Décidément, ce mec ne tournait pas rond. Quelque chose en lui avait fini par cramer ou se rouiller, parce que je ne comprenais vraiment pas comment il fonctionnait. Un coup froid et distant, paresseux et pervers alcoolique l’instant d’après, pour mieux alterner avec un officier supérieur plein d’ambition retorse. Et c’est moi qui étais affublée de l’adjectif « compliqué ». Nan, mais ce culot…
Le voilà donc en train de me coiffer. Je m’étais, comme toutes les fois auparavant, tendue quand il avait passé son bras autour de ma taille. Les contacts physiques et moi n’étions vraiment pas copains, depuis un certain temps. Mais, mais… il se mit à me peigner, et ça, sans qu’il ne le sut, était un des quelques moyens pour me faire fondre. Aurais-je été un chat que je me serais mise à ronronner, tellement j’appréciais ce genre de «caresses ». Je fermai à moitié les paupières, me laissant bercée dans un état de demi-conscience béate. Aussi le retour à la terre ferme fut-il dur, quand non seulement il me força à m’asseoir mais surtout en me mettant des chaussures.
Ce n’était pas tant le fait qu’il me touchât encore et encore… à ce moment-là, je me fus habituée à sa présence, son odeur. J’avais encore un réflexe de retrait instinctif, mais cela venait plus du fait que je me méfiais de lui, Alheïri Salem Fenyang, que de l’homme en lui. Après tout, un homme capable de vous démêler une telle chevelure telle la mienne, sans tirer sur pointes, méritait d’être upgrader dans la catégorie suivante, de passer de « barbare primitif sanguinaire capable de se gratter les genoux sans se baisser » à « individu de sexe masculin au comportement pas trop exacerbé par des phéromones à la con, et capables d’utiliser un pourcentage minime de leur cerveau, donc de faire preuve d’un fond de sensibilité ».
Et puis, mine de rien, il a un joli sourire.
Genre, sois beau et tais-toi.
Et bon, il n’y a pas que son sourire, de pas mal. Sa chute de reins offrait une vue appréciable, même si j’avais tendance à préférer les hommes plus musclés, plus mastoques. Sûrement un arrière-goût de la vengeance de l’ADN et de l’évolution qui poussent les femmes censées et intelligentes comme moi à rechercher la compagnie d’hommes dits « virils », pour le sentiment de protection qu’ils leur apportent. Ça et la haute probabilité de leur faire de bons gros bébés qui avec un peu de chance, associeraient la beauté et l’intelligence de Môman avec le charisme et la force de Pôpa.
Que toutes les Puissances me préservent d’un tel sort. Moi, mère… Pauvre, pauvre humanité. Le monde n’est juste pas assez grand pour deux chieurs – qui plus est deux chieuses – comme moi et mon futur quoi qu’improbable gosse.
Je m’étais perdue dans mes pensées et lui dans les siennes,. Il m’avait parlé, j’avais enregistré les paroles et apparemment, il attendait de moi une réponse, vu comme il était planté là, presque à genoux devant. Ah, heureusement qu’aucun de mes frères ne l’avait vu ainsi. Le benjamin se serait foutu de lui jusqu’à s’en planter les cordes vocales, et Jeremy en aurait conclu je ne sais quelle ineptie de complot ou de romance et serait allé consulter son dossier. Quant à Père… Il n’aurait dit mais n’en aurait pas moins pensé. Par contre, Mère aurait assumé, à nous voir si proches, que nous étions justement… proches… Et elle aurait roucoulé devant mon « amoureux » jusqu’à ce qu’il prît la fuite devant un tel étalage d’émotivité maternelle…
Et après, on s’étonne que dans ma tête, tout ne soit pas clair. Mais prenant en compte mon héritage génétique et mon historique familial, je trouve que je m’en suis plutôt bien sortie ! ! !
Et alors qu’Alh se relevait, je remis en marche mon cerveau, bien que les mouvements brusques de départ m’empêchaient de réfléchir sur le « présent » de l’action. Ce fut ainsi que mon compagnon du jour arriva à me faire sortir de chez moi alors que j’avais fermement décidé de rester en mode hibernation avancée : en catimini.
- « Shaïness et Salem? » relevai-je donc avec quelque chose comme trois minutes de retard. « Pourquoi Salem et pas Alheïri? » Oui, d’accord, c’était assez con, comme question. Je vous l’accorde. Mais sur le moment, c’est fut à peu près la seule pensée intelligente que je réussis à formuler, à l’exception près de “fuck the world, fuck the weather, and fuck you!”. Je crois que j’ai bien fait de la ranger de côté, celle-ci.
Par pur réflexe – ou alors, conditionnement de mon entraînement de Cipher Pol – j’avais attrapé en partant mon manteau d’hiver contenant dans la poche gants et écharpe. Ne me manquait que le cache-oreilles, mais j’allais devoir faire sans. Il semblait évident que Môsieur le Marine avait pris les choses en mains et avait décidé que non, le retour à la maison était impossible, à moins que je n’eusse envie de me coller à lui pour aller glisser ma main dans sa poche de jeans. Oui, mais non. Franchement, je passe pour ce tour.
