Tandis que la forme gigantesque du Sablier redisparaissait dans les méandres sablonneux d’El Jezada, un énième silence de plomb s'abattit temporairement encore autour de certains vaisseaux survivants. Il ne dura guère -pas plus d’une seconde à peine-, mais put donner l’impression que chacun sur place retenait à nouveau son souffle dans l’attente d’un nouveau problème cataclysmique. Ou d’un miracle qui ne vint point.
Avec le décès de la princesse, l’alliance des pirates et nomades avait été formellement vaincue. Et si c’était là un sujet de réjouissance générale, une nouvelle formidable, tout n’était pour autant pas terminé.
Ainsi, la crainte théorique que la créature mystique des lieux puisse s’attaquer à ceux qui respiraient toujours, ou l’espoir que le monstre débarrasserait subitement l’île de ses cousins importés, furent tôt remplacés par la peur plus pratique de tous trop finir dans l’appendice ventral des plus petits vers hargneux qui n’avaient, eux, guère été tous décimés. Presque comme un seul homme, les marins reprirent, ou se mirent alors aux quelques tâches ingrates qu’il leur restait à faire.
Là, par exemple, certains plongèrent de nouveau dans des cadavres de navires locaux. Afin, notamment, d’achever manuellement les rares traîtres qui n’agonisaient pas assez. Ils auraient pu laisser ce travail aux gueules béantes des créatures affamées qui ne demandaient que ceci, mais terminer d’évacuer rapidement le corps des alliés blessés importait trop à une partie des bonnes âmes présentes.
S’assurer pour de bon que le danger humain, qu’ils avaient eu du mal à gérer et par la faute duquel des amis et collègues avaient trop souffert, ne puisse jamais revenir sous une forme ou une autre comptait aussi.
Ici, des corps se mouvèrent bien prestement, pour finir de remplacer les voiles que l’ennemi avait pu déchirer, renouer des cordages que des canons avaient sectionnés, ou tout bêtement aider aux manœuvres que les supérieurs requéraient. Ailleurs, d’autres mains calleuses firent davantage cliqueter outils et bois dans le but d’éviter un naufrage ou un effondrement à assez court terme.
Les succinctes réparations n’avaient besoin de tenir que le temps du retour à un port, mais elles furent terminées avec une petite dose d'adrénaline en plus et de ravissement. Ainsi que d’empressement, pour permettre aux bateaux amochés de vite aller retrouver la paix de la cité principale, mais pas que. Car, en plus de l’espérance de sérénité des combattants, Sahrakis attendait des nouvelles. Sahrakis patientait, à l’instar des autres villes, et souhaitait savoir si, demain encore, elle risquait de resubir une de ces horribles attaques dont les nomades agressifs avaient eu le secret. Hors, l’idée de se faire joyeux messagers donnait des ailes aux militaires qui ne savaient point tous voler.
Quand, plus tard, des mousses se mirent à commencer à frotter les ponts de leurs bras tremblants, il fut clair pour tous les équipages que leur victoire était cette fois-ci bel et bien heureuse. Il y avait eu des morts, pour sûr. Il y aurait des confrères à pleurer.
Cependant, leur cortège était toujours assez étoffé pour ne pas amèrement regretter le déplacement. Il n’y avait guère, ce coup-ci, presque toute une compagnie de disparue. La stratégie mise en place par les têtes pensantes avait payé. Les efforts de chacun avaient été récompensés.
Le Leviathan en tête, les mouettes survivantes ne décéderaient en plus pas davantage en nombre aujourd’hui. C’était ça aussi de pris. Ses bombes vibrantes assuraient en effet pour tous un retour sans réelle encombre au port de la Sublime.
Et, lorsque la quatrième fut lancée et ouvrit encore le chemin, on put sentir une nouvelle joie remplir l’air ambiant. Sahrakis n’était plus très loin…
***
« Sont-ils tous morts ? »
La trogne d’un enfant, trop grave, trop pleine d’espoirs pour son âge, était levée vers le pauvre Alfred, un simple petit officier qui ne savait jusque-là pas trop où se mettre.
L’homme se retrouvait incapable de se décider sur ce qu’il devait faire entre se mêler à la foule grossissante qui fêtait joyeusement, quoiqu’avec une légère dose d’incrédulité, le retour triomphant de la marine, rejoindre ses supérieurs que Saladin lui-même escortait avec allégresse au palais, ou retourner fissa sur son navire voir où il pourrait se rendre utile si on ne le laissait pas se reposer.
L’adrénaline du combat et du retour avait disparu, ne laissant chez lui qu’une joie doucereuse teintée de sang, de la fierté maladroite, une touche de déboussolement et de l'éreintement en pagaille. Mais, à voir cet inconnu mioche si sage, si en demande de réponses, il trouva finalement une solution pour mettre fin à son indécision.
Il hocha la tête alors. Puis, lentement, s’assit dans le but d’être à la hauteur du gamin.
« Veux-tu savoir ce qu’il s’est passé ? »
Le petit ne refusa point. Et si le conteur s’avéra trop prolixe et malhabile, leur duo fut tout de même rejoint peu à peu par d’autres auditeurs loin d’être en manque de questions.
