Rappel du premier message :
Zhihao était peut-être une femme-poisson, mais cela ne voulait pas dire pour autant que passer des heures toute seule sous l’eau était son activité favorite. À plus forte raison quand il lui fallait se repérer à la boussole et repousser les assauts de prédateurs trop curieux sans être détectée depuis la surface, le tout pour finir par se jeter d’elle-même dans la gueule du loup, à savoir un de ces nids à pirates qui infestaient les mers, et dont les habitants se feraient une joie de l’étriper si son allégeance venait à être révélée. Elle n’avait cependant pas le choix : ces ports sans foi ni loi envoyaient souvent des navires-sentinelles patrouiller aux alentours, en une ironique parodie du modus operandi de la Marine, prêts à donner immédiatement l’alerte s’ils apercevaient la moindre voile décorée d’une mouette bleue à l’horizon. À partir de là, les forbans pouvaient soit mettre les voiles et s’éparpiller dans toutes les directions, soit se retrancher dans leur place-forte, parés à vendre chèrement leur peau. Dans un cas comme dans l’autre, ce n’était guère idéal pour le bras armé du Gouvernement Mondial.
Son supérieur était bien conscient du problème, et avait fait de sa subordonnée la solution : puisqu’elle pouvait respirer sous l’eau et nager plus vite qu’un humain, elle pouvait faire le voyage depuis la flotte et jusqu’au port sans se faire remarquer par les patrouilleurs. De là, elle n’avait plus qu’à se mêler aux locaux en capitalisant sur la réputation peu reluisante de ses congénères, et laisser traîner ses oreilles pour recueillir de précieuses informations qui pourraient ensuite servir à capturer les criminels qui se croyaient à l'abri dans leur sanctuaire. Cette méthode était risquée, la kanokunienne ne pouvant alors compter que sur elle-même, mais efficace. Elle avait néanmoins ses détracteurs, surtout des officiers qui bougonnaient que cela revenait à empiéter sur les plates-bandes du Cipher Pol…
L’univers devait certainement avoir le sens de l’humour ceci dit, parce que la mission du jour était particulière : pour une fois ce n’était pas le Commodore von Falingen qui avait ordonné cette infiltration, mais justement le Cipher Pol. L’un de leurs agents présents sur les lieux avait requis l’assistance de la Marine, et la 28ème Flotte Mobile étant la mieux placée pour répondre à son appel, c’était à Zhihao qu’avait échu cet honneur. Elle n’en savait pas beaucoup sur le contenu de la mission, par contre. Sécurité opérationnelle, au cas où la communication aurait été interceptée ; elle serait briefée sur place par l’agent en question.
En parlant de ça, elle était presque arrivée, et en approchant de la rade, toujours au fond de l’eau, elle découvrit une autre raison pour laquelle un assaut frontal de la Marine serait une très mauvaise idée. En effet, l’endroit était protégé par tout un champ de mines sous-marines ; s’y engager sans guide serait suicidaire, et même s’ils en avaient un, cela forcerait ses collègues à emprunter un itinéraire prédéterminé, certainement sous le feu de multiples batteries de canons. Redoublant de prudence, la militaire se faufila au milieu des bombes en gardant ses distances, mémorisant dans le même temps le seul chemin sûr pour plus tard.
Elle arriva heureusement sans encombres jusqu’aux quais, ce qui n’était jamais une garantie – les locaux auraient pu avoir leurs propres gardes hommes-poissons, par exemple. À partir de là, elle se mit à répéter un rituel devenu familier. D’abord trouver un recoin à l’écart, émettre une impulsion électrique pour scanner les environs avec son électroperception, et après s’être assurée qu’il n’y avait personne à proximité, émerger à la faveur de la nuit pour remettre enfin les pieds sur la terre ferme. Ensuite, gagner un second endroit loin des regards où elle pourrait ouvrir son sac imperméable et y récupérer ses affaires, histoire de revêtir des habits secs et appropriés. Évidemment, les pirates n’avaient pas toujours la même idée qu’elle de ce qui constituait une tenue appropriée, mais au moins elle pouvait toujours se promener avec ses armes à la ceinture sans choquer personne, à condition bien sûr de troquer son équipement habituel contre un sabre d’abordage et un pistolet qui ne trahiraient pas sa provenance.
Elle dut cependant dévier de sa routine après cette dernière étape. En temps normal, elle se serait immédiatement mise en chasse, sauf que là il fallait d’abord qu’elle rejoigne son mystérieux commanditaire. Elle savait quand même où elle devait se rendre, et à quel signe distinctif reconnaître son contact – ainsi que celui qu’elle devait elle-même arborer. Elle fit donc son chemin à travers les rues de la petite cité pirate, éclairées par la lumière des débits de boisson et toujours pleines de monde malgré l’heure tardive, essentiellement des soiffards et des filles de joie. Si son expérience de ce genre de situations lui permit de passer largement inaperçue, elle ne parvint pas tout à fait à éviter que certains des premiers ne la prennent pour l’une des secondes. Quand les ignorer n’était pas suffisant, une combinaison de regards noirs, d’insultes et de gestes grossiers et/ou menaçants faisait généralement l’affaire. L’un d’eux, sans doute trop aviné pour comprendre le message, voulut tout de même pousser les choses plus loin, et elle fut obligée de lui casser le nez, ce qui déclencha une bagarre qui ne tarda pas à prendre de l’ampleur. Rien d’extraordinaire pour l’endroit, où de telles rixes étaient monnaie courante. Cela lui permit en tout cas de s’éclipser à la faveur du chaos, et de parvenir quelques minutes plus tard à son objectif.
