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Santamarines, Assemble!

♫ ♪Dun, Dun, Du-un Duuuuun ♪ ♫

Votre attention s’il vous plait,

Suite à des avaries dues aux conditions climatiques, nous avons le regret de vous annoncer que la navette « SLOH », à destination de l’île de Groenheim, sera immobilisée en mer pour une durée indéterminée. Pour plus d’informations, nous vous invitons à prendre contact avec un de nos agents, ou à consulter notre panneau d’affichage situé sur le pont du navire.
-C’est la huitième fois qu’ils l’annoncent… meh. On a remarqué, les mecs, merci. Ne serait-ce que parce que l’île est visible au large, grogna Sigurd. Bande de blaireaux subventionnés infichus de faire tourner les transports correctement.

Les sourcils froncés, Dogaku détourna le regard de son plateau de jeu pour s’intéresser au hublot. Ils étaient dans l’une des quelques salles communes du Sohaldiaque, conçues pour aider les passagers à passer le temps. Le Sohaldiaque, c’était un paquebot de taille moyenne, faisant office de navette maritime pour permettre aux civils de voyager d’une île à une autre à un prix abordable. Et dans des conditions… pas toujours agréables. Comme toujours, Dogaku avait largement matière à se lamenter à ce propos. Et à trouver un auditoire de bonne compagnie.

-Vous trouvez que nous sommes si mal lotis que ça ?, lui demanda la jolie brune avec qui il s’était attablé.
-Bah quand même, faut pas déconner, nan mais oh. Ils nous ont fait des déviations à la noix sur des ports paumés, c’est hyper mal équipé… même pour le peu que ça a couté, je suis sûr qu’on peut faire mieux. Et la bouffe est… mmweuah. Et ils ont même pas Age Of Navires comme jeu de plateau…
-Ca n’est pas si horrible que ça, voyons.
-Pas si horrible que ça ? Ah. Je ne sais pas en ce qui concerne les femmes, mais dans les toilettes pour hommes, y’avait carrément des…
-Je pense que ça ne sera pas nécessaire, l’interrompit la demoiselle.

Sigurd avait l’humeur aussi sombre que la météo du jour, particulièrement pluvieuse. Contrairement à lui, la charmante personne qui lui faisait face avait l’air de s’en accommoder. A moins qu’elle n’ait décidé de ne rien en montrer. C’était une façon de faire qui lui correspondait bien.

Elle s’appelait Elie Jorgensen.

Une très chouette fille, pensait Sigurd. Pas bien douée pour jouer aux cartes ou à quoi que ce soit, mais elle avait pas mal de choses amusantes à raconter. Ou alors, c’était qu’elle avait la délicatesse de rire à l’humour pourtant très moyen qu'aimait distiller Dogaku. Elle y répondait  bien, en plus. Et puis, elle avait un de ces sourires… un vrai petit soleil, prêt à faire chanter des tournesols rien qu’en laissant éclater son rire tintant de joie.

Au début, il avait eu vraiment peur. Jorgensen, ça avait une sonorité plutôt barbare. Quand on lui avait expliqué qu’il devait se présenter devant sa cabine pour aller récupérer la laitue de son escargophone, livrée par erreur au mauvais numéro, le blondinet aux yeux bleus avait craint le pire.
Jorgensen, ça ne lui évoquait pas grand-chose d’autre que des ennuis. Mentalement, il avait eu l’image d’une armoire à glace toute velue, avec des biceps gros comme des pastèques et des restes de viande graisseuse coincés dans la barbe.
Voilà. Jorgensen, ça lui signifiait Jormundgaard, le grand dragon serpentin des mythes anciens.

Et puis, Dogaku avait l’habitude des mauvaises surprises. D’autant plus que les suppositions qu’il faisait dans ses élans de pessimisme s’avéraient souvent teintées de vérités. Le bon point, avec un grand spécimen de viking tel qu’il l’attendait, c’était qu’il n’avait probablement pas mangé la laitue. Le mauvais point, qu’il s’était peut être bien épongé les aisselles avec.

Et aussi qu’il serait bien assez robuste pour imposer son point de vue sur la question.
Ainsi que pour imposer son poing, d’ailleurs.

Mais en frappant timidement à la porte de la cabine cent vingt-trois, il avait surpris la jolie brune en train de répéter pour son entretien à venir, face à Santa Klaus. Même si elle ne savait pas exactement à quoi s’attendre, la demoiselle s’était renseignée sur l’entrepreneur excentrique. Quelques coups de fil, la lecture du bottin local et une bonne dose de bouche à oreille avaient suffis à la jeune femme pour en apprendre un peu plus sur ce que devaient être les chevaliers de Noël.

Pour apporter le bonheur et la joie dans le monde, il n’y avait rien de mieux qu’une troupe d’artistes, après tout.

-Rendez-vous directement à Impel Down sans passer par Reverse Mountain…, remarqua sombrement Elie.
-Ca c’est Pad’Bol, lâcha l’autre, surpris que la partie finisse aussi vite. Banqueroute ?
-…

Moyennement contrariée, la demoiselle lui fit signe qu’elle s’arrêterait là pour aujourd’hui. Pratiquement que des défaites. Elie avait accepté de tuer le temps avec Sigurd, mais avait tout de même bien mieux à faire. Elle avait pensé qu’elle pourrait en apprendre un peu de Dogaku, au sujet des chevaliers de Noël. Mais il n’avait pas l’air d’en savoir grand-chose. Tout ce qu’il avait pu lui dire, c’était que d’après le coup de fil qu’il avait passé, il s’agissait d’une association humanitaire qui devait se former. Elie avait essayé de lui en arracher davantage, mais il s’était contenté de répondre en lui renvoyant la question.

-Et selon vous, les chevaliers de Noël, ça serait des artistes, alors ? Une pièce de théâtre, par exemple ? Ca me semble bizarre.
-Et pourquoi pas ?
-Ils m’ont affirmé qu’ils pourraient employer un officier maritime… j’imagine qu’ils ont un navire à leur disposition, et qu’il leur faut un commandant de bord. Et ça tombe bien, parce que le milieu associatif, ça doit être encore plus sympa que la milice, niveau boulot. Mwararharharh, Sig’ mon vieux, tu tiens le bon plan.
-La femme que j’ai eu au bout du fil m’a assuré qu’ils avaient besoin d’une actrice, se défendit Elie. Votre histoire ne tient pas vraiment…

Une énorme perte de temps, commençait-elle à se dire. Elle ferait mieux de retourner dans sa cabine, et de répéter. Mais le blondinet ne donnait pas l’air de vouloir la lâcher.

-Bin voyons. Et si ça se trouve, si on demande à un troisième larron, il nous dira qu’en fait, les chevaliers de Noël, c’est une association de chasseurs de primes qui œuvre pour la justice, c’est ça ?
-Vous n’avez qu’à essayer, pour voir, lui répondit Elie en souriant faussement.

S’il avait su qu’à une trentaine de mètres de là où il se trouvait, un certain homme poisson attendait lui aussi avec impatience que le Sohaldiaque accoste enfin l’île de Groenheim, Sigurd se serait accordé un ricanement satisfait.

Mais Sir Arno avait lui aussi bien mieux à faire que de traîner en public. De même qu’Elie, en fin de compte. Heureusement pour elle, une annonce lui donna l’excuse qu’elle cherchait pour quitter les lieux.




♫ ♪Dun, Dun, Du-un Duuuuun ♪ ♫

Votre attention s’il vous plait,

Un système de navettes va être mis en place pour les voyageurs désirant se rendre au plus vite à l’île de Groenheim. Pour plus d’informations, nous vous invitons à prendre contact avec un de nos agents, ou à consulter notre panneau d’affichage situé sur le pont du navire.
-Oooh. Je crois qu’on ferait mieux de…
-Excellente idée, acquiesça Elie.

C’était une chance, qu’ils se soient installés dans une salle commune. S’ils avaient été terrés dans leurs cabines, ils seraient arrivés bons derniers dans la folle course aux navettes.

Il leur avait fallu deux minutes pour atteindre le guichet des agents mentionné par l’annonce. Et une bonne dizaine de minutes supplémentaires pour que la longue fille d’attente qui les avait devancé se dissipe. Quand les imprévus frappaient, c’était comme toujours les premiers arrivés qui étaient les premiers servis.

-C’était limite, commenta Sigurd un peu plus tard.
-Tant qu’on a nos places, commenta l’autre.

Les navettes en provenance de l’île pouvaient contenir une vingtaine de personnes avec leurs affaires. Le navire en contenait quelques centaines. Pas étonnant que ç’ait été la cohue pour se procurer des places. Mais les deux compagnons de route avaient pu réserver à temps pour faire partie du premier lot.

Il ne leur restait plus qu’à rassembler leurs affaires, et à attendre.


*
*     *
*

Une heure plus tard, Sigurd était arrivé sur le pont. Prêt pour le transbordement, même s’il était bien le dernier arrivé. Et visiblement juste à temps pour ne pas être laissé derrière. Il chercha vaguement Elie du regard, mais comprit qu’elle ne l’avait pas attendu. Sans surprise.

A peine eut-il le temps d’atteindre la fine passerelle dressée entre les navires qu’une étrange figure l’arrêta. C’était quelqu’un, ou plutôt quelque chose d’incroyable. Un singe qui le surplombait. L’animal, un humandrill, était affublé d’une robe vieille école, à l’anglaise et plutôt élégante, ainsi que d’un chapeau à ruban.

Avec son parapluie carmin, elle aurait eu une classe folle si elle n’avait pas été… un singe.

Complètement déconcerté, Sigurd resta immobile. Elle lui barrait la route, et il n’osait pas encore lui parler. Comment parler à un singe, d’abord ? Est-ce qu’elle pouvait parler ? Est-ce qu’elle se vexerait ? Et d’abord, depuis quand des singes pareils existaient ?

Il fut tiré de sa rêverie par un officiel, en pleine discussion avec… une autre créature. C’était petit. C’était large, balourd, obèse. Et pourtant vêtu avec la même inspiration que le singe. Malgré l’air marin, il parvenait à imposer son odeur nauséabonde d’eau-de-sardine. Quelque chose d’assez inquiétant, à l’image de ses rangées de dents de requin. Mais plutôt qu’un requin, c’était un homme poisson. Une race que n’avait jamais croisé Sigurd, et dont il avait trop vaguement entendu parler.

Lui, c’était Sir Arno.

-Attendez attendez attendez, les interrompit-il de sa voix rauque. Messieurs, si vous voulez bien m’écouter. J’ai ici un document qui vous convaincra, j’en suis sûr, de me laisser prendre place dans cette navette.
-Qu’est-ce que c’est ?, s’enquit l’agent maritime.
-Un contrat signé par la main du capitaine de ce rafiot, qui stipule qu’il mettra en œuvre tout ce qui est en son pouvoir pour s’assurer que ma chère et tendre, ainsi que ma petite personne, arriverons à bon port, rak-rak-rak-rak-rak-rak. En temps et en heure, reprit-il avec un ricanement écailleux.
-Comment avez-vous fait pour obtenir la signature du capit…
-Là n’est pas la question, mon bon monsieur. Il s’agit de savoir lequel de ces importuns devra déguerpir d’ici. Et j’ai l’impression que notre bon ami blondinet n’y verra pas la moindre objection. N’est-ce pas, mon petit ?
-C’est…, commença Sigurd.
-Merveilleux, continua Arno. Si nous sommes d’accord, je vous prierais bien de faire de la place, insista-t-il avant de se tourner vers le singe en robe longue qui l’accompagnait. A vous l’honneur, Elizorabeth.
-C’est hors de question, répéta Dogaku.
-Tiens donc ?
-Exactement. J’ai quelque chose de prévu rapidement sur l’île, et j’ai réservé ma place.
-Non. Vous n’avez pas compris. J’avais déjà une place réservée sur ce rafiot. Et vous êtes arrivé le dernier. Vous allez donc sauter.
-Et moi je vous dis… Heuhaaaaah !

En un instant, Sigurd fut soulevé par le singe en robe longue. L’air de rien, l’humandrill le déplaça sur quelques mètres avant de le balancer brutalement. Tandis que sa dulcinée s’affairait avec le cloporte, Arno inspectait déjà la navette. Oui, se dit-il. Une seule personne suffirait, probablement. Le confort laisserait à désirer, mais ça n’était qu’une affaire d’heures, après tout. Pas besoin d’en faire tout un plat.

Ce qui n’était pas du tout l’avis du cloporte.

-Ca va pas la tête ? Et puis d’abord, c’est quoi ce cirque ? J’veux dire… woah. Z’êtes un homme poisson. J’en ai jamais vu. Ca existe vraiment ?
-…
-M’bref, oui oui. Ce à quoi je voulais en venir, c’est que… depuis quand les hommes poissons ont besoin de prendre des bateaux pour se déplacer en pleine mer ? Z’êtes un poisson, nan ? Vous prenez de la place inutilement, j’vous signale.

Trop bruyant, pensa le requin. D’un regard, il fit signe à sa compagne de se charger de lui.

-Très chère, si vous voulez bien…
-Bien quoi ?, insista Sigurd. Et puis ouais, d’abord… votre singe, c’est quoi, exactement ?

Il n’aurait pas sa réponse. A la demande de son maître, l’humandrill leva haut son poing, et le plongea sur la nuisance. Dogaku s’effondra sous le choc.

Complètement sonné, il ne parvint même pas à suivre ce qu’il se passait aux alentours. Les officiels avaient préféré ne pas faire un geste. Ce n’est que lorsque la navette décrocha, avec Arno à son bord, qu’on l’aida à se relever.

Spoiler:




Dernière édition par Sigurd Dogaku le Ven 17 Jan 2014 - 12:59, édité 1 fois
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Une journée de merde.

D'abord, le thé du matin avait été servi froid.  Quoi de pire que du thé froid pour commencer la journée ?  Sûrement la très désagréable humeur de sa très chère et pas toujours tendre Élizorabeth.  D'une habituelle maussade noblesse — c'est ce que le Requin préférait chez elle, ce côté hautain — elle avait rayonnée toute l'heure du petit déjeuner, à sucrer son café — alors qu'elle le prenait bien noir et tassé.  Elle tentait également d'imiter le fredonnement d'une chanson populaire qui avait sifflé aux petites oreilles grises de Sir Arno, toute la veille durant, alors qu'il réservait leur chambre de luxe.  Pensant s'en tirer à bon prix, malgré cet air salin qui embaumait la chambre malgré les fenêtres fermées, ce qui rappelait une enfance difficile à de Belgerak, voilà que sa douce se pervertissait aux plus vils passe-temps de roturiers : siffloter pour se sentir gaie.
Comme si la gaieté ne pouvait s'acheter avec de l'argent.

Vraiment, la suite "Royale", comme l'avait dénommée ce boutonneux réceptionniste, n'avait de convenable que son pot de chambre finement décoré.  Et encore, s'il avait valu un quelconque prix sur le marché...

Ainsi, ce fut le corps lourd et l'esprit bas que le sir des profondeurs avait quitté cette auberge "quatre étoiles".  Sa mallette sous le bras, sa toilette à peine entamée, et une Zora énervante sur les talons, le Requin monta à bord du paquebot qui devait faire la navette entre les mers du Nord et le mener à bon port.

Le paquebot qui les menèrent ne combla pas d’avantage ses attentes en matière de luxe.  Heureusement, il put s’arranger avec le capitaine, lui faire signer un petit contrat et déménager dans une cabine plus grande.  Puis, un petit idiot, une traversé en barque, quelques arrangements peu scrupuleux plus tard, le Requin se retrouva à l’adresse convenue.  Dépité par la pauvreté de l’endroit, il laissa un long soupir s’échapper alors qu’il pénétrait la petite boutique et que la clochette de la porte résonnait.

Quelques secondes après, une jeune femme pénétra à son tour l’établissement.

* * * * *
Il étaient quatre.  Lui, Sir Arno, sa femme, Élizorabeth, un peu en retrait par rapport au groupe ; deux autres personnages.

La première, Elie Jorgensen, la jeune femme qui était entrée à sa suite.  Sir Arno se rappelait l’avoir croisée sur le navire, rapidement, mais il n’y avait pas fait attention.  Plutôt fluette, elle dépassait cependant le Requin de deux bonnes têtes.  D’ailleurs, le comptable de malheur s’était monté sur un petit tabouret emprunté au propriétaire de l’établissement.

Ce-dernier était un géant à la très longue barbe blanche.  Ridiculement vêtu de rouge et de blanc, Sir Arno se passait cependant de tous commentaires.  Il doutait des capacités de sa douce à pouvoir rivaliser avec ce monstre en muscle et puissance.

Ils formaient un quatuor des plus improbables.  Deux non-humains, versés dans l’art de l’arnaque ; une jeune et belle comédienne en quête de succès ; un vieux vendeur d’oranges pour qui la justice était une mission… et il leur manquait encore un cinquième larron, un jeune officier maritime, aux dires d’Elie.  Celui qu’avait poliment corrigé Zora.

Cela faisait déjà un moment qu’ils l’attendaient.  Sir Arno s’impatientait, piétinant, juché-là, sur son tabouret.

« Inutile de l’attendre plus longtemps, il ne viendra pas, lâcha de Belgerak
— Mais il était sur le même navire que nous…  Si vous ne l’aviez pas assommé, nous n’aurions pas attendre ! lui reprocha Jorgensen.
— Rak-rak-rak !  J'avais la signature du capitaine.
— Une signature, ça ne vaut pas tout...
— Ho ! Ho ! Ho !  Patience, patience.  Ayons confiance en lui, calma Klaus.  Mais je dois avouer que ce n’est pas bien malin de frapper ses coéquipiers, mon garçon, fit-il pour le Requin.
Bande d’idiots amateurs, garda pour lui le "garçon". »

Difficile de faire mieux pour le chasseur de primes.  D'un rictus mauvais, il fit volte-face.  Il perdit pied, s'écroula de son tabouret et s'échoua lamentablement au sol.  Le son qui résulta de la rencontre entre sa masse graisseuse et le sol de pierre fut mat et étrange.  Comme une ombre, Zora se glissa près de son maître et le souleva.  Elle montrait les dents à Elie et Santa, dans un signe de méfiance purement animal.  Sir Arno n'avait pas eu mal, mais l'incroyable panoplie de jurons qui s'échappa de sa gueule de Requin fit boucher les oreilles d'Elie par Santa, en père bienveillant de l'éducation de ses enfants.

La clochette résonna.

Pad'bol pénétra la boutique complètement à la nage, l'air hagard, un incroyable bleu lui entourant l'oeil.

« Heu... fit-il hésitant, alors qu'il rencontrait pour la première le géant barbu et revoyait les trois autres ; son regard changea lorsqu'il reconnu le comptable.  Vous ! »

D'un bond, Sir Arno se retrouvait à nouveau ses petites pattes palmées et montrait une assurance digne des nobles.  Son monocle ajusté, il ne fit que laisser filer le faible son de son rire rugueux.  Son eau-de-sardine montait aux narines de Sigurd, qui s'était avancé pour faire face — ou plutôt prendre de haut involontairement — Sir Arno.
Voyant Dogaku beaucoup trop proche de son maître, Zora sortit sa lame et l'appliqua professionnellement contre la gorge de l'officier.

* * * * *

« NON ! »

~ SANTA CHOPS ! ~


* * * * *
Le cri d'Elie avait servi à alarmer Santa qui, au quart-de-tour, avait réagit avec brio. Ses grandes paumes vinrent fracasser les crânes respectifs du Requin et de Pad'bol. Groggys, le géant avait ensuite arrêté avec sa hotte les lames de Zora pour à son tour la calmer d'une bonne frappe sur la tête.

Les trois s'étaient réveillées sans demander leur reste, un bon mal de crâne à s'occuper.
    « Geuh… Marmonna Sigurd.
    -Contrat avorté, lança le Requin en ouvrant ses paupières avec peine.
    -Comment ça, contrat avorté ? Fit Elie sidérée. Vous sortez d’un sommeil artificiel provoqué par un traumatisme crânien dû à une petite baffe de vieillard bienveillant et ce sont les premiers mots qui vous viennent à l’esprit ? Prenez exemple sur monsieur Dogaku, il est bien plus terre-à-terre que vous !
    -Du calme, jeune fille, du calme, notre groupe est en situation de crise, n’aggravez pas la situation, intervint le bonhomme en rouge un large sourire lui éclairant le visage.
    -En situation de crise ? Vous ne nous avez même pas encore expliqué en quoi consiste ce travail et vous dites que nous sommes en crise !
    -Holà, holà, joie et bonne humeur, nous sommes les chevaliers de Nowel ! Vous n’avez pas lu l’annonce ? Appelés pour faire régner le bonheur, pour aider les pauvres et les démunis et pour rendre humbles les cœurs des plus riches ! Hohoho, dans ce que vous appelez travail, vous pourrez vivre des expériences formidables en aidant votre prochain…
    -Contre rémunération bien sûr, le coupa Sir Arno désormais complètement remis. Quand l’argent est là, tout va, comme disait un très cher ami à moi.
    -J’ai l’impression d’avoir pris un grand coup sur la tête…
    -Tiens, on dirait que notre blondinet émerge, remarqua Elie.
    -Remettez-lui un coup, qu’on puisse discuter tranquillement entre grandes personnes… Siffla l’homme poisson.
    -Gardez en tête que l’esprit de Nowel doit rester toujours présent dans notre merveilleux groupe ! Il faut prendre soin de nos petits camarades.
    -Oui, et si ça ne vous dérange pas, ce serait bien qu’on puisse entamer cette petite réunion, intervint la comédienne juste avant que Sir Arno ne renchérisse. »

    Santa prit alors un air paternel. Enfin, encore plus paternel qu’il n’avait fait jusqu’à présent et commença à leur expliquer son affaire. Ce qu’il souhaitait paraissait simple finalement. Somme toute une sorte de semi-bénévolat visant à aider les plus démunis, ceux qui ont des problèmes et bien d’autres choses qu’on pourrait aisément ranger dans la case « bonnes actions ». Lorsque le requin aborda le problème de la rémunération, Santa ne le rassura pas beaucoup. Il comptait surtout sur la générosité des personnes qu’ils allaient aider et éventuellement des primes touchées pour la capture de bandits.

    « Je veux bien tenter le coup, fit l’homme poisson.
    -Monsieur à sûrement une idée derrière la tête, je conseillerais de ne pas se fier à lui, lança Sigurd, les sourcils froncés.
    -Arrêtez de vous chercher, les gronda Elie. Moi je suis partante, mais sachez que si je me lasse, il y a une forte probabilité pour que je ne reste pas très longtemps.
    -Je savais bien que vous étiez tous d’accord, se réjouit le vieux bonhomme. C’est d’accord, je vais vous exposer la première affaire !
    -On se fout complétement de ma réponse, grommela Sigurd.
    -Avant cela, cher monsieur, fit mielleusement Arno, pourriez-vous me signer ce papier ? Il garantit que je ne me ferais pas avoir à aucun moment que ce soit. Non pas que je n’aie pas confiance en vous, mais on ne sait jamais !
    -Très bien, très bien, ohohoh, mais après vous m’écoutez tous attentivement ! »

    Santa signa le papier que lui tendait son interlocuteur sans vraiment se soucier de ce qu’il y avait écrit dessus ce qui sidéra Elie. Le requin avait le sourire large jusqu’aux oreilles de celui qui a fait une bonne affaire. Sigurd se frottait la tête à l’endroit où Santa l’avait cogné en regardant la guenon encore inconsciente, se demandant ce qu’elle ferait si elle se réveillait. Le gros bonhomme capta leur attention d’un raclement de la gorge et commença à leur exposer les faits : un pirate aigri qui avait pris en otage une île pour une raison des plus banales.

    « Pourquoi la marine ne s’en occupe pas ? Demanda Sigurd.
    -Ah, mais si, elle s’en occupe, l’île est cernée par les navires de la marine et ils tentent d’amorcer le dialogue avec le capitaine Crachin.
    -Du coup, quel intérêt d’aller mettre notre nez dedans ? Insista le blondinet.
    -On peut toujours récupérer de l’argent dans le bordel que ça doit être, ricana l’homme poisson.
    -On peut surtout être en première ligne pour aider les pauvres gens retenus en otage. Un village entier a été massacré et il menace de récidiver. Si nous aidons ces gens, nous sentirons le bonheur provoqué.
    -Oui, surtout que la marine ne doit pas oser passer à l’action de peur de faire des victimes civiles alors qu’en tant que civils nous-même… C’est d’accord pour moi, je suis partante.
    -C’est bien, jeune fille, il faut des gens comme vous pour propager le bonheur.
    -Il y a un hic dans votre affaire… Comment fait-on pour accéder à l’île, en volant ?
    -Voler c’est mal, nous utiliserons donc  les moyens que nous trouverons sans penser à cette éventualité. Nous sommes les Chevaliers de Nowel et ce n’est pas la mer qui va nous arrêter dans notre mission sacrée hohoho ! »


    Dernière édition par Elie Jorgensen le Mer 14 Mai 2014 - 11:49, édité 1 fois
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    Sigurd se sentait anormalement fatigué. Peut être que le premier coup qu’il avait reçu au visage, et qui le marquerait pour plusieurs jours d’un gros œil au beurre noir, avait été plus sérieux que prévu. Rien que pour ça, il s’était déjà juré d’aller porter plainte pour coups et blessures contre le couple de Belgerak.

    Il lui restait juste à espérer que les policiers auxquels il raconterait ça acceptent son histoire d’homme poisson, et d’humandrill. Lui-même avait du mal à réaliser ça. Il préférait encore les soupçonner de porter des déguisements très, très bien élaborés.

    De toute manière, il connaissait leurs noms et leur profession. Ca suffirait pour qu’on les coince.

    Avec cette ferme résolution bien ancrée dans son esprit, il reprit enfin la parole.

    -Alors… désolé de mettre mon grain de sel dans le truc, m’enfin… j’adore votre histoire et tout sauf que… c’est mort. Je ne participe pas. Je ne participe. Absolument. Pas. A votre délire.
    -Ho ! Ho ! Ho ! Je m’y attendais. Et pourquoi donc ?

    Sigurd verrouilla Santa du regard, sans encore savoir quoi lui dire. C’était pourtant bizarre. Quand il avait appelé le secrétariat de Santagrume pour s’informer sur la petite réunion du jour, la femme qui lui avait répondu avait fait preuve d’un professionnalisme exemplaire. Avec ça et la réputation de l’entreprise de Santa Klaus pour le rassurer, il s’était attendu à ce qu’on le reçoive correctement, et à ce qu’on lui propose un vrai travail, au cours d’un entretien digne de ce nom.

    Là, il avait l’impression d’être tombé sur une bouffonnerie pire que ce que lui-même pouvait faire dans ses mauvais jours. Ca n’avait rien d’organisé, et surtout, c’était complètement hors de propos.

    Finalement, il prit Santa Klaus à partie, et s’expliqua.

    -Désolé, mais comme dirait une amie à moi… c’est vraiment bullshit, votre truc. Et c’est assez adapté pour que je me permette de lui emprunter l’expression. Je m’explique. Mon précédent job, c’était officier d’équipage, capitaine de navire, toussa. Du coup, en répondant à votre annonce, quand on m’a dit que vous recherchiez ptêtre un officier maritime, chuis venu avec des rêves gros comme ça en croyant par exemple que votre Santagrume allait vouloir exporter plus gros et plus loin, avec plus de navires bien à elle. Quand on m’a parlé de caritatif, je me disais que vous vouliez probablement commercer avec des régions isolées du reste du monde, ou bien touchées par des sinistres, la pauvreté, des raids pirates, des trucs comme ça. Vous voyez le tableau ?
    -Parfaitement, acquiesça posément Santa.
    -Alors que maintenant, j’arrive, et qu’on m’explique que vous voulez faire… un truc franchement bizarre qui relève carrément juste des forces de l’ordre, bin… non, quoi. Ca le fait pas. Voilà.

    Sir Arno s’autorisa un pouffement de mépris en entendant ça. Sigurd réagit en serrant les dents, mais ne fit pas un geste dans sa direction. Le caquètement du singe lui mit également les nerfs à rude épreuve, mais il en fallait beaucoup plus pour lui arracher une réaction.

    Voyant que Santa continuait de le regarder posément, comme s’il attendait quelque chose, Dogaku essaya de conclure proprement.

    -Euh… je crois que c’est tout. J’pourrais aussi essayer de vous dire que votre plan est une très, très mauvaise idée, que vous allez très certainement vous embêter pour pas grand-chose, et que si jamais vous parvenez à vraiment faire quelque chose, vous risqueriez juste de vous mettre dans un gros sale danger, mais on va dire que je ne vais pas commencer là-dessus. ‘Fin, pas plus, quoi.
    -Je vois.

    Santa lui adressa un sourire. Son air n’était pas réprobateur. Il n’avait pas l’air de mal le prendre. Il venait de l’écouter, tout simplement. Et en fait… c’était bien plus que cela. Santa Klaus regardait maintenant Dogaku avec une expression qui relevait…

    … de la satisfaction.

    … de la reconnaissance.

    … et, comme à son habitude, d’une bienveillance emplie de sa douce et folle sagesse.

    -Je vous remercie d’avoir bien voulu vous exprimer calmement votre ressenti, Monsieur Dogaku. Je me doutais bien qu’au moins une personne serait… sceptique. Et mademoiselle Jorgensen n’a pas l’air de vous désapprouver, releva-t-il un adressant un clin d’œil malicieux à la jeune femme. A vrai dire, j’avais peur que quelqu’un ne parte en claquant la porte, en criant à l’imposture. Ho ! Ho ! Ho !
    -Been euh… c’était tentant. Mais M’man m’a dit que c’était jamais une bonne chose à faire.
    -Ho ! Ho ! Ho ! Un excellent conseil. Votre mère doit être une femme formidable, Sigurd.
    -Mwarharharh. J’lui dirais, tiens. Mais la flatterie ne marche pas, hein.

    Santa se détourna de lui un instant, croisant les bras sur son large torse musculeux. Le colosse était torse nu, comme à son habitude. Pendant un court instant, il tritura sa barbe du bout des doigts, pensif. Avant de refaire face à Dogaku.

    -Plus sérieusement. Vous vous rendez bien compte que l’annonce que j’ai passée dans le journal ne faisait aucunement mention des activités de Santagrume. N’est-ce pas ?
    -Ouais ouais, je sais. Et c’est pour ça que je vais rester calme. Parce que j’me suis grosso modo pigeonné moi-même, on va dire. Aussi parce que y’a de chouettes trucs à visiter sur l’île, et que vous avez une glacerie artisanale méga réputée juste en face.
    -Je vous recommande fortement leur glace au lait de poule, ainsi que leur sorbet au vin chaud. Ho ! Ho ! Ho !
    -Ah ? Merci, j’prends note.

    -Mais laissez-moi finir. Si cela peut vous rassurer, j’ignorais complètement, lorsque j’ai envoyé cette annonce, que de tels évènements allaient avoir lieu sur l’île de Panpeeter. Et effectivement, j’entendais bien vous proposer une mission de l’ordre de ce que vous avez envisagé. Dans un premier temps. Mais pas seulement. Comme je vous l’ai expliqué, mon but, l’objectif de l’Ordre de Nowel, est de… comment dire ? Panser les plaies de ce monde en proie à la violence ? Le nombre d’âmes en peine ne cesse d’augmenter à un rythme alarmant, et ce, sans que les autorités ne soient capables d’y remédier. C’est parce qu’il faut que cela vienne… de chacun d’entre nous, bien sûr. C’est pourquoi je vous demande votre aide. Il n’y a pas d’âge d’or de la piraterie, ni de révolution à mener. Tous ces pirates… ce ne sont, pour la majorité, pas de méchants enfants. Ils n’ont pas été sages, certes. Ho ! Ho ! Ho ! L’Esprit de Nowel doit les rappeler à l’ordre. Entre autres choses. Ce qui nous amènera à Panpeeter, aujourd’hui. Et demain ? Qui sait ? Le Bien prend des formes diverses, mes amis. Et il est présent, quelque part, en chacun de vous. De vous tous, qui que vous soyez. A ce titre, je vous demande votre aide. Ecoutez votre cœur, Sigurd. Je comprends que votre principale préoccupation soit de subvenir à vos besoins, mais j’aimerais que vous preniez le temps de réfléchir à l’importance de votre existence. Il en va de même pour chacun d’entre vous. Douce Elie. Belle Elizorabeth. Et cher Arno.
    -Sir Arno, appuya le requin, excessivement attaché à son titre de pacotille.
    -Excusez moi, Sir Arno. Ce que je vous demande aujourd’hui, c’est de penser à ce que vous voulez faire. De vous demander ce que vous voulez que le monde devienne. Et de réfléchir un instant à ce que vous pouvez lui apporter. Car tous les talents susceptibles d’aider l’Esprit de Nowel seront les bienvenus au sein de l’ordre. C’est pour cela que je me réjouis de votre présence, à tous.

    Santa marqua une pause, enfin. Loin de seulement s’adresser à Dogaku, son regard et son attention s’étaient régulièrement portés sur chacun de ses futurs chevaliers. Ou Chevaliers, comme il les appelait. Et chacun d’entre eux avait été particulièrement attentif à ses paroles.

    Pour sa part, Sigurd n’était pas entièrement convaincu, mais il reconnu qu’il y avait là de l’idée. Au moins des intentions ? Santa avait l’air fou, mais dans le bon. Et il avait encore à peu près toute sa tête. Probablement.

    Ca ne suffirait pas pour autant à le convaincre. D’autres points lui semblaient particulièrement bancals, dans cette histoire. Après avoir acquiescé d’un signe de tête, il reprit.

    -M’enfin, à part ce point. Vous espérez gagner vos sous comment ? La gratitude des locaux ? Manquerait plus que ça pour eux, les pauvres.  En plus d’avoir une bande de charognards qui vient de ruiner leurs vies, v’là qu’ils vont sûrement raquer pour vous, en plus. Pour peu que vous fassiez quelque chose qui vaille le coup qu’on vous paie. Et j’y crois franchement, franchement pas. La prime des pirates ? Faut une licence de chasseur de primes pour que ça marche, j’vous signale. Et si la marine est déjà là, ça pourrait poser pépin. J’ai déjà vu des crétins vouloir causer des ennuis à des chics types qui avaient aidé à coincer des petites bandes, sous prétexte que ça faisait des sous en m pour le Trésor. Perso, je laisserais jamais des civils se jeter dans mes pattes, c’est méga dange…

    Rak-rak-rak-rak-rak-rak !

    Le caquètement venait du requin obèse. Etrangement installé sur son petit tabouret, il leur adressa un regard faussement amusé, et bien davantage, condescendant. Dogaku sentit un grand élan d’antipathie le gagner. S’ils étaient tous de cet acabit, il n’aimerait vraiment pas les hommes poissons, pour sûr.

    -Qu’à cela ne tienne, il s’avère que mon épouse et moi-même sommes très précisément titulaires d’une de ces merveilleuses licences, petit cloporte. Je suis donc habilité à capturer des criminels… et à toucher leurs récompenses. La Marine nous laissera faire si je leur présente ma carte de visite. Vous n’aurez qu’à dire que vous êtes… mes assistants, hein ? J’aime bien cette idée, rinhinhin.
    -Vous voulez qu’on vous aide et garder la prime pour vous tout seul, hein ?, devina Jorgensen, perspicace.
    -Tiens donc ? Quelle drôle d’idée. Je n’y aurais pas pensé, mentit le requin avec délectation. Mais excellente, oui. Rak-rak-rak-rak-rak-rak-rak !
    -Et comment un taré pareil peut être devenu chasseur de… ‘ttendez, nan, tous les cédépés sont des malades, en fait. Question stupide.

    L’humandrill s’agita, mais la présence bienveillante, protectrice et surtout intimidante de Santa la retint de s’en prendre à Dogaku. Elle se contenta de l’assassiner du regard en brandissant le poing, au même titre que son mari.

    -Cédépés ?, questionna Elie.
    -C, d, P, explicita Sigurd. Chasseurs de primes. Cédépés, dans le jargon.
    -Mmh. Oui, c’est vrai que vous avez été officier.
    -Vous êtes un militaire ?, réagit Santa.