Au bout d’une longue bonne heure, une partie de la vingtaine de personnes pendues aux lèvres du guerrier s'éparpilla enfin. Dont l’enfant. Sans doute allaient-ils répéter ce qu’ils avaient entendu, ravis d’avoir encore plus de détails que beaucoup de leurs voisins. Ou se coucher l’esprit rasséréné.
Rien ou presque ne leur avait pour le coup été épargné, de la capture du traître par le vice-amiral Levi, en passant par ses autres faits d’armes ou ceux moins flamboyants de ses camarades moins gradés, les attaques entre alliés, la résistance de chacun, sans oublier l’utilisation du haki du colonel d’élite Kogaku, sa chevauchée de ver en compagnie de son collègue de toujours et l’appel final du Sablier.
Chaque fois qu’Alfred avait cru ne pas avoir vu un détail ou ne s’en était pas souvenu de lui-même, les interrogations de son public lui avaient permis de revoir la scène chaotique dont ils traitaient. Comme s’il y était toujours et avec bien trop de précision parfois peut-être. Si bien qu’il avait été dur, pour cet être peu habitué aux discours motivants, de ne pas trop souligner l’horreur que représentait toujours une bataille. Surtout lorsque l’ennemi était composé de plusieurs forces.
Une mélancolie douloureuse, eu égard à ceux perdus dans le combat, aux minuscules occasions ratées de mieux faire, s’était au bout du compte installée sur ses traits. L’ambiance festive, dans les alentours, ne correspondait plus du tout à son humeur ternie par les réminiscences trop vives et les suppositions qui le tiraillaient. Sa fatigue générale le rattrapait.
Pourtant, ou sans doute à cause de ceci, il ne résista guère quand un local resté à son côté lui proposa de fêter leur victoire en buvant. À l’instar de certains de ses collègues, sûrement, il se saisit d’une tasse à l’arôme alcoolisé assez vivement et la haussa aussi haut qu’autrui avant de s’en délecter. La seconde, puis les suivantes très rapides, suivirent l’exact même trajet.
L’alcool aidant, juste avant de sombrer, l’officier traité en héros retrouva finalement un semblant de sourire. Ressemblant étrangement à celui qu’avait l’innocent moujingue comblé, une fois son histoire terminée.
***
« Siddharta et Syrte recevront l’information d’ici deux jours. »
Un mouvement discret d’un poignet de Saladin, et deux scribes sur quatre filèrent hors de la pièce sans mot rajouter. Des ordres leur avaient été donnés.
Les érudits en question réecriraient plusieurs fois leurs missives avant de les faire envoyer par divers trajets et messagers. Oiseaux dressés comme hommes de main partiraient porter chacun de leur côté les nouvelles heureuses aux deux autres coins importants d’El Jezada. Ainsi, si l’un se perdait ou finissait attaqué, il était quand même assuré que chacun des destinataires finirait au courant des bonnes nouvelles dans le temps imparti.
Bien entendu que jouer de l’escargophone aurait mieux fonctionné en terme d’efficacité de communication. Sans doute le sultan aurait-il pu passer par cette voie et en ferait-il aussi usage une fois dans l’intimité. Néanmoins, l’apparat comptait. Surtout maintenant. Et laisser ses alliés voir venir à eux ses messagers et crieurs aurait bien davantage d’impact qu’un unique coup de fil sans prétention. Ce dernier aurait un peu de mal à assurer seul aux autres dirigeants ou aux peuples inquiets que plus rien n’était à craindre du côté des Sunsets et des nomades.
Le chef de Sahrakis contempla d’un oeil assez apaisé les quelques marins en sa présence. Même si sa scientifique n’était pas dans le coin, il y avait du beau monde. Ethan, Yama, Jakku, une inconnue nommée Lin, des sbires de Levi et des autres. Si certains avaient le regard fourbu, d’autres s’étaient depuis leur arrivée laissés entraîner par le sempiternel côté festif que la cité déployait pour ses invités et affichaient un faciès apaisé.
On avait fait honneur au banquet dressé en toute hâte dans l’une des cours du palais, lorsque les rares guetteurs osant encore monter sur le Dendelion abîmé s’étaient aperçus de leur retour. À la simple joie de les revoir en vie s’était d’ailleurs ajouté le bonheur du triomphe, affirmé au devant de la foule curieuse à peine avaient-ils eu les pieds sur le sable ferme, puis confirmé par un résumé de la bataille effectué par Yamamoto lors du repas agréable.
Un servant se pencha pour lui murmurer quelque chose à l’oreille. Le maître des lieux en sourit.
« Nous signerons donc notre entrée dans le cercle d’or dans neuf matinées. »
Rajouta-t-il cordialement.
Les scribes toujours présents grattèrent leurs papiers. Le délai serait suffisant pour permettre aux princes marchands et au calife de Siddharta de faire le déplacement jusqu’ici avec leurs escortes et leurs familles dans un faste peu mirifique, mais sans doute bien trop dispendieux. Il serait peut-être par contre un poil trop court pour permettre à ses propres gens de tout préparer à la perfection, mais quelle importance ?
« Tu n’en profiterais pas pour revenir sur ta parole Saladin ?
_ Ai-je jamais trahi ta confiance l’ami ? »
Répliqua au vice-amiral le sultan presque amusé.
