-Et vous êtes ?, demanda Mousch.
-Ho ! Ho ! Ho ! Ma foi, je dirais bien trempé.
-Et il n’est pas seul !, vociféra Sir Arno en brandissant son stylo, rapidement suivi des autres.
Faisant preuve d’une agilité saisissante, Elizorabeth avait réussi à hisser la carcasse de son compagnon en même temps que la sienne. Dans le même temps, le sergent Satomaru finissait lui aussi d’escalader la paroi du galion, sabre en main, et poignard coincé entre les dents. Avec Santa, ce petit groupe de personnages atypiques dégageait assez de présence pour rayonner de toutes parts, même parmi la foule de pirates qui les encerclaient de toutes parts.
Et derrière eux se trouvait Loromin, le joueur professionnel. En dépit de sa maigre stature d'homme poisson élancé, ce personnage n'était en rien un combattant. Et pour cause, avançait-il systématiquement. Loromin avançait à qui voulait l'entendre qu'il était un metagamer, qui connaissait les meilleures recettes pour décrocher la victoire en toute situation. Et à ses yeux, en dépit de la situation mortelle où ils s'étaient plongés, ils avaient toutes leurs chances. Les Chevaliers de Nowel avaient rassemblé quatre héros, tandis que le camp d'en face était constitué d'une armée d'anonymes.
-Et vous allez faire quoi, vous cinq contre nous tous?
-Ho ! Ho ! Ho ! Excellente question. Ma foi…
-On va tous vous dépiauter un par un s’il le faut, racailles !
-Essayez donc pour voir!
Réagissant à la bravade du sergent, une bonne dizaine de pirates s'avancèrent vers eux. Mais entre l'humandrill et le colosse à la barbe blanche, ils se heurtèrent bien vite à un mur. Face à leurs assaillants, Santa donnait pratiquement l'impression d'en prendre un pour cogner sur l'autre. En ce qui concernait Elizora, elle employa littéralement son conjoint, Sir Arno, comme arme. Et la voir ainsi brandir son partenaire pour renverser quiconque s’approchait d’eux constituait une vision particulièrement édifiante. Semblable à un ballon de baudruche mal gonflé, porté à bouts de bras par sa chère et tendre, le petit requin obèse fut bien rapidement employé comme projectile. Sa dulcinée avait effectué un tour sur elle même pour prendre de l'élan, et renversé un bon groupe de pirates avec son projectile improvisé. Pour le requin, ce fut sans mal: c'était un coriace, et son armure de cuir, d’écailles, de muscles et de graisses constituait un blindage étonnant.
Mais celui qui attaquait les pirates avec le plus d'ardeur, celui qui s'acharnait à les faire ployer avec toute sa hargne, restait de loin le sergent Satomaru. L'efficacité militaire et sa répugnance à peine contenue pour la piraterie exprimaient librement sur un champ de bataille. Ici, il s'agissait de blesser, tuer, de mutiler au plus vite pour épurer les rangs ennemis. Et ses coups de sabre frappaient avec autant de férocité que les griffes d'un tigre affamé dans un enclos de moutons hébétés.
Bien vite, les pirates comprirent qu'ils n'avaient pas affaire à n'importe qui, et qu'ils devraient se lancer tous ensemble sur ces intrus pour espérer en finir rapidement avec eux. Qu’à cela ne tienne, songèrent-ils. Ils étaient bien assez nombreux pour pouvoir se charger de ces indésirables sans que le navire n’ait à se dérouter, ni même à se soucier d’eux.
Ils étaient à bord d’un galion. Et à son bord, il y avait un peu plus de deux cent pirates, tous prêts à en découdre s’il le fallait. Aussi valeureux qu’ils puissent être, les Chevaliers de Nowel n’avaient aucune chance d’en réchapper. Ils venaient de se conduire à l’abattoir, rien de moins.
Tant et si bien que pas grand monde parmi les pirates ne fit grand cas de ces intrus. Mousch ne bougea pas d’un pouce, et se contenta de superviser la progression de ses hommes. Leurs adversaires étaient forts, certes. Mais cela ne suffirait pas face à des assauts brefs et répétés. Par sa part, Crachin les ignora complètement. Pour lui, il n’y avait plus qu’une seule chose qui comptait. Une seule chose qui le faisait vibrer tout entier d’impatience depuis qu’il avait donné l’ordre d’assiéger cette île.
Son fruit.
Avec le navire de Grenadine prit en étau entre ses trois galions, ce n’était plus qu’une affaire de quelques dizaines de minutes avant qu’il ne revienne en sa possession. Et lorsque ce serait le cas, plus rien ni personne ne pourrait l’arrêter. Son retour aux affaires était inévitable… et il approchait à grands pas.
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Et c'était précisément sur ces deux autres navires que les choses allaient maintenant se jouer. Complètement ignorants de ce qu'il se passait sur le navire de Crachin, ces marins manoeuvraient de leur mieux pour forcer leur prisonnier à s'immobiliser définitivement. Une tâche particulièrement compliqué par le fait qu'ils ne pouvaient pas encore faire usage de leurs canons pour saborder le navire des renégats de Barbara : pas sans risquer de perdre ou d'endommager le fruit démoniaque, ce qui serait inacceptable.
Pire encore, il était clair que le navire prisonnier s'en était rendu compte, et qu'il faisait maintenant de son mieux pour ne pas se laisser clouer sur place. En désespoir de cause, il avait changé de cap en direction de la seule voie qui lui restait, en direction du port de Varedas. Pour ce faire, il avait dû frôler d'extrêmement près deux des galions pirates, et bien failli se faire verrouiller sur l'instant. Quelques grappins bienheureux avaient réussi à les accrocher, et sans la velléité de Barbara pour exhorter ses marins à les décrocher, leur aventure s'en serait arrêtée là.
Mais même ainsi, le capitaine Dogaku, qui avait été amené sur ce navire que dans le seul but de superviser ses manoeuvres, savait pertinemment qu'ils ne faisaient que gagner du temps. Pour le moment, les pirates étaient en confiance, et savaient qu'ils finiraient par les avoir, tôt ou tard. Chaque échange qui se faisait était beaucoup plus exigeant pour les traqués que pour eux-mêmes. Et comme leur victoire était assurée, la pire des choses à faire aurait été de prendre des risques inutiles et manquer de perdre leur fruit. Les galions avaient beau être moins maniables, ils étaient néanmoins bien plus rapides. Et plus massifs: toute collision aurait été particulièrement dangereuse pour le petit navire. Étrangement, le capitaine Dogaku utilisait ce fait à son avantage, en s'approchant déraisonnablement près des navires de guerre lorsqu'il sentait bien qu'ils ne pourraient pas faire autre chose que s'écarter, sous peine de le couler.
C'était comme les convulsions désespérées d'un fauve que l'on avait enfermé dans un enclos, et que l'on cherchait désormais à endormir à l'aide d'une seringue. Il n'y avait que deux bonnes façons de faire. S'y prendre vite et bien, de manière à neutraliser l'animal avant qu'il ne puisse blesser quelqu'un. Ou attendre, tâtonner, ouvrir des fenêtres d'opportunité, et exploiter la plus parfaite de toutes, celle qui finirait tôt ou tard par se présenter.
Ils avaient perdu l'avantage de l'initiative, mais ne rateraient pas cette fenêtre. Personne n'en doutait.
Et maintenant, les renégats de Grenadine et Barbara faisaient route vers Varedas, toujours talonnés et encadrés par leurs poursuivants acharnés.
Le port de Varedas. Situé avantageusement en plein milieu d'une large baie allongée.
En d'autres termes, une impasse.
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Malgré toute l’expérience de Dogaku, jamais il n’aurait pu échapper à de tels poursuivants.
Malgré tout le talent de Jorgensen, jamais les sbires de Grenadine n’auraient tenté de se battre à ses ordres, contre leurs propres compères.
Et il en allait de même pour les cinq combattants qui s’étaient introduits à l’improviste sur le navire de guerre du capitaine Crachin. En aucun cas, et peu importe leur valeur, ils ne pouvaient espérer survivre à une telle situation.
En vérité, en toutes circonstances, et même en bénéficiant de tous les meilleurs hasards du monde, cette trame aurait irrémédiablement fini par déboucher sur leur trépas à tous. Parmi la multitude des avenirs et des futurs possibles, rares étaient ceux qui dénombraient la majorité des Chevaliers de Nowel ailleurs que dans le monde des Morts.
