« Mon commandant, ça y est, ça y est, on en tient un !! »
Dans le salon-séjour-salle de jeux pour invités du Manoir Dogaku, tout le monde s’interrompit pour jeter un regard surpris au sergent-chef Jürgen Krieger qui venait de débouler comme un fou, le sourire satisfait, rayonnant de la joie simple du travail bien fait. Sur ses talons venaient deux Marines encadrant un type solidement menotté et vêtu d’un genre de pyjama noir, d’un masque et d’une cagoule. Ou plutôt, d’une typesse, au vue de sa morphologie générale.
Tous les regards se braquèrent ensuite illico sur la supérieure hiérarchique du Nordique, en attente du fin mot de cette histoire.
« Très bien, sergent Krieger, bon travail, le félicita automatiquement Rachel.
_ Vous pourriez nous expliquer ? Demanda Valmorine.
_ Nous avions remarqué que des individus particulièrement louches rôdaient régulièrement auprès de la propriété du capitaine Dogaku malgré le cordon de surveillance que nous avions mis en place.
_ Un cordon de surveillance ? Tiqua Sigurd.
_ Bien sûr : après votre kidnapping, il était primordial d’assurer une sécurité renforcée, signala l’imposante albinos.
_
Mmmh, ça explique pourquoi je ne trouve plus d’agent du CP dans mes armoires, dernièrement… Je commençais à m’inquiéter pour eux._ Malgré cela, nous avons noté la présence d’individus menant une surveillance assidue de votre demeure. Cependant, ils étaient trop agiles pour qu’on parvienne à les capturer. Tout du moins, jusqu’à ce que nous recevions l’aide de mademoiselle Jorgensen.
_ Quelle aide ? S’étonna l’intéressée.
_ Les corsaires que vous avez déployé dehors, précisa Rachel.
_
Oups… Je les avais complètement oublié, ceux-là…_ Cela nous a permis d’alléger notre dispositif et de nous concentrer sur ces individus trop discrets pour être honnêtes, conclut la commandante.
_ MAIS V…
Hum-hum ! Mais vous avez le droit de faire ça ? S’enquit CAPSLOCK. Car au cas où vous l’auriez oublié, la Marine n’a pas d’autorité sur Luvneel.
_ Les habitants de Luvneel sont des citoyens du Gouvernement Mondial, à ce titre, nous sommes habilités à intervenir pour assurer leur protection, rétorqua Rachel.
On est la Marine, on ne laisse pas tomber les gens pour des arguties juridiques !_
En fait, les questions de souveraineté nationale sont carrément à l’opposée des arguties juridiques, hein…_ Et qu’est-ce que vous allez faire, maintenant que vous en avez attrapé un ? Demanda Sigurd.
C’est comme ces chiens qui poursuivent les carrosses, ch’uis curieux de voir ce qui arrive quand ça marche._ Hé bien, ça dépend, fit la commandante. Est-ce que notre nouvelle invitée est disposée à communiquer ?
_ Oui, mon commandant ! Répondit fièrement Jürgen. Même qu’elle répète tout le temps "je vous dirai rien, même sous la torture, raclure !".
_
Ce n’est pas tout à fait ce que j’espérai quand vous m’avez répondu oui… Alors on va la livrer aux autorités compétentes, soupira Rachel.
_ Attendez, commandante ! Intervint subitement Haylor. Je pense que nous avons clairement à faire à une honnête citoyenne de Luvneel, rien qui ne justifie de la livrer à qui que ce soit.
_ Elle rôdait près de chez vous en tenue de ninja, objecta l’imposante albinos.
_ Un… genre de tradition locale, affirma la sorcière de Luvneel.
_
Ah bon ?_
Chut. Ce n’est pas le moment, Sigurd._ On ignore qui elle et pourquoi elle fait ça, insista Rachel.
_ Je suis certaine qu’elle ne pensait pas à mal, affirma Haylor. Ai-je tort, mademoiselle… ?
_ Je ne vous dirai rien, même sous la torture, raclure ! Clama l’inconnue.
_
C’est un peu long comme nom, ça. Z’auriez pas un diminutif, par hasard ?_ Vous voyez, balaya la sorcière de Luvneel. Exactement comme je vous le disais. »
Sigurd fit de son mieux pour rester sérieux. Il n’avait pas la moindre idée de ce qui se tramait, mais ça gênait tellement sa moitié qu’elle n’arrivait même pas à produire une excuse bidon crédible. C’était aussi ridicule qu’adorable.
De son côté, Rachel était plus qu’embêtée. Elle non plus n’avait pas la moindre idée de ce qui se tramait, mais ça l’inquiétait que miss Haylor et le capitaine Dogaku prennent ainsi à la légère des entrées par effraction dans leur propre domaine. Certes, les tentatives passées à répétition du CP les avaient habitué au côté moulin de leur manoir, mais ce n’était pas une raison pour fermer les yeux sur tout et n’importe quoi. Surtout en cette période où…
Rapide coup d’œil circulaire. Tout le monde suivait l’échange comme un match de ping-pong, l’assemblée était donc suspendue à ses lèvres, attendant avec impatience la prochaine réplique. Inutile d’essayer de faire quoi que ce soit discrètement dans ces conditions.
