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Santamarines, Assemble!

Rappel du premier message :

♫ ♪Dun, Dun, Du-un Duuuuun ♪ ♫

Votre attention s’il vous plait,

Suite à des avaries dues aux conditions climatiques, nous avons le regret de vous annoncer que la navette « SLOH », à destination de l’île de Groenheim, sera immobilisée en mer pour une durée indéterminée. Pour plus d’informations, nous vous invitons à prendre contact avec un de nos agents, ou à consulter notre panneau d’affichage situé sur le pont du navire.
-C’est la huitième fois qu’ils l’annoncent… meh. On a remarqué, les mecs, merci. Ne serait-ce que parce que l’île est visible au large, grogna Sigurd. Bande de blaireaux subventionnés infichus de faire tourner les transports correctement.

Les sourcils froncés, Dogaku détourna le regard de son plateau de jeu pour s’intéresser au hublot. Ils étaient dans l’une des quelques salles communes du Sohaldiaque, conçues pour aider les passagers à passer le temps. Le Sohaldiaque, c’était un paquebot de taille moyenne, faisant office de navette maritime pour permettre aux civils de voyager d’une île à une autre à un prix abordable. Et dans des conditions… pas toujours agréables. Comme toujours, Dogaku avait largement matière à se lamenter à ce propos. Et à trouver un auditoire de bonne compagnie.

-Vous trouvez que nous sommes si mal lotis que ça ?, lui demanda la jolie brune avec qui il s’était attablé.
-Bah quand même, faut pas déconner, nan mais oh. Ils nous ont fait des déviations à la noix sur des ports paumés, c’est hyper mal équipé… même pour le peu que ça a couté, je suis sûr qu’on peut faire mieux. Et la bouffe est… mmweuah. Et ils ont même pas Age Of Navires comme jeu de plateau…
-Ca n’est pas si horrible que ça, voyons.
-Pas si horrible que ça ? Ah. Je ne sais pas en ce qui concerne les femmes, mais dans les toilettes pour hommes, y’avait carrément des…
-Je pense que ça ne sera pas nécessaire, l’interrompit la demoiselle.

Sigurd avait l’humeur aussi sombre que la météo du jour, particulièrement pluvieuse. Contrairement à lui, la charmante personne qui lui faisait face avait l’air de s’en accommoder. A moins qu’elle n’ait décidé de ne rien en montrer. C’était une façon de faire qui lui correspondait bien.

Elle s’appelait Elie Jorgensen.

Une très chouette fille, pensait Sigurd. Pas bien douée pour jouer aux cartes ou à quoi que ce soit, mais elle avait pas mal de choses amusantes à raconter. Ou alors, c’était qu’elle avait la délicatesse de rire à l’humour pourtant très moyen qu'aimait distiller Dogaku. Elle y répondait  bien, en plus. Et puis, elle avait un de ces sourires… un vrai petit soleil, prêt à faire chanter des tournesols rien qu’en laissant éclater son rire tintant de joie.

Au début, il avait eu vraiment peur. Jorgensen, ça avait une sonorité plutôt barbare. Quand on lui avait expliqué qu’il devait se présenter devant sa cabine pour aller récupérer la laitue de son escargophone, livrée par erreur au mauvais numéro, le blondinet aux yeux bleus avait craint le pire.
Jorgensen, ça ne lui évoquait pas grand-chose d’autre que des ennuis. Mentalement, il avait eu l’image d’une armoire à glace toute velue, avec des biceps gros comme des pastèques et des restes de viande graisseuse coincés dans la barbe.
Voilà. Jorgensen, ça lui signifiait Jormundgaard, le grand dragon serpentin des mythes anciens.

Et puis, Dogaku avait l’habitude des mauvaises surprises. D’autant plus que les suppositions qu’il faisait dans ses élans de pessimisme s’avéraient souvent teintées de vérités. Le bon point, avec un grand spécimen de viking tel qu’il l’attendait, c’était qu’il n’avait probablement pas mangé la laitue. Le mauvais point, qu’il s’était peut être bien épongé les aisselles avec.

Et aussi qu’il serait bien assez robuste pour imposer son point de vue sur la question.
Ainsi que pour imposer son poing, d’ailleurs.

Mais en frappant timidement à la porte de la cabine cent vingt-trois, il avait surpris la jolie brune en train de répéter pour son entretien à venir, face à Santa Klaus. Même si elle ne savait pas exactement à quoi s’attendre, la demoiselle s’était renseignée sur l’entrepreneur excentrique. Quelques coups de fil, la lecture du bottin local et une bonne dose de bouche à oreille avaient suffis à la jeune femme pour en apprendre un peu plus sur ce que devaient être les chevaliers de Noël.

Pour apporter le bonheur et la joie dans le monde, il n’y avait rien de mieux qu’une troupe d’artistes, après tout.

-Rendez-vous directement à Impel Down sans passer par Reverse Mountain…, remarqua sombrement Elie.
-Ca c’est Pad’Bol, lâcha l’autre, surpris que la partie finisse aussi vite. Banqueroute ?
-…

Moyennement contrariée, la demoiselle lui fit signe qu’elle s’arrêterait là pour aujourd’hui. Pratiquement que des défaites. Elie avait accepté de tuer le temps avec Sigurd, mais avait tout de même bien mieux à faire. Elle avait pensé qu’elle pourrait en apprendre un peu de Dogaku, au sujet des chevaliers de Noël. Mais il n’avait pas l’air d’en savoir grand-chose. Tout ce qu’il avait pu lui dire, c’était que d’après le coup de fil qu’il avait passé, il s’agissait d’une association humanitaire qui devait se former. Elie avait essayé de lui en arracher davantage, mais il s’était contenté de répondre en lui renvoyant la question.

-Et selon vous, les chevaliers de Noël, ça serait des artistes, alors ? Une pièce de théâtre, par exemple ? Ca me semble bizarre.
-Et pourquoi pas ?
-Ils m’ont affirmé qu’ils pourraient employer un officier maritime… j’imagine qu’ils ont un navire à leur disposition, et qu’il leur faut un commandant de bord. Et ça tombe bien, parce que le milieu associatif, ça doit être encore plus sympa que la milice, niveau boulot. Mwararharharh, Sig’ mon vieux, tu tiens le bon plan.
-La femme que j’ai eu au bout du fil m’a assuré qu’ils avaient besoin d’une actrice, se défendit Elie. Votre histoire ne tient pas vraiment…

Une énorme perte de temps, commençait-elle à se dire. Elle ferait mieux de retourner dans sa cabine, et de répéter. Mais le blondinet ne donnait pas l’air de vouloir la lâcher.

-Bin voyons. Et si ça se trouve, si on demande à un troisième larron, il nous dira qu’en fait, les chevaliers de Noël, c’est une association de chasseurs de primes qui œuvre pour la justice, c’est ça ?
-Vous n’avez qu’à essayer, pour voir, lui répondit Elie en souriant faussement.

S’il avait su qu’à une trentaine de mètres de là où il se trouvait, un certain homme poisson attendait lui aussi avec impatience que le Sohaldiaque accoste enfin l’île de Groenheim, Sigurd se serait accordé un ricanement satisfait.

Mais Sir Arno avait lui aussi bien mieux à faire que de traîner en public. De même qu’Elie, en fin de compte. Heureusement pour elle, une annonce lui donna l’excuse qu’elle cherchait pour quitter les lieux.




♫ ♪Dun, Dun, Du-un Duuuuun ♪ ♫

Votre attention s’il vous plait,

Un système de navettes va être mis en place pour les voyageurs désirant se rendre au plus vite à l’île de Groenheim. Pour plus d’informations, nous vous invitons à prendre contact avec un de nos agents, ou à consulter notre panneau d’affichage situé sur le pont du navire.
-Oooh. Je crois qu’on ferait mieux de…
-Excellente idée, acquiesça Elie.

C’était une chance, qu’ils se soient installés dans une salle commune. S’ils avaient été terrés dans leurs cabines, ils seraient arrivés bons derniers dans la folle course aux navettes.

Il leur avait fallu deux minutes pour atteindre le guichet des agents mentionné par l’annonce. Et une bonne dizaine de minutes supplémentaires pour que la longue fille d’attente qui les avait devancé se dissipe. Quand les imprévus frappaient, c’était comme toujours les premiers arrivés qui étaient les premiers servis.

-C’était limite, commenta Sigurd un peu plus tard.
-Tant qu’on a nos places, commenta l’autre.

Les navettes en provenance de l’île pouvaient contenir une vingtaine de personnes avec leurs affaires. Le navire en contenait quelques centaines. Pas étonnant que ç’ait été la cohue pour se procurer des places. Mais les deux compagnons de route avaient pu réserver à temps pour faire partie du premier lot.

Il ne leur restait plus qu’à rassembler leurs affaires, et à attendre.


*
*     *
*

Une heure plus tard, Sigurd était arrivé sur le pont. Prêt pour le transbordement, même s’il était bien le dernier arrivé. Et visiblement juste à temps pour ne pas être laissé derrière. Il chercha vaguement Elie du regard, mais comprit qu’elle ne l’avait pas attendu. Sans surprise.

A peine eut-il le temps d’atteindre la fine passerelle dressée entre les navires qu’une étrange figure l’arrêta. C’était quelqu’un, ou plutôt quelque chose d’incroyable. Un singe qui le surplombait. L’animal, un humandrill, était affublé d’une robe vieille école, à l’anglaise et plutôt élégante, ainsi que d’un chapeau à ruban.

Avec son parapluie carmin, elle aurait eu une classe folle si elle n’avait pas été… un singe.

Complètement déconcerté, Sigurd resta immobile. Elle lui barrait la route, et il n’osait pas encore lui parler. Comment parler à un singe, d’abord ? Est-ce qu’elle pouvait parler ? Est-ce qu’elle se vexerait ? Et d’abord, depuis quand des singes pareils existaient ?

Il fut tiré de sa rêverie par un officiel, en pleine discussion avec… une autre créature. C’était petit. C’était large, balourd, obèse. Et pourtant vêtu avec la même inspiration que le singe. Malgré l’air marin, il parvenait à imposer son odeur nauséabonde d’eau-de-sardine. Quelque chose d’assez inquiétant, à l’image de ses rangées de dents de requin. Mais plutôt qu’un requin, c’était un homme poisson. Une race que n’avait jamais croisé Sigurd, et dont il avait trop vaguement entendu parler.

Lui, c’était Sir Arno.

-Attendez attendez attendez, les interrompit-il de sa voix rauque. Messieurs, si vous voulez bien m’écouter. J’ai ici un document qui vous convaincra, j’en suis sûr, de me laisser prendre place dans cette navette.
-Qu’est-ce que c’est ?, s’enquit l’agent maritime.
-Un contrat signé par la main du capitaine de ce rafiot, qui stipule qu’il mettra en œuvre tout ce qui est en son pouvoir pour s’assurer que ma chère et tendre, ainsi que ma petite personne, arriverons à bon port, rak-rak-rak-rak-rak-rak. En temps et en heure, reprit-il avec un ricanement écailleux.
-Comment avez-vous fait pour obtenir la signature du capit…
-Là n’est pas la question, mon bon monsieur. Il s’agit de savoir lequel de ces importuns devra déguerpir d’ici. Et j’ai l’impression que notre bon ami blondinet n’y verra pas la moindre objection. N’est-ce pas, mon petit ?
-C’est…, commença Sigurd.
-Merveilleux, continua Arno. Si nous sommes d’accord, je vous prierais bien de faire de la place, insista-t-il avant de se tourner vers le singe en robe longue qui l’accompagnait. A vous l’honneur, Elizorabeth.
-C’est hors de question, répéta Dogaku.
-Tiens donc ?
-Exactement. J’ai quelque chose de prévu rapidement sur l’île, et j’ai réservé ma place.
-Non. Vous n’avez pas compris. J’avais déjà une place réservée sur ce rafiot. Et vous êtes arrivé le dernier. Vous allez donc sauter.
-Et moi je vous dis… Heuhaaaaah !

En un instant, Sigurd fut soulevé par le singe en robe longue. L’air de rien, l’humandrill le déplaça sur quelques mètres avant de le balancer brutalement. Tandis que sa dulcinée s’affairait avec le cloporte, Arno inspectait déjà la navette. Oui, se dit-il. Une seule personne suffirait, probablement. Le confort laisserait à désirer, mais ça n’était qu’une affaire d’heures, après tout. Pas besoin d’en faire tout un plat.

Ce qui n’était pas du tout l’avis du cloporte.

-Ca va pas la tête ? Et puis d’abord, c’est quoi ce cirque ? J’veux dire… woah. Z’êtes un homme poisson. J’en ai jamais vu. Ca existe vraiment ?
-…
-M’bref, oui oui. Ce à quoi je voulais en venir, c’est que… depuis quand les hommes poissons ont besoin de prendre des bateaux pour se déplacer en pleine mer ? Z’êtes un poisson, nan ? Vous prenez de la place inutilement, j’vous signale.

Trop bruyant, pensa le requin. D’un regard, il fit signe à sa compagne de se charger de lui.

-Très chère, si vous voulez bien…
-Bien quoi ?, insista Sigurd. Et puis ouais, d’abord… votre singe, c’est quoi, exactement ?

Il n’aurait pas sa réponse. A la demande de son maître, l’humandrill leva haut son poing, et le plongea sur la nuisance. Dogaku s’effondra sous le choc.

Complètement sonné, il ne parvint même pas à suivre ce qu’il se passait aux alentours. Les officiels avaient préféré ne pas faire un geste. Ce n’est que lorsque la navette décrocha, avec Arno à son bord, qu’on l’aida à se relever.

Spoiler:




Dernière édition par Sigurd Dogaku le Ven 17 Jan 2014 - 12:59, édité 1 fois
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Mwarharharharharh, j'ai explosé la limite de caractères sur un seul post avec mes 9K d'mots... ceci est la seconde moitié du précédent.





Une vingtaine de secondes plus tard, Dogaku estima la chose suffisante, et reprit la parole. Il s’adressa à Santa, cette fois.

-Bon, vous, maintenant. Petite leçon de vie sur le grand ordre des choses, ça risque de vous servir si vous continuez à vouloir sauver le monde comme ça. Des chasseurs de primes, ce sont des putains de mercenaires ambulants. Ils travaillent pour leur argent et pour leur pomme, point barre. Y'a ptêtre des petits malins qui veulent se faire un chouette CV par ce biais, en se taillant une réput', avant de passer à autre chose, mais ça reste dans la même trempe. Ou des tordus qui ont leurs objectifs propres, et qui passent par là pour faire leur merde tout en restant dans la légalité. Parce que chasser les primes, c’est chasser les gens. C’est de la violence en liberté, ça fait faire plein de trucs qui seraient illégaux dans n’importe quel autre contexte, et ça devrait juste carrément pas exister. Quand on veut vraiment faire quelque chose de bien, ou faire quelque chose d’utile, on agit pas comme ça. Manque de bol, les lois internationales sont complètement nazes sur tout un tas de trucs, et ces mecs sont assez bien vus pour carrément fonctionner au prestige. Un vrai truc de dingue. C’est pas du tout ça, le bon tableau. Ces mecs sont des parasites, et leur fonds de commerce, c’est les horreurs des autres. Point. Et tant qu’à faire… jusque-là, j'en ai jamais vu qui évaluait sa vie assez bas pour aller se faire tuer gratuitement. Et c'est parfaitement normal: y'a qu'un vrai crétin pour faire quelque chose comme ça. Et personne n’a la moindre raison d’être un vrai crétin. Ces mecs non plus.

« Vous, par contre, semblerait bien que oui ». Il l’avait pensé très fort. Mais préféra ne prononcer cette phrase, sans vraiment savoir pourquoi. Il n’avait pas encore envie de s’énerver auprès de Santa. Aussi resta-t-il un moment silencieux, attendant une réaction. Quelque chose, quelqu’un.

Personne ne chercha à reprendre la parole, pourtant. Le magicien s’était complètement rétracté, et observait l’ensemble avec le sentiment de ne pas être à sa place : il n’avait pas à intervenir. Santa Klaus conservait son expression sévère, impénétrable, sans faire le moindre mouvement qui pourrait trahir le contenu de ses pensées. Sir Arno s’était lui aussi étrangement effacé ; il observait pourtant Santa avec l’attitude d’un joaillier face à une bien étrange pièce montée.

C’étaient jusqu’à Paul, Eipode et Hanahebi, qui les avaient rejoint depuis un bon moment déjà, que le silence s’était étendu.

Lorsqu’il comprit que personne ne soufflerait mot, Dogaku reprit.

-Bref. Fin de la parenthèse. Tout ça pour dire que je surtout bien dégouté qu'on arrête d'un coup la recherche d'Haylor alors que z'étiez complètement partis pour au début. On était bien lancés, je comprends pas trop ce qui vous arrive d'un coup à suivre les premiers bourrins venus sur leur trip macro militaire à la hollywood. Bon, je peux concevoir que retrouver Haylor, vous en ayez pas grand chose à carrer et que ça soit juste mon problème... en quelque sorte. Comme même décevant de vous après les chouettes discours que vous nous avez servis, hein. Mais franchement… des chasseurs de primes se pointent, vous leurs tombez dans les bras. C’est juste dégueu. Et là, je serais quand même franchement débile de vous laisser faire vos conneries comme ça.
-Et?, indiqua Santa, imperturbable. Donc ?
-Eeeet... absolument rien du tout, concéda Sigurd d'un ton pourtant toujours aussi ferme. Z’êtes grand, j’ai pas les moyens de vous empêcher de faire ce qui vous chante, donc faîtes-vous plaisir, hésitez pas. Soyez sûr que si je pouvais faire quoi que ce soit de super méga géant dans toute cette affaire, j'hésiterais pas une seconde, mais la vie, c’est pas comme ça que ça marche. On ne règle pas des trucs pareils juste parce qu’on en a envie. Tout le monde en a envie. Alors ouais, vous pouvez y aller. Merci pour la balade, désolé de vous avoir fait chier. Je crois que ce sera tout, maintenant.

Il avait terminé. Loin de quitter la salle, pourtant, il se laissa tomber dans l’un des tristes fauteuils qui agrémentaient la pièce. Il ne regardait plus les autres, maintenant ; tout au plus se contentait-il de poser ses yeux sur leurs genoux, au hasard de ses réflexions.

Tout ce qu’il venait de dire prendrait le temps de se diffuser dans l’esprit des autres. Et dans celui du chasseur, en particulier. Mais le jeune homme s’en fichait. Dogaku avait surtout voulu râler jusqu’à plus soif, se passer les nerfs, crier à l’injustice. Ce que les autres allaient faire, il ne s’en souciait même plus. La seule chose qui l’intéressait, c’était de récupérer Haylor. Et il n’y arriverait pas.

De son coté, Petrus n’était sûr que d’une seule chose : il n’aimait absolument pas Sigurd. Tous les défauts dont faisait preuve le jeune homme lui sautaient aux yeux. Le blondinet était contrarié, faible, impuissant, et piquait sa crise en tirant sur tout le monde, tout simplement. En temps normal, Petrus l’aurait purement ignoré.

Le problème, c’est qu’il avait entièrement raison. Et pour cause : il était le seul d'entre eux tous à avoir une véritable expérience des réalités militaires. Personne n’avait eu besoin de le lui dire pour qu’il le comprenne. A ses yeux, Sigurd Dogaku parlait très évidemment en toute connaissance de cause. Son plan était fou, et tout le monde le lui répétait depuis le départ. Il se voilait la face, et ne savait toujours pas ce qu’il pourrait réellement faire une fois le moment venu. Jusque-là, il avait repoussé la question : il ne savait pas la traiter, mais sentait bien qu’il n’y avait rien d’autre à essayer. Il continuait à avancer, mais faisait route vers une impasse.

Pour autant, chaque problème avait sa solution. Et la solution à ce problème se trouvait, peut être bien, juste devant lui.

Le visage du chasseur de primes s'assombrit et donna l'air, pour la seconde fois, de prendre plusieurs années d'un coup. Lorsqu’il s’exprima, ce fut d’une voix terriblement lasse, épuisée.

-D'accord. Très bien. Dans ce cas, j'ai... juste une question. Sigurd Dogaku, c'est bien ça? Monsieur Dogaku? Ou bien je peux vous appeler Sigurd?
-Vous m'appelez comme vous voulez, parce que moi j'ai pas hésité à vous appeler gros con, et que j'vais à priori pas changer de répertoire.
-Bon. Bon. Bon. D'accord. Soit. Mettons. Dans ce cas...

Petrus prit une grande inspiration. Il devait rester calme. Trouver les bons mots. Peut-être avait-il une nouvelle carte à jouer.

Il était sûr d’une chose : quoi qu’il advienne, ils devaient continuer à avancer. Et s’il  voulait maximiser ses chances de réellement faire quelque chose d’utile, alors...

-Qu'est-ce que vous feriez à ma place, Sigurd?
-Han ?
-Eh bien… je vous demande ce que…
-Naaan. Ch’pas con, merci. J’ai parfaitement compris votre question. Là, vous êtes en train de dire, « puisque j’y arrive pas, peut être que lui, il y arrivera, puisqu’il fait le malin comme ça. Doit bien être meilleur que moi, vu que je sais pas du tout faire ça, non ? Faudrait juste qu’il m’aide, du coup, et mon truc pourrait quand même se faire ». Et là je répète que c’est mort. Pour votre info’, ouaip, j’ai été officier militaire, correct. Et non, je ne peux pas vous faire de miracles à partir de strictement rien. Niet, kaput, nada. Nej, ney. Gardez celui qui vous botte le plus.
-…
-Eh ouais. On attrape pas les mouches avec du vinaigre, et on tue pas des ours avec des mouches, s’amusa Dogaku. C’est comme ça. Personne pourrait rien faire, là. Pas vous, pas moi, et même pas le super commandant Tactik de la marine mondiale.
-Non. Vous vous trompez, Sigurd, intervint Santa.
-Ah ? Mwarharharh. ‘Sûr. Allez-y.
-Je pense qu'il a raison, tout simplement. Vous pourriez peut être le faire.
-Aw. Vous voulez pas piger, hein ? J’dois répéter quoi ?
-Ho! Ho! Ho! Je vous écoute parfaitement.
-Ca j’avais remarqué, et je vous trouve un poil flippant, d’ailleurs.
-C'est très simple. Vous êtes le professionnel
-Ah, nan, on m’la fait pas, celle-là. Un homme seul, ça sert à rien. Il faut un tout. En temps normal, pour affronter un équipage pareil, il vous faudrait autant d’hommes, avec autant de matériel, et avec autant de logistique. Là, même si vous arriviez à rassembler des gens, il vous manquerait tout le matos qui va avec. Et vos gens seraient tout sauf des soldats entraînés. Et pire, la position des pirates les avantage tellement que c’est ridicule d’espérer faire quoi que ce soit. Mort de chez mort.
-Mmmh. Donc… le problème ne vient pas de vous, mais bien du reste, n’est-ce pas ? Et avec des moyens, que pourriez-vous…
-Nan nan naaaaan nan nan. J’ai dit mort, c’est mort. On peut rien faire, et moi encore moins.
-Ho ! Ho ! Ho ! Vous ne devriez pas être aussi catégorique, Sigurd. Je vous l'ai déjà dit. Nous avons tous nos qualités et nos défauts. Nos aptitudes, et nos faiblesses. Et vous venez de nous le dire. Nous ne savons pas nous y prendre. Alors, nous devons faire preuve de clairvoyance. La question que nous devons vous poser est très simple. Que pensez-vous que nous devrions faire en pareille situation, compte tenu des moyens que nous avons, et que nous allons bientôt obtenir?
-Mwarharharh. Ce que je pense ? Que vous rêvez. Et je peux même vous le montrer, si vous le voulez. Vous voulez voir ?
-Absolument, déclara Santa. Montrez-moi donc.
-Aw. Vraiment ?
-Oui. Est-ce que cela vous pose un problème ?
-Euh… nan. Mais il va me falloir de quoi écrire, alors. Papier crayon, s’il vous plait. Et… vous avez un boulier ?

Sans vraiment comprendre, on lui apporta le matériel demandé. Le bûcheron avait bien de quoi écrire dans sa demeure ; le boulier fut pour sa part tiré de la hotte de Santa, qui contenait toute une ribambelle d’objets divers et variés.

Au début, tous crurent que Dogaku allait leur faire un dessin. Et c’est bien ce qu’il fit, dans un premier temps. Pourtant, rapidement, il passa à autre chose. Des symboles, des chiffres. Sigurd se lança dans toute une série de calculs incompréhensibles, sans prêter attention aux regards étonnés qu’on lui lançait.

-Mathétactiques, leur expliqua-t-il sommairement. Ou pour la version longue, mathématiques scientifiques d’aide à la décision appliquées à la modélisation et à la résolution de problèmes militaires. C’est des maths, c’est de la proba’, c’est de la stat', c’est un paquet d’astuces et d’intelligence pratique, et c’est un giga pack de pifomètre éclairé pour pouvoir en faire des applications concrètes au quotidien. Et regardez-moi ça. Vu comment on est dans le bouzin jusqu’au cou, j’dirais qu’on prendrait pas trop de risque en suivant les modèles probabilistes de la loi de Poisson… encore que vous allez rien y carrer si je fais ça. Bon, dans ce cas, j’vous fais un mix entre la loi Normale centrée-réduite et la loi de Murphy. C’est pas orthodoxe, mais ça fera l’affaire… faute de mieux. A partir de là, si je vous bricole un système d’équation basé sur la relation en trois parties d’Eisenhower, et que j’intègre x, y et z selon la procédure Lafayette…

Il ne s’arrêta pas. Bien rapidement, le feuillet fut recouvert d’annotations chiffrées, et de calculs insensés que Sigurd seul pouvait déchiffrer. Et l’exposé oral qu’il en faisait ne facilitait en rien la compréhension de son travail. Dogaku parlait pèle mêle de coefficient réducteur, de prime de risque, d’effet papillon, de Pad’Bol et de triple bonus à l’initiative en cas d’attaque surprise, le tout formant un cocktail pluridisciplinaire absolument incompréhensible pour quiconque d’autre que lui. Il parvint néanmoins à leur expliquer ce qu’il faisait : tous ses calculs préparaient la modélisation du problème qui se posait à eux. Sa retranscription mathématique. Rien de moins.

De sorte que, trois minutes plus tard…

-Ouais, on va dire que ça fera l’affaire pour la démo’, allez. Maintenant qu’on a le modèle, on peut faire plein de variations rigolotes pour voir ce que ça donnerait. Tiens, imaginez qu’on ait un tank, par exemple.
-Un tank ? Vous avez déjà commandé des tanks ?
-Mwarharharh. Jaloux ?
J’avais un prototype de tank à ma disposition, ouaip. Un modèle Hamsterkaiser Mark II, même, rien que ça. Z’imaginez même pas comment j’étais un môme à chaque fois qu’on pouvait le sortir, cui-ci… m’enfin l’était absolument pas pratique, le pauvre. Valait vachement mieux compter sur les modèles Mk I. C’était plutôt des bunkers à roulettes, pas de canon, pas de moteur, que de l’huile de coude, mais…
-Euuuh…
-Mwarharharh, me suis enflammé pour rien, là.
Bref. Avec un blindé de ce genre, Mark I, j’ai juste à rajouter un exposant… euuuh… on va le mettre à la puissance n, tiens, avec n le nombre de tanks déployés… et alors si on transpose ça à l’ensemble du système, alors… oh putain… ça pourrait presque marcher, eh. Mettons qu’on prenne n égal dix, et on grimpe déjà de vingt points… tiens, c’est rigolo, ça… et qu’est ce qui se passerait si… et si on avait un bateau, tiens ? Et pourquoi pas deux, d’ailleurs ?

La logique des calculs qui s’ensuivirent allait bien au-delà de tout ce que les autres auraient pu réussir à se représenter mentalement. Ce genre de gymnastique mentale ne pouvait pas se comprendre. Elle se travaillait. Et la voir ainsi en action confirma à tous ce qu’ils avaient simplement supposé jusque-là : Dogaku n’avait rien d’un sous-officier de seconde zone, tout juste bon à hurler des ordres en exhortant les autres à aller se battre. Il avait une excellente connaissance des rouages qui agençaient les opérations militaires.

En d’autres termes, il était bel et bien l’homme dont ils avaient besoin pour mener leur affaire jusqu’au bout des choses. Le plan était fou, et leurs moyens presque inexistants. Ils n’avaient plus qu’à compenser avec la qualité de leur commandeur. Ne restait plus qu’à le convaincre. Ce que Santa et Petrus s’escrimèrent à faire.

-Oh que non, résista-t-il. Vous vous plantez coooomplètement. Je n’ai. Absolument. Pas la moindre idée. De quoi que ce soit. Qu’on pourrait faire.
-Vous venez de nous prouver le contraire. A l’instant. Vous avez plein d’idées.
-Là ? Naaan. Là je fais mumuse avec un modèle mathématique, hein. C’est la même chose que de jouer avec des petits soldats de plomb. En juste un poil plus développé.
-Mais vous pouvez le faire, Sigurd. Vous y arriverez.
-Beeeen… non ?
-Je vous garantis que si. Vous finirez par trouver quelque chose. J’en suis convaincu.
-Marrant, me semblait vous avoir longuement expliqué que non, pourtant.
-Ho ! Ho ! Ho ! Et c’est bien sur ce point-là que vous vous trompez. Je pense que vous devriez commencer par vous faire confiance, Sigurd. Vous en êtes parfaitement capable. J’ai foi en vous, affirma Santa en le fixant droit dans les yeux, confiant. Et il en va de même pour notre ami Petrus. N’est-ce pas ?
-Absolument.

Sigurd eut une très désagréable sensation. La flatterie l’atteignait, mais il s’en rendait compte, et ne se laissait pas faire. Et pourtant… il commençait à perdre du terrain, et à couler dans leur sens. Il aurait préféré tout nier en bloc, refuser, et les abandonner à leur folle entreprise. Mais il n’en était plus si sûr. Santa avait réussi à l’atteindre, à nouveau. D’autant plus qu’il ne pouvait décemment pas envoyer promener quelqu’un qui lui parlait de la sorte. Les mots de Santa, et le poids des convictions qu’ils véhiculaient, étaient véritablement redoutables.

L’espace d’un instant, il failli accepter. Mais se ressaisit. Et se rattrapa à une autre branche. Sa vieille rengaine.

-Eh. Attendez, reprit-il. Et Haylor, dans tout ça ? On fait quoi, pour elle, en fin de compte ?

Tous le regardèrent, à nouveau. Et personne ne se hasarda à lui apporter une quelconque réponse. Sans surprise : il savait à quoi s’attendre, et le bien peu de cas que l’on pouvait faire de son ancienne collègue. Au stade où il en était, il savait très bien que c’était inutile. Il avait simplement envie de le leur faire cracher. En particulier maintenant qu’ils avaient eu ce qu’ils voulaient de lui.

-Alors ? Vraiment rien ? Personne ?

Bien sûr que non. Pas un seul ne pipa mot, cette fois-ci. Pas même Santa. Le regard que lui porta Sigurd fut d’ailleurs particulièrement dur.

-C’est pas bien méchant, pourtant, continua-t-il. Ce que vous devez me dire, c’est ça : « Nan mais on s’en fiche complètement, Sigurd, voyons ! Tu déconnes ou quoi ? Les deux tiers de la salle ne l’ont jamais vue, et t’es le seul du lot à l’avoir côtoyée pendant plus de quatre vingt minutes grand maximum. Alors arrête de nous bassiner avec ça, on a vachement plus important sur le dos, non mais. On doit sauver une île, rien que ça ! Pis on est même pas sûrs d’y arriver, d’ailleurs. T’imagine le truc de fou dans lequel on se lance ? Haylor, on s’en coooogne, nous. ». Et là, c’est le moment où je m’arrête de parler tout seul parce que j’atteins le summum du môme en mode caca nerveux, et que oui, j’ai vraiment une araignée au plafond, conclut-il.

Petrus avait vu juste. Dogaku était parfaitement puéril et égoïste, à fortiori lorsqu’on le contrariait. Pourtant, il savait s’en rendre compte, rester lucide, et le reconnaître sans état d’âme. Ce qui ne l’empêchait pas de ronchonner jusqu’à plus soif.

-'Tain vous faîtes chier. Tous. Vraiment, vraiment chier. Ok. Ok, ok, d’accord. On laisse crever Haylor, on va sauver machin. C’est parfaitement normal, y’a absolument aucun souci, rien à redire, vraiment. Va pour ça. Franchement très bien. Bande de... boah, restons polis, hein ?

Ils venaient de lui demander de l'aide. Et il ne pouvait rien faire tout seul. Il ne pouvait rien faire tout court, en vérité. Et ils avaient bien besoin de lui. Pourquoi dire non, dans ce cas ?

Il n’était pas idiot.

-Mais quand même, parce que y’a pas de raison. Si vous voulez vraiment essayer ça, et qu’en plus vous voulez que j’essaie de vous bricolotiser un truc complètement à l’arrache avec trois fois rien façon McGyver… alors vous ferez TOUT ce que je dirai de faire quand je dirai de le faire pour que mon truc marche bien. Et vice versa. Si je mets mon veto sur un de vos trucs à la con, alors ce truc est mort et point barre, sans objection, nul et non avenu, amorphe et dans le fossé si nécessaire. Ca marche ?
-Vous plaisantez ?
-Nop. Quitte à faire du boudin noir, autant y aller à fond. Aujourd’hui, je pique ma crise, je fais plein de caprices. C’est comme ça. Dans trois jours, j’me trouverai ridicule et je m’excuserai en riant, mais on y est pas encore, donc j’vous dis merde et c’est tout. Alors, z’en dîtes quoi ?
-…

Le chasseur de primes resta longuement silencieux. Fronça les sourcils. Pesa le pour et le contre. Ravala sa fierté. Et finit par accepter, avec la désagréable impression de faire face à un enfant particulièrement capricieux.

-Marché conclu, donc. Chouette. Quand vous voulez pour les choses sérieuses, du coup, indiqua Sigurd en applaudissant mollement.

A nouveau, le chasseur avait obtenu ce qu’il voulait… en quelque sorte. Cette fois, pourtant, Petrus ne tendit aucune poignée de main à son nouvel allié. Et il avait bien raison. C’aurait été un geste que Dogaku n’aurait sûrement pas accepté de faire.

Les choses auraient pu s’en arrêter là. Mais c’était sans compter sur la présence de Sir Arno de Belgerak, qui, s’il restait silencieux, n’en restait pas moins attentif. Et son flair légendaire de requin, capable de percevoir l’odeur d’un goute de sang diluée dans une piscine débordante, venait de sentir une opportunité.

-Vous venez de conclure un accord, leur fit remarquer son horrible voix graisseuse. Et il est de notoriété commune que la conclusion d’un accord se solde par un échange de poignées de main. Il s’agit d’un échange… de bons procédés, rak-rak-rak-rak-rak…
-Naaaan, répondit Dogaku. Je suis sûr qu’on se brûlerait les doigts, si on entrait en contact physique, tous les deux. Mauvaise idée.
-Effectivement, indiqua sombrement Petrus.
-Aaaah. Et en plus on est d’accord. C’est pas super ?
-Rak-rak-rak… je vois. Voyez-vous, dans ce cas, j’aimerais vous proposer une alternative qui a du goût. Pleine de panache. Et digne d’un grand gentilhomme… ce que vous êtes tous deux, sans le moindre doute, s’amusa ostensiblement le Requin.
-Hum. Et de quoi s’agit-il ?, demanda le chasseur.
-Mais, d’un contrat, bien sûr. Quoi d’autre cela pourrait-il bien être ?
-Vous vous fichez de nous ?

Tout ça commençait à faire vraiment beaucoup, pour le chasseur de primes. S’ils ne l’avaient pas sauvé d’une mort certaine une poignée d’heures plus tôt… en démontrant une habileté… et une complémentarité… et une…

Bon, se dit-il. Il les prenait parfaitement au sérieux, malgré leurs excentricités. Aussi hésita-t-il un instant. Et finit par abandonner. Ils savaient ce qu’ils faisaient, de toute évidence. Il avait déjà pu le constater par lui-même. D’autant plus qu’il avait partiellement l’habitude de ce genre de digressions : ses deux partenaires traînaient, eu aussi, leurs lots de particularités désespérément encombrantes.

-Mmmmh… pourquoi pas.
-Pas d’accord !, s’exclama Sigurd, soudain de bonne humeur. Au contraire. Perso, je trouve que c’est une super idée. Marrant que je sois d’accord avec vous, tiens. M’bref. Il vous faudra combien de temps, pour de la paperasse ?
-Ca ne sera qu’une affaire de minutes, se félicita l’homme poisson. Il vous suffira d’apposer… une petite signature. Après les avoir lu, bien sûr, rhin-hin-hin… rak-rak-rak… toutefois… je pense que nous pouvons faire encore bien mieux. Vous, indiqua Sir Arno, en désignant Giovanni d’un geste de la main. Vous venez également de passer un accord avec notre ami ici présent, n’est ce pas ? Le chasseur de primes… rakrakrak…
-Mmmh… en effet, opina l’homme en jaune, hésitant.
-De même pour vous, indiqua Arno à Santa Klaus. Les chevaliers de Nowel viendront en aide à tous nos… nouveaux amis… ici présents. Vous vous y êtes engagés. C’est bien cela ?
-A quoi voulez vous en venir ?, interjeta Petrus.
-Eh bien, eh bien, ma foi… ce que je vous propose, mon bon monsieur, ce n’est rien de moins que de solder notre longue entrevue par la conclusion d’un accord, en bonne et due forme. Ce que je vous propose, c’est que nous apposions notre entreprise commune, au si noble but de sauver l’île de Panpeeter, sur les bases les plus saines et les plus solides qui soient. Celles de la réciprocité contractuelle. Elle permettra de cimenter notre confiance réciproque, notre partenariat équitable, et nos ambitions convergentes, de la plus élégante et la plus efficace manière que ce soit. En plus d’apporter à chacun de nous les garanties nécessaires à la bonne conclusion de toute cette affaire, conformément aux exigences de chacun, rakrakrakrakrak, se délecta le Requin. Alors… qu’en dîtes-vous… messieurs ?

Personne n’était vraiment contre. La seule objection pertinente qui lui fut adressée concernait la perte de temps qu’engendrerait la conception de tels documents ; ce à quoi Sir Arno de Belgerak répondit en produisant un premier exemplaire dudit contrat, liant toutes les parties en vigueur, en l’espace d’une quarantaine de secondes. D’une main, il tira du vide une liasse de feuilles vierges qu’il conservait toujours sur lui. De l’autre, il tenait son stylo, qui volait dans sa main et marquait le papier bien assez vite pour qu’on ne puisse le suivre du regard.

L’affaire ne prit même pas cinq minutes. Le contrat fut, établit en autant d’exemplaires  que d’individus présents, plus un exemplaire supplémentaire que conserverait l’homme poisson, en sa qualité de juriste improvisé.

« On ne sait jamais, après tout », leur expliqua-t-il en arborant son plus mauvais sourire.


Spoiler:
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« Halte ! C’est privé !
-Tu peux dire bonjour d’abord… Grommela le nain.
-Euh… Bonjour.
-Vraiment, tu crois qu’on en a quelque chose à foutre que tu nous dise bonjour ? Tu fermes ta gueule et t’écoutes.
-Nous désirons nous entretenir avec le Capitaine Crachin. Nous sommes là en tant qu’émissaires du Capitaine Barbara, je ne doute pas qu’il acceptera de nous rencontrer, expliqua Yoshimitsu, qui était bien content de s’être gardé son petit partenaire à ses côtés.
-Je… Le Capitaine Crachin… Ne reçoit personne.
-Personne, sauf nous…
-C’est urgent, nous ne venons pas dans l’unique but de faire la causette.
-Mais…
-…
-Là, c’est le moment où tu dis en bégayant : Je vais voir ce que je peux faire. Et accessoirement celui où tu passes pour un parfait branle-couilles !
-Un… Un quoi ?
-…
-Je… Je vais voir ce que je peux faire… Bégaya le garde, un peu désorienté. »

Le médecin et son compère nain attendirent quelques minutes. Kalem se plaisait de plus en plus en compagnie de Yoshimitsu, ce qui était à vrai dire, réciproque. Les deux hommes étaient intelligents, plus que la moyenne, et se comprenaient parfaitement. Kalem soupçonnait d’ailleurs son complice d’être encore plus intelligent que ce qu’il laissait paraître. Parce qu’à chaque fois qu’il ouvrait la bouche, ils arrivaient à leurs fins. Le nabot adorait ça. Jamais il n’avouerait adorer la compagnie de quelqu’un, ce serait faire offense à tous ses principes.

Le pirate revint. Encore plus blême qu’avant. Visiblement, ce n’était pas rien que de discuter avec le capitaine. Il articula deux trois mots, pour leur signifier d’entrer. Kalem en profita pour se foutre de sa gueule et rentra dans la cabine, suivit par un Yoshimitsu souriant. Le médecin ne semblait pas effrayé à l’idée de rencontrer la terreur de l’île et le petit pharmacien s’en foutait royalement. Crachin était assis dans un fauteuil, dans un coin de la pièce, dos à eux. Ils ne voyaient que le haut de son crâne dépasser du dossier. L’homme ne devait plus se déplacer souvent. Il subordonnait de plus en plus. Ses jambes de bois étaient un handicap important.

« J’écoute, faites vite ! Retentit une voix où pointait une colère retenue.
-Nous venons vous faire part de la présence de traîtres dans vos troupes, commença Yoshimitsu.
-Hin, vous me faites presque sourire, des traîtres, des ivrognes, des terreurs des mers, des fieffés menteurs, des orgueilleux, des téméraires, de la racaille, la pire de North Blue, et c’est bien pour toutes ces raisons que je les accueille, parce qu’il n’y a que des hommes comme ça pour planter un couteau recouvert de merde dans les entrailles de la Marine.
-Certes, vous avez le bon goût de cultiver les basses semences…
-Ôte moi d’un doute, tu ne parles pas de moi, là ?
-Les excréments, la lie de l’océan, continua le médecin éternellement souriant. Toutefois, je doute qu’apprendre que vous avez un raisin pourri dans votre état-major vous enchante plus que ça.
-Je ne vous accorde qu’une confiance extrêmement limitée. Je vous garde à l’œil, vous le savez très bien, et vous venez tout de même me parler de traîtrise. J’espère que vos paroles sont justes. Qui ? Selon vous, qui oserait trahir ma fureur et ma vengeance ?
-Vous pouvez arrêter de vous cacher vous savez… Railla Kalem. C’est casse-burnes de parler à un mec de dos. Et ça pue ici ! Vous aérez tous les comb…
-NAIN ! Retentit l’effroyable voix de Crachin avant de revenir à son amer ton rauque : Si tu ne veux pas que notre différence de taille n’augmente d’une tête, cesse tes pitreries. Je te sais intelligent, et je ne vous accorde pas de temps pour qu’il soit perdu inutilement.
-Nous ne connaissons pas en détail les raisons de votre colère. Mais si nous sommes ici, c’est bien que notre confrérie souhaite changer cette colère en victoire, nous plaçons nos pions, et nous avons décidé de vous faire confiance. C’est pour ça que nous prévenons toute faille éventuelle dans votre système.
-Et cette faille est ?
-Grenadine… Souffla le nain, pour conclure le discours du médecin.
-Je ne vous crois pas. »

Bien entendu, ils s’attendaient aux doutes de leur bonhomme. Ils arrivaient comme des fleurs, accusant l’un des pontes du pirate de le trahir, alors que c’était bien lui, qui lui avait tout offert. La richesse, le travail, un haut poste. Ils ne risquaient pas de le convaincre sans preuves. Crachin se leva finalement, montrant sa bobine fatiguée aux deux hommes. Il n’avait certes pas une tête à rigoler pour rien, pas en ce moment en tous cas. TOC, TOC, TOC… Il s’arrêta et attendit. Une preuve. Ils n’auraient pas osé venir sans preuve, ils n’étaient pas fous. Il les tuerait sitôt leur manigance découverte. Ils étaient encombrants et tentaient de semer le chaos au sein de ses troupes.

« Il se trouve que nous avons des preuves à l’appui, glissa enfin Yoshimitsu.
-Votre gredine a bien un navire qui lui appartient ? Demanda le nain sans attendre de réponse. Nous savons de source sûre qu’il a quitté son port d’attache. Et elle se trouve à son bord.
-Mes hommes vont où ils veulent, Mousch sera sûrement au courant.
-Non, justement, répliqua le médecin, votre brave lieutenant lui avait donné pour ordre de nous espionner, et de lui rendre compte de chacun de nos faits et gestes. Elle a sans doute préféré nous laisser le champ libre… Quoi qu’il en soit, son navire vogue sans autorisation vers la flotte Marine. Et elle est bien décidée à vous arrêter.
-Comment savez-vous tout ça ? S’emporta le capitaine. Vous semblez bien connaître les mouvements de mon équipage, et l’identité de mes troupes d’espionnage devrait être secrète.
-Nous vous l’avons dit, la confrérie est là pour vous aider, nous devons donc être au courant des choses importantes.
-Et pour vous dire plus exactement comment nous savons pour les déplacements de votre espionne, c’est qu’elle trimballe ses miches aux côtés d’espions à nous, nous ne laissons rien au hasard, explique le nabot qui contenait sa verve habituelle.
-Vous avez infiltré le navire de Grenadine ? Demanda Crachin interloqué.
-Oui, et nous pouvons donc nous tenir au courant de ses plans en temps et en heure. Par l’intermédiaire de vos propres communications, répondit Yoshimitsu, profitant de l’occasion pour dérouler son plan. Les membres de la confrérie infiltrés sur son navire font croire à votre espionne que la confrérie est de son côté, et donc, que nous pouvons la renseigner sur vos agissements et la protéger contre tout ce qui pourrait lui arriver de fâcheux.
-En nous laissant accès à votre réseau de Dendens bien huilé, sans quoi, il pourrait s’effondrer. Ça vous permettra de la tenir à l’œil sans l’affoler. Et de lui poutrer les ovaires dès que vous aurez terminé de tout savoir sur ce qu’elle traficote avec la Marine !
-J’espère pour vous que tout ça est juste, ce sera vérifié. Si c’est le cas, je vous laisserai l’accès aux communications, sous réserve de me fournir un rapport détaillé de toutes vos découvertes toutes les deux heures. Si vous voyez le lieutenant Mousch, dites-lui que son Capitaine exige sa présence.
-Je pense savoir où on peut le trouver, répondit Yoshimitsu en souriant. »

Crachin leur fit signe de sortir, se retourna et avança jusqu’à son siège. Avec toujours cette démarche saccadée due à la perte de ses deux jambes. Kalem failli sortir un ultime commentaire, mais, pour une fois, il vit que son compagnon ne trouverait pas ça très drôle. Ils fermèrent la porte derrière eux, saluant le garde, qui s’était assis pour éviter de tomber. Ce dernier trouvait ça très étrange que les deux hommes ressortent vivants de la cabine. Encore plus étrange qu’ils ressortent avec le sourire. Plus qu’étrange, il trouvait ça extrêmement flippant. Dès que le suivant viendrait prendre son tour, il irait boire, boire et encore boire. Ça l’aiderait sûrement à oublier.

***

Pendant ce temps, marchant vers le bateau de Grenadine…

Grenadine n’avait pas l’habitude d’être dirigée. Elle obéissait dans une certaine mesure à Mousch et à Crachin, mais elle était maître à bord en ce qui constituait la manière de faire. Et ce, presque depuis ses débuts dans le métier. Elle avait toujours eu beaucoup de champ libre. Mais cette fois-ci, elle était sous les ordres directs de Barbara, la sublime et secrète capitaine pirate. Avec elle, Luan, femme médecin qui, sous des dehors naïfs, cachait une redoutable intelligence et était dangereuse à l’extrême, elle avait tout de même réussi à semer faire fuir toute une bande de l’élite de Crachin.

« Voilà, notre navire arrive… Annonça la jeune femme à ses supérieures.
-Il est plus gros que ce que je pensais, songea Luan à voix haute.
-Il est parfait, conclut Elie. Il nous faut des hommes qui ne posent pas trop de questions, vous avez ça sous la main bien sûr ?
-Ça devrait se trouver, oui. Le reste de la confrérie peut intervenir en cas de besoin, n’est-ce-pas ?
-Vous devriez éviter de mentionner la confrérie à partir de maintenant, fit Luan. Elle doit rester secrète et des marines peuvent espionner d’un peu partout.
-Pardon…
-Ce n’est pas grave, la rassura Elie, tant que vous faites attention. Et vous le ferez, je vous ai vue à l’œuvre, vous êtes très efficace. Nous pourrons partir d’ici ?
-Une demi-heure, sans doute, le temps que je choisisse mes hommes. Vous pouvez visiter le navire d’ici là, plutôt rapide et discret, pas trop petit non plus, il tient bien en haute mer.
-Très bien, venez me faire votre rapport dès que tout sera prêt. Tout devrait se faire sans embrouilles avec les autorités de Crachin, mes hommes s’occupent de nous couvrir. Ils n’auront même pas le temps de comprendre que notre plan sera déjà en route et ils seront vite débarrassés de ces Marines. »

Grenadine se retira, fonça en direction du navire. Elle n’aurait pas trop besoin de temps. C’était déjà son navire, et ses hommes. Elle enverrait faire de petites vérifications à ceux en lesquels elle n’avait pas encore une entière confiance, puis ils prendraient la mer. L’excitation lui embrumait l’esprit. Son existence prenait une importance toute particulière. À force, elle deviendrait un pilier de cette organisation. Sa frimousse rose affichait un sourire jovial. Elle se demandait comment les hommes de Barbara faisaient pour retenir l’attention de Mousch. Elle ne s’inquiétait pas pour le Capitaine, trop occupé à ruminer de sombres desseins, mais le lieutenant aurait tôt fait de se demander pourquoi elle ne venait pas faire son rapport. Bah, ils avaient réussi à la tromper elle, aucun doute qu’ils berneraient le gros homme, comment, elle ne savait pas, mais ce serait sans doute très fin et très excitant.

***

Pendant ce temps, sur le navire de Crachin…

« STRIKE !!!! »

La petite Kahlia s’amusait comme une folle. Elle avait mis du temps à expliquer le principe du bowling aux pirates, qui n’étaient pas très cultivés en matière de jeux drôles. Mousch était très réceptif à tout ce qu’elle demandait et lorsqu’elle lui avait dit qu’elle avait besoin de dix quilles et d’une grosse boule, il lui avait apporté. La grosse boule s’appelait Isabelle Relais, dite Babou, avait quarante piges et soixante-dix kilos de trop. Et n’était pas très à l’aise dans le rôle qu’on lui avait confié. En face, les dix gars malingres sélectionnés pour faire les quilles trouvaient qu’au contraire, Babou Relais avait beaucoup de chance, de ne pas être écrasée par une boule de son poids, cela va sans dire.