    Le grassouillet De Belgerak fit mine de ne pas réagir à l’information. Pour autant, le regard pénétrant qu’il lança à Dogaku lui fit froid dans le dos. Le blondinet pouvait sentir qu’en cet instant, le chasseur de prime était en train de le réévaluer sous un nouvel angle. Pas que lui, d’ailleurs. Santa le regardait avec un air positivement intéressé. Normal, grommela-t-il, pour quelqu’un qui voulait se la jouer bienfaiteur freelance.

    Après un petit instant d’hésitation, il poursuivit.

    -Jusqu’à y’a à peu près deux mois, ouais.
    -Ho ! Ho ! Ho !, s’exclama-t-il.

    Dogaku devina immédiatement le cheminement de la pensée de l’organisateur. Avant même qu’il n’ouvre la bouche, Sigurd préféra l’arrêter aussitôt.

    -Et nan, ça fait absolument pas de moi l’homme de la situation pour régler le problème de Crachin ou de quoi que ce soit. Un officier militaire, c’est un bonhomme qui mène un groupe. Pas le type qui fait tout tout seul et poutre les méchants comme un super héros. Allez pas croire ce que les salades vendues par les affiches publicitaires disent, c’est pas parce qu’un type est costaud que c’est un bon capitaine, c’est pas parce que j’ai pu côtoyer des pseudos-maîtres-duelistes qu’ils faisaient du meilleur boulot que moi, et surtout, vraiment, franchement, la meilleure gestionnaire de navire que j’ai jamais vue est tout sauf une combattante. Le truc le plus dangereux qu’elle a du approcher, c’est une agrafeuse.

    Elie considéra un instant Dogaku. Il avait l’air de parler par expérience, mais aussi d’être sacrément subjectif sur ses propos. Comme s’il gardait de l’armée de mauvais souvenirs, ou à tout le moins, d’avoir gardé quelques rancunes de son expérience. A prendre avec des pincettes, visiblement.

    La jeune femme ajusta sa position sur sa chaise, pour plus de confort, puis se pencha légèrement en avant. Par ce simple geste, l’actrice parvint à attirer l’attention de son auditoire. Elle décida d’abréger.

    -Il n’empêche que s’il est question de toucher une prime… ils ont leurs licences. Et je suis sûre qu’ils seront d’accord pour signer un de ces merveilleux contrats pour s’engager à la partager avec nous. N’est-ce pas ?
    -Cela va sans dire, sourit De Belgerak en réfléchissant tranquillement à la formulation d’une clause qui lui permettrait de plumer ses nouveaux associés.
    -Donc de ce point de vue là… problème réglé, compléta Elie. Par contre, j’en vois un dernier.
    -Ah ? Ch’pas seul, vous aussi vous cherchez les petites bêtes ?
    -

    -Et quel est-il ?, demanda Santa avec sa bonhommie habituelle.
    -Votre île. Vous ne m’avez pas vraiment répondu. Comment est-ce qu’on y va ?
    -Ho ! Ho ! HO !Je vous ai dis de me faire confiance, mon enfant. Vous n’avez pas à y penser.
    -Je n’y pense pas vraiment… c’est plutôt que je m’en inquiète. Si la situation est urgente, on aurait intérêt à faire vite. L’île n’est pas si loin que ça, mais…

    Santa leva la main, lui intimant de le laisser parler. Il estimait que, pour cette affaire comme pour les suivantes, ces petits tracas ne correspondaient pas à l’idée qu’il se faisait des Chevaliers de Nowel.

    Leur seule préoccupation devait être de faire le bien. Pas de se soucier des limites de leurs actions.

    -En ce qui concerne les problèmes d’ordre matériel, sachez que je compte bien évidemment appuyer notre noble entreprise avec les moyens dont dispose ma compagnie. Aussi humbles soient-ils.
    -Ce qui veut dire ?
    -J’ai déjà passé un arrangement avec un armateur de ma connaissance, chargé d’exporter une cargaison d’agrumes de ma société vers l’île de Drunheimborg. Puisqu’il reste de la place dans ses calles, il a accepté de transporter à son bord mon pédalo personnel. Et je pense tout à fait pouvoir lui demander d’en transporter deux autres, afin que nous soyons tous lotis confortablement. Au pire, s’il refuse, vous pourrez pédaler d’ici jusqu’à Panpeeter. Mais vous aurez probablement du retard. Ho ! Ho ! Ho !
    -Pédaler de là jusqu’à… j’préfèrerais éviter, commenta Dogaku.
    -Ah. Un développement intéressant. Dois-je en conclure que vous vous joignez à nous, Sigurd ?
    -Gnion ?J’ai pas dis ça. Je dirais même plutôt… meh… comment dire…
    -Oui ?
    -Non.

    *
    *     *
    *

    Tout alla extrêmement vite. Deux heures plus tard, Santa, Elie, Arno et Elizaboreth montaient à bord de l’Archibaaldr, navire de fret commercial appartenant à l’un des principaux partenaires et distributeurs de la Santagrume.

    Après quelques minutes à bord du bâtiment, ils virent une cinquième figure chercher à les rejoindre à bord. Un jeune blondinet qui, en dégustant tranquillement sa glace au vin chaud, avait finalement changé d’avis et décidé de se joindre au diable.

    Pour des raisons très différentes, Santa et Sir Arno s’autorisèrent tous deux un léger sourire. L’un était réellement heureux de le revoir, l’autre, l’accueilli d’un rictus méprisant.

    Et Jorgensen ? La jeune femme était déjà aux prises avec le capitaine du navire, à négocier pour qu’on lui laisse une cabine où se prélasser jusqu’à leur arrivée. Elle sentait bien que la suite ne serait sûrement pas de tout repos.
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    Après avoir réuni ses premiers Chevaliers de Nowel, Santa les avait brièvement briefés sur la situation actuelle mondiale, et ce qu'il souhaitait y apporter. La première rencontre avait été très fructueuse, avec tout de même quatre volontaires. Santa ne s'attendait pas vraiment à mieux, et plutôt à pire, même s'il savait qu'il n'avait qu'à faire confiance à l'Esprit de Nowel.
    Tout d'abord, une jeune femme, actrice de profession, nommée Elie Jorgensen, avait décidé de se tourner vers l'humanitaire et avait directement été convaincue par l'idéal de paix et de bonheur que professait Santa. Ensuite, un couple des plus inhabituels, avec Arno, Sire Arno, un homme-poisson initié aux arcanes de la chasse aux primes, et adepte des livres de lois. Il était accompagné d'Elizorabeth, une Humandrill comprenant le langage humain qui semblait décidée à protéger son homme.
    Enfin, et là, Santa avait vraiment l'impression qu'il avait été guidé par l'Esprit de Nowel, Sigurd Dogaku, ancien capitaine de la milice maintenant au chômage, à la recherche d'une opportunité professionnelle et humaine. Même s'il manquait d'entrain au départ, un peu de réflexion et une glace au lait de poule l'avaient convaincu de tenter le coup, au moins histoire de voir. Et son attitude ne laissait guère de doute sur le fait qu'il comptait partir dès qu'il en aurait envie.

    Avec cette fière équipe aux compétences variées, ne restait plus qu'à ramener les sourires à Panpeeter, qui souffrait d'une morosité permanente du fait du capitaine Crachin. En même temps, peu de gens aimaient le crachin, même si c'était moins gênant que la grêle ou les averses. A force, ça devait taper dans l'optimisme.
    Conformément à ce qu'il avait annoncé pendant la réunion de présentation, Santa disposait du navire d'un partenaire de sa société pour les amener à portée de l'Île de Panpeeter. Une fois là, il ne resterait qu'à prendre son arme secrète et discrète pour arriver dans une petite anse quasiment impraticable. Mais chaque chose en son temps.
    La première partie du voyage, et accessoirement la plus simple, serait également la plus longue. Se laisser transporter laisserait à chacun des Chevaliers le loisir de se reposer, de se préparer, ou de passer le temps de n'importe quelle manière.


    Alors qu'Elie négociait une cabine de bon aloi, Sire Arno regardait attentivement tout autour de lui, histoire d'intégrer toutes les contraintes et lois de ce nouvel environnement, tandis que l'humandrill le regardait, lui, placidement. Sigurd se contenta de s'accouder au bastingage, avant d'engager la conversation avec le marin qui remontait la planche d'embarquement.
    Santa adressa un clin d'oeil et un signe de la main au capitaine puis descendit tout droit à la cale. L'obscurité ne l'empêcha pas de voir que tout avait été fait selon ses instructions, jusqu'aux moindres détails. Il remonta satisfait, et partit tailler le bout de gras avec le capitaine à la barre. Celui-ci était plutôt sceptique de son projet et de son plan, mais ça ne l'empêchait pas de rendre service, surtout que c'était sur sa route.

    Quelques heures plus tard, alors que la nuit était tombée, on ne voyait plus que le phare de Panpeeter au loin. Santa rassembla toute sa petite troupe, et calma Sire Arno qui avait apparemment glissé sur quelque chose qui n'aurait pas dû trainer là et demandait réparation pour le préjudice grave qu'il avait subi, étant grièvement blessé.
    Au signal de l'Envoyé de l'Esprit de Nowel, la trappe de la cale s'ouvrit, et une grue plongea dans l'obscurité. Elle en ressortit en tenant fermement une forme rouge difficilement distinguable dans la nuit, avant de la poser délicatement à l'eau. Le même manège se reproduisit deux fois supplémentaires, une des formes donnant une impression de vert pomme, tandis que la dernière semblait jaune fluo.
    « - Allez, à bord, tout le monde ! S'exclama joyeusement Santa.
    - Ce sont bien... des pédalos ? Demanda Sigurd.
    - Ho ! Ho ! Ho ! Tout à fait, mon cher Sigurd. Et de la meilleure qualité, même, si je puis me permettre !
    - Rakrakrakrak ! C'est dangereux, comme moyen de locomotion, surtout en pleine mer ! Vous portez-vous garant du risque que nous subissons ?
    - Ne vous inquiétez pas, il n'y a que quelques milles nautiques jusqu'à la côte, et la mer est d'huile cette nuit ! Nous ne risquons rien !
    - Mais voyons, mon cher ami, le risque zéro n'existe pas...
    - Un homme-poisson, ça peut pas se noyer, en plus, j'parie... grommella Sigurd.
    - Donc j'espère que vous vous assurerez de notre sécurité, voilà tout, acheva Sire Arno avec un regard mauvais vers l'ex-milicien.
    - Bien sûr, bien sûr ! Bon, comme vous avez pu le voir, ce sont des pédalos biplaces. Je pense que les meilleurs groupes consisteraient à mettre... Sire Arno avec cette chère Elizorabeth, puis j'imagine qu'Elie et Sigurd formerait une bonne paire ? »


    Comme personne n'avait d'objection, ou de meilleure répartition, les Chevaliers de l'Ordre de Nowel embarquèrent puis pédalèrent une petite heure avant de rejoindre l'entrée de l'anse. L'obscurité empêchait de le voir, mais des haut-fonds et des récifs affleurant à peine faisaient de cet endroit ''une bonne enculade à marins d'eau douce'' comme l'avait décrite le vieux pêcheur qui lui avait parlé du lieu.
    Santa guida précautionneusement son pédalo, le rouge, puis enjoignit ses collègues à prendre le même chemin que lui. La vitesse d'escargot que les groupes s'imposèrent leur permis de passer sans encombre, si ce n'était quelques rayures sur la peinture neuve des véhicules. Ils accostèrent enfin, sans souci autre qu'un peu d'eau de mer sur leurs vêtements.


    « - Ho ! Ho ! Ho ! To...
    - Chuuuuuuuut, coupa Elie.
    - Pardon ! Ho ! Ho ! Ho ! Tout s'est passé comme prévu !
    - Comment avez-vous entendu parler de cette endroit ? Demanda la jeune femme.
    - Un marin m'a raconté que son contrebandier de père avait utilisé cette anse comme planque pendant la guerre de trois mois et trois quart et...
    - Passionnant, c'est par où, maintenant ? Intervint Sigurd.
    - Shhhhhht, s'exclamèrent Santa et Elie.
    - Mais vous voyez bien que y'a personne, vous êtes sûr qu'on est sur la bonne île ?
    - Il ne nous reste qu'à suivre ce petit chemin de chèvre. Après deux heures de marche, nous serons en ville, pile à l'heure pour le petit-déjeuner ! »


    Dernière édition par Santa Klaus le Mer 4 Juin 2014 - 11:40, édité 1 fois
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    Toc.




    Toc.




    Toc.




    Qui est là ?






    C’était la dernière plaisanterie à la mode dans l’équipage des Cracheurs. Le capitaine lui-même l’avait lancée. L’humour était douteux, mais surtout, facile. Depuis quelques mois maintenant, Crachin émettait un toc toc caractéristique à chaque pas qu’il faisait. C’était normal. Car il avait maintenant deux jambes de bois.

    Il trouvait sa situation tristement ridicule. Il avait croisé le fer avec la justice à d’innombrables reprises ; milices, marines, forces de sécurité privées et chasseurs de primes en tous genres, le malfaiteur avait déjà tout vu au cours de sa vie, un simple quart de siècle. Le hasard lui avait même réservé la malchance d’interrompre une équipe du Cipher Pol en pleine mission, et de s’attirer leur animosité. Et il s’en était toujours sorti indemne. Systématiquement.

    Puis, il avait suffit d’un simple pillage de galion pour qu’il se retrouve amputé des deux jambes. La faute à un simple mousse terrorisé. Le garçon avait trouvé dans la panique l’énergie suffisante pour blesser gravement beaucoup plus fort que lui.

    Un triste sort qui avait fortement affecté Crachin, tant physiquement que mentalement. Jusque là, il devait surtout ses succès à sa jeunesse et à sa fougue. Les jeunes dans son genre étaient invulnérables, et n’avaient peur de rien. Quoi que le monde puisse lui envoyer, rien ne pouvait l’arrêter. Il avait rencontré plus que sa part de difficultés, et expérimenté de cuisantes défaites. Mais le boucanier, à force de talent, d’audace et de chance, avait toujours pu traverser les épreuves qu’il rencontrait. En cinq ans de piraterie, il était parvenu à rassembler près de deux mille hommes à sa suite, et à leur offrir à tous une existence décente.

    En parlant d’eux, d’ailleurs. Il n’était pas sûr que tous aient fait preuve à son égard d’autant de compassion qu’il l’aurait souhaité. Mais peut–être divaguait-il, tout simplement. Ces derniers temps, l’amertume qui le consumait modifiait grandement sa perception des choses.

    D’autant plus qu’il avait bien des gens sur qui compter. Déjà, sa sœur, qui l’avait accompagné dans l’illégalité dès le premier jour de ses aventures. Elle ne s’en plaignait pas, bien au contraire. Car s’ils étaient devenus hors la loi, ça n’était que parce qu’ils avaient eu leur vie, leur passé, leurs drames, et guère eu le choix d’en faire autrement. Ou peut être avaient-ils simplement commis une, puis deux, puis plusieurs erreurs tout au long de leur parcours. Et que les choses auraient pu en être autrement. Ils n’étaient pas du genre à ressasser leurs tracas, et n’en avaient de toute manière jamais eu le temps. Ils avaient toujours vécu en avançant.

    Et puis, il y avait également Vanimmeus. L’homme était à la tête de l’un des derniers groupes de forbans à l’avoir rejoint, mais était très rapidement devenu un excellent ami, et peut être bien le plus proche d’entre tous. Sans surprise, il l’avait rapidement élevé à un grade de lieutenant, sans toutefois en faire son bras droit. Il n’en avait pas l’envergure.

    Toutefois, pendant que Crachin se remettait de ses blessures, son ami n’avait pas hésité à poursuivre leurs opérations, avec un acharnement décuplé. L’état du capitaine indéniablement affecté Vanimmeus. Les raids qu’il menait devenaient de plus en plus agressifs, téméraires, parfois même inconsidérés. A terme, quelque chose, quelque part, finirait forcément par mal tourner. Malgré sa retraite temporaire, Crachin était au fait de toutes les dernières nouvelles, et recevait de plus en plus de mauvais échos sur le compte de leurs manœuvres. Pour qu’il intervienne et mette fin à tout ça, il n’attendait guère que de se sentir mieux.

    Il n’avait plus le cœur à rien, et vivait alité depuis des mois.

    Il se sentait déjà mort, handicapé comme il l’était.

    Et pourtant, par une belle soirée…

    Au détour de quelques hasards, le lieutenant approcha d’un fruit démoniaque.

    Au prix de nombreux efforts, il parvint à s’en emparer.

    Et d’un coup, ils retrouvèrent espoir…

    Vannimeus s’était empressé de rapporter le fruit maudit en lieu sûr. En l’occurrence, l’un des navires de Crachin.

    Et voilà qu’à nouveau, le destin préparait sa chute.

    Pour les troubles qu’avaient causé les forces de Vannimeus, la Marine avait redirigé un de ses navires sur leur trajectoire. A son bord, le colonel Capslock, qui se présentait habituellement comme étant « LE COLONEL CAPSLOCK, PLEINES MAJUSCULES, MERCI SOLDAT ». Au terme de quinze ans de service, l’homme avait gravi les rangs depuis la plus humble position jusqu’à sa situation actuelle. De simple mousse assistant les opérations de navigation, il avait appris au fil des ans l’art de manœuvrer un navire, au point d’en faire sa spécialité, et sa plus grande fierté.

    Aujourd’hui, Capslock était un véritable ténor de la barre, doublé d’un commandant de bord très exigeant sur les performances de son bâtiment. A chacune de ses affectations, il gardait à ses cotés une troupe d’ingénieurs qui transformaient systématiquement le navire du jour pour satisfaire à ses préférences.

    Tout ça n’avait d’intérêt que lors de batailles navales, mais c’est précisément pour cela qu’il faisait fureur dans la Marine, et pas dans les forces terrestres.

    En conséquence, Capslock n’avait eu aucun mal à intercepter et capturer proprement le transit de Vanimmeus. Le navire et ses équipements avaient été malmenés par les canons du colonel avec une précision chirurgicale, de sorte que tout l’équipage avait été contraint de se rendre sans faire d’histoires.

    Pour les marines, il s’agissait d’une mission accomplie avec brio, dans la plus pure trempe de ce que réalisait habituellement le colonel Capslock.

    Pour Crachin, l’annonce avait eu l’effet d’un boulet de canon, reçu en plein visage. Il avait appris la nouvelle par l’intermédiaire d’une mouette, envoyée par ses sbires peu avant leur capture, avec un courrier attaché à la patte.

    Pendant de très longues heures, il était resté anéanti. Dans l’équipage, de nombreuses personnes s’attendaient presque à le voir pleurer. A ce stade, c’était le destin lui-même qui s’acharnait à causer sa perte. Le capitaine aurait pu boire une bouteille entière de poison : l’effet aurait été le même. L’étau qui se resserrait sur lui était aussi amer et désespérant que le malaise qui le rongeait de l’intérieur.

    Avec la perte du fruit et d’une partie de ses forces, l’espoir n’existait plus.

    Cette fois, il était condamné.

    Ca n’était qu’une question de temps.

    Il n’avait plus rien à perdre, en vérité. Il se sentait déjà mort.

    Aussi prit-il la décision de faire rassembler ses forces, afin qu’il puisse s’adresser à la totalité de son équipage.

    Ce jour-là, ses hommes s’attendaient presque à assister à un enterrement.

    Crachin avait construit son équipage en absorbant d’autres groupuscules de pirates, et il ne faisait aucun doute que certains voudraient prendre sa place.

    Mais lorsqu’il prit la parole, ce fut avec une assurance résolument morbide qu’il leur annonça sa décision finale.

    Personne ne l’avait jamais vu avec un tel éclat dans les yeux.

    Et personne ne l’avait jamais entendu échafauder des plans pareils.

    Ca n’était même pas un plan. Ca, tout le monde le comprit.

    C’était la fureur d’un homme, décidé à renvoyer au centuple toutes les horreurs que la vie lui avait réservé.


    Dernière édition par Sigurd Dogaku le Dim 23 Mar 2014 - 19:23, édité 3 fois
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    Panpeeter, petit joyau d'émeraude, perdu au beau milieu de l'immensité bleutée de l'océan.
    Panpeeter et ses mines de sels stratégiques pour la bonne circulation terrestre de tous les archipels environnants.
    Panpeeter et son fortin du gouverneur bâti sur la haute colline au nord, et dont les rangées de canons veillent sur la quiétude des environs.
    Panpeeter et sa splendide citée de Varedas, chef-lieu de l'île, avec son charmant comptoir de négoce   et ses deux cales sèches du chantier naval.
    Panpeeter et ses kilomètres de chemins de douaniers promettant des heures de randonnées aux promeneurs du dimanche, qui peuvent ainsi admirer en tout point de l'île les voiles blanches des navires du blocus de la marine à l'horizon.
    Panpeeter et ses innombrables pavillons noirs flottant sur tous les édifices officiels au travers de toutes les villes, au diapason des enseignes flottantes sur les deux galions du capitaine Crachin stationnés à l'abri dans le port de Varedas.
    Panpeeter et sa côte Sud ponctuée des ruines calcinées des trois villes pulvérisées par les hommes de Crachin, fervent partisan de la politique de la terre brûlée et qui n'a pas apprécié les quelques tentatives hasardeuses de la marine pour l'évincer d'ici.
    Panpeeter et ses kilomètres carrés de landes, dans laquelle crapahutent tant bien que mal quatre silhouette, perdues au beau milieu de nulle part en pleine nuit.

    C'était une équipe bien disparate qui s'aventurait dans les ténèbres. En tête venait une petite gamine haute comme trois pommes. Un peu trop maigre pour son âge, elle n'en avançait pas moins avec aisance et souplesse, traversant la bruyère sans jamais se prendre les pieds dans les traîtrises du sol. Malgré son passé de citadine, Khalia s'était adaptée en un rien de temps à la campagne avec la même facilité qui lui avait permis de s'adapter aux roulis du navire.
    Derrière elle peinaient davantage trois adultes. Elle avait rencontré les deux premiers sur le navire qui les avait menés sur Panpeeter : Luan et Yoshimitsu. Deux médecins. En discutant pendant la traversée, ils s'étaient rendus compte qu'ils avaient tous trois le même objectif : rejoindre l'organisation des chevaliers de Nowel, qui était en train de se former à Groenheim. Par la force des choses, ils avaient fini par sympathiser. Malheureusement, le hasard avait voulu que leur navire fasse escale sur cette maudite île pile au moment où les pirates s'étaient décidés à débarquer et à prendre le contrôle de l'île. Et maintenant, ils étaient coincés sur ce bout de caillou, sous le coup de la loi martiale des forbans et subissant un blocus de la part de la marine qui en était encore à tergiverser sur les différentes façons de régler le problème.

    Les choses auraient sagement pu en rester là, si ne leur était parvenu une rumeur comme quoi les pirates avaient rasés l'un des sordides hameaux qui se trouvaient de l'autre côté de l'île. Il n'en avait fallu pas plus pour qu'une Luan horrifiée décide de s'y rendre pour venir en aide aux sinistrés. Khalia avait bien tenté de lui faire entendre raison, c'était peine perdue : la trop gentille médecin avait le devoir chevillé au corps, elle ne pouvait rester sans rien faire alors qu'on avait besoin d'elle.
    Et inutile de compter sur cette andouille de Yoshimitsu pour lui faire entendre raison : il lui avait emboîté le pas bien docilement, écartant les récriminations de Khalia derrière son habituel sourire narquois.

    La dernière du lot avait l'air encore moins à sa place. Elle marchait derrière les autres, perdue dans ses pensées. L'air de rien, les deux médecins conservaient constamment un œil sur elle, encore tracassé par son cas. Ils l'avaient récupéré dans l'une des auberges du port de Varedas, où elle y séjournait, complètement patraque. Comme de bien entendu, Luan avait aussitôt décidé de lui porter secours. Néanmoins, son cas déroutait les deux médecins : la jeune femme ne semblait souffrir d'aucune maladie, n'était pas dépressive et, au vu de son emploi du temps, ne souffrait pas non plus de surménage. Bien qu'elle soit parfaitement rétablie, Yoshimitsu n'avait pas eu a insisté beaucoup pour que Luan aille la convaincre de les accompagner, se retranchant derrière sa longue expérience pour justifier sa lubie. La médecin, par contre, avait du déployer des trésors de persuasion pour convaincre l'ancien officier de la marine du royaume d'XXX de les suivre, mais elle avait fini par l'emporter sur ses réticences à force d'insister. Luan était impitoyablement efficace lorsqu'il s'agissait d'obtenir gain de cause auprès d'un patient à l'usure.
    Plus que pour avancer dans le noir au beau milieu de terres aussi sauvages qu'hostiles.

    « Aïeuuh ! Fit la jeune femme en se prenant les pieds dans une racine.
    _ J'vous l'avais bien dit que c'était pas une bonne idée de filer de nuit, fit Khalia d'un ton espiègle.
    _ Impossible de faire autrement, les pirates contrôlent strictement les sorties. On aurait jamais pu les duper de jour, expliqua Yoshimitsu.
    _ N'empêche que vous le regretterez lorsque l'un de vous se sera foulé la cheville.
    _ Oh, j'adorerais ! S'exclama le grand escogriffe. Luan me porterai et...
    _ Ça devrait aller, il y a des arbres un peu partout, on aura pas de mal à fabriquer une béquille le cas échéant, fit remarquer Luan.
    _ Dommage, ça sera pour une autre fois, alors...
    _ Pis c'est Lulu et Eva qui m'inquiètent ! Toi, t'as pas fait un seul faux-pas depuis qu'on est parti...
    _ Parler moins fort, vous allez attirer l'attention des patrouilles, siffla Haylor d'une voix sourde.
    _ De toute façon, si des pirates étaient cachés dans les parages, on les verrait, y'a pas trente-six endroits pour s'abriter par ici, rigola Khalia.
    _ Les vallons cachent bien davantage la vue que tu ne peux le penser, petite citadine, la chapitra gentiment Yoshimitsu.
    _ Et quand on est des fugitifs, on se fait discret, les morigéna Haylor.
    _ Simple curiosité, grade d'instructeur chef dans votre marine ?
    _ Non : commissaire.
    _ Flûte, j'étais pas loin.
    _ Ne perdons pas de temps, rappela Luan, ces gens ont besoin de nous.
    _ Ils sont tous mort, ils sont plus à cinq minutes, va... Signala Yoshimistu.
    _ …
    _ D'accord, d'accord, j'ai rien dit ! Arrête de me faire les gros yeux.
    _ Moins fort, vous allez alerter les pirates !
    _ Tu comptes nous le répéter jusqu'à ce qu'on soit arrivé ? Grommela Khalia, en se retournant, à l'adresse de la commissaire.
    _ Mais je n'ai rien dit, voyons, se défendit l'intéressée.
    _ Mais ça ne... »

    Khalia ne termina pas sa phrase, tandis qu'elle apercevait derrière ses trois congénères une série de têtes affleurer du sol, puis l'en dépasser à mesure que les corps à qui elles appartenaient progressaient le long du petit chemin qui menait à la crique des pirates.

    « Des pirates ! Hurla Khalia en dégainant.
    _ Ho ho ho ! Des pirates ! Jubila Santa.
    _ Elle a une dague, ils sont armés ! S'affola Sigurd.
    _ Et ils ont des blouses ! Surenchérit Elie.
    _ La poisse, y'a un homme-poisson, ronchonna Yoshimitsu.
    _ Ils sont plus nombreux nous ! S'alarma Haylor.
    _ On se rend ! Affirma Luan en levant les mains.
    _ Attention, j'ai un stylo et je n'hésiterai pas à m'en servir ! » Tonna Arno.

    Santa et Zora s'avancèrent aussitôt en avant-garde, prêt à faire valoir le bon esprit de Nowel sur tous les enfants pas sage. Khalia pris place au côté de Yoshimitsu, hésitant entre détaler ou appuyer ses nouveaux amis. Luan et Haylor restèrent prudemment en retrait, bras en l'air, tandis que Yoshimitsu conservait les mains au fond de ses poches, son éternel sourire amusé lui barrant le visage. Arno, Elie et Sigurd avaient redescendu le chemin de sorte que seules leurs têtes ne dépassent, par mesure de sécurité car on n'était jamais trop prudent.

    « Mais... ce n'est qu'une enfant, S'étonna brusquement Santa. Un instant, Elizorabeth ! Je crains que nous ne fassions une terrible méprise ! »

    L'humandrille hésita un instant entre le commandement de son maître et celui du barbu, mais le souvenir du Santa Chop fit heureusement pencher la balance dans la bonne direction.

    « Ho ho ho ! As-tu été sage cette année, ma petite ? Tiens, voilà pour toi ! Bonhommia un Santa rayonnant de Nowel au point de transformer les adjectifs en verbe, avant de lancer une orange à Khalia.
    _ Heu... Hé bien, merci, répondit poliment l'orpheline.
    _ Et si bien éduquée avec ça.
    _ Il commence à me faire peur, le vieux pépé...
    _ Excusez-moi, mais qui êtes-vous ? S'enquit Luan. Les pirates ne distribuent d'oranges, généralement. Tu devrais la manger, Khalia, c'est plein de vitamines.
    _ Ch'uis en pleine forme !
    _ Mais sous-alimentée. Mange.
    _ Ma foi, il semble que vous aussi vous mépreniez, sourit paternellement Santa. Voyez-vous, nous ne sommes pas des pirates !
    _ Ni des marines, malheureusement, fit Yoshimitsu. Dommage, j'espérais tomber sur quelque chose d'utile.
    _ Effectivement, nous ne sommes pas des marines : nous sommes bien mieux que ça. Nous sommes... L'Ordre des Chevaliers de Nowel !! » Proclama solennellement le colossal barbu en prenant sa pose la plus impressionnante possible.

    Pendant que la troupe des médecins l'observait, interloquée, sans ajouter un mot, Santa s'aperçut qu'hormis l'humandrille, personne n'avait accompagné sa théâtrale prestation.

    « Hum... Ho ho ho, je crois qu'il faudra qu'on mette au point certaines choses plus tard.
    _ Mais c'est formidable, ça, s'enthousiasma Luan. Nous étions justement en route pour vous rejoindre lorsque nous nous sommes fait coincer sur cette île. Je m'appelle Luan Sekihara, médecin bénévole, enchantée de faire votre connaissance !
    _ Oh, ç'alors ! L'Esprit de Nowel est à l’œuvre ! La confrérie s'agrandit ! Venez, mes compagnons : accueillons comme il se le doit nos nouvelles recrues.
    _ Hé, attendez, qui nous dit que ces nouvelle recrues ne sont pas des pirates !?
    _ Mais... Heu... Pas d'entretien d'embauches ? S'étonna Luan. Oooh, mais je m'étais tellement préparée à défendre mon CV...
    _ Alors, alors, si nous faisions les présentations ? Reprit Santa.
    _ Mais bien entendu, répondit la médecin. Voici Yoshimitsu Kanzatsuga, médecin bénévole, lui aussi. Khalia, notre petite guide au grand cœur...
    _ Arrête, j'vais m'sentir gênée !
    _ … Et mademoiselle Evangeline Haylor, ex-commissaire de l'ancienne marine du Royaume d'XXX.
    _ Haylor !? S'exclama Sigurd, en s'approchant.
    _ Capitaine? Je peux savoir ce que vous faites ici ?!
    _ Hé, j'ai une excellente raison d'être là : j’œuvre pour le compte d'une œuvre caritative. Mais et vous ? Qu'est-ce que vous faite à arpenter la campagne de nuit sur une île sous joug pirates ??
    _ Heu... ça ne vous regarde pas, fit Haylor.
    _ Hein !? Mais je vous ai répondu, moi ! Se récria l'ancien officier.
    _ Hé bien, heu... hésita Haylor, avant d'être sauvé par le gong grâce l'intervention de Luan.
    _ Ne la brusquez pas, intervint la médecin. Mademoiselle Haylor est en pleine convalescence, elle a besoin de calmes et de repos.
    _ En convalescence ? Mais qu'est-ce que...
    _ Secret médical, interrompit Yoshimitsu. Ne compte pas sur nous pour te dire quoi que ce soit.
    _ Maieuh c'est quoi ces conspirations !
    _ En tout cas, c'est formidable que vous vous connaissiez, reprit Luan. Nul doute qu'elle ne s'en rétablira que plus vite.
    _ Et si on poursuivait les présentations ? Proposa Yoshimitsu. J'ai cru apercevoir un homme-poisson en plus de la délicate demoiselle qui vous accompagne.
    _ Oh, vil flatteur, minauda Elie. Je suis Elie Jorgensen, ravie de faire votre connaissance, Yoshimitsu.
    _ Ah ? … Mais c'est que... Je parlais de l'humandrille, en fait...
    _ Quoi !? Espèce de mufle ! Ne m'adressez plus la parole !
    _ Mais je vous jure que je ne vous avais pas vu ! Sinon j'aurai dit les deux délicates demoiselles.
    _ Ne me mettez pas dans le même panier que cette chose, sale rustre.
    _ Rak-rak-rak-rak-rak ! Je vois que vous avez toujours aussi bon goût en matière de femme, Kanzatsuga.
    _ Oh nooon, pas lui. Je l'avais dit que c'était la poisse...
    _ Oooooh, s'exclama Luan, regarde, Yoshimitsu, c'est notre ami Arno.
    _ Tiens, mais je ne l'avais pas reconnu, ce bon vieil Arno, mentit le médecin avec un grand sourire.
    _ Hum, hum ! Nous n'avons signé aucun contrat d'amitié, soyez aimable de vous en souvenir. Et c'est sir Arno, nous n'avons pas gardé les cochons ensembles, que je sache.
    _ Tiens donc, vous aussi, vous vous connaissez déjà ? S'étonna Santa.
    _ Oui, oui, nous nous sommes connus il y a quelques années lorsque... Expliqua Luan.
    _ Hep ! Je vous rappelle que vous avez signé un contrat de confidentialité dont j'ai justement ici un duplicata et dont l'alinéas 4 section 5 stipule par le menu que...
    _ Mais je n'ai rien signé de tel, s'étonna la médecin.
    _ Certes, mais votre compagnon ci-présent l'a signé, ce qui l'engage au silence sous peine de lourdes sanctions financières, lui et toute sa famille jusqu'à la cinquième génération, cousin issu de germain à la mode de Bretagne compris. Ce qui vous inclus donc tout naturellement, ma chère.
    _ Voyons, Arno, je ne suis ni sa sœur, ni sa cousine : je ne fais absolument pas partie de sa famille.
    _ Quoi !? Mais je croyais que vous deviez vous mariez incessamment sous peu !?
    _ Quelle idée, s'amusa Luan. Qui a donc bien pu vous mettre cette idée dans la tête.
    _ À votre avis !?
    _ Ouais, désolé, je m'étais peut-être un peu avancé, sur ce coup-là...
    _ C'est une honte ! Comment avez-vous pu abuser ainsi de ma confiance et de ma foi aveugle en l'humanité !
    _ 'fallait lire les petits caractères.
    _ Mais c'était un engagement oral !
    _ Bref, je suppose que la charmante princesse ci-présente est donc Elizorabeth, reprit Yoshimitsu. Alors, comme ça va, ma grande ?
    _ C'est moi, la charmante princesse, ici. Pas cette... chose !
    _ Ook-ook ! S'agita joyeusement l'humandrille.
    _ Ouais, moi aussi, je suis ravi de te revoir, affirma le médecin en serrant la primate dans ses bras.
    _ Dites, je voudrais pas jouer les rabats-joies, mais quand on aura fini les effusions de joies des retrouvailles, on pourrait penser à faire moins de bruits ? On va finir par attirer les pirates, signala Sigurd.
    _ Allons, allons, mon bon Sigurd, le rassura Santa, seuls les contrebandiers connaissent l'existence de cette crique.
    _ Sauf que nous SOMMES des contrebandiers. » Railla une voix.

    Le petit groupe se retourna pour apercevoir une douzaine de gars à la mine patibulaire se déployer, arme au poing, en demi-cercle autour d'eux.

