_____Au tressaillement imperceptible que je détecte dans ses pupilles, je comprends que le nom de Hanzo lui dit quelque chose, et je me félicite d’avoir eu un maître aussi prestigieux. Hélas, comme je pouvais m’y attendre, cela ne la décourage pas, bien au contraire :

— Seuls les lâches se cachent derrière le nom de leur maître.

_____Hein, quoi ? Cette phrase est plus longue que tout ce qu’elle a prononcée depuis qu’elle est arrivée (soit un total de quatre mots), et c’est pour me traiter de lâche ? Mais… mais c’est pas juste ! Et ben, certes mais ce n’est pas comme si on allait se battre à la régulière ! Nous sommes trois après tout, et nous comptons bien nous servir de cet avantage. Après un regard à Cara, je tente de la contourner par la gauche. Si nous parvenons à l’encercler, nous devrions la battre facilement, et ce quel que soit son niveau.

_____Comme si elle lisait dans mes pensées, Ashikoi me barre la route d’un coup d’épée, et je suis obligée de reculer en catastrophe, manquant de m’empêtrer les pieds dans un tas de m… de papier. Aussitôt, Cara profite de l’ouverture pour tenter une lame d’air que sa cible n’a aucun mal à esquiver. Parfaitement synchronisée, je réplique d’un coup d’épée qu’elle pare sans aucune difficulté, exposant entièrement son flanc gauche. Et là, il ne se passe rien.

— Suji, maintenant !

_____Malgré mon indication, le susnommé se contente de nous regarder avec un air désapprobateur, comme si nous venions de le poignarder dans le dos. Mais… Suji… tu es dans quel camp ? Qu’est-ce que tu fais ? Tout en tenant Cara à distance de trois coups bien placés, notre adversaire profite de la faille dans notre travail d’équipe pour se replacer correctement, faisant disparaître notre première opportunité. Cara, qui vient de comprendre ce qu’il se passe, intervient pour faire reprendre le sens de la réalité à notre compagnon :

— Suji ce n’est pas un jeu ! Elle essaie de nous tuer, ce n’est pas le moment d’être sportif !


Dernière édition par Anatara le Mar 17 Déc 2019 - 12:43, édité 1 fois
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"- Non."

Nous regardons toutes les deux notre compagnon avec étonnement. Le visage fermé, la voix déterminée, ce dernier ajoute:

"- Comment pourrais-je oser prétendre être un guerrier si je me bats à trois contre un ? Comment oserais-je me vanter d'être un homme si j'attaque lâchement cette personne dans le dos ? Je suis désolé mes amies."

C'est bien le moment d'avoir de telles préoccupations, espèce de grosse nouille moustachue ! Le fair play c’est bien quand on gagne, mais là on a un trésor à défendre ! Enfin, malgré toute mon exaspération je ne peux pas m'empêcher d'admirer son sens de l'honneur et sa détermination à honorer ses valeurs, quel qu'en soit le prix.

"- Évidemment Suji, c'est très digne de votre part... Mais cette femme nous attaque, elle veut voler notre trésor ! Votre sens de l'honneur ne vous oblige-t-il pas aussi à protéger vos amies ?"

Je vois bien que notre ami est pris dans un conflit intérieur. Bien sûr qu'il aimerait nous protéger, évidemment qu'il n'a pas envie que nous soyons blessées, tuées, ou pire dépossédées de notre trésor, mais son respect des valeurs est une force supérieure qui guide sa vie.

"- S’il vous plaît… n’insistez pas."

Oublions-le, journal, on n’en tirera rien de plus. J'ai bien envie de lui suggérer de passer le premier pour affronter seul la sabreuse pendant qu'on l'encourage à distance, histoire qu'il l'affaiblisse et que l'on puisse s'occupe de l'achever ensuite, mais je n'oublie pas qu'il a été amoché par les pièges, que ses capacités sont diminuées, et aussi bêta soit-il je n'aimerais pas avoir sa mort sur la conscience.

La sabreuse, toute aimable qu'elle soit de nous laisser clarifier la situation avec le dernier membre de notre trio, semble avoir épuisé sa limite de gentillesse.

"- Attention !"