En tout cas, le traitement de choc avait fonctionné. Les rebonds chaotiques de notre sortie et la claque glaciale qui nous accueillit une fois dehors firent taire en moi toute autre pensée que « ah, il fait froid et ce n’est pas facile de passer un manteau quand quelqu’un vous tient la main si fort ». Si je réussis à m’en dépatouiller, ce fut juste le temps de m’habiller chaudement avant que Poigne d’Acier ne reprit le contrôle intégral des choses.
Bah, je le laissais faire. Mon cerveau tournait à vide, épuisée comme je l’étais et encore à la limite de la gueule de bois comme je pouvais l’être. J’assistai donc d’un œil étrangement placide à mon sauvetage de la menace neigeuse (ce en quoi Alheïri avait bien agi, sinon je vous garantis qu’il y aurait eu du hachis parmentier sauce marmot-incapable-de-viser au menu du soir) et au début de promenade.
Ce fut dans l’indifférence la plus totale que je suivis Alheïri. En fait, mes pensées avaient pris une tournure des plus étranges, en partant du postulat que si jamais Alh se décidait à faire quelque chose pour ses cheveux, il devrait tenter de se les teindre en noir. Pourquoi noir ? Aucune idée… Demandez à mes pensées. Surtout que nous étions en train de l’imaginer – mes pensées et moi – vêtu d’un pantalon de ville noir, avec un blouson de peau et cuir noir et blanc, telle une tenue que j’avais appréciée dans mon dernier magazine. Ça lui irait bien. Mieux que cette loque de jean qui pendouillait sur son arrière-train qu’il avait, je le répète, bien agréable à regarder…
Les troupes adversaires qui nous encerclèrent me prirent donc au dépourvu le plus total. Si je n’identifiais pas du tout les paparazzi – après tout, je n’avais jamais à faire à ce genre de personnes depuis mon départ du cocon familial et de la petite bourgeoisie de West Blue où j’étais connue comme « débutante de l’année » - je fus capable de nommer les groupies pour ce qu’elles étaient en un instant. Faut avouer qu’elles m’avaient donné un GROS indice.
- « FENYANG-SAMA !!!! » piaillaient et couinaient-elles.
Elles eurent le mérite de me tirer de mon mode « zombi cérébral ».
- « Hein, quoi? Qu’est-ce qu-huumph! »
J’avais à peine commencé ma phrase qu’il me prit dans ses bras pour me plaquer un baiser sur les lèvres. Cette fois, je n’eus pas de mouvement de recul, mais l’envie de lui coller la mandale de sa vie. Nan, mais quoi encore ? Une tourte aux rognons et dix-mille Berrys, pendant qu’il y était ?
Pourtant, je retins mon geste.
Honnêtement, je ne sais pas ce qui me prit. Ni comment cela se produisit, et encore moins le pourquoi et le comment. Je sais simplement que dans ma tête, ce fut l’apothéose et que je compris où il voulait en venir.
Et tout le côté vicieux, manipulateur, ironique, calculateur en moi… tout ce qui faisait de moi une véritable salope d’agent CP, la clé de mon moi manipulateur et sans conscience s’éveilla. Dark Shaïness II, la revanche.
Elle s’éveilla comme un monstre dans les mauvaises séries B, avec un rugissement bestial et des effets spéciaux à la mord-moi-le-noeux, sans oublier la musique théatricale à souhait. Déversement de lave, chute de météores, raz de marée venant détruire les villes côtières, éclipse de soleil et scène d’hystérie collective. Sonnez trompettes et tambours, Dark Shaïness était de retour.
- «Fenyang-sama. Rien que ça? Tu es sûre que ton égo va supporter ça encore longtemps? » murmurai-je à sa seule intention, mes lèvres contre les siennes, jouant le jeu avec lui… pour le moment… « Tu es en train de ruiner ma réputation, avec tes journalistes… ça va te coûter cher. Très cher, mon brave Salem-sama… »
Et puisque nous en étions là, et puisque je devais satisfaire mes besoins de cabotine invétérée, je me penchais en arrière en assurant mon équilibre sur ses épaules – à lui de nous retenir, avec ses muscles et tout et tout – pour donner l’impression qu’il me donnait un de ses baisers renversés, comme dans les films glucoses. J’en profitai pour passer une main dans ses cheveux – souples et fins malgré l'odieux traitement qu’ils avaient subi – tout en me maudissant de ne pas m’être maquillée avant de sortir. Je frémissais en pensant aux clichés que ces journaleux pouvaient prendre de moi, de lui, de nous.
Tiens, en parlant de ça… Time for the coup de grâce.
- « Tu sais que si mon père ou mes frères voient une de ses photos… » continuai-je sur ce même ton doux et doucereux que seuls nous pouvions entendre. « …. tu risques d’avoir des problèmes… Grand Line ou pas… »