Rachel du donc se résoudre à prendre son courage à deux mains.
« Miss Haylor, capitaine Dogaku, pourrai-je… heu… vous parler en privé ?
_ Ben c’est-à-dire que… Commença le blondinet qui n’eût pas le temps de finir sa phrase.
_ Bien sûr, trancha immédiatement la sorcière de Luvneel. Allons donc dans la bibliothèque.
_ Et nous ? Demanda Jürgen.
_ Je ne vous dirai rien, même sous la torture, raclure ! Clama l’inconnue.
_ Restez-là, nous ne serons pas long. » Assura Rachel.
Le reste de l’assemblée retourna à ses occupations respectives – jeux de cartes, dégustation de crème glacée et autre préparation de cocktails assommants – tout en marmonnant dans leurs barbes des commentaires déçus quant à l’absence de vainqueur du match de ping-pong verbal. Pendant ce temps, Rachel et Sigurd suivirent l’hôtesse des lieux jusqu’à un autre salon à peine moins grand que le précédent, abritant de confortables fauteuils moelleux et des étagères de livres et grimoires divers et variés.
« Écoutez, Capitaine Dogaku, Miss Haylor, commença la commandante. Il faut que vous sachiez que lorsque l’Amirauté m’a détachée auprès de Luvneel, ils m’ont particulièrement briefée sur…
_ Laissez-moi devinez, intervint Sigurd. Ils vous ont dit de me tenir à l’œil, pas vrai ?
Haha, je le savais, ils m’en veulent encore pour Nanokutruk._
… Nanokutruk ?_
Il veut parler de Kanokuni._ Quecejemblep… pas du tout ! Bafouilla Rachel en essayant vainement de paraître la plus convaincante possible.
_ Sérieux ?
_ Oui, mentit la commandante en pensant très fort à sa mission officielle.
_
Rooh, ‘faut que je fasse quoi pour attirer leur attention, alors ? Je devrais peut-être pousser Luvneel à proclamer son indépendance._
Non vous ne devez pas !_
Heu… c’était une blague, hein._
Désolée, j’ai vraiment cru que… Heu… hum. Bien, bien, bien…_ Alors, que vous a dit l’Amirauté ? S’impatienta Haylor.
_ Bon, il n’y a pas de moyens de prendre de pincettes pour dire ça, alors autant y aller direct, louvoya Rachel. Vos vies sont en danger !
_ …
_ …
_
Vous prenez ça nettement mieux que je ne le pensais, je dois dire._ Et vous ne vous êtes pas dit que cette information aurait pu nous intéresser
avant le coup de force de Taro, plutôt qu’
après ? Demanda Haylor d’une voix glaciale.
_ Hein ? Mais non, je…
Ooooh, d’accord, j’ai compris ! Non, non, non, réfuta précipitamment Rachel. Je ne vous parle pas de Taro Tas-de-muscles, voyons : si la Marine en savait aussi long sur ce que trament les quatre Empereurs, on ne serait pas autant à la peine pour s’en occuper.
_ Alors de qui parle-t-on ? Voulut savoir Sigurd.
_ On parle de… groupuscules… dont vous avez peut-être bien ruiné les plans dernièrement… et qui pourraient être… légèrement rancuniers à cet égard, essaye d’expliquer Rachel sans entrer dans les détails.
_ Des groupuscules ? Genre le CP ? S’amusa le capitaine Dogaku.
_ … Nooooon.
Du tout._
Ça doit être marrant de jouer au poker avec vous._
Je ne vois absolument pas de quoi vous voulez parler ! Non mais peu importe, balaya la commandante. CP, révolution, on s’en fiche : ce qui compte, c’est que des gens malintentionnés en ont après votre vie, alors on ne peut pas laisser de parfaits inconnus rôder en toute quiétude autour de vous !
_ Roooh, ‘faut pas vous… commença le Sigurd.
_ Un instant, le coupa derechef Haylor, qui n’était pas née de la dernière pluie ET savait pertinemment d’où sortait la ninja-mystère. Commandante, pourrais-je vous parler en privé ?
_ Hein ? S’étonna le capitaine Dogaku. Mais attendez, c’est ridicule, on vient justement de quitter les autres pour discuter de tout ça en privé !
_ Hé bien je dois parler à la commandante en privé de chez privé, maintint la sorcière.
_ Vous allez vraiment retraverser la salle de jeu à deux devant tout le monde pour ça ? Insista Sigurd.