« « Au Poulpe Lubrique »… quel raffinement, vraiment. Ces pirates, je vous jure. » songea la militaire en avisant l’établissement et son enseigne des plus évocatrices. Enfin, elle n’était pas là pour faire du tourisme ; elle entra dans la taverne crasseuse, dont l’intérieur correspondait parfaitement à ce qu’on était en droit d’attendre d’un bouge nommé d’après un céphalopode libidineux, et promena son regard sur les clients, en quête de l’agent du Cipher Pol. Elle ne le repéra pas tout de suite, mais pour sa défense, il y avait une bonne raison à cela, car le fameux signe distinctif auquel elle devait se montrer attentive était l’élément le moins remarquable de sa dégaine. Sans blague, quel genre d’agent secret se déguisait en clown ? Le Commodore l’avait pourtant prévenue que les hommes de l’ombre pouvaient être bizarres, ce qui était assez culotté venant de lui…
« Non, c’est sans doute quelqu’un de parfaitement professionnel, qui se réfugie simplement dans l’audace, » se dit-elle. « Qui irait soupçonner un clown, après tout… Quoique, il y a plusieurs genres de clowns... »
Elle frissonna en se rappelant les atrocités commises par certains des émules du tristement célèbre Baggy. L’homme était mort depuis près d’un siècle, mais sa légende perdurait toujours, et ses admirateurs rivalisaient d’imagination et de perversité dans leur volonté d’égaler leur modèle. Elle était beaucoup moins confiante tout d’un coup… Mais elle avait sa mission, et il était hors de question de décevoir le Commodore. Zhihao surmonta cette poussée d’inquiétude, espérant qu'elle n'était pas en train de faire une énorme – et potentiellement fatale – erreur, puis se dirigea vers son contact, non sans avoir d'abord vérifié qu’il était bien le seul à arborer le symbole de reconnaissance.
Zhihao était peut-être une femme-poisson, mais cela ne voulait pas dire pour autant que passer des heures toute seule sous l’eau était son activité favorite. À plus forte raison quand il lui fallait se repérer à la boussole et repousser les assauts de prédateurs trop curieux sans être détectée depuis la surface, le tout pour finir par se jeter d’elle-même dans la gueule du loup, à savoir un de ces nids à pirates qui infestaient les mers, et dont les habitants se feraient une joie de l’étriper si son allégeance venait à être révélée. Elle n’avait cependant pas le choix : ces ports sans foi ni loi envoyaient souvent des navires-sentinelles patrouiller aux alentours, en une ironique parodie du modus operandi de la Marine, prêts à donner immédiatement l’alerte s’ils apercevaient la moindre voile décorée d’une mouette bleue à l’horizon. À partir de là, les forbans pouvaient soit mettre les voiles et s’éparpiller dans toutes les directions, soit se retrancher dans leur place-forte, parés à vendre chèrement leur peau. Dans un cas comme dans l’autre, ce n’était guère idéal pour le bras armé du Gouvernement Mondial.
Son supérieur était bien conscient du problème, et avait fait de sa subordonnée la solution : puisqu’elle pouvait respirer sous l’eau et nager plus vite qu’un humain, elle pouvait faire le voyage depuis la flotte et jusqu’au port sans se faire remarquer par les patrouilleurs. De là, elle n’avait plus qu’à se mêler aux locaux en capitalisant sur la réputation peu reluisante de ses congénères, et laisser traîner ses oreilles pour recueillir de précieuses informations qui pourraient ensuite servir à capturer les criminels qui se croyaient à l'abri dans leur sanctuaire. Cette méthode était risquée, la kanokunienne ne pouvant alors compter que sur elle-même, mais efficace. Elle avait néanmoins ses détracteurs, surtout des officiers qui bougonnaient que cela revenait à empiéter sur les plates-bandes du Cipher Pol…
L’univers devait certainement avoir le sens de l’humour ceci dit, parce que la mission du jour était particulière : pour une fois ce n’était pas le Commodore von Falingen qui avait ordonné cette infiltration, mais justement le Cipher Pol. L’un de leurs agents présents sur les lieux avait requis l’assistance de la Marine, et la 28ème Flotte Mobile étant la mieux placée pour répondre à son appel, c’était à Zhihao qu’avait échu cet honneur. Elle n’en savait pas beaucoup sur le contenu de la mission, par contre. Sécurité opérationnelle, au cas où la communication aurait été interceptée ; elle serait briefée sur place par l’agent en question.