« À toi monsieur Louche ! Il faut que tu t’améliores ! Ca fait quatre parties que je gagne avec plus de cent points d’avance !
-Tu sais bien que j’ai d’autres choses à faire sur le navire, plein de trucs à gérer, je te laisse avec ces messieurs…
-Tu ne veux plus jouer avec moi ? Demanda la petite en pleurnichant presque.
-Sisi, je veux bien, mais je n’ai…
-Génial ! Essaie de bien viser cette fois-ci, ensuite, ce sera à Gérard de jouer, ce sera vite fait. Puis à Pilou !
-Pourquoi j’ai un surnom moi ? Demanda ledit Pilou morose.
-Parce que tu crois que je m’appelle réellement Gérard ? Au moins, c’est mignon Pilou… Pilou le sanguinaire, ça sonne bien, non ?
-Les gars, arrêtez de discuter et encouragez moi plutôt, si jamais pour une fois, je ne la mets pas dans la rivière, je veux que vous ayez vu ça !
-D’accord, lieutenant, pas de problèmes, lieutenant…
-Faudrait quand même arrêter de nous prendre pour des cons et appeler ça la mer, parce que la rivière, j’en ai déjà vu une, bah c’est vachement moins grand…
-REGARDEZ MOI CETTE CLASSE ! Hurla monsieur Mousch en voyant la boule rester sur la bateau et rouler à toute allure en direction des quilles dépitées.
-Je sens qu’on a un problème, les gars, prévint la quille numéro 1.
-Comment ? Tu veux dire qu’on va se faire éclater, c’est ça ? Demanda une autre quille, juste derrière.
-Si le gros lieutenant se met à viser correctement, on est mal…
-J’propose qu’on se couche tous et qu’on évite de gros problèmes…
-T’en as fait tomber trois Louche ! Tu t’améliores !
-Je commence à aimer ce jeu ma chère Kahlia !
-T’es marrant toi ! Tu vois bien que c’est plus sympa que de faire des trucs bizarres avec des papiers !
-Euh… Gérard, pourquoi ils sont tombés alors que la grosse est passée deux mètres trop à droite ?
-J’en sais trop rien Pilou, j’comprends rien à ce jeu, il doit y avoir des règles qu’elle a expliqué aux quilles et qu’on a pas écouté…
-Ouais, sans doute. »

C’était donc à Gérard de jouer. Kahlia, qui retenait Mousch par la jambe le forçait à regarder son sous-fifre en action. Pilou n’avait rien de mieux à faire que d’essayer de comprendre comment il pouvait mieux viser. La petite était douée, si elle avait mis un peu de temps à s’adapter aux dimensions de ce Bowling Géant, elle avait réussi à ne bientôt plus manquer sa cible, faisant tomber régulièrement les dix bonshommes qui avaient de plus en plus de mal à se tenir debout. La boule revint enfin, on la plaça devant Gérard qui vérifia une nouvelle fois l’emplacement de ses cibles, puis il prit son élan, prit bien le temps de se placer correctement, et fonça percuter la dodue qui poussa un gémissement de douleur. Elle roula, roula, roula… PLOUF.

« Rivière !! S’exclama la gamine.
-C’est la mer ! Fit Gérard, grinçant, visiblement déçu d’avoir encore loupé. Quelqu’un se dévoue pour lui expliquer ?
-Je tiens à la vie en fait…
-T’as un deuxième essai Gégé ! Tu vas réussir ! »

Kahlia encourageait tous les joueurs, même quand ils rataient, surtout quand ils rataient. Elle commença à réexpliquer à Gérard la meilleure manière de viser. C’est à ce moment-là que Yoshimitsu et Kalem terminèrent leur entretien avec Crachin. Il ne leur fallut pas plus de trente secondes pour repérer la petite, et par conséquent, le gros lieutenant. Le nain ricana, le médecin sourit. La petite avait le chic de faire exactement ce qu’on attendait d’elle, divertir à ce moment précis. Ils se joignirent au petit groupe.

« Nous venons vous ôter un poids, messieurs, intervint Yoshimitsu, décelant des soupirs de soulagement un peu partout.
-Vous nous enlevez notre petite Kahlia ? Elle est vraiment adorable, fit l’un des pirates de son ton le plus aimable et le plus attendrissant qu’il puisse.
-On parlait de Mousch, mais on embarque aussi la mioche…
-Oui, votre capitaine exige votre présence immédiatement lieutenant, lui dit le médecin.
-Vous avez parlé au Capitaine ? Demanda le gros homme, bouche bée.
-Nan, nan, on passait dans le coin et un ornithorynque invisible nous a crié de vous prévenir…
-Un ornithoquoi ???
-Laissez tomber, bougez votre cul, il vous attend ! »

Le gros lieutenant partit en ronchonnant. Il était le lieutenant du terrible Capitaine Crachin, que diable ! Il n’y avait aucune raison qu’il soit averti par des étrangers des désirs de son chef, par un nain insolent et grossier qui plus est. C’en était extrêmement insupportable. Surtout après s’être coltiné la gamine explosive tout l’après-midi car celle-ci avait jeté son dévolu sur lui. Bon, il s’était bien amusé finalement, mais… Mais tout de même ! Il redoutait à présent ce qu’il allait apprendre en discutant avec le Capitaine Pirate.

Le médecin regarda le gros homme partir en bougonnant. C’était parfait. Tout se passait à merveille. Encore mieux que ce qu’il n’avait espéré. Bientôt leur action salvatrice ferait effet et tout son stratagème fonctionnerait. Chaque morceau de l’engrenage en entraînant un autre, jusqu’à l’accomplissement total de ses objectifs. Enfin… Il fallait encore récupérer la voix de Crachin. Il avait décidé du moment où il enverrait la petite, le premier rapport qu’ils devraient faire serait une excellente occasion. Bartimeus Mousch leur serait alors d’une grande aide. Il se retourna vers la petite qui continuait d’encourager les deux pirates restant :

« Allez Kahlia, il est l’heure de laisser ces messieurs travailler.
-Mollusques de l’entrejambe, ils auraient très bien pu lui dire non et travailler quand même… Fit Kalem grinçant.
-J’ai fait pleeeeiiinnn de jeux rigolos ! Ils sont trooop nuls ! Mais je les aime bien quand même. Surtout Gérard et Pilou ! Et monsieur Louche aussi !
-Tu nous raconteras tout ça dans la cabine. »

Derrière eux, toujours collé aux basques de la petite, Plah Jya suivait et écoutait. Invisible et discret. Il ne savait pas comment s’étaient débrouillé ses collègues, mais apparemment, ils avaient changé de cible, puisque les groupes étaient différents de tout à l’heure. Pour le moment, il n’en voyait aucun, pas grave, il se chargerait de filer ces trois-là.

***

Sur le bateau de Grenadine…

« À cette vitesse, nous y seront dans quelques heures seulement, trois heures grand maximum, leur annonça Grenadine en regardant l’eau filer sous eux.
-Ça nous laisse le temps de respirer le bon air de la mer, commenta Luan.
-Oui, si tout se passe bien de leur côté, on devrait pouvoir les contacter d’ici peu, ça nous permettrait d’arranger les derniers détails avant de nous occuper de faire gober nos mensonges aux Marines.
-À vous voir agir et réfléchir toutes les deux, je ne suis vraiment pas sûre d’être à la hauteur, leur confia l’espionne.
-Si tu n’avais pas été à la hauteur, tu ne serais pas ici avec nous, la rassura la médecin.
-Merci, j’ai un peu de mal à croire la chance que j’ai. »

Elie intercepta un regard de Luan. Elle la gratifia d’un grand sourire. Non, Grenadine n’avait pas de doutes à leur propos, surtout depuis que mademoiselle Sekihara avait sorti le rouleau-compresseur pour lui faire entendre des arguments dont elle ne pouvait pas douter. La comédienne s’attachait à sa nouvelle amie. Les chevaliers de Nowel… Elle n’y avait pas cru. Au départ en tous cas, elle ne s’y était embarquée que pour donner un peu de piment à son existence. Si elle avait trouvé un emploi stable dans le théâtre, jamais elle n’aurait rencontré cette bande de doux-dingues, aimables et aimants. C’était sa troupe, son cortège d’acteurs. Brillants dans leurs domaines respectifs, ils donnaient un spectacle à la terre entière. Un matelot la coupa dans ses réflexions.

« Grenadine, un appel provenant du navire du Capitaine.
-Bien, amenez-moi ça ici…
-D’accord, tout de suite.
-J’espère qu’il s’agit des amis laissés là-bas Capitaine Barbara. Sinon, je risque de perdre ma tête rapidement.
-Ne vous inquiétez pas, j’ai confiance en mes hommes. »

À vrai dire, elle espérait aussi fortement que ce soit la voix de Yoshimitsu, mais simuler la confiance en ses hommes la rendait beaucoup plus crédible, et elle le savait. Luan aussi le savait. Elle gardait ce sourire franc et confiant comme elle en avait l’habitude. Dans quelques secondes, ils sauraient si leur plan avait fonctionné, si Crachin avait mordu à l’hameçon. Ils pourraient ensuite aborder les Marines sans trop se faire de soucis.

***

Un peu plus tôt, sur le navire de Crachin…

« Oui Capitaine, je leur laisse l’accès à nos communications… Je vais vérifier régulièrement ce qu’ils font, et je me tiens disponible toutes les deux heures pour être présent lors de leurs rapports. Bien compris.
-Essayez aussi de repérer la position de Grenadine, pour être sûrs qu’ils nous disent bien où elle est en temps et en heure. »

Mousch acquiesça. Puis se retira. Il était dans une rage folle. Contre lui-même. Il avait perdu tout son temps à occuper la petite Kahlia et son espionne en chef en avait profité pour filer, et manigancer dans son dos. Ça ne se passerait pas comme ça. Dès que tout serait réglé, il la ferait liquider. Lentement. Il ne devait absolument pas passer pour un moins que rien. Et il n’aurait de cesse de la pourchasser jusqu’à ce qu’il l’attrape et la tue à petit feu.

Il se dirigea vers sa cabine, habitée par la garde rapprochée de Barbara, aboya quelques ordres, puis frappa à la porte. On lui répondit quasi immédiatement en l’invitant à entrer. Seuls le nain, la gamine et le médecin y étaient, les autres devaient se trouver avec la traîtresse puisqu’ils avaient parlé de personnes infiltrées. Il ne perdit pas de temps et leur annonça directement que leur requête avait été acceptée et qu’ils auraient un accès immédiat mais surveillé au réseau de communication.

***

D’un côté et de l’autre de l’escargophone…

« Grenadine ? Vous m’entendez ? Demanda le petit escargophone avec la voix de Yoshimitsu.
-Cinq sur cinq, dans deux petites heures nous atteindrons le blocus, je vous laisse discuter avec le Capitaine Barbara, pour régler les détails.
-Yoshimitsu ?
-Oui Capitaine. Tout se passe comme prévu, on a le champ libre sur les communications. Vous pouvez nous appeler quand bon vous semble.
-Fort bien, Kalem et Kahlia sont avec toi ?
-Évidemment, qu’on est avec lui Barbie, où veut tu qu’on soit ? Coincés dans l’derrière de Mousch ?
-Tu as ta réponse je crois. Je les garde avec moi pour le moment, mais je laisserai probablement partir Kahlia si elle s’ennuie tout à l’heure.
-Compris. Ménage-la, elle est petite.
-Moi aussi, j’suis ptit, je devrais avoir le droit à des moments de repos. Je suis même d’une taille remarquablement plus petite que la sienne. J’suis donc autorisé à chômer ?
-Entendu. On reste à votre disposition si besoin. Vous nous donnerez des nouvelles ?
-Ah, oui, Yoshimitsu, intervint Luan, le médicament que je t’ai donné pour ta gorge, c’est bien au niveau des cordes vocales qu’il faut l’injecter.
-Encore faut-il savoir où sont les cordes vocales d’un…
CLAAK
-Il a raccroché, étrange. »

***

Sur le navire de Crachin…

Ce fut le nain qui fut désigné pour le premier rapport. Mousch vint le chercher, étant lui-même obligé d’y assister pour ne pas perdre le fil de l’histoire et parce que son capitaine en avait décidé ainsi. Kalem le suivit donc, sous l’œil attentif de Yoshimitsu qui d’un geste, envoya la petite à ses trousses. Elle savait ce qu’elle avait à faire. On l’avait suffisamment briefée pour ça. Et puis elle adorait jouer les espionnes. Beaucoup de choses reposaient sur les épaules de la petite, injecter le produit et capturer le timbre un poil mélancolique et énervé de Crachin par exemple. C’était sans doute le moment le plus délicat du plan.

« Tu savais que les mouches, même ma ptite personne qui t’arrives à peine au genou les écrase sans problèmes sous son talon.
-Tiens, le nain me tutoie maintenant, c’est nouveau ? Fit le lieutenant, passablement énervé.
-Le nain te prierait de bien vouloir t’adresser à lui sans l’intermédiaire d’un qualificatif dégradant, le gros.
-Le gros… Je ne sais pas lequel de nous deux on peut le plus vraisemblablement qualifier de gros…
-Moi je sais, et c’est toi…
-Comment les autres peuvent te supporter ?! Craqua Mousch. Tu parles tout le temps, et systématiquement, pour insulter ou quoi que ce soit de désagréable !!
-Les autres ne me supportent pas, et ça me met carrément en joie parfois. Si j’avais pas toutes les qualités que tu m’accordes bien gentiment, jamais la confrérie n’aurait voulu de moi, Mousch à merde.
-T’as pas intérêt à parler comme ça au Capitaine, nabot !
-Je parle comme je veux, à qui je veux. Et les menaces ne fonctionnent pas avec moi, s’attaquer à ma personne, aussi petite soit-elle, c’est s’attaquer à Captain Barbie, pas une bonne idée.
-Tiens, pas d’insultes cette fois ? Ricana le gros.
-Drosophyle mutant obèse, ça te vas ? »

Derrière eux, faisant bien attention à ne pas se faire repérer, la petite Kahlia écoutait ce qui se disait. Elle aimait bien Kalem. D’abord parce qu’il était plus petit qu’elle, et ensuite, parce qu’il sortait des insanités, et que c’était vachement rigolo. Elle vérifiait régulièrement qu’elle avait bien le flacon dans sa poche, la petite seringue, et l’escargophone, bien planqué. Elle n’aurait pas beaucoup d’occasions d’injecter son produit. Déjà, rentrer dans la cabine de Crachin, sans se faire repérer. Pour sortir, elle avait son idée, déjà bien prête au fond de son esprit.

Mousch ouvrit la porte après avoir toqué et attendu une réponse. Il entra et annonça les raisons de sa venue. Kalem le poussa à l’intérieur. Il offrit ainsi la possibilité à Kahlia de rentrer. La pièce était sombre, et elle était petite. Tout de suite, elle se planqua derrière un meuble. Juste avant que la porte ne se referme, le petit lézard qui la suivait depuis le début de la journée passa en trombe, inaperçu. Mousch causait toujours et le nain le taclait. Il avait bien retenu la leçon de ne pas faire perdre de temps à Crachin, mais le contexte était différent. Cette fois-ci, c’est le capitaine qui demandait à le voir et c’était son lieutenant qui faisait perdre du temps, il pouvait bien gâter de quelques doux mots les oreilles des deux pirates.

« Enfin, c’est à moi de causer ? On m’oblige à perdre mon temps pour… M’bref, on a réussi à contacter l’équipage de Grenadine, elle ne soupçonne absolument rien. Ils étaient à environ deux heures des navires de la Marine au moment de la conversation. Elle sait bien entendu d’où provient l’appel, mais nous lui avons sorti un petit mensonge bien ficelé... Vous voulez savoir quoi de plus ? Pas l’habitude de faire des rapports, c’est trop chiant, ça prend un temps fou et ça m’casse carrément les couilles.
-J’espère un peu plus de matière au prochain compte-rendu, lui fit Crachin.
-Y en aura. Le contact avec les Marines se sera fait avant qu’on vienne vous voir. Bon, j’me casse si vous n’avez plus besoin de moi.
-Mousch, tu restes, je veux te parler. »

Le nain claqua la porte derrière lui. Kahlia avait profité de la discussion pour s’approcher au plus près de Crachin. Plah Jya était prêt à sauver son Capitaine à la moindre menace de la part de la petite. Il observait, attentif. Il n’était pas très bien placé pour voir ce qu’elle traficotait, mais si jamais elle tentait quoi que ce soit, il aurait le temps d’intervenir. C’est comme ça, on ne pouvait pas tout avoir dans la vie.

Crachin, lui, ne se doutait pas une seconde de la présence des deux espions. Le sien était invisible, et l’autre plutôt discrète. Il continuait à disserter avec Mousch, à se demander ce qu’il vaudrait mieux faire ou pas.

Kahlia sortit ses instruments.

Le gros lieutenant parlait tactique avec un doigté nécessaire aux récentes sautes d’humeur de son Capitaine.

Kahlia approcha l’escargophone.

Son Capitaine que la douleur due aux récents événements rendait sans doute plus fort.

Kahlia tapota la tête de l’escargot pour qu’il se réveille.

Le lieutenant parvenait à contenir les quelques folles idées massacrantes qui passaient par la tête du pirate.

Kahlia pointa sa seringue vers ce qui se rapprochait le plus du cou du mollusque.

Le capitaine avait encore le bon sens nécessaire pour ne pas se laisser emporter.

Kahlia attendit alors que le moment soit venu.

Le lieutenant expliqua longuement au Capitaine les derniers déplacements de troupes effectués.

Kahlia attendait. Attendait. Et au moment où Crachin prit de nouveau la parole, enfonça l’aiguille et injecta l’intégralité du liquide. Elle rangea très rapidement tout son matériel.

« BOUYAHYAH !! MONSIEUR LOUCHE, J’AI GAGNÉ, TU AS PERDU ! J’ÉTAIS CACHÉE ET TU M’AS PAS TROUVÉE !!!
-Qu’est ce…
-Mousch… Incorrigible Mousch… Fais sortir cette gamine, et regardes ce que tu as dans les pattes quand tu viens me voir. Je suis fatigué.
-Elle… Elle… Je suis désolé, ça ne se reproduira plus, elle s’est attachée à moi, je ne sais même pas pourquoi…
-Parce que t’es gentil monsieur Louche !
-Gentil ? Hum, c’est la première fois que quelqu’un te qualifie de gentil Mousch. Bon, vas travailler, on a déjà perdu assez de temps comme ça. »

***

Dans la salle de communications de Crachin…

« BOUYAHYAH !! MONSIEUR LOUCHE, J’AI GAGNÉ, TU AS PERDU ! J’ÉTAIS CACHÉE ET TU M’AS PAS TROUVÉE !!! Retentit la voix du Capitaine Crachin en sortant de l’escargophone posé juste devant les deux acolytes.
-Elle a réussi, annonça Yoshimitsu en éteignant son propre escargophone.
-Si ça se trouve c’est Crachin qui parle comme ça à son demi-neurone de lieutenant…
-Pessimiste ! Fit le médecin tout sourire.
-J’aurais préféré le terme de réaliste, pessimiste, ça a pour racine petit et c’est encore une nouvelle façon de m’enfoncer plus profondément dans ma condition de nain… »

Ils allaient pouvoir recontacter Elie et Luan, leur annoncer la bonne nouvelle. Et commencer à mettre un peu de chahut discret dans toute l’île.

***

Plus tard, Blocus de la Marine…

On avait escorté les trois jeunes femmes sur le navire principal. Et mit sous surveillance leur navire. C’était dangereux, mais elles ne se seraient sûrement pas sacrifiées juste pour causer quelques dommages aux navires et troupes des Marines. Mieux valait les écouter avant de faire quoi que ce soit. Mieux valait aussi ne pas provoquer l’ire du Capitaine Crachin.

« COLONEL CAPSLOCK, TOUTES MAJUSCULES ! À QUI AI-JE L’HONNEUR ?
-Nous sommes les représentants d’un groupe dissident des pirates de Crachin. Nous venons parlementer pour éviter de faire plus de victimes, introduisit Luan. Nous avons des contacts au sein même du navire principal, et d’autres occupés à rassembler tous les gens qui pensent comme nous sur le reste de l’île, à votre service colonel. »
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« Bon, entama Sigurd. Maintenant que tout ça est couché sur papier...
« Daté, signé, lu et approuvé, bon pour accord, ajouta Sir Arno.
- On va pouvoir commencer à réfléchir. Une des hypothèses de base que j'ai posées pour qu'on réussisse à sauver l'île, c'est d'avoir le soutien de la population, même sans s'en servir. En prenant en compte l'aura collective dégagée par les habitants, on peut majorer notre puissance et diminuer la concentration des pirates.
- Cela semble logique, commenta Petrus.
- Donc il nous faut sauver le maire. Des informations sur l'endroit où il a été emmené ?
- Eh bien, répondit Giovanni Panzani, d'après les informations que j'ai récoltées, il n'a pas été emmené à la prison de Varedas, la capitale. Ca tombe bien, elle est extrêmement bien protégée. Non, il semblerait plutôt qu'il se trouve à Odares, une grande bourgade à six heures de Varedas. C'est à quelques heures d'ici, si nous partons maintenant, nous arriverons pour le déjeuner. Une fois là, il ne restera qu'à infiltrer la prison et l'en faire sortir.
- Et comment allons-nous entrer dans Odares ? J'imagine que la ville est protégée, surveillée par les pirates.
- C'est pourquoi le grand Giovanni –moi, a prévu des déguisements ! Les voici ! » dit le magicien en faisant apparaître des tenues de nul part, sous les regards surpris ou appréciateurs de son public.

Quelques minutes plus tard, Sigurd, Petrus et Santa étaient accoutrés totalement différemment, et globalement ne donnaient plus du tout la vibration qui était la leur auparavant. Sigurd portait un complet marron à motif écossais, et était doté d'un magnifique monocle. Petrus, lui, avait un complet beige uni et une canne dont la poignée était une canne en argent. Pour finir, Santa avait une simple chemise de toile blanche et des lunettes rondes.
« - Rakrakrak, je vois. Elizorabeth et moi-même n'avons pas besoin de déguisement, nous sommes déjà bien habillés. On ne pouvait pas en dire autant de vous.
- Mmmh, en fait, non, corrigea Giovanni. Comme je ne crois pas qu'il y ait d'hommes-poissons sur l'île, excepté deux ou trois dans l'équipage de crachin et un touriste égaré, vous allez devoir vous cacher.
- Rakrak, donc nous restons ici ?
- Absolument pas ! Cela fait évidemment partie de mon plan, que je vais vous expliquer dès à présent !
- J'ai toujours mon droit de véto, je précise.
- Petrus et Sigurd seront les deux médecins, ou plutôt le médecin et son ami, qui reviennent d'une visite dans l'arrière-pays de l'île. Ils auront passé quelques temps dans leur maison de campagne à pêcher, jouer au squash, au tennis, et au golf. En se mijotant des petits plats.
- J'aime pas trop où va cette histoire...
- Ho ! Ho ! Ho ! Et moi, là-dedans ?
- Santa, vous serez l'assistant du médecin. Un peu simplet, éventuellement, pour éviter les questions. Voilà, je pense que tout est dit.
- Rakrakrak, il me semble que vous oubliez quelque chose.
- Ah, euh... Et bien, j'avais pensé à ça, dit Giovanni. »

Tout en disant cela, le magicien montra un grand sac de sport, qui pouvait servir pour mettre un peu de tout.
« - Vous voulez que nous nous déguisions en sac de sport ?
- Comment dire, le plan, c'était plutôt que... Ahem...
- Rakrakrak, serait-ce une extrapolation osée de ma part de dire que vous sous-entendez qu'Elizorabeth et moi-même, Sir Arno, devons nous blottir dans ce sac dégoûtant pour infiltrer la ville ? Demanda l'homme-poisson, un air outré sur le visage, en insistant sur le Sir.
- On fait ça, c'est un excellent plan, intervint Sigurd.
- C'est hors de question, rétorqua Arno.
- N'avons-nous pas signé un contrat, la loi des parties, Sir Arno ? Reprit l'ex-milicien, un sourire sur le visage.
- C'est une atteinte à ma dignité.
- C'est dans le contrat.
- C'est une atteinte à mes libertés fondamentales.
- ''Nous, soussignés la liste des signataires, nous engageons à suivre les indications de Sigurd Dogaku tant que cela va dans le sens des objectifs de l'Ordre des Chevaliers de Nowel''. N'est-ce pas ce qui est écrit ?
- Hélas, oui.
- Donc ?
- Effectivement, nous sommes unis par un contrat. Ainsi sera-t-il fait. Mais n'oubliez pas, si je meurs d''asphyxie au fond de ce sac, le contrat que nous avons signé auparavant, monsieur Klaus ! »

Giovanni ne pouvait évidemment pas les accompagner, mais il leur fournit d'importants renseignements sur la route à suivre, puis la maison vers laquelle se diriger en attendant d'infiltrer la prison pour libérer le maire. Arno lâcha un commentaire comme quoi le magicien resterait caché tranquillement dans la forêt pendant que lui allait mourir au fond d'un sac, mais tout le monde l'ignora.
« - Très bien, nous nous retrouverons là-bas.
- Comment ça, Giovanni ? Vous ne restez pas ici ?
- Rakrakrak, il va peut-être se cacher un peu plus loin.
- Non, je vais entrer en ville par mes propres moyens. Et il faut que je fasse quelque chose avec vos deux amis chasseurs de primes, Eipode et Hanahebi, selon la modélisation de Sigurd.
- Tout à fait.
- Donc on se voit tout à l'heure. Portez-vous bien. »
Après s'être dit au revoir d'un signe de la main, Arno grimpa dans le sac de sport juste après Elizorabeth, et tous deux se blottirent, plièrent et tassèrent à l'intérieur. Santa ferma alors le sac et le souleva, le soupesant de la main droite.
« - Santa, cessez cela tout de suite ou je risque de vomir, ce qui serait une violation du contrat que nous avons passé !
- Ho ! Ho ! Ho ! Pardon, je ferai attention dorénavant. »


Quelques heures de trajet plus loin, ils arrivaient enfin à Odares. La ville semblait véritablement de taille respectable, entourée d'une petite palissade en pierre, avec quelques grands bâtiments à l'intérieur, tous en pierre, comme les maisons. Les rues étaient pavées, et la porte gardée par trois pirates, qui hélèrent les Chevaliers de Nowel et Petrus avant de les mettre en joue et de leur dire de lever les mains en l'air. Santa leva une main tout en posant délicatement le sac par terre de l'autre, avant d'enfin la lever, entendant un grommellement venir du moyen de transport de Sir Arno et Elizorabeth.
« - Halte-là ! Z'êtes qui ? Identifiez-vous !
- Je suis le Docteur Quinn, se présenta Sigurd.
- Je m'appelle Nostaw, son ami, rentier de mon état, ajouta Petrus.
- Et le gros derrière, c'est qui ?
- Il s'agit de mon assistant.
- Ho ! Ho ! Ho... Dor. Hodor.
- L'eau dort ? Chouette bouquin, au fait
- Un peu bizarre quand même, par moment. Puis ça Roupille sec.
- Non, Hodor, c'est son nom, il est un peu simplet.
- Ho ! Ho ! Hodor !
- C'est clair qu'il est simplet, dit Arno en apparté, dans le sac.
- Quoi ? Demanda le pirate ?
- Pardon ?
- Vous avez dit quelque chose, là.
- Non, pas du tout.
- Moi aussi, j'ai entendu un truc. Pas compris quoi, par contre, intervint le second pirate.
- Ah ? J'ai rien entendu moi, répondit le troisième garde.
- Moi non plus, assura Petrus, secondé par Sigurd, tout en flanquant un coup de talon dans le sac posé derrière lui.
- Enfin bref, vous faites quoi ici ?
- Je suis en visite chez un patient, précisa Sigurd.
- Je l'accompagne, pour tromper l'ennui.
- Ouais, bon. On va vous fouiller vite fait puis vous laisser circuler. »

Alors que Sigurd et Petrus se faisaient fouiller, le troisième pirate approcha du sac, voulant sans doute examiner ce qui se trouvait à l'intérieur. Santa s'avança pour s'offrir à la fouille et faire diversion. Sigurd reprit la parole.
« - Oui, vous savez ce que c'est, les visites. On cavale sur toute l'île pour un tarif lamentable, alors qu'on a quand même étudié longuement notre spécialité.
- D'ailleurs, reprit-il devant le manque d'intérêt des gardes, la mienne, de spécialité, c'est la proctologie.
- Ah, c'est quoi, ça ? Demanda un pirate.
- Oh, vous savez, le rectum, tout ça.
- Au risque de passer pour un con, c'est quoi, le rectum ? Murmura un pirate.
- L'anus, ce genre de trucs, le renseigna un autre.
- Oui, c'est exactement ça. Dans mon sac, y'a des échantillons, des bocaux à tester, et des instruments. Par exemple, y'en a un, faut l'insérer en faisant bien attention à pas trop gratter les parois de l'anus et aller jusqu'au fond. Ensuite, on...
- C'est bon, c'est bon, docteur, circulez, allez travailler et examiner des gens, on voudrait pas vous retenir dans votre travail.
- Ah, très bien. Vous voulez pas regarder le sac ? Il y en a de vraiment innovants, d'instruments. Des recherches toutes nouvelles permettent de...
- Je vous assure que c'est bon. Bonne journée !
- Ho ! Ho ! Hodor ! »
Les Chevaliers de Nowel reprirent donc leur route sous les grimaces des pirates mis mal à l'aise par le début de description de l'incroyable Docteur Quinn. Ils enfilèrent sans un mot les ruelles jusqu'à trouver la maison décrite par Giovanni, manquant plusieurs fois de se perdre. Après avoir toqué le code donné par le beau-frère du maire à la porte, celle-ci s'ouvrit sur un jeune homme à la mine conspiratrice qui regarda tout autour avant de les faire entrer. Il les fit s'asseoir dans le salon et alla leur chercher un petit casse-croûte et de l'eau avant même de dire bonjour.

Une fois dans le salon, ils retirèrent leurs déguisements et ouvrirent le sac contenant Sir Arno, qui commença à parler dérechef.
« - J'ai cru que cela n'en finirait jamais. Je souffre maintenant de crampes horribles, sans compter la chaleur qu'il faisait à l'intérieur du sac ! »
Il était vrai que les effluves habituellement peu appétissantes de l'homme-poisson étaient aggravées par l'enfermement prolongé avec le tas de fourrure qu'était l'humandrill. Quand le jeune homme revint, il fronça le nez, surpris par la puanteur, et jeta un coup d'oeil peu amène à Arno et au sac, avant de prendre celui-ci.
« - J'brûlerai ça au fond du jardin tout à l'heure. Je pense pas qu'une quelconque quantité de lavage puisse virer l'odeur. Enfin bref, vous connaissez le Da Panzani Code de Giovanni, donc j'en déduis que vous êtes des amis. »
Les Chevaliers se présentèrent chacun leur tour et expliquèrent la raison de leur présence. Leur hôte, lui décida de ne pas décliner son identité, pour des raisons de sécurité, expliqua-t-il, déclenchant un rire narquois du chasseur de prime. Les justiciers auto-proclamés dévorèrent la nourriture qui leur était offerte. Leur fatigue se faisait de plus en plus sentir. A part un peu de repos chez Paul le bûcheron, ils avaient crapahuté sans s'arrêter depuis qu'ils étaient sur Panpeeter. Une fois cette bonne chose de faite, le propriétaire leur expliqua attendre Giovanni, qui ne saurait tarder, et qu'ils pouvaient donc se reposer. Sans hésiter, ils s'avachirent là où ils purent et s'assoupirent instantannément.

L'après-midi était déjà bien entamé, et approchait de sa fin, quand le jeune homme qui les accueillait vint les réveiller pour leur annoncer l'arrivée de Giovanni. Celui-ci descendit les escaliers qui menaient à l'étage et leur adressa un grand sourire.
« - Bien bien bien, vous êtes bien bien bien bien bien. Donc, je propose que nous préparions maintenant l'infiltration de la prison pour en exfiltrer mon beau-frère, suivant l'accord que nous avons passé.
- Rakrakrak, contrat que nous avons signé, voulez-vous dire.
- Oui, oui, c'est ce que je voulais dire. Bon, comme j'allais dire avant d'être interrompu...
- Rakrak, il est nécessaire d'utiliser les bons termes, a fortiori pour du vocabulaire juridique.
- D'accord, nous avons compris, Sir Arno. Je peux reprendre, maintenant, ou vous allez continuer à me couper la parole ? » La tension montait déjà.
« - Ho ! Ho ! Ho ! Ne nous emportons pas. Reprenez, Giovanni.
- La prison est une bâtisse sans étage, un rez-de-chaussée avec une seule fenêtre protégée par des barreaux, avec un sous-sol. Le bâtiment fait une cinquantaine de mètres de long pour une trentaine de large, et sert aussi de salle d'audience pour la justice, ou de salle de réunion pour les fêtes, les mariages, enfin bref les événements importants. D'après mes informations, une quinzaine de pirates sont stationnés là, et ils ont transformé le lieu en caserne. Il n'y a qu'un escalier menant au sous-sol, vers le bout sud du bâtiment, alors que l'entrée est côté nord. Enfin, il y a quelques soupiraux ouvrant sur le côté ouest, cinq exactement, un pour chaque cellule, alors que le couloir longe le mur est. Le sous-sol est bien plus petit que le rez-de-chaussée.
- Et le plan, c'est ? Demanda Petrus.
- Je pensais qu'une diversion pour faire sortir une partie des pirates avant de se précipiter à l'intérieur serait la meilleure option. Idéalement, faire ça la nuit, pendant le couvre-feu.
- Ho ! Ho ! Ho ! Pour ne pas mêler de civils à l'affaire, voilà qui est une excellente idée.
- Et vous appelez ça un plan ? Coupa Sigurd. Y'a à peine une ébauche d'idée. Un plan, c'est les détails, la décomposition de chaque étape, le temps qu'elle met, le temps maximum qu'elle peut durer sans mettre en danger le reste de l'opération, etc...
- Nous comptons sur vous, Sigurd !
- Hum, oui, bien sûr, bien sûr. Alors on va partir sur un diagramme de Pert.
- Ah-ha, je m'en suis déjà servi quand je gérais encore mon entreprise.
- Donc, je propose, compte tenu de nos forces respectives, de mettre Elizorabeth et Giovanni en diversion. Un bon petit tour de magie permettra à l'humandrill de semer le chaos dans la nuit et de jouer sur sa grande mobilité. Santa, Petrus et moi-même infiltrerons la prison. On éliminera aussi vite que possible les pirates encore présents et on devra impérativement les empêcher d'utiliser l'escargophone pour appeler des renforts. Et pour les pirates patrouillant les rues et gardant les portes, ils ne devraient pas poser de problème.
- Ce qui nous laisse combien de temps pour gérer la prison ? Demanda le chasseur de prime.
- Une dizaine de minutes grand maximum, on entre, on prend le maire, et on sort.
- Et les autres prisonniers ? Questionna le magicien.
- On les laisse, répondit Sigurd, catégorique. On peut pas s'encombrer, on les sortira quand on pourra. Si on peut.
- Cela semble acceptable.
- On prend pas risque inutile. Pour la diversion, essayez de les attirer loin, et si vous n'arrivez pas à les semer, partez de la ville, quitte à nous retrouver plus tard. Ne les ramenez surtout pas ici.
- Concernant la prison, comment se répartit-on le travail ?
- Petrus et Santa, vous devrez gérer les pirates. Je ne suis pas un grand combattant. Vraiment pas.
- Ho ! Ho ! Ho ! Comme je vous l'ai déjà dit moult fois, Sigurd, nous avons tous nos...
- Oui, oui, nos points forts et nos points faibles.
- Exactement !
- Enfin bref, une fois qu'on aura la clef, je descendrai, les libérerai pendant que vous couvrirez la seule sortie, puis nous nous exfiltrerons. Même règle que pour les autres, si on ne les sème pas, on ne rentre pas ici.
- Ouais, les amenez pas chez moi, j'rends service mais j'veux pas d'embrouille, d'acc ?
- Bien sûr, Jean-Jacques, nous ferons attention.
- Monsieur Panzani, j'avais dit de pas dire mon prénom !
- Oups, pardon.
- Jean-Jacques, en même temps, m'étonne pas qu'il voulait pas dire son nom... Se gaussa Petrus.
- Bon, du coup, vous pouvez dormir encore quatre-cinq heures, on passera à l'assaut en début de soirée. »

Santa s'agita dans son sommeil. Quelque chose l'avait dérangé, le sortant de sa somnolence. Un rayon de soleil droit sur son visage, passant sournoisement à travers une faille des rideaux, acheva de le réveiller. Clignant une fois des yeux, il ajusta son regard sur Giovanni et Jean-Jacques, qui discutaient d'un air préoccupé.
Leur expression le mit sur le qui-vive, et il se redressa immédiatement pour aller voir ce qui clochait.
« - Il y a un problème, entama Santa, sûr de lui.
- Effectivement, on peut dire ça. Apparemment, ils prévoient de muter le maire vers la prison de la capitale, plus sécurisée.
- Et ça aurait lieu quand ?
- Cette nuit.
- On ne pourrait pas leur tendre une embuscade sur le trajet ?
- Hélas non. Un renfort de troupe doit venir pour aider au transfert. Une quinzaine d'hommes au moins en plus, je doute que vous puissiez les vaincre tous.
- Effectivement, ce serait compliqué, et dangereux. Bon, je vais réveiller les autres, histoire de voir ce qu'on va faire. »

Cinq minutes plus tard, après avoir baillé à s'en craquer la mâchoire, Sigurd était en train de reformuler son plan. Il fut décidé d'attaquer immédiatement. Jean-Jacques devait rassembler les civils déjà prêts à se battre au plus vite et se placer au point de rendez-vous avant de les rejoindre à la prison, et il faudrait nettoyer toute la place avant que l'unité suivante arrive. Tout le monde s'étira proprement, y compris Sir Arno qui avait un rôle de soutien, puis Giovanni et Elizorabeth sortirent les premiers, les autres surveillant leurs actions depuis le toit.
Dépliant son parapluie, Giovanni s'envola prestement dans les cieux.  Tout en planant, il nargua les pirates de la prison, leur lançant des cailloux et des boules de feu. Tous les spectateurs étaient bouche bée devant ce déchainement de magie noire, à part les pirates qui passèrent de l'incompréhension à l'envie de meurtre.

Plus bas, Elizorabeth se tenait dans un renfoncement entre deux maisons, prête à jaillir sur le premier pirate qu'elle verrait. La première partie du plan se déroula sans accroc : des pirates sortirent immédiatement pour mettre en joue Giovanni qui les insultait tout en continuant à leur jeter des objets de plus en plus étranges, allant des cartes truquées aux chapeaux à haut-de-forme en passant par les colombes, qui préféraient d'ailleurs s'envoler très loin d'ici.
L'humandrill profita du fait que les pirates regardaient tous en l'air en armant leurs fusils pour bondir au milieu du paquet pour distribuer quelques griffures et morsures avant de s'enfuir au plus vite. Le tandem continua de les harceler tour à tour tout en les éloignant petit à petit de la prison, et vers le point où les attendaient les quelques civils déjà prêts à se révolter, rameutés par Jean-Jacques.

« - C'est bon, on peut y aller, décida Sigurd. »
Petrus, Sigurd et Santa partirent donc en trottinant vers ce qui était devenu la caserne pirate, longeant les murs pour ne pas se faire trop remarquer. Comme il s'agissait auparavant du palais de justice et de la salle des fêtes, le bâtiment était au milieu d'un petit parc, une poignée d'arbres et de buissons, avec une pelouse mal entretenue. Comme les pirates seraient sûrement sur le qui-vive après la première attaque, ils se dirigèrent vers la seule fenêtre du rez-de-chaussée. Là, Sigurd balança un paquet de fumigènes et de boules puantes à l'intérieur.
« - Ho ! Ho ! Ho ! Comment se fait-il que vous ayez cela avec vous ?
- J'ai trouvé ça chez Jean-Jacques, alors qu'on retravaillait le plan. On était passés devant un magasin de farces et attrapes en venant, donc je lui ai demandé s'il en avait à tout hasard.
- Excellente initiative ! »
Pendant la discussion, Petrus tâchait de prendre des notes sur la manière de mettre un plan en place dans les moindres détails.

Voyant qu'un groupe de pirates était sorti, Petrus, Santa et Sigurd leur tombèrent dessus comme la vérole sur le bas-clergé, les assommant proprement un par un. Sigurd écarquilla les yeux quand il se rendit compte qu'il avait oublié la corde pour les attacher, puis fit signe de foncer à l'intérieur en se protégeant le nez et la bouche de la main gauche. Les deux autres lui emboîtèrent le pas.
A l'intérieur, la fumée bloquait encore considérablement la vision, mais la porte désormais ouverte commençait à ventiler la pièce. Petrus décida d'ouvrir la marche. Il y avait de nombreuses rangées de bancs en bois, de quatre mètres de long regroupés en cinq sections.
Tout d'un coup, une ombre immense se dessina dans la fumée, et décocha un violent coup de pied sauté au chasseur de prime, qui alla s'écraser dans un amas de bancs brisés, sonné. Alors que l'ennemi allait enchainer avec un uppercut sur Sigurd, Santa s'interposa.
« - Allez-y, Sigurd, je m'occupe de lui, la priorité est d'exfiltrer le maire ! Essayez de ramasser Petrus au retour, si vous pouvez.
- On fait pas d'omelette sans casser les œufs.
- Ho! Ho ! Ho ! Ca serait bien qu'il ne soit pas trop cassé quand même.
- C'est vrai que c'est pas bon quand il y a des morceaux de coquille dans l'omelette. Bonne chance ! »

Le bref échange de coups avait dissipé un peu la fumée autour des combattants. Santa put donc contempler son adversaire, un homme-dauphin d'environ un mètre quatre-vingt dix, aux muscles légèrement dessinés sous sa peau bleue.
« - J'me doutais bien que ça cachait quelque chose, j'ai bien fait de rester ici. Une révolte civile, quelle blague ! J'vais tous vous étaler, pour commencer, comme ton ptit pote là-bas.
- Ho ! Ho ! Ho ! Ca ne change rien !
- Ah, vous venez pour l'autre zigoto, là ? C'est lui que ton poto est allé chercher avant qu'on l'embarque à la capitale ? Ouais bin ça valait pas le coup de se déranger, du coup, z'allez tous clamser, maintenant. Encore plus vite que prévu, hein ? Allez, laissez le grand Plouf vous rétamer ! »

Comme la conversation devenait peu intéressante et avait l'air de devoir tourner en rond, Santa se mit en garde. A cause des bancs, il n'y avait pas la place de se tourner autour, donc ils restèrent face à face, tentant d'anticiper le premier mouvement de l'autre. L'homme-poisson, peut-être moins patient que son vis-à-vis, réduisit l'espace d'un bond, et arriva accroupi juste devant Santa, voulant enchainer d'un uppercut. Santa dévia l'attaque avec sa jambe droite et se laissa tomber sur son adversaire, tout en armant une attaque du coude gauche. L'homme-poisson se déroba d'un roulade en arrière.
Cette fois-ci, ce fut Santa qui décida d'engager l'échange en premier. Il chargea donc son adversaire tout en préparant sa Santa Surprise, son bras droit semblant disparaître à la vue de l'ennemi du fait de mouvements aléatoires difficiles à suivre du regard. Plouf écarquilla les yeux de surprise et tenta de sauter en arrière pour creuser la distance, mais Santa, avec son élan, parvint à l'attraper au collet du poing droit.

Son adversaire étant momentanément destabilisé, l'Envoyé de l'Esprit de Nowel décida d'armer son coup le plus puissant, le Santa Chop. Levant son bras gauche loin au-dessus de sa tête, il l'abattit avec l'intention d'en finir, mais Plouf le para d'un coup de pied avant d'en envoyer un deuxième droit dans le menton de Santa, qui le lâcha et trébucha dans une rangée de bancs, avant de tomber par terre.
Alors qu'il se relevait au plus vite, il dut à nouveau se jeter sur le côté : Plouf venait de lui lancer un banc. Tentant désespérement d'assurer son équilibre après ses cabrioles, Santa ne put qu'encaisser l'attaque suivante. Plouf avait saisi un des longs sièges en bois et s'en servait comme une massue. Un coup latéral éjecta le quadragénaire à l'autre bout de la pièce, avec quelques échardes encore plantées dans ses avant-bras.

Comme cette attaque avait bien marché, Plouf prit un autre banc et voulut s'en servir de la même façon. Cette fois, cependant, au lieu de subir, Santa attrapa la massue improvisée et s'en servit pour soulever l'homme-dauphin à l'autre bout, avant de le fracasser contre un des murs. C'est à ce moment-là que Sigurd ressortit de l'escalier, suivi par un individu qui devait être le maire, et se précipita vers la sortie en adressant un rapide signe de la main à Santa, puis en ramassant Petrus au passage.
« - Arf, plus dur que prévu, t'es tenace, sale humain ! Si c'est ça, j'commence les choses sérieuses, ha ! Et c'est trop tard pour aller pleurer et t'excuser ! »
Plouf dégaina donc deux tonfas en acier qu'il brandit d'un air méchant, et essaya d'intercepter Sigurd, pour l'empêcher de s'enfuir. Cependant, c'est lui qui se fit attraper en plein vol par la Santa Piñata, la combinaison d'attaques à faible potentiel destructeur l'immobilisant en l'air. Il parvint finalement à prendre appui sur un des poings pour sortir de la technique et reprendre son souffle.

Alors qu'il chargeait Santa, ce dernier lui lança un morceau de banc qu'il venait de ramasser par terre. Plouf le déchiqueta d'une série d'attaques, mais cela laissa sa garde ouverte pour l'Envoyé de l'Esprit de Nowel, qui en profita pour lui enchainer plusieurs coups de poing en pleine tête, tout en parant les tentatives maladroites de riposte de l'homme-poisson, destabilisé par l'avalanche de coups.
« - Arf, arf, arf, plutôt au taquet, hein ? Bin si c'est ça, j'appelle des renforts, ha ! »
Tout en disant ça, Plouf dégaina un escargophone et appela immédiatement le centre de communication du capitaine Crachin.
« - Oui, allô, le centre de communication du capitaine Crachin ?
- C'est bien nous, répondit une voix qui rappelait quelque chose à Santa.
- Prévenez immédiatement le capitaine Crachin ! C'est une urgence, il y a une insurrection civile à Odares !
- Ca va pas être possible pour le moment, j'en suis navré.
- Comment ça ?
- Le capitaine Crachin fait actuellement sa pédicure, intervint une autre voix.
- Ah, oui, je vois... Non mais attendez, il a pas de...
- Aaah, mais c'est qu'il est perspicace, le p'tit gars.
- Dites donc, si le capitaine Crachin n'est pas disponible, z'avez qu'à prévenir Moush !
- Alors concernant Moush, aux dernières nouvelles, il jouait aux petits chevaux, répondit une voix que Santa identifia finalement comme étant celle de Yoshimitsu.
- Aux petits chevaux ?
- Exactement, sombre connard, aux p'tits ch'vaux grandeur nature, même !
- Non mais dites, z'êtes qui, vous, d'abord ?
- Nous ? Simplement des intérimaires.
- On gère le bouzin pour le moment, on leur dira qu't'as appelé. Allez ciao, au plaisir de pas s'recauser. »

Sur un clic, la communication fut coupée.
« - C'était quoi ce bazar ? Murmura Plouf.
- Ho ! Ho ! Ho ! Il semblerait que mes alliés soient déjà bien en position.
- Hein ? C'est tes potes, eux aussi ? Mais la situation est grave alors !
- Je dirais plutôt qu'elle s'améliore considérablement !
- Ouais, ouais, c'est ça, fais l'malin, le vioque, mais maintenant, j'sors ma technique secrète, celle qu'est tellement forte que j'l'ai scellée !
- Scellée ? Comment ?
- Bin, j'ai décidé de pas trop l'utiliser, pasque c'était trop fastoche, après, et ouais ! Alors, t'as peur ?
- Ho ! Ho ! Ho ! L'Envoyé de l'Esprit de Nowel n'a pas peur des enfants pas sages !
- J'ai rien bité à ce que t'as dit, donc s'parti ! Contemple ! »
Plouf ferma alors les yeux en prenant une grande bouffée d'air, puis contracta ce qui semblait être sa gorge. Santa le regarda, méfiant. Au bout de cinq secondes, voyant qu'il ne se passait rien, et que son ennemi avait toujours les yeux clos, il lui sauta dessus en armant le Santa Chop, et l'assomma sans que l'autre ne fasse quoi que ce soit, à sa grande surprise.
« - Co... Comment ?
- Ho ! Ho ! Ho ! Comment quoi ?
- Comment as-tu contré ma technique... ultime ?
- Le pouvoir de l'Esprit de Nowel m'a permis de...
- C'était des ultrasons qui rendent fous... ceux qui les entendent !
- Ho ! Ho ! Ho ! Il est possible qu'étant donné mon âge, j'ai perdu la faculté d'entendre les sons très aigus !
- C'est... débile... »

Maintenant que Plouf était hors d'état de nuire, Santa sortit rejoindre les autres, voir où ils en étaient et s'ils avaient besoin d'aide.
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Lorsqu’il mit les pieds dehors, Santa comprit immédiatement une seule et unique chose.

La situation se présentait mal. Très mal.

La dizaine de pirates qu’il avait maîtrisés, une dizaine de minutes plus tôt, avec l’aide de Sigurd et de Petrus, n’étaient plus là. Les paroles de Dogaku, qui avait regretté ne pas avoir amené de quoi les entraver pour les faire prisonniers, prenaient maintenant tout leur sens.
Car en lieu et place de ces malfaiteurs meurtris, c’était une vingtaine d’autres, actifs et bien armés, qui s’interposaient entre lui et la sortie.

Face à la dizaine de canons pointés dans sa direction, le quarantenaire n’eut pas d’autre choix que de faire machine arrière, et de se calfeutrer à l’intérieur du bâtiment. Il verrouilla la lourde porte aussi vite que possible, puis s’écarta précautionneusement. A juste titre : plusieurs balles, tirées à la volée, perforèrent le bois dans les cinq secondes qui suivirent. Ne sachant encore quoi faire, Santa commença à entreposer autant de bancs et de débris que possible devant la porte. Il avait besoin de temps pour réfléchir, et de ce fait, devait gagner du temps. Son manège ne dura pourtant pas bien longtemps. Car enfin, il la vit. Ca n’était qu’un détail architectural. Un outil de confort et d’esthétique, en particulier dans une salle commune aussi large que celle-ci. Mais pour lui, c’était une évidence. C’était une cheminée. Et lui était Santa Klaus. Il était strictement inutile de se demander si sa puissante musculature pouvait, ou ne pouvait pas, emprunter un chemin aussi improbable que le long couloir exigu d’une cheminée. Car il s’appelait Santa Klaus, et pouvait, en conséquence, passer très facilement par ce type de conduits.