Il y avait bien trop à gagner, en terme de sécurité pour El Jezada dans son entièreté et pour sa ville en particulier pour doubler maintenant les héros du peuple qu’il appréciait assez. Ou pour reculer la date de ce rendez-vous, au nom d’apparats plus fabuleux.
« Durant votre absence, l´accord a été sécurisé. »
Il, ou plutôt son vizir bien plus expérimenté en manigances, s’était acharné dans le but de ne laisser presque aucune marge de manœuvre aux dirigeants de Syrte. Et il avait réussi. Siddharta n’avait de son côté fait aucune difficulté pour accepter que Sahrakis les représente aux yeux du gouvernement mondial. Saladin ignorait que son nouveau calife avait des liens avec le cipher pol, mais il avait apprécié l’aide apportée par sa personne pour finir de faire plier la troisième cité qui avait tergiversé.
Les princes marchands, avides uniquement de bénéfices égoïstes, ne causeraient donc normalement plus de souci vis-à-vis de la signature du document. Ni aujourd’hui, ni demain. Et si les pactes passés avec eux ne suffisaient pas à finalement les y forcer, des preuves flagrantes de leur acoquinement avec les rebelles et de d’autres méfaits allaient permettre de les tenir longuement en partie en laisse. Tout comme la présence constante de la marine sur l’île, à partir de maintenant.
« Nul ne trouvera à y redire. »
Conclut le sultan, en piochant avec une joie toujours visible dans un petit pot empli de raisins.
De manière plus générale, et qui n’avait pas totalement à voir avec le traité en lui-même ou les autres accords, les rivalités entre cités mettraient sans doute un peu de temps à totalement s’estomper. Ce, même si Sarhakis était reconnue comme interlocutrice privilégiée par l’extérieur.
Personne ne pouvait en effet effacer d’un coup de baguette magique des décennies d’attaques entre villes. Du moins sans compter sur la résilience et l’adaptabilité des habitants des sables. Ou la nature difficile dans laquelle ils évoluaient.
Habitué à percevoir leurs habitations et leurs amours se faire dévorés par le désert toujours plus cruel, par des armes toujours plus évoluées, chaque habitant d’El Jezada avait déjà dû apprendre à un moment ou un autre à modifier son propre comportement afin de survivre.
Et si l’un des ennemis communs d’hier avait été aujourd’hui vaincu, un nouveau se dressait maintenant, plus sauvage, plus multiple. Ces vers, venus on ne savait d’où, aideraient en effet à terme à unifier les efforts et les espoirs des diverses peuplades. Mieux encore que toutes les fêtes ou accords imaginables puisque le but serait de tous subsister. Peut-être.
***
Depuis sa libération, les reconstructions avançaient dans Sahrakis abimée. La Sublime retrouvait, par petites touches, ses couleurs magnifiques.
Tout ne serait pas fini avant la signature officielle et publique de l’entrée d’El Jezada dans le gouvernement mondial, mais l’on pouvait bien espérer que chacune de ses rues principales serait redevenue totalement et parfaitement praticable.
En attendant, les marins réguliers ou d’élite étaient fréquemment enrôlés dans des fêtes plus ou moins improvisées. Si Saladin avait bien décrété plusieurs journées de festivités afin de saluer le retour glorieux des héros, les habitants de la ville avaient pris sur eux pour organiser aussi moults autres rassemblements plutôt sympathiques.
Ainsi, il ne se passa guère une soirée sans que des boissons ne soient gratuitement fournies aux étrangers qui en faisaient la requête, même indirecte. Le seul paiement requis, s’il en était un, était d’accepter de réfuter ou de confirmer certains détails que les rumeurs portaient. Il fut ainsi reporté aux autorités que de rares langues avaient parlé de deux Sabliers invoqués. L’on s’amusa, durant ces nuitées, quant au fait qu’Ethan aurait, à lui seul et d’un unique coup de meitou, tranché six bateaux d’affilée. Ou encore que le Cerbère, affamé, aurait dévoré -bien cuit s’il vous plaît- le ver de compagnie qu’il avait dressé.
Parfois, entre deux allées, les représentants du gouvernement, qu’ils n’aient jamais entendu leur nom cité ou si, étaient sinon arrêtés par quelques timides artistes. En dix ou quinze minutes de discussions, leur portrait finissait alors taillé dans des petites pierres de grès ou sur d’autres supports faciles à trouver.
Entre ça, et les bains de foule qui de temps en temps se formaient subitement, il fallait faire attention à l’image que chacun renvoyait. Surtout au fur et à mesure que l’instant critique de la réunion et des signatures se rapprochait.
Il y eut des couacs, bien sûr. Après tout, tous trop différents, ils n’avaient pas obligatoirement les mêmes rituels et manières de communiquer. Certains, tels ce pauvre Alfred précédemment perçu, se sentirent aussi au bout d’un moment un peu trop sollicités.
Mais quand Kogaku et Levi firent personnellement presque tomber la chemise sur un chantier, peu de jours avant l’arrivée des princes marchands et du sultan de Syrthe, une bonne partie des erreurs et tracas fut totalement oubliée. Le reste, grâce notamment au travail de plus longue haleine de la 102eme envoyée par petites troupes sur d’autres lieux de reconstruction, fut vite mis de côté.
***
Elle contemplait le spectacle et les foules de nantis en silence. Adossée à un petit muret, au milieu d’une troupe de courtisans aux grades peu élevés, Jenna la fausse scientifique tenait là une partie du rôle qu’elle avait déjà lors de sa première venue sur El Jezada. La protection de Saladin.
