-C’est la huitième fois qu’ils l’annoncent… meh. On a remarqué, les mecs, merci. Ne serait-ce que parce que l’île est visible au large, grogna Sigurd. Bande de blaireaux subventionnés infichus de faire tourner les transports correctement.♫ ♪Dun, Dun, Du-un Duuuuun ♪ ♫
Votre attention s’il vous plait,
Suite à des avaries dues aux conditions climatiques, nous avons le regret de vous annoncer que la navette « SLOH », à destination de l’île de Groenheim, sera immobilisée en mer pour une durée indéterminée. Pour plus d’informations, nous vous invitons à prendre contact avec un de nos agents, ou à consulter notre panneau d’affichage situé sur le pont du navire.
Les sourcils froncés, Dogaku détourna le regard de son plateau de jeu pour s’intéresser au hublot. Ils étaient dans l’une des quelques salles communes du Sohaldiaque, conçues pour aider les passagers à passer le temps. Le Sohaldiaque, c’était un paquebot de taille moyenne, faisant office de navette maritime pour permettre aux civils de voyager d’une île à une autre à un prix abordable. Et dans des conditions… pas toujours agréables. Comme toujours, Dogaku avait largement matière à se lamenter à ce propos. Et à trouver un auditoire de bonne compagnie.
-Vous trouvez que nous sommes si mal lotis que ça ?, lui demanda la jolie brune avec qui il s’était attablé.
-Bah quand même, faut pas déconner, nan mais oh. Ils nous ont fait des déviations à la noix sur des ports paumés, c’est hyper mal équipé… même pour le peu que ça a couté, je suis sûr qu’on peut faire mieux. Et la bouffe est… mmweuah. Et ils ont même pas Age Of Navires comme jeu de plateau…
-Ca n’est pas si horrible que ça, voyons.
-Pas si horrible que ça ? Ah. Je ne sais pas en ce qui concerne les femmes, mais dans les toilettes pour hommes, y’avait carrément des…
-Je pense que ça ne sera pas nécessaire, l’interrompit la demoiselle.
Sigurd avait l’humeur aussi sombre que la météo du jour, particulièrement pluvieuse. Contrairement à lui, la charmante personne qui lui faisait face avait l’air de s’en accommoder. A moins qu’elle n’ait décidé de ne rien en montrer. C’était une façon de faire qui lui correspondait bien.
Elle s’appelait Elie Jorgensen.
Une très chouette fille, pensait Sigurd. Pas bien douée pour jouer aux cartes ou à quoi que ce soit, mais elle avait pas mal de choses amusantes à raconter. Ou alors, c’était qu’elle avait la délicatesse de rire à l’humour pourtant très moyen qu'aimait distiller Dogaku. Elle y répondait bien, en plus. Et puis, elle avait un de ces sourires… un vrai petit soleil, prêt à faire chanter des tournesols rien qu’en laissant éclater son rire tintant de joie.
Au début, il avait eu vraiment peur. Jorgensen, ça avait une sonorité plutôt barbare. Quand on lui avait expliqué qu’il devait se présenter devant sa cabine pour aller récupérer la laitue de son escargophone, livrée par erreur au mauvais numéro, le blondinet aux yeux bleus avait craint le pire.
Jorgensen, ça ne lui évoquait pas grand-chose d’autre que des ennuis. Mentalement, il avait eu l’image d’une armoire à glace toute velue, avec des biceps gros comme des pastèques et des restes de viande graisseuse coincés dans la barbe.
Voilà. Jorgensen, ça lui signifiait Jormundgaard, le grand dragon serpentin des mythes anciens.
Et puis, Dogaku avait l’habitude des mauvaises surprises. D’autant plus que les suppositions qu’il faisait dans ses élans de pessimisme s’avéraient souvent teintées de vérités. Le bon point, avec un grand spécimen de viking tel qu’il l’attendait, c’était qu’il n’avait probablement pas mangé la laitue. Le mauvais point, qu’il s’était peut être bien épongé les aisselles avec.
Et aussi qu’il serait bien assez robuste pour imposer son point de vue sur la question.
Ainsi que pour imposer son poing, d’ailleurs.
Mais en frappant timidement à la porte de la cabine cent vingt-trois, il avait surpris la jolie brune en train de répéter pour son entretien à venir, face à Santa Klaus. Même si elle ne savait pas exactement à quoi s’attendre, la demoiselle s’était renseignée sur l’entrepreneur excentrique. Quelques coups de fil, la lecture du bottin local et une bonne dose de bouche à oreille avaient suffis à la jeune femme pour en apprendre un peu plus sur ce que devaient être les chevaliers de Noël.
Pour apporter le bonheur et la joie dans le monde, il n’y avait rien de mieux qu’une troupe d’artistes, après tout.
-Rendez-vous directement à Impel Down sans passer par Reverse Mountain…, remarqua sombrement Elie.
-Ca c’est Pad’Bol, lâcha l’autre, surpris que la partie finisse aussi vite. Banqueroute ?