La question ne se posait pas, songea-t-il en fredonnant tendrement son rire. Ho ! Ho ! Ho !

Une trentaine de secondes plus tard, les pirates achevèrent d’investir la bâtisse, et se hasardèrent enfin à y pénétrer. Quelques-uns se postèrent près des fenêtres, en guise de soutien, tandis que le gros des autres s’engouffra par la porte principale, complètement éventrée par leurs attaques répétées. L’homme qu’ils venaient tuer avait vraisemblablement eu l’ascendant sur Plouf, le chef de leur garnison, l’homme-poisson qui leur démontraient sa force au quotidien. Ca n’était donc pas un individu à prendre à la légère. Acculé, pris au piège, l’homme à la barbe blanche risquait de donner le meilleur de lui-même pour en réchapper. Mais eux avaient le poids du nombre à leur avantage. Leur ennemi était seul, prisonnier, et vulnérable. Ils le tueraient rapidement.

A condition de le voir, comprirent-ils une fois entrés. L’homme de rouge et de blanc se cachait, semblait-il. Et personne ne fut rassuré à l’idée de devoir s’enfoncer dans le bâtiment, encore moins au sous-sol, pour partir à sa recherche. Le danger était bien réel, selon eux. Pas un seul ne voulait s’approcher d’un virage, d’un placard, ou d’un quelconque passage exigu où le quarantenaire pourrait leur tomber dessus par surprise, pour mettre fin à leur jour. Il s’agissait d’agir avec prudence.

Au même instant, dix mètres plus haut, Santa Klaus émergeait habilement de la cheminée, sur le toit du bâtiment, aussi propre qu’au début de son ascension. Ca n’était pas non plus comme si l’envoyé de l’Esprit de Nowel pouvait se couvrir de suie en empruntant une cheminée, voyons. Et de là où il était, il avait une vue imprenable sur les environs, ainsi que la situation qui les guettait, lui et ses chevaliers.

Ses chevaliers. De là où il était, il pouvait voir où chacun d’entre eux se trouvait, et quelles étaient les épreuves qu’ils traversaient. Non loin de là, Sigurd, les chasseurs de primes, et l’homme qu’ils étaient venus libérer tentaient de prendre discrètement la fuite en s’engageant dans une ruelle. Sans succès : un peu moins d’une dizaine de pirates les avait remarqués, et se lancèrent à leur poursuite.
Pire encore, Elizorabeth et le sieur Giovanni étaient bien trop occupés à contenir leurs lots d’adversaires pour s’être rendu compte que leurs compagnons avaient besoin d’eux. Sir Arno était introuvable, mais Santa le devinait non loin de sa compagne.

Un autre détail inquiéta le quarantenaire : la troupe armée des civils qui s’était formée pour leur venir en aide… était introuvable. Ils n’étaient plus là. Que s’était-il passé ? Il n’en savait rien, et n’avait pas les moyens de le deviner.
Un autre homme aurait remarqué qu’aucun corps n’était présent dans les environs, et qu’en conséquence, il était fort probable que ces citadins aient tout simplement été dispersés par leurs ennemis.  Mais l’attention de Santa Klaus fut retenue par tout autre chose.

Il ignorait comment, mais leur simple et rapide petite opération avait très visiblement servit d’électrochoc à toute la ville. Dans les rues, sur les places, partout, les pirates s’affairaient à instaurer ce qui semblait être un couvre-feu d’urgence. Santa avait l’impression de faire face à une fourmilière géante, un amas de chaos réorganisé en permanence, où les bras armés de l’illégitime autorité du moment, Crachin, s’efforçaient tant bien que mal de maintenir l’ordre. Quelle en était la raison ? L’envoyé de Nowel resta longuement pensif, immobile, à essayer de cerner ce qu’il en était. Les Cracheurs cherchaient-ils à contrôler l’identité de tous les passants, pour retrouver leur prisonnier ? A s’assurer que personne ne quitterait la ville ? A retrouver les agitateurs ? Ces trois possibilités étaient liées à la tentative de sauvetage qu’ils venaient d’orchestrer. Et pourtant, ils n’étaient passés à l’action qu’une dizaine de minutes auparavant.

Etait-ce lié à autre chose ? Il ne parvenait pas à concevoir quoi que ce soit qui aurait entraîné pareille agitation.

Rien.

A part peut être… le pire scénario.

L’extermination.

Mais c’était impossible. C’était beaucoup trop tôt. Crachin ne devait pas réitérer pareille atrocité avant…

Avant quoi, d’ailleurs ?

*
*     *
*

Au stade où ils en étaient, mieux valait commettre une erreur que de perdre du temps à hésiter. Ils n’avaient pas une seconde à perdre, répéta Dogaku.

A sa suite, se trouvaient quatre personnes. Le prisonnier, et les trois chasseurs de primes. Petrus, toujours sonné, se tenait actuellement à califourchon sur le dos d’un de ses compagnons. C’était ça ou l’abandonner sur place, avait sombrement songé Sigurd ; il n’était pas en état de courir. Heureusement, l’un de ses compagnons était particulièrement robuste.

Des pirates les suivaient, et il ne voulait absolument pas qu’ils les rattrapent. Le jeune homme continua donc à courir, et à les guider dans la direction qui lui plaisait le plus. Il n'avait que vaguement eut le temps de repérer la ville, mais leur hôte lui avait, à sa demande, longuement détaillé l'état des lieux avec une carte improvisée sur une serviette de papier. De tête, il n'avait retenu que leur potentielle meilleure voie d'issue. Pour le reste, il consultait régulièrement le mouchoir de papier, qu’il serrait dans son poing.

-Gauche, gauche!, déclara-t-il à l'avance.

Ils progressaient de la sorte, sans encombre, et surtout, sans rencontrer de nouveaux groupes de malfaiteurs. Dogaku avait composé leur trajectoire en toute connaissance de cause : dans un premier temps, il avait tenté de deviner où les patrouilles de Cracheurs étaient situées. La question était simple : il lui suffisait de recréer ce que lui-même aurait fait. Leur allié l’avait aidé à ajuster ses plans avec ce qu’il avait pu remarquer de visu. A partir de là, Sigurd n’avait eu qu’à effectuer le meilleur tracé, de manière à obtenir un équilibre satisfaisant entre le risque de croiser sur des patrouilles indésirables et le risque d’être pris en tenaille à l’improviste. Au final, il était ressorti très satisfait du résultat.

À un certain moment, pourtant, il prit peur. D'une part parce que la porte d'un immeuble adjacent venait de s'ouvrir à la volée, et que son imagination lui dessina la nuée de pirates qui allait en émerger.

Mais aussi parce que, d'autre part, la personne qui en sorti était l’une des rares qu’il ne s’attendait pas à voir ici. Et surtout, qu’il ne voulait absolument pas revoir en cet instant.

-Capitaine! Par ici!

Haylor ne quitta pas l'encadrement de la porte. Elle voulait très visiblement qu'il la suive pour se mettre en sécurité à l'intérieur du bâtiment. Ce qui était parfaitement idiot, songea Dogaku en s'approchant, sans dire un mot.

-Vite, venez et... uh... Capitaine?

Elle ne comprenait pas. Il s'était planté devant elle, au lieu de la dépasser. L'avait attrapée par le bras. Et commençait maintenant à la tirer vers lui, vers la rue, vers les pirates, vers le danger et vers la mort.

-QU'EST CE QUE VOUS FAÎTES!?, s'exclama Haylor, horrifiée.
-Pas le temps! Courrez!
-Non! NON! Lâchez moi, et...

Elle sursauta en entendant un pirate faire feu dans leur direction. Le tir était prématuré, et ne toucha pas sa cible: la balle ripa contre une paroi adjacente, envoyant des éclats de caillasse dans tous les sens.

Et un instant plus tard, la voilà qui se retrouvait à courir d’elle-même, à toute vitesse, pour échapper aux pirates. La peur lui donnait des ailes, et elle cavalait bien plus vite que Sigurd et tous les autres. Leur échange n'avait duré qu'une poignée de secondes. Les quatre autres n'avaient rien compris, et s'étaient tout juste contentés d'économiser leur souffle. Ils ne posèrent pas de question.

La jeune femme était, ironiquement, la plus athlétique du lot. Ainsi que la seule à pouvoir crier, tempêter, blâmer et cracher son fiel  sans que cela n’affecte ni sa performance, ni son endurance.

-CAPITAINE SIGURD DOGAKU! ESPECE D'IMBECILE! ESPECE D'IDIOT! JE N’ARRIVE MEME PAS A CROIRE QUE VOUS AVEZ… QUE VOUS M’AVEZ… QU’EST-CE QUI VOUS EST PASSE PAR LA TETE ? VOUS AURIEZ DU ME SUIVRE, NOUS SERIONS EN SECURITE !
-NOP ! ON AURAIT ETE PRIS AU PIEGE !, cria l'autre en continuant de courir à sa suite.
-QUOI ? VOUS M’AVEZ PRISE POUR UNE IDIOTE ? ESPECE DE TRIPLE BUSE D’AHURI DE MALHEUREUX IMBECILE FIN...
-C'EST MOI LE CAPITAINE, C'EST MOI QUI DECIDE !
-VOUS N'AVEZ PAS LA MOINDRE IDEE DE CE QUE... ESPECE DE PAUVRE, MISERABLE, COMPLETEMENT CRETIN…

Cette fois, les chasseurs de primes ne purent s’empêcher d’échanger des regards : l’un d’eux esquissa même un sourire pour l’occasion.

Ils déchantèrent pourtant très vite. Car la venue de miss Haylor constituait bien plus qu’un imprévu dans le petit plan bien huilé de Dogaku. Elle était surtout, pour lui, une inépuisable source de dangereuse distraction.

C’était quelque chose qu’il ne comprit que trop tardivement. A l’approche du prochain croisement, en fait.

-HAYLOR, PAS PAR LA, PAS PAR LA ! TOURNEZ A DROITE !
-QUOI ?
-DROOOOOIIIIIIIIIIIIIIIITTTTTTEEEEEEUUUUH !

Trop tard. La jeune femme continua droit devant, sans même remarquer le passage que son ancien collègue avait prévu d’emprunter. Et bien évidemment, Dogaku continua à la suivre. Les quatre autres en firent de même, en désespoir de cause.

Tout ça, simplement parce qu’ils ne pouvaient pas s’arrêter : avec les pirates à leurs trousses, le moindre mètre de perdu était à lui seul une véritable catastrophe. Tant qu’ils restaient assez loin, leurs poursuivants ne perdraient pas d’élan pour ouvrir le feu inutilement. C’était exactement ce que Sigurd avait dit au commencement : mieux valait commettre des erreurs plutôt que de perdre du temps.

On aurait pu croire qu’ils ne commettraient pas deux fois la même erreur… et ce fut effectivement le cas. En quelques sortes. Ils n’arrêtèrent pas de crier pour autant.

-ET VOUS NE POUVIEZ PAS ME PREVENIR PLUS TOT ?
-JE L’AI FAIS BIEN ASSEZ TOT !
-VOUS APPELEZ CA BIEN ASSEZ TOT ?
-BON, PAS GRAVE, TOURNEZ A GAUCHE A LA PROCHAINE!
-QUAND DONC ?
-MAINTENANT !

Ils venaient d’arriver à une fourche, en forme de T. Et elle bifurqua bel et bien… mais du mauvais côté. Sigurd s’en rendit compte, et lui hurla de changer de direction. En vain. Jurant et pestant comme un malpropre, il continua à sa suite. Pour leur part, les chasseurs suivirent la bonne direction, accompagnés du maire. Ils y étaient presque.

Pour les deux autres, par contre…

-NOOOOOOOOOOOOON ! PAS PAR LA ! J’AI DIS A GAUCHE ! L’AUTRE GAUCHE, IDIOTE !
-MAIS VOUS M’AVIEZ DIT A DROITE !
-JE VIENS DE DIRE A GAAAAUUUUCHE !
-VOUS M’AVIEZ DIT A DROITE LA PREMIERE FOIS !
-ET LA JE VIENS DE VOUS DIRE A GAUCHE, LA MAINTENANT TOUT DE SUITE !
-ET VOUS TROUVEZ CA LOGIQUE, VOUS ?
-VIEILLE SORCIERE MALFAISANTE, JE VOULAIS PEUT ETRE… NOUS AMENER… A UNE AUTRE SORTIE ?
-ET VOUS N’AURIEZ PAS PU ME LE DIRE, DANS CE CAS ?
-POURQUOI… VOUS N’AVEZ PAS… JUSTE FAIT… CE QUE JE DIS ?
-JE CROYAIS QUE VOUS VOUS ETIEZ TROMPE !
-VOUS CROYIEZ… QUOI ? VOUS… VOULEZ DIRE QUE… VOUS AVEZ FAIT… EXPRES ?
-NE ME PARLEZ PAS COMME CA !  VOUS AURIEZ DU TOUT M’EXPLIQUER ! C’EST DE VOTRE FAUTE !
-PARCE QUE JE DOIS ANTICIPER… TOUTES VOS INITIATIVES A LA CON… POUR LES CORRIGER A L’AVANCE ?
-ABSOLUMENT !
-QUOI ?
-PARCE QUE JE N’AI ABSOLUMENT RIEN A FAIRE ICI !
-C’EST… JUSTE…MENT… MA… QUES…TION ! QU’EST-CE… QUE… VOUS… FICHEZ… ICI… EXACTEMENT ?
-CA N’EST PAS LE MOMENT, C’EST BEAUCOUP TROP LONG A EXPLIQUER.
-…
-BON, ET MAINTENANT ? DITES-MOI LA DIRECTION QUE JE DOIS PRENDRE !
-…
-CAPITAINE ?
-…

Maintenant qu’elle ne l’entendait plus, Haylor sentit son estomac vibrer d’appréhension. Jusqu’ici, la peur avait entraîné la panique, et la panique avait causé l’agressivité. Pourtant, le danger qui les pourchassait ne devait susciter qu’une seule et unique émotion. La peur, pleine et entière, qui virait à l’angoisse, à la détresse et au désespoir.

Elle continua à courir quelques secondes, avant de finalement se retourner, brièvement, pour jeter un coup d’œil à ce qui se passait derrière. Et réalisa alors, avec horreur, ce qui se passait. Dogaku, pantelant, peinait de plus en plus à avancer, au point de claudiquer davantage que courir. Elle l’avait largement distancé, progressivement, sans même s’en rendre compte. Et lui, à bout de souffle, ralentissait de plus en plus. Il n’avait jamais été bon à la course. Aujourd’hui pas plus qu’auparavant. Elle le savait très bien. Les pirates, eux aussi, le voyaient très bien.

Haylor manqua de s’écrier, de l’exhorter à reprendre sa progression, mais les mots s’étouffèrent dans sa gorge lorsqu’elle vit que c’était tout le contraire qui se produisit.

Il s’arrêta de courir.

Elle aussi, en fait. Elle ne s’en rendit même pas compte.

Mais ça n’avait pas la moindre importance. Dogaku était déjà bien assez fatigué pour que les pirates puissent le rattraper aisément. Le fait qu’il s’arrête ne fit que les convaincre de ne pas faire feu pour le clouer sur place. Il se retourna pour au moins faire face à ses poursuivants, en pure perte. Ils arrivèrent sur lui en un instant. Il essaya vaguement de résister, mais fut projeté à terre, et brutalement malmené sans pouvoir s’opposer à eux.

Quatre pirates s’acharnèrent ainsi sur lui de la sorte, jusqu’à être sûr qu’il serait facile à maitriser. Et peut-être même davantage.

Deux autres reprirent leur avancée, dans sa direction à elle. Ils ne l’avaient pas oubliée. Et cette fois, elle prit véritablement ses jambes à son cou, aussi loin et aussi vite que possible. Sa course folle l’amena jusqu’à une patrouille de pirates, qui convergèrent aussitôt vers elle, sans même avoir besoin d’une raison. Elle était suspecte, tout simplement.

Sans surprise, la jeune femme céda complètement à la panique. Haylor évita de peu d’être prise en tenaille, optant pour un troisième passage qui la mènerait dieu seul sait où. Comme une malheureuse créature, traquée de toutes parts, elle continua à s’élancer au travers des ruelles, au hasard de ses rencontres avec des poursuivants occasionnels. Ca n’était plus qu’une question de temps. Seule, il ne faudrait même pas une minute de plus avant que les forbans ne posent leurs mains sur elle.

Même avec toute la chance du monde, elle ne s'en tirerait pas.

Or, elle n'avait jamais été chanceuse.

Et à défaut de chance, c'était quelque chose de bien plus étrange qui se produisit. Elle était maintenant dans une longue allée, pourchassée par des hommes qu'elle ne pouvait pas encore voir. Mais c'était ce qui se trouvait face à elle, qui l'inquiétait maintenant.

Une cinquantaine de mètres plus loin, un rideau de flammes se dressa sur son chemin, partant du mur à sa gauche pour rejoindre un étalage sur sa droite. Et face à cela, Haylor se sentit étouffée, finie, et pour de bon. Un mur de feu. Elle sentit son sang se glacer dans ses veines. C'était une folie, et elle était perdue. Elle ne se demanda même pas d'où ce miracle pouvait bien provenir. Rapidement, le feu prenait de plus en plus d'ampleur, et c'était désormais un véritable mur, aussi haut et probablement bien plus large qu'elle, qui s'opposait à sa progression. Un rempart embrasé. Malgré cela, elle continua à courir, avec la vague intention de traverser les flammes. C'était ça ou se faire rattraper par les malfaiteurs. Et aux cris qu'ils poussaient, elle savait quoi choisir.

Une trentaine de mètres la séparaient du feu. Vingt. Dix. Tout ça n'était que des secondes qu'elle ne percevait même pas.

Et en fin de compte, Haylor s'arrêta. Traverser des flammes? Elle en était incapable, et n'en avait pas le courage. La chaleur contre sa peau, les flammes qui se hérissaient vers elle, qui dardaient dans sa direction, qui se résorbaient progressivement face à elle...

Qui se résorbaient... comment?

C'était pourtant bel et bien cela. Le mur se séparait en deux, comme pour la laisser passer. Un creux de deux mètres apparut en son centre. Aussi impossible que cela puisse paraître, elle avait maintenant le champ libre.

Il ne lui fallu pas une seconde pour en profiter. Elle traversa les flammes à grandes enjambées.

Derrière, de l'autre côté, quelqu'un l'attendait. Un inconnu. Un individu grisonnant, vêtu de jaune et de noir, dont les doigts gantés de blanc étaient tendus en direction des flammes. D'un geste, il lui fit signe de se rapprocher.

-Accrochez vous à moi, lui demanda urgemment le sieur Giovanni.

Elle ne lui répondit pas. Haylor se contenta de le regarder fixement, pendant qu'il reformait, érigeait et façonnait les langues ardentes à sa convenance.

C'était une vision étonnante, dont elle ne parvenait pas à se détacher. Haylor avait beau être morte de peur, elle était comme fascinée par cet étrange spectacle. Trop de choses incensées se succédaient à un rythme endiablé ; elle ne parvenait plus à rien suivre.

-Réveillez vous! Ils arrivent! Faîtes ce que je vous dis si vous ne voulez pas mourir!
-Hhhh?
-VENEZ!

Haylor ne bougea pas. Pas cette fois. C'est à peine si elle parvint à réagir lorsqu'il lui attrapa lui aussi le bras pour la tirer à sa suite.

Et elle se laissa faire, docile et perdue qu'elle était. Tout était trop confus. Elle entendit plusieurs cris provenir de ses poursuivants, mais tout cela lui paraissait étrangement lointain, désormais. Un véritable rempart de flammes la séparaient d'eux. Et un nuage de fumée s'échappait des pans de la cape du magicien, les enveloppant complètement, jusqu'à masquer toute l'allée où ils se trouvaient. C'était un étrange brouillard de pois pourpre, légère, opaque, et même agréablement parfumée.

Une odeur florale. De la violette.

C'était absurde. C'était ridicule. C'était une vraie folie, et c'en était trop pour elle.

Evangeline se laissa guider, dans le voile artificiel du magicien, sans plus rien comprendre à quoi que ce soit.

De quoi s'agissait-il?

Mais...

De magie, tout simplement.




*
*     *
*



Sigurd Dogaku.

Qu'était-il advenu de lui?

Moins d'une dizaine de minutes s'était écoulée depuis qu'Haylor avait prit la fuite. Une poignée de minutes qui étaient passées incroyablement vite, compte tenu de ce qui lui était arrivé.

Il gisait maintenant sur le dos, meurtri, roué de coups… mais pas mort. Ni même prisonnier, en vérité. Dogaku posa les paumes de ses mains contre son visage, comme pour vérifier que tout était encore en place. Un simple geste qui le fit gémir de douleur. Il avait réussi à faire en sorte qu’on ne lui assène pas de mauvaise blessure, mais ne s’était pas tiré sans mal. Ses bras et ses jambes étaient terriblement endoloris. Mais il n’avait visiblement rien de cassé.

Lentement, il inspira. Tenta de reprendre son calme. Balaya les environs du regard, en commençant par le plafond brun, puis tour à tour, sur chacun des éléments du salon où il se reposait. Puis, sans un bruit, il roula la tête sur le côté, en direction de son sauveur. S'il n'était pas intervenu, le jeune homme aurait sûrement passé un très mauvais moment entre les mains des pirates.

Pour autant, il ne s'attendait pas vraiment à le revoir, lui. C'était un grand lapin blanc. L’Horloger. Roger Wonder.

Il n'avait pas la moindre idée de ce qu'Haylor faisait dans cette ville, ni par quel miracle il l'avait retrouvée. Croisée, vu la tournure des évènements. Pas plus qu'il ne comprenait pourquoi le ravisseur de son ancienne collègue venait de le tirer de ce mauvais pas.

-Oh. Vous allez bien ?
-Euh...
-...
-...
-...
-Non, déclara finalement Sigurd. J'veux veux dire... 'fin, je veux dire... qu'est ce que vous faîtes là... où c'est qu'on est... s'est passé quoi...

Le lièvre se contenta de le regarder, avec une expression attristée. Wonder s'en voulait un peu. Il ne regrettait pas vraiment d'être intervenu pour sauver Dogaku, en donnant la mort à ses agresseurs, et en le ramenant à l'intérieur de la maisonnée où il se cachait depuis plusieurs heures. Mais à cause de ça, il avait complètement perdu la trace de l'autre jeune femme. Et il espérait sincèrement qu'elle soit parvenue à s'en tirer.

Mais tout ça, il ne l'expliqua pas tout de suite à Dogaku. Il n'avait pas fini de reprendre tous ses moyens.

-Et tant qu'à faire, continua Sigurd, la voix pâteuse. Ces mecs là. Bonjour, mais... vous êtes qui, vous?

Ils n'étaient pas seuls. Car outre le lièvre et le jeune homme, une dizaine d'autres personnes étaient présentes dans le petit salon. La majorité d'entre elles affichaient un air grave et concentré, en observant ce qui se passait au dehors de la maison en épiant derrière les volets des fenêtres. Tous étaient armés d'un mousquet, qu'ils complétaient à leur convenance avec du matériel supplémentaire: sabres, pistolets et divers autres outils de morts étaient entreposés dans cette même salle. Et tous attendaient nerveusement de pouvoir savoir si, oui ou non, la tournure que prenaient les évènements dans cette ville allait, oui ou non, les empêcher de mener à bien la mission qu'on leur avait donné.

Car Haylor et Wonder n'étaient pas arrivés à Oredas sur le coup d'une simple coïncidence. Ils avaient précédé le groupe de Santa, et avaient rencontré des commandos marines en cours de route. Puis s'étaient assez naturellement joints à eux, à la demande des militaires.

Ces mêmes militaires qui regardaient désormais le jeune Dogaku s'escrimer à comprendre ce qu'il se passait ici.

Ils préparaient leurs armes, ils attendaient leurs ordres. Ca n'allait plus tarder. Ils allaient enfin pouvoir faire leur devoir, et intervenir directement.



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« COLONEL CAPSLOCK, TOUTES MAJUSCULES ! À QUI AI-JE L’HONNEUR ?
_ Nous sommes les représentants d’un groupe dissident des pirates de Crachin. Nous venons parlementer pour éviter de faire plus de victimes, introduisit Luan. Nous avons des contacts au sein même du navire principal, et d’autres occupés à rassembler tous les gens qui pensent comme nous sur le reste de l’île, à votre service colonel. »

Le colonel CAPSLOCK se figea et reconsidéra les trois pirates qui lui faisait face. Il ne s'était pas pas attendu à ça. Que des rats songent à quitter le navire quand les choses allaient mal, c'était dans l'ordre des choses. Le blocus en avait déjà pêché quelques-uns depuis le début des événements, mais que les fonds de tiroirs de l'équipage de Crachin. Rien d'utilisable, le colonel les avaient parqué aux fers sans plus s'y intéresser. Donc forcément, quand ses aides de camps avaient signalé qu'un navire – certes, un navire de taille modeste, mais tout de même – qu'un navire était venu se livrer, il avait flairé qu'il s'agissait d'un poisson un peu plus gros. Mais il n'avait pas imaginé un instant que ça serait une faction complète de Crachin qui songerait à mettre les voiles.
Voilà qui rebattait sérieusement les cartes.

« JE VOIS, JE VOIS, temporisa CAPSLOCK. BIEN, BIEN, BIEN... ET VOUS ÊTES ?
_ Grenadine ci-présente est la chef des renseignements de Crachin, expliqua Elie. Luan, à ma gauche,  est ma porte-parole...
_ ELLE RESSEMBLE SURTOUT À UN MÉDECIN.
_ J'aime les gens polyvalents.
_ JE VOIS ÇA... ET VOUS, VOUS ÊTES ?
_ Je suis Barbara. Et tout ce que vous avez besoin de savoir sur moi, c'est que je suis la supérieure de Grenadine.
_ LA SUPÉRIEURE... AHA... PUIS-JE SUPPOSER QUE VOUS ÊTES L'INSTIGATRICE DE CETTE MUTINERIE ?
_ Vous pouvez supposer ce que vous voulez, rétorqua Elie.
_ L'heure tourne et nous n'avons pas beaucoup de temps, pressa Luan. Si nous entrions dans le vif du sujet ?
_ JE NE DEMANDE QUE ÇA, MAIS QUEL EST-IL ?
_ Comme je vous l'ai dit, nous ne souhaitons pas multiplier les victimes innocentes. Le capitaine Crachin a mis au point un dispositif général pour que ses hommes massacrent la population de chacune des villes de Panpeeter sur son ordre. Ou si quoi que ce soit de louche, de menaçant ou même sortant de l'ordinaire devait survenir. Quoi que vous tentiez, les civils en paieront le prix fort. Ce qui fait qu'en l'état des choses, vous êtes pieds et poings liés. Votre blocus n'est qu'un pis-aller qui ne règle rien.
_ JE VOUS TROUVE BIEN PRÉSOMPTUEUSE. VOUS ÊTES NAÏVES SI VOUS PENSEZ QUE JE RESTE LES BRAS CROISÉS À ATTENDRE QUE L'HEURE TOURNE.
_ Nous sommes au courant pour vos commandos, signala Luan. Ils sont même passés à l'action à Oredas, si je ne me trompe pas.
_ HEUUUMMM... PEUT-ÊTRE, louvoya le colonel.
_ À qui croyez-vous devoir l'absence de réaction de la part du capitaine Crachin ? » Demanda doucement Luan avec un petit sourire.

CAPSLOCK cilla, remua sur son siège, fit la moue, avant de se redresser d'un bond.

« EXCUSEZ-MOI UN INSTANT, JE VOUS PRIE. J'AI L'IMPRESSION QUE CETTE ENTREVUE VA DEVOIR DURER PLUS LONGTEMPS QUE PRÉVU ET IL ME FAUT DONC DÉLÉGUER CERTAINES TÂCHES. JE REVIENS TOUT DE SUITE.
_ Ne vous excusez pas, c'est notre faute si nous sommes venu à l'improviste, assura Luan. Prenez tout le temps qui vous sera nécessaire, nous vous attendrons.
_ CE NE SERA PAS LONG. » Assura CAPSLOCK.

L'officier quitta d'un pas vif la petite salle de réunion, laissant les trois jeunes femmes seuls, n'étaient les sentinelles aux coins de la salle.

« Je rêve ou il vient de nous laisser en plan, s'offusqua Elie en chuchotant à voix basse pour ne pas être entendu des gardes.
_ Évidemment, il est parti se préparer, expliqua Luan.
_ Se préparer ?
_ Il vient de comprendre que c'est une négociation et une négociation, ça ne s'improvise pas, d'autant plus quand on est une huile de la marine. Il va revenir avec deux aides de camp pour l'assister, après s'être entretenu sur le sujet avec tout son état-major. Et là, nous allons pouvoir commencer à discuter sérieusement.
_ Comment tu sais ça ?
_ J'étais porte-parole du NMSI, avant, rappela la jeune femme. Avec Yoshimitsu. Nous avons beaucoup négocié avec la marine. Question d'habitude.
_ Et comment tu sais que ce sera avec deux aides de camps ?
_ Pour équilibrer l'effectif par rapport à nous, expliqua Luan. Moins et il se sentira plus faible que nous. Davantage et il prendrait le risque de passer pour plus faible que nous à nos yeux. La forme est tout aussi importante que le fond dans ce genre de situation. Mais leur présence n'est pas importante, ils n'interviendront guère : c'est généralement au gradé qu'incombe de mener la danse.
_ Heu... Mais, et nous, on a préparé quelque chose ? S'inquiéta Grenadine.
_ Pas vraiment, mais nous avons plusieurs cartes à jouer, assura la médecin. Et puis surtout, nous allons avoir mieux que ça : nous allons mettre au point une stratégie.
_ Du genre ? Demanda Elie.
_ Moi, je vais mener la négociation, parce que j'ai plus l'habitude que vous autre de ce genre de passe d'arme, sans vouloir vous vexer.
_ T'inquiètes.
_ Quant à toi, Elie, tu interviendras de manière agressive chaque fois que tu le jugeras bon.
_ Pourquoi de manière agressive ?
_ Parce que nous ne sommes pas en position de force et donc il ne s'y attendra pas, ça devrait le bousculer, voire même l'impressionner. En plus, ça va détourner son attention, ça va troubler sa lucidité et il va appréhender tes interventions. Du coup, par compensation, il sera plus facilement enclin à accéder à nos demandes par la suite parce que ça lui donnera subitement l'impression de reprendre le contrôle.
_ Il pourrait aussi refuser tout en bloc, ça lui donnera la même impression de contrôle, non ?
_ Oui, mais dans ce cas-là, ça pourrait provoquer une nouvelle explosion de ton côté. Alors qu'en acceptant, il écarte cette éventualité. Intuitivement, il sera donc davantage porté sur l'agrément plutôt que l'opposition. Catharsis émotionnelle, si tu veux.
_ C'est vachement diabolique, ça...
_ J'ai eu un excellent professeur au NMSI. D'ailleurs, en parlant de déstabiliser, il faut que nous trouvions un truc pour bousculer spécifiquement le colonel d'entré de jeu.
_ Quelle est la théorie tordue sous-jacente ? Voulut savoir Elie en souriant.
_ Ça n'a rien de tordu, c'est comportemental ! Parce que si nous arrivons à marquer un point ou à lui faire considérer qu'il a commis une erreur grossière dès le départ, ça va le travailler et le miner pendant toute la suite de notre discussion. Et s'il est moins sûr de lui, nous aurons plus de chance de le rallier à notre point de vue.
_ C'était pas des porte-paroles en solde, au NMSI, dis donc... Ok, j'en fais mon affaire, assura la comédienne. Je vais lui clouer le bec, à cet officier. Et au sens propre.
_ Et toi, Grenadine, tu vas jouer les banques de données ambulantes. Chaque fois que j'affirme quelque chose, si tu as des exemples ou des données chiffrées à présenter, tu les balances. Ça donnera l'impression que nous maîtrisons très bien notre sujet. Mais attention, hein, tu le fais uniquement si ça étaye notre position.
_ Ok, tu peux compter sur moi ! Assura la pirate.
_ Bien. Alors il n'y a plus qu'à attendre. »

Luan croisât les bras et attendit, révisant mentalement les différents points à attendre. Premièrement, il leur fallait récupérer le Fruit du Démon, point vital de toute l'affaire. Face à lui, Crachin serait vulnérable. Vulnérable et brouillon. Le contrôle des communications internes opéré par les chevaliers de Nowel ne pouvait perdurer que tant que Crachin ne se soucierait pas de sa stratégie globale. Ce qui était le seul moyen d'éviter le massacre des habitants de l'île. Deuxièmement, il fallait aussi imposer la coordination des efforts des Chevaliers de Nowel et de la marine concernant ce qui se passait dans l'île. D'abord, pour ne pas se gêner mutuellement, mais surtout, parce qu'on pouvait faire confiance à Santa pour refuser le moindre sacrifice civil. On ne pouvait pas forcément en dire autant de la marine.
Et bien sûr, tout ça en se faisant passer pour des pirates aux yeux de la marine et pour des alliés de Crachin aux yeux de Grenadine et sa clique. Sinon, ça n'était pas drôle.
Luan soupira. C'est Yoshimitsu qui devrait se trouver ici, à sa place. Il était comme un poisson dans l'eau lorsqu'il s'agissait de manipuler son monde. Alors qu'elle... Bon, à tout le moins, elle avait mené un paquet de négociations à ses côtés et elle avait fini par apprendre deux-trois trucs utiles. Ça lui laissait une chance. Et finalement, c'est tout ce dont avait besoin sa nature résolument optimiste.

Au bout d'un moment, CAPSLOCK revint enfin. La porte s'ouvrit brusquement et le colonel, le regard sévère et le port martial, entra d'un pas vif et déterminé, deux aides de camps avec des dossiers sous le bras sur ses talons. Une entrée des plus classes, jugea la jeune femme, qui changeait presque à elle seule l'atmosphère qui régnait dans la salle de réunion. Ç'avait toujours un petit côté impressionnant, même si pour avoir assistée à cette mise en scène à maintes reprises, Luan savait que ce n'était rien d'autres que de l’esbroufe. Les dossiers des aides de camps étaient même sûrement sans rapport avec leur affaire direct. Ils n'étaient là que pour l'aspect visuel, manière de dire, "voyez, on a un paquet de données sur tout ça, alors n'essayer pas de vous y frotter". Le rôle qu'allait tenir Grenadine de leur côté, donc.

CAPSLOCK prit donc dignement place en face du trio de pirates, ses aides de camp prenant place de part et d'autres. Il joignit le bout des doigts devant son visage et toisa lentement chacun de ses interlocuteurs, l'un après l'autre. Si Grenadine gigota un peu sur son siège, mal à l'aise, Barbara conserva son air des plus détendus, tandis que Luan afficha un impénétrable visage de marbre.
Au temps pour la tentative d'intimidation.

« BIEN, JE... Commença le colonel.
_ Silence ! Tonna brusquement Barbara.
_ PLAÎT-T-...
_ Plus un mot ! Asséna l'actrice. Vous allez me faire le plaisir d'arrêter de parler comme ça.
_ COMME QUOI ?
_ COMME ÇA !
_ MAIS...
_ Pas de mais, tempêta Barbara. Nous ne sommes ni vos soldats, ni vos larbins, et j'exige d'être traitée avec le respect dû à mon rang ! Parlez-moi encore comme à un chien et je vous jure des ennuis comme jamais ! Vous parviendrez peut-être à stopper Crachin sans nous... Mais sans nous, je peux vous assurer que le bain de sang est inévitable et que vous serez mis au placard par vos supérieurs ! »

CAPSLOCK fronça des sourcils.

« MADAME, JE... Aboya le colonel.
_ Mademoiselle ! Lâcha Elie d'une voix sifflante chargée de mépris parfaitement feint. Et pour vous, ce sera Capitaine Barbara. Est-ce clair, colonel ?
_ CAPITAINE, NOUS...
_ Un ton plus bas ! Que je sache, cette réunion ne concerne pas l'ensemble du personnel du navire et des cinq nautiques alentours ! En plus, c'est extrêmement agaçant pour les lecteurs !
_ Ben oui, mais c'est-à-dire que... » Essaya piteusement CAPSLOCK.

Barbara lui jeta un regard à cailler le lait. Le colonel parut se ratatiner sur son siège. D'habitudes, c'était feues ses deux négociatrices qui discutaient avec les pirates. Lui, il se contentait de les fracasser à vue et pis c'est tout. Il ne savait pas trop comment s'y prendre maintenant que c'était son tour. Ses aides l'avaient rapidement briefé sur un tas de trucs, mais absolument pas sur les formes.

« Heu... Hum... Je... Je vais faire un effort, capitaine, bafouilla CAPSLOCK.
_ Nous vous en savons gré, se calma Elie avant de claquer des doigts. Luan ! Tu peux commencer.
_ Bien entendu, Capitaine. Messieurs, vous n'êtes pas sans savoir que le capitaine Crachin dispose d'un plan d'extermination de la population de Panpeeter qui n'attend que son ordre pour être exécuté. Même plus : sans ordre, à la moindre intuition, au moindre mauvais pressentiment, chaque lieutenant tenant une ville est autorisé à procéder au massacre. Mais... »

Luan ménagea une petite pause théâtrale pour bien attirer l'attention.

« Mais il s'avère que nous contrôlons actuellement le centre de communication du Galion de Crachin. Et qu'en vertu de quelques atouts dont nous disposons, nous sommes à même de distribuer efficacement des contrordres. Momentanément, s'entend. C'est pourquoi, si nous voulons éviter le massacre, il nous faut nous entendre très vite. Grenadine ? Veux-tu bien expliquer à ces messieurs ce qui se passera si nous échouons. »

La chef du renseignement de l'équipage du capitaine de Crachin s'exécuta, détaillant par le menu les différents options et solutions qui s'offraient aux Lieutenants pour mener leur tâche à bien. Les marines restèrent de marbre, ce qui n'étonna guère Luan. Ils devaient être sans doute en train de revoir leurs plans pour concentrer leurs forces infiltrés sur quelques villes et sacrifier les autres.

« BIE... hum, excusez-moi... Bien, bien, bien, fit CAPSLOCK. Et je suppose qu'en échange de votre aide vous allez me demander de vous laisser prendre la place de Crachin, c'est bien cela ?
_ Absolument pas, nia Luan.
_ Aha ! Je le savais ! Vous autres pirates ne... PARDON !?
_ Pour la même raison que nous voulons nous débarrasser de Crachin, laisser coffrer la majorité de son équipage ne nous gêne pas plus que cela, expliqua Luan. Nous ne sommes certes pas des enfants de chœurs, mais des psychopathes prêts à passer toute une île au fil de l'épée ne méritent pas de rester en liberté.
_ Exact, approuva Barbara à ses côtés. Nous sommes des anarchistes, pas des assassins.
_ Je vois, je vois, convint CAPSLOCK en hochant la tête d'un air qui le démentait complètement. Mais alors, que voulez-vous ?
_ C'est fort simple : que vous nous laissiez partir en paix, nous et nos hommes, une fois cette affaire terminée, répondit Luan.
_ Vous m'en demander beaucoup, là, réfuta le colonel. Ce que j'ai des comptes à rendre à mes supérieures, moi ! Je ne peux pas laisser filer la moitié de l'équipage après les événements qui...
_ Allons, un peu de sérieux, le morigéna Barbara. Vous pensez vraiment que la moitié de l'équipage de Crachin tiendrait dans le navire de Grenadine ? Un peu de bon sens ! En plus de son équipage, il n'y a guère qu'une dizaine d'individus que nous emmènerons avec nous. Le reste est à vous et ça en fera un tel paquet que vos supérieurs ne remarqueront même pas notre absence. Et attention, pas que de la piétaille, y'a du bon monde qui se bouscule au balcon, pas vrai Grenadine ? »

La chef du renseignement de Crachin hocha vigoureusement la tête avant de réciter les plus grosses primes de l'équipage. Il y en avait suffisamment et avec beaucoup de zéros pour que même Luan commence à se demander si c'était vraiment une bonne idée d'essayer de se mettre en travers du chemin de Crachin.
Finalement, CAPSLOCK interrompît la litanie de la pirate : les services de renseignements de la marine savait tout aussi bien de quels cadors étaient composés l'équipage de Crachin.

« MMMMMHHH... Ah non, flûte, je voulais dire mmmmmhhh... Franchement, avec si peu d'effectifs, je vois mal quelle aide salvatrice vous pouvez apporter qui mérite que je ferme les yeux sur votre présence ! »

Elie arbora un sourire des plus charmants et se pencha en avant, posant ses coudes sur la table, avant de s'adresser au colonel d'un ton mielleux.

« Allons, vous n'allez pas me faire croire que vous avez déjà oublié qui nous sommes ? J'ai pourtant fait les présentations, je vous rappelle. Qui est la jeune femme à ma droite ?
_ …
_ Ne faites pas votre timide, colonel, je suis sûre que vous le savez. Où bien dois-je donc interroger vos aides de camps ?
_ C'est Grenadine, la chef des renseignements de Crachin, admit péniblement CAPSLOCK.
_ Exact, triompha brusquement Barbara. Autrement dit, une espionne, une roublarde, une tricheuse, une menteuse. À la tête d'une troupe de ses semblables. En plein cœur du dispositif de Crachin. Qui ne se doute pas une seule seconde que nous sommes passées à l'ennemi !
_ Ce qu'elle veut dire, traduisit Luan à l'intention d'un colonel qui fronçait les sourcils de perplexité, ce que la manipulation, c'est notre quotidien. En fait, en ce moment même, nous sommes capable d'émettre sur le réseau interne de Crachin des ordres proférés de sa propre voix, depuis son propre QG de communications. C'est là l'un de nos atouts. Et c'est ce qui nous a permis d'éviter le massacre à Oredas. D'ailleurs, vous nous devez une fière chandelle pour ce qui s'est passé là-bas.
_ D'accord, je l'admets, votre aide nous serait très précieuse, acquiesça le colonel. Ce stratagème peut clairement faire pencher la balance en notre faveur, suffisamment pour que je ferme les yeux lorsque vous prendrez la fuite. Mais soyons très clair, il n'y aura pas de deuxième chance : si nous nous recroisons, je vous traiterai comme n'importe quel pirate !
_ J'entends bien, fit Luan. Mais en l'état, il me paraît un tantinet prématuré de parler de victoire. Notamment car notre stratagème possède une faille flagrante.
_ Gné ?
_ Évidente.
_ Merci, j'avais compris ! Mais quelle faille ? Il me paraît parfait, votre truc ! S'étonna CAPSLOCK.
_ Non, il y a un écueil de taille, le contredit la médecin. Crachin en personne. Si nous ne faisons rien, il ne lui faudra guère de temps pour se rendre compte que quelque chose cloche et y remédier. Ce qui nous mettrait tous dans la panade.
_ Je vois. Et donc ? Qu'est-ce qu'on peut y faire ?
_ Nous devons attirer l'attention de Crachin, dévoila Luan.
_ Facile à dire, rétorqua CAPSLOCK, mais il ne se soucie même pas de mon blocus, alors que faire ?
_ Il y a une chose qui l'attirera aussi sûrement qu'une abeille sur une tartine de confiture.
_ Qu'est-ce que c'est que cette comparaison, Luan !?
_ Désolée, capitaine, je voulais essayer d'en case une pour mettre un peu d'emphase...
_ Mauvaise idée...
_ Mauvaise idée.
_ Et donc ? Quel est ce plan infaillible ?
_ Mettre le Fruit du Démon dans sa ligne de mire, expliqua Luan. Voilà qui lui fera perdre toute prudence et se jeter dans la gueule du loup sans plus réfléchir au reste.
_ Nous avons le Fruit et il n'a pas bougé, objecta CAPSLOCK.
_ Parce que nous savons tous que vous ne pouvez rien en faire, riposta Barbara. Vous êtes pieds et poings liés par le poids de votre hiérarchie : vous ne pourrez l'avoir que si vous êtes bon sur ce coup-là, autrement la marine le refilera à quelqu'un de plus apte. Bref, vous ne pouvez rien en faire et pour Crachin, il est en sécurité entre vos mains.
_ COMMENT VOUS AVEZ SU QU'IL EST POUR MOI !?
_ hum-hum.
_ Rooh maiheuu... Excusez-moi...
_ Donc l'idée, c'est que vous nous le confiez, reprit la médecin.
_ QUE JE VOUS DONNE MON FRUIT DU DÉMON ! MAIS ÇA VA PAS L... !! Hum, je veux dire... Non, certainement, pas c'est hors de question.
_ Non, non, non, nous nous sommes mal compris, réfuta Luan. Nous ne sommes pas intéressés par le fruit en soi. Sa valeur pécuniaire est très surfaite et pour des personnes qui se targuent d'actions discrètes, ne pas pouvoir nager est un trop gros prix à payer. Non, par contre, nous avons besoin du Fruit pour piéger Crachin, ça, c'est un fait. Si nous essayons de déguerpir avec, il se précipitera à notre poursuite sans plus se soucier du blocus ou de son dispositif terrestre.
_ Ben, je ne sais pas moi, faites courir le bruit que vous l'avez, proposa le colonel d'un air penaud.
_ Ça ne marchera pas, le contra implacablement la médecin. S'il pense seulement que nous avons un Fruit du Démon, il viendra certainement oui. Il viendra, avec toute sa ruse, toute sa fourberie, toute l'expérience qu'il a acquise sur la Route de Tous les Périls. Il viendra la tête froide, il viendra en pleine conscience de la situation, il viendra avec ses plans, ses rets et ses contre-mesures. Il viendra, il viendra et nous, nous n'aurons pas la moindre chance de lui échapper. Ce faisant, notre stratagème sera éventé, le massacre des habitants de Panpeeter aura lieu et vous perdrez tout.
_ …
_ T'y es allé fort, là, Luan.
_ Il faut rester ferme avec les patients qui refusent leurs médicaments.
_ C'est pas un patient.
_ ... Déformation professionnel.
_ Non, là, je suis perdu... capitula carrément CAPSLOCK. C'est quand même plus simple quand il suffit de s'affronter face à face sur un champ de bataille... Vous allez me dire que si vous vous pavanez sous son nez avec le Fruit bien en évidence, ça va changer quelque chose, peut-être ?
_ Avez-vous déjà entendu le mot « hystérique » ? S'enquit Luan.
_ Quoi ? À ce point là ? S'étonna le colonel.
_ Oui. Il arrêtera de penser de manière rationnelle, il cessera de se préoccuper du reste du monde, son esprit sera obnubilé par une seule chose : mettre la main sur ce Fruit. Sur le champ. Immédiatement. De la manière la plus rapide, par le chemin le plus court. Le monde pourra s'écrouler que ça ne l'atteindra même plus.
_ Comment pouvez-vous en être certaine ? Voulut savoir CAPSLOCK.
_ Nous avons côtoyés sa garde personnelle et son second. Il a développé tous les symptômes d'une détresse... D'accord, je sens que vous appréhendez le mot scientifique qui va venir... Disons qu'il a "pété un câble", pour faire vraiment très simple.
_ Bon. Admettons. Mais qu'est-ce qui me dit à moi que vous n'allez pas essayez de filer avec le fruit ? Objecta CAPSLOCK.
_ Que voulez-vous ? Demanda Luan. Des garanties ?
_ Hé bien oui, pourquoi pas.
_ Je ne vois pas vraiment ce qui pourrait vous convaincr...
_ Moi je sais, affirma Barbara. Grenadine restera avec vous et nous viendrons la récupérer à la fin de l'affaire, lorsque nous vous restituerons le Fruit, tout simplement.
_ PARDON !?
_ Pardon !? Tiqua Grenadine.
_ Et qu'est-ce qui me dit que vous n'allez pas l'abandonner ? Balaya CAPSLOCK. Après tout, vous vous apprêtez bien à me vendre la majorité de l'équip...
_ Silence, maraud ! Explosa aussitôt Barbara en frappant du poing la table avant de se pencher par-dessus pour pointer un doigt accusateur sur le colonel. Ne me comparez pas à vous autre, marines, où chaque soldat est une quantité négligeable, un chiffre quelconque à aligner dans vos rapports et dans vos parades ! Mes hommes sont mes compagnons de voyages, ceux en qui j'ai confiance tout autant qu'ils ont confiance en moi ! Ajouta l'actrice avec une œillade appuyée à Grenadine. Et je ne vous permets pas de douter des liens qui nous unissent !
_ ET MOI, JE NE VOUS PERMET PAS D... Ah oui, non, flûte... Donc je disais, et moi, je ne vous permets pas de... Ropfzzzz, mais nan, ça tombe complètement à plat, maintenant...
_ …
_ Et après, c'est moi qui y vais un peu fort, capitaine ?
_ Désolée, j'ai toujours rêvé de faire ça, j'ai craqué...
_ Hum-hum, se racla ostensiblement la gorge Grenadine. Capitaine Barbara ? Ce n'est surtout pas que j'ai pas confiance, hein... Mais vous êtes certaines que les marines ne vont pas en profiter pour nous capturer quand nous... vous ramènerez le Fruit.
_ HÉ HO, POUR QUI VOUS NOUS PRENEZ !? ON EST PAS DES PILLARDS SANS FOI NI LOI, NOUS ! S'insurgea CAPSLOCK.
_ En même temps, c'est votre boulot de nous capturez, hein...
_ C'est pas faux...
_ Ça ne craint rien, assura Luan. S'ils faisaient ça, ça s'ébruiterait et ils se tireraient une balle dans le pied : tous les équipages préféreraient faire corps avec leurs chefs envers et contre tout, quoi qu'il arrive. Non, la marine préfère conserver l'opportunité de bénéficier de trahisons spontanées dans les équipages pirates. Tout ira bien.
_ Évidemment, assura le colonel. Nous sommes des hommes d'honneurs, nous autres. Sauf votre respect, capitaine.
_ Bon, d'accord, admit Grenadine. Mais... Qui va piloter mon navire si je suis ici ? Nan, parce que ça serait particulièrement ennuyeux que Crachin mettre la main dessus durant la poursuite. Enfin, je dis ça, je dis rien, hein... »

Luan se frotta les yeux pour cacher un soupir las. L'idée d'Elie était génial : ce serait effectivement plus simple que Grenadine ne soit pas là quand ils se trimbaleraient avec le Fruit, parce qu'elle ferait évidemment tout pour que Crachin mette la main dessus. Le problème, c'est que la pirate avait raison : ni elle, ni Elie n'y connaissait rien en navigation, Crachin n'aurait aucun mal à rattraper leur navire et mettre la main sur le Fruit.
Mais que faire ?