Seule différence s’il y en avait une : cette fois-ci, nulle question de rapprochement. Se présenter à tous officiellement tel une proche du sultan aurait comporté de trop nombreux risques dans ce rassemblement important. Et ni l’homme ni elle n’avaient vu d’intérêt à cela ; lui pour la protéger sans doute d’un tout autre danger qu’un couteau dans le dos, même si des rumeurs avaient peut-être déjà atteint des oreilles peu amicales, elle parce qu’il avait déjà à son côté quelques gardes sûrs, en plus des hauts gradés marins. Il faudra peut-être par contre que je lui avoue que je sais me défendre. Un jour.
Précédemment, quand Ethan lui avait demandé ce qu’elle comptait faire, Lydia avait alors haussé les épaules. Opérer à une légère distance n’était pas obligatoirement un mal. Sous prétexte de flâner ou de tenter de se distraire, elle pouvait poser son regard sur tout et n’importe quoi. Il n’y avait pas de ronds de jambes à faire non plus dans sa position plus lointaine, même si quelques têtes de l’entourage des autres dirigeants lui glissaient parfois de menus regards curieux. Elle pouvait lancer des discussions avec les gens présents sans trop d’arrières pensées. De plus, les risques d’un danger provenant de l’extérieur étaient proches du néant tant le reste de la sécurité avait été renforcée pour l’occasion.
Bref, son rôle se réduirait sans nul doute pour toute la cérémonie à celui d’une simple observatrice. Une participante présente, mais à l’écart en même temps. Ceci lui allait. Ce n’était pas véritablement la panacée, mais on s’en rapprochait drôlement pour l’ancienne assassin peu adepte des lumières et des honneurs. Et c’était toujours mieux que de rester calée sur une couchette sur le Leviathan ou de patrouiller en ville, loin de l’évènement.
Car elle avait véritablement tenu à y assister, oui. Pour essayer d’atténuer peut-être l’impression de massacre que lui avait laissé le combat, soit, mais aussi pour partager l’un des moments de grâce de Yama et de son cadet. Et pour ne pas rester seule, accessoirement.
L’absence de Jamal, maintenant que tout était terminé, était revenue la hanter davantage. L’espèce de vide qui lui enserrait de temps en temps le sein avait commencé à grignoter un peu plus de place qu’il fallait recouvrir.
Cet idiot ne sait pas ce qu’il rate. La pensée au ton mélancolique s’accompagna d’un coup d’oeil à Ethan. Son petit frère, bien joliment vêtu, se tenait avec tous les autres autour d’une table ronde et solennelle.
S’il avait été là, il aurait sans doute lâché une de ses remarques acerbes, avant de me dire que nous devons filer. Souffla-t-elle. Puisque rester pour les fins heureuses, surtout celles liées à leur puîné, ce n’était pas pour les cipher pols numéro neuf qu’ils étaient, n’est-ce pas ?
Un début de sourire attendri fut adressé au vice-amiral lorsqu’elle crut que leurs regards se croisèrent brièvement. Qu’il est beau. Fondit doucement la sœur aînée très, très objective, avant de laisser courir ses mirettes ailleurs.
Rien n’échappa à son oeil bleu, entre le menton délicieusement souriant de Yama, l’air mortellement sérieux de Jakku, celui légèrement fier de Daniel, ou encore quelques notes chantantes provenant de chez Mozart.
Elle s’amusa ensuite doucement de l’image de Saladin, qui, concentré sur les textes posés sur la table et les dires d’un de ses conseillers, ne remarquait sans doute pas qu’il avait les sourcils froncés. Le sultan avait tant été occupé ces derniers jours qu’ils n’avaient trouvé que cinq minutes pour se voir. En bref point assez afin d’avoir cette discussion qu’elle lui avait promis, mais qu’il avait tout de même désiré reporter en la percevant blessée.
Dans le but d’éviter de trop l'inquiéter, elle avait dû inventer une origine toute autre aux nouvelles marques que son corps possédait. Ainsi, pour l’homme trop sage, c’était quand le navire où elle se trouvait avait pris un gros coup sur le côté, manquant de se faire totalement éventrer, qu’elle s’était retrouvée projetée et amochée. Même s’il désirait vérifier l’information, il ne pourrait réellement prouver le mensonge ; certains bateaux avaient bien subi semblables avaries. Et c’était toujours moins effarant que de songer qu’elle avait manqué, à peu de cheveux près, de finir en tant que nourriture pour ver mal éduqué, tout en expliquant pourquoi elle n’était pas visible lors de leur arrivée.
Vinrent enfin les princes marchands, dont certains apposaient en cet instant leurs signatures sur les documents importants. Le compromis de grande collaboration entre les cités, notamment. La plupart avaient un visage si fermé qu’il était impossible de lire quoi que ce soit en eux.
Cependant, entre les corps comme tirés par quelques fils trop tendus de leur escorte et leur retard d’arrivée à tous, il n’était pas vraiment difficile de déterminer qu’ils n’étaient pas obligatoirement des plus heureux d’être ici. À deux jours près, par leur faute, il aurait d’ailleurs peut-être fallu reporter l’événement historique qui prenait place en ce moment même. Heureusement pour eux, aucun n’avait désiré trop tenter de tirer sur la laisse qu’on leur avait imposé.
