-Hein ? Ah oui tiens.Je n’ai pas vraiment le temps de m’étonner d’apercevoir non pas un Lord aux cheveux grisonnants mais une jeune princesse bien plus fringante -tout du moins pour le moment- que déjà la bataille fait rage. La troupe d’Akane se déploie avec une efficacité impressionnante, démontrant ainsi les rouages d’une organisation bien huilée, m’arrachant une petite moue admirative. Kieran est le premier à entrer en action et je me dois de constater que sa grosse voix antipathique n’est pas seulement de la flûte. Le reste de nos camarades lui emboîte bien rapidement le pas, et je me laisse aller à un « ooooh » fasciné en voyant Akane tirer quatre katanas d’un coup. Alors ça, c’est pas banal. Être capable de se battre en maniant autant d’armes simultanément serait gage d’un entraînement particulièrement poussé et d’une science avancée du combat.
Et tout le monde ne peut pas en dire autant.
Voyez-vous, Louli m’a appris à me défendre, à l’époque où j’étais sur Carcinomia. Mais elle m’a surtout enseigné des techniques pour me débarrasser de quelques brutes un peu trop entreprenantes, quelques malfrats de bas étage dont pullule mon île natale adorée. Certainement pas pour combattre des assassins entraînés. Je possède bien un sabre moi-même, mais d’une part je n'ai pas la moindre idée de comment m’en servir, et d’autre part…
Eh bien d’autre part il est en train de bien sagement m’attendre dans ma chambre d’hôtel, et ce depuis que je suis arrivée sur Hinu Town. Comment diable aurais-je bien pu prévoir qu’un tel objet pourrait m’être utile dans une tentative de vaillant sauvetage et d’avortement de vil enlèvement ?
Et je me passerai de vos commentaires.
Et puis, moi, la bagarre, je n’aime pas ça. Enfin, je n’aime pas la pratiquer. Je peux apprécier l’admirer. Quand c’est du travail bien fait. Alors je laisse ça aux professionnels. Il faut l’avouer, on peut trouver une forme de créativité dans l’acte au demeurant barbare de tuer. Bien sûr, cela dépend évidemment du
style. Cela me rappelle un pirate que j’ai croisé il y a de cela quelques années sur Carcinomia qui se contentait de massacrer tout ce qui passait sur son chemin sans s'embarrasser ne serait-ce que d’un ersatz de volonté artistique. Bien trop brouillon à mon goût. Et pour l’instant, la mêlée qui se déroule sous mes yeux s’avère être également un chouïa chaotique -compréhensible étant donné le nombre de participants-. J’espère qu’Akane saura faire preuve d’un peu plus d’allure.
En parlant d'elle, je dois au moins lui reconnaître qu’elle fait le boulot. La rouquine est en train de se frayer un chemin littéralement
à travers les brigands, ne laissant derrière elle qu’une poignée de corps plus ou moins -plutôt moins- entiers. Bien. Il est temps pour moi de trouver comment me rendre utile. Mes iris pourpres se posent alors sur la princesse, en train de se faire malmener par un colosse semblant être le patron de cette bande de coupe-jarrets. Profiter de la confusion ambiante pour la tirer de ce mauvais pas pourrait être un début. Et peut-être que je pourrai ainsi également tirer au clair le mystère de ce fieffé archéologue manquant définitivement à l’appel. Je m’engouffre dans le sillage sanglant d’Akane, évitant comme je le peux les morceaux d’humains qui ont à cet instant l’étrange tendance à voler dans tous les sens, à grands renforts de « oh pardon » et de « veuillez m’excuser ».
-Akane la belle, à la chevelure flamboyante,
Tranchait têtes, bras dans une furie sanguinolente
Les brigands tombaient et la justice avançait
Sous la forme de quatre armes, aux lames acérées
Les regards que me lancent simultanément Roza et Kieran semblent indiquer que le moment est assez mal choisi pour pousser la chansonnette. Je leur offre mon plus beau sourire en retour. Il faudra plus qu’un air courroucé pour m’en empêcher. Après tout, c’est mon métier.