Ils s’étaient coincés. Ils étaient finis. Ils avaient navigué, tant bien que mal, parmi la succession d’étapes qui les avaient conduits jusqu’à cet instant précis. Un point de non-retour, et un cul de sac mortel pour la plupart d’entre eux. Ils avaient su influer positivement sur le cours des évènements, et avaient contribué à accélérer drastiquement la reconquête de l’île. En permettant, surtout, à ce que les pires carnages n’aient jamais lieu.
Mais on ne pouvait pas tromper le destin si facilement. Pas sans savoir comment s’y prendre. Vouloir arrêter Crachin, c’était pousser le hasard au-delà de la raison, et tenter le diable une fois de trop. Pour y parvenir, il aurait fallu disposer d’aptitudes hors du commun, tels que ceux d’un fruit du démon, ou faire preuve de trésors d’ingéniosité et de préparation.
Un fruit du démon ? Ils en avaient bien un. Mais ça n’était pas de cela qu’il s’agissait.
Il aurait fallu que les Chevaliers reçoivent l’aide d’un esprit analytique exceptionnel, par exemple. Un fin psychologue, un véritable génie de l’esprit humain, doublé d’un aventurier de longue date qui avait vécu plus que sa part d’aventures et de pérégrinations.
Le saviez-vous ? Un tel homme était pourtant présent parmi leurs rangs. Un homme qui s’avérait être infiniment plus que ce qu’il n’en laissait paraître. Et infiniment moins que ce qu’il avait déjà été, auparavant.
Cet homme se nommait Yoshimitsu Kanzatsuga. Et il se tenait là, sur le navire de guerre du capitaine Crachin, à l’écart de toute l’agitation qui animait la foule de criminels.
Aujourd’hui, il renverserait à nouveau le cours des choses, en assénant un magnifique pied-de-nez à la grande mécanique de la causalité.
Et il le ferait avec le peu de moyens qu’il avait à sa disposition.
C’était facile. Il avait déjà toutes les clés en main pour y parvenir. C’était des « clés » qui tenaient dans le creux de sa paume, et qui avait déjà servi à plusieurs reprises au cours de cette longue histoire.
Il s’agissait d’un petit escargophone, et d’une innocente seringue emplie de termizolphrénol.
Ces clés constituaient la voix de l’homme qui était à la base de tout. La capitaine Crachin. C’était lui, le point d’ancrage de toute cette affaire.
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-LE PORT DE VAREDAS EST EN TRAIN DE TOMBER ! ET A CAUSE D’UNE BANDE DE CIVILS EN BONNETS ROUGES, RIEN QUE CA ! ARRÊTEZ VOS CONNERIES ET RETOURNEZ LEUR PRETER MAIN FORTE, SI VOUS NE VOULEZ PAS VOUS FAIRE RACCOURCIR !
La voix de Crachin retentit sur les trois galions en même temps, avec une force et une fureur telles qu’on ne l’avait jamais connue. Cette seule annonce sema la crainte et l’appréhension dans près de six cent estomacs qui vibrèrent à l’unisson. Son ton était sans appel, et chacun sentait bien que désobéir, ne pas obtempérer, voire même tout simplement échouer serait susceptible des pires conséquences.
Et c’était quelque chose qui était d’autant plus étrange que Crachin lui-même se tenait là, au beau milieu de tous, et qu’il n’avait même pas ouvert la bouche. Ca, peu de monde s’en était rendu compte. Seuls ceux qui étaient présents sur le même navire que lui, dans ses environs immédiats, et assez peu occupés pour pouvoir y faire attention, l’avaient remarqué.
Ils n’obtempérèrent pas sur le champ. Mais faillirent bien le faire. En fait, ils ne savaient plus vraiment où ils en étaient. Et pour cause : réalisant avec horreur ce qui venait d’arriver, Crachin attrapa un porte-voix
-C’EST UN PIEGE ! CE N’EST PAS MOI ! CAPTUREZ GRENADINE, RECUPEREZ LE FRUIT, ET NE FAÎTES ABSOLUMENT RIEN D’AUTRE !
L’hésitation.
Le doute.
Un doute qui se diffusa instantanément dans les esprits confus des trois équipages, partagés entre deux ordres radicalement opposés.
-La ville de Varedas est tombée !
-Quoi ?
-Le capitaine Crachin a donné l’ordre de…
-Mais le fruit est à portée de main !
-Je vous demande pardon ?
-Il nous faut impérativement récupérer Varedas !
-Grenadine et ses traîtres ont le fruit ! Et le capitaine vient de dire que…
Les marins chargés de manœuvrer les bâtiments de guerre se retrouvèrent dans la pire des situations. Les officiers censés coordonner leurs actions restèrent complètement interloqués. Rares étaient ceux qui décidèrent d’opter pour un ordre ou pour un autre. Parmi ceux-ci, on dénombrait autant de l’un que de l’autre. Et toute cette confusion était véritablement dangereuse pour la seule intégrité de la structure des galions. Tirées dans un sens et dans son contraire, certains éléments poussèrent des craquements de douleur qui n’avaient rien de rassurant.
Et pendant ce temps, Yoshimitsu continuait son intoxication hiérarchique, relayé par toute une bande d’escargophones que Crachin mettait lui aussi à profit. Toujours armé de son porte-voix, le pirate avait jeté son dévolu sur l’un de ces pauvres animaux, et lui hurlait dessus à bout portant.
-COMMENT ? MAIS A QUOI EST-CE QUE VOUS JOUEZ ? SI NOUS NE PARVENONS PAS A RECUPERER LA VILLE, NOUS SOMMES FINIS !
-JE ME FICHE DE LA VILLE, JE ME FICHE DE CES PAYSANS ! JE VEUX SIMPLEMENT CE FRUIT, ET ABSOLUMENT RIEN D’AUTRE !
-C’EST UN PIEGE, ILS VEULENT NOUS DISTRAIRE POUR MIEUX NOUS POIGNARDER ! SI VOUS NE VOULEZ PAS MOURIR, REPRENEZ VAREDAS !
-UN PIEGE ? UN PIEGE ! MOI ? COMMENT OSES-TU, ESPECE DE MISERABLE PETIT… SORS DE TA CACHETTE, VIENS DONC TE MONTRER ! VOUS ! TROUVEZ-LE !
-JE SUIS LE CAPITAINE CRACHIN, N’ECOUTEZ PAS CET INFAME IMPOSTEUR ! IGNOREZ GRENADINE, ET RETOURNEZ A VAREDAS !
-MOUSCH ! MOUSCH ! DONNE-LEUR L’ORDRE DE RESTER EN POSITION, MAINTENANT !
-JE VOUS JURE, JE VOUS ASSURE, QUE SI UN SEUL D’ENTRE VOUS S’AVERE ASSEZ IDIOT POUR TOMBER DANS UN TRAQUENARD AUSSI BAS, JE VOUS TRAQUERAI JUSQU’AUX CONFINS DE LA MER S’IL LE FAUT !
Le chaos. C’était le chaos le plus total qui pulvérisa soudainement la cohésion des trois galions de guerre. Sans surprise, personne n’osa se dérouter pour rejoindre Panpeeter. Mais le petit navire qu’ils s’apprêtaient à aborder eu soudain toute la latitude dont il avait besoin pour se dégager définitivement du piège qu’on lui avait adressé. Les éclats de voix des escargophones de Crachin retentissaient sur des dizaines de kilomètres à la ronde ; ils avaient été parfaitement entendus depuis le bord du bâtiment de Grenadine. N’importe quel marin un tant soit peu expérimenté aurait pu voir l’incohésion qui régnait sur les trois grands navires.
Pour Dogaku, ç’avait été la fenêtre d’opportunité dont ils avaient tant besoin. La brèche dans la muraille, à travers laquelle ils devaient s’engouffrer s’ils ne voulaient croupir entre les mains des pirates.
Une formidable bouffée d’oxygène, pour lui et les siens. Maintenant, ils voguaient à nouveau vers le large, non plus vers l’île de Panpeeter, mais en direction des bâtiments de la marine qui ne tarderaient pas à les récupérer.