« D'accord, fit Barbara. Nous avons la personne idéale pour tout ça. Une personne au-dessus de tout soupçon, vous allez l'adorer, colonel.
_ Tiens donc ?
_ Un ancien officier de la Marine du royaume d'XXXX, congédié avec les autres lorsque la force militaire du royaume a été supplantée par les marines. Il s'appelle Sigurd Dogaku, procédez aux vérifications d'usage, ça sera facile.
_ Sigurd a été officier ? Hé ben...
_ Bref, c'est un militaire, c'est un des vôtres, il coopéra, ça j'en suis certaine. Et surtout, il commandait des navires, donc il connaît donc tous les trucs et astuces qui lui permettront de gagner du temps pendant que vous abattrez le navire de Crachin.
_ Mais que fait cet homme ici ? S'étonna CAPSLOCK.
_ Tourisme, avoua Elie.
_ Vous avez la liste de tous les touristes de l'île ?
_ Non. Mais nous vous l'avons dit, nous avons des contacts avec tous ceux de l'île qui veulent mettre un terme aux agissements de Crachin.
_ …
_ Alors ? S'enquit Luan.
_ MMMMMMMH... Oups. Ma foi, cela me paraît un plan tout à fait acceptable. Soit, je valide. Nous vous confierons le fruit et... Et comment allez-vous faire pour attirer Crachin ?
_ Nous allons faire mine de quitter le blocus de sorte à repasser devant Varedas. Il y aura forcément des marins pour nous voir, expliqua Luan, nous n'aurons alors plus qu'à les narguer tout en leur montrant bien le Fruit pour leur montrer que nous les avons eu dans les grandes largeurs. Crachin sera mis au courant dans la minute, entrera dans une ire incommensurable et jettera son navire à notre poursuite, tout simplement.
_ D'accord, d'accord, je vais faire modifier la formation navale du blocus pour préparer le piège idéal. Bien, je crois que nous en avons fini, je vais do...
_ Un instant, colonel, le coupa Luan. Vous oubliez une chose, je crois.
_ Ah ? Quoi donc ?
_ Je vous rappelle que nous avons actuellement la main mise sur le QG de communications de Crachin, que vous avez des commandos infiltrés et que nous avons tous à cœur la survie de tous les habitants de Panpeeter. Nous devons coordonner nos efforts pour libérer les villes de l'île pendant que Crachin ira au diable vauvert.
_ Cela va de soi...
_ Et dans cette optique, poursuivit tout naturellement la médecin, nous vous demandons de placer vos commandos sous l'autorité d'un homme formidable prêt à se dépenser sans compter pour faire le bien autour de lui. La droiture et la bonté incarnée. Vous allez l'adorez.
_ … HEEEEUUuuuuu... Hum. Modifier la formation d'un blocus, ça prend un peu de temps. Je file donner les ordres et je suis à vous pour reprendre cette discussion. Excusez-moi.
_ Non, non nous comprenons parfaitement, assura Luan. À tout de suite. »

CAPSLOCK se précipita en dehors de la salle de réunion, ses deux aides de camps dans son sillage.
Elie croisa le regard de Luan.

« Encore ?
_ J'en ai bien peur, lui sourit Luan.
_ Un deuxième round... Mais pourquoi y'a jamais moyen de faire les choses simplement ? »

    « Ho ! Ho ! Ho ! »
    Alors que Santa observait la situation depuis le toit de son bâtiment, il vit Giovanni disparaître au milieu d'un énorme nuage de fumée violette. Les pirates qui étaient aux alentours ou qui cherchaient à neutraliser le magicien s'écartèrent prudemment du brouillard artificiel, craignant le pire. Après les boules de feu et la pyromancie, ils étaient méfiants.
    Ils décidèrent donc de se reporter sur Elizorabeth et son mystérieux allié, qu'ils n'avaient encore jamais vu, mais dont ils avaient senti l'intervention. L'humandrill, accompagnée de Sir Arno, risquait incessament sous peu de se faire prendre en tenailles.

    Santa enleva les vêtements qu'il avait mis pour infiltrer la ville dans son déguisement d'assistant, et remit sa panoplie d'Envoyé de l'Esprit de Nowel. Il bondit dans un arbre proche du toit et se laissa glisser au sol. Par la porte entrouverte de la prison, il entendait les pirates psychoter, mais décida de les ignorer. Le plus longtemps ceux-ci resteraient à l'intérieur, le mieux cela serait. Cela ferait toujours ça de moins à gérer, au moins pour un temps.

    Le quadragénaire partit dans la direction dans laquelle se trouvait Elizorabeth au trot, en longeant les murs. Il avait tous ses sens aux aguets, étant donné que de nombreux pirates arpentaient les rues, tentant de stopper le chaos. Le petit escargophone qu'il avait emporté lui assurerait qu'à moins d'en posséder un second, les pirates n'appelleraient pas de secours.
    Et vu le cours de l'escargophone, ainsi que la quantité qui était déjà disséminée sur l'île pour en assurer le contrôle, il était peu probable qu'il y en ait un second dans cette ville. Dans tous les cas, tous les appels passant par le centre de communication de Crachin seraient neutralisés par Yoshimitsu, Kalem et Kahlia.

    Les premières rues qu'il enfila étaient totalement vides, portes, rideaux, volets et chatières hermétiquement fermés. Par conséquent, Santa fut surpris quand, au coin d'une avenue, une dizaine de civils le renversèrent presque en courant, fuyant manifestement quelque chose. Arrêtant d'une main ferme mais douce au collet un homme d'âge moyen, il le tourna de force vers lui :
    « - Me faites pas d'mal ! Me faites pas d'mal !
    - Ne vous en faites pas, monsieur. Je voulais juste...
    - J'ai rien fait ! J'ai rien fait !
    - C'était pour savoir si...
    - Sivouplaît sivouplaît sivouplaît...
    - Ecoutez-moi, monsieur !
    - J'm'en fiche de qui gouverne ! M'faites pas d'mal !
    - Non, mais je ne vous veux aucun mal, je...
    - J'ai une femme, deux sœurs, trois enfants, quatre souris blanches, cinq poils sur l'caillou, six...
    - Cela suffit !
    - Pardon.
    - Ho ! Ho ! Ho ! Ne vous en faites pas. Je suis l'Envoyé de l'Esprit de Nowel, et je vois bien que vous êtes simplement effrayé, le rassura Santa. Je voulais simplement savoir ce que vous étiez en train de fuir.
    - Plouf ! Plouf ! C'est Plouf !
    - Plouf ? Cet enfant-poisson pas sage n'a toujours pas réfléchi sur ses actes ? Je vois, je vois, il semblerait que la merci dont j'ai fait preuve ait été gâchée...
    - Gyah, il arrive ! Bon courage, m'sieur l'Envoyé !
    - Appelez-moi Santa. »

    L'homme se tortilla hors de son pull-over puis prit la poudre d'escampette sans un regard en arrière. Le quadragénaire haussa les épaules en passant l'angle de la rue et se prépara à affronter une nouvelle fois Plouf l'homme-dauphin.
    Posant les yeux sur son adversaire, il se figea. Les vêtements, d'abord, n'étaient pas les mêmes. Une espèce de poncho de pleins de bleus différents et un sac de marin ne rappelaient en rien la quasi-nudité de Plouf. La forme de la tête était aussi légèrement différente, même s'il s'agissait de la même peau bleutée. Mais cet homme-poisson faisait au moins dix bon centimètres de plus que le pirate. Et les bras qui dépassaient du poncho étaient loin d'être aussi musculeux que ceux de Plouf.

    L'homme-poisson inconnu se retourna en entendant le son des pas de Santa sur les pavés. Ses yeux bleus reflétèrent d'abord dépit et méfiance puis se plissèrent, fixant fixement l'Envoyé de l'Esprit de Nowel comme seuls des yeux de poisson pouvaient le faire.
    Ce n'était vraiment pas Plouf, en tout cas. Mais Santa se rappelait vaguement que quelqu'un avait évoqué plusieurs hommes-poissons appartenant à l'équipage de Crachin. Mieux valait donc ne pas baisser sa garde.
    « - Vous n'êtes pas Plouf, commença Santa.
    - Non, vraiment pas, même si les gens ont tous l'air de croire que si...
    - Vous êtes ?
    - Loromin. Et vous ?
    - Santa Klaus.
    - Ah-ha.
    - Quoi ?
    - Vous avez une divinité protectrice perchée sur votre épaule, n'est-ce pas ? D'après vos jets en foi, vous êtes déjà bien avancés dans l'arbre de maîtrise.
    - Hein ?
    - Build strength-faith, on dirait ?
    - De ?
    - Plutôt tank-faith, peut-être. Hum, cela mérite plus de calculs...
    - Dites-moi plutôt, que faites-vous ici ?
    - Je suis un progamer qui parcoure les mers à la recherche d'adversaires à ma mesure. Ma spécialité est CalmBelt & Dragons, l'extension d'Age of Navires. A part ça, j'ai un build axé sur la découverte, l'évaluation et la détection d'artefacts, qui me permet aussi d'analyser les builds des gens.
    - Vous n'êtes pas dans l'équipage de Crachin ? Puis c'est quoi un progamer ?
    - Absolument pas. C'est une personne qui vit de sa compétences en jeux.
    - Regardez-moi bien droit dans les yeux, pour voir ? Pourquoi pas, effectivement.
    - Ah, c'est votre build faith qui vous donne un skill permettant de détecter les mensonges ? Intéressant, assurément...
    - Ho ! Ho ! Ho ! Apparemment, vous dites la vérité. Je vais donc y aller.
    - Et le bonnet à ponpon, mmmh oui, bonus spécial qui rend reconnaissable, on ajoute ensuite les stats des armures, le pantalon qui donne...
    - Bonne journée, Loromin.
    - Bonne journée à vous, Santa Klaus. Alors on sort la feuille de personnage... Y'a un K à Klaus, n'est-ce pas ? Pour l'âge, soixante-dix ans environ, ça me semble pas mal, répartition des points... Mérite plus d'étude pour le moment...
    - Soixante-dix ? J'ai à peine quarante et un ans...
    - Hum ah euh... Je vais... Etudier la question... »

    Comptant bien planter là l'étrange mais sympathique énergumène, Santa repartit d'un pas vif vers Elizorabeth. Le contretemps des deux discussions n'avait pas dû améliorer la situation. Il espéra que tout allait pas trop mal pour elle. Alors qu'il se mettait à trotter, il entendit un bruit de sandales frapper le sol au même rythme que le sien. Sans se retourner, il sut que Loromin le suivait. Il ravala un soupir et se concentra sur le trajet à parcourir.
    Arrivant dans une rue comme les autres, il put voir un attroupement de pirates qui lui tournaient le dos. Ils avançaient pas à pas vers ce que des cris stridents lui indiquaient être l'humandrill de son groupe.

    Ni une ni deux, il fonça au milieu des pirates en s'agitant frénétiquement, en laissant le plus possible sur le carreau. Cette fois, pour éviter qu'ils ne se relèvent après quelques instants pour aller semer le chaos ailleurs, Santa se résolut à casser quelques membres. L'effet de surprise lui profita d'abord, puis le corps à corps, empêchant les forbans d'utiliser leurs armes à feu sans risquer de blesser leurs camarades.
    Par contre, cela ne les empêchait pas d'utiliser leurs armes blanches, aussi variées qu'il était possible de l'être. On retrouvait pêle-mêle des cimeterres, des sabres, des coutelas et autres couteaux, ou des armes plus originales comme des haches ou des épées bâtardes, en plus des classiques katanas, dont une bonne moitié était ébréchée.

    Perçant à travers la mêlée tout en écopant d'un petit paquet de coupures heureusement peu profondes, il rejoignit Elizorabeth dans un espace vide. L'humandrill semblait essouflée, s'appuyant sur ses quatre pattes. Elle aussi avait été blessée, sa robe était en lambeau, mais il semblait que sa fourrure l'avait un tant soit peu protégée.
    En arrivant au centre de l'œil du cyclone, Santa se rendit compte qu'il y avait une autre troupe de pirates en face de lui, qui encerclaient totalement leur duo. Au-dessus des têtes, il vit le scalp bleu de Plouf dépasser, et ses mains qui s'agitaient pour encourager les pirates à attaquer.

    La situation n'était pas très bonne. Alors qu'il pensait ne devoir gérer qu'un seul groupe de forbans, voilà qu'ils étaient encerclés. Santa maudit sa précipitation à voler au secours d'Elizorabeth sans analyser correctement la situation au préalable, sans toutefois se départir de son optimisme naturel.
    Si les membres de l'équipage de Crachin décidaient de charger, même dans une bataille au corps à corps, ils avaient leurs chances. Les pirates se gêneraient probablement entre eux, et ne semblaient pas très forts individuellement.
    Du coup, quand tous les pirates armés de lames et autres gourdins reculèrent pour laisser la place à ceux munis d'armes à feu, le quadragénaire ne put retenir un ''Ho ! Ho ! Ho !'' d'appréhension.

    Quand, au centre du cercle d'une dizaine de mètres de diamètre, les deux Chevaliers de Nowel ne firent plus face qu'à des gueules de fusils, la situation semblait compromise. Un tel barrage de balles provoquerait des dégâts chez les pirates aussi, mais pour eux, cela en valait la peine, et les encouragements violents de Plouf n'amélioraient pas le tableau.

    Quand, de derrière la foule, l'homme-dauphin donna l'ordre de faire feu, Santa n'avait qu'un plan : lancer Elizorabeth dans une direction et courir dans l'autre en espérant esquiver la plupart des balles.

    Avant même que le lieutenant humanoïde de Crachin puisse finir sa phrase, des explosions de feu et de fumée retentirent au milieu des pirates. Les corps volèrent, toussèrent, crachèrent, se déchiquetèrent. Par la porte d'une maison proche, une dizaine de silhouettes floues dans les fumigènes firent irruption et tirèrent à tout va dans le tas.
    Supposant qu'il s'agissait d'alliés, au vu de leur interruption inopinée mais ô combien opportune, Santa et Elizorabeth plongèrent dans le tas. Eux n'avaient pas le problème des pirates : il n'y avait que des ennemis autour d'eux. Reprenant brièvement son souffle, Santa jeta un regard autour de lui. Par les volets entrouverts des bâtiments, des visages les observaient. Regardant cette fois au niveau du sol, l'Envoyé de l'Esprit de Nowel vit Plouf s'enfuir, abandonnant là ce qui restait de son équipage.

    Sans la moindre pitié, les nouveaux venus achevèrent tous les pirates sauf une poignée qu'ils maintinrent en joue. Le chef du groupe prit la parole :
    « - Alors, la racaille, on persécute du contribuable ?
    - Z'êtes qui ? La police secrète ?
    - Ta gueule, ordure, c'est moi qui pose les question, répondit l'homme en collant un revers du dos de la main qui envoya le prisonnier à terre. »
    Ce dernier cracha un glaviot sanguinolent par terre, un air de défi sur la face. L'interrogateur sortit son mousquet et l'exécuta au sol, le visage impassible, avant de se tourner vers un autre pirate. Santa était immobile, surveillé qu'il était par les autres membres du groupe. Il en profita pour les examiner.

    Tous des hommes et des femmes dans la fleur de l'âge, athlétiques, et armés exhaustivement. Assurément pas la milice d'une pauvre île perdue comme Panpeeter. Leur discipline toute militaire, leur posture et leur équipement laissait à penser qu'il s'agissait soit de membres du CP, soit de membres de la Marine. Des soldats, en somme.
    Seul celui qui menait l'interrogatoire semblait un peu plus âgé que les autres, avec ses cheveux poivre et sel, sa barbe de quelques jours et ses rides sur son visage hâlé. Après avoir tué le premier pirate, il s'éloigna de quelques pas pour que la flaque de sang qui s'étendait à ses pieds ne salisse pas ses bottes et s'arrêta devant un autre pirate.

    Au lieu de lui adresser directement la parole, il s'approcha jusqu'à ce que leurs nez se touchent presque, le fixant droit dans les yeux. Il recula ensuite d'un pas et cracha par terre.
    « - Tu veux causer, toi ? Demanda l'homme. Le pirate déglutit.
    - J'voudrais pas que y'ait de confusion entre nous, bande d'étrons. Personnellement, j'suis persuadé que le monde se portera mieux une fois qu'on aura jeté vos corps en pâture aux requins et planté vos têtes sur des piques. Mais il se trouve que vous pouvez ptet me dire des choses intéressantes. Si vous voulez pas, vous le dites tout de suite, on gagne du temps en vous descendant tous ici, tas de fumier. »
    Laissant courir son regard sur l'assemblée, il les laissa mijoter un peu.
    « - Mais sinon, vous pouvez vous montrer coopératif et aller survivre un peu dans une prison tranquille, avec un peu d'bol. J'dois dire que ça m'révulse, d'utiliser l'argent des contribuables à ça, mais les patrons ont fait des prisons et veulent foutre des gens d'dans. C'est bien votre veine, bande d'enfants de putains, hein ? »
    Un nouveau coup d'œil perçant les pirates marqua une nouvelle pause dans le monologue.
    « - Z'avez dix secondes pour cracher ce que vous savez des effectifs et des défenses de la ville. J'ai pas de temps à perdre avec de la pourriture comme vous. Cinq secondes.
    - On est une centaine, répartis dans la ville. Le chef, c'est Plouf, en ce moment. L'homme-dauphin. S'est barré. Enfin on était une centaine avant. Plutôt quatre-vingt, maintenant, après... la bataille. Ouais, quelque chose comme ça.
    - Bien. S'quoi le remue-ménage, dans les rues, qu'vous faites ?
    - On essaie de contrôler les civils pour les empêcher de se mêler de ça et nous trainer dans les pattes. On pensait pas que y'aurait l'armée, on voulait juste empêcher l'insurrection de la ville.
    - Quelle insurrection ?
    - Ho ! Ho ! Ho ! Il me semble que ça parle de nous !
    - Et z'êtes ?
    - Santa Klaus, initiateur des Chevaliers de Nowel. Ravi de vous rencontrer, monsieur... ?
    - Satomaru. Bien, nous vous sommes reconnaissant de l'initiative civile que vous venez de prendre. Nous prenons la direction des opérations, dorénavant. Vous pouvez rentrer chez vous et laisser les professionnels s'occuper du reste. »

    Santa tiqua. C'était la deuxième fois que des professionnels remettaient son travail, sa mission, en doute.
    « - Monsieur Satomaru, ou plutôt officier Satomaru...
    - Je ne vois pas de quoi vous parlez.
    - Dites, tout de même...
    - Oui ?
    - Vous venez de dire ''Professionnels''.
    - Pas du tout.
    - Je vous assure.
    - C'est faux.
    - Y'a le symbole de la Marine sur vos gourdes, intervint Loromin, qui venait de se rapprocher.
    - Quelles gourdes ? On n'a pas de gourdes.
    - Le monsieur là-bas vient d'en sortir une de son sac. J'm'en suis aperçu grâce à ce petit bijou. Et oui, on dirait un simple coquillage comme les autres, n'est-ce pas ? Eh bien non ! Il s'agit du Légendaire Coquillage du Père Cèpe Sion ! Mais il n'est pas à vendre, désolé.
    - Putain, Gabriel, t'abuses, pile quand j'négocie avec des civils, quoi !
    - Pardon, Sergent !
    - Ah-ha ! Sergent Satomaru, donc !
    - Gabriel ?
    - Oui, Sergent ?
    - Une semaine de retenue de salaire pour compromission de l'incognito de la mission.
    - Quoi ? Mais ç'pas juste !
    - Soldat ! Aboya Satomaru.
    - Chef, oui chef !
    - Donc, sur la fiche de joueur, faction : marine, grade : sergent...
    - Bon, maintenant que le diable est hors de sa boîte, effectivement, nous sommes une unité de marine dispatchée sur Panpeeter pour affaiblir l'infrastructure pirate. J'imagine que vous êtes fiers de vous ? N'hésitez pas à rentrer dans vos maisons et nous laisser travailler, maintenant.
    - Ho ! Ho ! Ho ! Je ne suis pas un simple civil. Je suis un membre des Chevaliers de Nowel, nous sommes une Organisation Non-Gouvernementale dont le but est d'apporter le bonheur dans le monde entier !
    - Chouettes, des débiles... Pourquoi j'me cogne toujours des putains de complications ?
    - Donc nous n'habitons pas ici, et nous n'allons pas attendre vous fassiez le nécessaire, surtout après avoir laissé la situation s'envenimer à ce point.
    - Je rêve ou il me critique ?
    - De plus, nous avons déjà pris contrôle du centre de communications de Crachin.
    - Félicitations, la Marine et le Gouvernement Mondial sont fiers de vous. On vous donnera une médaille ou une connerie du genre. Bon, c'est pas tout ça, mais on a du travail. Les enfants, préparez-vous. »

    Pendant cet échange, les pirates s'étaient fait discrets, communiquant par de légers signes de têtes, dans l'expectative. Une petite prison tranquille, c'était pas si mal, quand on prenait en compte la situation : prise d'otage d'un île entière, menaces de massacre, sans compter toutes les exactions commises auparavant. La majorité avait un casier judiciaire long comme le bras d'un membre de la tribu des long-bras, peut-être même de la tribu des longues-jambes pour les plus baroudeurs d'entre eux.
    Le sergent reprit la parole d'une voix forte, s'adressant à ses prisonniers :
    « - Au fait, 'spèce de déchets humains, z'avez fait une erreur en me donnant l'compte des pirates de la ville. Y'a plus que soixante-quinze p'tites merdes à nettoyer. »
    Sur un signe du gradé, les marines exécutèrent les forbans qui moururent avec une expression de surprise sur le visage.

    Les soldats partirent au pas de course dans la direction qu'avait prise Plouf, laissant les cadavres sur place. Santa décida de les suivre, et il semblait que Loromin avait choisi de faire de même, tout en continuant de griffonner ce qu'il appelait des fiches de personnage et des tables de compétences.

    Une longue poursuite les amena du côté du port. Alors même qu'ils posaient les pieds sur le quai, juste derrière le commando, des pirates surgirent des barques et de la ruelle derrière eux. Satomaru, pas paniqué pour un sou, arbora brièvement un sourire carnassier avant de se coucher par terre, évitant la plupart des premières balles, tout comme son escouade.
    Les criminels qui se trouvaient dans la ruelle n'eurent pas le temps de recharger ou de dégainer leurs sabres. Des hommes postés sur les toits les prirent dans un feu croisé qui les transformèrent en gruyère en une salve. Voyant cela, les occupants des barques sautèrent à la mer sans se soucier d'autre chose que de leur vie. Le sergent aboya un rire moqueur pendant que sa troupe se positionnait sur l'embarcadère.
    Dès qu'une tête jaillissait à la surface de l'eau, elle se faisait canardée comme une cible à l'entrainement. Après avoir attendu, cinq minutes, des fois que l'un d'eux soit adepte de l'apnée, il murmura ''Une cinquantaine, heh'' et fit signe aux marines sur les toits de descendre.
    De là, il donna l'ordre à sa petite troupe de continuer à suivre Plouf, tandis que ceux qui avaient joué les acrobates sur les toits devaient essayer de prendre l'homme-poisson à revers, cette fois par les rues, pendant que deux éclaireurs surveilleraient et dirigeraient tout le monde. Cela gênait un peu Santa, toutes ces tueries, mais d'une, il s'agissait de vilains pirates, et de deux, ils n'avaient aucun moyen de les neutraliser durablement, comme cela avait été prouvé lors de l'attaque de la prison.

    Il se résolut à suivre de loin les soldats.

    ****

    Sigurd était toujours hébété dans une maison vide d'Oredas quand il avait vu le commando de marine recevoir un rapide message par escargophone miniature. Après leur avoir enjoint, à Wonder et à lui, de rester à l'abri pendant qu'ils accomplissaient leur mission, ils étaient sortis en file indienne à cadence soutenue.
    L'ex-milicien s'ébroua mentalement et décida de ne pas les suivre. Il se tourna plutôt vers Roger Wonder :
    « - Bon. Haylor est là. Vous aussi. Comment ? Pourquoi ?
    - Alors c'est bien sim...
    - Aucune importance, coupa Sigurd. Vraiment aucune importance. Vous avez protégé Haylor jusque-là, donc j'ai pas de raison de croire que vous allez brusquement arrêter, pas vrai ?
    - Effectivement, répondit doucement ce qui ressemblait indéniablement à un lapin humanoïde. Vous êtes prêt à y aller ?
    - J'ai drôlement mal partout...
    - Pardon ?
    - Mais ça va aller. »

    Wonder rouvrit la porte et invita le blondinet à le suivre.

    ****

    Eipode, Hanahebi, le maire et leur fardeau de Petrus étaient perdus. Définitement. Indéniablement. Irrémédiablement. Perdus. Quand ils s'étaient fiés à leurs oreilles plutôt qu'à leurs yeux sur cet embranchement fatidique, ils s'étaient eux-mêmes séparés de Sigurd et sa connaissance.
    Hanahebi eut une grimace ironique en se disant ça. C'était vrai dans les deux sens du terme. Sa connaissance, la jeune femme qui ne faisait que crier à sa tête et courir à leur tête. Pah, pleins de têtes. Moche, comme répétition, il s'était connu plus performant. Et, pour le second sens, la connaissance du milicien des rues de la ville et des patrouilles.

    Comme l'aurait prosaïquement dit Eipode, ils étaient dans la merde jusqu'aux sourcils. Il n'avait jamais eu beaucoup d'imagination, mais en l'occurrence, à part la merde dans laquelle ils étaient, Hanahebi ne voyait lui-même pas grand-chose, et surtout pas une échappatoire.
    Ils enchainaient maintenant les rues au hasard, toujours poursuivis par des pirates. Si Petrus se réveillait, ils auraient une meilleure chance de se retourner pour les affronter, surtout que le maire commençait à fatiguer. Il sentait bien que ce n'était pas dans ses habitudes de cavaler au hasard dans les rues de la ville après avoir passé quelques heures dans une prison. Le stress, la pression, commençaient à prélever leur dû sur le pauvre homme, qui n'était plus tout jeune.

    En courant à côté d'Eipode, il flanqua des baffes à Petrus, des fois que. Sans surprise, cela ne changea rien. Tous économisaient leur souffle, tout comme les pirates derrière eux. Ceux-ci avaient la situation bien en main. Ou, en tout cas, à portée de main : ils voyaient déjà le groupe devant eux ralentir de manière quasi-imperceptible, et les mouvements spasmodiques de la tête du maire étaient indicatifs de son essoufflement total.
    Aussi, quand le vieil homme porta la main à la gauche de son ventre, dévoilant ainsi qu'il avait un poing de côté, Hanahebi sentit que la fin était proche. Le maire était capital pour le déroulement de leur plan de libération, mais il n'allait certainement pas se laisser tuer pour d'autres, pour la beauté du geste. Il savait qu'Eipode se faisait la même réflexion, probablement un poil plus lentement.

    En attendant, s'accrochant au minuscule espoir qu'un miracle pouvait toujours avoir lieu, il soutint l'ancien prisonnier, le portant presque, pendant que celui-ci reprenait frénétiquement sa respiration. Un mouvement un peu plus loin attira son regard. Il dut cligner des yeux et essuyer la sueur qui lui tombait dans les yeux pour se faire confiance.
    Une bouche d'égoût s'agita devant eux, la lourde plaque bougeant de haut en bas. L'éclat mat d'un mousquet s'offrit à sa vue avant que tout redevienne calme. Cela lui avait suffit pour comprendre le plan. Il fit signe à Eipode de le suivre, ce que ce dernier ferait aveuglément. Ils se connaissaient depuis assez longtemps pour cela.

    A hauteur de la plaque d'égoût, le chasseur de prime tourna à gauche, emmenant son petit groupe dans un cul-de-sac. Le maire paniqua, mais un geste le fit taire. Petrus bava un peu quand Eipode le jeta par terre, sans ménagement. Sans doute en rétribution pour avoir dû le porter aussi longtemps. Ha.
    Quelques instants plus tard, quand les pirates arrivèrent au croisement, ils virent que le groupe qu'ils avaient poursuivi aussi longtemps avait les mains en l'air, pour se rendre. Des sourires suffisants apparurent sur leurs visages. Ils se transformèrent en expressions de surprise puis de colère et de peur quand les premiers coups de feu retentirent dans leurs dos.

    Quand le vacarme cessa, les chasseurs de primes purent enfin voir leurs sauveurs, au-delà des corps désormais sans vie des poursuivants. Un groupe de gens somme toute normaux, mais armés de vieux fusils de chasse et d'antiques mousquets qui devaient déjà tomber en poussière il y avait cent ans.
    De la modeste foule sortit un individu que le maire reconnut comme Jean-Jacques un ami de Giovanni Panzani, son beau-frère de magicien.
    « - Ah, Jean-Jacques, c'est toi !
    - C'est moi-même ! Je suis avec les autres résistants de la ville. Quand nous avons vu que les pirates réagissaient mal à notre attaque sur la prison, nous avons décidé de nous réfugier dans les égouts. Ils sembleraient que, pour le moment, ils n'aient pas compris où nous nous cachions.
    - Excellente idée, mon garçon.
    - Venez, on y retourne. Y'a pas mal de grabuge, en ville en ce moment, et les pirates sont vraiment sur les nerfs. On a une vague idée de ce qu'il se passe, on vous expliquera en chemin. »

    ****

    Evangeline avait purement et simplement provisoirement éteint son cerveau. Ses yeux voyaient, ses oreilles entendaient et son nez sentait sans que cela fasse le moindre sens, sans qu'elle ne cherche à en tirer la moindre logique. Même le goût sur sa bouche, un mélange de violette et de salive essoufflée, n'était qu'un mot sans rien derrière.

    Seule la main serrée sur son avant-bras avait un peu de réalité.

    Le magicien Giovanni l'avait sortie d'un mauvais pas qui aurait pu s'avérer mortel. Il avait pratiqué la pyromancie, puis invoqué un brouillard violet au parfum floral. Enfin, la poursuite s'était achevée, les pirates abandonnant la piste. Pas si surprenant, entre le mur de flammes et la fumée potentiellement mortelle.
    Finalement, le nuage s'était éclairci puis dissipé. Ils avaient trouvé refuge dans une ruelle. Là, Giovanni lui emprisonna le visage entre ses deux mains, sans qu'elle résiste, puis approcha jusqu'à ce que leurs nez se touchent. Le magicien la fixa droit dans les yeux, puis soupira.

    Après s'être éloigné d'un pas, il fit une série de gestes compliqués des doigts, et, avant qu'elle ne comprenne comment ou pourquoi, le contenu d'une gourde lui éclaboussa la face. Ladite gourde lui atterrit ensuite dans les mains, prête à être bue, ce qu'elle fit goûlument. L'eau fraîche lui permit de reprendre un petit peu ses esprits.
    Giovanni la reprit par la main pour la guider dans les ruelles de la ville. A chaque coin de rue, ils se collaient au mur, jetant un regard soupçonneux de l'autre côté du mur. Ils tombèrent quelques fois sur des bandes de pirates, mais ceux-ci semblaient heureusement très occupés à courir dans une autre direction.

    Evidemment, se dit-elle, leur chance provisoire ne pouvait pas perdurer. C'était comme si elle s'était maintenue juste assez de temps pour lui donner l'espoir de sortir vivante de ce calvaire, avant de brusquement laisser à nouveau place aux malheurs qui semblaient être son quotidien depuis qu'elle était arrivée sur Panpeeter. Ou même depuis que le royaume d'XxX l'avait mise au chômage technique.
    Alors qu'ils épiaient des deux côtés d'une avenue afin de la traverser pour retrouver la sécurité relative des ruelles, des pirates firent irruption juste derrière eux. Un glapissement paniqué jaillit de ses lèvres pendant que Giovanni la plaçait de force derrière lui, levant haut les mains d'un air menaçant.

    Les forbans s'arrêtèrent, circonspects. Ils avaient tous vu le numéro de magie de Giovanni, ce qui justifiait amplement leur inquiétude. Sortant leurs armes à feu, ils mirent lentement le duo en joue. Quand le magicien vit leurs doigts se presser sur la détente, il poussa la jeune femme dans l'avenue, plongeant à sa suite, pour s'abriter derrière le mur.
    Se relevant précipitamment, ils coururent dans une direction au hasard. Il fallut une bonne dizaine de mètres à Haylor pour se rendre compte que Giovanni boitait très nettement, et qu'une longue coulée de sang dégoulinait de sa cuisse.

    Décidant cette fois-ci de prendre les devants, l'adrénaline la sortant de sa torpeur, elle s'engouffra dans la première rue sur sa gauche. A peine quelques pas plus loin, l'homme s'écroulait par terre, adossé au mur. Elle dut revenir en arrière :
    « - Relevez-vous ! Je vais vous aider, il faut partir au plus vite !
    - Tenez... Utilisez ça. Ils ne sont pas difficiles à utiliser, et notre seul espoir.
    - Je... Mais... Courir... »
    Ignorant ses protestations, il lui fourra deux gros coquillages dans les mains avec un clin d'œil.
    « - Enflammez votre public... héhé... »

    Par instinct, elle fit tout de même quelques pas dans la direction opposée à celle des pirates, avant de se reprendre. Elle était Evangeline T. Haylor, ex-commissaire du Tarmac. Elle avait fait marcher au pas tout un équipage et son capitaine. Elle n'allait pas laisser de minables forbans la bousculer plus longtemps.
    Revenant à hauteur de Giovanni, elle se campa firmement sur ses jambes. Brandissant les deux coquillages droit devant elle, elle attendit que les pirates arrivent.

    Ceux-ci ne s'étaient pas pressés. Ils étaient surtout extrêmement méfiants. Le mage leur fichait une sacrée pétoche, mais maintenant qu'il était blessé, ils sentaient qu'ils reprenaient le dessus. Mais quand ils arrivèrent en face de la jeune femme, ils sentirent que l'air autour d'elle avait changé.
    Sitôt qu'Haylor vit les pirates, elle appuya sur les boutons des coquillages. A sa demi-surprise, des boules de feu en sortirent. La première partit totalement de travers, heurtant un mur, mais la seconde fonça droit sur les poursuivants, qui se jetèrent pêle-mêle au sol. Au lieu de faire simplement feu une seconde fois, elle maintint cette fois les boutons appuyés, générant un souffle de feu, tout en s'approchant du tas.

    Les flammes donnaient un éclat inhabituel à ses pupilles. Quand, du fait de la chaleur, les vêtements des pirates s'embrasèrent, elle les laissa s'enfuir, paniqués. Elle jeta alors les coquillages au sol, secouant les mains pour les rafraichir au contact de l'air.
    « - Qu'est-ce que c'était que ces... ces... choses ?!
    - Eh bien, ma chère, j'ai l'impression qu'il s'agit tout simplement de la recette de mes tours de magie.
    - Comment ça ?
    - Il s'agit de mes supports.
    - Tous vos tours étaient donc... ?
    - Héhé, je ne vais pas non plus dévoiler tous mes secrets, répondit Giovanni avec un sourire las. Vous ne voulez pas m'aider à faire un garrot ?
    - Si, bien sûr, bien sûr...
    - Evidemment, je reste un prestidigitateur. Plutôt bon, avec ça, en toute modestie. Mais ces coquillages constituent le cœur de mes tours de magie. »

    Sans un mot, Evangeline aida le magicien à ralentir le saignement, puis attendit qu'il s'abreuve à sa gourde et reprenne quelques forces. Quand des pas précipités retentirent dans l'avenue, elle se précipita à quatre pattes vers les dials, et s'accroupit en les tenant pointés vers là où les nouveaux arrivants allaient débarquer.
    Dès que deux têtes dépassèrent du mur, elle fit feu. Elle n'eut le temps de voir qu'une tête blonde et deux grandes oreilles blanche de lapin. Incongru, songea-t-elle. Les deux têtes esquivèrent en s'abritant derrière les briques, reculant brusquement.

    « - Haylor, vous êtes folle ou quoi ?
    - Ah, c'est vous, Capitaine, répondit-elle simplement à cette voix qu'elle aurait reconnue n'importe où.
    - J'imagine que vous êtes accompagné de Roger Wonder ? Continua-t-elle.
    - Pourquoi vous nous avez tiré dessus ? On aurait pu y passer ! Pis c'était quoi d'abord ?
    - Vous n'aviez qu'à arriver avant, répondit-elle sèchement.
    - Eh mais...
    - Pas de discussion, Giovanni est blessé ! »

    ****

    Le sergent Satomaru mena son escouade droit dans une nouvelle embuscade tendue par des pirates. Cinq, qu'ils étaient, à tout casser. C'était la quatrième, déjà. A chaque fois, quelques tirs de traviole, dont la plupart éraflaient les murs, et les pirates s'égaillaient dans les ruelles. Chacun pour leur peau. D'la racaille.
    Ils se faisaient alors généralement attraper par les autres marines qui progressaient parallèlement à son groupe. Attrapés et, naturellement exécutés. Satomaru sentait bien que le semblant d'ordre chez l'ennemi vacillait, et comptait bien pousser son avantage jusqu'au bout. Jusqu'à ce qu'il n'y ait plus d'adversaires, comme le voulait sa mission.

    Jetant un bref coup d'œil vers les toits, il vit ses deux éclaireurs lui faire signe que la voie était libre. Parfait. Les dos de deux pirates étaient visibles plus loin. Pas assez près pour faire feu. Dommage. Enfin, cela ne saurait tarder.
    Satomaru accéléra sa foulée, passant d'un trot tranquille à un demi-sprint. Ses hommes et femmes en firent de même, sans un mot, régulant leur souffle et en restant aux aguets. De bons soldats. Après avoir tourné au coin d'une rue, il vit que les deux civils bizarres qui les suivaient depuis le début n'étaient plus là. Ils n'avaient probablement pas pu suivre le rythme. Tant mieux. Enfin débarrassé d'eux.

    D'après les signes que les éclaireurs avaient fait, il suffisait de suivre les pirates. Signes d'être méfiant, tout d'un coup. Satomaru ralentit un peu, revenant à un pas vif, en reprenant tranquillement sa respiration. Toujours par signes, il leur demanda ce qui se passait. Attendre un peu. Ils allaient vérifier ce qui les attendait, discrètement.
    Dans une rue perpendiculaire, le sergent vit une place de taille moyenne, avec un petit muret. Idéal pour se mettre à couvert. Il emmena son groupe là-bas. Tous s'accroupirent à l'abri, et en profitèrent pour vérifier leurs armes. De vrais professionnels. Il était fier d'eux. Tout fut examiné : les canons, les processus de mise à feu, les lames. Il ne fallait pas que la machine s'enraye ou leur fasse faux bond.

    Une larmichette allait lui venir, mais il se dit qu'il n'avait pas le temps. Et qu'il devenait vraiment trop cynique. Il serait bientôt en permission, de toute façon. Ca lui calmerait les nerfs. Il irait se mettre au vert, dans la maison secondaire de la famille. Il verrait peut-être ses neveux et nièces. Z'avaient dû grandir depuis. Il recentra son attention.
    Au bout de cinq minutes d'attente, toujours aucune information des éclaireurs. Mauvais signe. Il avait dû arriver une saloperie. Il attendit encore trente secondes, puis décida de bouger. Malgré la couverture du muret, ils étaient trop exposés. Trop de ruelles menaient à cette place.

    Il indiqua à sa troupe son intention de changer d'endroit. Alors même qu'il se relevait, des poignées de civils débarquèrent sur la place en courant de trois directions différentes. La seule constante était l'expression paniquée qu'ils arboraient tous. Les marines s'armèrent, dans l'expectative.
    Une fois tous les gens arrivés sur la place, des pirates arrivèrent, menaçant les civils, de grands sourires sur leurs visages sales. Les salauds. Ils avaient pris en otage la population pour contraindre les marines à se rendre. En plus, ils étaient bien une trentaine, voire une quarantaine. Les éclaireurs avaient dû se faire avoir. Pas de signe des autres commandos de marine. Prévoir le pire. Tombés dans le même piège, ou morts.

    Du sein des pirates sortit Plouf l'homme-poisson. Satomaru reconnaissait plus son dos que son visage, à cause de toutes les fuites successives qu'il avait provoquées, mais pas moyen de s'y tromper. Il avait vu sa fiche quand il avait été briefé sur les pirates notables de l'équipage.
    Il s'était fait avoir comme un bleu. Il avait cru que les pirates étaient désorganisés alors même qu'il se laissait mener tout droit à l'abattoir.

    La situation était mauvaise.

    ****

    Santa avait observé de loin les premières embuscades. D'une certaine façon, la situation était mauvaise. Oh, bien sûr, cela aurait pu être bien pire. Ils avaient secouru le maire, même s'ils n'avaient pas d'information de ce côté-là. Mais ils avaient échoué à la neutralisation totale des forces pirates de la ville.
    Il y avait aussi les autres forbans, qui devaient toujours arriver de l'extérieur. Il espérait que personne ne les avait oubliés, mais ne pouvait se permettre le luxe de s'en soucier pour le moment. Et, surtout, le plan de Sigurd reposait sur l'utilisation des civils pour diminuer les pertes parmi ceux-ci. Donc le fait que la marine prenne le contrôle des opérations risquait en quelque sorte de tout faire capoter, à moins qu'ils soient assez nombreux pour libérer toute l'île d'un coup d'un seul.

    « Ho ! Ho ! Ho ! » se fredonna-t-il, ignorant totalement les marmonnements incompréhensibles de Loromin derrière lui. Enfin, il fallait pour le moment ne pas se disperser et rester concentré sur la situation actuelle. Le reste viendrait, avec un peu d'espoir, en temps et en heure.
    Après une énième attaque mise en déroute par Satomaru, Loromin l'arrêta d'une main sur l'épaule, l'empêchant de poursuivre les marines.
    « - C'est bizarre, ça, lui dit l'homme-poisson.
    - Comment cela ? Nous sommes en train de les repousser.
    - C'est comme la tactique du serpent à plumes.
    - De ?
    - La tactique du serpent à plumes !
    - Non, mais ça j'avais compris. Je veux dire, qu'est-ce donc ?
    - Ah. Ben on fait genre on se bat et on fuit, puis ensuite, on mène l'autre dans un traquenard. C'est la technique que j'ai utilisée pour gagner le tournoi de Rôle En Gare Os. J'suis vraiment trop fort...
    - Sinon, un hameçon, non ?
    - Oui, c'est ça. Parce qu'en fait, les rhinocéros laineux sont friands de serpents à plumes, donc on utilise ces derniers comme appât. Oui, oui, ça marche aussi, l'hameçon.
    - Bien sûr...
    - Pardon ?
    - Donc vous pensez que c'est un traquenard ?
    - Un peu, mon n'veu ! »

    Sur ces mots, une plaque d'égoût à côté d'eux s'agita brièvement avant de se soulever. Quand la lumière tomba sur la tête qui se trouvait là, Santa reconnut Hanahebi, le chasseur de prime. Ainsi, il était en ville. L'Envoyé de l'Esprit de Nowel s'approcha et s'accroupit du jeune homme.
    « - Hello, Santa Klaus. Vous tenez le coup ?
    - Ho ! Ho ! Ho ! Bien sûr ! Nous suivions justement des marines qui éliminent les pirates de la ville.
    - Ah, ça. Justement. Venez avec nous, on va vous expliquer ça en chemin.
    - Ah ?
    - En chemin, j'ai dit. C'est assez urgent. »
    Le quadragénaire et Loromin descendirent donc l'échelle avant de replacer la plaque. Ils se retrouvèrent dans le noir jusqu'à que quelqu'un soulève le rabat d'une lanterne sourde.

    « - Jean-Jacques ! Et tous les autres !
    - Oui, oui. Suivez-nous, dit Hanahebi.
    - Au fait, c'est qui, l'homme-poisson, là ?
    - Je suis Loromin, progam...
    - Une sympathique personne que j'ai croisée dans les rues de la ville, coupa Santa, qui ne voulait pas d'une interminable explication sur les termes de progamer et autres commentaires bizarres.
    - D'accord, on vous fait confiance. Bon, Jean-Jacques ou le maire, l'un des deux, expliquez la situation, s'il vous plaît.
    - Fais-le... Jean-Jacques... J'ai plus de souffle...
    - Ouais, sûr, m'sieur l'maire. Bon, en gros, y'a un réseau rudimentaire d'égoûts qui court sous la ville. Les plus grandes rues et avenues, globalement. Comme les pirates devenaient méchants et agressifs, on s'est réfugiés là avec les volontaires de l'insurrection.
    - Ho ! Ho ! Ho ! Excellente idée !
    - Ouais, super. En plus, y'a un système de canalisations pour transmettre les voix. C'est un peu distendu et blindé d'écho, mais compréhensible. Donc on sait ce qui se passe dans toute la ville, peu ou prou.
    - Agueuh... Arg...
    - Ah, Petrus ! Enfin, tu t'réveilles, sale glandeur, marmonna Eipode, qui en avait marre de le porter.
    - S'passe quoi ? Bafouilla la Belle au bois dormant.
    - On t'expliquera plus tard, essaie de suivre ! Lui rétorqua Hanahebi tandis que Petrus vomissait un peu sur l'épaule d'Eipode et les parois des égoûts.
    - Putain c'est dégueu, va crever, sale bâtard !
    - Par... don... Beuarg !
    - Tu m'dois bien trois chemises, maint'nant !
    - Promis... Quel modèle ?
    - Cas Pour Hal !
    - Vendu...
    - C'est bon, vous avez fini de faire votre marché, on peut parler de choses importantes ? Intervint Hanahebi, excédé. Continue, Jean-Jacques, et ignore-les.
    - Okidoki.
    - Okidoki ? C'est du langage de djeunz ça ? Demanda le maire.
    - Ouais, ça veut dire ''oui'', le renseigna Loromin.
    - Vos gueules, putain ! S'énerva le chasseur de prime.
    - C'est bon, j'peux reprendre ? Bon, en gros, les pirates, en découvrant que y'avait pas mal de marines, ont décidé de les mener dans un piège. Apparemment, ils comptent prendre des civils en otage sous les yeux des marines pour prendre le dessus et les exécuter.
    - Mais c'est horrible ! Nous devons intervenir ! L'Esprit de Nowel ne laissera pas cela se faire !
    - Ouais, tout ça. On sait même où c'est. C'est place Bidule-Machin-Chouette, là, donc on y va pour redresser la situation, ajouta Eipode.
    - Place Thé Aux Daines.
    - On s'en fout, voilà ! C'est clair, comme ça ? On y va, on les défonce et c'est tout, dit Hanahebi, qui semblait franchement sur les nerfs, loin de son attitude détendue et blagueuse ordinaire. Peut-être était-il claustrophobe.
    - Bon, quel est le plan ?
    - Y'a une bouche d'égoût qui arrive direct sur la place, mais on peut pas tous sortir par là, sinon ils nous aligneront un par un. Faut venir de plusieurs endroits, taper un grand coup, v'voyez ?
    - Ho ! Ho ! Ho ! Assurément ! »

    ****

    Satomaru fit signe à sa troupe de ne pas lâcher leurs armes, comme le demandait Plouf.
    « - Quoi, t'as cru qu'on allait s'rendre comme ça ?
    - C'était l'idée, ouais.
    - Désolé de te décevoir, la sardine, mais c'est pas dans not' plan, tu vois ?
    - Tant pis pour les collatéraux, heh ?
    - Carrément. On a reçu comme ordres de faire not' possible pour limiter la casse. Mais si on peut pas, ben on peut pas. On fait pas d'omelette sans casser les œufs. Pas d'bol pour toi, mais t'vas passer à la cass'role quand même, à moins qu'tu t'rendes, 'spèce de limace des mers.
    - C'est quoi, ce bluff tout pourri ? T'as cru que ç'allait marcher, que j'allais gentiment abandonner l'avantage colossal que j'ai sur vous et dire pardon ?
    - C'aurait été pas mal pour toi, ouais, quoi que, même si tu t'étais rendu, j'me serai bien offert tes yeux d'merlan frit !
    - Dites, Sergent, vous pensez que c'est une bonne idée, de l'exciter comme ça ?
    - Ta gueule, Gabriel, ou tu veux une deuxième semaine sans solde ?
    - Non, Sergent, à vos ordres, Sergent, j'vous laisse négocier, Sergent !
    - J'négocie pas, j'apprends les choses de la vie à l'autre bestiole.
    - Par contre, dit Plouf en levant la voix, j'voudrais mettre les choses au clair.
    - Ouais ?
    - Depuis tout à l'heure, on parle de limace des mers, de merlan, de bestiole.
    - Ouais ?
    - Ca me met un peu mal à l'aise, quand même.
    - Ouais ?
    - Carrément. J'suis un homme-dauphin. J'pense que ça s'voit, donc s'pas la peine d'être insultant sur la race, non plus, c'est vraiment pas joli-joli !
    - T'es encore plus con qu't'en as l'air, hein ?
    - Quoi ?!
    - Et ouais.
    - Si vous l'prenez comme ça... Préparez-vous à faire f...
    - Ho ! Ho ! Ho ! Cria une grosse forme en tombant du ciel, droit sur Plouf. »

    Sous le choc, la tête de Plouf frappa brutalement le sol. Santa était incapable de dire s'il était simplement assommé ou mort sur le coup, parce que la force de la chute était tout de même considérable. De toute façon, le quadragénaire avait déjà assez à faire avec son épaule démise, son poignet foulé et son genou qui lui faisait un mal de chien. Enfin, il était plutôt bien tombé, malgré tout. Le pirate avait bien amorti l'atterrissage.
    En même temps que l'Envoyé de Nowel tombait du ciel après avoir sauté d'un toit, les résistants faisaient irruption sur la place, une partie par les rues, l'autre par la bouche d'égoût désormais ouverte. Surpris par le chaos, les pirates abandonnèrent leurs otages désarmés et terrifiés pour se concentrer sur les habitants dangereux et hétéroclitement armés de la ville.

    Profitant de la situation, les marines arrêtèrent la figuration et tâchèrent d'éliminer les pirates le plus vite possible, ce qu'ils firent avec pas mal de brio. L'escarmouche fut brève mais intense. Au grand regret du quadragénaire, des pertes furent à déclarer parmi les civils, à la fois otages et combattants, les premiers généralement victimes de balles perdues, les seconds tombés au combat.