    « Des pirates ! Hurla Khalia en rangeant son orange.
    _ Ho ho ho ! Des pirates ! Jubila Santa.
    _ Des mousquets, ils sont armés ! S'affola Sigurd.
    _ Et ils ont des sabres ! Surenchérit Elie.
    _ Dieu merci, y'a pas d'homme-poisson, soupira Yoshimitsu.
    _ Ils sont plus nombreux nous ! S'alarma Haylor.
    _ On se rend ! Affirma Luan en levant les mains.
    _ Attention, j'ai toujours mon stylo et je n'hésiterai pas à m'en servir ! » Tonna Arno.
      « Vous vous rendez ? Demanda celui qui semblait être le chef des pirates avec un sourire. Parfait, le maître préfère les exécutions publiques, la plèbe aime.
      -Nous ne nous rendons pas Ho Ho Ho !!! Nous sommes les vaillants chevaliers de Nowel, et nous pourfendrons la perfidie de vos âmes pour vous rendre doux et gentils comme des agneaux ! Déclara Santa avec sa bonhommie habituelle. »

      Un vent de doute souffla l'assistance. Le pirate se demandait si le géant rouge était sérieux ou juste totalement fou. Sigurd se demandait s'il fallait crier, hurler, sauter dans les bras de quelqu'un en criant à l'aide ou juste prier pour que leur mort ne soit pas douloureuse. Haylor se demandait pourquoi sa route croisait aussi souvent celle de son Ex-Capitaine et les problèmes qui accompagnaient toujours celui-ci. Arno se demandait s'il n'aurait pas dû prévoir une clause supplémentaire dans son contrat avec M. Klaus attestant que celui-ci devait le protéger en priorité avant de penser à la sécurité du reste du groupe. Elizorabeth se demandait. Luan se demandait si elle allait devoir soigner quelqu'un dans la minute. Yoshimitsu se demandait s'il allait devoir soigner quelqu'un dans la seconde. Kahlia se demandait si ça vaudrait la peine de commencer à pleurer. Elie se demandait si les autres étaient comme elle, tous en train de se demander quelque chose. Enfin, Santa se demandait pourquoi ses braves Chevaliers ne s'étaient pas automatiquement mis à ses côtés après qu'il ait annoncé ses intentions. Il le fit d'ailleurs savoir.

      « Mes chers compagnons!! Tous avec moi, ensemble nous pourrons les avoir!
      -Il est en train de dire qu’on va combattre ? Demanda Elie.
      -Mais il est malade! Paniqua Sigurd. Il peut pas les attaquer tout seul! 'Ttendez, 'ttendez, nan, faut faire ça autrement. Une petite distraction, les autres se tirent en courant, et enfin...
      -Ne faîtes rien de stupide qui risque de les... mon dieu, qu'est ce que je raconte, ils vont nous capturer et nous... non... non non non non non non. Je ne veux pas..., se lamenta Haylor.
      -Je n’ai rien signé pour de telles choses, siffla sir Arno, il pourrait prévoir ce genre de choses dans ses contrats d’embauches Rakrak…
      -En tous cas, ne comptez pas sur moi pour combattre qui que ce soit, on pourrait peut-être tenter de parlementer… Proposa Luan. On n’arrivera peut-être à rien, mais ça pourrait nous faire gagner du temps.
      -Je suis d’accord, fit Yoshimitsu.
      -Pourquoi ces méchants pirates ne veulent pas nous laisser passer, sanglota Kahlia.
      -Grumph, expliqua Elizorabeth.

      -Huuhum ! Intervint le pirate, un peu énervé. Si on vous dérange, dites-le ! Nous sommes en train de vous attaquer.
      -Rooh, vous, ta gueule ! Répondit la comédienne. C’est un conseil de guerre !
      -Et ouaip bonhomme, temps mort, la suppléa Sigurd, t’attends bien gentiment qu’on ait terminé s’il te plait.
      -Ho ho ho ! Je ne vois vraiment pas pourquoi vous continuez à discuter les amis, je ne vois qu’une solution et elle est évidente ! On leur inculque la gentillesse au plus vite, allez, en rang Chevaliers, ordonna le patriarche en se tournant de nouveau vers les assaillants.
      -Excusez-moi, fit Luan à Santa, mais si vous voulez leur apprendre à être gentils, la manière douce ne serait-elle pas la meilleure méthode ?
      -Je peux faire un essai pour vous faire plaisir, mais je crains qu’ils ne coopèrent pas Hohoho ! Messieurs, entama Santa en se tournant vers les pirates, voulez-vous devenir gentils et nous laisser passer ? Je pourrais vous offrir une orange à chacun d’entre vous pour prix de votre gentillesse ! »

      Si les pirates furent pris un instant par un doute affreux, d’avoir affaire à des fous en cavale plutôt qu’à des « chevaliers » comme ils se présentaient eux-mêmes, ils ne mirent pas longtemps à se dire que cela ne changeait rien. Au bout d’une corde, les gens ne feraient pas la différence et cet exemple pourrait mettre un terme à toutes les tentatives désespérées des habitants de se rebeller. Le Capitaine Crachin n’aurait à ce moment-là plus qu’une seule instance à surveiller, la Marine.

      « Bien ! Je vous donne le choix, soit vous vous rendez, soit nous vous tuons ! Proposa le porte-parole pirate comme alternative.
      -Messieurs, avant d’arriver à des conclusions hâtives, je suggère que vous apposiez votre somptueux paraphe sur le contrat d’enlèvement à rétro-rémunération que je viens de rédiger en toute hâte, et qui vous permettrait de recevoir la rançon pour ma libération ; mensuellement et durant l’année suivant ladite remise en liberté, Ne vous embêtez pas à lire l’ensemble ; en toute bonne foi, c’est parfaitement légal ! Rakrak..
      -Le monsieur tout gris, il essaie de nous sauver des méchants pirates, hein ? Demanda Kahlia qui avait cessé de pleurer mais demeurait angoissée par la présence des contrebandiers.
      -Mais oui, ne t’inquiètes pas, sir Arno ne manquera pas d’interférer en notre faveur ! La rassura Elie.
      -Arno, je te préviens, si tu te casses sans penser aux autres, je te… Menaça Sigurd, toujours pas remis de son différend avec l’homme poisson.
      -C’est Sir Arno, et je voudrais bien savoir ce qu’un nimbus comme toi pourrait me faire, rakrak… Surtout que pour me faire quoi que ce soit, faudrait déjà arrêter de pisser dans ton...
      -Je vous préviens tous les deux, intervint Luan, je ne tolérerai pas de pugilats au sein du groupe ! Ma mission première étant de soigner, si vous vous mettez à vous battre l’un contre l’autre je…
      -Ne t’inquiètes pas Luan, je ne pense pas que ces deux-là pourraient se faire plus qu’un gros hématome, se moqua Yoshimitsu. D’ailleurs, sir Arno, je me demandais, comment appelle-t-on un bleu chez les hommes poissons ? Et de quelle couleur sont-ils ?
      -Je ne suis pas sûr que ce soit le moment mes enfants, nous allons devoir passer à l’attaque Hohoho, puisqu’ils ont décidé de rejeter mes propositions, les rappela à l’ordre Santa.
      -Monsieur Santa, tenta de le raisonner Elie, nous ne pouvons décemment pas les attaquer, nous sommes encerclés, ils sont plus nombreux, et le nombre de combattants de notre groupe est actuellement réduit à deux.
      -C’est la seule alternative mon enfant, si nous ne les arrêtons pas, ils continueront à faire le mal, ce n’est pas le genre de personne à avoir été gentil cette année !
      -Nous pourrions tenter d’infiltrer directement leur quartier général en nous rendant et les avoir par la ruse une fois à l’intérieur…, lui chuchota l’actrice à l’oreille.
      -...
      -...
      -...
      -...
      -...
      -...
      -...
      -...
      -Nous nous rendons, conclut finalement le colosse après qu'ils aient fini leur discussion silencieuse.
      -Qu’est-ce qu’elle a dit ? Demanda Sigurd.
      -Je veux pas qu’on m’emmène là-bas, protesta Kahlia.
      -Ne t’inquiètes pas, ça va s’arranger, lui promit Luan.
      -Et mon contrat d’enlèvement !? Tenta sir Arno.
      -Grumph, surenchérit Elizorabeth.
      -Il va falloir trouver le moyen de se sortir de là, songea Yoshimitsu à voix haute.
      -Vivants plutôt que morts, merci, rumina sombrement Haylor. Et je ne vois vraiment pas ce que... bon sang. »

      La petite troupe se mit en route une fois que les pirates eurent vérifié qu’aucun d’entre eux n’avait les moyens de se rebeller durant la marche jusqu’à chez Crachin. Santa était encadré de deux contrebandiers, de même que la guenon. Le reste entourait ceux des « Chevaliers de Nowel » qui leur paraissaient inoffensifs. Si Sigurd et Haylor, ainsi que Kahlia dans une certaine mesure adoptaient un comportement pour le moins normal -gémissements et panique en tous genrez- l'attitude des autres était plutôt détachée, persuadés par on ne sait quel mystère qu'on ne leur ferait pas de mal.

      Selon les plans de monsieur Klaus, ils auraient dû commencer par porter secours aux populations avant d’aller affronter dans la mesure du possible le belliqueux loup des mers. Cet événement n’avait fait que changer l’ordre de leurs priorités. Certes les médecins auraient aimé pouvoir sauver des vies et des pauvres gens, mais le sort en avait décidé autrement. Ils étaient tout de même satisfaits d’avoir évité un combat qui leur aurait beaucoup coûté.

      Ils arrivèrent finalement à une bâtisse de taille moyenne, en bois où les contrebandiers leur firent signe de s’arrêter. Dans la troupe, on doutait que ce fut véritablement leur destination finale et on avait bien raison. Quand le chef de groupe ressortit du bâtiment, ce fut encadré de plusieurs autres pirates qui leur faisaient signe d’approcher. Le taille de leur escorte approchait désormais la vingtaine de clampins ; peu de chances qu’ils puissent s’échapper pendant le voyage ou les combattre désormais…

      On fit descendre les prisonniers dans une cave sous terre, accessible uniquement par une échelle que leurs geôliers retirèrent pour la nuit. Pour la première fois depuis que l’ordre des Chevaliers de Nowel avait été créé, celui-ci se trouvait presque en position de disparaître totalement. C’aurait été une bien courte existence, terminée dans une cave sombre, où l’on n’y voyait pas plus loin que le bout de son nez. Afin de plaire à ses lecteurs, la narration va arrêter ses descriptions larmoyantes pour se concentrer sur la chute du récit :

      « Bonsoir, vous êtes qui ? Fit une voix dans le noir. »


      Dernière édition par Elie Jorgensen le Mer 14 Mai 2014 - 11:48, édité 1 fois
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      • https://www.onepiece-requiem.net/t9508-elie-jorgensen
      Voilà un drôle de bonhomme qui les accueillait, dans cette cave sombre comme un four.  Alors que le groupe des chevaliers, entassés là où s'était retirée l'échelle, formait un peloton encore plus serré qu'à l'accoutumé, avec en son centre Klaus... l'étranger, contre toute attente, s'alluma un bon cigare, attendant la réponse.  À la lueur de son allumette, les plus attentifs purent voir le reflet de quelques écailles vertes... et de crocs surdimensionnés !
      Tel les coups de marteau sur une enclume, les tic-tac d'une montre sûrement perdue dans le ventre de ce monstre résonnèrent !

      Les chevaliers en eurent la respiration coupée !
      Santa Klaus se para au combat !
      Élizorabeth également !
      Les autres, à l'instar d'un amas de sardines, se compressèrent dans un semblant de formation spartiate.

      Tout s'arrêta...

      Puis le silence laissa filtrer les quelques rires gras des pirates, au dessus.  Les tic-tac ne résonnaient plus.

      La faible lueur provenant du tabac rougeoyant permit à Kahlia de démystifier le nouveau personnage : « Oh ! un lapin ! »

      Effectivement.  Même si tous ses traits étaient encore plongés dans la sombre noirceur de la geôle, ici, les crocs pointus se transformaient en palettes proéminentes, et là, des moustaches s'étiraient en longs poils raides.  Les écailles luisantes fondirent en une veste de cuir brun, puis la silhouette d'un svelte gentleman, aux grands pieds, émergea des ombres.  
      Il portait, sur son nez/museau une petite paire de lunettes rondes sans branches, tandis que ses cheveux blancs, lichés derrière ses grandes oreilles décollées aux lobes tombant, rappelaient le pelage hivernal d'un lièvre.  Bien sûr, il tenait son cigare entre de grandes paluches duvetées, ce qui, de toute évidence, avait permis à Kahlia de supposer la ressemblance lagomorphienne.

      Les tic-tac revinrent, cette fois comme étouffés.  À nouveau, les chevaliers en eurent la respiration coupée !

      « Oh, je m'en excuse docteur ! répondit le « lapin », dans une voix de velours, après un long trait sur son cigare.  Elle est cassée depuis que je suis tombé dans ce trou à rat.  Elle toussote parfois un peu, docteur, fit-il en tapotant la poche de sa veste.
      Ils nous parlent, tu crois ? fit Yoshimitsu à Luan.
      Non, je crois qu'il parle au groupe, lui répondit-elle.
      — Je suis Mac Alysster, l'Horloger captif, dit-il en levant la main.  Mais appelez moi... Alyss. »

      Pour ceux de l'Ordre qui cliquèrent sur son nom, la musique les emporta immédiatement dans un lien de confiance très solide avec Alyss ; transportés dans un monde à part où les champignons poussaient comme des arbres et où une chenille obèse pouvait fumer la shisha, la fosse se transforma en sorte de grand tunnel qui débouchait sur une petite porte, avec, à côté, à l'instar d'une sonnette, une petite fiole et un panneau illustrant ces mots : « Drink me. »  Un monde où, de son allure de grande peluche, Mac Allyster les avaient conduit, au détour d'un arbre...

      Pour les autres, tel que le Sir, ils ne mirent pas de temps à déchanter.  D'un claquement de palme, Élizorabeth souleva son maître et de plusieurs bons, le Requin et sa femme se placèrent à l'autre bout de la cave.  Mac Alysster suivit sans mal leur mouvement du regard, bien que rapide, et son tabac rougeoyant fit étinceler les crocs de l'humandrill  « Rak-rak-rak, ricana, mauvais, de Belgerak.  Suis-je un menteur ?  Certes.  En tant que tel, je sais reconnaître les bunny-menteurs...  Chevaliers !  Reculez ! »

      Quel était donc cette hardiesse dans son avertissement ?  Il ne laissa pas le lecteur se questionner, il plongea sa main dans sa valise (qu'on ne lui avait pas confisquée, puisqu'inoffensive) et en sorti un liasse de papiers.  Rapide, il la feuilleta, avant d'en extirper une.  Avant un dernier rictus, il tourna lentement l'avis de mise à prix.  Mais comme on n'y voyait rien, il se permit d'expliquer : « Roger Wonder, dit le Lièvre.  Tête mise à prix pour une jolie somme de 3.000.000 de berry's.  Méfaits : destruction de rêves d'enfants et... »

      C'en était assez pour Santa, qui ne pouvait supporter plus vil comportement.  Aussitôt, il agrippa le bras de Wonder et l'attira à lui, dans un grand geste, pour le mettre à porter de son énorme poing, qu'il abattit dans une fougue chevaleresque.  Cependant, Roger en avait vu d'autre, et de ses grands pieds, parvint à sauter si haut, et dans un angle que ne pouvaient se permettre les bras de Santa, qu'il évita sans mal le coup.  Dans les airs, il culbuta, tout en soufflant la boucane de son cigare, pris appuis dans le dos du colosse et s'éjecta à nouveau.  Non pris de court, le Requin élança sa femme contre lui.

      Le lièvre traversa le groupe en un coup de vent, dans les cris de surprise et d'étonnement.  Élizorabeth parvint presque à le rattraper, mais le criminel glissa derrière Haylor et l'empoigna solidement, avant de menacer sa carotide de ses dents tranchantes.  Zora l'aurait bien arrêté, mais cela signifiait bousculer Haylor, ce qu'elle visualisa et stoppa de justesse, de son regard foudroyant.  L'humandrill s'arrêta à quelques pouces du visage de la femme, toisant son maître.  Malheureusement, le Requin ne put que lui ordonner de reculer.  Dans un grognement de mécontentement, elle s'exécuta.  Le singe avait été trop lent à agir face au lièvre.

      Elie fut la première à réagir : « Relâchez-la !
      — Docteur, voyons, ce n'est pas aussi simple.  Vous êtes beaucoup plus nombreux, je ne peux pas me permettre de laisser partir la seule personne qui me tient encore en vie.  J'ai failli y laisser mon pelage !
      — Rak-rak-rak, un pelage qui sera fort beau au pied de ma cheminée, rak-rak-rak...  Élizorabeth, très chère, procédez, procé....
      — SANTA CHOP !
      — ....dez... »

      Sir Arno s'effondra, après que Santa, pour la seconde fois, l'aille mis K.O. pour l'empêcher de commettre une erreur.  Zora, déconcertée, laissa un instant Roger Wonder et se retourna vers le barbu, se questionnant si elle devait à nouveau tenter de s'en prendre au colosse, sachant pertinemment qu'il était infiniment plus fort qu'elle...  Son temps d'hésitation permit au Lièvre de prendre son élan et de sauter très haut, se passant ainsi d'échelle pour sortir du trou.  Dans de nouveaux cris de surprise, l'Ordre vit Haylor s'envoler.  « Vous ! parvient-elle in extremis à communiquer.  Sachez que je ne me laisserez pas ainsi malmener par un espèce de criminel zoomorphique et que je [...] »

      Les derniers mots ne parvinrent pas aux oreilles de l'Ordre.  Mais ils ne purent tentent d'y penser, car déjà, un chahut, au-dessus, laissa entendre une voix : « Hep ! Boss, y'en a deux qui s'tirent !
      — TRUFFAUT !! Vous, moi, nous, on s'en occupe avant que Crachin nous étripe ! Toi, reste là.
      — Arh, boss. Sont calmes. M'en occupe. Bonne chasse, hehehe. »


      Dernière édition par Sir Arno le Sam 5 Avr 2014 - 22:27, édité 1 fois

        Demoiselle en détresse.

        Ça n'était pas vraiment le genre de rôle qui convenait le mieux à Evangeline Haylor. Pour autant, le lièvre l'avait bel et bien réduite à ça.

        L'horreur lagomorphe l'avait prise en otage pour calmer ses assaillants. Mais, maintenant qu'ils étaient hors de la fosse, il ne donnait pas l'impression de vouloir la libérer.

        Au cours de sa fuite, il avait alterné les progressions silencieuses et les escapades frénétiques. Roger Wonder cherchait à s'évader du bâtiment, mais sans déclencher l'alerte.

        Pour ne s'encombrer qu'au minimum, l'animal l'avait balancée par dessus l'une de ses épaules, en faisant preuve d'une force ahurissante pour la maintenir en place. Il ne donnait pas la moindre impression de difficulté dans tout ce qu'il faisait.

        À chacun de ses bonds, Haylor se sentait trimbalée dans une cacophonie sans nom. C'était comme chevaucher un manège à sensations fortes sans la moindre sécurité.

        Dans l'absolu, pourtant, Roger Wonder faisait relativement peu de bruit, et prenait ses précautions pour ne pas la perdre, à défaut de ne pas la secouer.

        Elle était terrifiée. Mais n'avait pas crié à un seul instant. Probablement parce que son malaise l'oppressait au point qu'elle avait du mal à respirer. De même, Haylor n'avait pas la moindre envie que le lièvre reporte son attention sur elle. Elle pouvait encore sentir les crocs, le souffle et l'odeur du rongeur géant qui avait manqué de l'égorger.

        Au bout de quelques minutes, le lièvre s'engouffra au travers d'une issue non surveillée. Loin de prendre ses aises, c'est avec en redoublant d'ardeur qu'il s'enfonça dans la forêt.

        Avec Haylor toujours sur son dos, malgré tout ce qu'elle avait pu espérer.

        Il avait d'autres projets la concernant.

        Ce n'est qu'après dix minutes de plus qu'il s'arrêta enfin. Ils étaient au beau milieu des bois, dans un espace confiné par des arbustes dépourvus de feuilles et des buissons ronceux. Le lièvre avait tout simplement emprunté un chemin de terre, avant de bifurquer dans la nature.

        Très rapidement, il la déposa, avec une délicatesse surprenante. Il la soutint même un instant, pour s'assurer qu'elle tienne bien droit. Mais dès qu'il la lâcha, Haylor s'enfonça dans des branches à hauteur de son visage, recula d'un coup, et trébucha en arrière.

        Elle se releva laborieusement, en faisant preuve d'autant de dignité que possible, sans prêter attention à la patte généreuse que lui tendait le lièvre pour la soutenir.

        -Diable, diable, diable..., commença le rongeur. Je ne m'attendais très certainement pas à cela. Je vous prie, Madame, de bien vouloir m'excuser. J'aimerai pouvoir vous assurer que tout cela est parfaitement indigne de moi... mais j'aurai eu, une fois encore, la malchance d'être proprement dépassé par les événements. Peut être, par hasard, pourriez vous ne pas m'en tenir rigueur? Rien ne me ferait plus plaisir... si, bien sûr, vous me le permettez.

        Haylor se sentit défaillir une seconde fois. Elle était une financière, de formation comptable, une commissaire. Originaire d'un Royaume où pas la moindre des idioties du monde n'avait jamais été autre chose qu'une affabulation.

        Et la voilà qui recevait des excuses de la part d'un lagomorphe hypertrophié, aux manières de gentilhomme. Ou qui faisait très bien semblant, à tout le moins.

        À ceci près qu'un véritable gentleman ne kidnappait pas de jeunes femmes. Encore moins en les transportant comme de vulgaires sacs à patates.

        Mais, allez savoir pourquoi, Haylor n'en était plus à ceci près. Il lui fallait déjà composer avec le reste.

        -Comment vous sentez vous?
        -Un instant, s'il vous plait. Laissez moi... le temps... de me reprendre.
        -Bien sûr, s'inclina le lièvre.

        Evangeline fronça les sourcils. Un homme lièvre? Non. Non non non non non non. Ça ne devait pas exister. Ça ne pouvait pas exister. C'était aussi ridicule que ces histoires d'homme poisson. Ça ne pouvait pas...

        Non. Une chose à la fois. La véritable question, c'était que...

        -Donc. Vous dîtes que... vous ne comptez pas me faire le moindre mal. C'est bien cela?
        -Diable, diable... quelle mauvaise image j'ai du donner de moi, pour que vous ayez ces inquiétudes, se lamenta Roger Wonder.
        -Répondez, lui ordonna Haylor.
        -Pas le moindre mal, pas le moindre, bien évidemment!, affirma Wonder.
        -Je vois.

        Son ton était sec, et sans appel. S'il disait vrai, alors elle pouvait prendre tout son temps pour réfléchir. Trop difficile, compte tenu de tout ce qui lui arrivait en même temps. Elle avait l'impression de fonctionner au ralenti.

        À un moment, elle manqua de paniquer, et de se mettre à hurler toutes les questions qui se bousculaient dans sa tête. Mais pas cette fois.

        Sans surprise, elle s'emmura dans un long silence confus.

        -Eh bien, miss Haylor..., essaya finalement le lièvre.
        -Mademoiselle Haylor, rectifia la jeune femme.
        -Fort bien. Si vous n'avez pas de questions à poser, moi, je brûle d'obtenir des réponses.
        -..?
        -Que vous pouvez très certainement m'apporter. Puis-je?
        -...
        -Mmh. Il s'agit de cet homme. Ces deux hommes. Qui sont-ils, et que venez vous faire sur cette île? Je brûle d'envie de le savoir. Je ne m'attendais pas à rencontrer des personnes de ce type sur Panpeeter.
        -...
        -Mademoiselle Haylor?
        -...
        -Mmh...
        -Je ne vois pas de qui vous parlez. Mon groupe comportait quatre hommes.
        -Ah!, s'exclama le lièvre. Bien sûr. Je vous parle de l'homme à la puissante stature, paré de rouge et de blanc, qui m'a assailli à la hâte. Ainsi que du gentleman de taille modeste, et à l'embonpoint prononcé, qui a démasqué mon imposture.
        -Monsieur Klaus et... Monsieur de Belgerak, comprit Haylor.
        -De Belgerak! Je ne m'étais donc pas trompé. Un homme de la noblesse, comme l'indiquaient les traits prononcés de son visage. Intéressant. Feriez-vous, par hasard partie de sa suite? Les pirates l'auraient enlevé pour demander une rançon?
        -Je ne... ne... bien sûr que... une idiotie... non et non.
        -Oh. Soit. Ferais-je fausse route? Mais dans ce cas...

        Haylor sentit sa migraine ressurgir. Un homme lièvre. Qui lui parlait de De Belgerak. Qui lui même...

        Oui...

        Était un homme poisson. De la noblesse d'homme poisson. Grotesque.

        Et dont la compagne était une femme-singe. Qui avait globalement les mêmes goûts vestimentaires qu'elle même, pour couronner le tout. Absurde. Et insultant.

        Et il y avait les pirates. Elle était perdue sur une île, plongée sous le joug de meurtriers, qui exterminaient les villes les unes après les autres. Une véritable horreur.

        Haylor était en proie à un profond chagrin. Elle devenait folle en plus d'être dans une situation désespérée. Si elle en réchappait, il faudrait l'interner.

        Si elle en réchap...

        -Mademoiselle Haylor?
        -...
        -Et donc, que vient faire Monsieur de Belgerak sur cette île?
        -...
        -Plaît-il?
        -...
        -Mademoiselle. Vous allez bien?
        -Je n'en sais strictement rien, aboya-t-elle, en colère. Si je vais bien? Vous vous fichez de moi? Le groupe avec lequel j'étais? Je ne connais pas la majorité de ces personnes. Je sais simplement qu'il y avait un homme-requin obèse et puant, qu'il ne se gênait pas pour fumer sous notre nez, devant celui d'une enfant, et que ça n'a de toute manière absolument aucune d'importance puisqu'il ne devrait pas exister. Je sais aussi qu'il peut parler aussi bien que moi, et surtout aussi bien que vous, car évidemment, vous êtes un homme-lapin, et que bien sûr, cela court les rues. Surtout, ne me lancez pas sur le singe, s'il vous plait. Entre sa robe, j'ai pratiquement la même chez moi, cousue main, et le fait qu'elle soit mariée à un poisson, je ne m'arrêterai probablement jamais. La seule chose rassurante à son sujet, c'est qu'elle ne sache pas parler, elle. Contrairement à l'homme-sardine et au lapin géant. Ce qui s'avère parfaitement logique, oui. Mais quoi d'autre, maintenant? Vous pourriez faire sortir des colombes de votre chapeau, tant qu'à faire? Il suffit que des pirates arrangent un génocide pour que tout perde son sens? Dans ce cas, j'aimerai voir la suite. Des anges vont descendre du ciel pour nous prêter main forte, quitte à rééquilibrer la partie? À moins que ça ne soit des hommes-taupes? Des extraterrestres et des lutins? Est ce que j'ai l'air d'être dans une situation où vous pouvez décemment me demander si je vais bien? Je ne sais même pas ce que je fabrique sur cette île! Je me suis réveillée là, dans une auberge, sans avoir la moindre idée de pourquoi j'y suis arrivée. Je n'ai jamais rien eu à faire sur cette île, merci. Et quelques heures plus tard, j'apprends que des pirates sont en position d'exterminer tout le monde pour demander une rançon, que tous les ports sont surveillés, et ensuite... et ensuite... hhhhhh...

        Très certainement, elle devenait folle, pensa-t-elle en serrant les dents. Mais ça lui faisait du bien.

        Cette fois, c'était au lièvre de ne pas savoir quoi faire. Et encore moins quoi dire.

        En reprenant du poil de la bête, Haylor avait dégagé assez d'ondes négatives pour que Wonder ne cherche pas à la presser. Elle reprit d'elle même, plus calmement.

        -A propos de Santa Klaus. Je sais simplement qu'il est à la tête d'une organisation qui se nomme les Chevaliers de Nowel. Que les personnes qui l'accompagnent sont, au moins pour la plupart, de nouvelles recrues. Que certaines de ces recrues ont fait un long chemin pour le rejoindre. Et que monsieur Klaus s'est donné pour but de chasser les pirates de l'île. Aussi absurde que cela puisse paraître. Il avait pourtant l'air très sûr de lui.
        -Mmh.

        Il ne répondit pas plus que ça. Roger Wonder ne savait plus vraiment comment engager Evangeline Haylor. Il avait l'impression de faire face à une sorcière qui pourrait le foudroyer sur place. À une institutrice sévère susceptible de lui infliger les pires punitions s’il respirait trop fort. À une figure maternelle stricte et autoritaire, capable de le priver de sucreries au premier écart. Et à une folle hystérique qu’il ne fallait surtout pas exciter.

        Tout ça à la fois, en fait.

        -Et vous. Qui êtes vous ?, demanda-t-elle finalement. Qu’êtes-vous ? Et que faîtes vous ici ?

        A cela, le lièvre se contenta de lui adresser un large sourire. Elle lui simplifiait grandement la conversation.

        -Mes excuses ; je n’ai pas eu l’occasion de me présenter convenablement, déclara le gentleman en s’inclinant. Roger Wonder, dit l’Horloger. Egalement connu sous le pseudonyme de Mac Alysster lorsqu’il s’agit de ne pas attirer l’attention. Mais vous pouvez m’appeler Alyss, bien sûr.
        -…
        -Je vous en prie, n'hésitez pas.
        -Monsieur Wonder. Continuez.
        -Haha… bien. En ce qui concerne ma condition de gentle-bunny, il s’agit d’un sujet sur lequel je préférerais garder le silence. Tout ce qui traite de ma venue sur cette île… je vous avouerais que la présence des pirates n’y est pas étrangère. Mais il serait mal avisé de ma part de vous en dire davantage. Que dire d’autre… par rapport à ce que monsieur de Belgerak vous aura dit à mon sujet. J’estime que ma mise à prix n’est due qu’à un effroyable concours de circonstances, et que les choses n’auraient jamais du se passer ainsi. Mais tout le monde ne sera malheureusement pas de cet avis. Dans tous les cas, je suis sûr que, si les circonstances avaient été différentes, vous auriez été ravie de faire ma connaissance. A nouveau, pardonnez-moi pour l'incident de tout à l'heure, mais j'étais pieds et poings liés par vos compagnons.

        Sur ces paroles, le grand lapin blanc s’inclina à nouveau face à la jeune femme, dans un geste de galanterie digne d’un grand salon.

        A ceci près qu’ils étaient perdus dans le noir, au beau milieu de nulle part.

        -Vous ne voulez donc rien me dire, c'est bien cela?
        -Aussi peu que possible, en effet. Je mets un point d'honneur à assurer la sécurité de mes données personnelles. De nos jours, nous ne sommes jamais assez prudents. Vous n'avez pas idée de ce que les gens peuvent apprendre sur vous juste en connaissant votre nom. Il leur suffit d'avoir une bonne connexion dans un réseau tavernet, de laisser traîner leurs oreilles, ou de poser les bonnes questions aux bonnes personnes, et il y aura bien souvent quelqu’un pour faire preuve d’indiscrétion à votre égard. Non, non, je préfère maîtriser mes informations, et ne peux que vous exhorter à en faire de même si, par hasard, vos périples viendraient à attirer l’attention. Tenez, rien que la semaine dernière, j’ai appris par ce biais que l’un de mes vieux amis avait… non. Peut-être mieux vaut ne pas trop en dire.

        Haylor sentit ses maux de tête resurgir à nouveau… et préféra complètement changer de sujet.

        -Soit. Et maintenant, qu’allez vous faire ?, questionna la miss.
        -Mmh hum hum. J’ai mes projets, voyez-vous. Et je pense bien que, compte tenu de ce que vous m’avez dit… je vous parle bien sûr de l’arrivée des Chevaliers de Nowel sur l’île, ainsi que de ce très perspicace Sir Arno de Belgerak qui m’a si vite percé à jour… je n’aurai pas le luxe de prendre mon temps comme j’escomptais jusqu’alors le faire. Qu’importe. Si le poisson ne vient pas jusqu’au barrage, il ne reste qu’à remonter la rivière ! J’espère simplement que rien n’aura à se faire dans la précipitation. Mais, si vous dîtes que ce Monsieur Klaus était anormalement sûr de lui, c’est qu’il doit savoir quelque chose ! Et avoir ses raisons. Croyez-en ma longue expérience de la nature humaine, c’est un homme qui sait ce qu’il fait, assurément.

        Ou qui n’était qu’un vieux fou à la sénilité précoce. Ca n’était qu’une question de point de vue, songea Evangeline. Le lièvre lui-même avait l’air d’un excentrique particulièrement prononcé.

        -Mais…
        -Attendez !

        La jeune femme l’interrompit brusquement : un bruissement dans les fourrés, derrière elle, l’alarma brutalement.

        Surprise, Haylor fit volte face. Toutefois, dans le voile nocturne de la forêt, elle ne voyait pratiquement rien. Elle eut beau attendre, le bruit ne se répéta pas. Ce qui la rassurait encore moins. Et la ramena à des préoccupations bien plus pragmatiques.

        -Vous n'allez pas m'abandonner ici, n'est ce pas?
        -Ça n'était qu'un chevreuil. Vous ne risquez rien, s'amusa le lièvre en gloussant brièvement.
        -Vous ne pouvez pas me laisser seule au milieu de nulle part, articula dangereusement la jeune femme.
        -Je… eh bien, ma foi… vous seriez probablement plus en sécurité ici, cachée dans ce bosquet, que dans une ville occupée par des pirates qui… risqueraient de… vous… diable, ne me regardez pas comme ça, s’il vous plait, je me sens… tellement… chose.

        Haylor venait de lui adresser son plus noir regard : celui-là même qui faisait pleurer les enfants, terrifiait ses collègues, et lui permettait d’obtenir ses documents comptables en temps et en heure, afin de boucler tranquillement ses clôtures annuelles.

        Face à cela, Roger Wonder ne pouvait réagir que d’une seule manière. Ses penchants de gentilhomme se félicitèrent d’ailleurs de cette décision.

        -Très bien, Mademoiselle. Je ne sais pas jusqu’où nos routes nous mèneront, ni combien de temps cette collaboration durera, mais… je serais votre escorte, foi d’Horloger !
        -A merveille, se satisfit Haylor. Vous m’en voyez ravie.



        Spoiler:
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        « - Ho ! Ho ! Ho !
        - Le lapin vient de s'enfuir avec la copine de Sigurd.
        - C'est pas ma copine !
        - Ah ? Vous êtes plus qu'amis ? demanda Yoshimitsu.
        - C'est quoi, plus qu'amis? rajouta Kahlia.
        - On t'expliquera quand tu seras plus grande, intervint Luan avec un regard peu amène vers son collègue.
        - Rakrakrak, je vous ferais remarquer que notre situation n'offre pas matière à se réjouir. Un dangereux criminel vient d'enlever Haylor, alors que nous sommes toujours coincés ici.
        - Il faut qu'on trouve un moyen d'aller l'aider, et pour ça, on doit sortir d'ici, observa Elie. »

        Les Chevaliers de l'Ordre de Nowel se creusèrent un peu les méninges pour trouver une échappatoire. L'idée de creuser vers le haut fut lancée en l'air, mais l'absence de drill pour percer les cieux la fit retomber aussi sec comme un soufflé au fromage.
        « - On peut faire une pyramide humaine, proposa Sigurd. Quand j'étais encore dans la milice, on avait pensé concourir pour les championnats d'acrosports nationaux.
        - Et comment ç'avait fini ? Demanda Elie.
        - On avait abandonné, on n'arrivait pas à s'entrainer sur le pont du navire, à cause du roulis.
        - Ah mince, moi j'avais passé cette épreuve pour l'abitour et...
        - L'abitour?
        - Le diplôme national de mon île natale.
        - Ho ! Ho ! Ho ! Va pour une pyramide alors ! »

        L'ordre ne posa pas trop débat, les plus lourds et fort en bas, les autres dans l'ordre décroissant au fur et à mesure que la pyramide montait. Sire Arno refusa de participer, mettant en avant ses membres courts et son physique peu utile pour une pyramide.
        Santa, tout en bas, tenait Elizorabeth. Ensuite venait Yoshimitsu et Sigurd, puis Elie, et enfin Kahlia. Alors que cette dernière commençait à grimper l'édifice branlant, celui-ci commença à s'effondrer par le milieu. Luan, restée en bas, rattrapa la fillette pour lui éviter de se faire mal, et la comédienne parvint elle à tomber sur ses pieds, bien que sonnée. Sigurd, lui, empêtré par le fait qu'il tenait initialement Elie tout en étant tenu par Yoshimitsu, se rattrapa violemment sur l'épaule avec un humpff étouffé.
        Les trois maillons les plus bas de la pyramide tombèrent eux sans encombre, le médecin sur ses pieds, l'humandrill sur ses quatre membres. Santa, lui, n'avait rien à tomber de toute façon. Après quelques minutes à vérifier les bobos sous l'égide des deux docteurs et à reprendre leur souffle, les Chevaliers de Nowel se regardèrent avec dépit.