Nous avons simplement une idée légèrement différente de la signification de l’expression « ça va barder ».
Voyant la chasseuse de primes se rapprocher dangereusement de lui, le sinistre géant lâche la princesse pour se concentrer sur sa nouvelle proie -non sans avoir au passage vivement maltraité l’un de ses compagnons, dont le visage me paraît étrangement familier-, ce qui n’échappe pas à mon œil attentif. Tout en gardant ledit œil sur le combat des champions qui s’apprête à débuter, je contourne le chef de la bande pour me rapprocher discrètement de Sania tout en marmonnant après avoir entendu la provocation de Taro.
-Un homme qui s'auto-proclame terrifiant ne l’est pas vraiment…Par un heureux coup du sort, nos ennemis sont soit aux prises avec les compagnons d’Akane, soit trop occupés à s’éloigner le plus possible de leur chef après sa démonstration de cruauté et la voie est libre pour que je me faufile jusqu’au corps à demi-conscient de l’héritière des Al-Jawhara. Je la traîne un peu à l’écart et, après un instant d’hésitation, embarque avec moi le subordonné que Taro a laissé pour mort après lui avoir broyé les os. J’ai des questions à lui poser. Sania reprend conscience alors qu’on arrive à l’abri derrière un rocher.
-Princesse ? Vous êtes… Oh ! Hey, salut toi !Quoi ? Contrairement à ce que beaucoup pensent, je suis humaine. Et loin d’être insensible aux charmes. Vous savez, c’est aussi une forme d’art, d’une certaine manière…
-Aaaaaaaaaaah !!Le crochet que je prends dans la pommette me ramène bien vite à la réalité. Oui, en même temps on ne peut pas dire que je ne l’ai pas mérité. Et c’est qu’elle a une sacrée droite. Toute une constellation se met à danser devant mes yeux pendant que Sania prend la fuite. Note à moi-même : à l’avenir, éviter d’effrayer une princesse rompue aux arts martiaux en pleine reprise de connaissance. Le temps que je reprenne mes esprits, cette dernière est hors de ma vue. Autre chose ayant apparemment échappé à ma vigilance, le combat entre Akane et Taro semble à présent terminé. Et, s’élevant au milieu de la poussière qui, elle, retombe, la rouquine semble être ressortie vainqueuse du sanglant duel. Retombant également, la clameur des combats qui s’achèvent alors que notre camp semble avoir décimé les rangs des assaillants.
Bon. Soyons honnêtes, l’utilité que j’ai eue lors de cet affrontement est discutable. Et si l’on prend en compte le fait que j’avais annoncé que nous allions secourir Lord Herbert alors que nous n’avons pas vu l’ombre de ce dernier, on pourrait presque dire qu’elle a été négative. Notons que, personnellement, cela ne m’émeut pas plus que cela. Mais je crains que le reste de la troupe ne m’en tienne rigueur et que cela compromette ma participation aux futures aventures de l’équipée. Fort heureusement, j’ai toujours un atout dans ma manche, en la personne du sbire que j’ai extirpé à son triste sort, qui reprend difficilement connaissance et qui me rappelle définitivement…
-Hey ! Mais t’es le type avec qui j’ai discuté hier !-Hmpf... j’imagine qu’on peut appeler ça comme ça.-Mais oui. Alors dis-moi, il est où, Herbert ?-...Quoi ?-Ben oui, pourquoi il est pas là ? C’était quoi votre plan ?-Mais… *keuf* Tu le connais notre plan, je te l’ai avoué hier.-Alors oui mais du coup vous en aviez pas après Howard Herbert ?-Non... c’é... c'était que l’appât lui.-Ah.-On a toujours visé la princesse.-Ah.-Comme je te l’ai raconté hier.-Pour ma défense, tu parles beaucoup.-Qu’est-ce que…Mon regard se tourne vers le reste de la troupe, une grimace faussement désolée sur le visage en haussant les épaules.
-Oups. Je crois qu’on a fait fausse route. Tout le monde va bien sinon ?