Le calife de Siddharta était bien plus tranquille que les précédentes têtes couronnées. Avec son monocle sur le nez, l’homme d’une quarantaine d’années ne payait pas trop de mine, mais dégageait un air… apaisé, malgré le fait qu’il semblait presque esseulé.
Contact du cipher pol neuf, l’individu qui avait fait fermer sa cité, lors des attaques des rebelles, avait sans doute trouvé dans l’évolution des choses une fin très heureuse. Je ne peux pas totalement lui donner tort. Ceux vivant sous son joug verraient, comme tous les autres, leur sécurité amplement renforcée. Et l’accord entre les cités ferait disparaître le risque de guerres internes propres à déchirer l’île comme c’était si souvent arrivé par le passé.
Elle balaya du regard les autres proches de ces rois que l’on avait fait installer en arc de cercle, à une vingtaine de pas de la table imposante. Posée sur un fort large coussin, la fille ainée du précédent calife de Siddharta veillait sur le successeur de son père d’un air gourmand. Visiblement, ceux-là s’entendaient bien, malgré le remplacement sanglant du paternel provoqué par Jamâl. Deux de ses jeunes soeurs avaient elles aussi fait le déplacement et regardaient un peu partout avec curiosité. Leurs servants s’occupaient de répondre aux interrogations qu’elles pouvaient avoir ; ceci se percevait aisément au nombre de fois que les bouches moins bien nées s’approchaient des royales oreilles.
À leur instar, les familles des marchands avaient fait le déplacement. Une trentaine de personnes, allant d’un grand-parent au bébé dernier né, se tenaient sur des tapis finement décorés, mangeant et buvant comme s’ils étaient là à un banquet juste derrière les maîtres de leurs maisonnées.
Du côté du sultan de Sakharis, s’il y avait des enfants ils ne dépassaient guère l’âge de dix ans. Le trentenaire n’avait guère été père ou oncle trop tôt. Mais, à scruter les cinq jolies demoiselles qui les couvaient et se tenaient souriantes en l’attente de la suite, Lydia se demanda à quel point les appartements personnels du jeune homme étaient pleins. Et tu espères vraiment que je les rejoigne si elles ne sont pas toutes tes cousines ? Fit-elle mine de lui envoyer par la pensée, d’un ton presque rieur.
Il faudra que je fasse leur connaissance, une prochaine fois. S’il y en avait une.
Reviendraient-ils seulement sur l’île sablonneuse, à présent qu’elle rentrait dans le giron du gouvernement ?
Leur présence n’y serait plus autant nécessaire…
***
Alfred sourit aux divers marins en uniforme qui, comme lui, s'étaient mêlés aux petites gens des cours. À l’exemple d’autrui, la plupart se dirigeait maintenant vers la sortie.
À présent que tous les documents importants avaient été paraphés, et l’information transmise à tout un chacun à l’extérieur grâce à des crieurs dépêchés à chaque nouvelle signature revêtue, il n’y avait plus rien à voir ici.
La suite de l’événement se déroulerait dans les rues ornées. On commencerait par une procession des dirigeants et de leurs alliés, direction la grande bibliothèque où les premiers exemplaires des traités variés seraient entreposés à jamais, disponibles à la demande pour chaque sage ou érudit qui le désirerait.
Suivraient ensuite divers événements tels des banquets, des conteurs et artistes plus ou moins itinérants, et des regroupements dansants et chantants. Ne résonneraient plus du tout de bruits de reconstruction trois jours durant, mais uniquement des cris de joie. On laisserait tomber marteaux et briques de grès afin de se saisir de luths et de mains à faire radieusement s’envoler. L’occasion, qui ne se représenterait sans doute jamais, le requérait.
Il fit quelques pas en dehors du palais. Les alentours étaient pleins. Les gardes du coin assuraient un cordon de sécurité pour les notables prêts à trottiner, sans violence aucune. L’ambiance était festive. Heureuse. Bon enfant, comme souvent.
Des gosses riaient, justement, tendant leurs petites mains vers les atours délicieux de leurs chefs trop loin. Des vendeurs de délices s’arrêtaient pour servir les curieux qui ne se préoccupaient guère tant de leur ventre que du spectacle d’unité que tous attendaient avec une agréable dose d’impatience. Des questions et dires remplis d’espoirs étaient hurlés parfois, comme des bénédictions que leurs gueulards s’échangeaient. Tout allait bien. Tout était délicieusement serein. Éminemment vivant.
« C’est pour ca que vous êtes morts. »
Il murmura cette évidence pour lui-même, ou les esprits de ses camarades disparus dont il épela mentalement les noms un à un. Mello, Henera, Avelgia, Mironos, Sven, Jenny, Bill, Sanaye et d’autres encore.
Il n’en oublia presque pas un, regrettant tout de même que ce ne soient pas d’eux dont les sculpteurs amateurs ou professionnels aient fait des statues. Car ces héros-ci, responsables tout autant que les autres de la paix nouvelle, finiraient sans nul doute oubliés, au contraire de leurs chefs et de leurs collègues en vie tout aussi héroïques. On ne les nommerait dans aucune histoire, quand bien ils avaient fait le sacrifice ultime pour ces terres qui ne les concernaient en rien.