-…
Moyennement contrariée, la demoiselle lui fit signe qu’elle s’arrêterait là pour aujourd’hui. Pratiquement que des défaites. Elie avait accepté de tuer le temps avec Sigurd, mais avait tout de même bien mieux à faire. Elle avait pensé qu’elle pourrait en apprendre un peu de Dogaku, au sujet des chevaliers de Noël. Mais il n’avait pas l’air d’en savoir grand-chose. Tout ce qu’il avait pu lui dire, c’était que d’après le coup de fil qu’il avait passé, il s’agissait d’une association humanitaire qui devait se former. Elie avait essayé de lui en arracher davantage, mais il s’était contenté de répondre en lui renvoyant la question.
-Et selon vous, les chevaliers de Noël, ça serait des artistes, alors ? Une pièce de théâtre, par exemple ? Ca me semble bizarre.
-Et pourquoi pas ?
-Ils m’ont affirmé qu’ils pourraient employer un officier maritime… j’imagine qu’ils ont un navire à leur disposition, et qu’il leur faut un commandant de bord. Et ça tombe bien, parce que le milieu associatif, ça doit être encore plus sympa que la milice, niveau boulot. Mwararharharh, Sig’ mon vieux, tu tiens le bon plan.
-La femme que j’ai eu au bout du fil m’a assuré qu’ils avaient besoin d’une actrice, se défendit Elie. Votre histoire ne tient pas vraiment…
Une énorme perte de temps, commençait-elle à se dire. Elle ferait mieux de retourner dans sa cabine, et de répéter. Mais le blondinet ne donnait pas l’air de vouloir la lâcher.
-Bin voyons. Et si ça se trouve, si on demande à un troisième larron, il nous dira qu’en fait, les chevaliers de Noël, c’est une association de chasseurs de primes qui œuvre pour la justice, c’est ça ?
-Vous n’avez qu’à essayer, pour voir, lui répondit Elie en souriant faussement.
S’il avait su qu’à une trentaine de mètres de là où il se trouvait, un certain homme poisson attendait lui aussi avec impatience que le Sohaldiaque accoste enfin l’île de Groenheim, Sigurd se serait accordé un ricanement satisfait.
Mais Sir Arno avait lui aussi bien mieux à faire que de traîner en public. De même qu’Elie, en fin de compte. Heureusement pour elle, une annonce lui donna l’excuse qu’elle cherchait pour quitter les lieux.
-Oooh. Je crois qu’on ferait mieux de…♫ ♪Dun, Dun, Du-un Duuuuun ♪ ♫
Votre attention s’il vous plait,
Un système de navettes va être mis en place pour les voyageurs désirant se rendre au plus vite à l’île de Groenheim. Pour plus d’informations, nous vous invitons à prendre contact avec un de nos agents, ou à consulter notre panneau d’affichage situé sur le pont du navire.
-Excellente idée, acquiesça Elie.
C’était une chance, qu’ils se soient installés dans une salle commune. S’ils avaient été terrés dans leurs cabines, ils seraient arrivés bons derniers dans la folle course aux navettes.
Il leur avait fallu deux minutes pour atteindre le guichet des agents mentionné par l’annonce. Et une bonne dizaine de minutes supplémentaires pour que la longue fille d’attente qui les avait devancé se dissipe. Quand les imprévus frappaient, c’était comme toujours les premiers arrivés qui étaient les premiers servis.
-C’était limite, commenta Sigurd un peu plus tard.
-Tant qu’on a nos places, commenta l’autre.
Les navettes en provenance de l’île pouvaient contenir une vingtaine de personnes avec leurs affaires. Le navire en contenait quelques centaines. Pas étonnant que ç’ait été la cohue pour se procurer des places. Mais les deux compagnons de route avaient pu réserver à temps pour faire partie du premier lot.
Il ne leur restait plus qu’à rassembler leurs affaires, et à attendre.*
* *
*
Une heure plus tard, Sigurd était arrivé sur le pont. Prêt pour le transbordement, même s’il était bien le dernier arrivé. Et visiblement juste à temps pour ne pas être laissé derrière. Il chercha vaguement Elie du regard, mais comprit qu’elle ne l’avait pas attendu. Sans surprise.
A peine eut-il le temps d’atteindre la fine passerelle dressée entre les navires qu’une étrange figure l’arrêta. C’était quelqu’un, ou plutôt quelque chose d’incroyable. Un singe qui le surplombait. L’animal, un humandrill, était affublé d’une robe vieille école, à l’anglaise et plutôt élégante, ainsi que d’un chapeau à ruban.
Avec son parapluie carmin, elle aurait eu une classe folle si elle n’avait pas été… un singe.
Complètement déconcerté, Sigurd resta immobile. Elle lui barrait la route, et il n’osait pas encore lui parler. Comment parler à un singe, d’abord ? Est-ce qu’elle pouvait parler ? Est-ce qu’elle se vexerait ? Et d’abord, depuis quand des singes pareils existaient ?