Leur rôle d’appât avait marché au-delà de toutes ses espérances. Pour lui, le plan avait été d’éloigner Crachin et ses hommes de Varedas, afin de faciliter sa reconquête. Il s’attendait à capter un seul navire ; en aucun cas trois galions d’un coup.
Qu’ils s’en soient tirés à si bon compte était un coup de chance phénoménal. Quelque chose qui n’aurait pas dû arriver.
Et il avait raison. Cela ne pouvait pas arriver.
C’était impossible.
Jamais Crachin ne les aurait laissés faire.
-NE LES LAISSEZ PAS S’ECHAPPER ! IMMOBILISEZ-LES MAINTENANT ! CANNONIERS, OUVREZ LE FEU ! NE COULEZ PAS LE NAVIRE !
C’était comme si l’enfer lui-même avait décidé de leur entrouvrir ses portes. L’explosion simultanée de vingt canons à si petite distance les fit sursauter d’horreur. C’était comme si le ciel leur était tombé sur la tête. En toutes autres circonstances, la majorité de l’équipage des renégats aurait été balayée sur le champ.
Le fruit du démon avait été leur seule assurance vie. Mais maintenant que leur mâture était réduite à l’état de charpie, leurs vies ne pesaient plus grand choses.
Sans mâts, sans voiles, ils ne pouvaient plus rien faire. Et les trois galions, même gangrenés par l’indécision, finiraient bel et bien par les attraper.
Ils ne pouvaient plus qu’attendre l’inévitable, impuissants qu’ils étaient. Ce n’était plus qu’une question de temps. Et il était fort peu probable que les navires de la marine, qui voguaient droit vers eux, n’arrivent à temps pour leur prêter main forte.
*
* *
*
A bord du galion de Crachin, les héros de Panpeeter s’en sortaient pour leur part bien davantage. L’intervention de Yoshimitsu, couplée au chaos ambiant et à la nécessité de manœuvrer le navire en permanence, leur assurait de ne pas se retrouver ensevelir sous des vagues et des vagues d’adversaires tous entiers consacrés à les éliminer. Ils avaient beaucoup d’autres tâches à accomplir.
Et c’était bienheureux, car les combattants peinaient déjà énormément à contenir les assauts de leurs ennemis. Santa Klaus avait déjà prit plusieurs mauvais coups ; sa hotte était en bien piteux état, et les petits trous qui l’émaciaient indiquaient qu’elle lui avait servit de nombreuses fois à se protéger de nuées de balles. Seul Sir Arno semblait encore inaffecté par le combat. Pour leur part, Elizorabeth et Satomaru commençaient à montrer des signes de fatigue évidents.
Et derrière eux, on retrouvait l’autre homme poisson, le pro-gamer, celui qui n’avait absolument rien à faire ici, et qui observait la scène avec un détachement tout prononcé. Peut être était-il fou, lui aussi. Car il ne se souciait en aucun cas de savoir si sa propre vie était oui ou non menacée. Il observait les Chevaliers de Nowel, tout simplement. Sa curiosité s’en retrouvait toute piquée, et c’était tout juste si on ne lui trouvait pas des pépites dans les yeux. Il venait tout juste de finir d’analyser les aptitudes de Sir Arno, dont la fiche de personnage restait emplie de mystère. Maintenant, c’était sur le sergent de la marine que son attention s’était dirigée. Il était clair que cet homme ne tarderait pas à essayer quelque chose.
Loromin, tout attentif qu’il était, avait cerné une certaine évolution dans l’attitude du sergent Satomaru vis-à-vis de la petite troupe de l’Esprit de Nowel. Le changement semblait s’être opéré lorsque le militaire avait côtoyé Sigurd Dogaku, pendant leur confection improvisée du plan de réclamation de l’île.
Quoi qu’il en soit, jugea l’homme poisson, il n’avait aucun doute sur un certain point. Aussi basse que puisse être l’estime de base qu’il portait aux civils, son jugement avait été sensiblement révisé au cours des dernières heures. Désormais, le lien qui unissait Satomaru à la bande de Santa Klaus relevait probablement du rang C… peut être du rang B. Loromin n’arrivait pas à être sûr. En les voyant évoluer ensemble en plein combat, il était clair qu’ils se faisaient confiance, se reposaient l’un sur l’autre, et profitaient d’un bonus d’esquive et de vitalité renforcé digne d’un social link de rang B. Pour autant, Santa Klaus ne bénéficiait visiblement pas d’un bonus de critique aguerri pourtant caractéristique d’une entente martiale d’un tel rang. A moins que son statut d’Envoyé de l’Esprit ne soit incompatible avec une manœuvre aussi violente et meurtrière que le coup critique ? C’était difficile à dire, et le mystère restait entier, même pour un spécialiste tel que lui.
A l’inverse, n’importe quel novice en la matière pouvait se rendre compte que les deux combattants avaient très rapidement cerné quelles étaient les aptitudes de l’autre, et appris à les utiliser à bonne escient. Voyez plutôt :
TIGER BLADE !
SANTA SPRING !
DOUBLE SKILL : SANTA AIRLINES !
Avec la férocité qui lui était toute caractéristique, Satomaru exécuta l’une de ses manœuvres fétiches, le Tiger Blade. Il ne s’agissait que d’un coup de sabre porté en bondissant, qui était suivi d’une seconde attaque portée lors de sa chute. Le mouvement était simple, banal, mais d’une efficacité mainte fois éprouvée compte tenu de l’énergie qu’il y investissait. Cumulée à Santa, pourtant, le mouvement prenait une toute autre ampleur. Avec suffisamment d’espace disponible, le sergent se dirigeait au pas de course vers son compagnon d’armes, sautait dans sa direction, et prenait appui sur la courte échelle que l’autre lui offrait pour s’élancer dans les airs, aidé par la propre force monstrueuse du vénérable Santa. Une fois là haut, le sergent n’avait plus qu’à utiliser l’élan de sa chute pour, au choix, asséner une attaque dévastatrice d’un coup de sabre à l’atterrissage, ou tout simplement massacrer d’un coup de pied la pauvre hère qui avait le malheur de se situer juste en dessous de lui.
C’était une manœuvre que le sergent avait l’habitude d’employer avec ses propres partenaires de la marine, mais son coéquipier du moment remplissait tous les prérequis à la bonne conduite de la technique. En réfléchissant un peu plus, Satomaru se serait pourtant rendu compte que Santa, contrairement à ses tremplins habituels, faisait de son mieux pour que le bretteur atterrisse précisément sur ses cibles, et ne soit pas en mesure de les massacrer à coups de sabre. Colère ou pas, Santa Klaus restait, toujours quelque part, parfaitement égal à lui-même.
Pourtant, parfois, le messie de Nowel n’avait guère d’autre choix que de faire couler le sang.
-ON VA LES AVOIR, OUAIS, CONTINUEZ !, s’exclama l’un des meneurs pirates.
La mêlée générale s’était rapidement resserrée autour d’eux. Les pirates, loin d’être idiots, savaient qu’ils devraient submerger leurs adversaires s’ils voulaient réussir à l’emporter rapidement sur eux. En l’occurrence, ils avaient réussi à isoler Santa et Satomaru du reste de leurs alliés. Plusieurs d’entre eux avaient pris de mauvais coups pour y arriver, et quelques uns s’étaient définitivement faits mettre à terre dans le seul but d’orienter les deux guerriers un peu plus loin de leurs alliés. Et enfin, le piège était prêt. Les pirates les avaient complètement encerclés, et étaient maintenant déterminés à resserrer l’étau d’un seul coup qui s’avérerait décisif.
Mais…
Ils ne s’attendaient pas à ce qui se produisit.
CYCLONE SWORD!
SANTA ROTATIVE!
DOUBLE SKILL : SANTA HURRICANE!
Satomaru avait déjà maintes fois connu pareil situation ; c’était un militaire de longue date, qui avait déjà mis en place et survécu à plusieurs traquenards du même genre. Quand il était seul, et entouré d’ennemis, il était capable de tournoyer rapidement sur place pour mettre en danger tous ses adversaires d’un seul mouvement. La manœuvre était ridicule, son concept technique était hautement discutable, mais n’importe quel amateur de style de combat non-orthodoxe savait reconnaître une variante de l’indémodable Attaque Cyclone. En l’occurrence, pourtant, les pirates qui les encerclaient étaient en surnombre désespérant. Mais lui n’était pas seul, et Santa, loin d’être mauvais. Juste avant que les pirates passent à l’attaque, le colosse à la barbe blanche présenta une nouvelle fois une courte échelle à son partenaire.