Je ne détecte la présence de sa lame qu'au moment où elle arrive près de mon visage ! Je n'ai pas le temps d'esquiver, et je dois me contenter d'exécuter un tekkaï qui raidit mon corps juste à temps pour amortir le choc. Aïe ! Malgré ma protection, j'ai la même sensation que si on venait de me fouetter la figure ! Je contre-attaque en enchaînant un déplacement rapide dans son dos doublé d'une lame d'air, mais notre adversaire me devance, esquive mon attaque, et dirige déjà un nouveau coup de son arme dans ma direction ! Anatara me sauve la mise en venant parer sa lame, et je lui évite de se retrouver bloquée dans un face à face dangereux en projetant une nouvelle lame d'air en direction de la mystérieuse femme qui est obligée de reculer.

Je reprends mon souffle, la respiration haletante. Mon amie et moi tentons une nouvelle manœuvre en commençant par l'encercler de nouveau, doucement, en nous arrangeant pour toujours garder l'une de nous deux dans son dos et en prenant garde de laisser suffisamment de distance entre elle et nous pour anticiper ses attaques. La femme au sabre ne se laisse pas faire et brise l'encerclement en se jetant sur Anatara ! Pour la prendre par surprise j'attaque cette fois par les airs ! En un rapide -mais néanmoins toujours aussi agréable pour les yeux- soru, je me propulse au-dessus d'elle et lui assène mon attaque la plus rapide: un shigan flamboyant, un coup de poignard asséné par l'index avec la puissance d'un pistolet !

Avec une fluidité et une aisance qui me rendraient presque jalouse (mais pas trop, je suis objectivement meilleure mais c'est juste que ce n'est pas mon jour ; on y reviendra), notre adversaire dévie en douceur mon coup et s'écarte en quelques pas rapides. Aussitôt, sans nous laisser le temps de reprendre position, elle charge et nous frappe avec une série de coups d’une vitesse impressionnante, aussi bien Anatara que moi ! J'ai beau avoir anticipé ses attaques et utilisé la technique de la kamie pour éviter son arme en pliant mon corps avec la souplesse et la légèreté d'une feuille, je sens son arme me toucher à deux reprises: une fois dans les côtes et une fois à la jambe. Trop légèrement sans doute, ou alors mes mouvements m'ont permis de dévier les coups sur le plat de sa lame. Ça reste mauvais pour moi, bien trop mauvais !

Notre avantage du nombre nous permet de ne pas être débordées, mais notre adversaire domine clairement le combat. Elle est rapide, puissante, énergique, maline et plus en forme que nous ! D'ailleurs c'est surtout ce dernier point qui joue en sa faveur, parce que crois moi journal lorsque je suis douchée, reposée, que j'ai dormi dans un lit propre et que j'ai eu mon petit thé glacé accompagné d'un bon repas équilibré, personne ne me résiste !
A l'inverse, notre avantage ne nous aide que moyennement car Anatara et moi avons assez peu eu l'occasion de combattre en synergie et il nous est difficile de nous coordonner. Nous perdons en efficacité en essayant de communiquer par des regards et en tentant de deviner les intentions de l'autre, et ces légers temps morts suffisent à la dénommée Ashikoi pour garder l'avantage.

D'ailleurs c'est un drôle de nom "Ashikoi". Je sais bien que tout le monde ne peut pas avoir la chance de s’appeler Caramélie, mais ce n’est pas ça le problème: ni ça, ni le reste de sa tenue ou de son sabre ne font penser à ce que nous avons pu trouver dans le palais englouti de la reine Kalida comme inscriptions, statues ou armes. C'est tout de même étrange pour une gardienne millénaire de porter un tel accoutrement plutôt que d'arborer les symboles de la défunte reine qu'elle protège.
Parce que oui, évidemment qu'elle est la gardienne du trésor journal, que voudrais-tu qu'elle soit d'autre ? Je n'ai pas trop compris d'où elle sortait mais je suppose qu'elle est l'actuelle représentante d'une lignée de protecteurs de l’île qui se transmettent leur sabre, leur nom, et la tâche de défendre la dernière demeure de la reine de tout intrus qui voudrait lui voler son trésor ou ses montagnes de billets. Vu la difficulté que nous avons eue pour en arriver là, nous sommes probablement les premiers aventuriers qu'elle rencontre depuis des décennies ! … Ce qui me fait penser que nous sommes sans doute le moment le plus exaltant de toute sa vie, son heure de gloire ! Cela fait peut-être même plusieurs générations que personne n'a mis les pieds ici et que sa mère, ainsi que sa grand-mère avant elle, se sont préparées pour cet instant !
... Attends, ça n'a aucun sens. Pour que ça fonctionne il faudrait soit qu’elle soit immortelle, soit qu'à chaque génération la gardienne quitte l'île pour se trouver un conjoint, ou en fasse venir un, ce qui les forcerait à abandonner leur surveillance ou à éventer le secret. A moins qu'il n'y ait toute une tribu installée ici, cachée quelque part ? Mh... si tu veux mon avis, ça sent le flan son histoire de gardienne.
Comment ça, tu penses que ce n’est peut-être pas la gardienne et que je présume beaucoup trop ? Mais qu'est-ce que tu racontes journal ?! Tiens, je n'ai qu'à lui demander tu vas voir:

"- Vous savez, vous devriez réfléchir à ça d'un point de vue pratique: si on emporte le trésor vous ne serez plus obligée de rester sur l'île pour le protéger ! Vous pourrez vous en aller, voyager, et découvrir le monde ! Et vous verrez que l'on sait fabriquer des épées bien plus performantes que les katanas."

Je souris et lui tends la main, mais d'assez loin pour qu'elle ne risque pas de m'approcher.

"- Vu qu'on est gentilles, on pourrait même vous laisser monter avec nous dans notre barque."

Alors qu'elle était partie pour m'asséner un double enchaînement de sabre en guise de réponse, la femme s'interrompt. Elle me dévisage durement et répète simplement:

"- Je ne le répéterai pas, allez-vous-en."

Comme pour appuyer la menace elle pointe son sabre vers moi. Mais tu me connais journal, dans ces cas-là j'insiste ! Si elle ne voulait vraiment pas s'embêter à discuter elle ne prendrait même pas la peine de nous répondre ! Ou alors elle nous sortirait juste des répliques basiques telles que "Malheur à vous, qui avez osé profaner le tombeau de la reine Kalida !", un peu éculées mais toujours de très bon goût dans ces circonstances ! Sans parler de ses coups de sabre qui manquent de conviction au moment de toucher... plus j’y pense et plus je crois qu'elle a volontairement évité de nous blesser, cherchant simplement à démontrer sa supériorité. Sa réponse, j'y vois une ouverture au dialogue.

"- Honnêtement, vous n'avez pas envie d'essayer d'être autre chose que la gardienne d'un palais en ruine et d'une montagne de billets inutilisables ? Vous passez à côté de votre vie et c’est vraiment triste ! Venez donc plutôt avec nous ! Si vous nous aidez à porter le butin, on pourrait même vous en donner une petite part..."

... Ou alors la livrer aux autorités à la première occasion, mais chut journal garde ça pour toi. Malgré mes tentatives pour la faire parler, je ne pensais vraiment pas que ça marcherait. Elle réplique par une phrase… non deux même, je me sens flattée !

"- Il n'est pas question de partager, j'ai besoin de tout le trésor. Sans lui je ne pourrai retrouver mon honneur, et ma famille continuera d'être opprimée."
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_____Comment ça, opprimée, qu’est-ce qu’elle raconte ? Mais malgré nos tentatives pour en apprendre plus, la sabreuse en a déjà dit plus que ce qu’elle aurait voulu. Sans un mot, elle repousse Cara d’un puissant enchaînement, la forçant à s’éloigner de plusieurs dizaines de mètres pour se mettre à l’abri. Pour couvrir la fuite de ma partenaire, je me lance dans la mêlée et mobilise toutes mes connaissances d’escrime, mettant le meilleur de moi-même dans la bataille. Hélas, moi qui étais si fière d’avoir appris l’art de l’épée auprès d’un des plus grands maîtres de Shimotsuki, je me rends compte que je suis loin d’être un maître et que je ne maîtrise que les bases, tout au plus.

_____Face à moi, un véritable maître épéiste. Alors que j’esquive sa première attaque en me penchant sur le côté, sa lame semble se téléporter et surgit de l’autre côté, si bien que je suis toujours sur sa trajectoire ! Pas le temps d’esquiver : je prends mon arme à deux mains et me prépare à parer le coup mais, devant mes yeux ébahis, la trajectoire de la lame change une seconde fois en dessinant des courbes dans les airs, si bien qu’elle me frappe désormais d’en haut ! J’ai tout juste le temps de me protéger la tête de mon avant-bras, et son arme me frappe finalement la clavicule, de plein fouet.

Aaaaah !