En parlant de ça, elle était presque arrivée, et en approchant de la rade, toujours au fond de l’eau, elle découvrit une autre raison pour laquelle un assaut frontal de la Marine serait une très mauvaise idée. En effet, l’endroit était protégé par tout un champ de mines sous-marines ; s’y engager sans guide serait suicidaire, et même s’ils en avaient un, cela forcerait ses collègues à emprunter un itinéraire prédéterminé, certainement sous le feu de multiples batteries de canons. Redoublant de prudence, la militaire se faufila au milieu des bombes en gardant ses distances, mémorisant dans le même temps le seul chemin sûr pour plus tard.
Elle arriva heureusement sans encombres jusqu’aux quais, ce qui n’était jamais une garantie – les locaux auraient pu avoir leurs propres gardes hommes-poissons, par exemple. À partir de là, elle se mit à répéter un rituel devenu familier. D’abord trouver un recoin à l’écart, émettre une impulsion électrique pour scanner les environs avec son électroperception, et après s’être assurée qu’il n’y avait personne à proximité, émerger à la faveur de la nuit pour remettre enfin les pieds sur la terre ferme. Ensuite, gagner un second endroit loin des regards où elle pourrait ouvrir son sac imperméable et y récupérer ses affaires, histoire de revêtir des habits secs et appropriés. Évidemment, les pirates n’avaient pas toujours la même idée qu’elle de ce qui constituait une tenue appropriée, mais au moins elle pouvait toujours se promener avec ses armes à la ceinture sans choquer personne, à condition bien sûr de troquer son équipement habituel contre un sabre d’abordage et un pistolet qui ne trahiraient pas sa provenance.
Elle dut cependant dévier de sa routine après cette dernière étape. En temps normal, elle se serait immédiatement mise en chasse, sauf que là il fallait d’abord qu’elle rejoigne son mystérieux commanditaire. Elle savait quand même où elle devait se rendre, et à quel signe distinctif reconnaître son contact – ainsi que celui qu’elle devait elle-même arborer. Elle fit donc son chemin à travers les rues de la petite cité pirate, éclairées par la lumière des débits de boisson et toujours pleines de monde malgré l’heure tardive, essentiellement des soiffards et des filles de joie. Si son expérience de ce genre de situations lui permit de passer largement inaperçue, elle ne parvint pas tout à fait à éviter que certains des premiers ne la prennent pour l’une des secondes. Quand les ignorer n’était pas suffisant, une combinaison de regards noirs, d’insultes et de gestes grossiers et/ou menaçants faisait généralement l’affaire. L’un d’eux, sans doute trop aviné pour comprendre le message, voulut tout de même pousser les choses plus loin, et elle fut obligée de lui casser le nez, ce qui déclencha une bagarre qui ne tarda pas à prendre de l’ampleur. Rien d’extraordinaire pour l’endroit, où de telles rixes étaient monnaie courante. Cela lui permit en tout cas de s’éclipser à la faveur du chaos, et de parvenir quelques minutes plus tard à son objectif.
« « Au Poulpe Lubrique »… quel raffinement, vraiment. Ces pirates, je vous jure. » songea la militaire en avisant l’établissement et son enseigne des plus évocatrices. Enfin, elle n’était pas là pour faire du tourisme ; elle entra dans la taverne crasseuse, dont l’intérieur correspondait parfaitement à ce qu’on était en droit d’attendre d’un bouge nommé d’après un céphalopode libidineux, et promena son regard sur les clients, en quête de l’agent du Cipher Pol. Elle ne le repéra pas tout de suite, mais pour sa défense, il y avait une bonne raison à cela, car le fameux signe distinctif auquel elle devait se montrer attentive était l’élément le moins remarquable de sa dégaine. Sans blague, quel genre d’agent secret se déguisait en clown ? Le Commodore l’avait pourtant prévenue que les hommes de l’ombre pouvaient être bizarres, ce qui était assez culotté venant de lui…
« Non, c’est sans doute quelqu’un de parfaitement professionnel, qui se réfugie simplement dans l’audace, » se dit-elle. « Qui irait soupçonner un clown, après tout… Quoique, il y a plusieurs genres de clowns... »
Elle frissonna en se rappelant les atrocités commises par certains des émules du tristement célèbre Baggy. L’homme était mort depuis près d’un siècle, mais sa légende perdurait toujours, et ses admirateurs rivalisaient d’imagination et de perversité dans leur volonté d’égaler leur modèle. Elle était beaucoup moins confiante tout d’un coup… Mais elle avait sa mission, et il était hors de question de décevoir le Commodore. Zhihao surmonta cette poussée d’inquiétude, espérant qu'elle n'était pas en train de faire une énorme – et potentiellement fatale – erreur, puis se dirigea vers son contact, non sans avoir d'abord vérifié qu’il était bien le seul à arborer le symbole de reconnaissance.