Cette fois, pourtant, il ne le projeta pas dans les airs. Au contraire. Il attrapa ferment ses mollets, et commença à tourner très rapidement sur lui-même, tandis que l’autre tendait son sabre bien au dessus de lui.
Le résultat était édifiant. Semblable à une toupie meurtrière, le duo causa des ravages dans les rangs des pirates qui s’étaient rassemblés à proximité. Quiconque parvenait à parer la lame de Satomaru était immédiatement renversé sous le choc conjoint de la force centrifuge et de la puissance herculéenne de Santa Klaus. Cette puissance était d’ailleurs indispensable : à chaque fois que le sabre du militaire entrait en contact avec quelque chose, le quarantenaire subissait de plein fouet l’intégralité du choc. Le sergent était dans une situation encore plus éprouvante, compte tenu de l’usage qu’il était fait de lui.
Mais le jeu en valait très clairement la chandelle. Les rares combattants capables de soutenir l’impact ne bénéficiaient d’aucun répit, car le sabre du marine revenait tout de suite vers eux pour les terrasser de nouveau. Venait ensuite le tour des plus malheureux d’entre tous, ceux qui se retrouvaient littéralement fauchés de plein fouet par l’attaque du duo. De ceux là, il y avait beaucoup de choses à dire, et elles étaient toutes sanglantes. Quelques corps se retrouvèrent mutilés ; d’autres s’effondrèrent sur l’instant, dans de grandes giclées de chair et de graisses désormais exposées à l’air libre.
Rapidement, les pirates battirent en retraite, le temps de renforcer leurs formations avant de reprendre l’attaque. Le répit ne serait que de courte durée. Maintenant, leurs adversaires donnaient des signes de fatigue évidente.
Ils ne tiendraient pas beaucoup plus longtemps.
Mais c’était sans importance.
Ils avaient déjà tenu aussi longtemps que nécessaire, grâce à Yoshimitsu. Maintenant, c’était aux autres de prendre le relai.
*
* *
*
En aucun cas, les Chevaliers de Nowel n’auraient pu espérer arrêter Crachin seuls. Ils n’étaient pas venus pour ça. Pour autant, il restait une dernière variable à prendre en compte. La Marine, bien sûr.
Point sur la bataille en cours...
Veuillez patienter...
-ENSEIGNE, AVEZ-VOUS ENFIN REUSSI A LES AVOIR EN VISUEL ?
-Presque! Le D.R.O.N.E. de reconnaissance a du mal à suivre, mais...
Le colonel avait fait déployer des Dispositifs de Reconnaissance et d’Observation Naturels à Escargovision. En d’autres termes, des pélicans, entraînés par des maîtres-fauconniers, qui transportaient des commandos Den Den : des escargots spécialement sélectionnés et retenus après une âpre formation intensive de six mois, avec un taux de réussite qui avoisinait les 3%. Il s’agissait d’un dispositif relativement récent au sein des forces de la marine, originaire d’un royaume de North Blue récemment rattaché au gouvernement mondial, mais qui peinait encore à se diffuser au-delà des équipages les plus portés sur l’expérimentation.
-Le navire de nos alliés s’est fait immobilisé, colonel ! Leur mâture est détruite… mais les trois autres galions ne l’ont pas abordé. Je vois le petit groupe de… attendez… c’est eux, les Chevaliers de Nowel ? Il semblerait que…
-JE VOIS AUSSI BIEN QUE VOUS CE QUI EST AFFICHE SUR L’ECRAN, ENSEIGNE !
En matière d’expérimentation, il n’en était pas à son premier coup d’essai. CAPSLOCK n’était en rien un officier conventionnel. A moins que ce ne soit le contraire, et qu’il ne fut, en vérité, que l’un des rares à être un officier conventionnel. Dans tous les cas, les cartouches qu’il détenait dans sa sacoche portaient bel et bien leurs lots d’originalités.
Et les troupes qu’il passait actuellement en revue en étaient bien la preuve.
-Cinquième escouade de rangers parachutistes aéropropulsés prêts à intervenir, Monsieur.
-MERVEILLEUX. COMMENCEZ DONC L'OPÉRATION. AUX DERNIÈRES NOUVELLES DU SERGENT SATOMARU, LA SITUATION ÉTAIT PARTICULIÈREMENT DÉLICATE A LEUR BORD. FAÎTES BIEN ATTENTION, SOLDATS, NOUS COMPTONS TOUS SUR VOUS.
-Oui Monsieur, à vos ordres, Monsieur!
Comme nous l'avions précisé bien auparavant, le colonel CAPSLOCK n'était, comparé à ses pairs, qu'un bien piètre combattant. C'était par ses prouesses de commandant de bord qu'il s'était démarqué, et qu’il continuerait indubitablement à le faire. À son sujet, Loromin Sohal aurait certainement dit qu'il conférait un bonus surnaturel de performances myriacuplées aux bâtiments qu’il dirigeait.
Tout le temps qu'un colonel avait pu consacrer à son entraînement personnel de combattant, lui l'avait passé à éprouver ses manœuvres navales, à vérifier quelles tactiques faisaient les meilleures recettes pour décrocher la victoire, de la même façon qu’un bagarreur apprenait quels étaient les enchaînements les plus meurtriers. Au fil des ans et des batailles, il avait eu maintes occasions de récupérer les bonnes idées des autres, et de commettre ses propres erreurs. Bien vite, il avait compris qu’un bon navire ne faisait pas tout, et que la formation d’unités de soutien spécialisées était elle aussi indispensable.
Et aujourd’hui, CAPSLOCK était fier de présenter ses cinq escouades de rangers parachutistes à tous les commissaires de l'Inspection Générale de la Marine souhaitant passer en revue l'état de ses troupes. Chacun de ces hommes était un combattant accompli, habitué à opérer en avant garde du corps de l’armée principale, et spécialisé dans les opérations d’escarmouche et de soutien ponctuel. Ce qui, dans un univers tel que celui-ci, n’avait définitivement rien de particulier.
Mais ce qui les rendait véritablement uniques, aux dires de CAPSLOCK, restait avant tout le fait que tous avaient été longuement formés pour être des parachutistes et des hommes-canons de haut vol. Au sens strict. Sur son navire, le colonel avait fait installer deux canons à bulles, inspirés des modèles utilisés par les prestidigitateurs et les artistes du cirque qui avaient la parenté du concept, et tous deux suffisamment améliorés pour trouver une place confortable dans son arsenal militaire personnel. Le reste n’était qu’une question d’entraînement.
Une fois n'est pas coutume, la possibilité de débarquer impunément des groupes de combat sur un champ de bataille allait s’avérer déterminante dans le déroulement de sa mission.
-PUTAIN C’EST QUOI CES TYPES ?!?
-BRAHAHA ! Mes gars utilisent les dernières technologies employées par les commandos de la marine d'élite du Nord !, annonça fièrement Satomaru. Qu’est-ce que vous dîtes de ça, les moules encanaillées ?
Sans surprise, l’arrivée soudaine de cinq, puis dix, puis vingt marines propulsés dans les cieux avait pris de court la totalité des acteurs de la bataille. Même les barreurs n’avaient pu s’empêcher de lever les yeux au ciel, perturbés qu’ils étaient par les longues trainées de bulles colorées qui traçaient le sillage des hommes canons. Et lorsque ceux-ci, une fois hauts dans les cieux, déployèrent leurs parachutes les uns après les autres pour contrôler et sécuriser leur descente, c’est avec des yeux grands comme des soucoupes que la majorité des spectateurs manquèrent de se décrocher la mâchoire.
Avec une expertise évidente, ces rangers parvinrent à manœuvrer leurs toiles pour atterrir sur le navire, à proximité du petit groupe en difficulté. Les combattants au sol leur facilitèrent la tâche en redoublant d’ardeur pour repousser les pirates, afin de leur laisser le temps et l’espace pour se réceptionner. Quelques rangers plus audacieux se débrouillèrent pour s’amarrer sur les hauteurs du navire, que ce soit sur la vigie, sur la mature ou dans les cordages, et relâchèrent leurs parachutes dans les rangs pirates afin de gagner un peu de temps.