Une étrange fatigue vint faire peser sur ses épaules un poids tristounet. Il prit un long souffle. Deux. Ferma les yeux. Les rouvrit lentement, pour contempler la scène gentillette. Se força à sourire.
Peut-être qu’il devenait éreinté à force de voir trop d’alliés se faire avaler dans des endroits inconnus. Peut-être qu’il ferait mieux de demander un changement de poste. S’il ne démissionnait pas.
« Ou alors, je pourrais faire en sorte que votre disparition n’ait pas servi à rien, les gars. Je crois. »
Hésita-t-il, avant de chuchoter doucement au vent quelques promesses allant dans ce sens.
Oui, après-après-demain, décida-t-il, s’il n’avait pas changé d’avis, Alfred Helkinson ferait bel et bien une demande d’affectation sur El Jezada même. Pour apprendre à mieux connaître les lieux qui avaient vu couler le sang de ses derniers amis. Et rappeler, quand il le pourrait, à la population locale le faciès, les qualités et le courage de ces étrangers décédés pour leur patrie. Quitte à vraiment trop encore se faire solliciter.
En attendant, il convenait de fêter dignement les vies qu’ils avaient permis de sauver et le futur heureux dont ils avaient aidé à bâtir les fondations. N’est-ce pas ?
***
Les princes marchands et leurs sbires étaient rentrés chez eux, tout comme le sultan de Siddharta et sa compagnie. La ville ne résonnait plus d’autant de cris joyeux que précédemment. De leur côté, chacun de ses habitants était retourné à la reconstruction. Ou à ses affaires d'État. Ou à celles plus personnelles.
On aurait d’ailleurs pu croire que Saladin aurait pu souffler un peu, une fois l’entrée dans le cercle d’or signée, mais c’était oublier que la paraphe n’était que le commencement d’une inédite aventure pour son peuple dans son entièreté. Il restait mille détails à régler, et cent nouveaux paraissaient pondre chaque jour. Tant et si bien que le sultan débordé avait accaparé les héros du peuple, en plus de tous ses conseillers, afin de temporairement l’aider dans sa tâche sans fin.
De ses deux marins préférés, après maintes discussions, il avait obtenu la promesse qu’ils resteraient dans les parages dix jours de plus suite aux festivités des signatures.
Cela devait suffire pour permettre aux vaisseaux des mouettes d’être totalement soignés, lui apprendre, à lui, à complètement se débrouiller avec toutes les nouvelles données, en plus de lui laisser le temps de terminer d’organiser un autre genre de rendez-vous.
Car une surprise de polichinelle attendait ses alliés, en effet. Pendant qu’ils l’aidaient notamment à déterminer où des bases marines pouvaient bien s’intégrer, bossaient dans l’ombre plusieurs sculpteurs émérites et érudits concentrés.
On fêterait le départ futur des champions actuels d’El Jezada avec une certaine affection. Plus encore que leurs précédentes arrivées, ou que leurs victoires variées. Ils l’avaient bien mérité. La statue taille réelle de leurs personnes, qui ornerait donc bientôt une des places cérémonielles, ne rendrait pas seule hommage à leur bravoure devenue ici légendaire.
Outre que Siddharta avait demandé qu’on en fasse un doublon pour l’une de ses rues, et que l’ouvrage était lui de même en cours, travaillaient donc aussi à réunir rumeurs et contes sur les hommes futurement encore fêtés plusieurs têtes bien remplies.
Leur soirée d’adieux allait en être remplie. Autant que quelques papiers qui étaient, en ce moment précis, gratté avidement. Les histoires viendraient dans le même temps grossir le rang de celles de la bibliothèque. Pour ne pas être oubliées, même par les futures générations.
***
« Tu as l’air crevé.
_ Ce n’est pas ce que je préférerais entendre de ta bouche. »
Grimaça Saladin, la faisant… sourire ?
À le voir si gentiment grognon, d’un côté, il avait la qualité de légèrement lui rappeler son petit frère adoré.
« Menteur.
_ Si je mens, je… »
Elle ne lui laissa point le temps de finir quelques remarques, ou de se promettre à d’inexistants enfers. À la place, elle lui proposa une autre sorte de paradis.
« Viens. »
Lui offrit-elle donc simplement, en prenant doucement ses mains dans les siennes.
Il en demeura interdit une seconde. La joie qui se lut cependant, ensuite, dans son regard, n’avait une fois encore rien en commun avec l'aménité d’usage dont il faisait preuve lors de réunions variées.
Ses yeux pétillaient légèrement, de curiosité. Se faisaient porteur d’une endurance nouvelle. S’attendant sans nul doute à une courte ineptie dont elle avait le secret ; une pause bienvenue dans leur journée trop remplie.
Ainsi, le sultan de Sahrakis, homme parmi les hommes, chef reconnu d’El Jezada, se laissa finalement mener où Lydia le souhaitait. Le trajet ne prit pas plus d’une minute.
Et il ne fut guère déçu du résultat ; même si là encore, ce n’était sans nul doute pas ce qu’il avait prévu de faire en ce jour.