_____Mon cri de douleur s’étouffe dans ma gorge ; je mets un pied à terre. Là, j’ai été complètement vaincue. Elle aurait pu me tuer, me couper le bras, me trancher la tête… mais encore une fois, elle m’a frappée du dos de la lame. Ce n’est pas la première fois que ça se produit : il me semble déjà avoir été épargnée, tout à l’heure… Alors qu’Ashikoi se dérobe pour esquiver la contre-offensive de Cara, je tente de me relever en serrant les dents. J’ai mal, terriblement mal. J’ai l’impression que mon os a explosé, mais je n’ose pas toucher pour vérifier. C’est trop douloureux. J’arrive à peine à bouger le bras gauche, je suis foutue, je suis…

_____Devant moi, Cara bat en retraite face à une pluie d’épées qui semblent venir de toutes les directions à la fois. Telle un morceau de papier, elle se contorsionne à une vitesse impossible pour les esquiver toutes, mais elle ne peut absolument pas répliquer face à ce déferlement de violence. Ça ne va pas. À ce rythme, nous allons perdre… que pouvons-nous faire ?

— Attendez ! Vous êtes opprimée, vous dîtes ? On peut peut-être vous aider ?

_____La femme marque un semblant d’hésitation pour m’écouter, ce qui laisse à mon amie le temps de se dégager. De nouveau, nous l’avons encerclée. Que pouvons-nous faire ? Apparemment, l’heure n’est plus à la discussion et nous n’avons pas d’autre choix que de combattre. Soit. Alors combattons. Nous avons l’avantage du nombre, et elle a essayé de le supprimer en nous affrontant une à une, mais nous n’allons pas nous laisser faire !

— Cara, la symétrique !

_____J’espère qu’elle va comprendre. Notre seule chance c’est de l’attaquer des deux côtés en même temps, pour qu’elle n’ait pas le temps de réagir. Elle est plus rapide que chacune de nous deux, mais pas deux fois plus. Cara, je commence à comprendre son style de combat. Essentiellement, elle a deux techniques : sa première prend la forme d’un coup qu’elle assène au corps-à-corps, aussi foudroyant et redoutable qu’une balle de pistolet. Son autre technique, c’est son fameux coup de pied qui fait des lames d’air dévastatrices et qu’elle peut lancer à distance. En plus de ça, elle est extrêmement souple et rapide, ce qui fait d’elle un adversaire aussi redoutable que polyvalent. Nous allons en tirer profit.

_____Prenant mon arme de ma main valide, je saute sur le côté pour prendre notre adversaire à revers. Sans surprise, elle esquive mon attaque sans aucune difficulté mais elle tourne désormais le dos à Cara. Reprenant appui sur le sol, je saute à nouveau, l’arme pointée droit sur elle. Prends-toi ça ! Fusant droit sur elle à toute allure, je suis comme un missile. Mon adversaire n’a pas le choix : elle doit sauter sur le côté, perdant momentanément l’équilibre. Le temps qu’elle se rétablisse, Cara pourra la frapper !

_____Malheureusement, cette dernière a mis légèrement trop de temps à comprendre ce que j’attendais d’elle et son attaque survient un poil trop tard, ce qui laisse à Ashikoi le temps de se retourner pour… trancher la lame d’air de Cara ! Les vents de leurs attaques s’entrechoquent et se dissipent dans un tourbillon apocalyptique à décoiffer un chauve et nous nous retrouvons de nouveau dans la situation initiale. Mince alors, nous avons encore raté une occasion ! Pour me laisser le temps de réfléchir autant que par curiosité, je tente de reprendre la conversation :

— Mais pourquoi vous voulez tout le trésor, on peut peut-être partager ? Il y en a plein vous savez ? Y’en a au moins pour deux cent millions !

_____Ouais et d’ailleurs si on pouvait tout garder pour nous, ce serait mieux, franchement je trouve ça vraiment trop malhonnête de se pointer au dernier moment et de réclamer une part d’un gâteau alors qu’on n’a pas participé à sa création… enfin, façon de parler hein. Bon certes elle est forte mais ce n’est pas une raison ! Réclamer de l’argent parce qu’on est fort, ça s’appelle du racket et c’est interdit par la loi ! Ce n’est ni plus ni moins que du vol, de la piraterie. C’est impardonnable.

— Vous ne comprenez pas. J’ai besoin de cet argent : c’est ma dernière chance !
— Ah ? Votre dernière chance pour quoi ?
— Assez parlé !