Bien vite, ces marines commencèrent à donner du fil à retordre aux rangs des pirates.
-LES RENFORTS SONT ARRIVES !, s’exclama CAPSLOCK depuis son navire, porte-voix bien en main.
*
* *
*
C’était… inattendu. Surprenant. Incroyable.
Des marines comme s’il en pleuvait.
Sur son navire comme sur les autres.
Une véritable folie.
Une calamité, réalisa Crachin.
Ils devaient intervenir. Inverser la tendance. Tout de suite.
-Mousch, je vais avoir besoin de ton aide.
-Ah… capitaine… non… vous ne pouvez…
-MOUSCH, MAINTENANT ! MES ARMES !
Malgré ses réticences, le second fut bien contraint de se plier aux ordres de son capitaine. S’il s’était écouté, il aurait tout simplement plongé dans la bataille qui prenait de plus en plus d’ampleur. Il n’avait pas d’arme, lui : son corps, ses mains et sa poigne de fer étaient les seuls outils dont il avait besoin pour dominer quiconque cherchait à lui damner le pion.
Crachin, au contraire, disposait d’armes fétiches et de qualité qu’il pouvait brandir avec fierté. Takka-Marru et Sokka-Makku, deux sabres jumeaux, qui s’apparentaient à des bokken. Ces armes étaient habituellement des sabres en bois, incapables de trancher. A ceci près que les bokken de Crachin n’étaient pas en bois. Ces armes avaient été créées et travaillées à partir de l’écaille d’un monstre marin gargantuesque, que le capitaine et son équipage avaient réussi à terrasser au cours d’une bataille navale mémorable.
-Peu importe ce qui se passe, ou ce qui a pu se passer. Je suis et je resterai le capitaine de cet équipage. Avec tout ce que cela implique. Est-ce clair, Mousch ?
Ces sabres étaient comme les vestiges d’une histoire lointaine, d’une époque particulièrement lointaine… comme une vie antérieure, à la manière d’une existence depuis longtemps révolue. Elle avait marqué, comme beaucoup d’autres, ce qui correspondait au zénith de l’équipage des Cracheurs. Ces derniers mois, les deux sabres jumeaux étaient restés aussi enfermés que leur maître. Complètement laissés à l’abandon, c’est Mousch qui les avait gardés et entretenu, bien à l’abri, par simple devoir envers son capitaine.
Jamais il n’aurait cru que ces outils de mort reverraient la lumière du jour au cours de cette sombre bataille. Ni que Crachin aurait souhaité y prendre part personnellement.
Il avait réussi la rééducation que ses médecins, enlevés sur ses ordres pour s’occuper exclusivement de lui, lui avaient prodiguée. Il pouvait marcher. Il pouvait vivre normalement, en toute indépendance.
Mais de là à se battre ?
L’idée lui déplaisait particulièrement. C’était beaucoup, beaucoup trop tôt, et beaucoup trop dangereux. Mais qu’à cela ne tienne : il ne tenait qu’à lui de faire en sorte que son capitaine ne courre aucun risque. Mousch était un combattant émérite, d'un genre tout particulier. Un lutteur. Son aspect de petit personnage trapu et enrobé, ses goûts vestimentaires douteux, son affection pour les amples tees shirts bleus à rayures blanches, tout lui donnait l’air d’être un pauvre petit personnage inoffensif, indigne de la moindre considération.
Et ceci d'autant plus qu'il savait très bien se démarquer lors d'une mêlée générale.
-HUMAN TORPEDO!
Il fallait le voir pour le croire, mais c'était pourtant vrai: à peine arrivé devant un combattant adverse, le majordome de Crachin l’avait immobilisé d’une clé à la gorge, puis empoigné le torse, soulevé à bras le corps, et lancé comme une javeline en direction de ses ennemis. A deux reprises, il réitéra sa technique. Mais la troisième fois, ça ne fut pas un marine, qu’il attrapa. C’était un de ses propres compagnons qu’il utilisa comme projectile humain. Loin de s’en offusquer, l’homme-torpille profita de son nouveau statut pour porter une attaque fulgurante à ses adversaires.
Sans s’interrompre, Mousch continua à dégager quiconque approchait trop près de lui. Cette fois, il ne se donna même pas la peine de viser correctement : l’homme qu’il éjecta fut envoyé par-dessus bord, tout simplement.
-HUMAN SHURIKEN !
Santa Klaus fut particulièrement surpris de voir un homme lui débouler dessus, bras et jambes écartés, à la manière d’une étoile ninja surdimensionnée. D’un bras, il intercepta le pauvre marine envoyé de la sorte, et reposa le personnage balbutiant au sol, sans être vraiment sûr que ce dernier puisse se tenir droit.
Mousch était particulièrement dangereux, cela ne faisait aucun doute. La facilité avec laquelle il pouvait éjecter ses adversaires par dessus bord faisait de lui le plus à même d'influer sur le cours du combat. Il avait beau être moins fort que Crachin ou Santa, son art restait autrement plus performant que leurs répertoires dans cette situation.
Et c’est bel et bien pour cette raison que le duo de chasseurs de primes, Elizorabeth et Sir Arno de Belgerak, décidèrent d’approcher le vénérable Santa Klaus.
Il fallait faire quelque chose.
Et ils avaient un plan.
Mais pour le réaliser, ils auraient besoin de son aide.
Ce plan partait d’un simple constat. A chaque fois qu’il empoignait quelqu’un, le majordome du capitaine Crachin s’immobilisait pendant plusieurs secondes. C’était parfaitement normal, mais c’était une faiblesse et une opportunité que le duo de magouilleur sentait bien qu’il fallait exploiter.
-Êtes-vous prêt?
-Ho! Ho ! Ho ! Absolument.
-Très bien.
Rakrakrakrakrakrak. Et n’oubliez pas. Si notre plan tourne mal, vous serez contractuellement tenu de prendre en charge l’ensemble de mes…
TRIPLE SPECIAL : SANTA SHARK CANNONBALL !!!
Il n’eut pas le temps de finir sa phrase. Tenu et propulsé à bouts de bras par sa chère et tendre ainsi que par son nouvel allié, Sir Arno avait accepté une nouvelle fois de faire office de ballon de baudruche militarisé. Cette fois, ils le lanceraient tous les deux en même temps. Sans surprise, les trois partenaires avaient décidé de prendre pour cible la principale menace du moment, à savoir Mousch.
Le Requin fusa donc vers le dernier lieutenant de Crachin, la gueule grande ouverte, prêt à le mutiler mortellement à l'aide de sa dentition hors du commun. L'humain ne se laissa pourtant pas faire, et attrapa la tête de Belgerak juste avant qu'il ne puisse accomplir sa sinistre besogne. Le choc de l'impact fut tel que les deux combattants partirent à la renverse, dans un roulé-boulé favorisé par leurs embonpoints respectifs, jusqu'à finalement atteindre et pulvériser la rambarde du galion.
Un instant de plus, et ils finirent à la mer, ensemble.
Sur le pont du navire, on les regarda passer en ouvrant de gros yeux. Lorsque le grand splash aquatique retentit, tout le monde marqua dix secondes de silence. Un silence qui fut rapidement interrompu par le rire éclatant, vorace, pratiquement fou, du majordome de Crachin.
-Hahaha haha! Un chasseur de primes... Arno, hein? J'aurais jamais cru me faire éjecter comme ça!
-Je me nomme Sir Arno, rien d'autre, Monsieur!
-Hahaha haha! Eh bien, Sir Arno, vous n'avez pas la moindre idée du pétrin dans lequel vous vous êtes fourré!
-Vous voulez rire? Nous sommes en pleine mer, et je suis un homme-poisson!
Le chasseur de primes disait vrai. C'était du moins le point de vue de chacun de ses alliés. Mais les compagnons du pirate, eux, savaient pertinemment dans quel guêpier le chasseur de primes venait d'atterrir.
C'était pire qu'un guêpier. C'était un banc de poissons. Tout un élevage de requins.
Vous souvenez-vous de la raison pour laquelle aucun civil n'avait tenté de quitter l'île a l'improviste, que ce soit en barque ou à la nage? Pourquoi les plongeurs de la marine avaient eu toutes les peines du monde à s'introduire sur Panpeeter?
