Il faut plus de subtilité pour tromper le discernement de la guerrière aux cheveux rouges. Parler à demi-mot n'est pas quelque chose qu'elle trouve agréable, mais elle sait que parfois il est nécessaire. Autant, elle se rend compte un peu tardivement du mal aise qu'elle peut engendrer auprès de son interlocutrice avec son intervention ou ses questions, autant, elle est elle-même gênée par le manque de transparence de cette dernière. Cela dit, bien qu'elle n'approuve pas que des gens cachent des morceaux de leur histoire par crainte, par honte ou par quoique ce soit d'autre, même s'il s'agit de raconter des banalités, elle comprend néanmoins qu'il n'est pas donné à tout le monde de se livrer entièrement à des inconnus, même aux plus généreux qu'il soit. Se méfiant elle aussi par moment de certaine personne, elle imagine non sans mal à quel point ça doit être dur pour quelqu'un comme Tatiana de parler d'elle. En définitive, après les abus et les traumatismes, l'instinct débloque des mécanismes de défense particulier, surtout lorsqu'on ne peut plus faire confiance ou sans qu'on puisse avoir de repère. Ne voulant pas mettre dans l'embarras la pirate, la rouquine préfère alors ne pas aller plus dans la relation, à son grand regret.
Voyant que la jeune femme aux cheveux multicolores élude la question par des médiocrités, la samouraï n'est pas vraiment convaincue. Voyager? Vivre l'aventure? voir le monde? À ses yeux, et probablement à tort, il est inconcevable de se lancer vers l'inconnu sans un minimum de préparation. Bien sûr, personne n'est véritablement prêt face à l'imprévu. Après tout, qui peut prétendre connaître ce qui est insoupçonné jusqu'à maintenant? Évidemment personne! Pourtant, c'est durant les échanges avec les autres ou au travers de ses erreurs qu'on se forge davantage, allant même jusqu'à se redécouvrir. D'ailleurs, pour l'épéiste, chaque cicatrice est une leçon et chaque combat teste ce qu'elle a appris. Et malgré ses longues méditations et ses entraînements acharnés, elle est loin d'être préparée à tout. Ne serait-ce que pour ce soir, elle n'aurait jamais imaginé partager du requin avec une étrangère à l'intérieur d'un nid géant perché sur une très haute montagne...
La question de Tatiana est pertinente. En vérité, songer à redescendre n'a jamais quitté l'esprit de la rousse. C'est juste qu'elle élabore des priorités et essaye de ne pas précipiter les choses. Oui, il faut quitter le nid au risque de finir dans le ventre d'un oiseau prédateur, mais malheureusement, descendre dans l'obscurité serait particulièrement audacieux. Se fiant à son ouïe fine depuis le début, elle entend le rapace gémir par moment et se dit que l'homme mystérieux est encore en train de l'affronter. Mais jusqu'à quand? Peut-il en ressortir vainqueur? Si autant le bruit du duel a été assez discret, à la limite même de l'imperceptible, maintenant, il en est tout autre. La créature ailée se rapproche de plus en plus au fur et à mesure qu'elle glatit, désespérée de ne pas pouvoir se débarrasser de son agresseur. Restant aux aguets, Akane laisse Roza répondre à la question.
— « Fuh... Le navire marchand sur lequel on a voyagé a heurté des récifs, mais les marins sont en train de le réparer. Et en parlant de ça, vu la vitesse où ils avancent, le bateau sera déjà reparti si on ne descend pas maintenant... »
La fille aux cheveux roses tourne son regard vers son camarade à la dernière phrase, le visage presque accusateur. Autant, elle est prête à suivre son amie jusqu'au bout, autant, elle ne cache pas qu'elle serait plus à l'aise d'être en contrebas. L'idée de remonter à bord du bateau l’intéresse honnêtement plus pour se sentir en sécurité. Non pas qu'avec la jeune NAKAMURA ça ne soit pas le cas, mais ce souhait reste bien plus réconfortant. Voyant cette dernière se lever et scruter l'horizon, elle rajoute.
— « Euh... N'est-ce pas, Akane? Le feu est juste là pour qu'on puisse manger, hein?? Tu ne comptes pas dormir ici, au moins??? »
Jaugeant la situation, la Chasseuse de Primes n'est pas encore sûre de la meilleure chose à faire. Son esprit étant préoccupé, elle lui répond d'un air nonchalant.
— « Rester ici ou descendre, tout est possible, mais tout doit se faire au moment propice. »
La jeune ZAÏTSEV n'aime pas vraiment quand la guerrière parle comme ça. Étant moins patiente que son homologue, dans cette situation précise, elle ne désire qu'une réponse claire et précise. Se levant à son tour, elle se rapproche du vide pour analyser. À l'inverse de son camarade, elle ne peut pas se fier à ses oreilles, mais elle dispose d'une vue particulièrement perçante. Et étant nyctalope, elle est en mesure d'y voir plus facilement. Elle comprend alors que l'heure de sortir du nid approche. L'épéiste tient à faire part de son intention à l'étrangère.
— « Je n'avais pas encore d'idée précise quant à la manière de retourner en bas, ni quand cela devait se faire, mais lorsque les occasions se présentent à nous, nous avons le devoir de les saisir. »
Et si ce n'est pas encore assez clair, invitant Tatiana et Roza à faire de même, Akane plonge sans une seule hésitation dans le vide. Au bout de quelques centaines de mètres, percutant la bête de plein fouet, la rousse manque de peau de glisser et l'oiseau se met à perdre de l'attitude sous l'effet du choc en y laissant littéralement des plumes. Parvenant à s'agripper comme elle peut, la samouraï est étonnée de voir le Chasseur de Monstres non plus sur son dos, mais dans ses serres en train de se débattre. Elle constate aussi que des cordages à moitié déchiquetés enlaçant çà et là la créature. Manifestement, l'animal n'a pas prévu de se faire agresser à nouveau sur son chemin de retour. Ne s'attendant pas non plus à voir du monde dans cette situation, l'étranger mystérieux se dévoile enfin.
— « Les circonstances sont parfois ironiques, vous ne trouvez pas? »
Akane ne répond pas, ne sachant pas s'il s'agit d'une phrase d'accroche ou une vraie question. Et si elle doit répondre, elle suppose que oui.
— « Navré pour tout à l'heure, mais c'était le seul moyen que j'avais pour arrêter le Ptéroraphus. Et vu ma situation actuelle, je suis loin de finir mon travail... »
Le Ptéroraphus est en vérité un mélange entre un rapace et un dinosaure, ce qui peut être difficile à remarquer pour un œil non-expert. Et de ce fait, il est unique en son genre. Survivant de sa propre espèce et provenant à l'origine de Grand Line, il a élu domicile sur cette île méconnue de tous afin d'y trouver la tranquillité et pouvoir dominer sans égal cette partie de West Blue. Il est responsable de la destruction du phare depuis des années, car la lumière le gêne la nuit. Il n'est pas à sous-estimer, et ça, l'individu enfermé dans les griffes du monstre géant ne le sait que trop bien.