_____Elle se précipite sur moi et se lance dans un nouvel enchaînement face auquel j’ai toutes les peines du monde à réagir : mes yeux me disent que son arme est à gauche mais elle est déjà à droite, c’est à n’y rien comprendre. Faisant confiance à mon instinct, je me bats bec et ongle pour éviter de prendre un nouveau coup, parce que si je me fais toucher de nouveau je risque de me retrouver hors combat. Soudain, mon adversaire disparaît, purement et simplement.

— Hein, quoi ?

_____À sa place, le doigt de la mort de Cara me fonce dessus avec une vitesse supersonique et c’est à peine si elle réussit à dévier son attaque au dernier moment. Alors, effectuant une magnifique pirouette aérienne, elle se retourne et nous faisons de nouveau face à Ashikoi, côte à côte. Ouf. J’ai eu peur !

— Cara, on la retente ?

_____Je parle bien sûr de notre première tentative, celle qui a bien failli marcher à un souci de synchronisation près. Après un hochement de tête qui me confirme que nous avons toutes les deux le même plan en tête, nous prenons chacune un flan de notre adversaire, la forçant à reculer pour contrer notre manœuvre d’encerclement. Mais de nouveau, je bondis sur ma cible tel un missile, la lame brandie vers l’avant, comblant l’écart qui nous sépare. Elle se dérobe et je me réceptionne, reprends mes appuis et bondis à nouveau. Je suis une tigresse, je suis un narval. Oui, je crois que j’ai trouvé un nom pour cette technique : la charge de la narval plongeante.

— Prends-toi ça !

_____Alors qu’Ashikoi esquive une nouvelle fois, Cara l’empêche de répliquer, de son jeu de jambe tout aussi redoutable que le mien (si ce n’est plus). Sans répit, elle l’accule de ses coups de pieds dévastateurs. Nous l’attaquons en rythme, parfois tour à tour, parfois les deux en même temps, mais toujours avec un angle différent mais pas opposé pour ne pas risquer de s’attaquer l’une l’autre en cas d’esquive. C’est difficile. Nous devons non seulement surveiller l’épéiste mais aussi ce que fait notre partenaire. Nous n’avons pas l’habitude, nous ratons encore une occasion mais nous sentons que nous pouvons gagner. Oui, là : une ouverture !

_____Elle est à moi. Un bond de plus et je peux l’embrocher. Elle sera complètement incapable d’esquiver et, si elle choisit de parer, c’est la lame d’air de Cara qui se chargera d’elle. Bien. Reprenons nos appuis, poussons sur nos jambes, et…

AAARRGH !

_____Une explosion de douleur. Ma jambe droite semble avoir implosé, surmenée par ces quelques minutes d’efforts intenses. Je sens un liquide chaud s’écouler sur ma cuisse, et une violente déchirure me secoue de la tête au pied, j’en perds la raison. Mon hurlement de douleur interrompt le combat pendant quelques secondes pendant lesquelles je me roule par terre, terrassée. La blessure du tapis-chat-fin ! Non, ce n’est pas le moment !
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Cher journal,

Il me faut faire appel à toute la force de concentration que j'ai en moi pour le pas rompre le combat et courir à la rescousse d'Anatara lorsque je l'entends crier ! Pourvu qu’elle aille bien !! Et comment notre ennemie a-t-elle pu la toucher alors qu'elle était occupée à repousser mes attaques ?! Est-elle vraiment si puissante ?! Ou bien... c'est moi qui l'ai blessée par mégarde avec une de mes lames d’air ? Oh non journal, dis-moi que ce n'est pas ça !!!

Je m'oblige à garder la pression sur l'épéiste en enchaînant coup sur coup. Me maintenant à deux petits mètres au-dessus du sol pour conserver une position avantageuse, j'exécute une véritable danse dont chaque enchaînement produit une nouvelle lame qui jaillit de mes pieds et fend l'air en direction de ma cible ! Je lui assène une attaque qu'elle pare d'un revers de sabre, une autre qu'elle dévie et qui ricoche sur le sol, et encore une qu'elle évite simplement ! Mes attaques perdues font voler des morceaux d'herbe, de terre et de branchages tout autour de nous, creusant de profonds sillons dans le sol.