C'était la faute de toute une bande de requins marteaux, élevés par la bande d'un ancien pirate solitaire qui s'était rattaché à l'étendard des Cracheurs, et assez bien dressés pour patrouiller le long des berges de l'île. Tout ça s'était fait à l'initiative d'un seul homme, un confident du capitaine.
Cet homme, c'était Mousch.
En dépit se son air bonhomme et débonnaire, il était l'un des rares humains, sur les mers du Nord, à pouvoir nager au beau milieu d'une horde de requins marteaux sans se sentir menacé le moins du monde.
Ça n'était pas par hasard, qu'il soit devenu un formidable lutteur, un spécialiste du combat à bras le corps. Son véritable champ d'expertise était et resterait avant toute chose la lutte sous marine. Une compétence nécessaire quand on devait parfois en arriver aux mains avec des requins en phase d'apprentissage.
Sir Arno avait beau être dans son élément, il n'était nullement assuré de remporter la victoire dans ces eaux troubles.
Ni même d'en réchapper vivant.
*
* *
*
La bataille commençait à prendre une tournure dangereuse, remarqua sombrement Crachin. Avec Mousch temporairement hors jeu, les pluies de marines qui se renforçaient ponctuellement, et les navires militaires qui ne cessaient de se rapprocher, il y avait maintenant un risque que les choses aillent pour le pire.
Il avait décidé de prendre les devants en envoyant ses deux galions en direction des bâtiments du colonel CAPSLOCK. Maintenant que le navire de la traîtresse était cloué sur place, leur présence ici n’était plus nécessaire. Ce qu’il fallait, c’étaient qu’ils interceptent et engagent le combat contre les marines. Et que lui-même mette rapidement la main sur son fruit du démon. Une fois cela fait, ils n’auraient plus qu’à prendre le large.
Mais avant cela, il y avait une dernière chose à faire.
-Crachin ! J’aurais ta tête et tes jambes de bois !, s’exclama Satomaru en approchant. Soldats, on charge, on les enfonce !
Sabre au clair et bien tendu, le sergent se tenait maintenant tout près du fléau de Panpeeter, avec pour ultime obstacle un cordon formé par la garde prétorienne du capitaine Crachin. C’était ces mêmes hommes qui avaient fait office de compagnons de jeu pour la petite et terrifiante Kahlia. En cet instant, pourtant, ils n’avaient plus rien des bouffons qu’ils avaient pu être en compagnie de la fillette. Leurs aptitudes au combat faisaient honneur à leur rang au sein de l’équipage, et c’est avec une poigne de fer qu’ils tenaient à l’écart quiconque menaçait leur capitaine.
Et malgré cela, leur rempart fut bien vite ébréché par Santa Klaus, qui avait décidé de s’inspirer des méthodes de Mousch en soulevant un pirate qu’il lança sur l’élite des pirates. Ces hommes ne se laissèrent pas déconcerter ; bien vite, ils commencèrent à repousser leurs adversaires, qui avaient tenté de s’engouffrer dans la faille de leur cordon. Mais pas sans laisser passer un homme, Satomaru, qui plongea sur la première opportunité.
Il n’était pas là pour se battre avec eux. L’homme qu’il voulait, c’était Crachin, et il venait précisément de l’atteindre.
Le sergent dévisagea sa cible en la toisant malicieusement, l’air mauvais. C’était un infirme, moins qu’un boiteux, un amputé. Une proie facile. Avec l’assurance qu’il n’aurait pas le moindre mal à le renverser, Satomaru lui asséna un coup fracassant. Sans surprise, Crachin n’avait pas les moyens d’esquiver, et fut contraint d’encaisser le choc de plein fouet. Il ne vacilla pas, pourtant. Bien au contraire. Il ne lui fallut qu’un instant pour que le sabre de Satomaru s’élève haut dans les airs, arraché par les deux armes du pirate. Par pur réflexe, le sergent se jeta en arrière, et évita de peu de se faire pulvériser dans l’instant qui suivit.
Crachin avait attaqué de ses deux bokken, et essayé de prendre en tenaille le visage de son adversaire. Si l’attaque avait réussi, le crâne du marine aurait connu le même sort qu’une noix qu’on éclatait pour en manger le fruit.
Avant même que le sergent ne puisse se relever, Crachin s’avança de quelques pas saccadés dans sa direction. Même s’il ne se mouvait pas de façon naturelle, le pirate maîtrisait parfaitement ses appuis. La puissance de ses attaques en témoignait, et les armes qu’il maniait en profitaient pleinement. Les sabres du capitaine ne pouvaient pas trancher ; les blessures qu’il infligeait étaient infiniment plus dangereuses et difficiles à guérir qu’une simple entaille. Il s’agissait d’os brisés, d’hémorragies internes, de chocs assez violents pour traumatiser durablement les muscles de ses victimes. On ne subissait pas de telles attaques sans en garder des séquelles durables.
Pour sa part, Satomaru eut la chance de s’en tirer avec de simples côtes brisées. Le pirate l’avait fauché d’un grand coup de sabre dans le flanc, et l’aurait bientôt terrassé si deux autres marines ne l’avaient pas distrait. Rapidement, Crachin dû reculer. C’était maintenant quatre adversaires qui lui faisaient face. L’humandrill, Elizorabeth elle-même finit par lui bondir dessus, avant d’être dégagée par tout un groupe de pirates qui encadrèrent leur leader. Et bien vite, le combat redevint une véritable mêlée générale, à l’intérieur de laquelle personne ne pouvait espérer mener un duel et prendre l’avantage sans être perturbé par un opportuniste adjacent.
A l’initiative du sergent, les forces marines ne cessaient de se rallier afin de charger en direction du capitaine des pirates. Face à eux, les spécialistes de Crachin déployaient toute leur ingéniosité pour escorter de leur mieux leur leader, qui était, malgré son handicap, une force parfaitement à même de condamner à mort quiconque tentait de l’affronter. Leurs interventions continues permettaient à Crachin de se concentrer exclusivement à ses combats, et lui-même s’efforcer de ne tailler que des morceaux de choix.
Le pirate en était maintenant aux prises avec l’humandrill et Santa Klaus, qu’il espérait terrasser rapidement pour démoraliser l’ensemble des forces adverses. Ce ne serait plus très long. Même s’il ne connaissait rien de lui, il sentait bien que Klaus avait joué un rôle dans toute cette histoire. C’était lui qui l’avait alpagué au début du combat. Et il n’avait vraisemblablement rien d’un fanfaron.
Et même si c’était le cas, il n’aurait plus jamais l’occasion de fanfaronner de toute sa vie. Le colosse musculeux était à bout de souffle, meurtri, épuisé par les combats qu’il avait mené avant de s’opposer à lui. Et c’était tant mieux, se félicita sombrement Crachin. Car la femme-singe était en pleine forme, et lui n’avait pas de temps à perdre.
D’un coup de sabre, il força cette dernière à se replier loin de lui, en direction d’un de ses protecteurs qui comprit à quoi il voulait en venir. Le subordonné se chargea de poursuivre Elizorabeth, laissant ainsi à Crachin le temps de s’occuper pleinement de Santa.
Une première attaque foudroya l’épaule gauche du vénérable bienfaiteur ; d’autres suivirent, et l’auraient tué net s’il n’avait pas eu la chance et la présence d’esprit d’attraper les lames jumelles en plein vol.
Le choc avait été terrible pour ses poignes, mais Santa tenait bon. Crachin était immobilisé. Et incapable de se libérer, étrangement.
Ses jambes de bois. Il n’avait pas les appuis nécessaires pour remporter une telle épreuve de force. Et encore moins face à un adversaire tel que le sien.
Mais les forces du Chevalier de Nowel déclinaient à vu d’œil. Suffisamment pour que le capitaine des pirates décide de forcer l’assaut. L’autre finirait par plier.
C’était une évidence qui n’échappa à personne. Quelques-uns de ses alliés tentèrent de venir à son aide ; et ceux-là furent repoussés largement par les protecteurs de Crachin, qui redoublèrent d’ardeur au combat. C’étaient comme s’ils étaient galvanisés par la victoire de leur leader. Et pire encore. Les gardes d’élites du pirate avaient compris ce que leur capitaine allait faire. Une mise à mort. Un exemple public. Ses sabres contondants pouvaient décapiter un homme avec la même facilité qu’une guillotine. L’ouvrage était tout simplement… un peu moins propre.