        « - Ne nous laissons pas décourager par cet échec ! L'Esprit de Nowel nous aidera à accomplir notre destinée !
        - S'il pouvait nous aider maintenant, grommela Sigurd en se frottant l'épaule.
        - Les pauvres habitants de Panpeeter ont besoin de nous, renchérit Luan. »
        Après quelques minutes de creusage de méninges, Elie suggéra :
        « - Monsieur Klaus ?
        - Appelle-moi donc Santa.
        - Santa, vous pourriez lancer quelqu'un jusqu'à l'ouverture ?
        - Mmmmh.
        - Comme elle n'est pas fermée, il suffirait de sortir, ramener l'échelle et la descendre dans la cave.
        - Et les gardes ? Objecta Yoshimitsu.
        - Il faudrait soit quelqu'un de discret ou quelqu'un pouvant mettre K.O. les gardes pour descendre l'échelle ensuite. Kahlia serait sûrement discrète.
        - Au-delà de l'aspect discrétion, vous vous souvenez de la taille de l'échelle ? Coupa Luan.
        - Rakrakrak, c'est vrai que je vois mal une fillette maigrelette trimballer un objet pareil.
        - Si, j'suis sûre que j'peux le faire !
        - Cela m'étonnerait fort, rétorqua gentiment Yoshimitsu.
        - Eh bien dans ce cas, on n'a qu'à envoyer Yoshimitsu, affirma Luan.
        - Hélas, j'ai peur de ne pas pouvoir faire preuve de la discrétion nécessaire, et mon pauvre état de médecin ne me permettrait pas de vaincre les gardes. Quoique, avec un baiser pour me donner de la force et du courage, peut-être qu...
        - Rejeté.
        - Ho ! Ho ! Ho ! De toute façon, je ne suis pas sûr de pouvoir lancer Yoshimitsu là-haut.
        - Je vois, reprit Elie, il nous faudrait donc quelqu'un qui soit relativement léger, tout en étant un habitué des combats capable de défaire de vils pirates puis de nous descendre l'échelle.
        - Oui, renchérit Luan, un militaire de profession, formé et trempé par son dur métier.
        - Un homme qui ne s'en laisse pas compter, prêt à tout pour défendre la veuve et l'orphelin.
        - Un bisou pourrait faire de moi un tel homme.
        - J'ai dit non, Yoshimitsu.
        - Enfin bref, revenons à nos moutons. Je ne vois qu'un seul candidat possible, dit Elie.
        - Tout à fait, reprirent les autres en hochant la tête.
        - Hein, quoi ? Demanda Sigurd en voyant tous les regards peser sur lui. Ah non, c'est hors de ques... »

        Une poignée de minutes plus tard, il se tenait à une extrêmité de la cave. Santa, accroupi au centre, avait les mains jointes. Un sourire encourageant, quelques cris d'encouragement. Devant le manque d'entrain de Sigurd à s'élancer, Yoshimitsu lui donna une bourrade dans le dos pour le faire démarrer une gentille poussée pour l'aider à se lancer. Après un début visiblement de mauvaise grâce, il se décida à y aller à fond, probablement parce qu'en faisant les choses à moitié, il risquait d'être perdant sur tous les plans.
        Au bout de sa course, Sigurd posa le pied dans les mains jointes de Santa, qui en se relevant le projeta de toutes ses forces vers le plafond (''Santa Spring !''). L'ex-milicien lui-même avait sauté de toutes ses forces, et se sentit s'envoler à une vitesse hallucinante. Il gardait la tête levée, les yeux fixés sur la petite ouverture en l'air.

        Tous les Chevaliers de Nowel voyaient la victoire et la réussite à portée de vol. De l'endroit où ils se trouvaient, le sol, la perspective les donnait clairement gagnant. Certains commençaient même à réfléchir au déroulement des opérations suite à leur échappée.
        Evidemment, du point de vue de Sigurd, les choses n'étaient pas les mêmes. Au début de son saut nowellement-propulsé, le poing droit brandi vers les cieux, ou en tout cas la sortie, le poing gauche serré à la taille, il se prit à penser à du spandex, une cape et un slip rouge par-dessus. Toutefois, rapidement, il se rendit compte qu'il y avait un léger souci.

        Avec sa trajectoire.

        Alors il tendit ses deux mains devant lui, et s'écrasa contre le mur à moins d'un mètre de l'ouverture.  Santa se précipita pour le rattraper, et le posa délicatement au sol auprès de Yuan, qui s'était rapprochée pour ausculter la bombe humaine.
        « - C'est bon, il n'a rien de grave, juste quelques hématomes. Il n'a même pas de foulure aux poignets, alors qu'ils ont amorti le choc.
        - Ho ! Ho ! Ho ! Tant mieux.
        - On abandonne le plan ?
        - Non ! S'exclama Elie. C'est juste que la précision n'est pas le point fort de la stratégie de la propulsion.
        - Moi, je refais pas ça, hein, débrouillez-vous comme vous voulez, mais je refais pas ça, dit Sigurd.
        - Il faudrait trouver un autre moyen ou un autre volontaire...
        - Je refais pas ça... Je refais pas ça...
        - Il souffre peut-être de stress post-traumatique, admit Luan.
        - Je peux le faire si on me lance, intervint Kahlia.
        - Voyons, c'est trop dangereux pour une petite fille, la gourmanda Yoshimitsu.
        - On peut essayer avec Sire Arno ou Elizorabeth.
        - Rakrakrak, Elizorabeth reste avec moi. Et le contrat que monsieur Klaus a signé signale bien qu'il doit tout mettre en œuvre pour me protéger de quelque risque que ce soit pouvant mettre mon intégrité physique ou mentale en danger. On parle ici bien d'obligation de résultat et non de moyen, évidemment.
        - Bon, donc j'y vais, s'impatienta Kahlia.
        - C'est notre seul plan pour le moment, maintint Elie, qui tenait décidément mordicus à sa stratégie. A défaut d'en avoir un autre, faisons cela.
        - Ho ! Ho ! Ho ! Si c'est lancer une petite fille, je dois pouvoir le faire sans élan. Ma précision devrait alors grandement augmenter, assura Santa. »

        Il fut donc décidé de procéder ainsi. Cette fois, l'Envoyé de l'Esprit de Nowel prit son temps pour viser, puis après avoir pris une grande inspiration et deux pas d'élan, projeta Kahlia de toutes ses forces vers l'ouverture. Conformément aux prévisions émises auparavant, le lancer fut suffisamment précis pour permettre à la fillette de s'accrocher au rebord et se hisser dehors.
        Heureusement, il n'y avait plus qu'un seul garde, une poignée d'autres étant partis à la recherche des deux fugitifs qui s'étaient déjà enfuis, et ce garde manquait singulièrement de motivation pour son métier. Kahlia parvint donc à tirer discrètement la longue échelle jusqu'à la fosse et à l'y faire tomber. Le bruit attira le garde, évidemment, mais c'était déjà trop tard. Un coup de poing plus tard, tous les Chevaliers de Nowel étaient en dehors de la prison.

        « - Et maintenant, on fait quoi ? Demanda Yoshimitsu.
        - Ho ! Ho ! Ho ! Nous devons rejoindre la ville.
        - Allons-y alors, il y a sûrement des gens qui ont besoin de soins.
        - Rakrakrak, nous ne pouvons pas y aller comme ça, nous allons nous faire arrêter comme à la sortie de la crique.
        - Il n'a pas totalement tort, ajouta Elie.
        - Rakrakrak, envoyons un éclaireur. Il nous faudrait  un habitué des combats capable de défaire de vils pirates, un militaire de profession, formé et trempé par son dur métier, un homme qui ne s'en laisse pas compter, prêt à tout pour défendre la veuve et l'orphelin.
        - J'ai déjà entendu ça quelque part... murmura Yoshimitsu.
        - Non ! Je le refais pas !
        - Rakrakrakrakrak !
        - Affreuse petite sardine d'homme-poisson ! Érupta Sigurd, avant d'être interrompu par le brusque mouvement d'Elizorabeth. Qui se vit elle aussi stoppée par un grand sourire surplombant une grande barbe.
        - Allons, allons, ne vous battez pas entre vous.
        - Enfin bref, le mieux serait que nous bougions ensemble, commença Elie. L'idéal serait des déguisements de pirates, afin de nous mêler à eux tout en pouvant nous déplacer librement.
        - En parlant de ça, pendant que vous discutiez, Kahlia est allée explorer la cabane là-bas.
        - C'était un genre de dortoir, continua la fillette. Il y avait aussi plein de vêtements sur des cordes à linge de l'autre côté.
        - Très bien, plus qu'à nous déguiser alors. »

        Après que les hommes et les femmes se soient séparés pour se changer en pirates, ils se regroupèrent à nouveau, prêts à se mettre en route.
        « - Par contre, la blouse blanche, par-dessus la veste de pirate, c'est pas très...
        - J'ai besoin de la blouse pour mon matériel et montrer ma fonction de médecin.
        - Non, mais justement, la blouse, ça fait pas très pirate et...
        - J'ai besoin de ma blouse.
        - On peut mettre la blouse dans un sac ?
        - Les gens ne vont pas savoir que je suis médecin et ne sauront pas vers qui se tourner en cas de problème de santé.
        - Oui, mais on doit être déguisés, justement, et... »


        Dernière édition par Santa Klaus le Lun 21 Juil 2014 - 23:27, édité 2 fois
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        Yoshimitsu poussa la lourde double-porte et descendit lentement le petit escalier de colimaçon. La tempête faisait rage au-dehors, emplissant l'atmosphère du staccato de la pluie déferlante sur les carreaux. En contrebas, une solide cheminée de pierre abritait un feu ronflant, qui éclairait la pièce d'une lumière chaleureuse.
        Le médecin s'avança, jetant à peine un coup d’œil aux différents feuillets punaisés sur le tableau de liège du mur : rien de nouveau de ce côté-là. Les profils psychologiques de Crachin et Capslock, incomplets mais suffisamment détaillés pour le moment. On pouvait s'étonner que Yoshimitsu accorde le moindre crédit à ces choses, établies uniquement à partir des rumeurs et des on-dits qu'il avait pu recueillir dans les tavernes. Mais c'était justement là tout l'intérêt : ces infos, toutes fausses par essence, dressaient des lignes directrices qui s'avérait tout à fait satisfaisante lorsqu'on les traitait à la lumière de la psyché humaine. Un domaine dans lequel excellait le médecin.
        Parmi ces feuillets figurait aussi la carte de Panpeeter. Le papier était jauni par le temps : cela faisait tout de même près d'une dizaine d'année qu'il n'avait pas remis les pieds sur l'île. Mais là aussi, il avait pris soin de mettre à jour les données à partir de tout les renseignements qu'il avait extorqué en ville. De fait, la carte était griffonné de nombreuses annotations récentes, écrites d'un trait fin et élégant.
        S'en suivait plusieurs rapports d'estimation des forces en présence, de leurs valeurs et de leurs localisations approximatives. De la marine, des pirates et même des civils. Yoshimitsu était le genre d'homme qui appréciait de savoir dans quoi il mettait les pieds.

        Le médecin arriva enfin devant l'imposant bureau de chêne et détailla de nouveau ses notes. L'arrivée des chevaliers de Nowel l'avait surpris. Il se serait plutôt attendu à une escouade de commandos de la marine. Ce qui ne saurait traîner, d'ailleurs : d'après lui, la marine n'allait pas tarder à passer à l'action. Mais discrètement et officieusement, afin de pouvoir se dédouaner auprès de Crachin de toute intervention en cas de pépin. La Marine savait la jouer un peu finaud quand autant de civils étaient en danger.
        La question était donc : valait-il mieux attendre ce commando et tenter une jonction du groupe de Klaus avec eux ?

        Yoshimitsu esquissa soudainement un sourire. Les grands pontes lénifiants de la stratégie vous juraient que même les plans les plus simples ne survivaient jamais bien longtemps au contact de la  réalité. Alors les plus élaborés, vous pensez bien...
        Des idiots, tous autant qu'ils sont : la seule chose qui importe, c'est que les lignes de force des événements convergent là où on le souhaite. Les pions, les méthodes, les ennemis et les alliés, tout cela importait peu, remplaçables, échangeables, interchangeables même. Tout ce qui importait, c'était d'influer le cours des événements aux points clefs, tout simplement.
        Yoshimitsu attrapa sa plume et jeta quelques notes correctives pour modifier son plan. Le commando de Klaus ferait finalement encore mieux l'affaire qu'un quelconque détachement de marines.
        Il suffirait juste d'un petit coup de pouce.

        Un nouvel éclair zébra le ciel, éclairant le sourire machiavélique du médecin.

        *
        * *

        « Tu penses à quoi ? »

        Yoshimitsu cligna des yeux et revint à la réalité, croisant le regard de Luan.

        « À rien, mentit le médecin.
        _ Tu pourrais te préoccuper un petit peu de notre situation ? Lui demanda la jeune femme. Ils refusent de comprendre que je ne peux pas me séparer de ma blouse. C'est mon outil de travail !
        _ N'aie crainte, ton prince charmant arrive à la rescousse ! Les pirates aussi ont des médecins, vous savez ? Signala Yoshimitsu.
        _ On essaye d'être discret, fit remarquer Sigurd, pince-sans-rire. Une blouse blanche, ça reste forcément dans les mémoire. Les gardes vont faire le lien avec nous dès qu'ils nous verront.
        _ Parce que l'homme-requin, l'humadrille ou le géant barbu, ça ne va rien leur évoquer, peut-être ? » Rétorqua gentiment Luan en désignant d'un geste le reste de l'équipe.

        L'ex-officier du Royaume d'XXXX jeta un coup d’œil à l'équipe hétéroclite et force lui fût d'admettre qu'en définitive, la blouse blanche de la médecin n'était pas le seul écueil de taille à leur tentative de dissimulation. Car en dépit des vêtements usagés par le temps et les intempéries et rapiécés au petit bonheur la chance,  propre au standard vestimentaire de la lie des océans, il fallait bien admettre qu'Elizorabeth ne réussissait toujours pas à se fondre dans le décor. Pas plus que son psychopathe de mari. Quant au joyeux Santa, il restait toujours un colosse gigantesque dôté d'une emblématique barbe immaculée capable de faire office d'immanquable panache de ralliement en toute situation.

        «  Heu... Ok. Ça, j'y avais pas du tout pensé...
        _ Ho ho ho, il serait tout à fait inconvenable que je me rase la barbe ! Tonna Santa. Je comprends, Luan : ta blouse est primordiale et moi vivant, je te promets que jamais personne ne te forcera à l'enlever.
        _ Mais allez-y, encouragez-là, je vous en prie, railla Elie.
        _ Bonne idée ! Vas-y Luan, l'esprit de Nowel est avec toi ! Scanda le vieil homme.
        _ Hé ben on est pas sortis avec de tels huluberlus...
        _ Du coup, on s'est déguisé pour des prunes ? S'enquit la petite Khalia. Dommage, j'aimais bien, moi.
        _ Ben la moitié du groupe est de toute façon reconnaissables, maugréa un Sigurd dépité.
        _ On peut au moins garder les déguisements tant qu'on a pas fait croire à quelqu'un qu'on est de vrais pirates ? Plaida la fillette. Alllez ! J'ai toujours rêvé de savoir ce que ça fait d'être une pirate cinq minutes !
        _ De toute façon, nous nous alarmons pour rien, signala Luan. Les seuls personnes qui vont nous percer à jours, ce sont nos ex-ravisseurs. Tant qu'on les évite, tout ira bien, non ?
        _ Mais ils cherchent aussi miss Haylor, intervint Santa. Il y a de bonnes chances qu'on se rencontrent tôt ou tard.
        _ Rak-rak-rak-rak-rak ! Ils sont dispersés, nous n'en ferons qu'une bouchée, assura Sir Arno. N'est-ce pas, ma mie ?
        _ Ook-ook, assura Zora d'une cabriole.
        _ Alors je vous le dis tout net : ne comptez pas sur moi si on doit se battre, fit Elie. Je suis une frêle et jeune demoiselle vulnérable, ne l'oubliez pas. Tout le monde n'a pas une baguette magique qui jette des éclairs sous la main...
        _ Moi de même, appuya Luan.
        _ Moi, j'ai ma dague ! S'exclama joyeusement Khalia en tirant son arme.
        _ N'y songe même pas, tu resteras avec nous, rétorqua Luan. Et range ça, tu vas finir par te couper.
        _ Maieuuuh !
        _ Mmmmh ! Réfléchît Santa. Vous avez raison, ce ne serait pas bien de vous faire courir des risques inconsidérés. Il nous faut un stratégie. Nous allons faire deux groupes. Les personnes vulnérables seront dans le premier groupe et iront se mettre en sécurité. Les autres, nous irons chercher miss Haylor dans cette forêt pleine de méchants pirates. Arno...
        _ Sir Arno, voulez-vous ! Est-ce que je vous appelle 'Ta, moi ?
        _ Elizorabeth, Sigurd et Yoshimitsu, avec moi, nous allons retrouver miss Haylor. Les autres...
        _ Négatif, je ne suis pas un foudre de guerre, je préfère donc rester en retrait, signala Yoshimitsu en joignant le geste à la parole.
        _ Rak-rak-rak-rak, poule mouillée, va !
        _ Tout le monde ne dispose pas d'une barde d'écaille, cher ami.
        _ Mais si miss Haylor est blessée... commença Santa.
        _ Vous ne la connaissez pas : c'est probablement elle qui est en train de blesser son ravisseur avec son regard « sens-toi tout petit, ridicule et inutile, maraud ! »...
        _ Je pense qu'Evangeline ne craint rien, affirma Luan. Son ravisseur ne nous voulait pas de mal et la situation a dégénéré sur un simple malentendu.
        _ Heu... Vous êtes sûre de ça ? Demanda Elie.
        _ Réfléchissez : il pouvait partir quand il le voulait donc il restait ici de son propre gré, suivant son propre plan. Que nous avons chamboulé.
        _ D'accord, on a fichu le bronx dans ses petites affaires... Mais ça ne veut pas dire qu'Haylor ne craint rien, répondit Sigurd.
        _ S'il lui voulait du mal, il ne se serait pas encombré d'elle pendant sa fuite : il l'aurait laissé tomber en  chemin ou l'aurait lancé dans les pattes de ses poursuivants, expliqua la médecin. Ce qu'il n'a pas fait même en étant paniqué. Alors je doute très sincèrement qu'il lui fasse du mal de sang-froid.
        _ Parce que vous êtes psy, en plus ? S'étonna Elie.
        _ Non, ça, c'est moi, intervint Yoshimitsu. Mais là, c'est élémentaire. En tout cas, je valide le raisonnement. Le plus dangereux pour eux deux, ce sont leurs poursuivants pirates. Pour le moment, le lapin ne devrait pas avoir de problèmes à leur échapper, mais s'ils appellent des renforts... Ce qu'il vous faudrait c'est une diversion.
        _ ça tombe bien, on est deux équipes ! S'enhardit Khalia en dégainant à nouveau sa dague.
        _ Range ça, tu veux... Non, non et non, fit Elie. Nous, nous allons nous mettre en sécurité. Il n'est pas question que j'aille me perdre dans la nuit au beau milieu de nul part pour votre... diversion.
        _ Hé, excellent ! S'exclama Luan. C'est une idée géniale, Elie.
        _ N'est-ce pas, opina la comédienne.
        _ On va aller faire diversion dans un lieu civilisé, où nous serons en sécurité et où on nous accueillera pour la nuit ! Affirma la médecin.
        _ Heu... Pardon ? S'inquiéta Elie. Je viens de dire que je ne voulais pas faire diversion !
        _ N'est-ce pas évident ? Nous sommes déguisés en pirates... reprit Luan.
        _ C'est moi qui suit lent d'esprit ou ce qu'elle dit n'a aucun sens ? Demanda Sigurd à la cantonade.
        _ Rak-rak-rak-rak, tu tiens vraiment à le savoir?
        _ Nous allons nous faire inviter chez ce capitaine Crachin, tout simplement ! Expliqua triomphalement la médecin.
        _ Nan mais t'es pas folle !? Objecta très diplomatiquement Khalia. On va se jeter droit dans la gueule du loup.
        _ Oui, mais comme nous serons des pirates, nous n'aurions rien à craindre, approuva Elie. Et si on peut approcher ce Crachin, on pourra peut-être... en profiter pour régler cette situation de façon plus subtile qu'à grands coups de beignes dans tout ce qui bouge.
        _ Ho ho ho ! Les beignes sont ce qui se fait de mieux pour remettre les méchants dans le droit chemin.
        _ Exact, approuva joyeusement Luan. On pourra lui parler et je suis certaine qu'on arrivera à le raisonner.
        _ Je pensais plutôt semer la zizanie dans son état-major mais bon... On pourra toujours aviser une fois sur place, fit Elie en haussant les épaules.
        _ Heu... Et le rapport avec la diversion, dans tout ça ? S'enquit Khalia en tripotant la poignée de sa dague.
        _ Hé bien, comme nous ignorons où se trouve Crachin, nous allons demander à la première patrouille qui passe de nous y conduire, explicita Yoshimitsu. Bien sûr, puisque notre chef n'est pas quelqu'un de communs, nous demanderons une escorte à la hauteur de son rang. Et comme nous arrivons à l'improviste, cela devrait jeter la confusion dans les environs, ce qui vous laissera les coudées franches.
        _ Et qui sera ce fameux chef ? Demanda Elie.
        _ Le rôle de votre vie, assura le médecin.
        _ Ooooh... Alors ça, ça me plaît.
        _ Une pirate de haut-rang dont personne n'a jamais entendu parler et qui débarque à l'improviste ? Mais qui va croire une ineptie pareil, soupira Sigurd.
        _ C'est justement parce qu'elle est douée que personne n'en a jamais entendu parler, signala Yoshimitsu. Et que Crachin a besoin de son aide. Et puis, c'est lui qui nous aura appelé, alors ça ira pour passer tous ses sous-fifres. Ça craint rien, c'est le Plan.
        _ Hein ? Mais comment on va leur faire gober ça ? S'exclama Khalia.
        _ Grâce aux talents d'Elie... Et un superbe document officiel faisant office de sauf-conduit, dûment parapher par Crachin en personne, répondit le médecin.
        _ Génial... Et on trouve ça où ? Fit Sigurd.
        _ Un sauf-conduit, ce n'est jamais qu'un genre de contrat particulier, n'est-ce pas, mon bon ami Arno ?
        _ Rak-rak-rak-rak, c'est d'ores-et-déjà en cours de rédaction, Yoshimitsu.
        _ Un beau truc classe qui en jette, hein... Juste au cas où on croise des analphabètes.
        _ Allons, allons... Ce n'est pas à un vieux requin qu'on apprend à faire des grimaces, très cher.
        _ Soit... Mais le paraphe de Crachin ? Vous avez une idée d'à quoi il ressemble ? Reprit Sigurd.
        _ Vous pensez sincèrement que ses coupe-jarrets le savent mieux que nous ? Rétorqua Luan.
        _ Mais une fois que vous serez devant Crachin... Lui, il va forcément savoir que c'est un faux ! Tenta encore l'ex-officier.
        _ Ce qui ne fera que souligner « mon » talent à ses yeux et pourquoi il aurait tout intérêt à nous embaucher étant donné la situation dans laquelle il se trouve, répliqua Elie, les yeux pétillants déjà de malice. J'adore cette idée. Ce rôle est pour moi, l'inspiration est en marche !
        _ Ça ne tient pas debout une seule seconde, mais vous allez quand même tous foncer, n'est-ce pas ? Capitula Sigurd. Alors en fin de compte, je suis le seul type sensé dans toute cette histoire ??
        _ Bien ! Tonna Santa. Alors puisque tout est réglé, en rouuute ! »
          Elie prit son temps. Elle en avait bien besoin. Construire un personnage requérait en temps normal plusieurs semaines de préparation et, d’habitude, elle pouvait compter sur un texte, une histoire, une piste concrète pour se glisser dans la peau d’une nouvelle Elie. Une Elie différente, avec un autre nom, un autre passé, d’autres partenaires.

          Cette fois-ci, elle n’avait pas vraiment le temps nécessaire à sa disposition, devrait tout fabriquer à partir de rien et, surtout, elle se devait d’être parfaite. Elle jeta un coup d’œil aux compagnons qui lui restaient. Pas les plus effrayants. Quoique, le psychologue lui faisait froid dans le dos, de temps à autres. Elle aurait vraiment apprécié avoir Santa de son côté, sa stature l’aurait bien aidée, mais elle avait vu le bonhomme s’éloigner avec Sigurd, Arno et Elizorabeth, tous à la recherche d’Haylor. Elle devrait donc être encore plus  crédible…

          « Je pense… Commença Elie. Je pense que nous n’allons pas tarder à y aller, notre position ici n’est pas très sure, et si les pirates nous voient attendre, ils seront bien moins enclins à nous suivre.
          -Je suis d’accord, acquiesça Yoshimitsu, moins nous attendrons ici, mieux ça vaudra. Ils risquent de mieux croire notre histoire si nous sommes en mouvement.
          -Va falloir marcher pendant combien de temps ? Demanda innocemment Kahlia.
          -Un petit bout de temps ma chérie… Lui répondit Luan.
          -Interdiction de se plaindre toutefois, nous sommes désormais de redoutables pirates, mettez-vous bien ça dans le crâne ! Yoshimitsu, vous serez mon bras droit, vous pensez pouvoir jouer un rôle tout en gardant votre véritable personnalité enfouie au plus profond de vous-même ? À la perfection, je veux dire.
          -Je ne sais pas… Mais il faudra bien, non ?
          -Voilà une réponse que j’aime entendre ! Luan, je pense qu’un médecin à mes côtés… Oui, vous serez parfaite. Et Kahlia ?
          -Moi, je bute les méchants ! S’exclama-t-elle en ressortant son coutelas.
          -Non, c’est une couverture, pas une façon de massacrer tout le monde, et je rappelle que nous sommes une organisation pacifique ! La morigéna Luan.
          -Vous n’avez pas tort toutes les deux, leur fit Elie. Range cette arme, tu vas te blesser ! Toutefois, Kahlia sera effectivement notre arme. Une petite bombe aux pouvoirs assez puissants pour que je fasse d’elle mon unique couverture, tu resteras à mes côtés.
          -Il ne faut pas lui faire courir autant de risques, s’alarma la jeune médecin.
          -Pas plus que pour nous trois, tout repose sur notre capacité à être convaincants, je compte sur vous… Quant à moi, je serai… »

          ***

          « La reine Pagaille ? Jamais entendu parler, se moqua le jeune chef de groupe.
          -Mmh, à votre avis ? Je lui montre tout de suite ou je le fais souffrir un peu de son insolence ?
          -…
          -…
          -Quand on s’adresse à une femme, jeune homme, on y met la manière ! Surtout quand on ne connait rien de la femme en question.
          -Mais, je…
          -Amenez-moi voir votre supérieur, ou vous pouvez dire adieu à vos parties…  »

          La voix de la pirate retentissait, une voix assurée, une voix que personne ne désire contredire, une voix puissante et dont le timbre laissait comprendre qu’elle n’avait pas l’habitude qu’on ne la satisfasse pas. Et c’était le cas. Barbara, le fléau des mers, la destructrice, la reine Pagaille, commandeur des légions d’espionnage Denden et numéro deux de la confrérie secrète de piraterie nordique demandait à discuter avec l’actuel gouverneur de l’île. Les autres acolytes étaient plutôt quelconques. Il ne fallait toutefois pas les sous-estimer, s’ils faisaient partie de la garde rapprochée de la reine pirate c’est qu’ils avaient une raison d’être là.

          « Eh bien, qu’est-ce que vous attendez ? C’est un ordre, pas une annonce publicitaire ! Gronda Barbara, un soupçon de colère et d’impatience toute mesurée dans la voix.
          -Je… C’est que… Le Capitaine ne… Bredouilla le blondinet.
          -J’ai été polie, non ? J’ai dit s’il vous plait, continua la pirate agacée en se tournant vers ses hommes. Déjà qu’on est obligés de s’adresser à des sous-fifres, si en plus ils n’écoutent pas ce qu’on leur dit…
          -Ma reine… Intervint l’homme à ses côtés, un sourire confiant sur le visage.
          -Oui ? Je vous écoute mon cher Yoshi ! Vous qui êtes toujours de bons conseils…
          -Peut-être que si je me permettais de vous introduire auprès d’eux et à leur montrer ceci, ils mettraient moins de mauvaise grâce à exécuter vos ordres … Déclara-t-il en jetant un regard torve à celui qui avait parlé.
          -Faites ! Mais ma patience à des limites… »

          Il leur mit aussi sous le nez le précieux document qu’il conservait dans la doublure de sa veste, tout en leur listant ses titres, les uns après les autres. Une lettre du Capitaine Crachin, signée de sa main, requérant la présence de la douce pirate à ses côtés, dans les plus brefs délais. Quand le blondinet eut enfin assimilé le fait qu’il avait affaire à bien plus important que lui, il obtempéra. Encadrés par les quelques hommes du pirate, l’escorte de la destructrice prit la direction de Varedas, car c’était là que siégeait le pirate, commandant ses hommes, sans merci, et avec une poigne destructrice.

          « Je vais vous mener jusqu’à mon chef de division, bredouilla le pirate, je n’ai pas autorité à aller jusqu’au Capt’ain. J’espère que cela vous satisfera.
          -Me satisfaire ? N’y croyez pas une seconde… Je m’en contenterais toutefois, si c’est tout ce que vous pouvez me fournir. Je me doutais qu’en m’adressant à de tels…
          -On va marcher encore longtemps ? Se plaignit Kahlia en tirant sur les pans de la robe de Barbara.
          -Et bien, répondez-lui ! S’emporta la pirate. Vous êtes aussi détestable qu’inefficace ! J’ai besoin de vous et c’est la seule raison pour laquelle ma petite protégée ne vous a pas encore découpé en morceaux…
          -Euh…  Plus que deux collines à franchir et la ville sera au bout du chemin. »

          La petite regardait le blond avec un regard furibond. Celui-ci évita soigneusement de croiser son regard et pressa un peu le pas. La troupe qu’il venait de récolter lui faisait froid dans le dos. Pourquoi avait-il accepté de faire cette ronde ce jour-là ? Si seulement il avait écouté sa mère et s’était fait cordonnier, il n’aurait jamais eu à courir tous ces risques. Promis, dès qu’il en aurait fini avec cette folle et son équipe, il demanderait une mutation dans la compta ou quelque chose de plus à l’écart de l’action.

          Varedas apparut enfin devant eux. Si l’on oubliait les drapeaux aux couleurs de Crachin, ainsi que l’atmosphère de peur qu’elle dégageait, c’était plutôt une jolie ville. Les deux galions du Capitaine étaient amarrés au port. Barbara jeta un regard circulaire à la cité. Du haut de la colline qui la surplombait, on pouvait voir déambuler pas mal de monde dans les rues. À leur façon de marcher, elle distinguait aisément les pirates des autres, plus craintifs. Le blondinet semblait vouloir entamer la descente. Elle le regarda d’un air supérieur, lui faisant comprendre qu’ils descendraient quand elle l’aurait décidé. Et elle souhaitait le faire patienter un petit moment.

          ***

          L’escorte de Barbara s’était renforcée, ou plutôt modifiée. Ils avaient laissé le sous-fifre et sa clique pour être accompagnés d’une troupe plus conséquente. Composée qui plus est d’une toute autre catégorie de pirates, des hommes de confiance du Capitaine, qui devraient les mener à Bartimeus Mousch, suprême intendant du Galion, l’un des bras droits de Crachin. À bord du navire et désormais dans la ville, son autorité prévalait sur tous, excepté Crachin lui-même.

          « Combien de temps vais-je encore devoir attendre ? S’énerva la reine.
          -J’en ai marre… Grommela Kahlia. J’ai mal aux pieds et j’aime pas sa tête à lui.
          -On n’aura plus à le supporter bien longtemps, lui souffla la pirate en regardant l’homme désigné par la petite.
          -Votre grâce, puis-je ? Demanda la jeune femme en blouse blanche.
          -Allez-y…
          -Si vous demandiez à cet imperturbable et arrogant pirate de faire avancer les choses…
          -Ce ne sera pas nécessaire mademoiselle, coupa un gros bonhomme qui venait d’arriver. Bartimeus Mousch, pour vous servir… Le Capitaine n’est pas disponible pour le moment, vous allez devoir vous contenter de ma personne… Et ça suffira amplement, monseigneur Capt’ain à d’autres choses à faire que de recevoir quiconque vient toquer à sa porte… »

          Barbara foudroya du regard le gros intendant. Sa bobine mal aimable ainsi que ses petites lunettes, tout justes ajustées sur le bout de son nez, donnaient à son regard une assez insupportable présence, le genre insidieuse qui vient gratter vos secrets jusqu’au fond de votre cerveau. Yoshimitsu lui aussi était très attentif à ce que faisait Mousch, il n’avait pas le physique qu’on aurait attendu du bras droit de Crachin, et c’était pour le moins déconcertant. Le gros bonhomme tourna les talons et d’un geste les convia à le suivre. Les rues de Varedas s’ouvraient sur son passage, il était connu et ni les pirates, ni les civils n’osaient s’interposer. Il les mena jusqu’à une taverne presque déserte, seuls quelques hommes de Crachin y montaient la garde ou y faisaient une pause. À l’arrivée de leur intendant, ces derniers déguerpirent et Barbara et son groupe se retrouvèrent seuls face à Mousch.

          « Donc, maintenant qu’on est à l’aise, racontez moi tout… Vous avez le temps, j’ai mon après-midi de libre… Lui déclara l’intendant.
          -Vos hommes ne vous ont rien dit ? Demanda la reine, un sourire aux lèvres.
          -Oh si, mais j’ai de la peine à les croire, j’aimerai entendre cette histoire de votre bouche…
          -Hin, surement pas…
          -Ah, je vous fais arrêter sur le champ ? Menaça-t-il.
          -Vous auriez tort de croire que vous en seriez capable… Fit Barbara en posant sa main sur l’épaule de Kahlia. »

          Bartimeus Mousch prit le temps de regarder attentivement la fillette. Il ne fallait pas prendre de risques, si l’histoire de la fille était vraie… Il ferait mieux de s’en référer à Crachin. Le Capitaine ne lui avait jamais parlé d’avoir demandé de l’aide à quiconque, mais il ne lui disait pas tout. En tous cas, pas ce qui n’était pas indispensable. Si cette « reine Pagaille » était réellement ce qu’elle prétendait être alors ses acolytes devaient être plus que ce qu’ils semblaient être. Et même s’il parvenait à mettre tout ce beau monde aux fers, s’il s’avérait que Crachin les avait vraiment mandés… Il perdrait sans doute son poste… Si ce n’était sa tête.