    Une fois le calme rétabli, Jean-Jacques, le maire, Satomaru, les trois chasseurs de prime, Loromin et Santa se regroupèrent au centre de la place, les autres leur laissant un peu d'espace tout en assistant à la discussion.
    « - Bon, j'crois qu'on peut dire qu'nous avons eu tous les pirates de cette putain d'ville, entama le sergent.
    - On peut pas dire que ça soit uniquement grâce à la marine, précisa le maire.
    - Peuh, votre assistance, à vous autres civils, a été inestimable et ne sera pas oubliée.
    - Nous sommes chasseurs de prime, intervint Petrus, qui avait repris du poil de la bête.
    - Super, on vous donnera une prime.
    - Ho ! Ho ! Ho ! Pendant que nous encerclions la place, avec les valeureux résistants, nous n'avons pas pu nous empêcher d'entendre votre échange avec Plouf.
    - Ouais, et ben ?
    - L'histoire du sacrifice, de l'omelette...
    - Hum ?
    - En fait, on n'a pas trop aimé ça, dit Jean-Jacques.
    - Il serait plus juste de dire qu'on a trouvé cela remarquablement mauvais, comme idée, ajouta le maire.
    - C'était... un bluff afin de... euh... l'amener à baisser sa garde !
    - C'était proprement intolérable ! S'énerva Santa, qui haussa la voix pour que tous puissent l'entendre. Le rôle de la Marine, du Gouvernement Mondial est d'assurer la protection de sa population. Et qu'entendons-nous ? Qu'il est acceptable de faire des sacrifices ? De traiter les civils comme des chiffres sur une feuille ?
    - Mais non, j'ai pas dit ça...
    - Ouais, c'est quoi cette marine ?! Gueula un des résistants.
    - Allons-nous, de même, laisser des pirates, de vils forbans, nous prendre en otage dans le conflit sans sens qui les oppose à l'état ?
    - Non ! Cria un autre.
    - Ou allons-nous nous battre pour notre liberté ?
    - Notre liberté ! Reprirent en chœur les combattants amateurs.
    - Allons-nous nous battre pour nos vies ?
    - Uoooooooh ! Clamèrent les résistants, encouragés par Jean-Jacques.
    - Allons-nous nous battre pour notre ville ?
    - Uoooooooooh !

    - Allons-nous nous battre pour notre île ?
    - Techniquement, c'est pas la vôtre ! Elle appartient au Gouvernement Mondial et...
    - Uoooooooooooooh ! Le hurlement de la foule noya le commentaire de Satomaru.
    - Bien, reprit Santa avec satisfaction pour le sergent. Il semblerait qu'ils ne veulent pas de vous comme leader des forces de libération. »

    En tout cas, le soutien du maire et du groupe de Jean-Jacques, l'avait bien aidé, ainsi que la situation au bord de la mort que les otages venait de connaître. Et le sang appelant le sang, certains des ex-otages voulaient se venger, suivant l'exemple des résistants. Cependant, la plupart gardaient encore une attitude attentiste qui avait déjà été la leur quand les pirates avaient pris possession de la ville.

    ****

    Un peu plus tard, Santa fut réuni avec un Sigurd boitillant, une Haylor dont les mains étaient crispées sur quelque chose dans ses poches, et un Sir Arno satisfait de lui et indemne qui avait semblait-il passé la totalité de la révolte caché dans une maison, comme l'y autorisait son contrat. Il vit aussi passer un Giovanni livide sur une civière qui lui adressa un pouce levé et un sourire pâle en passant. Le quadragénaire lui sourit en retour.
    Les principaux acteurs des dernières heures étaient réunis dans la demeure du maire d'Oredas, un collègue de celui qu'ils avaient sauvé. Ils venaient de l'apprendre, mais les maires s'appelaient respectivement Méréo et Dredéoth.
    « - Vous avez toute notre reconnaissance pour la part active que vous avez prise dans la libération d'Oredas et de mon confrère Dredéoth.
    - Cela vaut aussi bien pour l'Ordre des Chevaliers de Nowel que pour la Marine, évidemment.
    - Hmpf, bouda Satomaru.
    - C'est tout naturel ! Ho ! Ho ! Ho !
    - Mais nous ne pouvons bien entendu pas nous arrêter en si bon chemin, n'est-ce pas ?
    - Effectivement. C'est pourquoi Sigurd, notre spécialiste militaire, ex-officier de la milice du royaume d'XxX, va se charger de détailler la suite du plan. Il sera aidé dans sa tâche par, euh... Loromin, homme-poisson itinérant, spécialiste en stratégies en tous genre, je crois.
    - C'est ça. J'ai mis pas mal de point en intelligence, et j'ai trouvé le monocle de Jean le Mann, qui me permet de lancer un buff de réflexion sur mes alliés. J'ai également eu le temps de compléter toutes vos fiches de personnages et d'analyser la plupart de vos arbres de talents, ainsi que la majorité des artefacts que vous avez en votre possession.
    - Passionnant.
    - Bon, entama le blondinet. En tenant compte de la géographie, et du fait que nous sommes déjà en possession d'Oredas, nous devrions prendre les villes de Rodnog et de Nahor, qui isoleraient alors Varedas du reste de l'île. On pourrait alors couper les lignes de ravitaillement et de renforts de la capitale, un genre de siège à distance. Enfin, en regardant la carte, ça semble le plus évident, expliqua Sigurd en pointant du doigt les trois villes, qui formaient un arc de cercle séparant l'intérieur des terres de Varedas, à la pointe.
    - Tout à fait, ajouta l'homme-poisson en jetant une dizaine de dés sur la table.
    - Non mais vous faites quoi, là ? Demanda le stratège avec un air dégoûté.
    - Je lance les dés, pour connaître nos chances de succès. Les dés vingt pour les réactions locales, les dés dix pour les réactions pirates, les dés six pour la durée avant la prise de contrôle, et les dés quatre pour les dommages subis. Ensuite, on soustrait le jet de chance tiré à pile ou face, on divise par la courte-paille et...
    - Quelqu'un comprend ce qu'il raconte ?
    - Enfin, tout ça pour dire qu'on arrive au même résultat que Sigurd avec une probabilité de réussite de 92,67%, assura Loromin.
    - Hum, enfin bref, reprit le maire d'Oredas. On va prévenir les gens de se ranger sous la bannière de l'Ordre, et enclencher des révoltes à Rodnog et Nahor.
    - Ho ! Ho ! Ho ! Et concernant la troupe de pirates qui devaient arriver incessamment sous peu pour transférer Dredéoth ?
    - Dès qu'ils vont passer les portes de la ville, ils vont tomber dans une embuscade tendue conjointement par la marine et les habitants. On prévoit de les laisser approcher jusqu'à l'entrée, et une fois arrivés là, on compte les prendre dans un feu croisé : les habitants sur les murailles, les marines cachés dans le fossé. Cela devrait régler le problème.
    - Fort bien, Sigurd. »
    • https://www.onepiece-requiem.net/t9782-santa-klaus
    • https://www.onepiece-requiem.net/t9551-santa-klaus

    « Colonel CAPSLOCK ! Voyons, qu’est ce qui ne va pas ? S’inquiéta l’un des deux aides de camp qu’il avait choisi pour les négociations.
    -JE N’EN PEUX PLUS ! JE NE VEUX PAS Y RETOURNER SI JE SUIS OBLIGE DE PARLER DOUCEMENT, CA M’IRRITE LA GORGE, ET PUIS C’EST STRESSANT !
    -C’est vous qui êtes stressant mon Colonel…
    -OH ET PUIS ZUT ! JE VAIS LUI MONTRER DE QUEL BOIS JE ME CHAUFFE A CETTE BARBARA ! NE PAS SE LAISSER FAIRE, NE PAS SE LAISSER FAIRE !
    -Très bien, nous y retournons ? »

    Bien vite, le colonel CAPSLOCK, remonté à bloc, rejoignit la pirate et ses deux acolytes, toujours épaulé de ses deux aides de camps. La suite des négociations était déjà planifiée ; la demoiselle en blouse avait mentionné un homme au profil intéressant qui pourrait être la clef de l’affaire. Il fallait désormais s’assurer de la véracité des paroles de la médecin.

    « CA Y EST, JE VOUS ECOUTE !
    -MAIS NON ! Grenadine était en plein milieu d’une phrase. Laissez-la finir !!
    -JE…
    -Taisez-vous ! Vociféra la comédienne.
    -ALLEZ Y MADEMOISELLE…
    -Et un ton plus bas !! Non mais… Grenadine, allez-y !
    -Je parlais de l’homme que vous avez mentionné tout à l’heure, comment le connaissez-vous et pouvez-vous être certaine de sa bonne foi ?
    -Ah, vous arrivez au bon moment colonel. Justement, ça va vous intéresser ! Intervint Luan. »

    Les trois jeunes femmes s’étaient accordées pour jouer cette scène, mettant ainsi un écart entre le colosse débonnaire et la pirate. Si les deux personnages apparaissaient comme plus que de simples connaissances, jamais le Marine ne lui accorderait sa confiance. Et c’était primordial. Il fallait un leader à cette rébellion. Et qui de mieux pour mener les troupes qu’un charismatique envoyé de Nowel à la carrure imposante et à l’esprit aussi pur que lui ? Plein de monde, certes, mais en l’occurrence, il ferait déjà une très belle figure de proue. Luan dépeignait à CAPSLOCK un portrait tout à fait objectif de Santa : un homme fort, bon, désirant avant tout la survie des populations, et qui avait un tel potentiel qu’on l’imaginait facilement idole d’une peuplade d’enfants à travers le monde.

    « C’EST ABSOLUMENT IMP…
    -STOP !! Vous le faites exprès ! Il me semblait pourtant avoir été bien claire à ce sujet, alors calmez vos ardeurs et parlez moins fort !!!
    -Vous, fit CAPSLOCK en regardant Elie droit dans les yeux, vous ne savez pas tout le mal que je me donne pour qu’on arrive à un accord !
    -Ah mais j’imagine fort bien. Reprenez ! Fit-elle sarcastique.
    -Je disais donc, articula-t-il avec moult efforts, c’est absolument impossible qu’un tel homme existe, il est soit fou, soit fourbe !
    -Il n’est pas fourbe non, et pas plus fou que vous et moi, détailla Luan. C’est un des rares hommes se préoccupant avant tout du bien-être et de la sécurité des gens qui l’entourent, et s’il est parfois un peu utopiste, c’est la personne rêvée pour mener cette révolte ! Je vous l’ai dit, vos hommes ne parviendront pas à gagner le cœur des autochtones, il leur faut une figure isolée, un être qu’on n’apparente pas immédiatement à la loi, dure, stricte et, certes, nécessaire, mais à une justice plus propre à leurs yeux, proche et rapide, qui n’a pas à s’empoisonner de paperasses inutiles, qui frappe directement là où eux en ont besoin. Un homme capable de provoquer la rébellion chez tous ces gens asservis qui ne désirent qu’une chose, être libres de vivre.
    -JE… Je vois… Et cet homme, où peut-on le trouver ?
    -Actuellement ? Je dirais Oredas ; aux dernières nouvelles il s’apprêtait à reprendre la ville et à la libérer du joug des pirates.
    -QUOI ?!
    -On dit comment ! Et sur un autre ton, le rabroua Elie.
    -Euh… Excusez-moi… Comment ? Je persiste à trouver ce ton particulièrement peu efficace…
    -Monsieur Santa Klaus, dont il est question, n’a pas attendu votre permission pour commencer son action salvatrice…
    -Attendez, ça ne va pas du tout !
    -Quoi encore ? Toujours à trouver que quelque chose ne va pas !
    -C’est que… Comment est-il arrivé sur l’île ? Et comment se fait-il que je n’apprenne que maintenant sa présence s’il a déjà commencé à agir ? À Oredas en plus !
    -Comment ça en plus ? Demanda Grenadine.
    -En pédalo, il est arrivé en pédalo.
    -Il est fou. Je n’en étais pas sûr, mais désormais, je le sais, il est fou !
    -Et si, même vous, n’avez pas connaissance de son arrivée et de son action, c’est qu’il a dû être sacrément efficace, non ?
    -Ou alors, c’est qu’il n’a encore rien fait…
    -Attendez, je l’appelle ! Vous pourrez avoir en direct le point de vue de monsieur Klaus ! »

    Et Elie de ressortir l’escargophone qui lui avait permis de contacter Yoshimitsu et son équipe de petits intrigants, et qui cette fois devrait lui permettre de communiquer avec le quarantenaire. Toutefois, comment savoir exactement où il se trouvait, et s’il était joignable ? Le plus simple était encore de faire appel au psychologue, lui saurait s’il y avait moyen de discuter avec le grand bonhomme en rouge. La comédienne composa donc le numéro du centre de communication de Crachin.

    « BANDE DE MOLLUSQUES ETHERES ! ALLEZ DONC ENGLOUTIR DES CROUTES DE PUS ! J’ETAIS EN TRAIN DE PIONCER ET VOTRE PULUP PULUP A LA NOIX M’A REVEILLE !
    -POURQUOI LUI IL A LE DROIT DE PARLER COMME CA ? ET QUI C’EST D’ABORD ?
    -Kalem ! Ferme-la !
    -Oh, BARBARA ! Je n’avais pas reconnu ta douce voix bienfaitrice ! Nan, j’déconne, t’attends cinq minutes le retour de Yoshimitsu et tu peux rappeler, là j’dors ! Bye mous du gland.
    KLAK »

    Le nain commençait décidemment à lui taper sur le système. Luan tenta quelques mots pour apaiser la fureur de la supposée pirate. Que faisait Yoshimitsu ? Jusqu’ici c’était toujours sa voix taquine qui avait répondu. Laisser ce poste si important sous la responsabilité unique du sieur nabot, quelle hérésie. Elie reprit le combiné, sous l’œil soupçonneux de CAPSLOCK et de ses négociateurs qu’on n’avait pas beaucoup entendu jusqu’ici, faut dire qu’il parlait énormément ce colonel.

    « Kalem, Barbara qui t’appelle, si tu raccroches ou émets la moindre protestation ou insulte, je te dézingue, et crois-moi, je le ferai !
    -Ah, Barbara, j’aime quand vous vous mettez en colère !
    -Yoshimitsu ?
    -Tout juste. Vous appelez pour autre chose que pour malmener notre cher Kalem ?
    -C’est incroyable, elle a une dent contre moi, je lui ai rien fait cette fois !
    -Euh… Il plaisante ou quoi ? Retenez moi, je vais l’emplafonner !
    -Héhé, tu peux bien faire ce que tu veux, la seule chose que tu vas réussir à faire c’est te blesser ainsi que le pauvre mollusque qui se trouve devant toi !
    -Yoshimitsu ? Intervint Luan.
    -Oui, ma douce ? Que puis-je faire pour toi ?
    -Tu saurais où se trouve exactement monsieur Santa Klaus ?
    -Moi je sais, mais j’crois que vous ne voulez pas savoir…
    -Je pense qu’il est encore à Oredas, je n’ai eu de ses nouvelles que par l’intermédiaire d’un certain Plouf.
    -Plouf… C’est un des lieutenants de Crachin, expliqua Grenadine devant la mine perplexe des deux jeunes femmes, un homme-dauphin particulièrement agressif et plutôt fort. Oredas est sous son commandement. Il est au courant de la présence de monsieur Klaus ?
    -Il venait rapporter une révolte civile dans la cité. Je peux toujours vous fournir le numéro de l’escargophone avec lequel il a appelé, mais allez-y avec des pincettes je pense, s’il n’a pas encore envoyé ses hommes liquider tout le monde, c’est que ça ne saurait tarder.
    -D’accord, donne nous ça, Plouf connait Grenadine, si c’est elle qui parle il ne se doutera de rien. »

    Yoshimitsu leur confia les coordonnées de l’escargophone d’Oredas. C’était bien pratique ce petit récapitulatif de l’ensemble des Dendens de l’île, avec la ville et le pirate en sa possession. Bien entendu, seule Varedas en possédait plus d’un. La population de forbans y était plus dense et il fallait pouvoir les prévenir rapidement en cas de problème. Il raccrocha et confia de nouveau le contrôle des communications à Kalem. Il préparait de son côté une petite affaire pour leur propre évacuation. Il avait besoin du maximum d’informations possible. Le petit être invisible qui espionnait dans son coin lui servirait bien. Il avait mis un certain temps avant de le repérer, mais rien n’échappait si longtemps à son œil observateur.

    Côté Blocus, on avait fait répéter Grenadine plusieurs fois. Au moindre faux pas, Plouf se douterait de quelque chose, alors la préparation était de rigueur. Heureusement, la pirate connaissait son sujet et avait travaillé plusieurs fois en collaboration avec l’homme-dauphin. Le plus difficile avait été de trouver une raison pour appeler le lieutenant de Crachin ; on n’appelait pas sans justification sur Panpeeter, la moindre communication se devait d’être importante. Lorsque toutes les personnes présentes furent satisfaites de la prestation de la jeune femme, elle composa le numéro.

    « Allô, Plouf ?
    -Ho ! Ho ! Ho ! Non, ce vilain garçon vient de s’enfuir ! Mais vous pourrez lui parler dès que nous l’aurons attrapé.
    -Santa… Soupira Elie, soulagée. Vous allez bien ?
    -Voix calme, rassurante, amie. Degré de mensonge, proche de zéro, ou proche de cent, dans ce genre de cas, c’est très difficile… Vous êtes ?
    -Euh… Barbara, et vous ?
    -Mmh, je note, donc Barbara… Femme d’une ? Trentaine d’années ? Corpulence ?
    -Santa, qui est ce drôle de gusse ?
    -Loromin, un homme-poisson aux capacités étranges, mais fort intéressantes au demeurant. Toutefois, je crains que nous n’ayons guère le temps. J’imagine que vous n’appelez pas sans raisons.
    -Le colonel CAPSLOCK, ici présent désirerait discuter avec toi.
    -Le ?
    -COLONEL CAPSLOCK, TOUTES MAJUSCULES, POUR VOUS SERVIR !
    -Moins fort, j’ai dit !
    -Pardon…
    -Ah, vous êtes le supérieur du sergent Satomaru ! Enchanté ! Santa Klaus, créateur des chevaliers de Nowel. Que puis-je pour vous ?
    -COMMENT CONNAISSEZ VOUS SATOMARU ? IL ETAIT LA-BAS INCOGNITO !
    -Si vous continuez à crier comme ça, tout le monde va le savoir ! S’emporta Elie. Une bonne fois pour toutes, baissez d’un ton !
    -Je suis un homme qu’on ne leurre pas facilement colonel, reprit le colosse de l’autre côté de l’escargophone. Et étant donné que je me suis porté au-devant d’un petit groupe de rebelles, votre sergent m’a inévitablement repéré. Il semble toutefois douter de mon efficacité.
    -Passez le moi !
    -Je doute qu’il vous prenne, comme je le disais, il est actuellement aux trousses de ce Plouf qui s’est enfui alors qu’il tentait de l’interpeller. Le reste de la ville semble sous contrôle, je pense pouvoir vous en dire plus dès que nous aurons ferré le poisson.
    -Je note, humour au ras des pâquerettes, ça peut vous donner un bonus de +4 en feinte, la déconcentration joue beaucoup dans les paramètres.
    -Très bien, dans ce cas, je souhaite que vous me rappeliez dès qu’il y a du nouveau à ce sujet. Comme vous semblez occupé, je doute que nous ayons le temps de faire plus amplement connaissance. Je vais donc vous accorder ma confiance provisoirement.
    -Mmh… Bonus de confiance supplémentaire, à confirmer par un lancer de dés quatre, huit et vingt. Selon les statistiques, il se pourrait que…
    -Ho ! Ho ! Ho ! Je vous rappelle sans problèmes, dès que possible bien entendu !
    KLAK »

    Le premier échange entre les deux leaders de l’opposition à Crachin s’était bien déroulé. Toutefois, CAPSLOCK était loin d’être convaincu par l’envoyé de l’esprit de Nowel. Il lui faudrait plus que de simples promesses pour accorder de réelles responsabilités à cet homme. Cependant, s’il était effectivement le libérateur que les demoiselles décrivaient, il pourrait lui être fort utile. Sa présence pourrait bien renforcer son plan, il suffisait qu’il s’en serve à bon escient. Il proposa aux trois pirates de se reposer dans une des cabines de son navire. Cela le libérerait de sa furieuse nouvelle alliée et il pourrait réfléchir et donner ses ordres sans crainte de se faire marcher dessus.

    ***

    Depuis que les trois membres de l’équipage de Barbara avaient pris place dans le local de communication du Capitaine Crachin, Plah Jyah n’avait pas bougé de son coin. Il observait et écoutait tout ce qui se passait. Et il doutait. Parce qu’à force de magouiller dans tous les sens, il ne savait plus trop ce qui était, justement, de la magouille ou non. Il avait beau être supérieurement intelligent, pour un caméléon, ça n’empêchait pas d’être complètement perdu face aux diverses versions plus ou moins fabriquées par tous ces intrigants. Il se demandait même comment, eux, arrivaient à s’y retrouver dans ce fatras immense de mystères et de mensonges. Qui était qui ? Contre qui était celui-ci ? Et pour qui travaillait celui-là ? Ça n’avait plus ni queue ni tête. Mais le pire dans tout ça, au-delà de savoir où donner de la tête, c’est qu’il commençait à avoir faim…

    Et un caméléon qui a faim… Ça s’entend. Plah multipliait les efforts pour masquer les gargouillements provoqués par le vide de son estomac. Le problème, c’est que ça perturbait son camouflage. Alors de temps à autre, un bout vert apparaissait. Toute sa couverture serait grillée. Il lui fallait sortir de la pièce et aller se remplir la panse, sinon…

    ***

    Dans leur cabine, les trois demoiselles avaient profité du répit donné par CAPSLOCK pour prendre un peu de repos. Mentir, c’est crevant, à n’en pas douter. Ce fut Luan, qui, réveillée un peu avant les autres, répondit à l’appel de Santa. Les deux autres furent levées par la sonnerie du Denden.

    « Santa ?
    -Ah, Luan ! Le colonel est avec vous ?
    -Non, mais je vais le chercher, ça s’est bien passé ?
    -La ville est sous contrôle, nous avons neutralisé Plouf !
    -Bravo, intervint Grenadine, ce n’était pas gagné d’avance, il y a eu des pertes ?
    -J’ai un peu souffert à l’atterrissage, mais on a limité les dégâts, j’ai regretté de ne pas vous avoir sous la main mademoiselle Sekihara.
    -À l’atterrissage ? S’étonna Elie.
    -Ho ! Ho ! Ho ! C’est une longue histoire ! Allez chercher ce cher colonel avant que je ne perde de vue ce sacripant de Satomaru ! »

    Elie se recoiffa un peu. Son autorité en prendrait un coup si elle arrivait devant le Marine avec les cheveux en pagaille. Elle laissa passer devant les deux autres jeunes femmes, se faire attendre était toujours un bon moyen d’affirmer son autorité. Pas trop quand même, elle ne voulait pas perdre une goutte de la conversation escargophonique, ça aurait probablement le mérite d’être intéressant. Ainsi, lorsqu’elle sortit de la cabine cinq minutes plus tard que ses acolytes, CAPSLOCK arrivait tout juste, prévenu par le premier homme que la demoiselle en blouse avait rencontré en sortant, Denden à la main. Elie jeta un regard lourd de sens au colonel.

    « Monsieur Klaus ? Articula l’officier.
    -Colonel CAPSLOCK ? Ho ! Ho ! Ho ! L’opération s’est bien terminée, nous avons réussi à sauver un maximum de vies. J’ai le sergent Satomaru à disposition, je vous le passe ?
    -Colonel ! Sergent Satomaru au rapport. La ville est sous contrôle. Les pirates ont été arrêtés ou éliminés, avec l’aide appréciable des Chevaliers de Nowel, il faut l’avouer. Maintenant, si vous leur disiez de laisser faire les professionnels, peut-être que vous, ils vous écouteront…
    -Le problème, c’est qu’après dix lancers de dés quatre et dix, pour supprimer le facteur chance, les résultats sont sans appel, le sergent a deux dizaines de points de charisme de moins que monsieur Klaus…
    -Merci, merci Loromin.
    -Qui donc est cet homme ?
    -Je suis un progamer qui…
    -Je retire ma question, je ne vais pas demander l’identité de tous vos hommes. Donc monsieur Klaus, en quoi consiste votre organisation ; les chevaliers de Nowel comme tout le monde se plait à vous appeler.
    -Ho ! Ho ! Ho ! C’est une entreprise à but non lucratif, visant à améliorer le quotidien des gens, leur apporter un peu de sourires et de joies. Dans ce cas précis, mon but et celui de mes hommes est de libérer ces pauvres habitants de Panpeeter du joug de ce pirate là ; le Capitaine Crachin.
    -Et dites-moi quelles sont les raisons qui me pousseraient à vous faire confiance au point de vous confier le commandement des opérations de libération sur l’île ?
    -Mon colonel, c’est une hérésie, c’est un simple civil un peu barge qui a la folie des grandeurs, il n’a aucunement les compétences pour mener à bien une opération de ce genre, c’est un idéaliste !
    -SATOMARU TAISEZ-VOUS UN PEU ! LAISSEZ MONSIEUR KLAUS VENDRE SES COMPETENCES AVANT DE RAMENER VOTRE ORGUEIL DEMESURE SUR LA BALANCE ! Le fustigea l’officier avant de s’excuser, un ton plus bas, devant le regard noir de la pirate.
    -Ne le blâmez pas colonel ! Il a été très efficace aujourd’hui, je pense qu’il est un peu à cran. Quant à moi, j’ai déjà l’appui de la totalité des civils ayant pris part à la révolte, force non négligeable il me semble, et probablement celle qui nous permettra de faire flancher les pirates. Je suis aussi épaulé d’un excellent tacticien, l’ex-officier Dogaku, de la marine d’xXx.
    -Ah, j’ai déjà entendu parler de lui, ses vacances ici ne me semblent pas de tout repos. Je vais avoir besoin de ses services ici, sous peu.
    -Ah ? Vous pourrez lui dire en personne je pense, il se repose un peu en ce moment, sa jambe a subi quelques dommages.
    -Oui, ses points de vie ont un peu chuté, et comme on n’a pas de guérisseur de haut level sous la main, on doit se contenter d’une trousse de soins médiocre…
    -Bon, et puisque nous n’avons pas tant de temps que ça, je vais vous confier le commandement des troupes de sauvetage.
    -Mais…
    -SATOMARU ! LAISSEZ MOI FINIR ! Le sergent sera lui aussi sous vos ordres, mais me fera un compte-rendu régulier de vos actions, si quelque chose ne me plait pas, il reprendra les rênes. Cela vous va ?
    -Donc un bonus de commandement à calculer sur un jet de dé six…
    -Très bien ! Ho ! Ho ! Ho ! Nous allons nous réunir avec les principaux acteurs de la résistance, parler stratégie, je vais donc vous laisser à vos propres occupations. Je vous mettrai en liaison avec l’officier Dogaku dès que possible. Sergent, vous me suivez ?
    KLAK.
    -Bon… Et bien voilà qui est fait, conclut Elie. »

    Tout se mettait progressivement en place. Les différentes parties s’assemblaient pour former un front commun et grappiller progressivement du terrain aux pirates. Tout reposait désormais sur l’efficacité de ces troupes et la réaction de Crachin face à ces attaques. Tant qu’il n’avait pas connaissance de toute la pagaille sur l’île tout irait bien.

    ***

    Kalem entra dans la cabine. Encore un rapport.

    « Capitaine ?
    -Nain ?
    -La ville de Rodnog a essuyé une petite rébellion, rapidement maîtrisée par vos hommes, les nouvelles des autres villes sont bonnes, quant à Grenadine, elle semble avoir atteint le navire du colonel CAPSLOCK. »
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    -Z’étiez vachement efficaces, mine de rien, sur toutes ces affaires. Z’êtes dans la marine d’élite ?
    -Eh. Nan. On est des mecs de la régulière, nous. Pour le moment, en tout cas.
    -Ah ?
    -Ouais, déclara le sergent, une certaine fierté dans le regard.

    Satomaru s’efforça de ne pas avoir l’air trop satisfait. Dans l’équipage de Capslock, il était de notoriété commune que le sergent, ainsi que toute son unité, briguaient ardemment des postes au sein de la marine d’élite. L’opportunité ne s’était pas encore présentée, mais ils faisaient tout comme, de sorte que leurs méthodes s’inspiraient de plus en plus de celles que l’on prêtait à ce corps de spécialistes. Et la démonstration qu’ils avaient faite à Oredas en était exemplaire. Alors, y être comparé, même à tort, ne pouvait que le flatter. C’était bien la première fois qu’on le prenait dans le bon sens du poil, aujourd’hui.

    -Vous savez, reprit Dogaku, perso chuis très content que la marine soit en marche. Cool de savoir qu'on peut compter sur vous, et même que ça avance tout seul.
    -Vous vous foutez de ma gueule ? Bien sûr, que ça avance tout seul. Vous nous prenez pour des couillons ?
    -Ouais, nan, par contre vous sentez pas obligé de vouloir me bouffer la tronche à tout bout de champ. Parce que j'ai cru comprendre que niveau collatéral, z'étiez assez brutalomeurtrier, et que ça vous est retombé dessus. ‘Fin, z’avez carrément réussi à énerver Santa ? Chais même pas comment vous avez fait. Perso, il me remercie à chaque fois que je l’insulte, le bonhomme. Ca se pose, quoi.
    -Santa Klaus… beh.

    Cette fois, le sergent cracha dans son verre. La seule mention du créateur des Chevaliers de Nowel lui amenait ce genre de réactions. Et le fait d’être attablé autour d’un mobilier duveteux, coincé avec l’un des sbires du vieillard musculeux qui avait précipité les plans de la marine, n’avait rien d’une partie de plaisir. Une vraie corvée.

    Même si celui-ci ne lui tapait pas trop sur les nerfs, au moins. Peut être parce qu’il était un ancien militaire, et qu’il était doté de suffisamment d’autodérision pour que Satomaru n’ai pas à le fustiger personnellement. Ou parce qu’il donnait l’air d’être le premier à trouver à redire au bien-fondé des initiatives civiles, au ridicule de toute cette situation, à sa propre présence au beau milieu de tout ça, et surtout, ô joie, à l’état de santé mentale du vieux fou à la barbe blanche qui leur servait maintenant de chef. Une hérésie.

    A eux deux, ils devaient planifier les grandes lignes ainsi que les points les plus tangents de l’opération qui mêlerait les forces de la marine aux intervenants locaux. Depuis la reprise d’Oredas, le blondinet n’avait pratiquement pas quitté cette salle. Seul Satomaru s’était ponctuellement absenté afin d’aller briefer ses troupes, à l’aune de certaines escarmouches.

    Et les deux hommes n’avaient pour seule compagnie que les aides de camp du sergent, ainsi que ceux de Capslock, via escargophonie. Le colonel, pour sa part, préparait personnellement les étapes de l’assaut naval. Ce qui laissait le champ libre à Dogaku pour insérer à peu près toutes les idioties qu’il voulait dans les opérations terrestres, au grand dam du sergent. Le pire étant que le jeune homme défendait très bien ses positions.

    -Allez, faut bien avouer que pouvoir taper dans les mobilisations civiles, ça nous sauve, quand même, non? Comment vont les tanks?
    -On en a déjà dix. C’est pas la folie, mais… ouais, ça fait le boulot.
    -Pas la folie… bwoah, c’est plus des bunkers à roulettes, hein, mais… normalement, c’est carrément mieux que rien, vous verrez. Mwarharharh.

    C’était l’avantage d’avoir des maires dans la liste de leurs partisans. Avec eux, ils pouvaient essayer de mobiliser les populations locales. Et parmi celles-ci, outres les unités de milices professionnelles, se trouvaient également diverses professions qu’il pouvait brillamment mettre à profit. Des artisans, des ingénieurs. Le bouche à oreille fonctionnait bien, pour dénicher les bons éléments. Il ne savait pas trop comment, mais Sigurd comprenait bien que Santa et Sir Arno avaient mis à profit leurs talents respectifs pour lui amener les bonnes personnes. Et le beau-frère du magicien jaune avait lui aussi dignement tenu parole en leur apportant son soutien : il militait complètement en leur faveur, au point d’avoir réussi à un convaincre plusieurs partisans de prêter main forte aux Chevaliers de Nowel. C’était tout un mouvement qui s’était rapidement formé, avec pour seul symbole et étendard, le bonnet rouge, orné d’un pompon blanc, et en tout point identique à celui que portait Santa Klaus lui-même.

    Quelques corps de miliciens s’étaient même amusés à intégrer ce bonnet rouge à leurs uniformes ; la plaisanterie avait été poussée jusqu’à ce qu’un politique les qualifie spontanément de Santamarines. Un terme qui fut instantanément reprit, répété et diffusé parmi les corps de résistants qui rejoignaient le noyau de l’organisation, à Oredas. Et bientôt, ce fut la course aux pompons dans les forces miliciennes jusqu’ici bridées par les pirates, et désormais prêtes à récupérer leur île.

    Le mouvement prenait tant et si bien que Dogaku n’avait eu aucun mal à faire transformer plusieurs charrettes en fortifications mobiles, surmontées de plusieurs plaques et protections d’acier, et parfois même équipées d’un canon de navire. Dans le feu de l’action, ces véhicules de fortune ne pouvaient se mouvoir qu’avec de l’huile de coude, mais c’était négligeable. Il s’agissait de distractions, et d’assurances défensives. Pour les civils, le plus important était de limiter les risques.

    -Des tanks. On a un charognard de pirate qui veut massacrer une île, et vous faîtes bricoler des tanks. Sans compter les guignols à pompons. Vous êtes encore plus con que mon chat.
    -Précisément. Ils vont rien piger. Et en plus, ça va les faire chier. Ils vont se casser le cul juste pour ça. Tout bénef pour vous.
    -Nan. C'est de la connerie, votre truc. Aussi con que le débile qui vous sert de chef. Mais c'est marrant. Dans trois mois, si toute cette merde se finit pas trop mal, j'me souviendrais de vous en rigolant.
    -'Tain, la vache. J'leur ai dis la même chose un peu avant !, sourit Dogaku. Quasi pareil.
    -...
    -...
    -…
    -En tout cas, encore merci pour tout ce que vous faîtes. Et de bien vouloir moduler avec le plan de dingue qui s'est concocté sans vous.
    -'Tain. Manquerait plus qu'on se mette à croire que la Marine ne sert à rien. Mais le colonel avait l’air de dire que vos potos avaient réussi du lourd. Devenir les standardistes exclusifs des pirates, ou dans l’genre. Si c’est vrai, j’ose même pas imaginer à quel point ces pirates peuvent être aussi cons.
    -Santa m’a vaguement expliqué, mais j’ai juste carrément rien capté… bwoah. J’reste convaincu que vous avez déjà fait beaucoup plus que nous, et que ça va pas s’arrêter. Idem pour les chasseurs de prime... et c'est même bizarre qu'ils se soient donnés tout ce mal, en fait. J'espère que ça ira pas trop mal pour eux, ensuite.
    -Les chasseurs de prime ?
    -Bah ouais… si on a réussi à faire tout ça, rassembler tout ce monde… c’est quand même leur plan, ce truc.
    -Humph. Si vous voulez jouer à ça... tout ça, c'est grâce au lièvre, en fait.
    -Eh?
    -Ouais. Le grand lapin blanc. S'il n'avait pas décidé de sauver les civils de delta-psi quarante sept, mes gars ne l'auraient jamais trouvé. Sans compter que c'est à cause de son coup d'éclat que les chasseurs neuneus se sont fait choper. Et que vous les avez retrouvés parce que vous leurs colliez aux basques. Tout ça juste parce qu'il a enlevé une gamine. Ha. Plutôt pas mal, pour un lapin primé. À votre avis, on devrait lui augmenter sa prime, ou lui faire une remise? Trois millions, c'est rien.

    Dogaku explosa de rire. En partie parce que le résumé du marine lui plaisant bien. Mais aussi parce qu’il se représenta mentalement la grimace que la principale concernée aurait faite si elle avait entendu ça.  Il voulait la voir, maintenant. La grimace.

    -La gamine. Haylor?
    -Pff. C’est comme ça qu’elle s’appelle ? L’institutrice à chignon, là.
    -Harharhar. Mwarharharh. Braharharhaha ! Je suis fan ! La gamine. Ne l'appelez jamais comme ça en face, surtout. Vous imaginez même pas comment elle vous boufferait la gueule.
    -Preeuuh, même pas peur. Vous avez cru quoi?
    -Ouais, j’en ai déjà vu qui disaient ça, et puis ensuite…

    Dogaku s’interrompit ; la lumière qui provenait de la porte d’entrée disparut, masquée par la silhouette massive et musculaire d’un imposant individu. En se retournant, les préparateurs reconnurent immédiatement Santa Klaus, paré de ses atours caractéristiques. Certains marines le saluèrent sommairement, pas d’un salut militaire, mais avec une attitude suffisamment procédurière pour être digne d’être mentionnée. Un détail qui agaça tout particulièrement le sergent.

    -Ho ! Ho ! Ho ! Vous faîtes plaisir à voir, tous les deux ! Je suis content de voir que vous vous entendiez aussi bien. Mais je viens pour vous, Sigurd. Comment vous sentez-vous ?
    -Euh ?
    -...
    -Baaah… bien, merci.

    Le quarantenaire s’approcha lentement, en prenant le temps de saluer chacun des officiers ici présents, ainsi qu’à observer qui ils étaient. Il ne s’intéressa pas à leurs travaux, mais simplement… à eux. Il était Santa Klaus. Et à ses yeux, chaque âme méritait qu’on se penche sur ses peines. Mais en l’occurrence, il avait autre chose à faire. Et n’avait pas beaucoup de temps. Aussi, l’envoyé de Nowel s’approcha de son Chevalier, un grand sourire aux lèvres. Le genre de sourire que Sigurd avait déjà vu d’innombrables fois auparavant. Celui d’un fouineur qui voulait se mêler de ce qui ne le regardait pas, et qui savait qu’il avait bien raison de le faire. Ce qui était d’autant plus irritant pour lui, bien sûr.

    -Aaaaw. Vous n’êtes pas innocent, Santa. Qu’est ce que vous me voulez ?
    -Eh bien, ma foi… cela va maintenant faire un long moment que vous êtes enfermé ici. Vous n’avez donc rien d’autre à faire ?
    -Si on veut avoir un truc correct qui a une bonne chance de marcher ? Nan, j’ai rien de mieux à faire.
    -Ho ! Ho ! Ho ! Vous en êtes bien sûr ?
    -Bah j’adorerais glandouiller peinard à rien faire en sirotant un truc frais… mais j’ai signé pour autre chose, là. C’est bien vous qui vouliez que je fasse le commandant d’armée pour vous, nan ? Eh bah voilà. On a bien réussi à retrouver Haylor, et j’me suis pas tiré. Et pourtant, l’idée s’est sérieusement installée dans mon crâne. C’est pas merveilleux, la vie ? Si seulement y’avait plus de pigeons comme moi pour peupler le monde, on aurait…
    -…
    -… euh… ouais, pardon. Me suis encore enflammé, ptêtre. Bref. Passons.
    -Ho ! Ho ! Ho ! Pas le moins du monde. Vous faîtes bien d’en parler, car je suis précisément venu vous voir à son sujet. Miss Haylor. Un heureux concours de circonstance. Et d’autant plus surprenant compte tenu de l’insistance dont vous faisiez preuve à son sujet. Vous ne vouliez pas la voir ?
    -Guh ?
    -Depuis que nous sommes là, vous êtes resté ici, avec les marines pour seule compagnie. Est-ce que vous trouvez ça normal ?
    -Je ne devrais même pas être là, hein. Genre pas sur cette île mais bien au chaud chez moi, sur le retour d’un entretien d’embauche pour être capitaine dans la marine marchande. Vous vous souvenez ?
    -Oui. A ce propos. Je pense que vous pouvez vous considérer comme ayant brillamment réussi l’entretien, Sigurd. Bienvenue à bord.
    -Meh. Changez pas de sujet, voulez bien ?
    -Vous n’avez pas envie de la voir ?
    -Boah.
    -… ?
    -Nan.
    -Ho ho ! Vraiment pas ?
    -Nop. Et me regardez pas avec ces yeux là, siouplait.
    -Je suis sûr qu’elle aurait très envie de vous voir, pourtant, continua Santa en souriant.
    -…
    -Alors ?
    -Que non. Alors zou, ouste, du vent, et laissez moi en paix. J’vous vois venir avec vos airs de messie paternaliste, et c’est niet. Pis eh, c’est injuste, franchement ! Entre Sir Arno et le sergent psychobourrin de la marine, vous avez déjà de joyeux cas sociaux à traiter avant de vous soucier de moi.
    -Tu sais ce qu’il te dit, le sergent sous acides ?
    -Je cite : « Carrément tant pis pour les collatéraux, on fait pas d’omelette sans casser les œufs, et pour casser la gueule à un pirate, on sacrifiera ce qu’il faut ».
    Ou un truc comme ça, que j’ai entendu.
    -QUOI ? Comment ça se fait que tout ce qu’on dit soit retenu contre… ET JE N’AI JAMAIS DIT CA COMME CA !
    -Mais l’idée de fond était la même, s’exclama Santa, maintenant animé par un sentiment d’injustice épidermique. Ce qui est proprement inadmissible. J’espère que vous êtes bien d’accord avec moi ?
    -Et si c’est pas le… euh… ouais, ouais.
    -Bien. Ho ! Ho ! Ho ! Maintenant que nous nous sommes accordés sur ce point, je peux maintenant vous accorder toute ma confiance. Et donc, vous retirer le capitaine Dogaku.
    -Euh… et si j’ai pas envie de… de quoi est-ce que vous parlez ?, grinça le concerné.
    -Le sergent Satomaru va maintenant prendre votre relève. Je suis sûr que votre présence ici n’est pas indispensable. Et que vous pouvez bien vous autoriser une petite pause avant votre départ. Est-ce que je me trompe ?
    -Probablement pas, pépé.
    -Oooooh que si, il se trompe.
    -Sigurd. Allez faire un tour dehors. Maintenant.
    -Nan. Pas envie de…
    -C’est pour votre bien, déclara le quarantenaire en s’approchant. Vous devriez au moins faire le tour du groupement. Je vous assure que ça vous sera très instructif.
    -Et moi je dis que je vais très b… eh ! Ah nan, ah que non ! C’est d’la triche, la franchement, j’carrément pas ! Lâchez-moi !

    Certainement pas. Par la force d’un seul de ses bras, le vénérable envoyé de Nowel souleva Dogaku avec une délicatesse toute mesurée. Le contrôle de Santa Klaus était tel que l’autre avait beau se débattre et protester, ce ne pouvait être qu’en pure perte. Et c’est ainsi que Sigurd fut définitivement éloigné de ses simulations, et contraint de visiter de fond en comble le campement qui s’était improvisé au sein de la place centrale d’Oredas, entre les halles, les rues et les environs de la mairie. Et pour la visiter, il le fit. Santa y veilla tout particulièrement. Car c’est à cheval sur ses épaules que son jeune Chevalier en fit le tour, conformément à ses directives. Il n’avait pas vraiment son mot à dire, mais ne ruminait plus. Le quarantenaire savait ce qu’il faisait, après tout. Et il avait des choses intéressantes à lui montrer. A partager.

    Il s’agissait des gens, tout simplement. Car telle était la volonté de l’Esprit de Nowel. Même si les préparateurs avaient mis un soin tout particulier à limiter au maximum les risques que prendraient les civils prenant part aux hostilités, le jeune homme avait encore certaines choses à apprendre, estimait son ainé. Et c’était tant mieux. Car Santa Klaus adorait partager sa sagesse. En particulier à ceux qui pouvaient y être réceptifs, et en faire bon usage.

    Mais les voir ainsi, tous les deux, errant de place en place en échangeant brièvement avec quiconque croisait leur chemin, constituait une bien étrange vision pour la majorité des personnes ici présentes. Nul doute que d’autres individus excentriques leur faisaient concurrence. Sir Arno, et sa chère Humandrille, qui passaient de biens obscurs contrats avec des personnages de choix. Les trois chasseurs de prime, le magicien jaune, le grand lièvre blanc, la jeune femme qui l’accompagnait… et divers autres inconnus tout aussi tape à l’œil.

    Et parmi ceux-ci, Santa et Dogaku attirèrent notamment l’attention d’un personnage bien particulier. Loromin Sohal. Jusqu’à leur arrivée, ce dernier était en train de finaliser son analyse macroscopique de la metagame actuellement en place sur Panpeeter. Sans aucun doute, l’arrivée des marines avait très significativement changé la donne, mais à son sens, c’était peut être bien au sein de l’ordre des Chevaliers de Nowel que se trouvaient les vrais leviers. Les fiches de personnages qu’il avait ébauchées allaient toutes dans ce sens. Mais ça ne s’arrêtait pas là. La situation s’était, en vérité, particulièrement complexifiée avec leur intervention. Le plan de la marine était aussi efficace qu’efficient : il exigeait des militaires qu’ils fassent preuve d’un excellent micro-management, mais c’étaient des professionnels. Mais maintenant ? La partie était à la fois devenue plus sûre, et infiniment plus risquée. Dans le meilleur des cas, l’alternative proposée par les civils débouchait sur de bien meilleurs résultats que le plan de base. Mais si les choses devaient mal tourner, les officiers de la marine s’en mordraient les doigts. Et ça, c’était quelque chose que son pendentif de Sagesse Sanitaire lui répétait inlassablement, peu importe sous quel angle il l’interrogeait.

    Mais pour pouvoir évaluer parfaitement la situation, il lui restait un dernier personnage à étudier. Et ce personnage était maintenant assis sur un banc, après la promenade sommaire que lui avait imposé Santa Klaus, et qui lui avait probablement permis de gagner quelques niveaux de base dans sa compétence d’équitation. Santa ne l’avait pas transporté sur ses épaules sur un simple coup de tête. Pas seulement, du moins. Le blondinet avait une légère blessure à la jambe, et préférait éviter de marcher.

    En d’autres termes, ses jets de fuite avaient toutes les chances d’échouer, se réjouit Loromin en l’approchant.

    -Intéressante, votre bande. Un paladin, trois rôdeurs, un guerrier, un mage… même s’il est HS, lui… un roublard originaire du plan des Lagomorphes, une Berserkeur de la race des Humandrills, et pire que tout, un Requin-Comptable. Et c’est une classe de prestige, ça. Et avec tout ça, vous, vous êtes le perso qui ne sert à rien, c’est ça ? Sigurd Dogaku ? Vous avez pas franchement une tête de mascotte, pourtant. C’est les petits animaux mignons qui sont à la mode, en ce moment.
    -Guh ?

    Dogaku le reconnu rapidement, sans trop savoir quoi dire. Un homme poisson. Des écailles, des nageoires, des branchies, une odeur pour le moins caractéristique, une texture toute aussi répugnante, et un physique assez musculeux pour constituer une menace mortellement dangereuse pour n’importe quel humain. Il s’agissait d’une créature monstrueuse qui ne devait pas exister. Et qui n’existait pas dans le monde dans lequel le Sigurd Dogaku avait vécu jusqu’ici.

    A ceci près qu’ils avaient certains points communs qui s’avéraient parfaitement susceptibles de les fédérer. Dogaku n’en était heureusement pas à voir le monde comme un amas de statistiques dignes d’un jeu de rôle papier. Mais il s’agissait d’un langage qu’il pouvait reconnaître… et pratiquer. Quiconque connaissait un tant soit peu le personnage pouvait en attester.

    -Faut pas le prendre mal, hein, continua l’homme poisson. En général, ces personnages là sont relativement appréciés du public, et finissent par prendre pas mal d’importance au cours des quêtes… quand ils ne meurent pas au premier chapitre, s’entend. Dans ce cas là, ils servent surtout de martyrs qui permettent de lancer leurs alliés dans une trame de vengeance qui évoluera irrésistiblement dans quelque chose de bien plus noble. C’est une situation un peu plus rare, mais qui dépend beaucoup du profil du personnage. Vous êtes apprécié, en général ? Des capacités de leader charismatique, qui inciterait les gens à ne pas accepter votre mort ? Encore que ça serait plutôt Santa Klaus le paladin, ça, et c’est mauvais de faire doublon dans l’équipe principale. Des personnages principaux parmi vos amis proches, peut être ?
    -Mwarharharh. Naaaaaan, moi chuis le gentil bonhomme insignifiant, merci. Si on se fie à ces critères, je risque quasiment rien. Sauf si on utilise mon passé de militaire qui me propulserait au summum de l’échelle du risque, mais comme j’étais un officier supérieur…  de petite échelle, hein, sur un patrouilleur de routine, pas d’état major ni rien… j’dois être à l’abri des délires scénaristiques usuels.
    -Aaaaah ! Vous vous y connaissez, vous aussi ?
    -Yep. Z’avez parlé de Calmbelt & Dragons, tout à l’heure ?
    -Hmmmm ! Aptitude d’observation de gamer régulier… oui, oui !
    -Perso chuis resté sur Age of Navire, mais j’ai suivi le délire de loin, ouais. Même eu l’occasion de feuilleter des livres de règles à quelques reprises… ç’avait l’air assez rigolo. Et vous êtes qui, en fait ?
    -Loromin Sohal. Pro gamer écumant les blues à la recherche de… mais c’est un secret !
    -Hun hun. Vous faîtes quoi là ?
    -J’essaie de déterminer à quel archétype vous correspondez. Le type normal, paumé au beau milieu d’un truc beaucoup plus gros que lui, c’est assez classique, et en général, ça présage un power up assez sensationnel au cours du dernier chapitre… à moins que y’ait une saison deux de prévue. Ca serait quoi, votre stat principale ? Un pouvoir spécial en particulier, sinon ? Attendez, bougez pas, j’ai un artefact pour ça… le Détecteur de Dentiste ! Dîtes « aaaaaaaaah », ça piquera pas longtemps…
    -Ho ! Ho ! Ho !
    -Hum hum.

    De retour. Si Santa Klaus avait abandonné son petit protégé sur ce banc, ça n’était que pour aller chercher son amie, bien sûr. Haylor. Et les voilà qui étaient revenus, tous les deux. Juste à temps pour apercevoir l’homme poisson aux prises avec le blondinet, armée d’une lampe de poche et d’une sonde de dentiste qu’il agitait face à l’autre. En voyant l’expression surprise, et subtilement teintée de dégoût de ses deux compagnons, Dogaku referma aussitôt les dents.

    Mais l’autre ne s’en rendit même pas compte. Face à ces deux nouveaux venus, Loromin se contenta d’avoir la même réaction que n’importe quel pro-gramer digne de ce nom aurait eue à sa place. Déterminer quelles étaient les caractéristiques du nouveau personnage qui se présentait à lui. Aussi s’avança-t-il vers la jeune femme, bloc note en main, prêt à compiler ses informtions.

    -Ah, ouais ! On m’a aussi parlé de vous. Relationship Value de rang B+ avec Sigurd, c’est ça ? D avec le lièvre, zéro avec les autres ? Vous donnez quoi, comme bonus de soutien ? Et la barre de Love Points… tiens, le scanner marche pas… zut. Bref. J’essaie de comprendre l’état de ce groupe, vous comprenez ? Alors, du coup… c’est quoi, votre classe de personnage ? Sorcière ? Lvl 1 seulement ? Héhé ! Vous en faîtes pas, les persos qui commencent le plus bas ont les montées en stat les plus violentes, quand on prend la peine de les grind. Vous vous orienterez comment, à priori ? Plutôt dans le genre DPS, utilitaire, mage à burst, ou bien… ?
    -Je préfèrerais que vous vous éloignez très loin et très rapidement de moi, s’il vous plait, demanda Haylor sans un regard pour le concerné.
    -Loromin Sohal, se présenta le gamer. Et je… oooooh… mon poncho à résonnance +5 commence à vibrer… et je… waaaaaah ! C’est des artefacts infernaux que vous avez là ? Faîtes voir !