Eux n’avaient plus qu’à lui laisser de l’espace, à préparer la place centrale autour de laquelle tous pourraient assister à l’exécution du quarantenaire.
Il était fort comme un bœuf, et bâtit comme un ours. Mais son cadavre n’en serait que plus terrifiant.
Santa Klaus était mort.
Ou tout comme.
Déjà, il commençait à ployer sous la force de Crachin.
Lâcha Sokka-Marru, l’arme gauche du pirate, pour empoigner à deux mains l’autre sabre.
Son corps tout entier trembla de plus belle, en réponse à l’effort monstrueux qu’il lui restait à fournir.
Mais il trembla…
De moins en moins.
Ses forces déclinaient pour de bon. Littéralement. Lui qui était pourtant si grand, n’avait jamais semblé aussi petit qu’en cet instant. Epuisé, en sueur, tout recroquevillé contre le sabre monstrueux qui ne tarderait plus à lui porter le coup fatal.
Les pirates savaient à quoi s’attendre. La décapitation. Certains se mirent à sourire, d’autres regardèrent avec impatience. Un sentiment de victoire, aussi petite soit-il, résonna dans leurs rangs. Vaincre Santa constituait une étape, un simple petit pas, vers la victoire finale. Leur allégresse était évidente, et particulièrement sinistre.
Crachin poussa un rugissement victorieux en voyant son adversaire poser un genou à terre. A ce seul son, tout le monde arrêter de combattre pour regarder dans leur direction.
Ce ne serait plus très long.
Et c’est alors que Satomaru décida de recourir à l’une des armes secrètes qu’il avait déjà employé, un peu plus tôt, lors de la reconquête de Varedas.
-HHHHHHEEEEEEEEEEEEEEEEEEEPPPPPPPPPPPPP, VOTRE ATTENTION S’IL VOUS PLAIT, BANDE DE TROUS DU CUL SCORBUTEUX !
Il se redressa malgré sa blessure, et intima à ses hommes de se tenir prêts. Ils devaient à passer à l’action tous ensembles, à l’unisson, sans quoi rien ne pourrait se faire ; c’était une condition indispensable à l’efficacité de leur manoeuvre.
L’idée n’était pas la sienne, en vérité. Et pour cause : elle était incroyablement stupide. Elle aussi venait, sans surprise, du jeune Dogaku. Il n’avait fallu qu’une vingtaine de minutes au blondinet pour faire sa part du travail. Le reste avait été confié au maire d’Oredas, l’homme qu’ils avaient libéré.
Et le résultat… était ceci :
♪ Mon Beau Sapin ♫
Mon gros Crachin, face de goret
T’es vraiment une raclure
Faut pas être fier, t’es un boulet
Et sans tes jambes, t’es sûr de perdre
T’es sot Crachin, presque simplet
Dans ta mauvaise posture
Déjà perturbé, le capitaine des pirates cessa de forcer pour écouter l’étrange cantique qu’on lui faisait là. C’était juste…
N’importe quoi.
Jamais Satomaru n’aurait cru voir ses hommes chanter comme des fillettes, et encore moins être celui qui les exhortait à le faire. Et pourtant ! C’était extrêmement plaisant, compte tenu de ces circonstances.
Le premier couplet était insultant, et il s’en réjouissait. L’idée sur laquelle était parti Sigurd était tout simplement de démoraliser les rangs des pirates, et pour ceci, rien ne valait de beaux chars de guerre artisanaux chargés de protéger les rangs de chorales entières dédiées à de l’ad hominem en bonne et due forme. Les cantiques originaux étaient parfaitement connus de tous, évidemment, et chanter sur ces airs était d’une simplicité enfantine. A partir de là, il avait suffi d’un groupe de volontaire à l’écriture bien lisible pour dupliquer le manuscrit original en suffisamment d’exemplaires pour diffuser ces hymnes dans les différents foyers de résistants de l’île. Pendant la reconquête, ils avaient été largement employés par les combattants, tant civils que marines, jusqu’à parvenir dans les oreilles de tout un chacun.
Restait néanmoins que le premier tir de Dogaku ne reposait aucunement sur ce que Santa considérait relever de l’Esprit de Nowel. Insulter un homme, aussi vil et malfaisant soit-il, était indigne de ce que le vénérable vieillard attendait et exigeait de ses Chevaliers. Un sentiment qui était partagé par de nombreuses personnes ayant commenté le prototype du cantique revisité. Luan, notamment, avait spécifié qu’elle ne pouvait décemment pas chanter sur ce couplet.
Eh bien qu’à cela ne tienne, avait répliqué le jeune homme. Ses talents de cruciverbiste aguerri lui permettaient de s’adapter très rapidement, comme en témoignait le second couplet.
Tant que Nowel, Santa et nous
Sommes tes adversaires
Méchant Crachin, c’est à genoux
Que tu finiras face à nous
Toi que Nowel, Santa et nous
Avons juré de défaire
Crachin n’en revenait pas.
Cette fois, d’autres voix s’étaient élevées haut dans le ciel. Elles provenaient du navire de Grenadine, où plusieurs personnes s’étaient jointes à la chorale des marines. La gentillesse désarmante de Sekihara combinée à l’autorité artificielle de Jorgensen avaient conduit tous les renégats de l’informatrice à coopérer, sans réellement comprendre de quoi il en retournait. Il s’agissait d’un piège, leur avaient-elles dit, d’un artifice pour tromper la vigilance de la marine, et pour pousser le capitaine Crachin à puiser dans ses ultimes réserves de force pour donner le meilleur de lui-même. Car c’était bien connu : un homme tel que lui, aculé au pied du mur face aux pires difficultés du monde, n’en devenait qu’infiniment plus dangereux, l’image d’une bête féroce.
Et c’est ainsi que tous en cœur, marines, civils, et même pirates inconscients scandèrent l’un des hymnes qui avait déjà retenti des dizaines et des dizaines de fois sur toute l’île, lorsque les forces civiles alliées aux commandos de la marine avaient frappé vite et fort pour récupérer leurs terres.
Toi vil Crachin, et tes valets
Vous êtes d’odieux personnages
Des hors la loi, vous êtes l’abcès
De la constance et de la paix
Ce pôv’ Crachin, et ses laquais
Cesseront leurs outrages
A ce stade, Santa pouvait déjà sentir les encouragements de ses pairs revigorer son corps. Il était fatigué, oui, et même particulièrement éreinté. Il avait reçu plusieurs mauvais coups, tant lors de la mêlée que dans son duel présent, et ce combat n’était que le terme d’une longue série d’épreuves qui avaient duré plusieurs jours. Et pour autant, il sentait ses forces revenir, s’affermir, se décupler bien au-delà de ce qu’elles n’avaient jamais étés. Entendre ces voix le motivait à prolonger le combat, inspirait son être tout entier à se donner pleinement dans son duel. Les coups qu’il échangeait avec le capitaine Crachin se faisaient de plus en plus toniques, tandis que lui-même fredonnait à l’unisson avec les voix qui le soutenaient. C’était bien ça, oui.
Il ne pouvait pas abandonner.
Il ne pouvait pas perdre.
Il était Santa Klaus.
Il était l’envoyé de l’Esprit de Nowel, le messie du douzième mois, le grand bienfaiteur au cœur d’or et à l’âme magnanime, l’entrepreneur paternaliste de la Santagricole, l’homme que le sort, le hasard et le destin avaient choisi pour devenir le fondateur de l’Ordre des Chevaliers de Nowel.
Lui, qui avait failli tout perdre au terme d’un terrible accident personnel, et qui avait décidé de dédier sa vie aux autres, au retour de son long sommeil comateux.
Lui, qui n’était peut-être bien qu’un pauvre fou vieillissant, sénile bien avant l’heure, en pleine crise identitaire de la quarantaine, ce dont plusieurs de ses alliés du moment étaient définitivement convaincu.
Lui, qui était devenu, par la force des choses, l’incarnation de l’espoir pour une frange non négligeable de la population de cette île tourmentée par les pirates. Il en avait parfaitement conscience, et s’était fait un devoir absolu de ne pas les décevoir.