          « Puis-je voir votre laisser passer ? Mes hommes m’ont dit…
          -Je vois que vous avez changé d’avis. Bien, très bien. Yoshimitsu, le papier pour monsieur s’il te plait, ordonna Barbara.
          -Bien, il est là majesté, fit son bras droit en lui tendant une lettre.
          -Vous voyez monsieur Mousch, comment on parle aux femmes ? »

          Soudain, ils entendirent des cris venant de la rue. Pas des cris de douleur, ni d’alerte, des simples cris de colère et d’insultes. Mousch stoppa sa lecture de la lettre et tourna sa tête vers la porte d’entrée. Tout le monde se demandait ce qui se passait, les rues étaient plutôt calmes d’ordinaire. Un homme entra et vint parler à Mousch.

          « On a un nain qui fait un cinéma pas possible dehors, il était en train de vendre de quoi se soigner à nos hommes et quand on a voulu demander ce qu’il y avait dans ses flacons, il nous a craché au visage…
          -Amenez le moi ! Ordonna l’intendant.
          -Comme si c’était fait ! Répondit l’autre en ressortant d’un pas vif.
          -Où en étions-nous ? Reprit Mousch.
          -Le moment où vous vouliez absolument lire cette foutue lettre… Je suggère que vous continuiez, ça m’ennuie un brin de vous parler, lui fit Barbara. »

          L’intendant n’eut pas vraiment le temps de finir sa lecture, le garde fit de nouveau irruption dans la taverne et cette fois-ci, un nain braillard le précédait. Quand le petit homme eut terminé d’insulter la moitié du monde, il se tourna vers les gens attablés. Tout le monde dans la salle était assez amusé de la situation. Tout le monde sauf Barbara. C’était son nain à elle.

          « Qu’est-ce que tu fais là ? Je t’avais dit de rester au navire ! S’énerva la pirate.
          -Elie ? Grommela le nain.
          -Vous vous connaissez ? Qui est cet Elie ? Et surtout, qui est ce nain ? Demanda Mousch.
          -On se connait très bien, c’est l’un de mes hommes. Elie n’est pas une personne, mais une de nos armes de combat. J’avais demandé à Kalem ici présent de la surveiller, mais apparemment, il n’en a pas été capable… Expliqua Barbara.
          -Tout ça est loin d’être clair… »

          Il regarda le nain qui avait un air furibond. Se tourna vers le reine Pagaille, puis sourit.


          Dernière édition par Elie Jorgensen le Mer 14 Mai 2014 - 11:47, édité 1 fois
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          Pendant ce temps, deux improbables compagnons progressaient rapidement sur les chemins de l’île.

          La commissaire, et le grand lapin blanc.

          Ils avançaient d’un pas vif, sans se presser, mais avec une facilité déconcertante, compte tenu de leurs tenues respectives dans cet environnement. Elle portait l’une de ses éternelles robes de société ; lui était vêtu d’un costume trois pièces assorti à son haut-de-forme. Peut être du fait de son état de lagomorphe humanoïde, Roger Wonder était bien assez endurant pour sillonner les vallons de Panpeeter sans s’essouffler. De son coté, la jeune femme se révélait parfaitement capable de suivre le rythme qu’il lui proposait. Un exploit, compte tenu du peu de lumière que leur accordait le ciel obscurci par la nuit.

          Mais, malgré cela, ils avaient eux aussi leurs limites. Les évènements relatés jusqu’ici s’étaient déroulés sur toute une nuit. Elle avait faim, elle avait soif. Le lièvre était, pour sa part, actif depuis plus longtemps encore : dans son cas, le sommeil commençait à se faire sentir.

          Sa vessie aussi, d’ailleurs. En conséquence, le lagomorphe s’excusa, et s’éloigna d’une vingtaine de mètres pour aller soulager ses flancs alourdis par la nature.

          Dix minutes plus tard, les deux voyageurs eurent la mauvaise surprise d’approcher d’un campement. Le sentier descendant qu’ils empruntaient, couvert par les arbres, longeait une colline surplombant un petit hameau. C’était une dizaine de bâtiments, des maisonnées, cabanes et hangars agricoles qui étaient perdus ici, non loin des champs.

          Haylor et son compagnon prirent peur en apercevant tardivement les bâtisses. Ils remontèrent rapidement la pente, craignant d’avoir été aperçus. Car si toutes les grandes villes de Panpeeter étaient occupées par les Cracheurs, il n’y avait aucune raison que ça ne soit pas également le cas de petits lieux de vie isolés.

          Et ils avaient raison, comprirent-ils en observant le camp d’un peu plus loin.

          Un peu moins d’une trentaine de personnes étaient parquées au centre du hameau. Il s’agissait d’un enclos, adossé à une large grange qui bordait les collines alentours. Malgré la distance, ils purent aisément comprendre ce qu’il se passait.

          Ces vingt-sept personnes étaient des habitants de l’île. Et tout autour d’eux, dispersés aux environs des différents bâtiments, d’autres personnes, armées, qui s’affairaient à prendre possession des lieux. Des pirates.

          La jeune femme eut des frissons en parcourant les différentes possibilités. Peut être que les pirates venaient de rejoindre ce hameau, et avaient tout juste commencé à rassembler les résidents. Peut être en avaient-ils déjà pris possession, et s’en servaient comme point de chute où rassembler les fuyards, réfugiés dans le maquis.

          Peut être allaient-ils conduire leurs prisonniers dans une plus grande ville. Les communes de Panpeeter s’étaient, ces derniers jours, transformées en camps d’enfermement, barricadés vers l’intérieur, d’où l’on ne pouvait s’enfuir sans risquer de perdre la vie.

          Ou, peut être, que tous ces pirates n’attendaient plus qu’un signal pour exécuter leurs victimes. C’était la possibilité qu’Haylor pressentait le plus. Et elle ne voulait pas voir ça.

          Elle voulait partir d’ici. Loin d’ici. Et au plus vite.

          Son compagnon, au contraire, ne détourna pas le regard du tableau qui s’offrait à lui. Ses yeux vagabondaient dans l’espace qui se présentait à eux. Il avait l’œil vif, parti à la collecte d’informations.

          La commissaire avait déjà fait plusieurs pas en arrière ; le lièvre s’était prudemment penché en avant. Et il était hors de question qu’il en fasse davantage.

          -Non non non non, s'emporta Haylor, paniquée. Vous restez ici.
          -Du calme, mademoiselle. Je ne compte pas…
          -Vous n’allez pas y aller ?
          -Eh bien, je pensais…
          -Vous allez rester ici, ordonna-t-elle.
          -Je ne pense pas, non. Je ne sais pas ce qu’ils vont faire, mais ils peuvent le faire à tout instant.
          -Oh, mais si. Il est hors de question que vous fassiez quoi que ce soit. Vous ne pouvez rien faire. Vous allez mourir, nous faire tuer tous les deux, et cela ne nous avancera à rien. Vous ne pouvez rien faire!
          -Bien au contraire. Je peux les sauver.
          -Vous rêvez, cracha la jeune femme. Ce sont des pirates. Ils vous tueront. Je sais de quoi je parle. Vous allez simplement nous faire tuer.
          -Il n'y en a qu'une dizaine. C'est parfaitement faisable.
          -Et que ferez-vous, à dix contre un ?
          -Contre deux, rectifia Wonder.

          Haylor s’avança brutalement vers lui, d’un pas, et le considéra avec suffisamment de violence pour qu’il retire son chapeau, mal à l’aise.

          -Mes excuses. Non, bien sûr que non. Il s’agit d’une épreuve bien trop dangereuse pour vous, en effet. Néanmoins, je vous assure que…

          Il s’interrompit en sursaut, un mouvement accompagné par ses oreilles qui se redressèrent aussitôt. Des éclats de voix s’étaient élevés jusqu’ici, alors que les pirates communiquaient d’un bout à l’autre du hameau.

          Et à cet instant, il le vit.

          Le pirate.

          Une opportunité.

          Il s’agissait d’un homme, légèrement bedonnant, mais parfaitement musclé, qui s’aventurait un peu plus loin, dans un autre chemin pentu qui servait d’accès à la ferme. La torche qu'il utilisait pour s'éclairer dans la nuit le rendait incroyablement facile à repérer.

          Il était seul, et en conséquence, facile à éliminer.

          Roger Wonder ne perdit pas une seconde. Affronter dix pirates serait peut être difficile. Il ne lui resterait donc qu’à disposer d’eux… individuellement.

          Sans un mot de plus, le lièvre s’élança. Sa compagne n’osa pas élever la voix, et ravala furieusement ses récriminations. De là où elle était, dissimulée par la végétation, elle le regarda se diriger vers sa cible, jusqu’à ce qui lui-même disparaisse dans la nature. Une dizaine de minutes s’écoula. Haylor ne pouvait qu’attendre, sans rien savoir de ce qui se passait. Et pas un bruit ne lui parvint, lorsque Roger Wonder exécuta promptement sa première victime.

          La jeune femme bouillonnait d’appréhension, et s’en mordait –littéralement- les doigts. Pas les ongles, étrangement. Cinq minutes plus tard, elle vit le lièvre revenir à sa hauteur, l’air grave. Il avait mené sa tâche à bien. Et n’en était guère heureux.
          Elle s’approcha à la hâte, pour le récriminer copieusement et l’exhorter à ce qu’ils fuient au plus vite. Mais le lièvre refusa.

          Son approche était efficace, et il le savait.

          *
          *     *
          *

          … jusqu’à un certain point.

          Trois pirates étaient tombés en l’espace de vingt minutes, tous assassinés par le lièvre. Il en restait sept. Sept forbans, sept geôliers, sept combattants de fortune, qui étaient parfaitement conscients que quelque chose se tramait aux alentours.

          Plusieurs cris avaient traversé le hameau. On avait cherché à appeler les individus qui manquaient à l’appel. Et on ne les entendait pas. Les pirates commencèrent alors à s’énerver, à s’inquiéter, à redouter, et finalement à se tourner vers l’extérieur, en essayant d’interpeler des agresseurs invisibles qui se jouaient sûrement d’eux.

          Tout ça, jusqu’à ce que ces deux personnes se présentent à leur vue.

          La commissaire, et le grand lapin blanc.

          Craignant que les pirates, pris au piège, ne finissent par s’en prendre aux prisonniers pour pouvoir partir à la hâte, il avait décidé de mettre un terme à ce petit manège. Et c’est ce qui les amenait là.

          Hélés par les pirates, sommés de s’arrêter, ils continuèrent tranquillement leur approche, par le sentier pentu qu’ils avaient failli emprunter une demi-heure plus tôt.

          En contrebas, on sentait qu’il s’agissait probablement d’un piège. Y’en avaient-ils d’autres ? Non. Mais on l’ignorait. Aussi, trois d’entre eux s’approchèrent prudemment, tandis que quatre autres, tous armés de pistolets à silex, restaient très largement en retrait.

          Derrière eux, les prisonniers, qui ne savaient trop que faire, et au final, préférèrent ne pas intervenir. La peur se doublait parfois de sagesse, car le danger était trop grand pour eux.

          Il en allait de même pour Haylor. En voyant que son compagnon de route savait ce qu’il faisait, elle s’était excusée, et même adoucie.

          Relativement.

          Elle avait coopéré avec le lièvre pour l’exécution du troisième assassinat. Maintenant, elle resterait en retrait, assez loin pour être à l’abri des balles.

          -Monsieur Wonder ?
          -Plait-il ?
          -Tuez-les.

          Il n’aurait guère le choix, savait-il en continuant son approche. Des trois forbans qui s’avançaient vers lui, pas un seul ne semblait lui vouloir du bien. Tous l’arme au clair, ils n’allaient pas tarder à l’attaquer. C’est pourtant lorsque l’un d’entre eux fit mine de dégainer un pistolet qu’il passa à l’action. D’un bond, Roger Wonder enjamba quelques ennemis pour atterrir directement sur le tireur. Le pirate fut aussitôt renversé par le poids de l’homme-animal, et se fracassa le crane au sol ; il rendit l’âme sur le coup.

          Les deux autres n’attendirent pas que vienne leur tour, et l’assaillirent au plus vite. Malheureusement pour eux, le lièvre se replia d’un bond, évitant de peu leur attaque. Ca ne s’était joué qu’à un cheveu, et Wonder se sentit frémir, plusieurs mètres plus loin, à l’idée de ce qu’il aurait pu advenir de lui. Haylor n’avait pas eu tort.

          Avec une prudence renouvelée, il contourna ses ennemis. Ils étaient bien plus nombreux, mais trop lents pour pouvoir l’encercler : lui, au contraire, était assez rapide et endurant pour faire en sorte qu’ils se coincent et se dérangent mutuellement. Ils étaient sept, et difficilement superposables, compte tenu de leurs armes. Des sabres en tout genre, et rien qui ne nécessite pas d’espace pour manœuvrer.

          Ce petit manège dura une très longue minute, sans que personne n’ose tenter quoi que ce soit. Quatre pirates avaient préparé leurs pistolets à silex, sans pour autant prendre le risque de faire feu. Ils n’avaient tous qu’une balle dans le canon des armes, et n’auraient sûrement pas le luxe de recharger s’ils se manquaient.

          L’un d’entre eux fini pourtant par tenter sa chance, certain que le lièvre ne pourrait pas riposter avec trois autres armes à feu braquées sur lui.

          Roger Wonder se convulsa brusquement, et bondit d’un coup sur le côté. La balle poursuivit sa route jusqu’à la paroi d’une cabane, où elle explosa la surface de bois.

          Vingt secondes plus tard, le pirate avait rechargé, et hésitait à tirer une seconde fois. Ses minutions étaient particulièrement limitées. Et lui, était prudent.

          Cette fois, la situation s’enlisa pour de bon. Les acteurs tentèrent de se repositionner avantageusement, en contournant les caisses et les cabanes des environs, sans pour autant réussir à modifier la donne.

          A force de manœuvres, pourtant, un pirate décida de s’isoler du groupe. Un jeune homme, fin et élancé, un peu moins de la vingtaine, et au visage déjà couvert de balafres qui lui distordaient les traits. A plusieurs reprises déjà, il avait remarqué que le lièvre les perdait de vue quand ils s’approchaient d’une certaine cabane. Il réitéra l’expérience à quelques reprises, jusqu’à confirmer son hypothèse : à partir de là où il était, il pouvait bel et bien tenter de prendre leur adversaire à revers, en profitant du couvert de toute une file de bâtiments.

          Pendant deux interminables minutes, il s’acharna ainsi à approcher, aussi discrètement que possible, en faisant preuve d’un soin infini pour dissimuler sa position. Peut être que le lagomorphe remarquerait son absence. Mais il ne pourrait pas le situer pour autant.

          Au bout de nombreux efforts, il parvient presque à se positionner là où il le voulait. Roger Wonder ne se déplaçait plus, et aux dernières nouvelles, tournait le dos à son emplacement.

          Il n’avait pas d’arme à feu, mais son sabre ferait parfaitement l’affaire. Il ne lui restait qu’à se faire aussi discret que possible, contourner précautionneusement ce qui restait de la bâtisse, et… se retrouver nez à nez avec le lièvre, la gueule grande ouverte.

          Le pirate hurla de terreur. Un son horrifiant, ultime témoin de sa surprise et de sa peur. Son cri ne dura pourtant qu’une seconde, et s’étouffa morbidement lorsque Wonder l’égorgea d’un coup de dents. Ses crocs avaient perforé la chair comme on l’aurait fait avec du beurre, jusqu’à riper sur les vertèbres du jeune homme. Partiellement décapité, ce dernier s’affaissa contre un mur, la nuque aux trois quarts ravagés.

          L’homme lièvre détestait cette sensation, mais n’avait guère le choix : sa dentition était, avec ses puissantes jambes, l’une de ses meilleures armes.

          Son sang-froid n’était pas en reste. Il venait de démontrer que, dans une telle situation, savoir capitaliser sur les erreurs des autres était aussi important que de pouvoir créer ses propres opportunités. Il n’avait rien anticipé, et s’était contenté de réagir en fonction de ce que son excellente audition lui transmettait.

          Il s’agissait d’être patient, sans être passif.

          Lorsqu’il reparut à la vue de tous, c’était une bien désagréable vision qu’il leur présenta. Celle d’un meurtrier. Ses vêtements étaient saufs, mais sa fourrure avait baigné dans le sang, et en portait abondamment la marque.

          Trois autres minutes passèrent, sans que plus personne n’ose prendre l’initiative.

          A ce stade, les pirates comprirent qu’ils ne pourraient rien faire. Pas seuls, face à un tel monstre. Ils prirent alors ce qui leur sembla être la meilleure des décisions : rester grouper et prendre la fuite, tous ensembles. S’ils se séparaient, ils deviendraient des proies faciles pour Roger Wonder, trop rapide.

          Mais en restant ensemble, le lièvre pouvait facilement leur couper la route. Dans l’absolu, il n’était pas monstrueusement rapide. C’étaient ses bonds aériens qui lui procuraient sa mobilité ahurissante.

          -Tuez les, répéta tranquillement Haylor, à haute voix.

          Il n’avait pas besoin qu’on le lui dise : s’ils s’échappaient maintenant, cela signifierait très certainement que d’autres viendraient les pourchasser plus tard. Dans le meilleur des cas, les Cracheurs auraient connaissance de lui, ce qui n’arrangerait rien à ses affaires personnelles.

          A nouveau, il n’avait pas le choix. Cela lui faisait horreur, mais il devait conclure sa sombre besogne, et tous les éliminer. Il s’élança à leur suite, bien qu’à contrecœur. Il ne pourrait pas se contenter de les neutraliser. Il n’était ni assez rapide, ni assez fort pour essayer de faire ceci sans prendre d’énormes risques personnels.

          Il aurait déjà du mal à les tuer. Il lui fallait trouver un moyen. Quelque chose.

          Il n’avait rien.

          Il ne pouvait rien faire, concrètement.

          Pas seul, en tout cas.

          Mais il n'était plus seul. Les coups de feu, les cris et le hurlement de terreur avaient retenti sur quelques kilomètres à la ronde. On ne pouvait pas les rater, dans le calme de la nature environnante.

          Sans aucun signe précurseur, plusieurs pirates s'effondrèrent, fauchés net par toute une série de détonations. Plusieurs tirs de mousquets, soutenus par l'explosion d'une grenade artisanale, pulvérisèrent la formation serrée des fuyards. Seule une poignée d'entre eux en réchappa, et ceux-ci furent prestement éliminés par le lièvre au museau ensanglanté.

          Pendant vingt longues secondes, rien ne se passa. Puis, le lièvre repéra du mouvement sur sa droite. Cinq personnes, des hommes et des femmes, qui descendaient la longue pente vallonnée pour approcher du hameau.

          Tous portaient des vêtements relativement légers, des pantalons en toile brune, et des blouses de la même couleur.

          Tous avaient, en bandoulière sur leurs hanches, des sacs en cuir imperméable qui recelaient de matériel militaire.

          Et même dans ces tenues négligées, tous arboraient, discrètement cousu à l’intérieur de leurs sacs, le symbole mondialement connu de la marine mondiale.

          Car oui. Ils étaient là, eux aussi.



          Spoiler:





          Dernière édition par Sigurd Dogaku le Mer 29 Oct 2014 - 22:44, édité 3 fois (Raison : Faille spatio-temporelle refermée (la faute à Santa, qui décide qu'il fait nuit dans son RP ayant lieu après alors qu'il faisait jour dans mon RP ayant lieu avant. Méchant Santa.)
          • https://www.onepiece-requiem.net/t9650-sig-peluche
          • https://www.onepiece-requiem.net/t9504-sig

          La marine était pieds et poings liés. Les Cracheurs tenaient l’ensemble des foyers humains de l’île, et s’étaient donné pour but d’éliminer progressivement les populations civiles résidant sur Panpeeter. Dans un premier temps, les militaires avaient tenté de traiter l’affaire pacifiquement. En pure perte.

          Ils avaient envoyé deux de ses hommes pour s’essayer à la négociation. Deux femmes, plus exactement. C’étaient des sous-officières qui s’étaient déjà démarquées à plusieurs reprises par le passé, aussi bien dans l’usage des armes que celui de la rhétorique. Au fil du temps, elles avaient réussi à endiguer leurs lots d’attaques pirates, et avaient prématurément mis un terme à des affaires qui auraient couté beaucoup de vies et de ressources. Inutilement. Parfois, une amnistie bien négociée était préférable à une justice mal appliquée, disaient-elles. C’était un choix discutable, mais qu’elles soutenaient volontiers face à quiconque les amenait sur ce sujet.

          Mais tout ça n’avait pas beaucoup d’importance. Elles étaient mortes, maintenant. Crachin les avait faîtes abattre après leur avoir brièvement donné son avis sur la question. Ensuite, il avait ordonné à ses sbires de renvoyer leurs têtes à la marine, ainsi que celles de leur escorte, et de quelques civils qu’ils rajoutèrent pour faire bonne mesure.

          Les criminels s’étaient exécutés, et avaient chargé le tout dans une barque remorquée par deux des petits protégés de l’équipage. Des requins. Des requins marteaux, pour être plus précis. Au cours de ses exactions passées, Crachin avait rencontré et recruté une petite bande de mercenaires atypiques, qui élevaient et entraînaient ces poissons carnassiers. Les animaux se révélaient très pratiques, pour peu que l’on fasse preuve d’un peu d’imagination quant à leur usage.

          Chez les militaires, le coup fut dur à avaler. Capslock n’avait pas voulu les laisser partir. C’était trop dangereux. Elles avaient insisté, il avait cédé. Elles avaient prit le risque, et en avaient payé le prix. Tout simplement.

          Dans tous les cas, le message du pirate était clair : il ne discuterait pas, et mettrait ses menaces à exécution, encore et encore, jusqu’à la fin s’il le fallait.

          En partant d’une telle situation, il n’y avait que trois déroulements possibles. Les militaires avaient le choix.

          Obtempérer. Attaquer. Ou ignorer.

          Si les marines obtempéraient, dieu seul savait ce que pourrait devenir Crachin. Par le passé, quand il était au maximum de ses capacités, l’homme s’était déjà avéré plein de ressources. A plusieurs reprises. Son handicap récent l’avait cruellement diminué, physiquement. Mais juste physiquement. Son mental, au contraire, s’était affuté, affermi et corrompu, dans la noirceur de sa retraite. Privé de ses moyens, baigné dans la douleur, Crachin s’était ouvert à tout un spectre de possibilités nouvelles, et d’autant plus dangereuses.

          Six mois plus tôt, les Cracheurs n’auraient jamais envisagé de mettre en œuvre une telle folie. Un génocide, organisé et méthodique, où les hommes devenaient des otages que l’on parquait comme du bétail en attendant leur échéance.

          C’était d’ailleurs pour cette raison que les militaires n’étaient pas passés à l’action. Attaquer, cela signifiait condamner un maximum de personnes sans plus tarder. La logistique des pirates s’était mise en place bien avant qu’ils ne prennent contact avec les autorités, il y a 5 jours de cela.

          Pour autant, prendre le risque de lui conférer les pouvoirs d’un démon, c’était s’exposer à l’avènement d’un monstre qui aurait récupéré tous ses moyens. Certes, il en existait d’autres. Et beaucoup plus. Plus dangereux, plus influents. Plus cruels, plus malveillants.

          Néanmoins, avait-on besoin d’un monstre de plus sur les mers bleues ? Certainement pas. Aux yeux de Capslock, ces monstres pouvaient pulluler de tout leur saoul sur la grande voie, ça ne le concernait pas. C’était une mer sauvage, disait-il, dangereuse et inhospitalière, où les rebuts du monde pouvaient très bien se rassembler et mourir ensemble s’ils le souhaitaient. C’était mieux ainsi, et pour tout le monde. Mais ici, en territoire civilisé, là où les peuples vivaient en paix, les monstres n’avaient pas à exister.

          Alors, la marine avait décidé de temporiser. D’attendre. De réfléchir.

          Le colonel avait consulté sa hiérarchie, qui l'avait confirmé à la charge des opérations. On lui avait alloué plus de moyens, on l’avait aidé à évaluer ses possibilités. Mais ça n’avait pas été facile.

          Même si l’on décapitait toute l’organisation en assassinant le capitaine, les pirates avaient bien assez de sous-officiers pour continuer leurs exactions malgré sa mort. Leurs ordres étaient clairs. Si par hasard, Crachin était assassiné, ils devraient entamer le massacre sur le champ. Les malfaiteurs disposaient d’assez d’escargophones pour que l’information se diffuse instantanément, dans tous leurs points de chute. C’était une mesure qui visait à couper l’herbe sous le pied des marines. Tuer le chef ne reviendrait pas à régler le problème, aujourd’hui.

          Toutefois, cette mesure avait un terrible point faible. Elle reposait entièrement sur la capacité des pirates à pouvoir envoyer et recevoir des messages. Neutraliser leur réseau de communications, avec un brouilleur ou autre, aurait suffi à la dérouter. Ca, les militaires le savaient bien. Les Cracheurs le leur avaient expressément signalé. De même, ils leur avaient fait savoir qu’en cas de sabotage, ou de simple doute, le plan serait mis à exécution. Les ordres étaient déjà donnés à tous leurs chefs de postes.

          C’est en réfléchissant à cette contrainte que les officiers en vinrent à leur prochain plan.

          Ils ne pouvaient pas attaquer le monstre de front : il était trop gros. Les pirates auraient le temps de faire des milliers de morts avant même que les soldats n’accostent l’île.

          Ils ne pouvaient pas décapiter la bête : il s’agissait d’une hydre. L’équipage des Cracheurs était bien assez grand pour avoir sa propre hiérarchie. Il y avait plusieurs têtes.

          Pourtant, les militaires devinaient bien qu’ils ne faisaient pas fausse route. S’ils devaient déloger les pirates de l’île, il leur faudrait utiliser le gros de leurs forces. S’ils voulaient le faire sans risquer la vie des civils, ils devraient d’abord semer le chaos chez les pirates. Cela pouvait se faire en frappant un grand coup, ou en usant d’une distraction.

          A ce stade, on n’envisagea qu’une seule chose capable de faire l’affaire. Ils ne décapiteraient pas la bête : ils élagueraient toutes les têtes de l’hydre, en même temps, d’un seul coup.

          Le plan était fou. Mais ils en avaient les moyens. Ils étaient la marine, et le nombre de bâtiments de guerre qui stationnaient au large de l’île ne cessait d’augmenter. Parmi ces hommes, une catégorie de soldats bien spécifique commença à prendre toute son importance.

          Depuis maintenant vingt-quatre heures, des escouades de marines rejoignaient discrètement l’île, par groupes de cinq. Il s’agissait de plongeurs, équipés non pas pour se battre, mais bien pour tuer.

          On ignorait encore combien de temps cela prendrait. Une vingtaine d’heures, ou peut être quelques jours. Aucune équipe n’était encore en place. A l’inverse, aucune équipe n’avait rencontré le moindre problème. Certains avaient pourtant été retardés par les requins-marteaux de l'équipage des Cracheurs, postés ça et là aux alentours de l'île. Les pirates ne s'attendaient pas à des plongeurs, mais davantage à des canots de soldats, que les bêtes avaient appris à défoncer avec leurs têtes. De même, elles pouvaient servir à dissuader les résidents de l’île de prendre la fuite… dans une certaine mesure.

          En effet, leurs zones de patrouille étaient fixes. À force de tâtonnements, les plongeurs les avaient délimitées, et avaient identifié les meilleures voies d'accès à l'île. Tout ça ne relevait plus que de l’obstacle à contourner.

          Seuls les ports de l'île, et les grandes plages stratégiques étaient protégées de la sorte. Les pirates n'avaient pas assez d'animaux pour encadrer Panpeeter. Seulement assez pour se défendre.

          Ca n’était plus qu’une question de temps.

          Et c’était précisément là-dessus que se jouaient les vies sur l’île.



          Spoiler:



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          • https://www.onepiece-requiem.net/t9504-sig

          Luan dévisageait fixement l'étrange petit nabot contrefait qui venait de faire irruption. À ses yeux, une grosse pancarte « Je suis venu ruiner vos plans avec mes gros sabots » se tenait juste au-dessus de sa tête. Un très mauvais pressentiment la saisit.

          « Surveiller ? Eructa Kalem. Surveiller quoi ? T'te façon, j'l'aurais pas fait, même si tu me l'avais demandé : y'a pas écris « bon samaritain » ici, grognasse peinturlurée.
          _ C'est du maquillage, débile !
          _ Vous êtes sûr qu'il s'agit d'un de vos hommes ? Insista le Second Mousch.
          _ Et pourquoi je serais aux ordres de cette diva à deux balles ? J'ai une gueule à faire de la comédie, peut-être ? J'accepterai rien si c'est pas avec des dragons et des Lions !
          _ Il raconte n'importe quoi, ne perdez pas de temps avec lui, signala Elie.
          _ Bwahaha ! Ricana le nain. T'as l'autorité d'une huître pas fraîche, ma grande ! Et c'est pas en jetant tes regards de merlan frit que ça va arranger les choses, bwahaha !
          _ Yoshimitsu...
          _ Quel singulier personnage, répondit le médecin tout sourire.
          _ Merci beaucoup pour cette aide salvatrice...
          _ Mais je t'en prie, 'Barbara'.
          _ Ecoutez, Kalem, intervint Luan. Je comprends vos 'habituels' penchants pour...
          _ Hé toi, l'infirmière, va jouer les nounous ailleurs !
          _ C'est pas un peu fini ce bordel ! »

          C'était Mousch qui venait de tonner de la sorte, avec toute l'autorité que le second d'un équipage d'un millier d'homme se devait avoir. Et le moins qu'on puisse dire, c'était que de l'autorité, il en avait : tout le monde se tint coi devant son coup de gueule, à l'exception notable de Luan en train de déprimer dans un coin de la pièce parce qu'on venait de la confondre avec une nounou.

          « Je vais vous dire ce que je pense, moi, grogna le Second.
          _ Génial, Grotadmorv va nous faire part du fruit laborieux de son intellect limité, railla Kalem.
          _ Dites, monsieur, ça vous arrive d'être gentils ?
          _ Toi, la petite écolière, va jouer dans le mixeur, tu veux.
          _ Ça doit vouloir dire non...
          _ Je pense que ce nabot ne fait pas partie de votre équipe.
          _ Perspicace, dites donc.
          _ Yoshimitsu, ne commence pas à t'y mettre aussi !
          _ Et tu sais ce qu'il te dit, le nabot, espèce de gros thon décérébré ventripotent !
          _ Mais je pense qu'il vous connaît quand même bien, capitaine Barbara.
          _ Elle s'appelle Elie, t'es bouché ou juste simplement con ?
          _ Silence le nabot ! Beugla Mousch.
          _ Bwahaha, causes toujours, tu m'intéresses.
          _ Ce qui veut dire que vous n'êtes pas, et de loin, ce que vous prétendez être. Donc que vous me faites perdre un temps précieux, en plus de n'avoir rien à faire ici. Et vous savez  quoi ? Le capitaine Crachin n'aime pas beaucoup les visiteurs indésirables !
          _ Hum... Tenta de se donner une contenance Elie, qui se sentait brusquement beaucoup moins à l'aise dans son rôle de super chef pirate.
          _ Madame, permettez-nous de régler cela en douceur, fit doucement Yoshimitsu en se glissant auprès de son capitaine. Ce sera déjà bien assez embarrassant de devoir s'occuper de son comité d'accueil, si en plus on transforme cet endroit en charnier, cela risque d'indisposer le Capitaine Crachin. Je vous en prie : restez en retrait avec Khalia, Luan sera amplement suffisante pour tout cela.
          _ C'est parce que j'ai une dague et pas un fichu katana que vous voulez pas me laissez faire mes preuves, c'est ça, hein ?
          _ Luan !? S'étrangla Elie, qui avait du mal à envisager que la douce médecin puisse se battre.
          _ J'approuve, signala l'intéressée. Ce serait mieux que Khalia ne se batte pas.
          _ Tu vas vraiment te battre ?
          _ Je ne serais pas digne de faire partie de votre équipage autrement, n'est-ce pas ? »

          Elie scruta la jeune femme, incapable de décider si c'était du lard ou du cochon. Mais trop tard : Mousch venait de reposer le combiné de son escargophone et le fracas des bottes emplissaient déjà le couloir. L'actrice voulut faire un pas mais Yoshimitsu se plaça imperceptiblement sur son chemin, l'empêchant d'avancer.

          De son côté, Luan avança d'un pas résolument décidé, dégainant un petit livre bleu de l'intérieur de sa blouse. Elle l'ouvrit d'une main à une page précise et le releva devant son visage. De sa main libre, elle farfouilla dans sa poche extérieure et en tira une seringue, dont elle arracha le capuchon de caoutchouc avec les dents.
          Et elle attendit, sereine.

          Moins de trois secondes plus tard, la porte s'ouvrit à la volée, manquant d'être arrachée de ses gonds, et une bande de molosses armés jusqu'aux dents en jaillit, l'arme au poing, le visage déformé par la rage et la soif de sang. L'élite de l'équipage principal du capitaine Crachin, son aréopage personnel de gardes du corps, ses plus impitoyables et efficaces tueurs, triés sur le volet et sélectionnés au sein d'un équipage forgé dans la fournaise de terribles batailles.

          Mais en face se tenait la silhouette d'une blouse blanche, le visage caché derrière un épais volume médical, au-dessus duquel se trouvait une paire d'yeux verts qui les scrutaient avec intensité. Se tenant d'équerre face à eux, elle était présentement en train de faire deux pas sur le côté, s'éloignant de ses compagnons. Et dans ce mouvement, tous purent apercevoir, à demi dissimulé dans les plis de sa blouse, l'arme qu'elle comptait utiliser contre eux.

          Et soudainement, tout ce beau monde se mit à piétiner sur le pas de la porte, tandis qu'un concert de jurons et d'invectives se mit à retentir, parmi lesquelles surnageaient très nettement diverses variantes de « pas si vite, devant ! » et autres « poussez pas, derrière ! ».

          « Mais qu'est-ce que vous foutez, bande d'abrutis ! Explosa Mousch. Vous allez y aller, oui !?
          _ Je ne me frotte pas à ça, moi, signala catégoriquement l'un des molosses.
          _ Moi non plus !
          _ Moi de même.
          _ Quoi !? S'étrangla Mousch.
          _ Ecoutez, chef, expliqua un autre des butors. Charger un bataillon d'officier de la marine sous un feu nourri, ok. S'attaquer à la garde rapprochée d'un capitaine pirate pendant que son galion nous pilonne, pas de soucis. Retenir un détenteur des fruits du démon le temps que vous trouviez des contre-mesures, c'est dans nos cordes. Mais franchement. Honnêtement. Il est absolument hors de questions qu'on s'approche de ce... cette... ça : y'a des limites à l'inconscience, hein.
          _ Ouais ! Appuya son voisin. Ces armes-là devraient être interdite par la convention de Jeune Eve. C'est inhumain de nous balancer contre ça. Y'a eu des mutineries pour moins que ça, quand même.
          _ Bref, reprit le butor, on a unanimement décidé d'exercer notre droit de retrait sur ce coup-là. On a des bleusailles à la pelle pour aller jouer la chair à canon, c'est pas notre rôle, à nous.
          _ Nan mais je rêve, s'indigna le Second. Vous n'allez quand même pas me dire que vous avez peur d'une foutue seringue !
          _ Ben... … Si. Pis z'avez vu son regard ?
          _ Mais elle ne peut servir qu'une seule fois grand maximum, explosez-là ensuite ! Signala Mousch.
          _ Ouais, oh, c'est vite dit, hein. T'as qu'à y aller toi, si tu crains pas de te faire piquer par ch'ais-pas-quoi pour attraper je sais pas trop quel truc atroçorrible.
          _ Nan mais regar... »

          La virulente répartie de Mousch se termina sur couinement fort peu viril. Son visage blêmit, ses yeux exorbités semblaient prêt à sortir de leurs orbites, une vague de sueur froide se mit à perler sur son gros visage et ses lèvres se mirent à trembler. Mousch avait peur.
          Mousch était littéralement terrifié.

          « Heu... Je... Hum... » Bredouilla le Second du capitaine Crachin, complètement décomposé et visiblement incapable de reprendre contenance.

          De leurs côtés, les molosses se dandinaient d'un pied sur l'autre, singulièrement mal à l'aise et souhaitant se faire le plus petit possible, à défaut de ne pas pouvoir s'enfuir.