    La jeune femme eut un mouvement de recul, dégoûtée par le personnage marin qui s’approchait d’elle. Heureusement, Santa avait l’œil, et plutôt que de laisser un scandale éclater, décida d’intercepter Loromin.

    -Ho ! Ho ! Ho ! Dis moi plutôt, mon bon. As-tu été sage, cette année ?
    -Moi ? Bah ouais. Mon alignement est récemment redescendu à neutre, mais c’est juste le temps d’effectuer la quête du Pachyderme Parabellum. Ma jauge de Karma est gonflée à bloc, j’ai donné plein d’eau à l’arbre dans le désert de Hat Island.
    -Merveilleux ! Dans ce cas, je pense que tu as mérité une petite surprise. Est-ce que tu as déjà vu… des chars ?
    -Des chars… comme des tanks ?
    -C’est bien ce que j’ai entendu, oui. Que dirais-tu de faire une petite promenade, toi aussi ?
    -Eh bah je... euh… mais la sorcière… ou les chars…
    -Excellent !, continua Santa, sans écouter.

    Et c’est sur ces bonnes paroles que le bien louable Santa Klaus infligea à l’homme poisson le même sort qu’il venait d’infliger à Dogaku. Il le ceintura d’un bras, et par la force de son corps, le souleva  pour le tenir contre son tronc, comme on transporterait un baril vide. A son tour, Loromin essaya de se débattre, et de protester. Et à son tour, ce fut en pure perte, songea-t-il en s’éloignant.

    Le tout sous les regards incrédules de ses deux protégés. Même après que la silhouette surélevée de Loromin soit sortie de leur vue, ils restèrent longuement silencieux, tournés dans leur directement. Et finalement…

    -Je n’arrive pas à comprendre ce qui peut trotter dans la tête de ce… personnage. Santa Klaus, précisa Haylor.
    -Aaaaaaah, vous aussi ? Perso j’arrive même pas à savoir si j’l’aime bien ou pas. Un coup il dit des trucs pas mal du tout, un autre il balance des machins franchement limites. J’ai toujours adoré les crétins idéalistes, mais en voir un bien juteux en action, c’est… encore autre chose.
    -Hum. A ce point ?
    -Haha. Vous l’avez pas vu. Moi j’l’ai vu. Et chuis sûr que vous le supporteriez pas. Et que vous le trouveriez génial. Les deux en même temps. Quelque chose comme ça.
    -Mmmmh. Un peu comme vous, donc ?
    -Baaah… encore autrement, je dirais. Moi, on peut me taper dessus, et je coule. Pis chuis vachement sympa, quoi. Alors que lui… chuis sûr qu’il est presque aussi obstiné que vous, et que ça doit virer à l’ingérable quand ça déraille. Encore comme vous, quoi.
    -Ah. C’est un concours de défauts, c’est ça ?
    -Sorcière !, s’exclama joyeusement Dogaku.
    -Imbécile, lui sourit l’autre.


    Spoiler:

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    • https://www.onepiece-requiem.net/t9504-sig

    « - Colonel CAPSLOCK ? Demanda Luan.
    - OU... Oui ?
    - Vous voyez, quand vous voulez.
    - Nous avons une nouvelle transmission d'Oredas.
    - Très bien, écoutons ce qu'ils ont à dire.
    - Allô ? Mushi-mushi ?
    - Oui, oui.
    - Vous nous entendez ? Allô ?
    - BIEN SÛR qu'on vous entend ! Pardon...
    - Y'a quelqu'un ? Allôôôôôô ?
    - Visiblement, eux ne nous entendent pas.
    - Hum, j'ai l'impres... bzzzzz... n perd la co... bzzzz... on ? Vous n... krrrr... dez ?
    - Il se passe quelque chose ? Un souci ? Besoin d'aide ? S'inquiéta la médecin. »
    Brusquement, la transmission, ou plutôt le vague contact qui en tenait lieu, coupa.

    La conversation coupa, CAPSLOCK, Luan, Elie, Grenadine et les deux aides de camp sans nom et sans la moindre importance se regardant en chiens de faïence.
    « - IL Y A... Il y a eu un problème.
    - Manifestement, et nous n'avons pas besoin de vous pour nous le faire remarquer, tacla Elie-Barbara.
    - Elle doit être soucieuse, dit Luan.
    - Oui... ben... hein ! Gromella le colonel.
    - Cela dit, effectivement, s'ils ont été attaqués, ou que l'équipage de Crachin dispose d'un moyen de brouiller les transmissions escargophoniques, nous avons du souci à nous faire.
    - A ma connaissance, intervint Grenadine, cela n'est pas le cas, et il serait abherrant qu'un tel outil soit développé sans que la section des espions ne soit au courant.
    - OU PEUT-ÊTRE... Ou peut-être n'avez-vous pas entièrement la confiance de Crachin, comme vous le prétendez ?
    - Colonel CAPSLOCK, comme nous en parlions tout à l'heure, le capitaine Crachin est en grande détresse émotionnelle, à ce stade, je pense qu'il serait utopique de croire que qui que ce soit, y compris son second, Mousch, ait la confiance du pirate.
    - A ce point ?
    - A ce point.
    - Enfin bref, maintint l'espionne, je suis persuadée qu'il n'a pas de moyen à sa disposition pour brouiller...
    - J'en prends bonne note, coupa le marine.
    - Je propose qu'on attende une quinzaine de minutes avant d'essayer de les joindre. Au pire, nous pouvons utiliser les mini-escargophones de vos commandos de marine, non ?
    - Il n'y a pas la moindre chance que nous puissions envoyer un message direct, la portée n'est pas assez élevée.
    - Et si on transmettait par sauts de puce d'escargophone proche en escargophone proche ?
    - Peut-être bien. Nous verrons. »

    Une dizaine de minutes de plus tard, le PULUP PULUP caractéristique d'un appel retentit dans la cabine.
    « - Allô ?
    - Oui ? Vous nous entendez, cette fois ?
    - Aaaah, on vous entend. Chouette !
    - Bon, Sigurd, que s'est-il passé ? Vous avez eu un problème ? C'était grave ?
    - C'était une vraie histoire pas possible, ça !
    - De quoi ?
    - Donner à manger à l'escargophone. On trouvait pas de laitue.
    - Heureusement, je suis intervenu. Grâce à mes stats boostées en détection et analyse d'objets...
    - Cela ne nous intéresse pas.
    - Ainsi qu'à mon anneau Lis Maçon Menje, j'ai pu en trouver dans un cercle d'un diamètre de 34,9 mètres autour de moi.
    - Cela ne nous intéresse vraiment pas.
    - Hélas, il n'y avait pas de laitue dans un cercle de diamètre 34,9 mètres. Vous imaginez ? Pas de laitue ? Incroyable, pas vrai ?
    - Incroyable...
    - N'est-ce pas ? Enfin bref, du coup, on est partis en expédition.
    - Ah-ha ? Répondit Luan.
    - Il arrête pas de parler, hein ? Cala Elie.
    - Et alors, cette expédition ?
    - On est allé au marché et on a pris de la feuille de chêne, sur les conseils de Sigurd. L'escargophone a l'air d'aimer ça aussi, donc on a pu vous rappeler.
    - Merveilleux, s'exclama la comédienne d'un ton plat.
    - Colonel CAPSLOCK à l'appareil, je souhaiterais savoir pourquoi vous nous avez contacté.
    - Ici Sigurd Dogaku. Je m'apprête à partir d'Oredas dans les minutes qui suivent, donc il faudrait que vous retardiez le lancer de l'appât de quelques heures, le temps que je vous rejoigne. Cela devrait vous laisser le temps de procéder à toutes les préparations nécessaires.
    - Très bien, c'est noté.
    - Ah, également, comme je ne compte pas passer au vu et au su de tous les pirates, est-ce que cela serait possible de passer par le blocus ?
    - Hum... Michel ? Demanda CAPSLOCK à un de ses aides de camp.
    - Colonel, oui mon Colonel ! Actuellement, au large d'Oredas se trouve la corvette COR-14 du Lieutenant Mayura Hitsugoshi.
    - Cela fera l'affaire. Envoyez-lui un message pour le prévenir.
    - Bon ben... J'y vais, à tout à l'heure ! »
    La communication fut coupée sur ces mots, et après un rapide salut, Elie, Grenadine et Luan regagnèrent leur cabine, laissant CAPSLOCK à ses plans.


    ****
    Quelques heures plus tard, à peine hors de vue de Varedas, la capitale de Panpeeter, une force relativement importante s'organisait et se reposait, à l'abri dans un bosquet touffu de conifères. Les rébellions contre les pirates occupant les villes de Rodnog et Nahor s'étaient relativement bien passées.
    Le noyau dur des résistants d'Oredas avait essaimé, certains de ses membres parcourant l'île pour convaincre les citoyens de se révolter. Quand c'était des étrangers qui se battaient, ou des membres du gouvernement mondial, baste, pensaient la plupart des habitants. Mais voir des voisins, des gens qu'on connaissait, parfois de nom, parfois uniquement de visage, se battre, cela faisait plus réfléchir.
    C'était difficile, dans ces conditions, de laisser faire, combattre, et mourir pour soi des gens auxquels on s'identifiait forcément plus qu'à de sombres inconnus. Le mouvement s'était donc développé, et nombreux étaient ceux qui arboraient, cousu quelque part, le chapeau rouge à pompon blanc, quand ils n'en avaient pas un posé sur la tête.

    S'être attiré les bonnes grâces d'une partie des maires de l'île avait apporté beaucoup aux Chevaliers de Nowel. Pas uniquement en terme de combattants, mais également pour tout ce qui était troupes de soutien. Autour de la troupe rebelle se pressaient des taverniers (mais pas trop, tout de même), des cuisiniers, et toute une batterie d'artisans aux talents aussi divers que variés, allant du charpentier au cordonnier en passant par l'Association Officielle des Taxidermistes de Panpeeter, qui ne comptait que deux membres.
    Les idées loufoques de Sigurd avaient d'ailleurs permis de limiter les pertes. Les tanks, des charrettes renforcées pour protéger les civils à l'intérieur, permettaient de faire diversion en relative sécurité. Cela avait également convaincu les habitants de l'île qu'ils n'étaient pas qu'une distraction sacrifiable pendant que les autres récolteraient les lauriers.

    Bref, un des seuls sujets de plainte de Satomaru était le fait qu'il était sous les ordres d'un civil totalement barge, Santa Klaus. Malgré le fait que tout se passait comme prévu, en tout cas pour le moment, les coins de sa bouche s'affaissaient de manière tout à fait perceptible pour quiconque avait des yeux, ce qui était le cas de la plupart des gens, et le crissement de ses molaires les unes sur les autres hérissaient les personnes autour de lui.

    Heureusement, le conseil restreint de commandement au sein duquel il se trouvait n'y accordait pas la moindre attention, tout concentré qu'il était sur la tâche à venir.
    « - Ho ! Ho ! Ho ! Nous voilà en position, et dans les temps. Tout se déroule comme prévu.
    - Effectivement, d'habitude, les armées non entrainées ont des malus de déplacement en cas de campagne militaire, mais comme on utilise des locaux, et qu'on a même des éclaireurs –des chasseurs du coin, rien de moins, on n'a pas eu de malus au lancer du dé cinquante. J'dois dire que je suis même assez fier du plan créé par Sigurd et moi.
    - Humpf ouais, ça s'passe pour le moment, mais le plus dur est à venir. On vous surveillera, vous les civils, mais on pourra pas vous babysitter, pigé ?
    - Vous savez, Sigurd s'y connaît pas mal en lecture du monde, hein ? Je pense qu'avec un peu d'optimisation de ses stats, y'a moyen d'en faire quelque chose de vraiment pété. En général, c'est ces gens-là qui se font patchés et nerfés le plus vite, et sont suivis de près par les autorités compétentes, vous savez ?
    - Maint'nant, l'ex-officier Dogaku devrait avoir atteint not' QG, on d'vrait voir le bateau partir bientôt. Dès que Crachin démarre, on lance l'assaut, comme prévu. Donc pas de lambinage, pas de pause pipi pendant l'attaque, hein ?
    - Ho ! Ho ! Ho ! Ne vous en faites pas pour nous, nous serons sages.
    - 'Videmment que j'm'en fais pour l'contribuable, c'est eux qui paient ma solde, indirectement. Mais surtout, j'veux pas que vos conneries me retombent sur le coin du museau !
    - Et faites attention à vous, ne recommencez pas les mêmes bêtises qu'à Oredas, hein ? L'Esprit de Nowel vous a à l'oeil !
    - Ouais, ouais, c'est ça, j'veux surtout pas foutre ma carrière sur une mauvaise pente. Nous trainez pas trop dans les pattes et ça ira.
    - Dites, c'est pas un peu fini, là ? Demanda un des maires.
    - Pardon, je m'assurais juste que Satomaru soit sage.
    - Scuse, j'm'assurais qu'l'Ordre bizarre f'rait pas d'conneries, répondirent Santa et Satomaru de concert.
    - Oui, ben, prenez un peu de repos en attendant que les éclaireurs annoncent le départ du galion de Crachin ! »


    ****
    Bien. Le plan se déroulait relativement sans accroc pour le moment. Le bureau mental de Yoshimitsu, bien qu'encombré d'une foultitude de documents, était bien rangé, et le déroulement optimal des événements trônait fièrement sur la main-courante, les étapes déjà effectuées soigneusement cochées.
    En plus, sa dernière expédition s'était également déroulée comme sur des roulettes. Il avait dû abandonner la salle de communication à Kalem, mais c'était encore le mieux pour obtenir rapidement, et surtout discrètement, sans esclandre, ce dont il avait besoin.

    Après tout, le planton les connaissait déjà, et la rumeur comme quoi ils étaient maintenant des alliés du capitaine Crachin s'était répandue au moins sur tout le navire, au mieux dans toute la capitale, mais le psychologue n'était pas trop optimiste sur ce point. Ils n'auraient qu'à se débrouiller pour la suite de son plan. Il ne leur demandait pas grand-chose, au final. Il composa le numéro de l'escargophone de Grenadine pendant que Kahlia se promenait dans la pièce et que Kalem sommeillait sur une chaise à côté de lui, tout en observant l'étrange caméléon du coin de l' œil.
    « - Allô ?
    - Oui, Yoshimitsu ?
    - Ah, Luan, tu m'as manqué !
    - On a parlé y'a pas longtemps.
    - Chaque seconde sans toi m'est une...
    - Qu'y a-t-il, Yoshimitsu ? Coupa Elie.
    - Barbara, parfait. Grenadine est dans le coin ?
    - Je suis là.
    - Bien. Nous avons un caméléon avec nous. C'est normal ?
    - Oui, il s'agit de Plah Jya, un des espions de Crachin.
    - D'accord. Comment fonctionne-t-il ?
    - Comme il est remarquablement intelligent pour un caméléon, il peut écrire des lettres sur son corps. C'est ainsi qu'il communique.
    - Très bien. Vous pouvez lui demander d'écrire quelque chose ? Je viens justement de... Enfin bref, dites-lui d'écrire R.A.S., chuchota le cachottier.
    - Plah Jya ? Ici Grenadine. Ecris R.A.S. Immédiatement ! »

    La bestiole s'exécuta malgré son grand état de faim et de fatigue. Une fois que les lettres furent stabilisées, d'un geste vif, Yoshimitsu fit une injection sous-cutanée de termizolphrénol au caméléon, puis s'assura que les lettres ne disparaissaient pas.
    Après cela, il fit également une piqûre de rappel à l'escargophone, pour que ses cordes vocales ne se relâchent pas, depuis le temps qu'il était disponible pour imiter la voix de Crachin. Enfin, il se tourna vers les deux autres, adressant un signe à Kahlia pour qu'elle se rapproche et réveillant Kalem en lui effleurant l'épaule.

    « - Putain, mais y'a pas moyen de pioncer peinard, ici, ou quoi ?
    - Kalem, il va être temps d'y aller.
    - Aller où ? On est bien, ici, au chaud et tout. Puis j'finirais bien ma sieste. On en discute après, okay ? Allez, bonne nuit !
    - Le petit monsieur, il est méchant !
    - Oui, Kahlia, je sais, mais c'est important, donc il va se faire un plaisir de m'écouter.
    - Rien à foutre, je ronfle !
    - Il va m'écouter, parce que ça va lui permettre de sortir en vie de cette situation, sans le moindre risque.
    - Si vous me prenez par les sentiments, aussi...
    - Bien, maintenant que vous êtes disposés à écouter... Reviens ici, Kahlia ! Voilà, donc, comme je disais, voilà ce que vous allez faire... » Yoshimitsu suspendit sa phrase quelques instants, pour le plaisir de faire durer le suspense, d'accrocher son maigre public à ses lèvres... Puis abandonna quand il vit la petite fille regarder autour d'elle d'un air curieux et les paupières du nain retomber à nouveau.
    « - Hum, On va oublier les effets dramatiques. A priori, si tout se déroule comme prévu, le galion va bientôt larguer les amarres. De là, je ne sais pas ce que la marine va faire, mais ce sera dangereux. Donc il vaudrait mieux que vous descendiez à terre.
    - J'ai pas peur du danger ! Je me ris du danger ! Mouah ha ha !
    - Tu es une petite fille. Et de toute façon, j'ai une mission de la plus haute importance à vous confier.
    - J'vais clair'ment pas m'faire buter pour vous autres tarés, ça c'est clair !
    - J'aurais besoin que vous prépariez ce qui est écrit sur ce papier et que vous le donniez à Santa Klaus quand il arrivera en ville.
    - Maieuh ! Ca sera pas dangereux !
    - Bien sûr que si, Kahlia, ce sera extrêmement dangereux, la ville sera sous attaque, vous devrez vous cacher, puis trouver Santa dans la ville en bataille, pour lui donner ce message qui changera l'issue des combats !
    - Bon, d'accord, alors.
    - Ah mais non, intervint Kalem. Si c'est dangereux, c'est mort de chez mort, j'y vais pas, moi.
    - Vous le faites exprès ? Demanda Yoshimitsu.
    - Moi j'peux le faire toute seule ! Assura Kahlia.
    - Ouais, laisse la morveuse se faire tuer toute seule, ça me r'garde pas, vos histoires de débiles et de sauver le monde.
    - Faut-il réellement que j'explique tout, Kalem ?
    - A la réflexion, non. Bon, d'accord, moi, le Grand Kalem, au génie jamais égalé sur cette foutue planète, consens à prendre en charge cette mission extrêmement dangereuse et de la plus haute importance. Voilà, content ?
    - Ravi. Bien, ajouta théâtralement Yoshimitsu, puissiez-vous réussir dans la charge capitale qui pèse sur vous !
    - Ouiiiii ! J'peux le faire, vous allez voir ! »
    Pour en rajouter dans la mise en scène, le psychologue fit une fioriture de gestes inutiles à base de mouvements de bras et des poignets avant de remettre une simple liste et une lettre à Kahlia, sous son regard à la fois émerveillé et décidé. Et sous les ricanements de Kalem.

    Une fois les deux petits individus sortis, Yoshimitsu consulta la carte mentale qu'il avait dressée de Crachin, et le processus des prochains événements. Cela fait, il s'installa confortablement sur une chaise. Et attendit.


    ****
    Sur le navire de Grenadine...

    « - Dites, vous êtes sûres que c'est une bonne idée ? Demanda Sigurd.
    - Bien sûr, tout va bien se passer, assura Luan.
    - Tout de même, se trimballer avec ce que veut un grand malade juste sous son nez...
    - C'est le but.
    - En plus, les Fruits du Démon... On est d'accord que ce sont des blagues, tout ça ? Des rumeurs bizarres ?
    - Pardon ?
    - Je disais que...
    - Holà, Sigurd, Luan, il va être temps ! Sortez tout ! »
    Les trois Chevaliers de Nowel sortirent le Fruit de son coffre avant de l'agiter avec moult grimaces alors qu'ils passaient au large de Varedas. De là où ils étaient, difficile de voir si quelqu'un avait reçu le message, mais vu le no man's land marin, l'inverse aurait été étonnant.


    ****
    Sur le navire du colonel CAPSLOCK

    « - SERGENT ! JE VEUX DEUX MARINES DEVANT LA PORTE DE LA CABINE DE GRENADINE A TOUTE HEURE DU JOUR ET DE LA NUIT !
    - Oui mon Colonel !
    - LES ORDRES QUE JE VOUS AVAIS DONNES ONT-ILS ETE ACCOMPLIS ?
    - Sans la moindre anicroche, mon Colonel ! Le commando AR-5 s'est bien infiltré sur le navire dit de Grenadine !
    - CELA FAIT DU BIEN DE POUVOIR PARLER NORMALEMENT !
    - Oui mon Colonel !
    - BIEN, IL VA ÊTRE TEMPS DE METTRE UN POINT FINAL A CETTE HISTOIRE LAMENTABLE !
    - Oui mon Colonel !
    - QUE TOUTES LES UNITES PROCHES SOIENT PRÊTES A INTERVENIR !
    - Oui mon Colonel ! 
    - EXCELLENT ! JE NE LAISSERAI PAS CE FRUIT ME FILER ENTRE LES DOIGTS !
    - Oui mon Colonel !
    - DE QUOI, SERGENT ?
    - Je voulais dire non mon Colonel !
    - FAITES ATTENTION SERGENT !
    - Oui mon Colonel ! »


    ****
    Crachin était assis à son bureau, regardant sombrement, fixement, le bois usé par des années d'utilisation, d'humidité et d'embruns. Usé par la vie, comme lui. Paradoxalement, la partie la plus neuve de lui-même était en bois. Ses jambes. Les deux.
    Il faillit les faire résonner contre le plancher, mais se retint. C'était une habitude morbide contre laquelle il luttait. Quelque chose allait se passer bientôt, il le sentait dans ses os, et même dans ses jambes perdues. Il savait qu'il n'affabulait pas. Il avait perdu un peu le contact avec la réalité quand une partie de sa flotte s'était faite capturer, mais depuis...

    Depuis que ces mystérieux pirates avaient débarqué, les choses s'accéléraient. Il reprenait prise. Prendre l'île en otage avait paralysé la situation, laissant les deux camps attendre un élément déclencheur. Il était arrivé. En sa faveur. Un signe du destin.
    Aussi, quand un des individus, le grand, demanda à faire un rapport de toute urgence, il le reçut évidemment immédiatement. Mousch était déjà là, lui aussi. Son fidèle Mousch.
    « - Oui ? Demanda Crachin d'un ton rauque qui cachait sa fébrilité.
    - Le bateau de Grenadine est actuellement au large de Varedas.
    - Vous suggérez de le couler, peut-être ? Le railla le capitaine.
    - Certainement pas, rétorqua Yoshimitsu, un sourire au coin de la bouche.
    - Ouais, suggérez pas de trucs au Cap'taine !
    - Je ne vais couler mes alliées, voyons.
    - Ah oui, les espions que vous avez placés aux côtés de Grenadine. Bon, et bien quoi ? J'avais cru comprendre que c'était urgent, fit Crachin, tâchant d'apparaître au moins aussi flegmatique que son vis-à-vis.
    - Et bien quoi ? Tout simplement que, pour une raison que j'ignore, ils sont en possession du fruit du démon. Des pirates placés en vigie les ont vu nous narguer du pont.
    - Mousch ?
    - C'est vrai, mon capitaine ! La rumeur commence à se répandre au sein de l'équipage ! »

    Un signe du destin. Il avait raison. Il allait être temps de leur faire payer, à tous !
    « - Bien, se calma Crachin. On va larguer les amarres. Mousch. Prépare tout comme à Liever, d'accord ?
    - Oui, mon cap'taine !
    - Tu te souviens de tout ?
    - Oui, cap'taine ! »
    Le visage de Yoshimitsu restait impénétrable tandis qu'il analysait celui des deux autres. Crachin avait l'œil qui brillait d'une lueur mauvaise, regardant déjà au-delà de sa cabine. Puis son expression se durcit et se ferma. Celle de Mousch ne reflétait que la joie de voir son capitaine agir, reprendre du poil de la bête, et réflexion, pour se rappeler exactement ce à quoi son supérieur faisait référence. Cela ennuyait le psychologue de ne pas connaître l'atout dans la manche, ce plan de Liever, mais, compte tenu de la façon dont les lignes de pouvoir couraient, cela ne devrait pas changer grand-chose.
    Il nota tout de même que Crachin était moins irrationnel que prévu. Il se méfiait toujours des derniers-venus.


    ****
    Sitôt que le galion de Crachin appareilla, les éclaireurs reportèrent que la voie était libre. Enfin, libre, plutôt qu'il y aurait moins de pirates, probablement moins de pointures, qui seraient sur le navire de Crachin, et une ligne de commandement raccourcie, donc moins apte à prendre des décisions d'importance.
    Les troupes se mirent en marche. Le commando de la Marine, son commando, marchait au milieu. Il comptait bien accomplir quelques hauts faits pour ne pas se faire à nouveau voler la vedette. Sinon, son objectif de rejoindre la Marine d'élite serait encore retardé. Et ses hommes comptaient sur lui pour y arriver. Ils vivaient tous pour ça.

    Le temps qu'ils arrivent en vue des pirates, le galion serait trop loin, hors de portée de voix, et Yoshimitsu devrait bloquer les appels à l'aide. Pour peu que les habitants de la capitale participent un peu, encouragés par les autres révoltés, la ville devrait être prise rapidement. Les pirates avaient même de grandes chances de se rendre, quand ils se verraient abandonnés par leur capitaine.


    ****
    Deux heures plus tard, cela n'y avait pas coupé. A part quelques rares poches de résistance, les pirates avaient fait preuve d'un manque d'entrain qui aurait été vu comme lamentable par un fana de combats. Santa promena un regard satisfait autour de lui, sur les quais, où il se trouvait. Ils avaient dû se rendre compte qu'ils n'étaient pas sages, et que c'était mal.
    A ses côtés, Loromin lançait des tas de dés et triait ses fiches. Des histoires de chutes de moral, de crises de leadership et de décisions malheureuses étaient theorycraftées sous les yeux de Santa. Satomaru le rejoignit, venant du centre de la capitale.
    « - Ben, tout se passe comme prévu.
    - Ho ! Ho ! Ho ! Vous venez faire votre rapport ?
    - Ouais. Autant que ça me hérisse, j'ai été officiellement placé sous votre commandement à moins d'indication contraire par le Colonel CAPSLOCK. Et v'voyez, nous, les Marines, les professionnels, on obéit à notre hiérarchie, on est comme ça. Tout comme les civils devraient, dans un monde normal, obéir aux forces de l'ordre pour les questions d'ordre public, si v'voyez c'que j'veux dire.
    - Votre rapport ?
    - Ouais, ouais. Saloperies de contribuables. Des gars d'la régulière sous leurs ordres... 'Fin bref, la majeure partie de la ville est libérée de l'oppression pirate, et les quelques poches de résistance qui restent sont contrôlées et maîtrisées par des troupes hybrides, venant des ''Santamarines'', de mes gars et de quelques citadins ayant pris les armes à notre arrivée. Si on peut appeler ça des armes. »

    La manière dont Satomaru avait craché le nom Santamarines fit pétiller les yeux de Santa. Ces mêmes yeux se posèrent sur une ruelle proche, dont sortirent deux petites silhouettes qui ne lui étaient pas inconnues.
    « - Kahlia, tu vas bien !
    - Oui, même que le gros bateau, c'était super !
    - Je suis très content de l'apprendre.
    - Super, super... Si tant est qu'ça soit super de risquer sa vie pour des connards d'utopistes idéalistes aussi déconnectés de la réalité que des coquilles saint-jacques ayant souffert d'un putain d'AVC !
    - Ho ! Ho ! Ho ! Mais que fais-tu là ? Tu ne devais pas rester avec Yoshimitsu ? Il me semblait pourtant que c'était ce qui était prévu, non ?
    - L'a changé d'avis. Moi, ça m'va, on a passé la bataille pépère au chaud pendant qu'ces crétins d'boulets se foutaient sur la gueule, et maintenant on va pouvoir commencer à faire du commerce avec les abrutis du coin, vu qu'les pirates ont comme qui dirait bien mangé dans les dents. S'ils étaient pas tous aussi refroidis, j'leur proposerais bien un ptit elixir contre les caries, d'ailleurs.
    - Mais quelle est cette affreuse petite créature ? Demanda Satomaru.
    - C'est Kalem ! Il est méchant mais il est gentil ! Assura Kahlia.
    - C'est ma tête qui te r'vient pas, sale empaffé d'la marine ? Heh quoi, maintenant qu'on a fait tout l'boulot à vot' place, vous venez ramasser les lauriers ? Ca m'étonnerait pas d'vous, tiens.
    - C'est pas que ta tête qui m'revient pas, ça, c'est sûr, en tout cas, p'tit gars.
    - P'tit ? Comment ça, p'tit ? C'est ton cerveau qu'est encore plus p'tit qu'ton péni, ouais !
    - Dites, monsieur Santa, c'est quoi un...
    - Ho ! Ho ! Ho ! Ne te préoccupe pas de ça, ce sont des choses d'adulte.
    - Mais je veux savoir !
    - Dites donc, Satomaru, Kalem... Vous représentez un très mauvais exemple pour la jeunesse. Cela suffira, maintenant.
    - Quand j'pense que j'suis sous ses ordres... Grmblh !
    - C'est bien pasque t'as la carrure d'un connard d'bodybuilder que j'm'arrête là, mais sache qu'même ça n'empêchera pas mon génial cerveau de...
    - Ah, monsieur Santa, on avait un cadeau pour vous, aussi !
    - Tu peux m'appeler Santa, ma petite. Ho ! Ho ! Ho ! Un cadeau ? J'adore les cadeaux, c'est tout à fait dans l'Esprit de Nowel.
    - Voilàààà c'est un message.
    - Alors, voyons voir... ''Santa, quand vous aurez maté la ville, le galion de Crachin aura appareillé depuis plusieurs heures. Nous rejoindre en bateau prendrait trop de temps, et malgré la présence de Sigurd avec Luan et Elie, je doute qu'ils puissent jouer l'arlésienne longtemps. J'ai donc préparé un petit quelque chose pour vous permettre, à vous et à quelques personnes (je conseillerais des combattants, si possible) de nous rejoindre très rapidement. En vous souhaitant un agréable voyage, Yoshimitsu.''. Et au dos de la lettre, il y a une adresse sur les quais. Voyons voir... »

    La bande, qui venait d'être rejointe par Sir Arno et Elizorabeth, que Santa n'avait pas vu depuis un long moment, se dirigea vers un hangar. A l'intérieur, un mystérieux mécanisme était tout prêt, avec un panneau fléché disant ''S'asseoir ici''.
    « - Ho ! Ho ! Ho !
    - Rakrakrak, il semblerait que votre moyen de transport n'attende plus que vous, monsieur Klaus.
    - Moyen de transport ?
    - Ah-ha, voilà qui a été crafté ingénieusement par un inventeur de skill supérieur à 23, à tous les coups !
    - Vous pouvez nous expliquer, Loromin ?
    - Bien sûr. Quand un inventeur monte de niveau, il accède pendant la nuit à des plans supplémentaire qui...
    - Expliquer le mécanisme, s'il vous plaît.
    - En version courte.
    - En fait, la planche, qui semble être le plateau d'une charrette, à été posée sur des renforts... renforcés de métal et de pierre. Excusez la redondance.
    - Pas de sushi.
    - Serait-ce une attaque envers ma condition d'homme-poisson ? Je vais devoir vous demander des dommages intérêts pour atteinte à mon intégrité mentale. Rakrakrakrak.
    - Ces renforts sont posés sur deux canons, on peut les voir, en dessous. Ils sont probablement chargés.
    - Ah, l'objectif est sans doute de vous éjecter ainsi jusqu'à Crachin.
    - Non, non, enfin pas d'ici. Car on peut également distinguer le bras d'une catapulte, ici.
    - C'est vrai, ça fait redite.
    - En fait, je pense que le plan est de lancer ce qui se trouve sur la catapulte puis, en l'air, avec un angle adapté, de mettre à feu les canons. Sinon, impossible d'aller suffisamment loin, vous comprenez.
    - Vous voulez dire que quelqu'un va accepter de monter là-dessus pour mourir ?
    - Ho ! Ho ! Ho ! S'il s'agit du plan devisé par Yoshimitsu, oui, effectivement, je vais le faire.
    - J'avais dit au colonel que ce civil était complètement taré...
    - Bien entendu, vous viendrez avec moi, Satomaru.
    - Quoi ?! Je refuse !
    - Vous vous souvenez ce qu'a dit le colonel, n'est-ce pas ? Vous êtes sous mes ordres, lui opposa Santa d'un ton guilleret.
    - Hahaha, l'connard d'la marine va faire une p'tite balade aérienne, heh ? Profitez-en pour faire quelques photos, on les mettra dans vot' cercueil, promis ! Et sur la tombe on écrira : ''Trop con pour la fermer''.
    - Y'a une autre tombe sur laquelle on pourrait écrire ça...
    - Après Satomaru... Je vais prendre Elizorabeth...
    - Impossible, mon cher. Elizorabeth doit rester avec moi pour assurer notre protection à tous les deux.
    - Sir Arno, vous êtes membre de l'Ordre, et même si je conçois que prendre des risques ne soit pas dans vos cordes, nous avons besoin de toute l'aide possible pour régler cette situation de la meilleure manière qui soit.
    - Le contrat stipule que...
    - Je considère cette question comme réglée. La vie n'est pas que des contrats, Sir Arno, ne l'oubliez pas. D'ailleurs, si vous tenez à rester avec Elizorabeth, vous n'avez qu'à venir avec nous. Cela me semble une merveilleuse idée.
    - Quoi ?! S'indigna l'homme-poisson. C'est hors de qu...
    - Loromin, aussi, venez.
    - Chouette, plein d'xp !
    - Refuse, tu vas clamser ! Lui assura Kalem.
    - J'ai mon item de revive, t'inquiète !
    - Moi ! Moi ! J'veux venir ! Bondit Kahlia.
    - Non, tu es trop petite. Peut-être une autre fois.
    - Je maintiens qu'il serait scandaleux de me faire ve... »

    Santa égrena quelques autres noms puis monta dans l'invention improvisée avec les heureux (ou pas) élus sur un « Ho ! Ho ! Ho ! » plein d'allant.
    • https://www.onepiece-requiem.net/t9782-santa-klaus
    • https://www.onepiece-requiem.net/t9551-santa-klaus

    « Waaah ! Il vole, j’voudrais être avec lui ! S’exclama Kahlia.
    -C’est vraiment con à cet âge-là ! Il va s’éclater au loin et on n’entendra plus parler de sa grosse barbe blanche qui vaut pas un Berry.
    -Moi j’trouve qu’il est merveilleux ! ET IL M’A DIT QU’IL M’OFFRIRAIT UN CADEAU ! Parce que je suis la plus courageuse qu’il a dit ! Et pas toi Baleine ! Na.
    -C’est KALEM, sale mioche ! Quand j’pense qu’il t’a demandé de veiller sur moi… Quelle plaie !
    -Regarde ! Il a rendu tous ces gens contents !
    -Rien à battre ! Maintenant ils vont nous faire chier !
    -Noooon ! Ils vont nous adorer, c’est nous qu’on est les chevaliers de Nowel !
    -Quel nom pourri ! Faudrait vraiment arrêter de lui faire des compliments, j’ai envie de gerber par les trous de nez…
    -Arrête de dire des méchancetés sur Papa Nowel.
    -C’est pas ton père !
    -Si d’abord ! Il a dit qu’il était le père de tout le monde ! Et il a dit après « Ho ! Ho ! Ho ! », si c’est pas une preuve ça !
    -Et v’là que les autres gamins sortent jouer maintenant… C’était mieux avant ! »

    En effet, poussés par leurs parents, enfin enclins à les laisser sortir, un groupe de mômes jouait non loin de nos deux petits héros. Ce qui avait le don d’énerver particulièrement Kalem. Comme une multitude d’autres choses, certes. Qu’est ce qui n’énervait pas Kalem au fond ? La conversation des mioches était pour le moins incompréhensible, mais depuis plusieurs mois, ils n’avaient pas pu jouer ensemble alors là, c’était quelque chose.

    « Tout à côté, des catins, décaties, taquinaient un cocker coquin… Fredonnait l’un d’eux.
    -POULE ! FRITE ! POULE FRITE ! Hurlait un autre, poursuivi par un troisième, particulièrement chtarbé selon la vision du nain.
    -Unwoo… Unwoo !
    -Petit PAPA NOWEL ! QUAND TU REDESCENDRAS DU CIEL ! S’époumonait Kahlia en se joignant au groupe. »

    Peu à peu, la réputation de Santa augmentait. Et quoi de mieux que des enfants pour la propager çà et là ? Bientôt, tous les habitants de l’île connaîtraient le bonhomme et ses actes, et dès que ceux-ci auraient de nouveau la possibilité de voyager, ils propageraient probablement sa légende. La vue de l’homme en rouge, s’envolant sur un traineau en avait enchanté plus d’un, et il resterait à coup sûr dans le cœur de tous.

    ***

    L’homme en rouge, justement, volait vers d’autres cieux. En bonne compagnie qui plus est. Toute bonne âme qu’il était, il n’avait pu se résoudre à embarquer dans cette galère -ce traineau, pour ceux qui ne seraient pas habitués aux expressions génériques- les personnes qui, selon lui, n’avaient aucunement leur place en face du terrible Capitaine Crachin, qui avait probablement les plus belles raisons d’en vouloir au monde entier. Il sifflotait donc gaiement, le vent s’engouffrant dans sa longue barbe blanche, sans porter la moindre attention aux jérémiades stériles du petit homme poisson qu’il avait emmené, malgré ses doutes profond sur son utilité dans ces moments de crise. L’embarcation de fortune en était encore -selon ce que lui avait affirmé Loromin avant le départ- dans la phase première de son envol. Bientôt, la gravité les ferait replonger vers les flots, et il ne suffirait plus alors qu’à déclencher l’habile mécanisme permettant de les propulser plus loin.

    Non loin de là, dans un autre coin de la charrette, ruminait le lieutenant Satomaru, maugréant silencieusement contre son rival du moment. Jusqu’alors, il l’avait privé de la belle place d’honneur que lui aurait réservé son rôle de commandement des forces de libération. Il pensait qu’avec cet éclat, il aurait pu se vanter de hauts faits glorieux pour intégrer l’élite. Selon lui, cette section des forces de la Marine portait bien son nom. Et s’il n’avait pu jusque-là l’intégrer, c’est parce que commencer à un rang qu’il jugeait inférieur à son niveau lui était insupportable. Hors, aller se bouger le cul dans les rangs du BAN faisait partie de ce qu’il appelait une manière faible d’intégrer les forts. Une manière faible d’intégrer l’effort.

    Un BANG résonna et soudainement, le véhicule fut atteint d’une sorte de spasme, une ondulation violente qui lui fit regagner de l’altitude. Seulement voilà. En plus d’un regain de vitesse et de hauteur, le traineau avait légèrement dévié de sa trajectoire vers la droite. Non pas que la précision dans la lancer les eut fait atterrir directement là où ils l’avaient souhaité, mais ce petit écart pouvait leur faire perdre une bonne centaine de mètres. Et qui savait ce qu’il y aurait dans la centaine de mètres qui les sépareraient des navires…

    ***

    Le petit navire de Grenadine avançait doucement. Il avait perdu en vitesse depuis qu’il semblait inévitable que les trois gros bâtiments du Capitaine pirate le rattrapent. Celui où était embarqué Crachin fonçait droit dessus, tandis que les deux autres le contournaient pour bloquer toute échappatoire. Comme à Liever… C’étaient l’ordre qu’avait donné l’homme aux jambes de bois à son sous-fifre bedonnant. Et celui-ci avait transmis. C’était une tactique d’enfermement qui avait vraiment bien fonctionné à l’époque. Mais ce n’était pas tout. Il savait prêts à intervenir les vaisseaux de la Marine situés à quelques encablures. Cette approche foudroyante ne serait pas si efficace si leur plan de repli et d’attaque n’était pas fabuleux. Et comme il l’avait démontré quelques années auparavant en bordure de cette petite île qu’était Liever, ce plan l’était ; monstrueusement fabuleux.

    Yoshimitsu avait abandonné le poste de communications. Désormais, tout ce qu’il pouvait faire, c’était attendre. Attendre que la rencontre se fasse. Attendre de voir comment le tout allait se passer. Attendre le colosse en rouge en jetant des coups d’œil fréquent vers le ciel. Attendre les réactions du pirate. Et surtout, surveiller la moindre occasion d’éloigner sa chère et tendre Luan de ce danger monté sur échasses de bois.

    « Monsieur Mousch ? L’interpella le psychologue alors que celui-ci passait par là.
    -Pas le temps.
    -Juste une question, ça ne prendra pas bien longtemps.
    -Dépêchez-vous. J’ai d’autres chats à fouetter.
    -Comment va se dérouler l’abordage ?
    -On ne dévoile pas nos tactiques de combat, navré. Pourquoi ça ?
    -Je vous rappelle que nous avons des hommes infiltrés sur ce navire, serait-il possible de les évacuer rapidement ?
    -Ça risque d’être difficile. S’ils se font petits et pas agressifs, ils auront une chance de survivre.
    -C’est tout ce que vous me donnez comme garantie ? Une « chance » de survie ? Ils vous ont quand même offert le fruit sur un plateau.
    -Ils auront droit à une prière alors, dommages collatéraux comme on dit. »

    Brrr. Ca faisait froid dans le dos. Yoshimitsu avait failli oublier que Crachin était un pirate sans pitié qui ne se souciait d’abord que de son but premier ; là, le fruit du démon tant convoité. Plus qu’à prier pour que CAPSLOCK intervienne avant que le carnage n’ait eu temps de se faire.

    ***

    « Comment ça va passer auprès de Crachin, la non présence de Grenadine ? Souffla Elie à Luan.
    -J’espère que ça nous offrira un moment pour nous éloigner de la brute sanguinaire qu’il semble être.
    -Boah, vous en faites pas, on est juste à l’endroit le plus dangereux du moment, avec les personnes les moins susceptibles de se défendre, mais tout va bien.
    -Je sens un certain pessimisme chez toi Sigurd, ça fait peur…
    -Moi ? Pessimiste ? Meuhnon, juste purement réaliste… »

    Si Luan et Elie semblaient être conscientes du danger, elles n’en mesuraient certainement pas l’importance autant que Sigurd. Il avait déjà eu affaire à des types dangereux, de ceux, comme Crachin, qui étaient au pied du mur et qui surtout, n’avaient rien à perdre. Il savait qu’il ne fallait pas mésestimer le danger et surtout, trouvait incroyable qu’on voulut s’y fourrer par tous les moyens, juste pour tenter de l’épargner à d’autres. Ce n’était certainement pas le travail de civils de régler ce genre d’affaires. Et si la présence des chevaliers de Nowel avait permis de faire bouger les choses, il aurait désormais fallut prendre ses jambes à son coup en laissant les professionnels agir. Il connaissait ses propres capacités, et s’il avait eu sous son commandement des hommes entraînés qui avaient l’habitude de ce genre de situations, il aurait sans doute pu faire quelque chose. Mais là, il n’avait rien qu’une bande de pirates qui se rendraient dès les premiers signes de grabuge et deux jeunes femme probablement incapables de se défendre toutes seules.

    « Bon, on va quand même tenter de se dépatouiller un brin… Eli… Barbara ! Roooh, c’est chiant vous auriez pas pu trouver un nom plus proche ? Tu as l’habitude du spectaculaire, non ?
    -On va dire que ça rentre carrément dans mes cordes, oui.
    -Nickel, j’vais jouer un peu les metteurs en scènes, tu m’aideras ?
    -Pas de soucis. N’oublies pas Luan, après ce que je l’ai vue capable de faire devant une bande de féroces pirates, je me doute que ses idées ne peuvent pas être mauvaises de ce côté-là.
    -Je n’ai fait qu’appliquer quelques connaissances… Rougit-elle.
    -Bah, suivez-moi, on va bien trouver de quoi les leurrer un moment en cale… Dans un navire, j’ai toujours vu trois mille cinq cent trucs qui ne servaient à rien, y en a peut-être quelques-uns qui feront notre bonheur ! »

    En effet, le navire regorgeait d’objets habituellement inutiles auxquels la petite bande trouva des intérêts tout particuliers. Et ils prirent beaucoup de plaisir à trouver moult artifices pour rendre la présence du Capitaine Barbara impressionnante. Les pirates ne la connaissant pas auraient ainsi moins de plaisir à aller l’attaquer, et Crachin ne s’en prendrait pas à elle, de réputation au moins, elle était redoutable…

    ***

    Le traineau volant de fortune avait commencé à plonger vers les eaux pour de bon. À son bord, quelques-uns paniquaient, mais Santa était trop absorbé à évaluer la distance entre le point de chute et le navire où se dérouleraient les prochains événements pour s’embêter avec des détails comme une immersion imminente en eaux profondes. Sir Arno non plus ne semblait pas effrayé par ce sol bleu à l’approche. Au contraire, un large sourire s’était dessiné sur son visage à l’idée de prendre un bain d’eau salée. Elizorabeth, elle… Grumph. Quant à Loromin, il avait calculé le nombre exact de chances qu’avaient les passagers du vol de survivre. Il aurait bien aimé lancer quelques dés pour pouvoir affirmer qu’untel allait survivre ou non, mais il risquait d’en perdre et des dés de cette qualité, ça ne se trouve pas partout.

    « Ho ! Ho ! Ho ! Mes amis, nous allons devoir nager un peu.
    -On ne pourrait pas utiliser le chariot comme radeau ?
    -Nous y serons plus rapidement à la nage !
    -Oui, mais on ne pourrait pas simplement utiliser le chariot comme radeau ?
    -Ce traineau a été façonné dans l’optique de voler, pas de flotter !
    -Quand même, on ne pourrait pas…
    -Je viens de faire des calculs, ma montre karnute de l’embolie indique clairement que nous devons y aller à la nage.
    -Votre quoi ?
    -Ma montre karnute de l’embolie, il s’agit d’une relique que j’ai récupérée au cours d’une quête de level difficile, validée par le grand raide, après une réussite superbe. Elle sert à…
    -Nan, tout compte fait, laissez tomber…
    -Ah ? Vous avez déjà réussi cette quête ? »

    SPLASH !
    L’embarcation s’engouffra dans les eaux de North Blue en un concert de gerbes sonores. Une à une, les différentes têtes des passagers, remontèrent à la surface. À commencer par celle de Santa. Seuls Loromin et Sir Arno restèrent immergés. Quand il fut bien certain que tout le monde était en mesure de suivre, le géant en rouge, aux habits désormais inondés commença à nager le crawl en direction du navire. Etant donnée la distance, ils risquaient d’arriver en même temps que les pirates, voire un peu après. Le groupe avançait au rythme des plus lents.

    ***

    « Bon, j’vais essayer d’y voir quelque chose. Ca me ferait beaucoup rire de les voir se faire défoncer par Crachin…
    -Monsieur Kalem, vous êtes un monstre… Le regarda Haylor qui elle aussi était restée sur l’île.
    -Encore à critiquer mon nanisme, vieille pimbêche mal léchée…
    -Oh !
    -Et comment que tu vas t’y prendre Baleine, pour voir là-bas ?
    -KALEM ! Et je vais trafiquer ça ! Dit-il en désignant l’escargophone que Santa leur avait laissé. »

    Bon, pas sûr que ça marche, mais avec un peu de chance, et avec le fatras que le nain se trimballait dans son sac, il pourrait probablement bidouiller quelque chose. Le risque étant que l’animal pourrait clamser malencontreusement. Mais bon… Kalem sortit donc plusieurs petites fioles et s’employa à en faire quelque chose d’utile. S’il ne réussissait pas à voir, il pourrait au moins essayer d’écouter ce qui s’y passait. Amplifier la fréquence de l’escargophone pour qu’il puisse capter le moindre de ses congénères présents sur le bateau pourrait être fort intéressant.

    ***

    Le plan de Yoshimitsu semblait fonctionner. Il avait vu Mousch jeter de furtifs coups d’œil en direction des inscriptions dans l’air. Il ne voulait pas que l’on découvre son meilleur espion. Malheureusement pour lui, c’était chose faite. Seulement, il n’avait aucun moyen de le savoir puisque Plah, lui disait que tout allait bien… Puis désormais, ils étaient très proches d’aborder le navire. Bientôt, Crachin pourrait récupérer le fruit. Bientôt, il serait de nouveau puissant. Bientôt, des gens allaient mourir.

    Alors que les trois navires étaient à portée de canon de celui du milieu, ne lui laissant désormais plus aucune échappatoire, Crachin monta sur le pont. Enfin, un large sourire illumina son visage. Mousch à ses côtés souriait bêtement. Ils n’avaient pas fait tout ça pour rien. La fin de cette affaire était imminente, et c’était lui qui allait gagner. Plus rien ne pourrait le retenir. Les hommes de Barbara étaient de son côté et ceux de Grenadine se rendraient très vite. Le colonel avait sans aucun doute infiltré quelques Marines, mais il les tuerait rapidement. Il suffisait qu’il mette la main sur le fruit. Rien ne pouvait se mettre sur son chemin, ni personne. Seuls les enfants qui croyaient au père Nowel pourraient envisager la défaite de Crachin.

    Et justement, sur l’île, il y avait désormais une bonne partie de la population qui croyait au père Nowel. Les Marines aussi croyaient au père Nowel. Santa Klaus lui-même y croyait. Et c’est ce qu’il démontra en se posant sur le pont, dégoulinant d’eau de mer, les bras croisés autour de sa poitrine, regardant fixement Crachin, puis articulant :

    « Ho ! Ho ! Ho ! Tu n’as pas été sage cette année… »
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    -Et vous êtes ?, demanda Mousch.
    -Ho ! Ho ! Ho ! Ma foi, je dirais bien trempé.
    -Et il n’est pas seul !, vociféra Sir Arno en brandissant son stylo, rapidement suivi des autres.

    Faisant preuve d’une agilité saisissante, Elizorabeth avait réussi à hisser la carcasse de son compagnon en même temps que la sienne. Dans le même temps, le sergent Satomaru finissait lui aussi d’escalader la paroi du galion, sabre en main, et poignard coincé entre les dents. Avec Santa, ce petit groupe de personnages atypiques dégageait assez de présence pour rayonner de toutes parts, même parmi la foule de pirates qui les encerclaient de toutes parts.