Il leur avait demandé de lui faire confiance, après tout. Et de se ranger à ses coté. Ce qu’ils avaient tous fait, tour à tour, et ce en dépit de toutes leurs réticences. Chez certains, les signes de désaccords étaient réguliers, et bien souvent pertinents. Tant chez ses Chevaliers que chez ses alliés temporaires.
Malgré cela, ils avaient toujours fini par coopérer… bon gré mal gré. Parfois, leur doutes les dissipaient, et donnaient lieu à de tristes résistances.
Des résistances qui avaient parfois fait de la peine à la sensibilité du valeureux bienfaiteur, même s’il n’en avait rien montré.
Et c’est pour cette raison que ce qui allait maintenant arriver allait bien au-delà de toutes ses espérances, même les plus folles. Jamais, même lui, n’aurait envisagé quelque chose comme ça.
-ET MAINTENANT, LE GRAND FINAL ! TOUT LE MONDE EST PRÊT ?
Le quarantenaire pu reconnaître distinctement la voix de son spécialiste militaire, amplifiée par un porte-voix, s’adresser à tous leurs partisans. Et dans cette voix, il y avait un quelque chose de jouissif qui trahissait un autre chose d’indéfinissable. C’était un cri plein d’entrain, un cri victorieux, qui présageait quelque chose de gros, et dont il se sentait particulièrement fier.
Il s’agissait d’un chant de Nowel, l’un des nombreux préparés par Sigurd, et qui avaient tous vocation à servir d’hymne de ralliement pour ceux qui se faisaient nommer les Santamarines, ainsi qu’à leurs alliés. Mais bien au-delà de cela, celui-ci était un chant tout entier consacré à…
Santa Klaus, en personne.
-SATO’, QUAND VOUS VOULEZ ! IDEM POUR VOUS, LES AUTRES ! JE COMPTE JUSQU’A CINQ, ET…QUATRE ! TROIS !...
Cette fois, Satomaru leva les bras pour diriger ses hommes, avec un large sourire goguenard qu’il n’était pas le seul à afficher. A quelques dizaines de mètres de là, sur le navire de Grenadine, les Chevaliers de Nowel et leurs alliés de fortune gonflèrent le torse avec la même joie et le même entrain victorieux.
Mais le clou du spectacle, le véritable coup de grâce, c’était la foule de personnes qui s’était rassemblée sur le port de Varedas, et qui regardaient tous en direction du navire de Crachin, où avait lieu le combat final.
Eux aussi, allaient chanter.
♪ Vive le vent ♫
Combattons Crachin
Et sa triste vengeance
Suivons la barbe blanche
Du plus grand héros de demain!
Il va en le bravant
Sans peur et il s'avance
Sa hotte se balance
Nous guidant face à ces brigands!
[Refrain]
Oh, il est temps, habitants, d'l'île de Panpeeter!
De combattre les méchants
Il faut sauver vos terres
Oh! C'est l'instant, maintenant,
Pour tout Panpeeter,
De bouter tous ces forbans
D'un bon coup dans l'derrière!
Une voix seule ne pouvait en aucun cas espérer porter aussi loin vers la mer sans entraînement ou aptitude particulière. Mais plusieurs centaines de voix, appartenant à peut-être même près d’un millier d’âmes qui se tenaient toutes ensembles sur la jetée, pouvaient réussir un tel tour de force. Et c’est bel et bien ce qui se produisait en cet instant même : entre l’ensemble des alliés et amis qu’ils s’étaient faits sur l’île, les marines introduits sur Panpeeter et ayant pris part à la reconquête de sa ville principale, et leurs lots de civils libérés qui s’étaient joints au chant pour l’occasion, il y avait là de quoi assembler un tel chœur. Les maires des principales villes de l’île, et en particulier l’homme qu’ils avaient sauvé, s’étaient engagés à soutenir les Chevaliers de Nowel en faisant de leur mieux.
Ils avaient clairement tenu leur parole.
Sur le galion des Cracheurs, la situation semblait maintenant parfaitement irréelle. Parmi les pirates, ce fut l’incompréhension totale. Sur le visage de Crachin, un agacement profond. Et dans le cœur de Santa, c’était tout simplement l’Esprit de Nowel. Tant de personnes en train de chanter à l’unisson, et de chanter pour lui ! Il n’avait jamais vécu ça. L’émotion qui le traversait était l’une des plus pures qui pouvaient se faire. Le maître de l’Ordre était submergé par quelque chose qui allait bien au-delà de la joie.
C’était, comme nous l’avons dit, l’Esprit de Nowel. Il s’agissait de faire le bien, et de donner de soi aux autres. Et en l’occurrence, c’était un grand nombre « d’autres » qui se donnaient à lui. Et qui lui faisaient le plus grand bien du monde.
Pour la première fois depuis le début du combat, Santa Klaus laissa tinter son bref rire caractéristique. « Ho ! Ho ! Ho ! ». Un rire qui trouva son écho dans le fracas des canons de la marine, mais aussi dans les cris de tous ces soldats qui reprenaient tous en cœur le célèbre refrain de Vive le vent d’hiver. Même eux, s’étaient mis à chanter en son nom.
Un honneur qui appelait à ce qu’il donne encore un peu plus de lui-même. Mû par ses sentiments, l’Envoyé de Nowel se redressa d’un coup brusque, désarmant Crachin d’un sabre par la même occasion. Le pirate tenta bien de riposter, mais trop tard ; un poing d’une force terrifiante s’abattit de plein fouet sur son visage, le désarçonnant bien assez pour que Santa puisse l’attaquer à nouveau. En un coup sec, le pirate fut délesté de son arme, puis méticuleusement fracassé par son adversaire.
L’assaut du Chevalier de Nowel ne dura que dix secondes, suite à quoi Crachin fut envoyé à terre d’un simple coup de manchette, asséné sur l’occiput.
Santa Chop.
En recevant l’attaque, le pirate poussa un long gémissement tortueux. Un cri incompréhensible. Un hurlement de surprise, d’injustice, de haine et de douleur mêlée ensemble.
Mais pratiquement personne ne l’entendit. Entre les chants de Nowel et les exclamations d’allégresse qui retentissait aussi sûrement que des feux d’artifices, plus personne ne pouvait l’entendre.
Les pirates étaient encore nombreux. Et pourtant… pas un seul d’entre eux ne daigna faire un geste. Ils ne savaient plus quoi faire. Ils étaient perdus.
Et il n’y avait plus qu’un seul homme pour les sauver.
Santa Klaus, lui-même.
-Ho ! Ho ! Ho ! Ecoutez-moi !, s’exclama la voix éraillée du vainqueur. Je vous jure… je vous assure… je vous promets de veiller personnellement à ce qu’aucun mal de vous soit fait si vous rendez les armes aujourd’hui !
-Vous déconnez ?!, s’exclama Satomaru.
-SERGENT !
-Euh… je veux dire… pourquoi pas, ouais…
genre.
Crachin était tombé. Mais tout n’était pas encore fini. Ses hommes étaient encore présents, et en force.
Restait à savoir s’ils décideraient de combattre encore, ou de se rendre.
- Spoiler:
J’L’AI FAAAAIIIIIIT ! J’L’AI FAAAAAIIIIIIIIIT, J’AI FINI CE PUTAIN DE MEGA GIGA RP INCREVABLE ! J’AI SOLO LE COMBAT FINAL A MOI TOUT SEUL ! LES MECS, VOUS ETES AFFREUX DE PAS AVOIR VOULU M’AIDER ! JE VOUS AAAAIIIIIMMMEEEE !
*Pendant ce temps, au QG des Chevaliers de Nowel*
-Faire un combat hyper cliché pour raquer plein de dorikis : check.
-Faire de Santa L’HOMME DE LA SITUATION: check.
-Montrer aux gens qu’on sait AUSSI parfaitement faire de beaux combats bien huilés : ça devrait le faire.
-NE PAS CITER HAYLOR SUR TOUT UN RP ! : quadruple check.
-Dégonfler mon égo : ECHEC RADICAL !
-Enfin caser ces putains de chants de Nowel écrits en juin : Mission Accomplie
-Vaguement développer la reconquête de l’île complètement ellipsée parce que pas pratique : bwoarf ^^’