Quand leurs corps rencontrèrent un amas de coussins, une grimace échappa à l’ancienne cipher pol. Le choc n’avait pas été violent, et Saladin ne pesait pas bien lourd. Mais quand même. Outre que la promiscuité avec quiconque n’était toujours pas sa tasse de thé, elle était toujours en convalescence s’il fallait le rappeler.
Heureusement, son compagnon ne perçut guère son faciès, son menton fourré dans le creux d’une épaule. Et si le sage guerrier se dégagea bien vite, afin de bien plus courtoisement s’allonger à son côté, elle eut de son côté plus qu’assez de temps pour se confectionner un air doux.
« Ne bouge plus.
_ Toi non plus. »
Ils échangèrent un coup d’oeil maladroit.
« Je parle, tu profites ? »
Le soupçon de taquinerie, dans la voix de la jeune femme, n’echappa sans doute pas à son interlocuteur dont l’attention s’était finalement portée vers ses lèvres pleines et souriantes.
Il ne dit rien. Il n’y avait rien à dire. Ou plutôt trop de choses, peut-être.
Mais aucune ne lui semblait de mise.
***
[…]
« Il dort. »
Le vizir hocha la tête, chuchota encore à son tour, sans paraître se préoccuper de ses vêtements légèrement froissés.
« Comptez-vous rester le veiller ?
_ Jusqu’à ses premiers signes de réveil. »
C’était toujours et à jamais un bout de son rôle, après tout, lorsqu’elle était ici. S’assurer encore et à jamais que rien ne pouvait atteindre le sultan, surtout pendant qu’il se montrait ainsi vulnérable en dehors de ses quartiers privés.
Quand elle était passée une première fois pour voir si le dirigeant était disponible pour une entrevue, ce matin, elle avait croisé le conseiller qui l’avait l’an passé tant éclairée sur le caractère de son patron éclairé. Celui qui lui faisait face. L’homme s’était permis de lui toucher un mot ou deux sur l'éreintement du souverain.
À vouloir trop en faire et trop bien, le maître des lieux s’épuisait. Et cet idiot remettait aussi à plus tard les activités qui lui auraient permis de souffler et s’aérer l’esprit. Alors, c’était de bon cœur qu’on avait aidé à temporairement vider l’emploi du temps de cette tête de bourrique de chef pour cet après-midi sans l’en tenir informé. On lui avait aménagé quelques heures de repos malgré lui, en sa compagnie. Elles étaient en cours.
« Avez-vous besoin de quelque chose ?
_ Non. Assurez-vous bien que personne ne le dérange, s’il vous plaît. »
Les domestiques silencieux, qui se fondaient presque dans les murs, lui avaient déjà porté de quoi boire et manger, dans la salle de réunion où ils se trouvaient. Elle n’avait la nécessité de rien d’autre.
Un petit mouvement de tête et le conseiller recula alors à pas de loup. La dernière image qu’il eut de son seigneur fut celle d’un simple homme abandonné au monde des songes, sur lequel était penché une toute aussi insignifiante femme finalement agenouillée.
Sur une impulsion, pour s’occuper, une fois de nouveau presque seuls -les servants muets ne comptaient guère-, usant de ses doigts comme elle l’avait précédemment, Lydia vint effleurer le front couronné en de petites caresses légères. L’endormi ne se mouva pas. Tout à ses rêves.
N’était cette imperceptible crispation, là, sous sa main, elle aurait pu croire qu’il était plongé dans une exquise et envoûtante songerie, sans défaut aucun. Je pourrais le tuer qu’il ne réagirait point davantage. S'émut-elle légèrement, en laissant courir son regard sur ses paumes ouvertes au ciel, son torse qui se soulevait lentement. L’ancienne assassin n’en ferait rien, bien entendu. Mais qu’on lui donna, volontairement et spontanément, la possibilité de le faire, avait un petit quelque chose d’attendrissant.
Elle laissa sa menotte dériver le long d’une tempe alliée, chatouiller timidement l’angle de la mâchoire pas rasée. La proximité la gênait bien moins, à présent que l’autre était inerte.
Ils n’avaient en tout cas, encore, pas eu le temps de réellement discuter. C’est mieux ainsi. La fatigue de l’un aurait sinon taché leurs échanges à tous deux. Peut-être devrons-nous remettre cela à une prochaine visite. Comme elle l’avait proposé, à la place, elle avait causé et il s’était tû.
Évitant les sujets sensibles, ceux qui l’auraient forcé à réfléchir alors qu’elle ne désirait que le percevoir se reposer, Lydia s’était plutôt chargée, avec une dose de candeur, de lui faire redécouvrir son monde du point de vue inexpérimenté de l’étrangère qu’elle était. La chaleur de ses dunes, la beauté du soleil qui s’y reflétait en se couchant, la surprise quand des navires inconnus soudainement apparaissaient, le rire des manants ; chaque petite chose qu’un habitué finit par généralement oublier tant ceci lui devient trop commun.
Elle lui avait décrit sa surprise joviale, devant certains menus détails de sa cité. Sa tendresse pour quelques briques que des mains avaient orné de mots d’amour, peut-être. Elle n’avait hélas pu les traduire. Il avait souri quand elle avait abordé le sujet de la bibliothèque et de sa curiosité à l’égard du bâtiment rempli de savoirs.
Avait commencé à fermer les yeux lorsqu’elle l’avait entretenu des danses étranges perçues parfois. Baillé alors qu’elle riait doucement d’un quiproquo sans gravité qui était arrivé avec un serveur, un soir. Le signe pour demander une nouvelle tournée n’était visiblement pas universel.