Je sens mes forces faiblir à une vitesse alarmante, tandis que ma concentration ne tient qu'à un fil. Exécuter un rankyaku ce n'est pas comme cogner bêtement avec un vulgaire bout de ferraille: il faut du doigté, de la maîtrise et de la technique pour produire une épée de vent simplement avec ses pieds ! Et ça c'est juste pour en faire un seul, alors quand il s'agit d'en enchaîner plusieurs...
Mon cerveau tourne à cent à l'heure tandis que je cherche une solution pour briser la spirale infernale dans laquelle je suis lancée. En combat frontal elle est plus forte, mais je peux encore essayer de mettre ma mobilité à mon avantage. Je vais essayer de l'attirer à l'écart dans la jungle, et j'espère que mes compagnons vont en profiter pour trouver quelque chose, ou bien pour décamper avec le trésor...

Je saute en arrière, me maintenant en l'air par de petits bonds, projette un nouveau rankyaku en direction de mon adversaire pour la tenir en respect, recule encore, et attaque de nouveau à plus longue distance.
Soudain la femme s'élance: avec la rapidité d'un tapischat elle évite une de mes attaques, bondit, roule sur elle-même pour en esquiver une autre, saute, et en un instant elle est sur moi ! Je bloque son coup en croisant devant moi mes jambes durcies par un tekkaï, et ce faisant je ne peux plus ni attaquer ni me maintenir en l'air. Nous chutons toutes les deux, elle par-dessus moi.

"- Outch !"

La réception sur le sol est assez douloureuse malgré ma protection ! La sabreuse m'atterrit dessus en maintenant sa lame contre ma gorge.

"- Arrêtez de résister. Si vous continuez de vous battre je serais obligée de vous tuer, et je ne souhaite vraiment pas ça."

Renoncer à mon trésor, que j'ai passé des semaines à chercher, pour lequel j'ai affronté la route de tous les périls, des pirates, la jungle et l'inconfort ? Jamais de la vie ! Mais c’est vrai que là je suis un peu à court de solutions... Si je romps mon tekkaï pour faire quoi que ce soit, je la sais tout à fait capable de me tuer ; et même si je le garde je suis à peu près certaine qu'en insistant un peu elle serait capable de le briser !

Brusquement, la sabreuse se jette sur le côté et fait un roulé boulé au sol ! BANG ! Une détonation retentit, suivie d'une forte odeur de poudre. Je profite de cette occasion inespérée pour me relever, me remettre en position de combat, et découvre que c'est Anatara vient de me sauver la mise ! Elle est toujours à terre, visiblement à cause de sa fichue blessure à la jambe, mais son visage est toujours aussi énergique et elle brandit à bout de bras un pistolet dont le canon fume encore ! Je suis soulagée, elle n'a pas l'air gravement blessée ! J'ai redouté le pire...

Ashikoi, notre ennemie, a pu éviter le tir mais elle a un peu perdu de sa superbe ! C'est malheureusement tout ce que je peux trouver pour me donner du courage alors que je m'apprête à repartir, épuisée par nos passes d'armes et mes enchaînements infructueux, pour un nouveau round. Qui va-t-elle attaquer en premier ? Anatara ou moi ? Vers quel côté dois-je me préparer à bondir…?

"- Ça suffit !"

Suji, qui jusque-là était resté à l'écart, nous a rejointes et s’avance entre nous deux et l'épéiste. Il se tourne vers cette dernière et s’exclame:

"- Je ne vous laisserai pas leur faire de mal !"

Malgré son épaule blessée, malgré ses moustaches blondes et sa houppette ridicule, notre compagnon paraît redoutable. La colère et la détermination brûlent dans ses yeux.

"- Vous aviez raison mes amies, ce qui est lâche ce n'est pas de défendre à trois contre un. Ce qui est lâche c'est de refuser d'aider ses compagnons en danger, et de fuir un combat comme je l'ai fait."

Alors il cogitait toujours là-dessus depuis tout à l’heure ?! Enfin, mieux vaut tard que jamais ! Je suis tellement soulagée que je lui pardonne aussitôt son indécision et que je retrouve mon sourire ! Et pour être sûr qu'il garde sa motivation je rajoute de l'eau à son moulin:

"- Bien dit Suji ! Vous avez totalement raison ! Et ce qu'il y a de pire encore que tout ça, c'est d'attaquer d'autres personnes pour leur voler leurs biens comme le fait cette femme !"