          Luan toisait toujours la cohorte de gardes.

          La situation était immanquablement et inéluctablement grippée.

          Elie se dit qu'il était temps qu'elle reprenne en main la situation. Elle prit une inspiration silencieuse pour rentrer de nouveau dans la peau du capitaine Barbara, fit un pas en avant et...
          Un horrible grondement se fit entendre dans la petite pièce.
          Luan vira au rouge pivoine.

          « Hé bien, tu sais comment ruiner une tension dramatique, toi, fit remarquer Yoshimitsu.
          _ Mais... Heu... C'est-à-dire que... marmonna la médecin affreusement gênée.
          _ C'est vrai que le dernier repas remonte à loin, approuva Khalia. Quand-est-ce qu'on mange ?
          _ Et bien, puisque les finasseries administratives sont terminées, fit Elie, je crois que nous avons le temps de prendre une petite collation. Mousch, faites nous apporter quelque chose de mangeable. Et dites bien à vos coqs que si nous trouvons à redire sur la nourriture, je descendrai en personne m'expliquer avec eux, c'est clair ?
          _ Ou... oui, approuva Mousch, à peine remis du choc qu'il avait subi, en hochant vivement la tête. Tout ce que vous voulez, capitaine Barbara.
          _ Et nous allons nous installer dans vos quartiers.
          _ Hein ?
          _ Je suppose que les plus beaux sont ceux du capitaine Crachin, mais je ne peux décemment pas lorgner dessus, avoua Elie. Donc je réquisitionne les vôtres, qui sont sûrement les seconds plus beaux. Quelque chose à y redire ?
          _ Non, non, pas du tout. C'est tout naturel, je m'apprêtais à vous les proposer moi-même, pour tout vous dire, répondit Mousch avec zêle.
          _ Bien, alors guidez-nous, intima Elie aux butors.
          _ Heu... Et le nabot, on en fait quoi ? Demanda le Second.
          _ T'as pas entendu, tronche de cake !? Je fais partie de son équipage, donc direction le gueuleton.
          _ On veut pas de toi avec nous, t'es trop vilain !
          _ Bah, t'es juste jalouse parce que t'es plus la plus petite du groupe... »

          *
          * *

          Dans la cabine de Mousch, convertie en alcôve de restaurant pour l'occasion, la petite équipe de chevalier de Nowel se faisait littéralement péter la panse. On pouvait redire à beaucoup de chose chez Crachin, mais indubitablement, ses coqs devaient faire partie de la crème des cuisiniers de North Blue.

          « Pfiouu, j'ai vraiment eu peur quand tu as annoncé que tu allais te battre, avoua Elie à sa voisine. Heureusement que ça s'est si bien passé. Mais dis-moi, tu te serais vraiment battue, si les choses avaient mal tourné ?
          _ Allons donc, s'amusa Luan. C'était du bluff. C'est un truc que nous a appris notre responsable de la sécurité, à l'époque du NMSI. En cachant mon visage avec un livre, on ne peut plus déchiffrer mon expression et sonder mes intentions. Ensuite, je choisis quelqu'un, puis je me récite le nom de tous les os de son squelette en essayant de les visualiser sous la chair. Il paraît que ça donne à mon regard une intensité dérangeante, ce qui met mal à l'aise les gens. Enfin, dans un groupe, il y a toujours quelqu'un pour avoir peur des piqûres, il prend peur, ça se communique dans le groupe, hystérie collective, tout ça... Au final, plus personne n'ose s'approcher. Bref, purement et uniquement du bluff. Comme aux échecs.
          _ Mais... on ne bluffe pas aux échecs, s'étonna Elie.
          _ C'est donc que vous n'avez jamais joué aux échecs, rétorqua Yoshimitsu.
          _ Ah, c'était vous le responsable de la sécurité du NMSI ?
          _ Moi, ce qui m'étonne, c'est que l'autre glandu ait pris soudainement peur alors qu'il était bien remonté au départ, fit Kalem. Parce que c'est bien gentil, l'hystérie collective, m'enfin lui, il était seul dans son coin, hein... C'est plutôt bizarre, nan ? Fit le nabot en coulant un regard inquisiteur vers le médecin.
          _ Hum, nan, je ne trouve pas, répondit Yoshimitsu en jouant avec sa nourriture.
          _ Ouais, genre...
          _ Ah, ça fait du bien de rencontrer quelqu'un de si intelligent. Ça me manquait.
          _ Au fait, monsieur Kalem, vous comptez vous joindre aussi à l'Ordre des Chevaliers de Nowel ? Demanda Luan.
          _ C'est à cause de tes cheveux blonds que tu poses des questions aussi connes ? Ch'uis juste là pour la bouffe, moi !
          _ C'est méchant !
          _ C'est surtout mérité, pauv'greluche !
          _ Bon, temporisa Elie. Infiltration réussie, on est maintenant dans l'antre du tigre. Qu'est-ce qu'on fait, maintenant ?
          _ On devrait demander à voir ce Capitaine Crachin, proposa Luan. Si nous avons une franche discussion avec lui, je suis certaine que nous arriverons à le ramener à la raison, non ?
          _ Bwahahaha ! Ch'uis fixé, c'est pas une teinture, toi...
          _ « La bave du crapaud n'atteint pas la blanche colombe »
          _ Tu veux que je te montre jusqu'où je peux postillonner ?
          _ Bof, pas sûr qu'on puisse discuter avec lui, ni que ça serve à quelque chose, répondit Elie. Je pense qu'on devrait essayer de manipuler ses officiers pour mettre la pagaille.
          _ Sauuuuf... Intervint doucement Yoshimitsu. Ma main à couper que Crachin a mis en place toutes les précautions nécessaires pour empêcher les commandos de la marine de foutre le boxon. Nan, Luan a raison, seules les directives de Crachin en personne permettront d'influer positivement la situation. Mais Elie n'a pas tort : il sera imperméable à la raison. Ce qui ne nous laisse guère de marge de manœuvre.
          _ Alors quoi, ronchonna Kalem. Tu comptes embaucher un imitateur ?
          _ Allons, ça, ça serait complètement impossible.
          _ Le termizolphrénol, annonça Luan en déposant un minuscule flacon sur la table.
          _ C'est quoi ? Demanda Elie.
          _ Excellente idée, fit Yoshimitsu en souriant.
          _ Qu'est-ce que c'est ? Redemanda l'actrice.
          _ Aaah. Bien vu, admit presque malgré lui le nain.
          _ Arrêtez de m'ignorer et dites-moi à quoi ça sert !! Tonna Elie en balançant son verre sur le nabot.
          _ Hé ! Faut sortir de ton rôle quand les pirates sont pas dans le coin, tu sais !
          _ C'est un genre d'anesthésiant, expliqua Luan. Lorsqu'on opère, on a le choix entre deux extrêmes : détendre le muscle à l'extrême pour pouvoir le travailler ou, inversement, le contracter fortement pour tirer parti de sa rigidité. Le termizolphrénol est un médium, qui permet de conserver une certaine rigidité mais sans perdre toute la flexibilité des fibres.
          _ J'ai rien compris, mais je m'en fiche, fit Elie. Ça va nous servir à quoi dans notre cas précis ?
          _ Allons, Elie, réfléchissez un peu, c'est pourtant simple, s'amusa Yoshimitsu.
          _ Je vous trouve très désobligeant, là.
          _ Ah, vraiment ? Kalem ?
          _ Laisse tomber, pauv'tarte, t'es tellement conne que tu pigeras pas même si on te bourre le crâne de force avec l'explication.
          _ D'accord, je retire ce que j'ai dit. Non, vraiment, je ne vois pas. Je ne suis pas médecin, moi, je vous signale.
          _ C'est vrai, excusez-nous, admit Luan. Les escargophones sont capables de reproduire les voix de ceux qui les utilisent. Pour cela, ils modulent à volonté leur gorge pour modifier de façon adéquate leur propre voix. Subséquemment, en utilisant le termizolphrénol, on peut empêcher un escargophone de modifier sa voix pour adopter celle d'un nouvel interlocuteur, sans pour autant bloquer sa gorge et donc l'empêcher de parler.
          _ Je vois ! Comprit aussitôt Elie. Si on parvient à dégotter un escargophone qui a reproduit la voix du capitaine Crachin, alors on pourra piquouzer l'animal pour qu'il continue à émettre avec la voix de Crachin même si c'est quelqu'un d'autre qui parle dans le combiné. Donc on pourra l'utiliser comme imitateur pour utiliser leur propre réseau de communication pour brouiller les ordres qu'il a donné à ses troupes dans les autres villes !
          _ Exact, fit Yoshimitsu. Il est évident que Crachin a paré à toute intervention extérieure de la marine sur son réseau de communication. La moindre anicroche 'technologique' doit conditionner une réponse violente de la part de ses ouailles, car elle serait le signe d'une intervention de la marine. La marine pourrait pirater ses communications, parvenir à capter sa voix et lancer des ordres contradictoires sur son réseau. Mais il faudrait que la marine le fasse depuis l'extérieur du réseau, ce qui serait aisément détectable. Nous, nous sommes sur place : une fois sa voix piratée, nous pouvons utiliser son QG de communication lui-même pour agir. Et là, rien ne peut permettre de démasquer la supercherie, tant que nous ne nous faisons pas prendre la main dans le sac.
          _ C'est bien joli, ça, rétorqua le nain, mais comment tu lui pirate la voix ? Tu t'attends à ce qu'il nous passe un coup de fil ?
          _ Nous sommes sur son bateau, répondit tranquillement Yoshimitsu.
          _ Ouais, et ?
          _ J'y suis, fit Elie. Si nous amenons un escargophone à portée de voix de Crachin et qu'il transmet à un escargophone que nous aurions sous la main, nous pourrions piquouzer cet escargophone et le piratage serait fait.
          _ Le problème, c'est qu'il faut nous procurer ces escargophones, nota Luan.
          _ ça, c'est comme accéder au QG de communication, balaya Elie. Avec notre couverture, ça sera facile. Le plus dur, ça sera d'approcher Crachin à portée de voix.
          _ Si seulement on avait un petit gabarit capable de se faufiler partout... » Conclut Yoshimitsu, tout sourire.

          Tous les regards se posèrent sur la petite Khalia, concentré sur l'engloutissement de son dessert.

          « Hé ! Ch'uis pas d'accord, ch'uis plus petit qu'elle, d'abord !
          _ Pas moyen, t'es trop bruyant. »

          *
          * *

          « J'ai dit que je ne voulais pas être dérangé ! » Tonna Crachin.

          Debout, dans son dos, Mousch se tenait au garde-à-vous, l'air très malheureux. Lui non plus, ne tenait pas à déranger son Capitaine. Pas en ce moment. Mais là, il avait peut-être à faire à un cas de force majeur.

          Aussi se mit-il en devoir de tout expliquer à son Capitaine, sans omettre le moindre détail. Il regrettait de ne pas pouvoir voir le visage de son chef. Apercevoir ses expressions lui aurait permis de savoir où il mettait les pieds. Tout plutôt que dossier de siège immobile, ce néant absolu, qui le terrifiait depuis que le capitaine Crachin avait commencé à mener son opération.

          « Et tu crois à son histoire ? Demanda le Capitaine.
          _ Hé bien... Je crois bien, oui. À première vue, cette Barbara a l'air un peu déluré, mais... Ecoute, j'ai vu, de mes yeux vu, la frêle demoiselle qui l'accompagne stopper seule l'une de nos meilleures escouades d'élite. Je n'y aurai pas cru, mais quand j'ai croisé le regard de son espèce de majordome, second, ou je ne sais quoi, ce Yoshimitsu... Son regard. Il... Il...
          _ Il quoi ? »

          Il était aussi flippant que le tien ces derniers temps ajouta in petto Mousch. Mais évidemment, ça n'était pas le genre de chose qu'il pouvait dire à son capitaine.

          « Ce n'est pas le regard d'un petit joueur, clairement pas, finit par expliquer le Second. Et ils sont intervenus pour ne pas laisser la gamine passer à l'action, prédisant un bain de sang. Bon sang, si elle a des types de cet acabit sous ses ordres, je n'ose même pas imaginer quelles sortes de monstre elle est. Elle ou la gamine qui les accompagne.
          _ Je vois. Intéressant.
          _ Heu... Tu penses que son histoire est vraie, capitaine ? » Demanda le Second.
            Bartimeus Mousch n’avait peut-être pas assez de certitudes sur la force de l’équipage de Barbara pour l’attaquer de front, il restait quand même le second du Capitaine Crachin. Et le second du Capitaine Crachin se devait de surveiller de près l’ensemble des personnes suspectes ayant affaire de près ou de loin avec ledit Capitaine. Et pour être suspects, ceux-là l’étaient. Il y avait quelque chose de grandiose et de terrifiant en eux et en même temps, il y avait une foule de détails qui ne collaient pas. Qui était cet Elie, dont le nain parlait tout le temps ? Qui était ce nain d’ailleurs ? Il ne pouvait pas être un membre de l’équipage de la Pirate, mais il en connaissait assez sur elle pour qu’elle tente de l’empêcher de parler.

            Bref, M. Mousch n’avait pas hésité longtemps avant de leur coller quelques espions sur les bras. Et pas n’importe quels espions, du racé, du terrible, l’élite suprême de ses hommes, le quatuor infernal, des hommes rompus depuis des années aux meilleures techniques d’infiltration et de surveillance, qui plus est, des fripouilles, des rebuts de la société, des animaux sans pitié qui tueraient à la moindre incartade. Il les avait donc convoqués ce matin, tous les quatre, pour les briefer un peu sur ce qu’il savait du groupe de Barbara.

            Il regarda la jeune femme qui lui faisait face, encadrée de ses trois acolytes. Grenadine était le cerveau du groupe, malgré son apparence plutôt juvénile, elle dépassait désormais le quart de siècle et en avait dans la caboche. C’était elle qui avait recruté les trois autres, les avait formés, avait utilisé au mieux leurs talents naturels. C’était elle qui, sautant sur la première occasion, avait décidé de rejoindre l’équipage de Crachin, elle qui avait fait en sorte que son équipe fasse partie de l’élite du pirate, elle qui avait réussi à maintenir le « quatuor » dans les bonnes grâces des gradés, notamment, de monsieur Mousch qui faisait quasi systématiquement appel à eux en cas de problèmes.

            À ses côtés, un brun aux yeux marrons, de taille moyenne, qui passait relativement inaperçu, surtout que ses compagnons attiraient les regards bien plus facilement que lui. Quel est l’intérêt de s’arrêter sur un homme entre deux âges dont le physique n’avait rien d’exceptionnel, alors qu’à côté se dandine une jeunette à croquer, aux joues rouges et au physique particulièrement avenant. Bref, c’était le genre de gars qu’on oubliait dans les deux secondes après l’avoir croisé. D’ailleurs, impossible de me souvenir de son nom, quel mauvais narrateur je fais…

            Perché sur l’épaule de Monsieur personne-ne-se-souvient-de-moi, se tenait le troisième luron. Papa Gouaille le perroquet était un animal bien bavard qui, bien que ne prononçant que des phrases déjà entendues auparavant, faisait travailler ses maxillaires. Doté d’une mémoire phénoménale, en ce qui concerne l’audible, il était entraîné à conserver en tête tout ce qu’il avait entendu dans la journée pour pouvoir le répéter plus tard. Ainsi, même s’il ne comprenait mot de ce qu’il entendait, il abattait un travail très efficace, et redoutable. Car personne de sensé ne croirait être espionné par un piaf, qui plus est, à l’air aussi décati et abruti que celui-là.

            Le dernier phénomène de foire, et sans doute le plus intéressant, avait pour patronyme Plah Jya. C’était un animal extrêmement intelligent, contrairement à son collègue volatile. Pas du niveau de Grenadine, mais suffisamment pour qu’on puisse discuter avec lui presque normalement. Enfin discuter… C’était un caméléon espion, rompu aux techniques de surveillance depuis tout petit –Il était resté petit cela dit, mais nous parlons d’une échelle d’âge… Je m’égare…. Grenadine l’avait formé, lui avait appris à communiquer, et c’en était devenu un élément très utile de leur équipe.

            « Bon, et bien, j’imagine que vous avez bien compris à qui vous avez affaire, conclut Mousch après leur avoir fait son petit récapitulatif.
            -Boh, vous savez, nous on fait notre travail, que le suspect soit dangereux ou pas, pour le moment ce n’est que de l’espionnage, n’est-ce pas les gars ? Demanda Grenadine à ses hommes. Vous êtes d’accord ?
            -Mmmh, acquiesça l’homme-dont-on-ne-se-souvient-plus-du-nom.
            -D’AACcOOrrrrrD ! DDD’ACCoorRdD ! Caqueta Papa Gouaille. »

            Elle jeta un œil en direction du gros lézard. Son front avait changé de couleur, passant du vert original à des inscriptions noires sur fond blanc où l’on pouvait clairement lire : « OK ». En plus petit s’inscrivit un commentaire acerbe à l’attention du gros lieutenant, mais celui-ci n’eut guère le temps de le lire, le caméléon avait d’ores et déjà disparu, laissant ses acolytes régler les derniers détails. Se cachant habilement grâce à ses capacités de transformiste, il se déplaça jusqu’à la cabine qu’occupaient les soi-disant pirates.

            ***

            Yoshimitsu se doutait qu’on ne les laisserait pas tranquilles longtemps. Il n’était encore sûr de rien, mais étant donné la bourde du nain, même si Mousch avait cédé à leurs prérogatives, il reviendrait vérifier ses soupçons, d’une manière ou d’une autre. S’il ne le faisait pas, alors il ne méritait absolument pas son poste de lieutenant du pirate.

            Le médecin regarda une énième fois le pont du navire, au cas où, cette fois-ci, il pourrait apercevoir quoi que ce soit de louche. Rien. Juste des pirates qui s’activaient à droite à gauche, obéissant aux directives de leurs supérieurs. Toujours aux aguets, zyeutant les mouvements des navires Marines visibles, pour ne pas se faire surprendre. C’était fichtrement bien organisé tout ça. Heureusement pour eux d’ailleurs, sinon, l’invasion n’aurait pas fait long feu.

            « Yoshimitsu, viens par ici, ça pourrait être sympa que tu nous aides, fit leur pseudo-capitaine.
            -Ouaip, ça serait pas mal que tu les aides, ricana le nain qui se curait le nez, allongé dans un hamac…
            -J’arrive.
            -Et toi aussi Kalem, grogna la comédienne à l’attention du nain.
            -Hors de question, je ne fais pas partie de votre équipage, moi j’me tourne les pouces en attendant de voir comment tout ça se passe, hinhin.
            -Ne t’inquiètes pas Elie, il va bien finir par venir nous aider, dit Luan avec optimisme. »

            La cabine de Mousch était plutôt spacieuse, plutôt agréable à vivre. Le nain s’était d’ailleurs acclimaté assez rapidement avec la pièce et prenait ses aises pendant que les autres s’activaient à mettre en place leurs magouilles. Enfin, au royaume des truands, on ne peut presque plus qualifier ça de magouilles. Surtout lorsque les magouilleurs en question étaient doux comme des agneaux.

            « Bon, qui va chercher les Dendens ? Demanda Elie.
            -Bouges ton cul !
            -Vous pourriez parler plus gentiment, monsieur Kalem. Elie faisait juste montre d’une très bonne organisation, expliqua calmement Luan au nain qui avait l’air de n’en avoir rien à faire.
            -On peut sans doute y aller à plusieurs, proposa Yoshimitsu. On se sépare, en faisant semblant de rien et chacun tente de ramener un escargophone.
            -Si on en ramène tous, on risque de trouver ça suspect, mieux vaut partir en quête d’objets différents. Des outils qui pourraient paraitre utiles à une bande de pirates alliée à une autre.
            -Effectivement, Elie a raison, approuva la médecin.
            -Franchement incapable de penser par elle-même, celle-là, toujours à lécher les bottes des autres…
            -Vous êtes désobligeant.
            -Sans blagues ?
            -Bon, du coup, Yoshimitsu ira chercher les Dendens, Kahlia des plans de l’île, auprès de Mousch si tu veux, Luan et Kalem si vous n’avez pas ce qu’il faut pour paralyser l’escargot, allez en chercher, sinon, dégottez tout ce que vous pourrez trouver d’utile comme ingrédients qu’il vous manque. Moi, je vais essayer d’en savoir un peu plus sur les manœuvres de Crachin.
            -Je ramène combien de cartes ? Demanda la petite.
            -Pas question que je parte avec la blondasse moi, et d’ailleurs pas question que je parte tout court, je suis très bien ici ! J’aime pas du tout quand tu fais preuve d’autorité Elie…
            -Autant que Mousch t’en donneras ma chérie, et toi, tu obéis sans faire d’histoires !
            -Sinon, j’aurais la fessée ?
            -Bon, allons-y, sinon, on va mettre des heures, lança Yoshimitsu en jetant un regard amusé au nain. »

            Elie sortit la première, suivie de près par la petite Kahlia. Luan attendit que le nain se décide à avancer, sous le regard menaçant de la comédienne, avant de lui emboiter le pas. Le psychologue fermait la marche, puis la porte et tous furent dehors, vaquant à leurs objectifs respectifs.

            ***

            La petite partit donc sur le navire, en quête du gros monsieur Mousch. Son objectif était clair, trouver des cartes de l’île. Luan et Elie l’avaient suffisamment briefée sur tous les mots et les expressions qu’elle avait le droit, ou pas, d’employer, qu’elle saurait sans doute ne pas faire de gaffe. Elle ne fit pas un effort pour être discrète, conformément à ce qu’on lui avait dit. Si on la trouvait à fouiner en se cachant, on trouverait ça suspect ; gambader en chantant serait amusant, dérangeant, agaçant, enfin, tout sauf étrange de sa part.

            Elle parcourut donc le navire, quasi de fond en comble. Le gros lieutenant n’avait pas l’air présent, et lorsqu’elle demandait à l’un ou l’autre des pirates à bord du navire, sa question se soldait par un « il travaille petite » ou « si tu n’le trouve pas, c’est qu’il est pas là ! ».

            Bien entendu, au bout d’un certain temps, la petite perdit patience et s’assit à même le sol, trouvant fort intéressant de se coller en plein milieu du passage pour regarder les pirates qui déambulaient et l’évitaient à la dernière minute, se rendant compte qu’une mioche atteignant au plus la dizaine se trouvait pile à l’endroit où ils voulaient poser leurs panards.

            C’est alors que, apparaissant un tout petit peu au-dessus du sol, la petite Kahlia vit une flèche rouge. Elle ne se fit pas prier. Elle se releva rapidement, et suivit le chemin que lui indiquait la flèche. Celle-ci finir par disparaître pour qu’une autre dirige la petite un peu plus loin, et ainsi de suite jusqu’à ce que Kahlia tombe nez-à-genoux avec l’imposant lieutenant qu’elle cherchait. Elle leva les yeux, fixa ceux de Mousch, qui lui, regardait sur quoi il avait bien pu foncer, et demanda tout sourire :

            « Monsieur Louche, tu as des cartes de l’île à me donner ? »

            ***

            Kalem et Luan avaient rapidement trouvé ce qu’ils cherchaient. En même temps, ils y étaient allés franco et avaient demandé où ils pourraient trouver la section pharmacie du navire. Et on leur avait tout de suite répondu. La jeune femme avait eu beaucoup de succès auprès de la première personne rencontrée ce qui leur avait permis de découvrir beaucoup de choses au sujet des produits présents sur le navire. Ils auraient pu avoir encore plus d’informations, mais le nain avait, à ce moment-là, décidé de l’ouvrir. Le pirate qui ne l’avait pas remarqué avant, avait sursauté et était parti presque immédiatement.

            « Bah, de toutes façons il avait un nombre de neurones inférieur au tien, autant dire, très très peu.
            -On aurait pu en savoir plus, quand même. Il était bien parti pour nous indiquer où et comment nous procurer un peu de tout ce qui pourrait nous servir.
            -Bah, je sais comment me procurer tout ce dont j’ai besoin, pas besoin d’un débile qui s’amourache de la première blondasse venue. Et puis, entre ici et son entrepôt au centre-ville, on a de quoi faire plein de réserves et chopper toutes les molécules qu’il nous faut.
            -J’aurais bien aimé être au courant de la politique de santé du capitaine Crachin.
            -Je te le fais pas en mille, niet. Il va pas s’amuser à soigner les populations ! Et on ferait bien de faire pareil, mieux vaut gagner des millions en leur vendant des pastilles à la menthe !
            -C’est une conception de la médecine qui m’écœure…
            -Tu ne vas pas vomir tes tripes parce que je vends des bonbons aux pauv’ atrophiés du bulbe rachidien… »

            Le rusé Papa Gouaille écoutait d’une oreille attentive toute la conversation. Planqué à l’extérieur de la pharmacie de bord, il captait absolument tout ce que disait Kalem. La fenêtre était entrouverte et celui-ci braillait. Comme pour compenser un manque que la nature aurait oublié de lui donner. Il entendait aussi des bribes de paroles de la jeune femme. Bientôt, il rapporterait mot pour mot les bavardages des deux camarades. Sans en avoir compris le sens, bien entendu. Son boulot était de rapporter, pas de saisir les propos.

            ***

            Yoshimitsu avait presque tout de suite remarqué qu’on le suivait. En même temps, il s’y attendait. Il avait essayé de repérer discrètement l’espion, mais sans succès. À chaque fois, il se demandait laquelle des personnes présentes pouvait bien le surveiller. Pas grave, il saurait faire sans. C’était un exercice difficile. Faire en sorte de cacher ses faits et gestes à quelqu’un, sans savoir qui ça pouvait bien être.

            Toujours était-il que le navire était immense, et pas moyen de trouver un entrepôt digne de ce nom. Il ne voulait pas attirer l’attention des autres pirates, déjà qu’il en avait un sur les talons, donc pas question de demander son chemin, tout ce qui lui restait à faire, c’était de se promener sur le pont, jusqu’à trouver son bonheur. Peut-être aurait-il plus de chances en ville ? Sans doute, mais était-ce bien une bonne idée ? Avec le gusse qui lui collait aux basques ? Il fallait qu’il trouve une raison de quitter le navire.

            Et il la trouva bien assez tôt. Une jolie petite idée, bien sympathique, aux joues rouges et aux cheveux d’or, une petite perle pour certains. Il se demandait d’ailleurs ce qu’elle faisait là. La demoiselle pouvait bien avoir l’âge d’Elie, guère plus songea-t-il. Et elle se promenait, comme ça au milieu des pirates… À moins que… Une raison supplémentaire pour la suivre venait de germer dans l’esprit du médecin. Il se précipita donc à sa suite, sortant du navire et s’enfonçant dans les ruelles, guettant sa proie. Prendre en filature quelqu’un alors qu’on était soi-même suivi, l’idée était amusante.

            ***

            En sortant de la cabine de Mousch, Elie avait automatiquement rendossé son rôle de pirate. Elle n’avait d’ailleurs plus aucun problème à le faire. L’autorité de la pirate déteignait sur Elie, qui prenait de plus en plus de décisions au sein du petit groupe. Il était normal que ce soit elle qui se renseigne des plans tactiques de Crachin, mais moins qu’elle dise à tout le monde ce qu’eux devaient faire. Ils avaient obtempéré sans broncher. Sauf le nain, mais il ne pouvait pas faire quoi que ce soit sans rechigner.

            Elle réfléchit donc en marchant. Fière, droite, elle sait ce qu’elle veut. Ou du moins, c’est ce qu’elle laisse paraître. En toute occasion, rester plongée dans le personnage, ne pas penser à autre chose que ce que Barbara, l’incroyable Barbara, pourrait se dire. Et en ce moment, ladite pirate cherche à agir. Trouver les quelques hommes qui s’occupent de surveiller la flotte Marine qui s’amasse à quelques milles des côtes. Le plus efficace aurait été de prendre les informations à la source, mais Bartimeus Mousch ne lui faisait pas confiance, tandis que ses sous-fifres n’avaient certainement aucune raison de ne pas se fier à la femme qui occupait la cabine de leur lieutenant. Elle en tirerait sans doute quelque chose.

            Repérer les hauts gradés n’avait, en soi, rien de bien difficile. Il suffisait de chercher les personnes qui ne faisaient rien. Ou du moins, avaient l’air de se la couler douce. Et c’était sur le pont supérieur qu’elle repéra les deux premiers. En train de discuter, très concentrés sur leur conversation. Tellement concentrés que lorsqu’elle toussota pour les prévenir de sa présence, ils sursautèrent tous deux.

            « Madame Barbara, on nous a prévenu de votre présence à bord, mais nous pensions que vous seriez à la table du Capt’ain, ou au moins en compagnie du lieutenant.
            -Non, je n’ai pas encore eu le loisir de rencontrer le Capitaine et le lieutenant avait affaire ailleurs. Mais je voulais me rendre compte au plus vite de l’ampleur de la situation. On m’a juste demandé de venir en aide sur Panpeeter, mais maintenant que je suis venue, j’aimerais avoir de plus amples informations. »

            Les deux gars ne se firent pas prier. Et commencèrent par lui parler de l’origine du conflit. La seule chose qu’elle trouva vraiment à retenir était la présence d’un fruit du démon dans l’affaire. Plus de fruit du démon, plus de problèmes, non ? Ah, et c’était le Marine en face qui était en sa possession. Plutôt une bonne nouvelle, elle n’osait imaginer les ravages que pourrait faire le pirate s’il mettait la main dessus.

            Elle discuta encore pendant dix bonnes minutes avec les deux hommes, puis, décidant qu’elle en avait assez entendu, elle prit le chemin de la cabine. Avant qu’elle n’ait pu l’atteindre, quelqu’un sur le port attira son regard. Elle fit demi-tour, descendit du navire et suivit l’homme, persuadée qu’elle l’avait déjà vu quelque part.

            Grenadine qui épiait ses faits et gestes depuis qu’elle était sortie de la cabine descendit à son tour du navire, intriguée par le soudain changement de direction pris par la Capitaine Pirate. Un autre homme, lui-même espionné suivit la jeune fille. Ce qui faisait quand même une sacrée procession de personnes.
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            Petrus regardait le plafond de sa chambre, allongé sur ce qui lui servait de lit, une espèce de matelas plus proche d'une dalle de pierre que de vraie literie, recouvert d'une couverture usée jusqu'à la corde, et qui grattait horriblement, en plus.

            Qu'importait.

            Les mains derrière la tête, il réflechissait. A travers le mur trop fin qui isolait à peu près autant que de la gaze, il entendait distinctement Eipode et Hanahebi se disputer, le premier enchainant ses arguments comme s'il plantait des clous ou tabassait quelqu'un, sans relâche, le second lui répondant toujours justement, d'un ton égal, avec une pointe de moquerie.

            Qu'importait.

            A travers la fenêtre, il vit le temps se couvrir petit à petit, avant qu'une pluie triste se mette à tomber. Des gouttes lui tombèrent alors sur le visage. En fronçant les sourcils, il identifia le trou dans le plafond, placé tout juste au-dessus de sa tête.

            Qu'importait.

            Petrus se redressa en contractant ses abdominaux. Des années d'entrainement le rendaient plutôt satisfait de lui-même de ce point de vue. Sitôt qu'il s'était relevé, la pluie se mit à tomber sur son oreiller. Avec un soupir, il plaça la touche finale à son plan, et tapa trois coups rapides contre le mur.
            Alors qu'il se dirigeait vers le salon, il fut rejoint par ses deux compères, qui avaient arrêté d'ergoter. De toute façon, ils ne faisaient ça que pour passer le temps.
            Arrivé dans le salon, qui était plutôt la pièce à vivre de la maison relativement miteuse, il vit que l'homme qu'il cherchait était absent, mais des sons assourdis venaient de l'extérieur. S'engouffrant sans hésiter par la porte, il fit le tour de l'endroit qui lui servait de QG et se dirigea vers la forêt. A une cinquantaine de mètres, un inconnu était en train de couper des bûches, fermement campé au sol. Sa chemise à carreaux rouges ne cachait pas tellement le roulement des muscles, mais c'était probablement dû au fait qu'elle était usée jusqu'à la corde et qu'elle avait rapetissé au lavage, même s'il était peu fréquent.

            « - Holà, Paul !
            - Ca va bien, les aminches ? Vous êtes rentrés tard hier, nan ?
            - Oui, nous explorions la zone. Ils devraient bientôt arriver, n'est-ce pas ?
            - Aye, devraient plus tarder. Allez, on va s'rentrer, commence à flotter. »
            Quelques enjambées plus tard, la bouilloire était sur le poêle, et des inconnus commençaient à s'approcher de la maison isolée dans la forêt en sifflotant chacun un air différent, mais loin d'être anodin : une personne ne sifflant pas son air serait considérée comme un intrus et neutralisée le plus vite possible.
            Parmi les six invités, on retrouvait des hommes de tous âges et de toutes morphologies, certains barbus, certains rougeauds, certains les deux, d'autres aucuns. Tous s'assirent dans le salon, observant les trois étrangers avec des visages impassibles, méfiants ou évaluateurs.
            « - Messieurs, bonsoir. Vous savez tous pourquoi nous sommes réunis ici.
            - Ouais.
            - Ah bin nan, moi j'suis pas au courant, on m'a juste dit que c'était important.
            - Bon, je m'appelle Petrus, voilà Hanahebi et Eipode. Nous sommes là pour libérer l'île de l'oppression pirate. Mais pour cela, nous sommes convaincus que nous avons besoin de l'aide de ses habitants, parce qu'à seulement trois, c'est purement et simplement impossible de détruire toute l'infrastructure que les pirates ont mis en place.
            - Parce que vous gagneriez un combat contre le capitaine Crachin ?
            - Bien sûr, assura Hanahebi avec un sourire confiant.
            - Ecoutez, vous êtes des chasseurs de prime, on va supposer que vous savez ce que vous faites, même si nous n'avons jamais entendu parler de vous. Dans tous les cas, nous ne pouvons pas nous battre contre des pirates entrainés à piller et tuer sur les mers. Nous sommes des paysans, des bûcherons, des artisans, mais certainement pas des guerriers, des soldats, des combattants.
            - Ceux-là ont tous été emprisonnés quand l'île a été prise. Ou tués, on ne sait pas trop.
            - Justement, reprit Petrus. Il nous faudrait davantage d'informations sur nos ennemis. Nous avons maintenant une bonne information de la topologie et la géographie de l'île. Je ne vous demande absolument pas de faire une bataille rangée, je sais bien que c'est impossible. De simples actions de guérilla en utilisant la nature pour se mettre à couvert pourraient fragiliser les pirates en prévision de notre attaque sur Crachin et le reste de son état-major. »

            Petrus continua de poser ses arguments, soutenu par Hanahebi et Eipode. Malheureusement, il sentait bien que ses interlocuteurs n'étaient pas très réceptifs.
            « - J'ai comme l'impression que vous ne nous faites pas confiance, coupa-t-il. »
            Après un silence, celui qui s'était imposé comme le meneur, un certain Clocher, répondit :
            « - Effectivement, il y a de ça. Nous n'avons jamais entendu parler de vous, ce qui est problématique pour des chasseurs de primes. Même si nous sommes dans l'arrière-pays d'une simple île, cela nous fait douter de vos compétences. Alors que le capitaine Crachin, lui, il était déjà bien connu auparavant. Comme nous disions précédemment, nous ne sommes pas des combattants, nous ne pouvons pas nous battre contre les pirates. Votre idée de guérilla à l'aveugle est bien trop dangereuse. Personnellement, je pense conseiller à mes collègues de vous ignorer et de vous laisser chasser vos primes entre vous. »
            Des grognements d'assentiment retentirent.
            « - Je vois, donc si nous faisions quelque chose qui montrerait que nous sommes dignes de votre confiance, votre position serait amenée à évoluer ?
            - Ptet ben qu'oui, ptet ben qu'non. Ca reste dangereux, je serais partisan de laisser la Marine et le Gouvernement Mondial régler le problème.
            - Je comprends. Nous comprenons, se reprit Petrus, le visage figé. Nous allons de ce pas vous montrer ce que nous savons faire pour vous convaincre de sauver votre propre île.
            - Dites, étranger, si vous le prenez sur ce ton, j'm'en vais vous dire vos quatre vérités : c'est notre île, que vous vouliez la sauver ou non, ça ne regarde que vous, et c'est pas parce que vous recherchez la gloire chez nous qu'on va se prosterner à vos pieds, capiche ?
            - Oui, oui, pardon, je me suis emporté... Bien, je pense que nous pouvons nous arrêter là. Mes compagnons et moi-même devons nous préparer pour cette nuit. Bonne soirée. »

            Sur ce, Petrus se leva et sortit de la pièce d'un pas raide, ses collègues lui emboîtant le pas après un court instant. Il se dirigea droit vers sa chambre, notant au passage que pendant la discussion la pluie s'était calmée, mais que des nuages qu'il qualifierait de menaçants couvraient toujours le ciel. Le crépuscule était passé, et la lune ne devrait pas tarder à se montrer, si tant est que les nuages lui en laissent l'occasion.
            « - On va casser du pirate ? Demanda Eipode.
            - Oui, répondit Petrus.
            - Enfin, faudra pas trop le casser, sinon il pourra plus nous raconter une histoire, ajouta Hanahebi. »

            Voyant que Petrus continuait à s'armer sans desserrer les dents, ils partirent dans l'autre chambre en se chamaillant, pour eux aussi prendre leurs armes et mettre leurs protections. Hanahebi pouffa de rire en voyant son camarade mettre un casque à l'aspect désopilant à magnifique motif floral. Bon, au moins, les fleurs étaient noires, même si on voyait d'ici qu'elles avaient été repeintes à l'arrache avec quelque chose qui, à l'odeur et à l'aspect, n'était pas sans rappeler de l'encre de poulpe.
            « - T'as un problème ?
            - Je n'ai pas dit un mot.
            - C'est mon casque qui te fait rire.
            - J'ai pas dit un mot.
            - Si t'as un problème avec mon casque, dis-le, vas-y, dit Eipode en le mettant au défi. Mais Hanahebi avait appris à ne pas chercher d'ennuis avec la mère d'Eipode, à laquelle il portait beaucoup d'affection.
            - J'repensais à la tête de Petrus quand il s'est fait rebuter. On aurait cru qu'il venait de marcher dans un étron, se rétablit la farceur.
            - Hahaha, ouais. Eipode décida d'oublier ses doutes et gloussa.
            - Dites, les deux débiles, j'vous signale que j'vous entends, alors magnez-vous l'fion ! Gueula Petrus à travers le mur.
            - Capiche ! Rétorqua Hanahebi, faisait directement référence à la rebuffade envoyée par Clocher juste avant, alors que les gloussements d'Eipode se transformaient en petit rire. »

            Une fois tous équipés, les trois chasseurs de primes sortirent de la maison et se dirigèrent droit dans la forêt. Les multiples reconnaissances déjà effectuées leur permettaient de se déplacer en toute certitude. Leur objectif était de trouver un pirate, et de le capturer pour lui arracher le plus d'informations possibles. Bien sûr, il ne s'agissait que d'un moyen, pour eux, de frapper ensuite plus fort. Un grand coup pour impressionner ces putains de bouseux et les encourager à se bouger le derche un de ces quatres.
            Les trois se mouvaient souplement et rapidement dans les ombres, étant extraordinairement discrets dans la forêt, malgré le fait qu'aucun d'eux ne soit véritablement un campagnard à proprement parler. Leur entrainement leur permettant de percevoir leur environnement et donc de se déplacer silencieusement, excepté un craquement occasionnel.