    Et derrière eux se trouvait Loromin, le joueur professionnel. En dépit de sa maigre stature d'homme poisson élancé, ce personnage n'était en rien un combattant. Et pour cause, avançait-il systématiquement. Loromin avançait à qui voulait l'entendre qu'il était un metagamer, qui connaissait les meilleures recettes pour décrocher la victoire en toute situation. Et à ses yeux, en dépit de la situation mortelle où ils s'étaient plongés, ils avaient toutes leurs chances. Les Chevaliers de Nowel avaient rassemblé quatre héros, tandis que le camp d'en face était constitué d'une armée d'anonymes.

    -Et vous allez faire quoi, vous cinq contre nous tous?
    -Ho ! Ho ! Ho ! Excellente question. Ma foi…
    -On va tous vous dépiauter un par un s’il le faut, racailles !
    -Essayez donc pour voir!

    Réagissant à la bravade du sergent, une bonne dizaine de pirates s'avancèrent vers eux. Mais entre l'humandrill et le colosse à la barbe blanche, ils se heurtèrent bien vite à un mur. Face à leurs assaillants, Santa donnait pratiquement l'impression d'en prendre un pour cogner sur l'autre. En ce qui concernait Elizora, elle employa littéralement son conjoint, Sir Arno, comme arme. Et la voir ainsi brandir son partenaire pour renverser quiconque s’approchait d’eux constituait une vision particulièrement édifiante. Semblable à un ballon de baudruche mal gonflé, porté à bouts de bras par sa chère et tendre, le petit requin obèse fut bien rapidement employé comme projectile. Sa dulcinée avait effectué un tour sur elle même pour prendre de l'élan, et renversé un bon groupe de pirates avec son projectile improvisé. Pour le requin, ce fut sans mal: c'était un coriace, et son armure de cuir, d’écailles, de muscles et de graisses constituait un blindage étonnant.

    Mais celui qui attaquait les pirates avec le plus d'ardeur, celui qui s'acharnait à les faire ployer avec toute sa hargne, restait de loin le sergent Satomaru. L'efficacité militaire et sa répugnance à peine contenue pour la piraterie exprimaient librement sur un champ de bataille. Ici, il s'agissait de blesser, tuer, de mutiler au plus vite pour épurer les rangs ennemis. Et ses coups de sabre frappaient avec autant de férocité que les griffes d'un tigre affamé dans un enclos de moutons hébétés.

    Bien vite, les pirates comprirent qu'ils n'avaient pas affaire à n'importe qui, et qu'ils devraient se lancer tous ensemble sur ces intrus pour espérer en finir rapidement avec eux. Qu’à cela ne tienne, songèrent-ils. Ils étaient bien assez nombreux pour pouvoir se charger de ces indésirables sans que le navire n’ait à se dérouter, ni même à se soucier d’eux.

    Ils étaient à bord d’un galion. Et à son bord, il y avait un peu plus de deux cent pirates, tous prêts à en découdre s’il le fallait. Aussi valeureux qu’ils puissent être, les Chevaliers de Nowel n’avaient aucune chance d’en réchapper. Ils venaient de se conduire à l’abattoir, rien de moins.

    Tant et si bien que pas grand monde parmi les pirates ne fit grand cas de ces intrus. Mousch ne bougea pas d’un pouce, et se contenta de superviser la progression de ses hommes. Leurs adversaires étaient forts, certes. Mais cela ne suffirait pas face à des assauts brefs et répétés. Par sa part, Crachin les ignora complètement. Pour lui, il n’y avait plus qu’une seule chose qui comptait. Une seule chose qui le faisait vibrer tout entier d’impatience depuis qu’il avait donné l’ordre d’assiéger cette île.

    Son fruit.

    Avec le navire de Grenadine prit en étau entre ses trois galions, ce n’était plus qu’une affaire de quelques dizaines de minutes avant qu’il ne revienne en sa possession. Et lorsque ce serait le cas, plus rien ni personne ne pourrait l’arrêter. Son retour aux affaires était inévitable… et il approchait à grands pas.

    *
    *     *
    *


    Et c'était précisément sur ces deux autres navires que les choses allaient maintenant se jouer. Complètement ignorants de ce qu'il se passait sur le navire de Crachin, ces marins manoeuvraient de leur mieux pour forcer leur prisonnier à s'immobiliser définitivement. Une tâche particulièrement compliqué par le fait qu'ils ne pouvaient pas encore faire usage de leurs canons pour saborder le navire des renégats de Barbara : pas sans risquer de perdre ou d'endommager le fruit démoniaque, ce qui serait inacceptable.

    Pire encore, il était clair que le navire prisonnier s'en était rendu compte, et qu'il faisait maintenant de son mieux pour ne pas se laisser clouer sur place. En désespoir de cause, il avait changé de cap en direction de la seule voie qui lui restait, en direction du port de Varedas. Pour ce faire, il avait dû frôler d'extrêmement près deux des galions pirates, et bien failli se faire verrouiller sur l'instant. Quelques grappins bienheureux avaient réussi à les accrocher, et sans la velléité de Barbara pour exhorter ses marins à les décrocher, leur aventure s'en serait arrêtée là.

    Mais même ainsi, le capitaine Dogaku, qui avait été amené sur ce navire que dans le seul but de superviser ses manoeuvres, savait pertinemment qu'ils ne faisaient que gagner du temps. Pour le moment, les pirates étaient en confiance, et savaient qu'ils finiraient par les avoir, tôt ou tard. Chaque échange qui se faisait était beaucoup plus exigeant pour les traqués que pour eux-mêmes. Et comme leur victoire était assurée, la pire des choses à faire aurait été de prendre des risques inutiles et manquer de perdre leur fruit. Les galions avaient beau être moins maniables, ils étaient néanmoins bien plus rapides. Et plus massifs: toute collision aurait été particulièrement dangereuse pour le petit navire. Étrangement, le capitaine Dogaku utilisait ce fait à son avantage, en s'approchant déraisonnablement près des navires de guerre lorsqu'il sentait bien qu'ils ne pourraient pas faire autre chose que s'écarter, sous peine de le couler.

    C'était comme les convulsions désespérées d'un fauve que l'on avait enfermé dans un enclos, et que l'on cherchait désormais à endormir à l'aide d'une seringue. Il n'y avait que deux bonnes façons de faire. S'y prendre vite et bien, de manière à neutraliser l'animal avant qu'il ne puisse blesser quelqu'un. Ou attendre, tâtonner, ouvrir des fenêtres d'opportunité, et exploiter la plus parfaite de toutes, celle qui finirait tôt ou tard par se présenter.

    Ils avaient perdu l'avantage de l'initiative, mais ne rateraient pas cette fenêtre. Personne n'en doutait.

    Et maintenant, les renégats de Grenadine et Barbara faisaient route vers Varedas, toujours talonnés et encadrés par leurs poursuivants acharnés.

    Le port de Varedas. Situé avantageusement en plein milieu d'une large baie allongée.

    En d'autres termes, une impasse.

    *
    *     *
    *

    Malgré toute l’expérience de Dogaku, jamais il n’aurait pu échapper à de tels poursuivants.

    Malgré tout le talent de Jorgensen, jamais les sbires de Grenadine n’auraient tenté de se battre à ses ordres, contre leurs propres compères.

    Et il en allait de même pour les cinq combattants qui s’étaient introduits à l’improviste sur le navire de guerre du capitaine Crachin. En aucun cas, et peu importe leur valeur, ils ne pouvaient espérer survivre à une telle situation.

    En vérité, en toutes circonstances, et même en bénéficiant de tous les meilleurs hasards du monde, cette trame aurait irrémédiablement fini par déboucher sur leur trépas à tous. Parmi la multitude des avenirs et des futurs possibles, rares étaient ceux qui dénombraient la majorité des Chevaliers de Nowel ailleurs que dans le monde des Morts.

    Ils s’étaient coincés. Ils étaient finis. Ils avaient navigué, tant bien que mal, parmi la succession d’étapes qui les avaient conduits jusqu’à cet instant précis. Un point de non-retour, et un cul de sac mortel pour la plupart d’entre eux. Ils avaient su influer positivement sur le cours des évènements, et avaient contribué à accélérer drastiquement la reconquête de l’île. En permettant, surtout, à ce que les pires carnages n’aient jamais lieu.

    Mais on ne pouvait pas tromper le destin si facilement. Pas sans savoir comment s’y prendre. Vouloir arrêter Crachin, c’était pousser le hasard au-delà de la raison, et tenter le diable une fois de trop. Pour y parvenir, il aurait fallu disposer d’aptitudes hors du commun, tels que ceux d’un fruit du démon, ou faire preuve de trésors d’ingéniosité et de préparation.

    Un fruit du démon ? Ils en avaient bien un. Mais ça n’était pas de cela qu’il s’agissait.

    Il aurait fallu que les Chevaliers reçoivent l’aide d’un esprit analytique exceptionnel, par exemple. Un fin psychologue, un véritable génie de l’esprit humain, doublé d’un aventurier de longue date qui avait vécu plus que sa part d’aventures et de pérégrinations.

    Le saviez-vous ? Un tel homme était pourtant présent parmi leurs rangs. Un homme qui s’avérait être infiniment plus que ce qu’il n’en laissait paraître. Et infiniment moins que ce qu’il avait déjà été, auparavant.

    Cet homme se nommait Yoshimitsu Kanzatsuga. Et il se tenait là, sur le navire de guerre du capitaine Crachin, à l’écart de toute l’agitation qui animait la foule de criminels.

    Aujourd’hui, il renverserait à nouveau le cours des choses, en assénant un magnifique pied-de-nez à la grande mécanique de la causalité.

    Et il le ferait avec le peu de moyens qu’il avait à sa disposition.

    C’était facile. Il avait déjà toutes les clés en main pour y parvenir. C’était des « clés » qui tenaient dans le creux de sa paume, et qui avait déjà servi à plusieurs reprises au cours de cette longue histoire.

    Il s’agissait d’un petit escargophone, et d’une innocente seringue emplie de termizolphrénol.

    Ces clés constituaient la voix de l’homme qui était à la base de tout. La capitaine Crachin. C’était lui, le point d’ancrage de toute cette affaire.

    *
    *     *
    *

    -LE PORT DE VAREDAS EST EN TRAIN DE TOMBER ! ET A CAUSE D’UNE BANDE DE CIVILS EN BONNETS ROUGES, RIEN QUE CA ! ARRÊTEZ VOS CONNERIES ET RETOURNEZ LEUR PRETER MAIN FORTE, SI VOUS NE VOULEZ PAS VOUS FAIRE RACCOURCIR !

    La voix de Crachin retentit sur les trois galions en même temps, avec une force et une fureur telles qu’on ne l’avait jamais connue. Cette seule annonce sema la crainte et l’appréhension dans près de six cent estomacs qui vibrèrent à l’unisson. Son ton était sans appel, et chacun sentait bien que désobéir, ne pas obtempérer, voire même tout simplement échouer serait susceptible des pires conséquences.

    Et c’était quelque chose qui était d’autant plus étrange que Crachin lui-même se tenait là, au beau milieu de tous, et qu’il n’avait même pas ouvert la bouche. Ca, peu de monde s’en était rendu compte. Seuls ceux qui étaient présents sur le même navire que lui, dans ses environs immédiats, et assez peu occupés pour pouvoir y faire attention, l’avaient remarqué.

    Ils n’obtempérèrent pas sur le champ. Mais faillirent bien le faire. En fait, ils ne savaient plus vraiment où ils en étaient. Et pour cause : réalisant avec horreur ce qui venait d’arriver, Crachin attrapa un porte-voix

    -C’EST UN PIEGE ! CE N’EST PAS MOI ! CAPTUREZ GRENADINE, RECUPEREZ LE FRUIT, ET NE FAÎTES ABSOLUMENT RIEN D’AUTRE !

    L’hésitation.

    Le doute.

    Un doute qui se diffusa instantanément dans les esprits confus des trois équipages, partagés entre deux ordres radicalement opposés.

    -La ville de Varedas est tombée !
    -Quoi ?
    -Le capitaine Crachin a donné l’ordre de…
    -Mais le fruit est à portée de main !
    -Je vous demande pardon ?
    -Il nous faut impérativement récupérer Varedas !
    -Grenadine et ses traîtres ont le fruit ! Et le capitaine vient de dire que…

    Les marins chargés de manœuvrer les bâtiments de guerre se retrouvèrent dans la pire des situations. Les officiers censés coordonner leurs actions restèrent complètement interloqués. Rares étaient ceux qui décidèrent d’opter pour un ordre ou pour un autre. Parmi ceux-ci, on dénombrait autant de l’un que de l’autre. Et toute cette confusion était véritablement dangereuse pour la seule intégrité de la structure des galions. Tirées dans un sens et dans son contraire, certains éléments poussèrent des craquements de douleur qui n’avaient rien de rassurant.

    Et pendant ce temps, Yoshimitsu continuait son intoxication hiérarchique, relayé par toute une bande d’escargophones que Crachin mettait lui aussi à profit. Toujours armé de son porte-voix, le pirate avait jeté son dévolu sur l’un de ces pauvres animaux, et lui hurlait dessus à bout portant.

    -COMMENT ? MAIS A QUOI EST-CE QUE VOUS JOUEZ ? SI NOUS NE PARVENONS PAS A RECUPERER LA VILLE, NOUS SOMMES FINIS !
    -JE ME FICHE DE LA VILLE, JE ME FICHE DE CES PAYSANS ! JE VEUX SIMPLEMENT CE FRUIT, ET ABSOLUMENT RIEN D’AUTRE !
    -C’EST UN PIEGE, ILS VEULENT NOUS DISTRAIRE POUR MIEUX NOUS POIGNARDER ! SI VOUS NE VOULEZ PAS MOURIR, REPRENEZ VAREDAS !
    -UN PIEGE ? UN PIEGE ! MOI ? COMMENT OSES-TU, ESPECE DE MISERABLE PETIT… SORS DE TA CACHETTE, VIENS DONC TE MONTRER ! VOUS ! TROUVEZ-LE !
    -JE SUIS LE CAPITAINE CRACHIN, N’ECOUTEZ PAS CET INFAME IMPOSTEUR ! IGNOREZ GRENADINE, ET RETOURNEZ A VAREDAS !
    -MOUSCH ! MOUSCH ! DONNE-LEUR L’ORDRE DE RESTER EN POSITION, MAINTENANT !
    -JE VOUS JURE, JE VOUS ASSURE, QUE SI UN SEUL D’ENTRE VOUS S’AVERE ASSEZ IDIOT POUR TOMBER DANS UN TRAQUENARD AUSSI BAS, JE VOUS TRAQUERAI JUSQU’AUX CONFINS DE LA MER S’IL LE FAUT !

    Le chaos. C’était le chaos le plus total qui pulvérisa soudainement la cohésion des trois galions de guerre. Sans surprise, personne n’osa se dérouter pour rejoindre Panpeeter. Mais le petit navire qu’ils s’apprêtaient à aborder eu soudain toute la latitude dont il avait besoin pour se dégager définitivement du piège qu’on lui avait adressé. Les éclats de voix des escargophones de Crachin retentissaient sur des dizaines de kilomètres à la ronde ; ils avaient été parfaitement entendus depuis le bord du bâtiment de Grenadine. N’importe quel marin un tant soit peu expérimenté aurait pu voir l’incohésion qui régnait sur les trois grands navires.

    Pour Dogaku, ç’avait été la fenêtre d’opportunité dont ils avaient tant besoin. La brèche dans la muraille, à travers laquelle ils devaient s’engouffrer s’ils ne voulaient croupir entre les mains des pirates.

    Une formidable bouffée d’oxygène, pour lui et les siens. Maintenant, ils voguaient à nouveau vers le large, non plus vers l’île de Panpeeter, mais en direction des bâtiments de la marine qui ne tarderaient pas à les récupérer.

    Leur rôle d’appât avait marché au-delà de toutes ses espérances. Pour lui, le plan avait été d’éloigner Crachin et ses hommes de Varedas, afin de faciliter sa reconquête. Il s’attendait à capter un seul navire ; en aucun cas trois galions d’un coup.

    Qu’ils s’en soient tirés à si bon compte était un coup de chance phénoménal. Quelque chose qui n’aurait pas dû arriver.

    Et il avait raison. Cela ne pouvait pas arriver.

    C’était impossible.

    Jamais Crachin ne les aurait laissés faire.

    -NE LES LAISSEZ PAS S’ECHAPPER ! IMMOBILISEZ-LES MAINTENANT ! CANNONIERS, OUVREZ LE FEU ! NE COULEZ PAS LE NAVIRE !

    C’était comme si l’enfer lui-même avait décidé de leur entrouvrir ses portes. L’explosion simultanée de vingt canons à si petite distance les fit sursauter d’horreur. C’était comme si le ciel leur était tombé sur la tête. En toutes autres circonstances, la majorité de l’équipage des renégats aurait été balayée sur le champ.

    Le fruit du démon avait été leur seule assurance vie. Mais maintenant que leur mâture était réduite à l’état de charpie, leurs vies ne pesaient plus grand choses.

    Sans mâts, sans voiles, ils ne pouvaient plus rien faire. Et les trois galions, même gangrenés par l’indécision, finiraient bel et bien par les attraper.

    Ils ne pouvaient plus qu’attendre l’inévitable, impuissants qu’ils étaient. Ce n’était plus qu’une question de temps. Et il était fort peu probable que les navires de la marine, qui voguaient droit vers eux, n’arrivent à temps pour leur prêter main forte.

    *
    *     *
    *

    A bord du galion de Crachin, les héros de Panpeeter s’en sortaient pour leur part bien davantage. L’intervention de Yoshimitsu, couplée au chaos ambiant et à la nécessité de manœuvrer le navire en permanence, leur assurait de ne pas se retrouver ensevelir sous des vagues et des vagues d’adversaires tous entiers consacrés à les éliminer. Ils avaient beaucoup d’autres tâches à accomplir.

    Et c’était bienheureux, car les combattants peinaient déjà énormément à contenir les assauts de leurs ennemis. Santa Klaus avait déjà prit plusieurs mauvais coups ; sa hotte était en bien piteux état, et les petits trous qui l’émaciaient indiquaient qu’elle lui avait servit de nombreuses fois à se protéger de nuées de balles. Seul Sir Arno semblait encore inaffecté par le combat. Pour leur part, Elizorabeth et Satomaru commençaient à montrer des signes de fatigue évidents.

    Et derrière eux, on retrouvait l’autre homme poisson, le pro-gamer, celui qui n’avait absolument rien à faire ici, et qui observait la scène avec un détachement tout prononcé. Peut être était-il fou, lui aussi. Car il ne se souciait en aucun cas de savoir si sa propre vie était oui ou non menacée. Il observait les Chevaliers de Nowel, tout simplement. Sa curiosité s’en retrouvait toute piquée, et c’était tout juste si on ne lui trouvait pas des pépites dans les yeux. Il venait tout juste de finir d’analyser les aptitudes de Sir Arno, dont la fiche de personnage restait emplie de mystère. Maintenant, c’était sur le sergent de la marine que son attention s’était dirigée. Il était clair que cet homme ne tarderait pas à essayer quelque chose.

    Loromin, tout attentif qu’il était, avait cerné une certaine évolution dans l’attitude du sergent Satomaru vis-à-vis de la petite troupe de l’Esprit de Nowel. Le changement semblait s’être opéré lorsque le militaire avait côtoyé Sigurd Dogaku, pendant leur confection improvisée du plan de réclamation de l’île.

    Quoi qu’il en soit, jugea l’homme poisson, il n’avait aucun doute sur un certain point. Aussi basse que puisse être l’estime de base qu’il portait aux civils, son jugement avait été sensiblement révisé au cours des dernières heures. Désormais, le lien qui unissait Satomaru à la bande de Santa Klaus relevait probablement du rang C… peut être du rang B. Loromin n’arrivait pas à être sûr. En les voyant évoluer ensemble en plein combat, il était clair qu’ils se faisaient confiance, se reposaient l’un sur l’autre, et profitaient d’un bonus d’esquive et de vitalité renforcé digne d’un social link de rang B. Pour autant, Santa Klaus ne bénéficiait visiblement pas d’un bonus de critique aguerri pourtant caractéristique d’une entente martiale d’un tel rang. A moins que son statut d’Envoyé de l’Esprit ne soit incompatible avec une manœuvre aussi violente et meurtrière que le coup critique ? C’était difficile à dire, et le mystère restait entier, même pour un spécialiste tel que lui.

    A l’inverse, n’importe quel novice en la matière pouvait se rendre compte que les deux combattants avaient très rapidement cerné quelles étaient les aptitudes de l’autre, et appris à les utiliser à bonne escient. Voyez plutôt :

    TIGER BLADE !

    SANTA SPRING !

    DOUBLE SKILL : SANTA AIRLINES !

    Avec la férocité qui lui était toute caractéristique, Satomaru exécuta l’une de ses manœuvres fétiches, le Tiger Blade. Il ne s’agissait que d’un coup de sabre porté en bondissant, qui était suivi d’une seconde attaque portée lors de sa chute. Le mouvement était simple, banal, mais d’une efficacité mainte fois éprouvée compte tenu de l’énergie qu’il y investissait. Cumulée à Santa, pourtant, le mouvement prenait une toute autre ampleur. Avec suffisamment d’espace disponible, le sergent se dirigeait au pas de course vers son compagnon d’armes, sautait dans sa direction, et prenait appui sur la courte échelle que l’autre lui offrait pour s’élancer dans les airs, aidé par la propre force monstrueuse du vénérable Santa. Une fois là haut, le sergent n’avait plus qu’à utiliser l’élan de sa chute pour, au choix, asséner une attaque dévastatrice d’un coup de sabre à l’atterrissage, ou tout simplement massacrer d’un coup de pied la pauvre hère qui avait le malheur de se situer juste en dessous de lui.

    C’était une manœuvre que le sergent avait l’habitude d’employer avec ses propres partenaires de la marine, mais son coéquipier du moment remplissait tous les prérequis à la bonne conduite de la technique. En réfléchissant un peu plus, Satomaru se serait pourtant rendu compte que Santa, contrairement à ses tremplins habituels, faisait de son mieux pour que le bretteur atterrisse précisément sur ses cibles, et ne soit pas en mesure de les massacrer à coups de sabre. Colère ou pas, Santa Klaus restait, toujours quelque part, parfaitement égal à lui-même.

    Pourtant, parfois, le messie de Nowel n’avait guère d’autre choix que de faire couler le sang.

    -ON VA LES AVOIR, OUAIS, CONTINUEZ !, s’exclama l’un des meneurs pirates.

    La mêlée générale s’était rapidement resserrée autour d’eux. Les pirates, loin d’être idiots, savaient qu’ils devraient submerger leurs adversaires s’ils voulaient réussir à l’emporter rapidement sur eux. En l’occurrence, ils avaient réussi à isoler Santa et Satomaru du reste de leurs alliés. Plusieurs d’entre eux  avaient pris de mauvais coups pour y arriver, et quelques uns s’étaient définitivement faits mettre à terre dans le seul but d’orienter les deux guerriers un peu plus loin de leurs alliés. Et enfin, le piège était prêt. Les pirates les avaient complètement encerclés, et étaient maintenant déterminés à resserrer l’étau d’un seul coup qui s’avérerait décisif.

    Mais…

    Ils ne s’attendaient pas à ce qui se produisit.

    CYCLONE SWORD!

    SANTA ROTATIVE!

    DOUBLE SKILL : SANTA HURRICANE!

    Satomaru avait déjà maintes fois connu pareil situation ; c’était un militaire de longue date, qui avait déjà mis en place et survécu à plusieurs traquenards du même genre. Quand il était seul, et entouré d’ennemis, il était capable de tournoyer rapidement sur place pour mettre en danger tous ses adversaires d’un seul mouvement. La manœuvre était ridicule, son concept technique était hautement discutable, mais n’importe quel amateur de style de combat non-orthodoxe savait reconnaître une variante de l’indémodable Attaque Cyclone. En l’occurrence, pourtant, les pirates qui les encerclaient étaient en surnombre désespérant. Mais lui n’était pas seul, et Santa, loin d’être mauvais. Juste avant que les pirates passent à l’attaque, le colosse à la barbe blanche présenta une nouvelle fois une courte échelle à son partenaire.

    Cette fois, pourtant, il ne le projeta pas dans les airs. Au contraire. Il attrapa ferment ses mollets, et commença à tourner très rapidement sur lui-même, tandis que l’autre tendait son sabre bien au dessus de lui.

    Le résultat était édifiant. Semblable à une toupie meurtrière, le duo causa des ravages dans les rangs des pirates qui s’étaient rassemblés à proximité. Quiconque parvenait à parer la lame de Satomaru était immédiatement renversé sous le choc conjoint de la force centrifuge et de la puissance herculéenne de Santa Klaus. Cette puissance était d’ailleurs indispensable : à chaque fois que le sabre du militaire entrait en contact avec quelque chose, le quarantenaire subissait de plein fouet l’intégralité du choc. Le sergent était dans une situation encore plus éprouvante, compte tenu de l’usage qu’il était fait de lui.

    Mais le jeu en valait très clairement la chandelle. Les rares combattants capables de soutenir l’impact ne bénéficiaient d’aucun répit, car le sabre du marine revenait tout de suite vers eux pour les terrasser de nouveau. Venait ensuite le tour des plus malheureux d’entre tous, ceux qui se retrouvaient littéralement fauchés de plein fouet par l’attaque du duo. De ceux là, il y avait beaucoup de choses à dire, et elles étaient toutes sanglantes. Quelques corps se retrouvèrent mutilés ; d’autres s’effondrèrent sur l’instant, dans de grandes giclées de chair et de graisses désormais exposées à l’air libre.

    Rapidement, les pirates battirent en retraite, le temps de renforcer leurs formations avant de reprendre l’attaque. Le répit ne serait que de courte durée. Maintenant, leurs adversaires donnaient des signes de fatigue évidente.

    Ils ne tiendraient pas beaucoup plus longtemps.

    Mais c’était sans importance.

    Ils avaient déjà tenu aussi longtemps que nécessaire, grâce à Yoshimitsu. Maintenant, c’était aux autres de prendre le relai.

    *
    *     *
    *

    En aucun cas, les Chevaliers de Nowel n’auraient pu espérer arrêter Crachin seuls. Ils n’étaient pas venus pour ça. Pour autant, il restait une dernière variable à prendre en compte. La Marine, bien sûr.  

    Point sur la bataille en cours...
    Veuillez patienter...

    -ENSEIGNE, AVEZ-VOUS ENFIN REUSSI A LES AVOIR EN VISUEL ?
    -Presque! Le D.R.O.N.E. de reconnaissance a du mal à suivre, mais...

    Le colonel avait fait déployer des Dispositifs de Reconnaissance et d’Observation Naturels à Escargovision. En d’autres termes, des pélicans, entraînés par des maîtres-fauconniers, qui transportaient des commandos Den Den : des escargots spécialement sélectionnés et retenus après une âpre formation intensive de six mois, avec un taux de réussite qui avoisinait les 3%. Il s’agissait d’un dispositif relativement récent au sein des forces de la marine, originaire d’un royaume de North Blue récemment rattaché au gouvernement mondial, mais qui peinait encore à se diffuser au-delà des équipages les plus portés sur l’expérimentation.

    -Le navire de nos alliés s’est fait immobilisé, colonel ! Leur mâture est détruite… mais les trois autres galions ne l’ont pas abordé. Je vois le petit groupe de… attendez… c’est eux, les Chevaliers de Nowel ? Il semblerait que…
    -JE VOIS AUSSI BIEN QUE VOUS CE QUI EST AFFICHE SUR L’ECRAN, ENSEIGNE !

    En matière d’expérimentation, il n’en était pas à son premier coup d’essai. CAPSLOCK n’était en rien un officier conventionnel. A moins que ce ne soit le contraire, et qu’il ne fut, en vérité, que l’un des rares à être un officier conventionnel. Dans tous les cas, les cartouches qu’il détenait dans sa sacoche portaient bel et bien leurs lots d’originalités.

    Et les troupes qu’il passait actuellement en revue en étaient bien la preuve.

    -Cinquième escouade de rangers parachutistes aéropropulsés prêts à intervenir, Monsieur.
    -MERVEILLEUX. COMMENCEZ DONC L'OPÉRATION. AUX DERNIÈRES NOUVELLES DU SERGENT SATOMARU, LA SITUATION ÉTAIT PARTICULIÈREMENT DÉLICATE A LEUR BORD. FAÎTES BIEN ATTENTION, SOLDATS, NOUS COMPTONS TOUS SUR VOUS.
    -Oui Monsieur, à vos ordres, Monsieur!

    Comme nous l'avions précisé bien auparavant, le colonel CAPSLOCK n'était, comparé à ses pairs, qu'un bien piètre combattant. C'était par ses prouesses de commandant de bord qu'il s'était démarqué, et qu’il continuerait indubitablement à le faire. À son sujet, Loromin Sohal aurait certainement dit qu'il conférait un bonus surnaturel de performances myriacuplées aux bâtiments qu’il dirigeait.

    Tout le temps qu'un colonel avait pu consacrer à son entraînement personnel de combattant, lui l'avait passé à éprouver ses manœuvres navales, à vérifier quelles tactiques faisaient les meilleures recettes pour décrocher la victoire, de la même façon qu’un bagarreur apprenait quels étaient les enchaînements les plus meurtriers. Au fil des ans et des batailles, il avait eu maintes occasions de récupérer les bonnes idées des autres, et de commettre ses propres erreurs. Bien vite, il avait compris qu’un bon navire ne faisait pas tout, et que la formation d’unités de soutien spécialisées était elle aussi indispensable.

    Et aujourd’hui, CAPSLOCK était fier de présenter ses cinq escouades de rangers parachutistes à tous les commissaires de l'Inspection Générale de la Marine souhaitant passer en revue l'état de ses troupes. Chacun de ces hommes était un combattant accompli, habitué à opérer en avant garde du corps de l’armée principale, et spécialisé dans les opérations d’escarmouche et de soutien ponctuel. Ce qui, dans un univers tel que celui-ci, n’avait définitivement rien de particulier.

    Mais ce qui les rendait véritablement uniques, aux dires de CAPSLOCK, restait avant tout le fait que tous avaient été longuement formés pour être des parachutistes et des hommes-canons de haut vol. Au sens strict. Sur son navire, le colonel avait fait installer deux canons à bulles, inspirés des modèles utilisés par les prestidigitateurs et les artistes du cirque qui avaient la parenté du concept, et tous deux suffisamment améliorés pour trouver une place confortable dans son arsenal militaire personnel. Le reste n’était qu’une question d’entraînement.

    Une fois n'est pas coutume, la possibilité de débarquer impunément des groupes de combat sur un champ de bataille allait s’avérer déterminante dans le déroulement de sa mission.

    -PUTAIN C’EST QUOI CES TYPES ?!?
    -BRAHAHA ! Mes gars utilisent les dernières technologies employées par les commandos de la marine d'élite du Nord !, annonça fièrement Satomaru. Qu’est-ce que vous dîtes de ça, les moules encanaillées ?

    Sans surprise, l’arrivée soudaine de cinq, puis dix, puis vingt marines propulsés dans les cieux avait pris de court la totalité des acteurs de la bataille. Même les barreurs n’avaient pu s’empêcher de lever les yeux au ciel, perturbés qu’ils étaient par les longues trainées de bulles colorées qui traçaient le sillage des hommes canons. Et lorsque ceux-ci, une fois hauts dans les cieux, déployèrent leurs parachutes les uns après les autres pour contrôler et sécuriser leur descente, c’est avec des yeux grands comme des soucoupes que la majorité des spectateurs manquèrent de se décrocher la mâchoire.

    Avec une expertise évidente, ces rangers parvinrent à manœuvrer leurs toiles pour atterrir sur le navire, à proximité du petit groupe en difficulté. Les combattants au sol leur facilitèrent la tâche en redoublant d’ardeur pour repousser les pirates, afin de leur laisser le temps et l’espace pour se réceptionner. Quelques rangers plus audacieux se débrouillèrent pour s’amarrer sur les hauteurs du navire, que ce soit sur la vigie, sur la mature ou dans les cordages, et relâchèrent leurs parachutes dans les rangs pirates afin de gagner un peu de temps.

    Bien vite, ces marines commencèrent à donner du fil à retordre aux rangs des pirates.

    -LES RENFORTS SONT ARRIVES !, s’exclama CAPSLOCK depuis son navire, porte-voix bien en main.

    *
    *     *
    *

    C’était… inattendu. Surprenant. Incroyable.

    Des marines comme s’il en pleuvait.

    Sur son navire comme sur les autres.

    Une véritable folie.

    Une calamité, réalisa Crachin.

    Ils devaient intervenir. Inverser la tendance. Tout de suite.

    -Mousch, je vais avoir besoin de ton aide.
    -Ah… capitaine… non… vous ne pouvez…
    -MOUSCH, MAINTENANT ! MES ARMES !

    Malgré ses réticences, le second fut bien contraint de se plier aux ordres de son capitaine. S’il s’était écouté, il aurait tout simplement plongé dans la bataille qui prenait de plus en plus d’ampleur. Il n’avait pas d’arme, lui : son corps, ses mains et sa poigne de fer étaient les seuls outils dont il avait besoin pour dominer quiconque cherchait à lui damner le pion.

    Crachin, au contraire, disposait d’armes fétiches et de qualité qu’il pouvait brandir avec fierté. Takka-Marru et Sokka-Makku, deux sabres jumeaux, qui s’apparentaient à des bokken. Ces armes étaient habituellement des sabres en bois, incapables de trancher. A ceci près que les bokken de Crachin n’étaient pas en bois. Ces armes avaient été créées et travaillées à partir de l’écaille d’un monstre marin gargantuesque, que le capitaine et son équipage avaient réussi à terrasser au cours d’une bataille navale mémorable.

    -Peu importe ce qui se passe, ou ce qui a pu se passer. Je suis et je resterai le capitaine de cet équipage. Avec tout ce que cela implique. Est-ce clair, Mousch ?

    Ces sabres étaient comme les vestiges d’une histoire lointaine, d’une époque particulièrement lointaine… comme une vie antérieure, à la manière d’une existence depuis longtemps révolue. Elle avait marqué, comme beaucoup d’autres, ce qui correspondait au zénith de l’équipage des Cracheurs. Ces derniers mois, les deux sabres jumeaux étaient restés aussi enfermés que leur maître. Complètement laissés à l’abandon, c’est Mousch qui les avait gardés et entretenu, bien à l’abri, par simple devoir envers son capitaine.

    Jamais il n’aurait cru que ces outils de mort reverraient la lumière du jour au cours de cette sombre bataille. Ni que Crachin aurait souhaité y prendre part personnellement.

    Il avait réussi la rééducation que ses médecins, enlevés sur ses ordres pour s’occuper exclusivement de lui, lui avaient prodiguée. Il pouvait marcher. Il pouvait vivre normalement, en toute indépendance.

    Mais de là à se battre ?

    L’idée lui déplaisait particulièrement. C’était beaucoup, beaucoup trop tôt, et beaucoup trop dangereux. Mais qu’à cela ne tienne : il ne tenait qu’à lui de faire en sorte que son capitaine ne courre aucun risque. Mousch était un combattant émérite, d'un genre tout particulier. Un lutteur. Son aspect de petit personnage trapu et enrobé, ses goûts vestimentaires douteux, son affection pour les amples tees shirts bleus à rayures blanches, tout lui donnait l’air d’être un pauvre petit personnage inoffensif, indigne de la moindre considération.

    Et ceci d'autant plus qu'il savait très bien se démarquer lors d'une mêlée générale.

    -HUMAN TORPEDO!

    Il fallait le voir pour le croire, mais c'était pourtant vrai: à peine arrivé devant un combattant adverse, le majordome de Crachin l’avait immobilisé d’une clé à la gorge, puis empoigné le torse, soulevé à bras le corps, et lancé comme une javeline en direction de ses ennemis. A deux reprises, il réitéra sa technique. Mais la troisième fois, ça ne fut pas un marine, qu’il attrapa. C’était un de ses propres compagnons qu’il utilisa comme projectile humain. Loin de s’en offusquer, l’homme-torpille profita de son nouveau statut pour porter une attaque fulgurante à ses adversaires.

    Sans s’interrompre, Mousch continua à dégager quiconque approchait trop près de lui. Cette fois, il ne se donna même pas la peine de viser correctement : l’homme qu’il éjecta fut envoyé par-dessus bord, tout simplement.

    -HUMAN SHURIKEN !

    Santa Klaus fut particulièrement surpris de voir un homme lui débouler dessus, bras et jambes écartés, à la manière d’une étoile ninja surdimensionnée. D’un bras, il intercepta le pauvre marine envoyé de la sorte, et reposa le personnage balbutiant au sol, sans être vraiment sûr que ce dernier puisse se tenir droit.

    Mousch était particulièrement dangereux, cela ne faisait aucun doute. La facilité avec laquelle il pouvait éjecter ses adversaires par dessus bord faisait de lui le plus à même d'influer sur le cours du combat. Il avait beau être moins fort que Crachin ou Santa, son art restait autrement plus performant que leurs répertoires dans cette situation.

    Et c’est bel et bien pour cette raison que le duo de chasseurs de primes, Elizorabeth et Sir Arno de Belgerak, décidèrent d’approcher le vénérable Santa Klaus.

    Il fallait faire quelque chose.

    Et ils avaient un plan.

    Mais pour le réaliser, ils auraient besoin de son aide.

    Ce plan partait d’un simple constat. A chaque fois qu’il empoignait quelqu’un, le majordome du capitaine Crachin s’immobilisait pendant plusieurs secondes. C’était parfaitement normal, mais c’était une faiblesse et une opportunité que le duo de magouilleur sentait bien qu’il fallait exploiter.

    -Êtes-vous prêt?
    -Ho! Ho ! Ho ! Absolument.
    -Très bien. Rakrakrakrakrakrak. Et n’oubliez pas. Si notre plan tourne mal, vous serez contractuellement tenu de prendre en charge  l’ensemble de mes…

    TRIPLE SPECIAL : SANTA SHARK CANNONBALL !!!

    Il n’eut pas le temps de finir sa phrase. Tenu et propulsé à bouts de bras par sa chère et tendre ainsi que par son nouvel allié, Sir Arno avait accepté une nouvelle fois de faire office de ballon de baudruche militarisé. Cette fois, ils le lanceraient tous les deux en même temps. Sans surprise, les trois partenaires avaient décidé de prendre pour cible la principale menace du moment, à savoir Mousch.

    Le Requin fusa donc vers le dernier lieutenant de Crachin, la gueule grande ouverte, prêt à le mutiler mortellement à l'aide de sa dentition hors du commun. L'humain ne se laissa pourtant pas faire, et attrapa la tête de Belgerak juste avant qu'il ne puisse accomplir sa sinistre besogne. Le choc de l'impact fut tel que les deux combattants partirent à la renverse, dans un roulé-boulé favorisé par leurs embonpoints respectifs, jusqu'à finalement atteindre et pulvériser la rambarde du galion.

    Un instant de plus, et ils finirent à la mer, ensemble.

    Sur le pont du navire, on les regarda passer en ouvrant de gros yeux. Lorsque le grand splash aquatique retentit, tout le monde marqua dix secondes de silence. Un silence qui fut rapidement interrompu par le rire éclatant, vorace, pratiquement fou, du majordome de Crachin.

    -Hahaha haha! Un chasseur de primes... Arno, hein? J'aurais jamais cru me faire éjecter comme ça!
    -Je me nomme Sir Arno, rien d'autre, Monsieur!
    -Hahaha haha! Eh bien, Sir Arno, vous n'avez pas la moindre idée du pétrin dans lequel vous vous êtes fourré!
    -Vous voulez rire? Nous sommes en pleine mer, et je suis un homme-poisson!

    Le chasseur de primes disait vrai. C'était du moins le point de vue de chacun de ses alliés. Mais les compagnons du pirate, eux, savaient pertinemment dans quel guêpier le chasseur de primes venait d'atterrir.

    C'était pire qu'un guêpier. C'était un banc de poissons. Tout un élevage de requins.

    Vous souvenez-vous de la raison pour laquelle aucun civil n'avait tenté de quitter l'île a l'improviste, que ce soit en barque ou à la nage? Pourquoi les plongeurs de la marine avaient eu toutes les peines du monde à s'introduire sur Panpeeter?

    C'était la faute de toute une bande de requins marteaux, élevés par la bande d'un ancien pirate solitaire qui s'était rattaché à l'étendard des Cracheurs, et assez bien dressés pour patrouiller le long des berges de l'île. Tout ça s'était fait à l'initiative d'un seul homme, un confident du capitaine.

    Cet homme, c'était Mousch.

    En dépit se son air bonhomme et débonnaire, il était l'un des rares humains, sur les mers du Nord, à pouvoir nager au beau milieu d'une horde de requins marteaux sans se sentir menacé le moins du monde.

    Ça n'était pas par hasard, qu'il soit devenu un formidable lutteur, un spécialiste du combat à bras le corps. Son véritable champ d'expertise était et resterait avant toute chose la lutte sous marine. Une compétence nécessaire quand on devait parfois en arriver aux mains avec des requins en phase d'apprentissage.

    Sir Arno avait beau être dans son élément, il n'était nullement assuré de remporter la victoire dans ces eaux troubles.

    Ni même d'en réchapper vivant.

    *
    *     *
    *

    La bataille commençait à prendre une tournure dangereuse, remarqua sombrement Crachin. Avec Mousch temporairement hors jeu, les pluies de marines qui se renforçaient ponctuellement, et les navires militaires qui ne cessaient de se rapprocher, il y avait maintenant un risque que les choses aillent pour le pire.

    Il avait décidé de prendre les devants en envoyant ses deux galions en direction des bâtiments du colonel CAPSLOCK. Maintenant que le navire de la traîtresse était cloué sur place, leur présence ici n’était plus nécessaire. Ce qu’il fallait, c’étaient qu’ils interceptent et engagent le combat contre les marines. Et que lui-même mette rapidement la main sur son fruit du démon. Une fois cela fait, ils n’auraient plus qu’à prendre le large.

    Mais avant cela, il y avait une dernière chose à faire.

    -Crachin ! J’aurais ta tête et tes jambes de bois !, s’exclama Satomaru en approchant. Soldats, on charge, on les enfonce !

    Sabre au clair et bien tendu, le sergent se tenait maintenant tout près du fléau de Panpeeter, avec pour ultime obstacle un cordon formé par la garde prétorienne du capitaine Crachin. C’était ces mêmes hommes qui avaient fait office de compagnons de jeu pour la petite et terrifiante Kahlia. En cet instant, pourtant, ils n’avaient plus rien des bouffons qu’ils avaient pu être en compagnie de la fillette. Leurs aptitudes au combat faisaient honneur à leur rang au sein de l’équipage, et c’est avec une poigne de fer qu’ils tenaient à l’écart quiconque menaçait leur capitaine.

    Et malgré cela, leur rempart fut bien vite ébréché par Santa Klaus, qui avait décidé de s’inspirer des méthodes de Mousch en soulevant un pirate qu’il lança sur l’élite des pirates. Ces hommes ne se laissèrent pas déconcerter ; bien vite, ils commencèrent à repousser leurs adversaires, qui avaient tenté de s’engouffrer dans la faille de leur cordon. Mais pas sans laisser passer un homme, Satomaru, qui plongea sur la première opportunité.

    Il n’était pas là pour se battre avec eux. L’homme qu’il voulait, c’était Crachin, et il venait précisément de l’atteindre.

    Le sergent dévisagea sa cible en la toisant malicieusement, l’air mauvais. C’était un infirme, moins qu’un boiteux, un amputé. Une proie facile. Avec l’assurance qu’il n’aurait pas le moindre mal à le renverser, Satomaru lui asséna un coup fracassant. Sans surprise, Crachin n’avait pas les moyens d’esquiver, et fut contraint d’encaisser le choc de plein fouet. Il ne vacilla pas, pourtant. Bien au contraire. Il ne lui fallut qu’un instant pour que le sabre de Satomaru s’élève haut dans les airs, arraché par les deux armes du pirate. Par pur réflexe, le sergent se jeta en arrière, et évita de peu de se faire pulvériser dans l’instant qui suivit.

    Crachin avait attaqué de ses deux bokken, et essayé de prendre en tenaille le visage de son adversaire. Si l’attaque avait réussi, le crâne du marine aurait connu le même sort qu’une noix qu’on éclatait pour en manger le fruit.

    Avant même que le sergent ne puisse se relever, Crachin s’avança de quelques pas saccadés dans sa direction. Même s’il ne se mouvait pas de façon naturelle, le pirate maîtrisait parfaitement ses appuis. La puissance de ses attaques en témoignait, et les armes qu’il maniait en profitaient pleinement. Les sabres du capitaine ne pouvaient pas trancher ; les blessures qu’il infligeait étaient infiniment plus dangereuses et difficiles à guérir qu’une simple entaille. Il s’agissait d’os brisés, d’hémorragies internes, de chocs assez violents pour traumatiser durablement les muscles de ses victimes. On ne subissait pas de telles attaques sans en garder des séquelles durables.

    Pour sa part, Satomaru eut la chance de s’en tirer avec de simples côtes brisées. Le pirate l’avait fauché d’un grand coup de sabre dans le flanc, et l’aurait bientôt terrassé si deux autres marines ne l’avaient pas distrait. Rapidement, Crachin dû reculer. C’était maintenant quatre adversaires qui lui faisaient face. L’humandrill, Elizorabeth elle-même finit par lui bondir dessus, avant d’être dégagée par tout un groupe de pirates qui encadrèrent leur leader. Et bien vite, le combat redevint une véritable mêlée générale, à l’intérieur de laquelle personne ne pouvait espérer mener un duel et prendre l’avantage sans être perturbé par un opportuniste adjacent.

    A l’initiative du sergent, les forces marines ne cessaient de se rallier afin de charger en direction du capitaine des pirates. Face à eux, les spécialistes de Crachin déployaient toute leur ingéniosité pour escorter de leur mieux leur leader, qui était, malgré son handicap, une force parfaitement à même de condamner à mort quiconque tentait de l’affronter. Leurs interventions continues permettaient à Crachin de se concentrer exclusivement à ses combats, et lui-même s’efforcer de ne tailler que des morceaux de choix.

    Le pirate en était maintenant aux prises avec l’humandrill et Santa Klaus, qu’il espérait terrasser rapidement pour démoraliser l’ensemble des forces adverses. Ce ne serait plus très long. Même s’il ne connaissait rien de lui, il sentait bien que Klaus avait joué un rôle dans toute cette histoire. C’était lui qui l’avait alpagué au début du combat. Et il n’avait vraisemblablement rien d’un fanfaron.

    Et même si c’était le cas, il n’aurait plus jamais l’occasion de fanfaronner de toute sa vie. Le colosse musculeux était à bout de souffle, meurtri, épuisé par les combats qu’il avait mené avant de s’opposer à lui. Et c’était tant mieux, se félicita sombrement Crachin. Car la femme-singe était en pleine forme, et lui n’avait pas de temps à perdre.

    D’un coup de sabre, il força cette dernière à se replier loin de lui, en direction d’un de ses protecteurs qui comprit à quoi il voulait en venir. Le subordonné se chargea de poursuivre Elizorabeth, laissant ainsi à Crachin le temps de s’occuper pleinement de Santa.

    Une première attaque foudroya l’épaule gauche du vénérable bienfaiteur ; d’autres suivirent, et l’auraient tué net s’il n’avait pas eu la chance et la présence d’esprit d’attraper les lames jumelles en plein vol.

    Le choc avait été terrible pour ses poignes, mais Santa tenait bon. Crachin était immobilisé. Et incapable de se libérer, étrangement.

    Ses jambes de bois. Il n’avait pas les appuis nécessaires pour remporter une telle épreuve de force. Et encore moins face à un adversaire tel que le sien.

    Mais les forces du Chevalier de Nowel déclinaient à vu d’œil. Suffisamment pour que le capitaine des pirates décide de forcer l’assaut. L’autre finirait par plier.

    C’était une évidence qui n’échappa à personne. Quelques-uns de ses alliés tentèrent de venir à son aide ; et ceux-là furent repoussés largement par les protecteurs de Crachin, qui redoublèrent d’ardeur au combat. C’étaient comme s’ils étaient galvanisés par la victoire de leur leader. Et pire encore. Les gardes d’élites du pirate avaient compris ce que leur capitaine allait faire. Une mise à mort. Un exemple public. Ses sabres contondants pouvaient décapiter un homme avec la même facilité qu’une guillotine. L’ouvrage était tout simplement… un peu moins propre.

    Eux n’avaient plus qu’à lui laisser de l’espace, à préparer la place centrale autour de laquelle tous pourraient assister à l’exécution du quarantenaire.

    Il était fort comme un bœuf, et bâtit comme un ours. Mais son cadavre n’en serait que plus terrifiant.

    Santa Klaus était mort.

    Ou tout comme.

    Déjà, il commençait à ployer sous la force de Crachin.

    Lâcha Sokka-Marru, l’arme gauche du pirate, pour empoigner à deux mains l’autre sabre.

    Son corps tout entier trembla de plus belle, en réponse à l’effort monstrueux qu’il lui restait à fournir.

    Mais il trembla…

    De moins en moins.

    Ses forces déclinaient pour de bon. Littéralement. Lui qui était pourtant si grand, n’avait jamais semblé aussi petit qu’en cet instant. Epuisé, en sueur, tout recroquevillé contre le sabre monstrueux qui ne tarderait plus à lui porter le coup fatal.

    Les pirates savaient à quoi s’attendre. La décapitation. Certains se mirent à sourire, d’autres regardèrent avec impatience. Un sentiment de victoire, aussi petite soit-il, résonna dans leurs rangs. Vaincre Santa constituait une étape, un simple petit pas, vers la victoire finale. Leur allégresse était évidente, et particulièrement sinistre.

    Crachin poussa un rugissement victorieux en voyant son adversaire poser un genou à terre. A ce seul son, tout le monde arrêter de combattre pour regarder dans leur direction.

    Ce ne serait plus très long.

    Et c’est alors que Satomaru décida de recourir à l’une des armes secrètes qu’il avait déjà employé, un peu plus tôt, lors de la reconquête de Varedas.

    -HHHHHHEEEEEEEEEEEEEEEEEEEPPPPPPPPPPPPP, VOTRE ATTENTION S’IL VOUS PLAIT, BANDE DE TROUS DU CUL SCORBUTEUX !

    Il se redressa malgré sa blessure, et intima à ses hommes de se tenir prêts. Ils devaient à passer à l’action tous ensembles, à l’unisson, sans quoi rien ne pourrait se faire ; c’était une condition indispensable à l’efficacité de leur manoeuvre.

    L’idée n’était pas la sienne, en vérité. Et pour cause : elle était incroyablement stupide. Elle aussi venait, sans surprise, du jeune Dogaku. Il n’avait fallu qu’une vingtaine de minutes au blondinet pour faire sa part du travail. Le reste avait été confié au maire d’Oredas, l’homme qu’ils avaient libéré.