Il fut tiré de sa rêverie par un officiel, en pleine discussion avec… une autre créature. C’était petit. C’était large, balourd, obèse. Et pourtant vêtu avec la même inspiration que le singe. Malgré l’air marin, il parvenait à imposer son odeur nauséabonde d’eau-de-sardine. Quelque chose d’assez inquiétant, à l’image de ses rangées de dents de requin. Mais plutôt qu’un requin, c’était un homme poisson. Une race que n’avait jamais croisé Sigurd, et dont il avait trop vaguement entendu parler.
Lui, c’était Sir Arno.
-Attendez attendez attendez, les interrompit-il de sa voix rauque. Messieurs, si vous voulez bien m’écouter. J’ai ici un document qui vous convaincra, j’en suis sûr, de me laisser prendre place dans cette navette.
-Qu’est-ce que c’est ?, s’enquit l’agent maritime.
-Un contrat signé par la main du capitaine de ce rafiot, qui stipule qu’il mettra en œuvre tout ce qui est en son pouvoir pour s’assurer que ma chère et tendre, ainsi que ma petite personne, arriverons à bon port, rak-rak-rak-rak-rak-rak. En temps et en heure, reprit-il avec un ricanement écailleux.
-Comment avez-vous fait pour obtenir la signature du capit…
-Là n’est pas la question, mon bon monsieur. Il s’agit de savoir lequel de ces importuns devra déguerpir d’ici. Et j’ai l’impression que notre bon ami blondinet n’y verra pas la moindre objection. N’est-ce pas, mon petit ?
-C’est…, commença Sigurd.
-Merveilleux, continua Arno. Si nous sommes d’accord, je vous prierais bien de faire de la place, insista-t-il avant de se tourner vers le singe en robe longue qui l’accompagnait. A vous l’honneur, Elizorabeth.
-C’est hors de question, répéta Dogaku.
-Tiens donc ?
-Exactement. J’ai quelque chose de prévu rapidement sur l’île, et j’ai réservé ma place.
-Non. Vous n’avez pas compris. J’avais déjà une place réservée sur ce rafiot. Et vous êtes arrivé le dernier. Vous allez donc sauter.
-Et moi je vous dis… Heuhaaaaah !
En un instant, Sigurd fut soulevé par le singe en robe longue. L’air de rien, l’humandrill le déplaça sur quelques mètres avant de le balancer brutalement. Tandis que sa dulcinée s’affairait avec le cloporte, Arno inspectait déjà la navette. Oui, se dit-il. Une seule personne suffirait, probablement. Le confort laisserait à désirer, mais ça n’était qu’une affaire d’heures, après tout. Pas besoin d’en faire tout un plat.
Ce qui n’était pas du tout l’avis du cloporte.
-Ca va pas la tête ? Et puis d’abord, c’est quoi ce cirque ? J’veux dire… woah. Z’êtes un homme poisson. J’en ai jamais vu. Ca existe vraiment ?
-…
-M’bref, oui oui. Ce à quoi je voulais en venir, c’est que… depuis quand les hommes poissons ont besoin de prendre des bateaux pour se déplacer en pleine mer ? Z’êtes un poisson, nan ? Vous prenez de la place inutilement, j’vous signale.
Trop bruyant, pensa le requin. D’un regard, il fit signe à sa compagne de se charger de lui.
-Très chère, si vous voulez bien…
-Bien quoi ?, insista Sigurd. Et puis ouais, d’abord… votre singe, c’est quoi, exactement ?
Il n’aurait pas sa réponse. A la demande de son maître, l’humandrill leva haut son poing, et le plongea sur la nuisance. Dogaku s’effondra sous le choc.
Complètement sonné, il ne parvint même pas à suivre ce qu’il se passait aux alentours. Les officiels avaient préféré ne pas faire un geste. Ce n’est que lorsque la navette décrocha, avec Arno à son bord, qu’on l’aida à se relever.
- Spoiler:
Après le tournage, dans les coulisses du RP...
-Euh..., commença Sigurd. Un fidèle lecteur nous a envoyé un message comme quoi c'est quand même vachement une coincidence, que trois futurs chevaliers de Nowel se trouvent exactement sur le même navire. Qu'est ce que je suis censé lui répondre? Les autres risquent de se dire la même chose, en plus. Ca serait bête qu'on se tape un mauvais départ pour ça.
-Ho ! Ho ! Ho ! Il faut leur dire la vérité, bien entendu.
-Que le scénariste est un flemmard qui joue sur les coïncidences et abuse des trucs bateaux?
-Plutôt que les navettes pour Groenheim sont peu fréquentes, intervint Elie. Et que par conséquent, il est tout à fait normal que trois personnes ayant rendez-vous le même jour au même endroit pour la même raison, aient décidé de prendre le même transport.
-Ca fait partie des coincidences bateau, je dirais. On aurait pu faire mieux, quand même. Vous ne pensez pas?
-...
-...
-Bon, bon. Ok, je prends.
Dernière édition par Sigurd Dogaku le Ven 17 Jan 2014 - 12:59, édité 1 fois