            Ils arrivèrent enfin à un poste de garde, une vieille cabane de berger reconvertie pour une équipe du capitaine Crachin. D'après leurs observations, il ne devrait pas y avoir plus de deux pirates à surveiller le secteur. Qui plus est, ils passaient la majeure partie de la nuit sur place, près du feu de camp qui contribuait à les aveugler. Sur un signe de main preste de Petrus, qui assumait le rôle de chef, ils s'écartèrent tout en restant à l'abri de l'obscurité fournie gracieusement par le couvert des arbres.
            La lueur tremblotante du feu était visible à travers les interstices des planches en bois de la cabane. Tout semblait calme. A cette heure-ci, les pirates étaient généralement en train de somnoler à l'intérieur. Sur un autre signe, ils se dirigèrent furtivement vers leur cible, pliés en deux. Ils ne s'arrêtèrent qu'une fraction de seconde avant qu'Eipode ne fracasse la porte d'un coup de pied.
            Petrus s'engouffra dans l'ouverture ainsi créée, lançant dérechef un couteau de lancer droit dans la gorge d'un des deux pirates, le clouant à la paroi aussi sec. L'autre tenta de dégainer son mousquet mais un autre couteau lui érafla la main, lui arrachant un petit cri involontaire, tandis que Hanahebi l'immobilisait d'une prise à la carotide.

            Petrus et Hanahebi reprirent leur souffle tranquillement, laissant la brusque montée d'adrénaline retomber, tout en regardant autour d'eux. Un petit brasero, un peu de paille moisie par terre et un tabouret branlant formaient tout le mobilier du poste de garde. Pendant ce temps, le pirate maintenant captif retenait sa respiration et sa vessie, cherchant à deviner le sort qui l'attendait.
            Eipode rentra enfin à l'intérieur après avoir jeté un dernier regard inquisiteur à l'extérieur, et renversa le brasero d'un coup de pied. Les charbons se renversèrent devant le pirate et certains atterrirent dans la paille, sans effet particulier.

            « - Tu vois, on adore les histoires. Donc on se disait que tu pourrais ptet nous en raconter une, entama Petrus. Devant l'absence de réponse, il reprit :
            - L'histoire qu'on voudrait entendre, c'est ''quels sont les plans du capitaine Crachin, la répartition de ses troupes et la qualité de son infrastructure''. Tu la connais ?
            - Jamais entendu parler.
            - Pourquoi faut-il toujours que ça soit compliqué... »

            Une heure plus tard, Petrus faisait une petite pause dehors, et tentait de calmer les battements effrénés de son cœur et les soulèvements spasmodiques de son estomac, tandis qu'à l'intérieur retentissait le rire moqueur de Hanahebi et la respiration lourde d'Eipode. Le chef fit une grimace. Heureusement, cette pause impromptue lui permit d'entendre, à l'aide de son ouïe affûtée, le léger tintement du métal, le froissement des feuilles piétinées et le craquement du cuir. La lueur de deux torches au loin fut l'élément final. Il fit immédiatement signe aux deux chasseurs à l'intérieur de faire silence.
            Voyant son brusque changement d'attitude, ils se turent immédiatement, et Hanahebi trancha aussi sec la gorge du pirate avant qu'il puisse relâcher l'oxygène qu'il venait d'aspirer dans un cri d'alerte. Du coup, l'air sortit dans un chuintement mêlé de sang et éclaboussa un peu partout. Sans y prêter la moindre attention, les trois chasseurs s'écartèrent de la cabane pliés en deux, comme ils y étaient entrés, et allèrent se placer silencieusement sous le couvert des arbres, à l'opposée des bruits de marche.

            A peine quelques secondes plus tard, les pirates arrivèrent à la cabane de berger et découvrirent, surpris, les deux cadavres, dont l'un tout frais. Leur chef ordonna immédiatement l'établissement d'un périmètre de sécurité et examina les traces au sol.
            « - On les pourchasse, chef, ceux qu'ont fait ça ?
            - Sert à rien, s'ils veulent, seront déjà loin. On va aller relever l'autre unité dans le hameau, comme prévu, et on leur demandera de passer le message à leur arrivée en ville. On peut pas envoyer quelqu'un tout seul, trop de risque qu'il se fasse couper la gorge. On décarre, les enfants ! »

            Les chasseurs de primes comptèrent soigneusement les pirates, arrivant au nombre de dix, un peu dur à trois, même avec l'avantage de la surprise. En plus, ce que le chef avait dit les intriguait. Eux à qui il fallait un acte héroïque pour exciter la populace cherchaient justement une occasion du genre. S'ils parvenaient à éliminer une vingtaine de combattants à eux tout seuls, cela ferait sûrement l'affaire.
            Ils leur emboîtèrent donc furtivement le pas, à distance convenable, ne doutant pas un seul instant de ne pas se faire détecter, grâce à leur discrétion.

            Après un certain temps de marche, ils virent les pirates s'arrêter en bordure du hameau qu'ils avaient évoqué précédemment, attentifs au moindre événement sortant de l'ordinaire. Brusquement, Hanahebi tapa sur l'épaule de Petrus en faisant un huit avec les mains. Ce dernier mit un moment à comprendre, mais cela le frappa soudainement, alors il se figea. Ce n'est qu'à ce moment-là qu'il perçut les présences derrière lui, les petits poils de sa nuque se dressant instantannément.
            Cinq minutes plus tard, après avoir été mis en joue et pris en tenaille, ils étaient ligotés et délestés de leurs armes, tandis que neuf pirates en colère se préparaient à les exécuter sauvagement. Leur chef prit la parole.
            « - Tiens tiens tiens, qu'avons-nous là ? Alors comme ça les civils de l'île ont décidé de se battre ?
            - On est des chasseurs de primes, le contredit immédiatement Hanahebi, cherchant à éviter des représailles sur des innocents.
            - Ah, je vois. Très connus, avec ça. Voyez-vous, je m'appelle Ryan, et s'il y a un truc à savoir, c'est que j'adore les chansons. Donc si vous m'en chantez une qui me plaît, ça ne se passera peut-être pas aussi mal que ça pourrait. Mes garçons, là, ils sont un peu énervés, en ce moment. D'abord on tombe sur deux collègues dans une cabane, dont un a visiblement passé un très sale quart d'heure, et ensuite, dans le hameau où nous nous trouvons, au lieu de l'équipe qu'on devait relever, on ne voit qu'un tas de cadavres, dont certains ont été faits... On ne sait pas trop comment.
            - …
            - Si vous ne chantez pas, on ne va pas bien se mettre, vous savez. Enfin, vous changerez peut-être d'avis plus tard ? »


            A une quinzaine de mètres de là, Sir Arno, Elizorabeth, Sigurd et Santa observaient la situation. Sous l'impulsion du patriarche, il fut décidé de leur venir en aide. Sigurd se chargea de bricoler un bon petit plan et l'attaque commença. Les pirates étaient relativement peu attentifs à ce qui les entourait, ce qui était extrêmement étrange compte tenu des pertes mystérieuses qu'ils venaient de subir. Mais explicable par la haine que les trois chasseurs de primes provoquait chez eux.
            Sigurd en aligna deux coup sur coup à l'aide de deux mousquets à distance. Une fois le chaos initial dissipé, une créature infernale bondit au milieu du groupe, distribuant coups de griffes et de crocs à droite à gauche, ciblant prioritairement les porteurs de torches, qui tombèrent dans l'herbe humide et s'éteignirent. L'obscurité renforça la peur et la paranoïa des pirates. Aussi, quand un géant apparut en leur sein et commença à distribuer des mandales, les quelques boucaniers encore en état de courir prirent leurs jambes à leur cou. La plupart furent rattrapés par Elizorabeth, ou abattus par Sigurd, mais l'un d'eux réussit à trébucher sur un croche-pied de Sire Arno qui l'assomma prestement.

            « - Ho ! Ho ! Ho ! Voilà qui fut rondement mené ! Excellent plan, Sigurd, tout s'est passé comme prévu !
            - Boah... c'était basique, hein, et...
            - Rien de tout cela n'aurait été possible sans notre chère Elizorabeth, évidemment, coupa Sire Arno.
            - Et sans le soutien inconditionnel de l'Esprit de Nowel, bien entendu ! Bien, qu'avons-nous là ? Détachons-les.
            - Bonsoir. Je suis Petrus, voilà Hanahebi, voici Eipode. Enchantés de faire votre connaissance. »

            Succinctement, les chasseurs de primes expliquèrent toute la situation telle qu'elle s'était déroulée, et ce dont ils avaient besoin afin d'encourager les habitants de l'île à se battre eux-mêmes contre la tyrannie imposée par le capitaine Crachin. En retour, les Chevaliers de l'Ordre de Nowel narrèrent le début de leur geste et leurs objectifs.
            Ainsi, ils étaient arrivés à ce village en suivant la trace d'Haylor et du lapin. Pour cela, l'odorat d'Elizorabeth s'était avéré capital. Un rapide examen des cadavres avait identifié ceux qui étaient morts du fait de ce dernier, tandis que les autres avaient été fauchés par des armes plus conventionnelles, qui les firent s'interroger sur ces intervenants mystérieux. Alors qu'ils partaient pour se reposer chez Paul –et les Chevaliers en avaient bien besoin, Petrus lâcha :
            « - En tout cas, maintenant, on devrait pouvoir les convaincre... »
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            Pour les deux médecins, l'entrepôt de Varedas avait des allures de caverne d'Ali Baba. En temps normal, tous le matériel médical s'y trouvait déjà stocké. Mais lorsqu'ils avaient instauré leur loi martial, les pirates avaient pris soin d'y regrouper tout ce qui ressemblait de près ou de loin à un médicament. Crachin n'était pas bête : ceux qui avaient besoin de ces médicaments seraient dociles à souhait pour ne pas mettre en péril leur ravitaillement – il y avait même de bonnes chances qu'ils tentent de calmer les éléments les plus perturbateurs, par peur d'éventuelles mesures de rétorsion -  et les autres ne pourraient pas tenter de les utiliser d'une façon ou d'une autre pour faire du tord aux pirates.
            En conséquence de quoi, la moindre étagère croulait sous les pilules, les sachets, les bandages, les boites diverses et variées. Il y en avait vraiment pour tous les goûts, quoi qu'ait pu avoir en tête les deux médecins.

            Obtenir qu'on leur ouvre ce qui leur semblait être une invraisemblable corne d'abondance n'avait pas semblé facile, de prime abord, mais contre toute attente, le duo Kalem-Luan marcha du tonnerre : l'agaçant nabot était si ignoble et désobligeant que cela ne faisait que renforcer par contraste la douceur et la gentillesse de la médecin, qui n'eut donc aucun mal à persuader les gardes qu'on leur ouvre après le laïus grinçant de Kalem.

            « Youhou ! Brailla Kalem. C'est la fête, là. Nan mais regarde-moi toutes ces matières premières qui n'attendent qu'un petit chimiste entreprenant pour te transformer tout ça en produits miracles à revendre à prix d'or.
            _ La santé, ça ne se monnaye pas, rétorqua Luan avec aplomb.
            _ Et comment tu remplis ton assiette, alors, pauv'greluche ?
            _ Les gens nous récompensent selon leur bon vouloir, mais nos soins sont accessibles même aux plus démunis.
            _ Ça fait que déprécier la marchandise, réfuta Kalem. Mais je devrais pas me plaindre, en fait, parce que c'est bien parce qu'il y a des naïfs dans votre genre pour distribuer les trucs gratis qu'il y a des couillons qui sont prêt à raquer "parce que si c'est plus cher, c'est que c'est sûrement plus efficace". Bwahahaha, les guignols !
            _ C'est d'un cynisme... Qu'est-ce que vous avez fait de votre sens du devoir ?
            _ Je l'ai échangé contre un cerveau. Tu devrais faire pareil, ça t'aiderait. Quoique t'es blonde, alors pas sûr que ça marche, en fait, héhéhé !
            _ N'importe quoi ! Je... »

            C'est alors que la grande double-porte de l'entrepôt s'ouvrit brutalement à la volée et qu'une silhouette se découpa dans la lumière de l'extérieure.

            « Kalem ! Arrête-ça immédiatement ! Hurla aussitôt la silhouette.
            _ Cépamoajairienfécéhel !!
            _ Hé ? Mais vous êtes seuls ? S'étonna Elie en constatant qu'il n'y avait que ses deux compagnons d'aventures.
            _ J'hallucine, s'exclama Kalem en arrêtant de pointer du doigt la médecin. Alors t'arrives comme ça et tu me gueules dessus sans même savoir ce qui se passe !? Ça va pas bien dans ta tête, "capitaine Barbie".
            _ C'est capitaine Barbara.
            _ Barbie, c'est son nom de code chez les personnes de petites tailles, voilà tout.
            _ N'importe quoi...
            _ T'en sais rien, t'en fait pas partie, blondasse !
            _ J'étais inquiète, admit Elie en refermant la porte derrière elle. Je t'ai vu te disputer avec la sentinelle, je détourne le regard un instant et pouf, vous aviez disparu. Forcément, je me suis dit que tu allais faire tout capoter en provoquant une bagarre générale, une émeute, voire une révolution.
            _ Dites donc, elle vous connaît bien...
            _ Je confirme, ça ne va pas bien dans sa tête ! Ecoute, Barbie, j...
            _ Ne m'appelle pas Barbie.
            _ Ok, Elie, reprit Kalem.
            _ Nan, c'est bon, va pour Barbie, en fait...
            _ Bref, je sais que la situation est un tout petit peu trop stressante pour tes frêles épaules et que tu te sens complètement larguée, ce qui prouve qu'il te reste un minimum de lucidité...
            _ Flatteur, hein ?
            _ Mais arrête d'être aussi catastrophique, y'a pas de raisons qu'une émeute soit provoquée juste parce que je suis dans les parages, affirma le nain.
            _ Tu veux que je te remémore notre première rencontre ? Lâcha Elie avec un sourire acide.
            _ Ça comptait pas ! Beugla Kalem. C'étaient rien que des dégénérés consanguins plus cons que les cailloux qu'ils minent, forcément que ça tourne pas rond dans leur tête !
            _ Heu... Vous n'avez pas dit aussi quelque chose dans ce goût-là à propos du garde ? S'inquiéta subitement Luan.
            _ Nan, lui, c'est juste un connard fini. Rien à voir, assura le nabot.
            _ Je suis à peu près certaine que vous n'avez pas employé une dénomination aussi concise, tout à l'heure.
            _ Gna gnagna gnagna !
            _ Vous ne devriez pas vous inquiéter, capitaine Barbara, signala la médecin. Je suis là pour tempérer les traits d'esprits de Kalem et m'excuser au besoin s'il froisse quelqu'un. Je devrais pouvoir l'empêcher de faire trop de bêtises.
            _ Je ne m'avancerai pas trop si j'étais toi : tu connais pas l'animal, grimaça Elie.
            _ J'ai confiance : Yoshimitsu assure que je peut me montrer très persuasive.
            _ Ouais, tu peux avoir confiance, ronchonna Kalem. Suffit que madame arrive comme une fleur, la bouche en cœur, et tous les abrutis tombent sous le charme. Bah, ça me dégoûte, tiens !
            _ Vous pourriez aussi arriver aux mêmes résultats en faisant preuve d'un minimum de politesse.
            _ Peuh ! La politesse, c'est pour les chiens.
            _ Bon. Ok. Alors tout va bien, souffla Elie. Vous avez trouvé le trizémil... trixiryne... le truc dont vous avez besoin pour pirater les escargophones ?
            _ Le  termizolphrénol ?
            _ Nan, les lasagnes. Évidemment qu'elle parle du termizolphrénol, pauv'cloche !
            _ On en avait déjà sous la main, rappela Luan en ressortant le petit flacon de sa poche. Et bien sur, j'ai des aiguilles pour réaliser la piqûre. Tout était déjà prêt.
            _ Heu... Ah ? Fit la capitaine Barbara, mi-figue mi-raisin.
            _ Tu vois que t'es complètement larguée, Barbie !
            _ Mais pourquoi vous ne me l'avez pas dit quand j'ai distribué les ordres ? » S'étonna Elie.

            Les deux thérapeutes échangèrent un bref regard entre eux avant de poser un regard presque incrédule vers leur "capitaine".

            « Mais t'es conne ou quoi ? C'était l'occasion idéale d'aller fourailler dans leur stock ! Signala Kalem, soutenu par de grands hochements de tête de Luan.
            _ Vous êtes venus faire vos courses !?
            _ C'est-à-dire que ce n'est pas tous les jours qu'on peut refaire le plein aussi facilement dans un endroit aussi bien approvisionné, fit remarquer la médecin.
            _ On est pas des magiciens, on a besoin de matos pour faire des miracles, nous, surenchérit le nabot.
            _ Mais je... »

            Une nouvelle fois, le claquement de la double-porte se fit entendre. Mais cette fois-ci, elle ne fit que s'entrouvrir, laissant deviner deux silhouettes derrière elle.

            « Si, si, fit l'une de ses silhouettes avec la voix de Yoshimitsu, je vous assure, vous entendrez bien mieux ce qui se dit en les rejoignant à l'intérieur. Constatez par vous-même.
            _ Cépamoajairienfécélédelah !!
            _ Non, non, c'est une terrible méprise et... s'exclama la seconde silhouette d'une voix aiguë indéniablement féminine.
            _ Je me permet d'insister. » Rétorqua le médecin en poussant gentiment mais fermement la jeune femme à l'intérieur.

            Grenadine, puisque c'était effectivement elle, entra dans l'entrepôt en prenant soin d'adopter l'air le plus ingénu possible. Elle était une simple civile, au mauvais endroit au mauvais moment, voilà tout : qui donc irait croire qu'une splendide belle plante comme elle – ce n'était pas la modestie qui la caractérisait, elle-même le reconnaissant parfaitement – pouvait faire partie du redoutable équipage du terrible capitaine Crachin ?

            « Mes amis, annonça Yoshimitsu, je vous présente Grenadine, l'espionne en chef du capitaine Crachin.
            _ Hein !? S'exclama l'intéressée. Mais qui vous a mis cette drôle d'idée dans la tête !?
            _ Votre ami passe-partout qui me suivait. Il a affirmé être sous vos ordres, d'ailleurs.
            _ N'importe quoi, se défendit la jeune femme. Je ne suis qu'une simple citoyenne qui n'a rien à voir avec des rustres de pirates comme vous !
            _ Quel dommage... Votre ami pass... Hum, trouvons-lui un nom, ça sera plus facile pour la suite.
            _ Il ressemble à quoi ?
            _ À monsieur tout-le-monde, capitaine Barbara.
            _ Alors appelons-le Iarwain !
            _ Adjugé. Donc Iarwain, disais-je, semblait sincèrement persuadé que vous n'auriez aucun mal à le faire sortir des fers. Je crains qu'il ne s'avance au devant d'une terrible déception, du coup.
            _ De quoààà !? Qu'est-ce que vous avez fait à... à Iarwain ? Juste pas curiosité, hein, parce que je ne le connais pas, je vous rappelle.
            _ Hé bien, l'inconvénient de ressembler à monsieur tout-le-monde, c'est que c'est le premier qui parle qui gagne, expliqua le médecin. Quand j'ai compris et identifié qui me suivait, j'ai approché la première bande de pirates qui traînait, leur ait expliqué qu'un civil me collait aux basques, que je trouvais ça particulièrement louche et je les ai priés de les mettre aux fers. Bien sûr, au moment de son arrestation, Iarwain a clamé haut et fort qu'il faisait parti de l'équipage, mais le fait est qu'il ressemble effectivement à monsieur tout-le-monde et non pas à un forban sanguinaire.
            _ Mais ils ont quand même pas fait ça, ces cons ! Explosa Grenadine. Tout le monde nous connaît, depuis le temps !
            _ Sa tête leur rappelait bien quelque chose, mais ils n'arrivaient plus à se souvenir d'où, compatis Yoshimitsu.
            _ En tout cas, vous venez d'avouer que vous faites bien parti de l'équipage du Capitaine, asséna la capitaine Barbara avec un sourire triomphal. Vous nous suiviez ?
            _ J'aurai été déçu que ce ne soit pas le cas, en même temps...
            _ Et vous, vous complotez contre nous ! Accusa Grenadine. J'ai tout entendu, vous voulez pirater les escargophones pour je-sais-pas-quoi ! Mousch avait raison de se méfier de vous !
            _ Elle a tout entendu, il faut qu'on l'élimine ! S'alarma Kalem.
            _ Quoi !? Mais ça va pas la tête !? S'inquiéta l'espionne de Crachin.
            _ Inutile d'aller jusque là, approuva Luan. Il nous suffit de la plonger dans le coma le temps de régler notre affaire, tout simplement. J'ai justement aperçu du...
            _ Kyaaaah ! Ne m'approchez pas ! Paniqua Grenadine.
            _ Rien de personnel, c'est juste pour conserver le secret, la consola Yoshimitsu en lui tapotant sur l'épaule.
            _ Naaaaaanj'veuxpasj'veuxpasj'veuxpas ! S'hystérisa la jeune femme. Attendez ! Attendez : j'ai un allié qui écoute tout se qui se passe en ce moment même ! S'il m'arrive malheur, vous pouvez être sûr qu'il ira aussitôt faire son rapport à Mousch !
            _ Peuh, c'est du bluff, railla le nabot. Vas-y Luan, débarrasse-nous-en !
            _ Ta gueule la boule de poils ! J'dis la vérité ! Même que c'est un perroquet, alors tu peux être sûr qu'il va rien oublié ! »

            Les comploteurs à la petite semaine se figèrent, comme tétanisés. Un sourire hésitant passa sur les lèvres de Grenadine alors qu'elle commençait à se dire qu'elle avait peut-être trouvé un échappatoire.

            « Alors !? On fait moins les malins, là ! Clama la chef-espionne. Qu'est-ce que vous y trouver à redire ?
            _ Félicitation ! S'exclama Luan en se mettant à applaudir.
            _ Gné ? Lâcha très intelligemment Grenadine.
            _ À mon humble avis, elle vient de réussir le test, n'est-ce-pas, capitaine Barbara?
            _ … De quel test tu parles, Luan ??
            _ Effectivement, approuva Yoshimitsu avec son éternel sourire narquois. En ce qui me concerne, mademoiselle Grenadine dispose de tous les atouts et talents nécessaires pour nous rejoindre. Quel est votre verdict, capitaine ?
            _ Pigé. Hum-hum, se racla théâtralement la gorge Elie. Grenadine ?
            _ Heu... Oui ? Acquiesça l'espionne visiblement hésitant de savoir si c'était du lard ou du cochon.
            _ Vos aptitudes et vos remarquables états de services sous les ordres du Capitaine Crachin, alliés à votre indiscutable réussite à notre test final, vous donne le droit et l'immense privilège de rejoindre la confrérie secrète de piraterie nordique. Sous notre égide, vous deviendrez une maitre-espionne encore plus redoutable que vous ne l'êtes actuellement, vous serez initiés aux arcanes politiques les plus secrètes de cet océan, vous influencerez le destin d'innombrables capitaines pirates et manœuvrerez dans l'ombre le cours de ce monde. Grenadine, je vous offre la possibilité de nous rejoindre, ici et maintenant. Réfléchissez-bien, car nous ne vous ferons cette offre qu'une seule et unique fois. Quelle est votre réponse ?
            _ Heu... Juste pour savoir, qu'est-ce qui se passe, si je refuse ?
            _ Rien, la rassura Elie. Vous continuerez comme vous l'avez fait jusqu'ici et vous ne devriez plus guère entendre parler de nous, sauf circonstance extrême comme en ce jour.
            _ Et le capitaine Crachin ? C'est que... Je ne voudrais pas le trahir, non plus.
            _ Là non plus, ne vous inquiétez pas : le capitaine Crachin tient une place importante dans nos plans. Si vous nous rejoignez, non seulement vous ne ferez rien qui serait amené à le compromettre, mais vous pourriez aussi l'aider à s'élever bien plus haut.
            _ Mais je ne comprends pas... Quel est le but de la confrérie, exactement ?
            _ Ma jolie, tu crois vraiment que la réputation de North Blue, l'océan le plus dangereux des quatre, s'est construite toute seule, répliqua la capitaine Barbara, hautaine. Nous sommes le pouvoir dans l'ombre, l'éminence grise derrière le trône. Cette réputation, c'est nous qui l'avons construite, en transformant cet océan en un immense terreau pour y élever les équipages les plus redoutables avant de les téléguider sur la Route de Tous les Périls. Notre but ? Mais c'est évident : nous préparons le terrain, nous ouvrons la voie.
            « Le prochain Roi des Pirates sera nordique ! »

            Pour le coup, Grenadine se sentait une petite chose ridicule et lamentable, se recroquevillant sous le regard terrible et majestueux de la capitaine Barbara – Elie venait de se sortir les tripes pour son jeu d'actrice. L'espionne de Crachin se sentait soudainement écrasée par ces êtres qu'elle avait toujours cru n'exister que dans les légendes. Ces gens manœuvraient le destin du monde, ils œuvraient pour quelque chose d’infiniment plus grand, plus grandiose, que leur simple intérêt ou leur petite personne. Et ils lui proposaient à elle, elle qui n'avait jamais eut qu'une vision de courte vue, systématiquement liée à ce qu'elle pouvait en retirer, ils lui proposaient de rejoindre leur cercle pour les aider à façonner la vision qui les animait.
            C'était terriblement beau et incroyable. La chance de sa vie !

            C'est avec des larmes de joies plein les yeux que Grenadine s'agenouilla devant la capitaine Barbara, le fléau des mers, la destructrice, la reine Pagaille, commandeur des légions d’espionnage Denden et numéro deux de la confrérie secrète de piraterie nordique – la tradition voulait qu'il n'y ait pas de numéro un, puisque la confrérie se targuait d'être le véritable pouvoir dans l'ombre des capitaines – et lui jura allégeance. Ensuite de quoi, il y eut l'incontournable rituelle des accolades pour fêter la bienvenue à la nouvelle consoeur (sauf Kalem, qui ronchonnait dans son coin à propos du nombre croissant de pimbêches qu'il fallait supporter) et Grenadine fut officiellement une membre de la confrérie secrète de piraterie nordique.
            Sans se douter une seule seconde que tout cela n'était que du vent. Comme disait l'autre, plus c'est gros, mieux ça passe.

            « Bien ! Clama finalement Elie. Maintenant que nous avons réglé ce détail, il est temps de nous mettre au boulot. Je vous rappelle que nous devons dégoupiller cette situation au plus vite.
            _ Et comment comptez-vous vous y prendre ? S'enquit Grenadine.
            _ Heu... Hum ! Avant ça, éluda la capitaine Barbara, voici les dernières informations dont je dispose : sachez qu'un Fruit du Démon est présent au sein de la marine. Il semble que ce Fruit soit initialement destiné au capitaine Crachin mais qu'il ait été intercepté.
            _ Exact, approuva la chef-espionne. C'est même à ce moment-là que le capitaine a heu... 'fin, s'est un tantinet radicalisé.
            _ Hé, cool, fit Kalem, j'ai toujours rêvé de mettre la main sur un Fruit.
            _ Quelle drôle d'idée, fit Luan. Ne plus pouvoir nager, ce serait horrible.
            _ J'ai jamais dit que j'allais le manger, blondasse !
            _ "Les Fruits du Démon, c'est pour les lopettes", cita Yoshimitsu. Un ancien ami.
            _ Oui, enfin, si un Fruit du type logia, tempéra Grenadine, ça transforme en élémentaire et ça rend invulnérable : à moins de maîtriser le Haki, plus personne ne pourrait s'opposer au capitaine !
            _ Le haki ? Fit Luan.
            _ Un... pouvoir dont l'une des déclinaisons permet de frapper un Logia même sous sa forme élémentaire, expliqua Yoshimitsu. Une arcane rare, même sur la route de tous les périls. Il est peu probable que quiconque le possède sur North Blue.
            _ Le capitaine serait invincible, affirma la chef-espionne.
            _ Non, rétorqua le médecin. Sur une planète composé à 90% d'eau, dans un métier qui oblige à sillonner les mers, un détenteur du Fruit du Démon est tout sauf invulnérable, logia ou pas. J'ai eu l'occasion de le constater de mes yeux. Néanmoins, j'admets qu'en ce cas précis, ce Fruit pourrait être la clef qui déverrouillerait cette situation. Si seulement nous pouvions mettre la main dessus...
            _ Je sais ! S'exclama Luan. Allons parlementer avec les marines !
            _ Heu... Pas certaine que ce soit une bonne idée, fit Grenadine : on a exécuté leurs envoyés, quand ils ont voulu parlementer.
            _ Le capitaine Crachin les a exécutés, nuances, souligna Luan. On va prendre contact avec la marine officieusement, en se faisant passer pour des dissidents de l'équipage de Crachin. On dira qu'on estime que le capitaine est allé beaucoup trop loin et qu'on veut aider la marine à arrêter ce monstre. On a déjà commencé à rassembler ceux qui pensent comme nous au sein d'une cellule secrète : les chevaliers de Nowel, et on se propose de coordonner leurs actions internes avec la marine, comme preuve de notre bonne foi. Et on leur propose qu'on joue les agents doubles vis-à-vis du capitaine Crachin pour l'attirer dans un piège grâce au Fruit du Démon.
            _ Oh génial ! S'exclama Grenadine. Ainsi, on bernerait les marines, Crachin mettrait enfin la main sur le Fruit et pourrait leur mettre la trempe de leur vie !
            _ Par exemple... ça ou un autre scénario...
            _ Yoshimitsu ? S'enquit la capitaine Barbara.
            _ Ça pourrait marcher, acquiesça le médecin. Je resterai ici avec Kalem pour jouer le groupe de dissidents que vous contacterez par escargophone. Et par mesure de sécurité, nous poursuivrons le déroulement du plan initial, juste au cas où.
            _ Parfait, se félicita Elie. Grenadine ? Il va nous falloir un petit navire pour rejoindre la marine, ça ne devrait pas poser de problèmes, vu votre rang ?
            _ Aucun, assura l'espionne, bien décidée à faire des étincelles pour sa première mission au sein de la confrérie.
            _ Bien, alors Luan et moi, nous vous suivons. En avant !
            _ Mais heu... et pour Iarwain ? Il est aux fers, quand même !
            _ Chaque seconde compte, on l'en sortira plus tard, allez ! »

            Les trois jeunes femmes quittèrent aussitôt l'entrepôt, non sans que Luan confie à Yoshimitsu le  termizolphrénol. Une fois partie, le médecin se tourna vers le nain, qui continuait à faire ses emplettes dans les stocks de l'entrepôt.

            « Bien, puisque tu as quitté la confrérie depuis un bout de temps, je suppose qu'il faut que je te donne des nouvelles de tout le monde, fit Yoshimitsu.
            _ Rien à foutre, rétorqua le nabot.
            _ Ouais, je sais, c'est notre devise : « nous ne comptons pas ». Raison pour laquelle tu ne nous as pas donné de nouvelles, je suppose ? Pourtant, une lettre, c'est important, tu ne crois pas ?
            _ T'as fini de me saouler, oui ? Y'en a qu'essaye de bosser, ici, binoclard à la con !
            _ Barbara a finalement envoyé Natsumi parfaire la formation d'Edwig, le petit nouveau. Un gamin prometteur, Luan l'a récupéré dans l'équipage de Torsten. Rectification : ce n'est plus le petit nouveau, maintenant, avec la dernière qui est arrivée. Autrement, Lady Irena a tenté de briguer le poste de numéro trois, mais Seolchong lui a coupé l'herbe sous le pied. Évidemment, comme c'est le frère de Luan, ça n'a pas fait trop de vague. En interne, Barbara a aussi nommé Lao en charge du vivier, à l'Est. Khalia a assuré qu'elle lui trancherait la gorge s'il ne lui fournissait pas très vite de nouveaux compagnons de jeux. Personnellement, je m'en félicite : Ieyasu était trop tendre à ce poste. Accessoirement, lui s'est fait méchamment remonté les bretelles par Barbara. Finalement, il ne s'en est pas trop mal tiré, mais il va devoir faire profil bas pendant encore quelques temps...
            « ça te suffit ou je continue ? »

            Un instant, le nabot faillit répondre avec sa sympathie et son respect habituel sur ce qu'il pensait du laïus à la con du médecin. Mais son esprit tilta avant et c'est alors qu'il comprit : les propos sans queue ni tête de Yoshimitsu – la confrérie n'existant pas, ces nouvelles n'avaient aucun sens en soi, pas plus que la ribambelle de personnes dont il avait parlé – n'était là que pour tromper un éventuel espion, genre le ziozio de l'autre chieuse. Et si le médecin s'était donné la peine de blablater tout ça, c'était pour une seule raison : donner le change tout en faisant passer un message.
            Qu'avait-il dit, déjà ?  Une lettre, c'est important... Nous ne comptons pas...
            Mais bon sang mais c'est bien sûr :
            Code:
            NEUTRALISE LE PIAF
            Kalem entreprit donc de répondre sur le même mode.
            Code:
            COMMENT
            Code:
            BIOCHIMISTE
            Code:
            OU
            Code:
            FENETRE 3 MUR GAUCHE

            Le nabot ne se le fit pas dire deux fois et se mit au travail, tout en continuant à deviser avec son collègue, qui l'observait faire sans broncher. Kalem mélangea quelques flacons de désinfectant avec l'une de ses décoctions personnelles, avant de mettre le tout sous la troisième fenêtre du mur de gauche, comme le lui avait indiqué le médecin. Rien ne semblait se passer, mais c'était là – tout du moins, de l'avis de Kalem – la beauté de la chimie. Seul l'oeil avisé pouvait voir l'air se gondoler légèrement, comme sous l'effet de la chaleur. Ou de vapeur. De vapeur d'éther, en l’occurrence, qui passait au-travers la fenêtre fermée, celle-ci n'étant pas étanche, pour se répandre à la verticale dans l'atmosphère.
            Il ne fallut attendre que quelques secondes avant que les deux larrons n'aperçoivent un perroquet tomber comme une pierre depuis le toit. Quelques minutes plus tard et Yoshimitsu revenait dans l'entrepôt avec le volatile saucissonnés dans des bandes et du sparadrap médical. Quand bien même il se réveillerait, il ne pourrait plus faire le moindre geste ni ouvrir son large bec.