S’il n’avait sans doute pas compris où sa conteuse du jour désirait en venir, il s’était une fois encore laissé faire. Et il s’était finalement bel et bien endormi, alors que la demoiselle Levi comparait le son du vent dans les voiles étendus par les femmes à des musiques entendues naguère.
« Ton île ne ressemble à aucune autre, Saladin. »
Murmura-t-elle doucement, tout en jouant à remettre délicatement en place une mèche sur son front. Lequel bougea légèrement, inconsciemment. Pour tenter de retenir, peut-être, ce qui le touchait à son contact.
Hélas sans doute pour eux deux, la nouvelle marine n’était pas de ceux qui prenaient racine.
***
[…]
« Une île déserte ou pleine de monde ? »
Du rire perlait dans sa voix. Lydia mirait Ethan sans retenir une once de toute la tendresse qu’il lui inspirait ; son benjamin lui tournant le dos, il ne risquait normalement guère de la prendre sur le fait.
« Déserte. »
Alors que la 102eme, que Lin et Jakku repartaient suivrent d’énièmes ordres dangereux, Yamamoto et son collègue et ami avaient, eux, décidé de partir en vacances. Loin de tout. Chacun d’eux en avait besoin.
Kenora avait été prévenue, et tout était presque prêt de leur côté afin de leur permettre de souffler. Peut-être faudrait-il tout de même faire un tour vers Marie-Joie dans le but de régler quelques affaires en plus ou en suspens, et visiter deux ou trois îles pour le compte de la Marine avant de pouvoir s’abandonner à ce repos bien mérité. Mais cela viendrait.
Bien plus tôt que tard, ils seraient les pieds en éventail sur une plage vide. Et si sa divination avait fonctionné, peut-être la fille Levi aurait-elle pu déterminer que ceci arriverait une fois les dégâts causés par Gluttony sur Karakuri, notamment, contrôlés.
« Y aura-t-il de la place dans ta valise, petit frère ?
_ As-tu tant de vêtements ?
_ Je pensais plutôt m’y glisser. Si vous me le permettez. »
La seconde phrase fut rajoutée avec un empressement particulier.
Pour toute première réponse, Ethan tourna la tête et lui jeta un regard quelque peu perplexe de biais.
Faute peut-être à sa tâche prenante, ou aux sentiments aimants de son aînée courtement trop perceptibles, il ne fut par contre pas très clair dans ses propos suivants. Sans doute se résumèrent-ils à un « Quelle idée stupide. », ou à quelque chose du genre. Un silence de peu de secondes fut en tout cas laissé avant qu’il ne reprenne bien plus clairement.
« Tu ne resteras pas dans la Marine sans moi. »
Non, en effet. Puisque c’était pour lui, en grande partie, qu’elle avait finalement fait le choix de rejoindre les rangs. Mais ce n’était pas ce qu’il voulait vraiment dire, n’est-ce pas ? Son coeur à elle vécut un bienheureux raté.
« Tu pourras surveiller la fin de ma convalescence quand tu le voudras. »
Marmonna-t-elle à son tour, doucement.
Même s’il ne le comprit peut-être guère ainsi, c’était un gros pas en avant pour elle. L’ancienne cipher pol désirait tant apprendre à vivre avec celui qu’on ne pouvait plus nommer avorton qu’elle se sentait prête à lui céder des droits que même Jamâl n’avait point obtenu de bon coeur, les seules fois où il les avait réclamés.
« Je vais commencer mes bagages.
_ Nous ne partons pas d’ici avant cinq jours.
_ Je sais. »
Son sourire atteignit presque ses oreilles.
Elle se redressa, franchit la distance qui les séparait. Une de ses mains gantées vint très courtement caresser une tempe de son cadet. La jeune femme hésita brièvement, puis disparut ensuite du bureau du vice-amiral sans se faire prier.
« Je m’occupe aussi de faire réviser et nettoyer le pédalo ! »
Déclara-t-elle en passant le seuil sans plus se retourner.
Le retour dans la demeure familiale attendrait. Comme beaucoup d’autres choses. En tout cas si, lors de sa visite à l’hôpital, elle avait bien espéré pouvoir embarquer tôt ou tard Ethanounet dans des vacances afin qu’ils se redécouvrent en des endroits neutres, elle n’avait pas songé que ce moment arriverait si tôt.
Qui plus était en compagnie du fort agréable colonel Kogaku. L’homme l’intriguait chaque jour davantage pour bien des raisons. Le fait qu’il s’entendait terriblement bien avec son frère lui donnait en plus une aura certaine, il fallait l’avouer. C’est parfait. Plus sûrement encore que Daniel, il l’aiderait potentiellement à trouver une méthode pour faire rire aux éclats son benjamin trop sérieux, une fois tous détendus.
Lydia effleura ses propres lèvres, avant de les tapoter. Il n’y avait pas le moindre risque qu’ils puissent s’ennuyer, ensemble.
Par tous les saints du monde…
Voilà qu’elle était, à présent, formidablement pressée. Tout ça serait une autre forme d’aventure, en somme. Bien différente de celles vécues jusqu’à présent. Merveilleuse. Inimaginable exactement.