Ah mais je suis désolée, légalement ce trésor est à nous ! Le fait qu'on l'ait trouvé dans une tombe n'y change rien ! C'est la règle de toute manière: si quelqu’un se fait enterrer dans une région sauvage ou perdue et s'il n'y a pas de peuple civilisé pour veiller dessus, alors tout ce qu’il installe avec lui dans sa sépulture appartient à qui voudra le prendre !

L'intervention de Suji semble faire de l'effet à notre adversaire qui préfère garder ses distances. Il faut admettre que de nous trois c'est lui qui a l'aspect le plus imposant et qui doit le plus inspirer la crainte (les gens sont naïfs, ils se laissent souvent intimider par quelques muscles ; non mais sans rire, c’était bien la peine de passer des années d’abnégation à apprendre des techniques guerrières secrètes, et à soigner son apparence pour être la plus chic des agents gouvernementaux, tout ça pour me faire dépasser par un gros bonhomme torse nu qui fait rouler ses muscles !). En ajoutant à ça ses tirades sur l’honneur d’un combattant qui se paie le luxe de ne même pas se défendre, si la dénommée Ashikoi part du principe que c'est lui le combattant le plus puissant de notre groupe alors elle doit redouter d'avoir affaire à forte partie ! Ou alors c'est la tirade de notre grand moustachu qui la pique au vif, ce qui n'est pas impossible non plus.

Suji se retourne vers moi et m'explique:

"- Je n'en suis pas si sûr. Cette jeune femme cache sans doute quelque triste raison derrière ses actes, ce qui expliquerait pourquoi elle n'a pas cherché à vous tuer. Je suis même certain que c'est une combattante d'honneur."
"- Malheureusement non. Je ne suis plus digne de me vanter d’être une femme d’honneur."

Nous nous retournons trois les trois vers la sabreuse, étonnés qu'elle daigne se joindre à notre conversation. Elle-même semble mal à l'aise de devenir soudainement le centre de l'attention, mais poursuit avec fermeté:

"- Avant d'être contrainte de vivre dans l'ombre et de louer ma lame pour survivre, j'étais une maîtresse du sabre. J'étais partie de rien mais à force de travail j'avais tout gagné: maîtrise, puissance, honneur et respect de mes pairs. Mais justement parce que je possédais tout ça, commettre une erreur était une faute grave et j'ai commis l'irréparable."

Inutile de rentrer dans les détails pour deviner dans quelle descente irrésistible elle a dû s’engager. Rejetée par les gens honnêtes, le crime appelant le crime, il n’a pas dû falloir longtemps pour transformer une jeune escrimeuse pleine de talent et d’ambition en une malfaitrice comme il y en a tant sur ces mers.
Il me reste cependant une interrogation… à laquelle elle se fait un plaisir de répondre d’elle-même:

"- A force de faire des allers-retours entre l’île principale et ici, vous avez fini par attirer l’attention. Lorsque la rumeur m’est parvenue qu’une expédition d’aventuriers était en train de chercher un trésor sur cette île, j'ai su que je tenais une occasion. Aucun trésor ne peut ramener une vie perdue mais il me permettra au moins de me racheter aux yeux de la famille de la victime et de tous ceux que j'ai déçus, et peut-être de prendre un nouveau départ."

Ah... à l'en croire, même si on réussit à se débarrasser d'elle il faudra s'attendre à d'autres ennuis avec notre trésor. Raison de plus pour essayer d'en finir le plus rapidement possible !
Je plains cette femme, et en d’autres circonstances -si elle n’avait pas commencé par nous attaquer pour nous dépouiller, par exemple !- j’aurais sans doute voulu l’aider. Maintenant, si elle n'avait pas été plus forte que moi je n'aurais eu aucun scrupule à la laisser se débrouiller avec ses ennuis et à lui suggérer que le meilleur moyen d’être au clair avec la justice c’est de se livrer à la marine et de se laisser mettre en prison ! Surtout que madame a des goûts de luxe: on ne parle pas juste de se trouver un peu d'argent pour soigner un parent malade ou acheter un petit rien ! Évidemment, vu les circonstances je suis sûre que je peux feindre l'empathie et essayer de trouver un arrangement.
Je chuchote à Anatara qui est la plus proche de moi.

"- Si elle se met à parler à mon avis c'est qu'elle n'est plus si sûre de sa supériorité." -En plus il y a un adage qui dit que ceux qui racontent leur vie ou se remémorent leur passé pendant un combat sont voués à le perdre !- "C'est peut-être le moment de s'en tirer avec une négociation à notre avantage ?"
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