            « Bien joué, fit le médecin. Propre, net et efficace.
            _ Bwahahaha, trop facile, se félicita le nain. Comment t'as su où il était ?
            _ Quand Grenadine a paniqué tout à l'heure et qu'elle a annoncé son va-tout, elle n'a pas pu s'empêcher de regarder dans sa direction, tout simplement. J'ai une excellent mémoire visuelle, comme s'en est aperçu à ses dépends son 'Iarwain'.
            _ Ok et maintenant ? Fit Kalem. Parce que les gonzesses sont partis bourrer le mou aux marines, sauf qu'elles sont sensées être en relation avec des foutus chevaliers de Nowel qui n'existent pas et qu'on doit mimer. Dans le genre idée complètement débile, ça se pose là ! Ok, elle est blonde, mais là, elle s'est surpassée, la Luan.
            _ Non, tout va bien, répondit Yoshimitsu. Je savais que Luan sauterait sur l'occasion pour aller parler avec les marines : c'est un peu son truc, vouloir régler les choses par la diplomatie. Quant aux chevaliers de Nowel, c'est un mensonge qui lui permet de retomber sur la vérité, ce qu'elle gère beaucoup mieux. Elle n'est pas douée pour mentir.
            _ Attends, attends : t'es en train de me dire qu'il existe vraiment un truc aussi débile que les chevaliers de Nowel ? Nan, tu me fais marcher, c'est comme le coup de la confrérie !
            _ Ce groupe existe bel et bien et nous en faisons tous parti à part toi, rétorqua Yoshimitsu. On s'est séparé, mais comme ce sont principalement les monstres qui restent dans l'autre groupe, je ne doute pas qu'ils retournent bientôt un ou deux groupes de pirates, si ce n'est déjà fait, et qu'il mettre la main sur un escargophone. Si ça se trouve, ils ont même déjà fait la jonction avec les commandos de la marine, ce qui serait juste extra. En tout cas, il faut que nous prenions le contrôle du centre de communications de Crachin pour pouvoir entrer en contact avec eux, ainsi qu'avec le blocus par l'intermédiaire de Luan et Elie.
            _ Et comment on va faire ? Ronchonna Kalem. Khalia arrivera peut-être à pirater la voix de Crachin, mais ils ne nous laisseront jamais approcher le centre de communication comme ça.
            _ C'est Crachin en personne qui va nous y autoriser, décida Yoshimitsu. Et par la même occasion, nous piraterons sa voix.
            _ T'es complètement malade, toi !
            _ Mais non, expliqua le médecin. Nous allons l'informer de la défection de Grenadine, qui vient de décider de rejoindre les marines avec l'intention de le piéger lui. Les faits sont là : elle est effectivement partie voir les marines. En mettant en ligne de mire le fait que Grenadine a des vues personnelles sur le Fruit du Démon, Crachin, pour qui c'est visiblement un sujet très sensible en ce moment, ne demandera qu'à nous croire. Par ailleurs, si on lance en premier les accusations de trahison, ça sera plus difficile de nous la renvoyer dans la face, ce qui va nous mettre à l'abri un petit moment. Ensuite comme nous avons nos espions qui sont actuellement infiltrés dans l'équipage de Grenadine et que nous pouvons les utiliser pour obtenir des informations, nous n'aurons pas trop de mal à convaincre Crachin de nous installer dans le centre de communication. Au final, si nous abattons proprement nos cartes, je pense qu'il devrait être facile d'envoyer un Crachin fou furieux aller récupérer son Fruit envers et contre tout, en l'isolant de l'île ce qui nous permettra d'avoir les coudées franches ici. Avec l'aide des marines et des chevaliers, on devrait pouvoir libérer Panpeeter en un minimum de pertes civils.
            _ T'es complètement taré, en fait, s'exclama un Kalem admiratif. Putain, je marche, j'ai jamais emmerdé autant de gens d'un coup, bwhahaha ! Et pour Khalia ?
            _ Je ne m'en fait pas : elle a survécu toute seule comme une grande jusqu'à maintenant, elle devrait pouvoir se débrouiller d'ici qu'on la rejoigne. Allons donc demander audience au capitaine Crachin. »

            *
            * *

            Pendant ce temps, sur le galion de Crachin...

            Khalia fit sauter de case en case son pion blanc, ponctuant chaque coup d'un « mangé ! ». En un tournemain, il n'y eut plus aucun pion ennemis sur le plateau de jeux de dames, sous le regard sidéré du forban vaincu.

            « T'as perdu ! Tu dois faire le cheval, maintenant !
            _ Mais nan, mais je...
            _ Tu veux pas ? Fit la petite en haussant un sourcil.
            _ Sisisisisi ! Pas de soucis, je suis un cheval, un adorable cheval !
            _ Youpiii ! »

            L'un des malabars s'approcha de Mousch pendant que son pauvre collègue se traînait à quatre pattes dans toute la pièce, une Khalia ravie sur les épaules.

            « Heu... Chef, glissa le malabar. On est la garde d'élite du navire, qu'est-ce qu'on fout à exaucer les quatre volontés de cette gamine ? »

            Mousch blêmit brusquement et fit frénétiquement signe à son comparse de parler beaucoup moins fort. Il jeta un coup d’œil mal rassuré vers Khalia, histoire d'être vraiment sûr qu'elle n'entendait pas, avant de souffler à son collègue.

            « T'es pas fou ! Cette gamine est une vraie bombe à retardement, une meurtrière si sanguinaire que même les gars de Barbara n'osent pas la laisser entrer en action.
            _ Sérieux ? S'alarma le forban en ouvrant des yeux ronds comme des soucoupes.
            _ Sérieux de chez sérieux. Alors en leur absence, on ne prend aucun risque : vous faites tout ce qu'elle dit, c'est un ordre. On ne discute pas !
            _ Mais chef, ça va pas, vous n'allez pas nous laisser avec cette chose, geignit le forban. On a des bleusailles pour jouer la chair à canon !
            _ Qu'est-ce que j'y peux si elle vous a pris en affection ? Allez, courage les gars, ça va bien se passer. Dites-vous que si les marines attaques, vous serez sûrement bien content qu'elle vous considère comme ses amis.
            _ Bien chef, on va faire comme vous dites. Enfin, comme elle dit, du coup...
            _ Ohé, tout le monde, on va faire un bowling ? »
              -Euh… Petrus ?
              -Pas tout de suite, Paul. Laisse-nous arriver, veux-tu ?

              A peine rentrés, Paul le bucheron s’avança aussitôt à la rencontre de l’étrange groupe. Eipode et Hanahebi le dépassèrent sans s’arrêter, trop emportés par leur propre discussion. Les quatre membres de l’Esprit de Nowel se tenaient en retrait, laissant au chasseur de prime le soin d’expliquer qui ils étaient à son acolyte. Tous avaient longuement échangé durent leur trajet, tant et si bien qu’ils envisageaient déjà de joindre leurs forces. Les chefs des deux groupes s’étaient déjà accordés sur l’affaire, et Petrus espérait bien utiliser leur aide pour convaincre les habitants de l’île de se joindre à lui. Pour autant, il leur faudrait discuter plus en détail de ce qu’il comptait en faire : la seule idée d’utiliser des civils pour affronter les Cracheurs avait fait froncer les sourcils du vénérable quarantenaire qu’était Santa Klaus. Et il n’était pas le seul à émettre des objections : aux yeux de Dogaku, qui était le seul du lot à avoir une véritable expérience des réalités militaires, tout ça n’était qu’une vaste folie qu’il ne fallait en aucun cas encourager.

              Ils y reviendraient plus tard. Pour l’heure, il s’agissait de se reposer un peu. Mais avant cela, Petrus avait autre chose à faire. C’était pour ça, que Paul l’avait si vite rejoint.

              -Attends un moment, insista-t-il. On a un invité.
              -Quoi ? Qui ?
              -Un drôle de bonhomme. Il est arrivé un peu après que vous soyez parti… et était déçu de vous avoir raté.
              -Mais, et le code ?, s'étonna le chasseur.
              -Il connaissait le code. Il a sifflé l’air qu’il fallait. Je l’ai laissé venir, du coup.
              -Mmmh. D’où le connaissait-il ?
              -Les représentants de tout à l’heure. C’est eux qui le lui ont donné, visiblement. Il fait partie de la suite d'un de ces chefs... normalement.
              -Eh. Normalement. Qu'est ce qui te dérange, dans tout ça?
              -Comment ça?
              -Tu as l'air de ne pas l'aimer, mais je n'arrive pas encore à savoir pourquoi.
              -Je ne l'aime pas? Non, ça n'est pas ça, mais... tut. Ce type est bizarre, Petrus. Vraiment zarb. Vous êtes partis... quoi, quatre-cinq heures? Quand il est arrivé, c'était vingt minutes après votre départ. Je lui ai proposé de rester pour vous attendre, mais il est reparti, en prétextant avoir autre chose, de très important à faire. Et il s'est volatilisé. Juste comme ça. Il avait l'air extrêmement pressé, et très préoccupé, aussi. Beaucoup plus qu'inquiet. Paniqué, mais essayant de rester calme, sans vraiment y arriver. Du coup, je m'attendais à ne pas le revoir. Sauf que si. En tout, il est passé trois fois. Resté dix minutes, puis reparti. Toujours d'un coup, comme ça. J'ai rien compris.
              -Tout doux. Du calme. Et maintenant?
              -Il est là, à l'intérieur. Il vous attend. Depuis cinq minutes. C'est comme s'il vous avait précédé. Il savait que vous arriviez. Et il a franchement l'air... bizarre, quoi.
              -Mmmh...

              Petrus s'emmura dans ses réflexions. De quoi s'agissait-il? Rien ne lui vint à l'esprit, si ce n'est l'infinie fatigue qui le gangrenait, lui aussi, depuis que toute cette sombre affaire débuté. Il fut néanmoins rappelé à la réalité par un long gémissement plaintif. C'était Sigurd, tout simplement, qui avait commencé par étirer ses jambes suite à leur longue marche, et qui venait de pousser son confort jusqu'à s'étendre dans l'herbe.

              Santa Klaus le considéra d'un air étrangement paternel, avant de remarquer qu'ils avaient attiré l'attention du chasseur. Il s'approcha alors d'eux, en faisant doucement tinter son éternel rire bienveillant.

              -Ho! Ho! Ho! Qu'y a t-il, messieurs? Vous m'avez l'air fâcheusement circonspect. Un problème?
              -Mmmh... je ne sais pas encore, répondit Petrus. Mais nous n'allons pas tarder à le savoir. Si vous voulez bien me suivre...

              *
              * *
              *

              Il était vêtu, de pied en cap, d’un ensemble jaune qui tirait vers le brun.

              Un haut de forme, inutilement long, mais qui restait vissé sur sa tête en toutes circonstances.

              Un costume de soie, agrémenté de plusieurs étoffes bouffantes, conçu sur mesure pour accompagner sa puissante stature.

              Une petite cape, qui lui recouvrait aisément le torse lorsqu'elle était déployée, et qu’il se plaisait à faire onduler dans de larges gestes grandiloquents.

              Une paire de gants en coton, toujours immaculés, et qu’il retirait, ajustait et caressait en permanence, l'air maniaque.

              Ainsi qu’un parapluie de toile brune, composé d’un étrange tissu opalescent, dont le manche était à l’effigie d’une tête de perruche.

              A sa tenue, qu’il considérait être « un mélange de flamboyance retenue et d’excentricité élégante », on pouvait facilement deviner quelle était sa profession. Il avait beau être jaune et non pas noir, il restait en adéquation avec ce que les conventions attendaient d’un homme tel que lui. Un initié des arcanes secrets, des grands mystères, des tours de force, des performances surnaturelles, et des étonnantes astuces qui permettaient de réaliser, aisément, ce qui relevait de l’impossible.

              Cet homme était un magicien, bien sûr. Rien de moins.

              -Ho ! Ho ! Ho !, le salua Santa en lui tendant la main après s’être présenté. Enchanté, monsieur.
              -C’est moi, répondit galamment le magicien en l’observant.
              -Eerrh, renifla Sir Arno d’un ton désobligeant. Et vous êtes ?
              -Hum.

              Les trois hommes étaient seuls, cloitrés dans ce qui faisait office de petit salon dans la bâtisse miteuse qui servait de repère aux trois chasseurs de prime et à leur hôte. Ils s’étaient retirés dans une autre pièce pour converser en privé sur la marche à suivre, et avaient proposé à leurs « invités » d’en profiter pour se reposer un peu.

              A cela, le couple de Belgerak s’était répandu en exclamations dédaigneuses, compte tenu du piètre environnement dans lequel on les accueillait. Elizorabeth avait pourtant fini par gagner l’une des misérables chambres, à l’étage, pour se ressourcer un peu. Sigurd Dogaku en avait fait de même, à ceci près que lui n’avait hérité de rien de plus qu’une paillasse rongée par le temps et l’usure. Ca ne l’avait pas empêché de s’assoupir rapidement, les yeux clos, dans la pénombre de l’aube naissante qui perçait à peine les rideaux de sa chambre.
              Ne restaient donc que Santa Klaus, et Sir Arno, pour tenir compagnie à l’étrange personnage qu’ils venaient de retrouver. Le magicien était un homme d’âge mûr, la cinquantaine bien passée. Ses longs cheveux, mêlés de brun et de gris, étaient partiellement noués en un catogan qui lui retombaient jusqu’aux hanches. Il s’était assis sur le seul fauteuil un tant soit peu convenable qui se trouvait dans cette pièce, et attendait maintenant, patiemment, le retour des chasseurs de primes.

              Il n’avait rien fallu de plus pour que Sir Arno décide de le prendre en horreur : ce fauteuil, il lorgnait dessus depuis une bonne dizaine de minutes, maintenant. Et le tabouret sur lequel l’homme-poisson était lui-même installé ne le satisfaisait aucunement. Il l’avait d’ailleurs abandonné, et était maintenant en train de toiser de près l’étrange inconnu.

              -Giovanni Panzani, articula clairement le magicien, en réponse à son interlocuteur. Egalement appelé "Il Sensassionno" dans certains cercles...
              -Ce qui ne répond pas du tout à ma question, grinça le requin en exhalant un peu de sa terrible haleine. Je vous demande ce que vous êtes, et ce que vous fabriquez ici. Je n’ai rien à faire de votre nom, très cher. Je souhaite connaître… votre occupation.
              -Et pourquoi cela ?
              -Eh ! Nous sommes en rase campagne, mon bon monsieur. Perdus au beau milieu de nulle part. Au beau milieu d’une île infestée de… terribles criminels. Et avec pour seule compagnie un trio de mercenaires… aux goûts particulièrement douteux, rak-rak-rak-rak-rak. Je vous garantis qu’un olibrius costumé de votre genre n’a rien à faire ici… sans raison. Or, il se trouve que je me retrouve coincé ici, en votre présence, pour un certain moment encore. Je suis curieux, compléta abruptement de Belgerak.

              Le requin l’invita à répondre en lui adressant son éternel sourire de prédateur carnassier : les rangées de dents de l’homme poisson étaient une véritable horreur à voir qui, mêlées à l’apparence repoussante, et aux manières travaillées de Sir Arno, produisaient toujours leur effet en société. Ce n’était pas de la sympathie feinte, pas des menaces enrobées, ni du dédain, et pas non plus de la condescendance. De Belgerak était, au fil des ans, devenu infiniment plus subtil et plus brutal que tous ces mots.

              Et face à ce petit monstre, le magicien ne fit rien d’autre que de changer de posture, pour se tourner un peu plus vers sa droite. Le requin, son odeur, son apparence, son attitude formaient ensemble une atrocité qu’il savait rendre particulièrement invivable. Pourtant, Il Sensaccionno ne lâcha pas un mot, ni un regard, et pas même un seul frisson à Sir Arno.

              Loin de s’en offusquer, celui-ci se mit à sourire de plus belle, sans que l’on ne puisse sonder ses véritables intentions. Mauvaises, de toute évidence.

              C’était un étrange manège qui aurait pu continuer longtemps. Mais Petrus ne tarda pas à revenir, et à accaparer toute leur attention. Sir Arno s’écarta lentement de l’inconnu, qui en profita pour se lever, et avancer en direction du chasseur de primes.

              -Enfin. Vous savez vous faire désirer, monsieur.
              -Beaucoup de choses... arrivent en même temps, indiqua simplement Petrus, la voix fatiguée.
              -Votre réponse. Que comptez-vous faire ?
              -Je... ne sais pas encore. Notre objectif est de faire tout ce que nous pourrons pour abattre Crachin. Et votre demande est... comment dire...

              Les deux chevaliers de Nowel les regardèrent, sans parfaitement comprendre, mais en devinant ce qui avait déjà pu se dire entre les deux hommes. Ceux-ci continuèrent leur conversation sans se soucier d’eux.

              -Dois-je en conclure que seule la prime du pirate vous intéresse ?, continua l’homme en jaune, la voix pleine d’amertume.
              -Bien sûr que non. Si nous ne voulions pas essayer de sauver l'île, nous n'aurions jamais contacté vos maîtres. Mais il s’agit de quelque chose qui ne dépendra pas vraiment de nous. Il va nous falloir de l’aide. De beaucoup d’aide. Et c’est ce qui me porte à vouloir savoir… ce que vous voulez, exactement.

              Le cinquantenaire dévisagea fixement le chasseur. Comme avec Arno auparavant, il donnait l’impression de vouloir lire sur son visage. Ses intentions, ses doutes, sa valeur, et bien au-delà de tout, ce qu’il pourrait en faire.

              Et c'était ce même regard que lui renvoyait Petrus. Car aujourd'hui, le sieur Giovanni n'était pas venu proposer son aide aux chasseurs dans leur folle entreprise pour abattre Crachin. Il n'en avait pas les moyens.

              Il n'en avait plus les moyens, pour être exact.

              Car son maître, son chef, son protégé, l'un des six hommes qui s'étaient entretenus avec le chef des chasseurs de primes, et qui s'était vu proposer de convaincre ses concitoyens de se soulever en masse contre le joug des envahisseurs pirates, n'était plus libre.

              Il s'était fait capturer sur le retour, tout simplement. Les représentants de l'île, et leurs escortes, avaient eu le malheur de tomber sur une patrouille des Cracheurs. Plutôt que d'essuyer de lourdes pertes lors d'un affrontement qui relèverait du massacre à sens unique, les civils s'étaient dispersés. Et dans le voile de la nuit, Giovanni avait perdu l'homme qu'il s'efforçait de protéger depuis le début de la prise de Panpeeter. Le magicien avait ses raisons: il s’agissait de son beau-frère, et il ne permettrait à personne de mettre en danger la vie d’un homme qui comptait autant dans celle de sa femme.

              Malgré tout cela, il n'avait rien pu faire. Ce n’étaient guère de que belles paroles, et le voilà qui se retrouvait dans un état de détresse profonde. Il ne savait plus quoi faire, ni vers qui se tourner.

              En entendant son récit, Sir Arno ne put s'empêcher de toiser, tour à tour, chacun des interlocuteurs. C'était un rictus aussi méprisant que moqueur, parfaitement propre à l'homme poisson. Ceux qui le connaissaient bien auraient pourtant remarqué qu'il n'avait pas lâché un seul mot sur toute l'affaire ; et peut être était-ce bien là sa façon à lui de respecter la douleur des autres, à défaut de compatir à leur situation.

              Santa Klaus restait égal à lui-même. Le lieutenant de l’Esprit de Nowel n’avait pas raté une miette de ce récit, et s’autorisa à intervenir, à plusieurs occasions, pour demander de plus amples précisions. Ses questions n’avaient rien d’indiscrètes, bien au contraire. Elles témoignaient de son intérêt pour cette histoire, et indiquaient quelle était la résolution du vénérable quarantenaire. Santa était tout disposé à apporter son aide au sieur Giovanni, bien entendu. Toutes les âmes en peine méritaient qu’il leur tende la main. C’était une résolution qu’il avait prise il y a bien longtemps, et à laquelle il ne dérogeait jamais.

              Ne restait que Petrus, qui garda longuement le silence. Pour le chasseur, la prise de décision dû emprunter un cheminement bien plus insidieux. Certes, il comprenait bien la demande qu'on lui faisait. Le magicien était venu lui demander son aide, rien de moins. D'où sa première apparition, peu après que l'incident ait eu lieu, et ses retours répétés depuis. Mais les choses n'étaient pas si simples. Cette histoire n'était qu'un drame parmi les milliers qui se produisaient constamment depuis quelques jours, sur Panpeeter. Il ne pouvait pas se permettre de tendre la main à tous les hères en souffrance qui pavaient les communes de cette île. Son objectif était simple, et clair: il fallait prendre les choses dans leur ensemble, et abattre Crachin. C'était le seul moyen de mettre un terme à tout cela.

              Pour autant, il aurait été idiot de s'en arrêter là. Le choix était simple: l’homme qu’on lui proposait d’aider n'était pas n'importe qui. C'était l'un des représentants des habitants de l'île. C’était quelqu’un qui disposait d’un poids suffisant pour servir de levier au chasseur de prime, et à son plan. Les habitants de l’île l’écouteraient, et il en allait de même pour les autres têtes de file de Panpeeter. Ce que l’homme en jaune lui apportait, c’était, à ses yeux, rien de moins qu’une excellente opportunité de se faire un allié saisissant. Il avait besoin de cet homme, bien sûr. Il ne pouvait pas refuser.

              Tout cela, Petrus prit le temps de l'expliquer à voix haute. Il voulait que son interlocuteur comprenne bien les enjeux, les motivations et les conséquences qui animaient son choix. Son groupe ne pouvait se permettre de gaspiller son temps et son énergie pour quelque chose qui ne paierait pas. Et en l’occurrence, les chasseurs de primes ne demandaient pas de l'argent, mais un engagement. C'était quelque chose qu'il était beaucoup plus difficile de monnayer, en ces temps sombres. Tout le monde avait peur, et nul n’osait rien faire pour empêcher ce qui était pourtant l’inévitable. Il avait pu le constater par lui-même.

              -Je tiens donc à ce que les choses soient claires, reformula pour la troisième fois Petrus. Je peux vous aider. Moi, mes partenaires, ainsi que, je l'espère, nos nouveaux compagnons...
              -Bien évidement, confirma Santa Klaus.
              -Merci, lui adressa sincèrement le chasseur. J'apprécie votre coopération. Et votre aide. Nous aurons besoin de vous, pour nous en sortir. Merci beaucoup.

              Il se tourna vers Santa, et lui tendit une main que le quarantenaire serra avec conviction. En cet instant, le regard de Petrus brilla d'une étincelle nouvelle que les chevaliers de Nowel ne lui auraient pas attribuée. Il donna l’air de rajeunir de quelques années. Toute cette tension pesait sur les épaules du chasseur, au point de véritablement vieillir ses traits. Pour autant, c'était un soulagement, pour le traqueur, d'avoir des alliés sur lesquels s'appuyer. Et ça aussi, il tenait à le communiquer.

              -Reste donc que je ne peux pas disperser notre énergie, reprit Petrus. Si nous vous aidons, nous attendrons un retour. Immédiatement. Vous avez besoin de moi, et j’ai tout autant besoin de vous. Vous devrez me renvoyer l’ascenseur.
              -Bien évidemment, déclara Giovanni. Je vous comprends parfaitement... et je ferais tout ce qui est en mon pouvoir pour que cela prenne. Je vous aiderai activement, et il en ira de même pour mon beau-frère. Nous serons avec vous.
              -Bon. Marché conclu, répondit Petrus.

              L’affaire avait été entendue… enfin.

              Pour la seconde fois, le chasseur de primes tendit la main, en direction de Giovanni cette fois. L’autre l’accepta avec une expression proche de celle de Santa. Elle exprimait néanmoins du soulagement, et bien davantage, de la reconnaissance.

              -Je vous remercie. Je vous en remercie infiniment.
              -C’est normal. En d’autres circonstances, nous aurions accepté facilement. Désolé de devoir vous poser ce genre de conditions, mais… je n’aime pas avoir à faire ça…
              -Je vous comprends. Ne vous en faîtes pas.

              Il avait beau être épuisé, Petrus se sentait étrangement bien. Rassuré, plus exactement. Abattre Crachin était encore un objectif lointain, et il n’avait aucune certitude d’y arriver. La mise à exécution de son projet restait également quelque chose qu’il ne concevait que très vaguement. Trop vaguement. Le chasseur de prime ne savait pas encore comment il parviendrait à agencer la troupe qu’il voulait former, et ne cessait d’y penser. Au stade où il en était, il espérait avancer pas à pas, et faire en sorte que les problèmes se résolvent en temps voulu.

              Pour le moment, il avait un simple objectif de court terme à accomplir. Quelque chose qui relevait parfaitement de ce qu’il savait faire. Et c’était ça qui le rassurait. Il pouvait avancer.

              Mais il se voilait la face. Les choses ne pouvaient absolument pas être aussi simples que cela. Et ça, il le savait parfaitement. Mais il ne pouvait pas rester là à rien faire.

              Le problème, c'était que, comme nous l'avions dit, des milliers de personnes connaissaient actuellement des drames similaires à celui du sieur Giovanni.

              Et que, parmi ceux-ci, il y avait un jeune homme qui n'avait rien à faire sur cette île.

              Un jeune homme qui, depuis plusieurs heures, n'avait guère plus qu'une seule préoccupation en tête. Retrouver la seule personne qu'il connaissait en ce triste lieu.

              Maintenant qu’ils avaient fini, ce jeune homme s’avança, grondant pour attirer l’attention de tous. Sa voix était pleine d’une colère et d’un ressenti qu’on ne lui connaissait pas, son ton emporté témoignait d’une humeur qu’il exprimait calmement. Il était sur les nerfs, irrité, indigné, et s’estimait parfaitement en droit de l’être.

              -Eeeeeuh... ouais. Ouais ouais. Sauf que quand même... non, s'exclama Dogaku. Vous avez pas l'impression d'avoir oublié quelque chose ? Youhou? Les mecs? Santa? On était pas censé faire un truc, déjà? Quelque chose comme... retrouver Haylor, peut-être?

              Absorbés qu’ils étaient dans leur entretien, personne n’avait entendu Sigurd regagner le rez-de-chaussée, malgré l’escalier grinçant qu’il avait emprunté. Pas plus qu’on ne lui avait prêté la moindre attention lorsqu’il s’était approché de l’encadrement de la porte, sans toutefois s’avancer au-delà.
              Il avait assisté à la scène sans faire de bruit, pour bien comprendre tout ce qui s’était dit. Et ce qu’il avait parfaitement compris ne lui plaisait pas le moins du monde.
              -Vous ne deviez pas finir votre sieste, vous? C'est l'heure du biberon, cracha de Belgerak.
              -J'étais allongé, surtout. Et on entend tout, à travers. C'est même impossible de pioncer avec vos couinements de porcelet à écailles, vous.
              -Pauvre...
              -Alors soyez gentil et fermez la, l’interrompit Sigurd. Là.

              Enervé. Il ne parlait pas particulièrement fort, même s’il haussait bel et bien la voix. Il n’était pas spécialement agressif, même si ses mots donnaient l’impression de mordre les oreilles de leurs destinataires. Plus que tout, c’était l’énergie qui l’animait qui tranchait avec son naturel. Un cocktail de hargne, d’aigreur et d’amertume. Rien de moins.

              -Bon, alors si je peux me permettre... vous êtes tous complètements cons, j'ai l'impression. Je sais pas trop ce qu'il se passe, mais je vous l'avais déjà dit, Santa. Gentiment la première fois, parce que quand même, hein. Là, par contre...
              -Eh, à quoi ça rime, tout ça ?, demanda fermement Petrus.
              -Ouais, je crois que je vais quand même commencer par vous, le chasseur. Parce que vous, vous êtes pas juste con, vous êtes carrément dangereux.

              Légèrement inquiet, Santa dirigea son regard vers le chasseur de primes, avant de le rediriger vers Sigurd, puis à nouveau vers Petrus. Voyant que ce dernier ne faisait pas un geste envers son –à priori- collègue, il resta en retrait. Sans pour autant se rasséréner complètement.
              Petrus n’était pas du genre à s’énerver au premier manque de respect qu’on lui jetait en visage. Mais violence ou non, Dogaku ne comptait pas s’arrêter.

              -Alors, pour la petite histoire... Santa. Vous savez ce que doit faire un officier digne de ce nom quand il a affaire à un héros d'un jour? Vous avez l’air de vouloir en devenir un. Sauf que non. Quand un officier voit un héros en pleine action, il doit l'engueuler. Je vous l'ai dit avant de venir, ça. Ce qu'on fait, c'est inutilement risqué, et complètement idiot. Aucun d'entre vous n'a été formé à quoi que ce soit, et vous allez juste rajouter des victimes au compteur. M'enfin, c'est une chose, ça vous concerne si vous faîtes les cons, et c'est globalement pour ça que chuis là.
              -Que voulez-vous dire, Sigurd ?, le questionna tranquillement Santa.
              -J'aurais jamais dû venir, voilà quoi. J’ai fini par changer d'avis... mais j'avais fait la bonne décision, au début. Pas venir. Boah, vous m’aviez bien inspiré. J’m’étais mis à rêver. Chapeau.
              -...
              -M'bref, chuis un boulet, ça me regarde. Lancer les chevaliers de Nowel, c’était un truc. Maintenant, c'est carrément une autre paire de manches, par contre. Vous envisagez de diriger un groupe de civils contre une armée de pirates? Le pire, c’est que si vous avez réellement les moyens de le faire, vous envisagez vraiment de le faire, quoi. Et vous êtes vraiment partis pour tout mettre en place. On peut rêver pendant un temps, mais là c'est vraiment, vraiment, vraiment pas possible. C'est mort. Moooooooort de chez mort. Faut pas dire aux gens d'aller se faire tuer, et c'est sûrement pas moi qui le ferais. Les héros, c'est des cons qui se mettent en danger, et qui compliquent le job des vrais professionnels. Chuis sûr que la marine va faire quelque chose. Ils ont plus de moyens que j'en avais, et rien que moi, j'aurais forcément trouvé un truc. Y'a pas de raison qu'ils soient moins intelligents que moi, donc ils en trouveront plusieurs. Laissez les faire, et ne leur pourrissez pas le travail, ils vous le rendront bien.
              -Les... professionnels ?, articula Petrus, incrédule, et pratiquement insulté par la remarque.
              -Ouais. Parce que je ne considère pas que vous trois, z'allez réussir à grand chose. Vous êtes des chasseurs de primes, ok. Désolé, mais j'ai appris à ne vrai-ment pas vous aimer. De ce que j'ai toujours pu voir, vous ne savez pas travailler dans un vrai groupe. Même si vous êtes très forts, et c'est souvent le cas, ça n'est malheureusement pas comme ça que ça marche. Vous êtes un petit groupe soudé, et j'ai bien compris que tout le monde s'épaule, se connait et se fait confiance. Mais ça suffit pas. C'est beaucoup plus compliqué que ça. Vous allez juste envoyer des gens se faire tuer, là. Ca vous fera peut-être office de couverture le temps que vous alliez faire votre truc avec votre cible, mais c’est franchement pas gérable.
              -Vous m’avez pris pour un idiot ?, se défendit le chasseur. Je sais très bien que des civils ne peuvent pas affronter des pirates armés. Vous ne m’apprenez rien. Vous croyez quoi ? Que je vais lancer un assaut frontal contre Varedas sans réfléchir, sûrement ?
              -Nan. J’ai dis que vous étiez dangereux, pas juste con. Un vrai con, c’est pas si dangereux que ça. Alors que vous, vous êtes carrément un putain de sale…
              -Sigurd !

              Dogaku adressa un regard noir à Santa Klaus. C’était lui, qui venait de l’interrompre. Le rappeler à l’ordre, plus précisément. L’envoyé de Nowel, aussi fou et insensé qu’il puisse être aux yeux du jeune homme, n’était pas idiot. Et ça, Dogaku l’avait bien compris. Il le considéra longuement, avec la désagréable impression que Santa, non content de le voir s’énerver, en était pratiquement satisfait. L’expression grave et sérieuse qu’affichait désormais le quarantenaire à la barbe fournie n’avait rien d’hostile, de déçue, ni même de désapprobatrice. Bien au contraire. C’était la seconde fois que Sigurd prenait la parole pour mettre à mal les plans de quelqu’un. Et loin de mal le prendre, l’envoyé de Nowel l’écoutait avec une attention qui donnait l’impression de vouloir l’encourager à continuer, pour aller jusqu’au bout des choses. La seule chose que Santa ne semblait pas tolérer dans son comportement, c’était les insultes vides de sens. D’où son intervention.

              Le jeune homme ne savait pas encore exactement pourquoi Santa Klaus agissait de la sorte. D’autant plus que jusque-là, il ne le faisait qu’avec lui. Et cette attitude pratiquement paternaliste était quelque chose que Dogaku n’appréciait pas vraiment. Mais ça, il ne pouvait pas le lui dire maintenant.

              -Ok. Ouais. Alors dans ce cas, dîtes moi, reprit Dogaku en se tournant vers Petrus. Vous allez faire quoi, une fois que vous aurez le soutien et l’aide que vous demandez ? C’est quoi, l’idée ?
              Tout le monde regarda le chasseur, cette fois. Petrus ouvrit la bouche. Mais ne prononça pas un mot. Il réfléchissait. S’il devait dire quelque chose, il devait en être sûr.
              -Prenez votre temps, ouais, appuya Dogaku. Vaut mieux dire une connerie bien pensée qu’un truc plat et juste con. Posez-vous, prenez votre temps. Z’allez voir.

              Petrus ne desserra pas les dents, même s’il en fut sérieusement tenté. Il savait déjà ce qu’il voulait dire. Il l’avait déjà annoncé des heures auparavant, aux six représentants de l’île qu’il avait rencontré, quatre heures plus tôt, dans cette même demeure, lorsqu’il avait voulu les convaincre de coopérer avec son idée. C’était très simple. Extrêmement simple. « Des opérations de guérilla » ; tel ce qu’il leur avait dit.

              Et pourtant, face à Sigurd, il n’osa pas s’exprimer. Sa situation était comparable à celle d’un enfant, confronté à un test d’intelligence par un professeur particulièrement retors. Il avait une réponse en bouche, mais savait qu’elle n’était pas la bonne. Guérilla. Plus il y réfléchissait, moins il savait ce que cela voulait dire.

              Son plan n’était pas simple. Il était simpliste. Vide. Et creux.

              Petrus le savait depuis le début. Mais il ne savait pas quoi faire. Et encore moins quoi dire, désormais. Aussi resta-t-il silencieux.
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