    Et le résultat… était ceci :

    ♪ Mon Beau Sapin ♫

    Mon gros Crachin, face de goret
    T’es vraiment une raclure
    Faut pas être fier, t’es un boulet
    Et sans tes jambes, t’es sûr de perdre
    T’es sot Crachin, presque simplet
    Dans ta mauvaise posture

    Déjà perturbé, le capitaine des pirates cessa de forcer pour écouter l’étrange cantique qu’on lui faisait là. C’était juste…

    N’importe quoi.

    Jamais Satomaru n’aurait cru voir ses hommes chanter comme des fillettes, et encore moins être celui qui les exhortait à le faire. Et pourtant ! C’était extrêmement plaisant, compte tenu de ces circonstances.

    Le premier couplet était insultant, et il s’en réjouissait. L’idée sur laquelle était parti Sigurd était tout simplement de démoraliser les rangs des pirates, et pour ceci, rien ne valait de beaux chars de guerre artisanaux chargés de protéger les rangs de chorales entières dédiées à de l’ad hominem en bonne et due forme. Les cantiques originaux étaient parfaitement connus de tous, évidemment, et chanter sur ces airs était d’une simplicité enfantine. A partir de là, il avait suffi d’un groupe de volontaire à l’écriture bien lisible pour dupliquer le manuscrit original en suffisamment d’exemplaires pour diffuser ces hymnes dans les différents foyers de résistants de l’île. Pendant la reconquête, ils avaient été largement employés par les combattants, tant civils que marines, jusqu’à parvenir dans les oreilles de tout un chacun.

    Restait néanmoins que le premier tir de Dogaku ne reposait aucunement sur ce que Santa considérait relever de l’Esprit de Nowel. Insulter un homme, aussi vil et malfaisant soit-il, était indigne de ce que le vénérable vieillard attendait et exigeait de ses Chevaliers. Un sentiment qui était partagé par de nombreuses personnes ayant commenté le prototype du cantique revisité. Luan, notamment, avait spécifié qu’elle ne pouvait décemment pas chanter sur ce couplet.

    Eh bien qu’à cela ne tienne, avait répliqué le jeune homme. Ses talents de cruciverbiste aguerri lui permettaient de s’adapter très rapidement, comme en témoignait le second couplet.

    Tant que Nowel, Santa et nous
    Sommes tes adversaires
    Méchant Crachin, c’est à genoux
    Que tu finiras face à nous
    Toi que Nowel, Santa et nous
    Avons juré de défaire

    Crachin n’en revenait pas.

    Cette fois, d’autres voix s’étaient élevées haut dans le ciel. Elles provenaient du navire de Grenadine, où plusieurs personnes s’étaient jointes à la chorale des marines. La gentillesse désarmante de Sekihara combinée à l’autorité artificielle de Jorgensen avaient conduit tous les renégats de l’informatrice à coopérer, sans réellement comprendre de quoi il en retournait. Il s’agissait d’un piège, leur avaient-elles dit, d’un artifice pour tromper la vigilance de la marine, et pour pousser le capitaine Crachin à puiser dans ses ultimes réserves de force pour donner le meilleur de lui-même. Car c’était bien connu : un homme tel que lui, aculé au pied du mur face aux pires difficultés du monde, n’en devenait qu’infiniment plus dangereux,  l’image d’une bête féroce.

    Et c’est ainsi que tous en cœur, marines, civils, et même pirates inconscients scandèrent l’un des hymnes qui avait déjà retenti des dizaines et des dizaines de fois sur toute l’île, lorsque les forces civiles alliées aux commandos de la marine avaient frappé vite et fort pour récupérer leurs terres.


    Toi vil Crachin, et tes valets
    Vous êtes d’odieux personnages
    Des hors la loi, vous êtes l’abcès
    De la constance et de la paix
    Ce pôv’ Crachin, et ses laquais
    Cesseront leurs outrages


    A ce stade, Santa pouvait déjà sentir les encouragements de ses pairs revigorer son corps. Il était fatigué, oui, et même particulièrement éreinté. Il avait reçu plusieurs mauvais coups, tant lors de la mêlée que dans son duel présent, et ce combat n’était que le terme d’une longue série d’épreuves qui avaient duré plusieurs jours. Et pour autant, il sentait ses forces revenir, s’affermir, se décupler bien au-delà de ce qu’elles n’avaient jamais étés. Entendre ces voix le motivait à prolonger le combat, inspirait son être tout entier à se donner pleinement dans son duel. Les coups qu’il échangeait avec le capitaine Crachin se faisaient de plus en plus toniques, tandis que lui-même fredonnait à l’unisson avec les voix qui le soutenaient. C’était bien ça, oui.

    Il ne pouvait pas abandonner.

    Il ne pouvait pas perdre.

    Il était Santa Klaus.

    Il était l’envoyé de l’Esprit de Nowel, le messie du douzième mois, le grand bienfaiteur au cœur d’or et à l’âme magnanime, l’entrepreneur paternaliste de la Santagricole, l’homme que le sort, le hasard et le destin avaient choisi pour devenir le fondateur de l’Ordre des Chevaliers de Nowel.

    Lui, qui avait failli tout perdre au terme d’un terrible accident personnel, et qui avait décidé de dédier sa vie aux autres, au retour de son long sommeil comateux.

    Lui, qui n’était peut-être bien qu’un pauvre fou vieillissant, sénile bien avant l’heure, en pleine crise identitaire de la quarantaine, ce dont plusieurs de ses alliés du moment étaient définitivement convaincu.

    Lui, qui était devenu, par la force des choses, l’incarnation de l’espoir pour une frange non négligeable de la population de cette île tourmentée par les pirates. Il en avait parfaitement conscience, et s’était fait un devoir absolu de ne pas les décevoir.

    Il leur avait demandé de lui faire confiance, après tout. Et de se ranger à ses coté. Ce qu’ils avaient tous fait, tour à tour, et ce en dépit de toutes leurs réticences. Chez certains, les signes de désaccords étaient réguliers, et bien souvent pertinents. Tant chez ses Chevaliers que chez ses alliés temporaires.

    Malgré cela, ils  avaient toujours fini par coopérer… bon gré mal gré. Parfois, leur doutes les dissipaient, et donnaient lieu à de tristes résistances.

    Des résistances qui avaient parfois fait de la peine à la sensibilité du valeureux bienfaiteur, même s’il n’en avait rien montré.

    Et c’est pour cette raison que ce qui allait maintenant arriver allait bien au-delà de toutes ses espérances, même les plus folles. Jamais, même lui, n’aurait envisagé quelque chose comme ça.



    -ET MAINTENANT, LE GRAND FINAL ! TOUT LE MONDE EST PRÊT ?



    Le quarantenaire pu reconnaître distinctement la voix de son spécialiste militaire, amplifiée par un porte-voix, s’adresser à tous leurs partisans. Et dans cette voix, il y avait un quelque chose de jouissif qui trahissait un autre chose d’indéfinissable. C’était un cri plein d’entrain, un cri victorieux, qui présageait quelque chose de gros, et dont il se sentait particulièrement fier.

    Il s’agissait d’un chant de Nowel, l’un des nombreux préparés par Sigurd, et qui avaient tous vocation à servir d’hymne de ralliement pour ceux qui se faisaient nommer les Santamarines, ainsi qu’à leurs alliés. Mais bien au-delà de cela, celui-ci était un chant tout entier consacré à…

    Santa Klaus, en personne.

    -SATO’, QUAND VOUS VOULEZ ! IDEM POUR VOUS, LES AUTRES ! JE COMPTE JUSQU’A CINQ, ET…QUATRE ! TROIS !...

    Cette fois, Satomaru leva les bras pour diriger ses hommes, avec un large sourire goguenard qu’il n’était pas le seul à afficher. A quelques dizaines de mètres de là, sur le navire de Grenadine, les Chevaliers de Nowel et leurs alliés de fortune gonflèrent le torse avec la même joie et le même entrain victorieux.

    Mais le clou du spectacle, le véritable coup de grâce, c’était la foule de personnes qui s’était rassemblée sur le port de Varedas, et qui regardaient tous en direction du navire de Crachin, où avait lieu le combat final.

    Eux aussi, allaient chanter.


    ♪ Vive le vent ♫

    Combattons Crachin
    Et sa triste vengeance
    Suivons la barbe blanche
    Du plus grand héros de demain!
    Il va en le bravant
    Sans peur et il s'avance
    Sa hotte se balance
    Nous guidant face à ces brigands!

    [Refrain]
    Oh, il est temps, habitants, d'l'île de Panpeeter!
    De combattre les méchants
    Il faut sauver vos terres
    Oh! C'est l'instant, maintenant,
    Pour tout Panpeeter,
    De bouter tous ces forbans
    D'un bon coup dans l'derrière!


    Une voix seule ne pouvait en aucun cas espérer porter aussi loin vers la mer sans entraînement ou aptitude particulière. Mais plusieurs centaines de voix, appartenant à peut-être même près d’un millier d’âmes qui se tenaient toutes ensembles sur la jetée, pouvaient réussir un tel tour de force. Et c’est bel et bien ce qui se produisait en cet instant même : entre l’ensemble des alliés et amis qu’ils s’étaient faits sur l’île, les marines introduits sur Panpeeter et ayant pris part à la reconquête de sa ville principale, et leurs lots de civils libérés qui s’étaient joints au chant pour l’occasion, il y avait là de quoi assembler un tel chœur. Les maires des principales villes de l’île, et en particulier l’homme qu’ils avaient sauvé, s’étaient engagés à soutenir les Chevaliers de Nowel en faisant de leur mieux.

    Ils avaient clairement tenu leur parole.

    Sur le galion des Cracheurs, la situation semblait maintenant parfaitement irréelle. Parmi les pirates, ce fut l’incompréhension totale. Sur le visage de Crachin, un agacement profond. Et dans le cœur de Santa, c’était tout simplement l’Esprit de Nowel. Tant de personnes en train de chanter à l’unisson, et de chanter pour lui ! Il n’avait jamais vécu ça. L’émotion qui le traversait était l’une des plus pures qui pouvaient se faire. Le maître de l’Ordre était submergé par quelque chose qui allait bien au-delà de la joie.

    C’était, comme nous l’avons dit, l’Esprit de Nowel. Il s’agissait de faire le bien, et de donner de soi aux autres. Et en l’occurrence, c’était un grand nombre « d’autres » qui se donnaient à lui. Et qui lui faisaient le plus grand bien du monde.

    Pour la première fois depuis le début du combat, Santa Klaus laissa tinter son bref rire caractéristique. « Ho ! Ho ! Ho ! ». Un rire qui trouva son écho dans le fracas des canons de la marine, mais aussi dans les cris de tous ces soldats qui reprenaient tous en cœur le célèbre refrain de Vive le vent d’hiver. Même eux, s’étaient mis à chanter en son nom.

    Un honneur qui appelait à ce qu’il donne encore un peu plus de lui-même. Mû par ses sentiments, l’Envoyé de Nowel se redressa d’un coup brusque, désarmant Crachin d’un sabre par la même occasion. Le pirate tenta bien de riposter, mais trop tard ; un poing d’une force terrifiante s’abattit de plein fouet sur son visage, le désarçonnant bien assez pour que Santa puisse l’attaquer à nouveau. En un coup sec, le pirate fut délesté de son arme, puis méticuleusement fracassé par son adversaire.

    L’assaut du Chevalier de Nowel ne dura que dix secondes, suite à quoi Crachin fut envoyé à terre d’un simple coup de manchette, asséné sur l’occiput.

    Santa Chop.

    En recevant l’attaque, le pirate poussa un long gémissement tortueux. Un cri incompréhensible. Un hurlement de surprise, d’injustice, de haine et de douleur mêlée ensemble.

    Mais pratiquement personne ne l’entendit. Entre les chants de Nowel et les exclamations d’allégresse qui retentissait aussi sûrement que des feux d’artifices, plus personne ne pouvait l’entendre.

    Les pirates étaient encore nombreux. Et pourtant… pas un seul d’entre eux ne daigna faire un geste. Ils ne savaient plus quoi faire. Ils étaient perdus.

    Et il n’y avait plus qu’un seul homme pour les sauver.

    Santa Klaus, lui-même.

    -Ho ! Ho ! Ho ! Ecoutez-moi !, s’exclama la voix éraillée du vainqueur. Je vous jure… je vous assure… je vous promets de veiller personnellement à ce qu’aucun mal de vous soit fait si vous rendez les armes aujourd’hui !
    -Vous déconnez ?!, s’exclama Satomaru.
    -SERGENT !
    -Euh… je veux dire… pourquoi pas, ouais… genre.

    Crachin était tombé. Mais tout n’était pas encore fini. Ses hommes étaient encore présents, et en force.

    Restait à savoir s’ils décideraient de combattre encore, ou de se rendre.






    Spoiler:


    Dernière édition par Sigurd Dogaku le Lun 29 Sep 2014 - 20:19, édité 1 fois
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    Deuxième RP, cf ci-dessus, pour info.


    La situation était vraisemblablement sous contrôle. A bord du navire, les pirates s’étaient repliés pour mieux se concerter. Au large, les bâtiments de la marine avaient eux aussi cessé leur combat contre les deux autres galions. Tout ce petit monde s’entretenait, faisait le point sur la situation, et priait de toutes ses forces pour avoir une chance de s’en sortir malgré tout au cours des heures qui viendraient.

    Le fracas de la bataille était retombé, mais la tension était encore particulièrement palpable. Interrompre une bataille toute entière de la sorte n’avait rien de naturel, et encore moins de confortable. Et pourtant, ce n’était que de cette manière que la meilleure issue pourrait arriver.

    Les civils présents étaient tout particulièrement affectés par l’étrangeté de leur situation.

    Mais pour la majorité des éléments de la marine, tout ça n’avait rien d’inhabituel. Certains, comme Satomaru, trouvaient même le moyen de laisser leur bonne humeur habituelle.

    Il avait un nouveau jouet à sa disposition, après tout. Le capitaine Crachin.

    -Eh, connard, tu sais ce que y’a écrit sur ta prime ? MORT OU VIF !

    Ce faisant, le marine lui décocha un fabuleux coup de pied au visage, alors même que son adversaire était à terre. Crachin se retourna en hurlant de douleur, sursautant comme un condamné à l’électrocution, le visage marqué à vif par la semelle rugueuse qui lui mordit les chairs. Complètement impuissant, il se recroquevilla pour se protéger d’autres attaques, misérable qu’il était.

    C’était fini pour lui. Les marines avaient gagné. Pour lui, il n’y avait pas d’autre avenir que sur l’échafaud.

    Peut être que ses hommes pourraient survivre. A moins que tout ça ne soit qu’un redoutable piège qui les engloutirait tous.

    -EH, CONNARD. Juste une question, parce que c’est quand même franchement inhabituel. Qu’est-ce qui peut trotter dans la tête d’un bousier dans ton genre pour décider d’organiser le plus gros massacre possible sur une île, comme ça ?

    Il s’en fichait. Au point où il en était, la mort était peut être bien la meilleure des choses à faire. En l’état, il se sentait déjà mort. Fini.

    Si le sort ne s’était pas autant joué de lui, il ne faisait aucun doute qu’il aurait pu, qu’il aurait su tracer son chemin sur la route de tous les périls, et obtenir du monde une existence de gloire et de joies.

    Il était si bien parti que les choses n’auraient pas pu se dérouler autrement.

    Il aurait pu tout avoir, et avait tout perdu.

    Et quelque part au fond de lui, un monstrueux sentiment d’injustice refusait d’accepter ça. Les choses n’auraient jamais du se dérouler ainsi. Le jour où ses jambes avaient été tranchées était le jour où le monde entier l’avait trahi.
    Le jour où il avait ordonné la prise de Panpeeter était le jour où lui-même avait décidé de se venger du monde.

    Et c’était toujours le cas. Tout ça ne changerait pas.

    -Crachin ? Je te parle !, continua Satomaru en le bousculant à nouveau. EH, A QUOI TU JOUES ?

    Sans même s’en rendre compte, le pirate avait attrapé la botte du sergent. Même s’il avait abandonné, même s’il était à bout de force, se faire maltraiter de la sorte restait désagréable.

    D’un simple mouvement, le plus simplement du monde, il repoussa la jambe de Satomaru en envoyant valdinguer ce dernier trois mètres plus loin.

    Ce qui était impossible, remarqua-t-il.

    Le marine hurla. A son seul cri, ce fut bien cinq soldats différents qui s’élancèrent contre Crachin, pour le maîtriser à nouveau.

    Il ne bougea pas.

    Il était épuisé… ou du moins, il l’avait été quelques minutes auparavant. Mais plus maintenant. Il n’avait plus mal. Il ne sentait plus rien. Il se sentait comme mort, maintenant plus que jamais.

    Et pourtant, il recroisa les jambes sans le moindre mal, et se redressa tranquillement. Les soldats aux prises avec lui ne parvinrent pas à le maîtriser. Bien vite, ils s’écartèrent sans même qu’il ne les frappe, en vitesse et en criant.

    C’était…

    Impensable.

    Crachin.

    Crachin irradiait maintenant d’une aura lumineuse. Une aura couleur d’or. Lui-même ne tarda pas à s’en rendre compte. Il ne comprit pas tout de suite de quoi il en retournait. Il n’en avait pas besoin. Il ne comprendrait tout ceci que bien plus tard, dans quelques mois, lorsqu’il rencontrerait un homme capable de lui expliquer ce qui s’était passé.

    Au bord du gouffre, poussé dans ses ultimes retranchements, le capitaine Crachin venait de s’éveiller au pouvoir des héros. Pour la fraction d’humains initiés au dialecte des sphères réduites, cette puissance quasi divine ne se nommait plus que d’une seule manière. Le haki.

    Pour le commun des mortels ?

    C’était l’une des plus pures manifestations de tout ce qui ne devait pas exister.

    Le sergent Satomaru poussa un cri. A son commandement, tous les marines déchargèrent leurs armes sur le dieu vivant, Crachin. En pure perte : les quelques balles de plombs qui firent mouche s’écrasèrent sur son torse sans même le faire tressaillir. Le pirate lui-même ne comprenait plus ce qu’il se passait. Sa carapace surnaturelle vibrait au rythme de sa respiration, lui procurant des sensations inédites qui ne ressemblaient à rien de connu. Il se sentait bien, maintenant. Ce n’étaient pas les pulsations d’énergie régulière, ni ses relents de vigueur infinies qui attiraient le plus son attention. Le haki l’enveloppait de toute une tiédeur, chaleureuse et bienveillante, qui lui procuraient un bien être tel qu’il n’avait plus ressenti depuis une éternité.

    Il était là, et il existait. Il baignait tranquillement dans la douce lumière des rayonnements du soleil, et l’air marin lui faisaient le plus grand bien. Son environnement prenait d’autant plus d’importance à ses yeux que les autres lui paraissaient maintenant évoluer au ralenti. Ils étaient tous là. Mais ils étaient tous désespérément lents.

    Crachin pouvait très distinctement ressentir les flux d’énergie qui le traversaient, et ces relents de puissance lui hurlaient tous qu’il n’avait plus le moindre souci à se faire. Tant qu’il écouterait sa rancoeur, il serait et il resterait invincible.

    Et c’était bien là ce qu’il comptait faire. Pour ce qui lui semblait être la millième fois depuis son accident, sa détermination se raffermi. Mais cette fois, ses chances de succès ne lui paraissaient plus aussi minces, et le plan désespéré qui l’avait mené jusqu’à cet instant bien précis ne lui semblait plus le moins du monde relever du domaine de la folie.

    Il pouvait le faire. Et il en avait largement les moyens.

    Cette seule pensée lui éclaira le visage. C’était de la joie.

    L’âme en paix, l’esprit tranquille, prêt à se réconcilier avec le monde, Crachin se sentait plus calme et détendu qu’il ne l’avait jamais été. Et c’est le plus sereinement du monde qu’il décida tranquillement de donner la mort à ceux qui se dressaient maintenant face à lui. Quelque chose en lui résonna au contact de cette simple pensée. Son haki, peut-être. Son aura aurifère s’intensifia distinctement. L’air tout entier sembla réagir à sa prise de décision.

    Les autres aussi, en vérité. Qu’ils soient pirates ou résistants, tous ressentirent l’intention meurtrière du Capitaine Crachin, et pas un seul n’y resta indifférent. Certains en eurent la chair de poule. D’autres furent pris d’un sentiment de malaise intense, conscients d’être en présence d’un être infiniment plus fort que ce qu’il devrait être possible, et tout entier consacré à leur destruction.

    En cet instant, pourtant, il se trouvait encore deux personnes assez insensées pour oser faire quelques pas dans sa direction. Santa Klaus et le sergent Satomaru restaient tous deux prêts à en découdre. En ce qui concernait l’officier militaire, il était évident que celui-ci était particulièrement affecté. Malgré sa blessure, il s’avança prudemment de quelques pas, talonné par l’impressionnant colosse des Chevaliers de Nowel.

    Ce que Santa ressentait n’était pas de la peur, mais plutôt de l’inquiétude. Ou, pour être beaucoup plus précis, la peur de trahir la confiance que l’on avait mise en lui. Une dizaine de marines avaient décidé de s’avancer vers Crachin pour leur prêter main forte. Et il savait déjà qu’il ne pourrait pas tous les protéger, cette fois.

    Le pirate était devenu démesurément fort. C’était incroyable. Une sensation de toute puissance telle qu’il ne se croyait même plus humain. D’un geste, il enfonça l’un de ses sabres dans un marine prit au hasard. L’arme contondante explosa la cage thoracique du défunt qui s’effondra sur le coup, son esprit anéanti par la douleur. De sa main désormais libre, le capitaine pirate s’essaya à un second exercice. Il se dirigea vers Satomaru, et tenta de l’empoigner par le col. Ce faisant, il s’exposait complètement ; avant qu’il ne parvienne à prendre prise, le sergent lui avait asséné trois coups parfaits qui auraient pulvérisé un baril d’acier. Et face à cela, Crachin n’avait pas fait montre du moindre signe de faiblesse, même si chacun des chocs l’avait fait vaciller.

    Lorsqu’il fut pris à la gorge, Satomaru bondit en arrière jusqu’à se renverser contre le sol, proprement horrifié. L’étreinte des doigts de Crachin contre sa gorge était réellement monstrueuse ; un instant de plus, et aurait peut-être même été décapité sur le champ. Il rampa à terre, tenta de s’écarter de son mieux, mais trop tard : le pirate était déjà sur lui. Il n’allait pas tarder à…

    En fait, non.

    Le pirate disparut subitement de son champ de vision, remplacé par le torse musculeux du vénérable Santa Klaus. Celui-ci s’était élancé vers le capitaine, et l’avait littéralement arraché du sol pour l’empêcher de réitérer le pire. Fort comme un bœuf, et aussi colérique qu’un taureau, Santa n’avait aucun mal à soulever un homme à bras le corps. Les bras bien tendus au-dessus de sa tête, il exprimait son refus de voir quiconque mourir en sa présence. Supportant seul le fardeau de son colis maudit, Santa recula de plusieurs pas, sans encore savoir quoi faire de son prisonnier.

    Privé d’appui, coincés entre les bras puissants du colosse, le pirate eut toutes les peines du monde à se libérer. Deux marines s’étaient élancés vers lui : l’un lui encercla le bras, pour le forcer à lâcher son arme, et surtout, pour l’empêcher de s’en servir contre Santa. L’autre s’approcha de sa tête, et cadenassa la nuque du pirate en enroulant son bras autour. Une fois bien positionné, le marine prit appui sur Santa, se laissa basculer en arrière, et tenta d’étrangler mortellement le fléau de Panpeeter.

    Mais son poids et son énergie restaient largement insuffisants pour outrepasser la carapace protectrice d’un haki. Loin d’étouffer, Crachin pu au contraire se rétablir à l’aide de ces nouveaux supports.
    Par la seule force de sa nuque, il se contorsionna jusqu’à se retourner complètement. Juste avant qu’il ne riposte, Santa se débarrassa de lui, le lançant aussi fort que possible dans les rangs des forbans qui se précipitèrent pour le réceptionner.

    Eux aussi se sentaient pousser des ailes. Ils n’avaient pas la moindre idée de ce qui arrivait à leur capitaine, mais tous devinaient que la détresse des temps passés avait fini par faire maturer cette chose qui bouillonnait en lui. Peu importait leur opinion personnelle vis-à-vis de Crachin ; ce qu’ils voyaient représentait un espoir inouïe de pouvoir se sortir de toute cette histoire.
    Eux aussi étaient convaincus, presque assurés, que leur capitaine pouvait y arriver. Et le lui firent savoir en l’exhortant à voix haute de continuer à combattre.

    Acclamé par les siens, remis sur pied par leurs soins, le capitaine pirate s’élança vers ses adversaires en se sentant pousser des ailes.

    Les choses étaient loin d’être finies.

    Il aurait son mot à dire.

    Ce jour.

    Serait le sien.


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    Sur l’île, retentissaient encore les chants de Nowel. Tout le monde encourageait ce que personne ne pouvait voir. Les cœurs des uns et des autres battaient avec frénésie au rythme de la musique. Une extraordinaire liesse montait de tous les hommes et femmes présents pour soutenir leur sauveur, ne sachant pas, alors, dans quelle situation désespérée il se trouvait. N’ayant pas pu être témoins du renouveau du terrible Capitaine. Ne sachant pas combien le combat était dur et violent, combien il était mortel. Ne paraissait alors qu’une joie intense et débordante. Seuls les Marines qui s’occupaient de leurs prisonniers ne se joignaient pas à la foule déchaînée.

    Et un petit groupe. Ce petit groupe de chevaliers de Nowel, resté sur l’île pour éviter justement, qu’ils soient au cœur de cette violence. Et parmi ce groupe, l’un d’eux s’était arrangé pour connaître les événements en temps réel. À coups d’escaméras trafiquées. À coups de génie ridiculement placé dans la petite boite crânienne de ce petit homme difforme. Et malgré ses coups de colère incessants, cette mauvaise foi constante et son entier dévouement à sa seule et unique personne, Kalem ne pouvait pas rester en place. Il savait ce qu’il pouvait faire pour sortir tous les civils embarqués là-bas de ce pétrin. Et pour la première fois de sa vie, il allait le faire, pour aider.

    « Hum. La morveuse et mémère chignon ?
    -Oui Baleine ! S’exclama Kahlia tandis qu’Haylor le foudroyait du regard.
    -Nous allons les sortir de là.
    -Poum poum poum. On casse la gueule aux pirates ! Et j’mets un coup de poing sur le nez aux méchants !
    -Non non non non non. Hors de question. C’est beaucoup trop dangereux. Et d’abord, vous comptez les combattre avec quoi ? Avec qui ?
    -Qui a parlé de les combattre ! J’ai dit qu’on allait les sortir de là ! Pas qu’on allait se foutre sur la gueule avec ce casse-couilles de cinglé cul-de-jatte ! On prend quelques-uns de ces connards qui font la fête, on rejoint le champ de bataille en bateau, et zouh, on prend le large.
    -Rassurez moi, vous avez un meilleur plan que ça à nous proposer ?
    -Vous préférez les voir crever ? Ça tombe bien, moi aussi. Donc on ne fait rien. Mais quand ils ramèneront les cadavres, c’est pas sur moi qu’il faudra pleurer.
    -ON Y VA ! En avant les amis ! J’ai envie de revoir Louche.
    -Et comment vous comptez vous y prendre pour embarquer jusque-là bas ? Ces gens-là ne vous suivront pas. Ils ne suivent plus que leur esprit de Nowel.
    -Justement… »

    Haylor regarda Kalem, l’air circonspect. Le nain avait une idée en tête, et probablement pas des plus banales. N’empêche que ce ne serait pas elle qui réussirait à tirer quoi que ce soit de ces gens. Pas plus que la gamine surexcitée. Encore moins la mauvaise humeur maladive du nain. Pourtant, il semblait persuadé que son plan allait fonctionner, alors quoi ?

    Le nain choppa un bonnet rouge tombé à terre. L’épousseta, et se l’enfonça sur le coin de la tête. Puis, bien décidé, se hissa du mieux qu’il put en haut d’une caisse. Grâce à ça, il surplombait d’une courte tête la foule éparse qui regardait vers la mer. Il se concentra pour donner au monde un visage des moins repoussants pour quiconque le verrait. Puis il s’éclaircit la voix. Pas d’insultes, Kalem, pas d’insultes, soit aimable, pense pour un très court moment comme le vieux con débonnaire.

    « Chers habitants de Panpeeter ! S’exclama-t-il de sa voix la plus chaleureuse et la plus forte. Il s’agit aujourd’hui d’un jour mémorable, un jour fantastique, un jour que tous, jeunes, vieux, petits et grands vous garderez au plus profond de votre cœur, car c’est un jour libre. Un jour libre, mais pas seulement. Un jour de libération.
    P’tain, qu’est-ce que côtoyer ce gros tas d’idées connes ne m’fera pas dire…
    Enfin… Il s’agira d’un tel jour si tout se termine bien comme prévu ! Et ce que vous ne pouvez voir d’ici, ce qui se déroule là-bas, loin de tout regard, cette altercation entre le meilleur et le pire des hommes, je l’ai vu.
    Mes liens avec Santa Klaus sont très grands ! Qu’est-ce qu’on irait pas inventer… Je suis son premier disciple. En qui il accorde une totale confiance ; le lutin de Nowel, ainsi me connaissent les adorateurs de l’illustre Père Nowel ! Notre très cher Santa combat avec férocité un homme dont la puissance dépasse l’entendement. De plus, il est forcé de veiller sur quelques civils à bord du navire, là-bas.
    Ce sont ces gens que nous devons aller chercher, évacuer. Et si besoin, nous offriront un repos bien mérité à notre sauveur. Désormais, les forces de la Marine ont pu intervenir. Ils empêcheront toute reprise de l’île, et assureront votre sécurité.
    Ce jour ne serait-il pas noir, si notre héros à tous venait à mourir ? Il a déjà tant fait pour nous, remercions-le maintenant, habitants de Panpeeter !
    Ce que je vous demande, ce n’est pas de vous battre. Vous avez déjà trop fait de ce côté-là. Mais si quelques volontaires voulaient bien nous accompagner, moi et mes deux compagnes, membres elles aussi de la troupe des Chevaliers de Nowel, jusque là-bas pour procéder au sauvetage de ces pauvres âmes perdues au milieu des sanguinaires pirates ! Nous devons réquisitionner un navire et nous porter au secours de ceux qui nous ont secourus !
    SANTAMARINES ASSEMBLES ! »

    Kalem descendit de son caisson sous les yeux exorbités d’Haylor et la bouche et cœur de Kahlia. S’il y avait une chose à laquelle la première ne s’attendait pas du nain, c’était bien un tel discours. D’ailleurs, quiconque ayant un peu suivi la trame de l’histoire jusqu’à présent n’aurait jamais pu s’en douter.

    Les gens, désormais, discutaient entre eux. Tous voulaient suivre le lutin. C’est vrai qu’il ressemblait au Père Nowel en plus petit. Qu’il avait l’air tout aussi sympathique et débonnaire. Qu’il portait presque l’esprit de Nowel aussi bien que le sauveur de l’île. Pourquoi ne pas le suivre ? Il parlait d’aider Santa, allons-y ! En plus, il avait une espèce de gros sac sur le dos, un peu comme la hotte du patriarche. Il devait sûrement y avoir un lien très étroit entre les deux personnages.

    Kalem se devait de faire un choix, et vite. Plus ils tardaient, plus il risquait de s’être passé un drame…

    ***

    À quelques milles de là, la bataille faisait rage dans un tourbillon incessant de giclées de sang, de craquements, beuglements, déchirements. Tout tournait partout à une vitesse folle. Un vacarme assourdissant de cris de douleur et de rage gardait le navire dans une bulle immense. On tapait, cognait, mordait, taillait dans tout ce qui ressemblait de près ou de loin à un uniforme adverse. Une odeur nauséabonde de sueur et de sang envahissait l’espace, et c’était presque si en la respirant, on ne devenait pas bestial et assoiffé de sang, prêt à tout pour remporter la victoire. Et si les bataillons Marines étaient mieux entraînés, les pirates, eux, ne se souciaient guère de savoir dans quoi ils frappaient, et dans cette mêlée où l’on avait du mal à savoir qui l’on avait en face de nous, ça se révélait être un avantage majeur.

    Le regain de puissance de Crachin avait redonné espoir à ses troupes, qui se battaient désormais avec acharnement, pour sauver leur peau, et bien sûr, pour mettre la main sur l’objet tant convoité. Le fruit du démon. Le regard du Capitaine Pirate était fou ; fou de désespoir avant que ne se révèle son Haki, fou de sang maintenant qu’il tuait par dizaines. De ce regard vif et éclatant qui ne se posait que le temps de tuer, et filait vers une autre proie, suivi de près par ses bras qui semblaient irradier. Mais ce regard revenait désormais systématiquement vers les deux protagonistes qui s’étaient farouchement opposés à lui.

    Et à chaque fois, il croisait dans les yeux du grand bonhomme rouge, une détermination sans faille, un désir de vaincre, non pas par plaisir de défaire, mais pour sauvegarder la vie de nombreuses personnes. Derrière lui, le sergent Satomaru s’était relevé. Il aurait voulu remercier l’envoyé de Nowel, mais celui-ci ne l’écoutait pas, il était uniquement concentré sur l’homme qui avançait vers lui en défaisant un à un, les hommes qui lui fonçaient dessus pour ralentir sa lente progression. C’était une manœuvre de la Marine, qui envoyait quelques hommes au contact, pour avoir le temps de placer d’autres hommes en formation, derrière, qui eux, tiendraient plus longtemps, voire réussiraient à repousser un peu le titan.

    ***

    Non loin, une petite main grise et potelée agrippa le pont du navire, et hissa un corps aussi rond et gris qu’elle. Le sourire carnassier de Sir Arno avait disparu. Il semblait émerger d’une fosse de torture tant son corps était déchiqueté, attaqué çà et là de diverses morsures. Comme quoi, il ne faut jamais plonger dans un banc de requins, même quand on en est un.

    De l’autre côté du navire, remontait un Bartimeus Mousch tout aussi éreinté. Lui aussi avait été attaqué par un requin. Ce même requin dont le corps cuirassé dégoulinait d’un sang sombre. Les mâchoires avaient claqué sous l’eau, lutte et karaté s’étaient affrontés dans un déluge de courants au milieu de milliers de dents.

    Finalement, aucun des deux n’avait pu prendre le pas sur l’adversaire. Mousch était bien trop agile et protégé par ses requins, et Sir Arno se baladait dans son élément naturel, avec encore de bons restes de karaté des Hommes-Poisson. De part en part du navire, les deux adversaires se jaugeaient, affaiblis, mais encore capables de se tenir sur leurs deux jambes. Chacun désirant plus que tout défaire l’autre. Aucun des deux ne bougeait plus. Se jetant des regards haineux à travers ce vacarme.

    ***
    La fureur de Crachin s’évadait par tous ses pores de peau. Il exsudait la malfaisance et l’envie de vengeance. Il était désormais concentré sur son but direct. Celui de tuer l’envoyé de Nowel et son acolyte, le sergent Satomaru. Dès qu’il aurait atteint les deux opposants, il leur écraserait sûrement la tête d’un simple coup de pied. Bien que très forts, ceux-ci n’étaient désormais que deux vulgaires mouches qui lui taquinaient la peau et dont il devait se débarrasser pour pouvoir penser à autre chose. Son haki le rendait puissant, ultimement puissant. Rien ne pouvait l’arrêter…

    BOUM !

    Le retentissement sonore d’un boulet de canon stoppa net tout ce qui était en train de se passer autour. La seule chose qui bougea fendit l’air quasi instantanément pour aller percuter Crachin en plein dans l’estomac et le faire reculer de plusieurs mètres. Quand celui-ci réussit à stopper sa dégringolade, il regarda qui était l’émissaire du boulet qu’il s’était pris dans le ventre. Et il leva les yeux sur le joli minois d’Elie, qui le regardait durement, la main encore dirigée vers la mèche qiu fumait encore.

    « Qui es-tu ?! S’emporta Crachin.
    -C’est vrai que nous ne nous sommes encore jamais rencontrés. Barbara, enchantée.
    -Je vous aurais crue plus…
    -Douce ? Ne perdons pas de temps en jacasseries inutiles, nous en avons peu. Avant que vous ne me le demandiez, je vais vous dire pourquoi je vous ai arrêté. Je vous ai arrêté parce qu’en l’état actuel, j’étais sûre et certaine que vous résisteriez à un pareil choc. Vous nous avez montré, au cours de ce combat, combien vos pouvoirs s’étaient démultipliés. Si je vous avait vu moins fort, je crois que nous aurions changé de personne en qui faire confiance. En l’état actuel, même si vous êtes très certainement en mesure de liquider l’intégralité des personnes qui s’opposent à vous, je doute qu’il soit très judicieux de le faire.
    -Pourquoi ? En dégommant un à un ces pourritures, je mettrais la main sur ce fruit et plus rien ne pourra m’arrêter.
    -Certes. Mais vous seriez seul.
    -Seul ?
    -Regardez autour de vous. Vos hommes sont battus à plate couture par des Marines entraînés, qui usent de tactiques de combats qu’ils n’ont jamais vues, et contre lesquelles ils ne savent pas se défendre. En partant maintenant, vous cultivez l’espoir de pouvoir ressurgir plus tard, à la tête d’une armée plus grande, plus forte…
    -Mais le fruit…
    -Le fruit serait autant un don qu’une malédiction ! Mais si vous le voulez vraiment, allez le chercher et pliez bagages ! Ne vous ralentissez pas en pourfendant quiconque s’oppose à vous ! Allez droit au but !
    -Vous essayez de me doubler…
    -Quel intérêt y aurais-je ? Sans vous, je ne suis actuellement rien. J’ai beaucoup misé sur votre réussite.
    -Si jamais j’apprends que vous manigancez quelque chose derrière mon dos…
    -Oui… Nous nous reverrons Capitaine ! »

    Elie s’éclipsa. Elle ne devait pas rester trop longtemps sur le centre de la scène. Quelqu’un pourrait l’atteindre et elle ne pourrait rien y faire. Elle se réfugia aux côtés de Luan. Yoshimitsu l’avait rejointe. Il était temps désormais de trouver un moyen de s’enfuir de là. Ils étaient séparés de Sigurd par une mêlée de combattants, bruyante et odorante, un mélange d’odeurs et de bruits déplaisant. Jamais ils n’oseraient traverser la zizanie tumultueuse de Marines et Pirates. Et plus ça allait, plus Sigurd s’éloignait, repoussé par les rangs sauvages et indisciplinés.

    Derrière lui, dans la cabine, un pirate de Crachin s’infiltra, se glissant jusqu’au coffre qui contenait l’objet de toute cette pagaille. Il devait l’apporter à son Capitaine, c’était d’une importance capitale, s’il y parvenait, il serait sans doute promu. Il ouvrit le coffre et en sortit le fruit à l’apparence peu ordinaire. Ce n’est qu’à la dernière seconde qu’il vit les dispositifs détonants dans la cassette de bois. Il se retourna le plus vite qu’il put et tenta de courir en direction de la porte, restée ouverte.

    L’explosion retentit et éjecta le pauvre forban en dehors de la cabine, le fruit s’échappant de ses mains et décrivant une courbe vers les cieux, si bien que chacun pu observer, le temps d’un regard, quel était cet Ovni qui perturbait leurs massacres à coups de poings, pieds, dos, hachettes, pelles, râteaux, fusils d’assaut, ou encore une tonne d’objet plus ou moins contondants. Et le premier à se précipiter dans sa direction fut évidemment le Capitaine Crachin. Au bout de la trajectoire du fruit cependant, il y avait un pauvre Marine, qui n’avait rien demandé d’autre que de démembrer du malfrat tranquillement. Un gars de Satomaru, qui, dès qu’il eut capté le fruit, le relança dans une autre direction.

    Un pirate intercepta le projectile et le lança en direction de son Capitaine, mais la course du fruit fut déviée par une calebasse qui le fit atterrir dans les paluches d’Elizorabeth. Celle-ci s’empressa de s’agripper aux cordages et de fuir le plus loin possible de la menace ambulante et de son Haki. Elle s’empressa d’ailleurs d’aller le coller dans les mains poisseuses de son comptable d’homme-poisson. Qui ne le garda pas bien longtemps et le fruit passa par une vingtaine de mains, faisant tourner en bourrique le, déjà très énervé, Crachin.

    Le fruit avait désormais beaucoup tourné, beaucoup volé. Il ne manquait pas de changer de propriétaire toutes les deux ou trois secondes. Jusqu’à ce que l’infortune le fasse tomber entre les mains de la personne qui, sur le bateau, avait le moins envie de le tenir, l’ex-officier de la Marine d’XxX, Sigurd Dogaku. Celui-ci, tétanisé, regarda le Pirate arriver tranquillement sur lui. Son cerveau tournait à vive allure, cherchant une solution viable. Quand Crachin fut à une dizaine de pas de lui, la seule solution qu’il trouva fut…
    De balancer le fruit à la mer. Directement.

    Crachin se précipita vers le bord du ponton, pour voir s’enfoncer, de plus en plus profondément, l’objet de son désir. Dans quelques secondes, il se remettrait probablement dans un état de rage profond, qui irait probablement à l’encontre de Sigurd. Celui-ci s’éclipsa le plus rapidement possible, rejoignant ses compagnons.

    « CRACHIN ! Hurla Elie. C’est le moment ou jamais ! Partez, prenez un navire, rassemblez vos hommes et partez. »

    Le pirate la regarda une dernière fois et acquiesça d’un bref signe de tête. Il ne donna aucun ordre, mais se replia sur son galion, et celui-ci commença à partir. Les pauvres Marines qui restaient à son bord n’allaient sûrement pas faire long feu. Certains le comprirent bien assez vite. Les pirates qui n’étaient pas encore sur le navire tentèrent de le rejoindre. Mais Satomaru veillait au grain. Si une petite partie de ces hommes réussirent à passer les barrières bleues qui s’étaient formées au premier signe du sergent, la plupart s’y écrasèrent vaincus.

    Bartimeus Mousch aurait pu aisément traverser le blocus de Marines qui s’était formé entre ce qui restait du navire de Grenadine et le bateau de Crachin en partance. C’était compter sans l’intervention des forces conjuguées de Santa et du sergent, épaulés par les quelques forces qui restaient à l’homme-poisson comptable et à son humandrille de compagne. Le colosse à barbe blanche avait attrapé le pirate par les bras, le soulevant de terre tandis que Satomaru lui fixait les menottes du mieux qu’il pouvait ; Mousch se débattait sauvagement. Mais les efforts combinés de quatre personnes eurent raison des siens. C’en était fini du gros lieutenant, il était pris.

    ***

    CAPSLOCK avait anticipé la manœuvre de Crachin, et c’était son propre navire qui venait couper la trajectoire de fuite du galion. Et le bâtiment du Pirate n’avait pas encore prit assez de vitesse pour doubler l’autre sans gros souci. Ainsi, pirates comme Marines chargèrent les canons, sortirent barils de poudres et boulets et s’apprêtèrent à faire feu. Dans quelques instants, les sphères métalliques déchireraient l’air pour venir éclater la coque de bois du navire adverse, et il aurait alors deux possibilités ; que le navire de Crachin traverse ou qu’il coule.

    « MOUSCH !
    -Le lieutenant Mousch n’a pas… hésita une petite voix.
    -Quoi ?!
    -Il n’a pas réussi à rallier le navire.
    -J’y retourne.
    -Capitaine, vous avez entendu ce que vous as dit le capitaine Barbara ? Il faut partir. En revenant plus forts, nous pourrons libérer tous nos alliés.
    -Si je perds tous mes lieutenants à chaque bataille, je ne risque pas de revenir plus fort. J’y vais.
    -Pas besoin Capitaine. Si vous pouviez juste me retirer ces putains de menottes, ça me scie les poignets, intervint le lieutenant dégoulinant d’eau de mer qui venait de se hisser sur le pont. »

    Les pensées du Capitaine étaient sombres, il avait tout perdu et tout gagné dans cette histoire, il partait victorieux, mais d’une victoire salie par la perte d’êtres ou d’objets chers à son âme. Dans les tréfonds de North Blue dormait désormais un joli fruit qui faisait beaucoup d’envieux. Il ne pouvait plus désormais que contenir cette rage. Il la déverserait probablement plus tard, en faisant s’effondrer une petite montagne.

    En face, le colonel CAPSLOCK réfléchissait. Beaucoup. Il savait qu’il n’avait aucune chance de retenir bien longtemps le Pirate. Il était trop fort, il avait battu son sergent. Et son sergent avait une sacrée formation de combattant. Qu’on se le dise, c’était sans doute le Marine le plus au point techniquement sur tous ceux qui avaient été mobilisés pour le blocus de l’île. Il détourna le visage du navire qui leur fonçait dessus. Et vit la jeune femme qui attendait, derrière lui.

    « JUSQU’ICI MADEMOISELLE, CE QUE VOUS M’AVEZ DIT S’EST REVELE JUSTE. PUIS-JE ENCORE VOUS FAIRE CONFIANCE ?
    -Ce n’est pas à moi qu’il faut poser la question, le Capitaine Barbara saura bien mieux répondre que moi, répondit-elle insolente.
    -JE N’AI PAS LE TEMPS DE FAIRE APPEL A ELLE. PAS VRAIMENT L’ENVIE NON PLUS. VOUS SENTEZ-VOUS DE CALMER LE CAPITAINE CRACHIN ?
    -Que ..?
    -IL SEMBLE QU’IL S’APPRÊTE A COULER CE BATEAU. SI VOUS LUI DITES QUE NOUS LUI LAISSONS UNE PETITE JOURNEE D’AVANCE, PEUT-ÊTRE ARRÊTERA-T-IL LES FRAIS ?
    -Peut-être… hésita-t-elle. Je marche… »

    Grenadine regarda fixement le navire approcher. Bientôt, dès que la petite barque serait prête, elle rejoindrait les siens, et le futur roi des pirates. La proposition de la confrérie, en la personne de Barbara était alléchante, mais elle sentait qu’elle n’avait pas encore le niveau pour être au sein de la même instance que tous ceux qu’elle avait jusqu’ici rencontrés. Elle sourit. Un long sourire. Elle avait failli faire quelque chose de grand. Mais elle en était sûre désormais, aux côtés d’un Capitaine comme le sien, elle ferait encore plus grand.

    Sa barque avança. Puis percuta le bord du navire. Elle monta sur le pont. Ah, qu’est-ce qu’il lui avait manqué ce pont. Pourtant, elle ne l’avait quitté que l’espace de quelques heures, même pas une journée complète. Mais les événements qui avaient eu lieu entretemps ne lui avaient laissé aucun répit. Aussi, arrivée enfin dans un endroit où elle savait qu’il n’y aurait plus ni combats ni manipulations pendant au moins un moment, elle put enfin se détendre complètement. Elle aperçut de dos, le Capitaine Crachin, qui regardait vers l’avant. Il brillait toujours de cet éclat doré. Quel pouvoir fabuleux pensa-t-elle. Elle s’approcha de lui.

    « Capitaine, les Marines ont décidé de nous laisser une journée d’avance… »

    Et Crachin de se retourner brusquement, transperçant le ventre de la jeune femme de sa main. Et de lui murmurer à l’oreille :

    « Il n’y a pas de nous qui tienne traîtresse, il y a moi, et les autres… »

    Puis, il la catapulta en direction des Marines. Elle s’empala sur un crochet d’amarrage qui traînait. Et CAPSLOCK ne prit même pas la peine de se retourner. Il savait, lui-aussi, que même s’il venait de gagner, il avait aussi beaucoup perdu. C’était une petite vengeance que d’envoyer un membre de ceux qui avaient perdu son fruit à l’abattoir. Il n’aurait pas de remords. Il avait autrement plus à faire avec le nombre de Pirates qu’il devait mettre en prison.

    ***

    « Lutin de Nowel ?
    -Ta gueule… J’ai dit de plus m’appeler comme ça, c’était une blague.
    -Il s’appelle Baleine ! D’abord !
    -Les navires sont à portée, on fait quoi ?
    -On s’casse.
    -Je croyais qu’il fallait aller les sauver ?
    -Tu croyais ? Ben…
    -Je ne me suis pas embarquée sur ce navire pour m’arrêter à une centaine de mètres du résultat !
    -Ta gueule la mégère. C’est toi qui nous as fait chier parce que c’était ultra dangereux.
    -Mais là, ça n’est plus dangereux ! Les pirates sont partis !
    -Justement, plus dangereux, donc plus besoin d’aller sauver qui que ce soit, on s’casse les cocos. Vous avez bien servi l’esprit de Nowel, j’vous offrirai une belle p’tite goutte de potion.
    -Pas question ! Je prends les commandes. En tant qu’ex-membre de la Marine d’xXx…
    -Oh putain… »

    ***

    « Colonel ?
    -OUI SATOMARU ?
    -Vous les laissez partir comme ça ?
    -LES CHEVALIERS DE NOWEL ?
    -Non, les Pirates de cette Barbara…
    -CHOSE PROMISE, CHOSE DUE. MAIS J’AI FAIT FAIRE SON PORTRAIT, ELLE SERA PRIMEE AVANT QU’ELLE AIT EU LE TEMPS DE DIRE OUF.
    -Bonne initiative. Vous allez féliciter les Chevaliers ?
    -BIEN ENTENDU, J’IRAI SERRER LA MAIN DE CE SANTA KLAUS, JE VAIS POUVOIR LE RENCONTRER MAINTENANT.
    -Oui…
    -ET TOI AUSSI SATOMARU, JE VAIS APPUYER TA CANDIDATURE DANS L’ELITE AUPRES DE MES COLLEGUES. TU LA MERITES.
    -Bon, laissons le navire retourner à terre. Nous verrons bien si nous réussissons à coincer cette Barbara avant qu’elle ne prenne la fuite. Il semblerait qu’elle ait son propre navire au large de l’île.
    - CHERCHEZ-LE. »

    ***

    Sur les plages de Panpeeter, la foule était en liesse en voyant leur sauveur se ramener. Celui-ci était exténué et demanda à être logé rapidement. Elie avait profité du voyage pour se démaquiller. Elle était désormais redevenue une simple comédienne. Quel rôle tout de même. Ils avaient tous pris des chambres dans un hôtel de Varedas, insistant lourdement pour payer, malgré les protestations de l’hôtelier et des nombreux habitants qui voulaient avoir le privilège de payer le lit et le couvert de leurs sauveurs.

    Ils avaient encore une multitude de choses à faire. Et ils resteraient probablement une bonne semaine pour tenter de rendre normale la vie sur l’île. D’ici là, certains se seraient sûrement amusés à ériger des statues à l’effigie du grand bonhomme sympathique et jovial.
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