Vous le sentez bien que ça va être ridicule, non ? _ Nous discuterons dans le couloir, voilà tout, se buta Haylor. Attendez-nous donc ici trente secondes.
_ Mais…
_
Stop. Taisez-vous et laissez-moi faire. Commandante, si vous voulez bien me suivre. »
Sigurd regarda les deux demoiselles filer, sans rien dire. Après tout, pour une fois que sa moitié insistait pour qu’il ne fasse rien, il n’allait pas s’en plaindre, non plus. En plus, son gros fauteuil préféré lui tendait les bras et cela faisait bien depuis… depuis le début qu’ils recevaient des invités non-stop qu’il n’avait plus pu s’adonner à ses petites siestes digestives de l’après-midi. Le blondinet se frotta les mains. Oh non, il n’allait rien dire : l’occasion était tout bonnement trop belle.
Lorsque Rachel eut refermée la porte derrière elle, Haylor la prit immédiatement à partie, à voix basse.
« Écoutez, commandante, je pense avoir bien compris la situation, commença la sorcière. Je me doute de quels groupes vous voulez parler et je comprends le danger. Mais je vous assure que notre dernière invitée n’en fait pas partie.
_ Heu… D’accord, mais qu’est-ce qui vous fait dire ça ? Voulut savoir Rachel.
_ …, ne répondit rien miss Haylor tout en virant au rouge pivoine.
_ Ooookay… Vous la connaissez ? Essaya de démêler la commandante.
_ Non. Pas personnellement. Mais je connais son… heu… groupe.
_ Vous vous rendez bien compte à quel point vous êtes vachement nébuleuse, là ? S’enquit Rachel.
Vous ne voulez vraiment pas m’en dire plus ?_
Ça, jamais. Hors de question._ Mmmh… réfléchit un instant la commandante. Bon, d’accord, on va la relâcher et laisser ses comparses libres de leur mouvement.
_ Quoi ? C’est tout ? Aussi simplement que ça ? S’étonna Haylor qui s’était attendue à devoir faire des pieds et des mains pour faire valoir son point de vue.
_ Hé bien, oui, acquiesça Rachel. Lors du kidnapping du capitaine Dogaku, vous m’avez avoué être "une femme méfiante et paranoïaque",
je vous cite, hein…_
Non mais c’était juste que j’étais affreusement stressée : d’habitude je ne suis pas comme ça._
Je pense que d’habitude vous ne le reconnaissez pas mais que vous êtes exactement comme ça._
Oui. Ne le répétez à personne._ Bref, reprit Rachel, si vous me dites que vous, vous faites aveuglément confiance à notre invitée, je suis plutôt encline à croire qu’elle et ses amis ne constituent pas un danger direct vous concernant.
_
Direct ?_
Ben, c’est-à-dire qu’on m’a intimé de garder un œil sur tout depuis la tentative de kidnapping du capitaine Dogaku, en fait. Je prends mes ordres de l’Amiral Jared, je vous rappelle._ Très bien, soupira de soulagement Haylor. Puisque nous sommes donc d’accord, allons régler ça tout de suite ! Reprit l’ancienne commissaire en se dirigeant vers la salle de jeu.
_ Hein !? Quoi ? Tout de suite ? Paniqua Rachel. Mais on a même pas convenu de ce que je vais dire aux autres !
_ M’en fiche, vous n’aurez qu’à improviser. »
Avant que la commandante n’ait eut le temps de la rejoindre, la sorcière de Luvneel avait déjà ouvert la porte et entrait dans la salle de jeux. Rachel pesta intérieurement : plus le temps de préparer quoi que ce soit.
À l’intérieur, tout le monde interrompit de nouveau de ce qu’il faisait afin de pouvoir saisir le fin mot de l’histoire.
« Sergent-chef Krieger ? Interpella Rachel. Veuillez libérer votre prisonnière, il s’agit d’une terrible méprise.
_ Heu… plaît-il, mon commandant ? S’étonna Jürgen en fronçant les sourcils.
_ Il s’avère que cette personne est… »
Hésitation. Pas d’excuse. Panique. Furtif coup d’œil vers Haylor en quête d’idée. Regard glacée. Aucun soutien de la sorcière de Luvneel. Panique plus plus. Une idée ? Une idée !
« … cette personne fait partie du fan-club officiel de la sorcière de Luvneel, affirma la commandante.
_ Une sorcière ? Répéta Jürgen incrédule, résumant l’opinion majoritaire de la salle. Mais elle… elle ressemble à un ninja.
_ Oui, la confusion est courante, mais je vous assure qu’il s’agit en réalité d’une apprentie-sorcière, assura Rachel avec aplomb.
_ Elle porte un kimono noir, insista le sergent-chef.
_ Plus pratique en balai volant que les robes bouffantes.
_ Elle a une capuche !
_ Le chapeau ne tient pas en balai volant.
_ Elle saute de branches en branches sur les arbres !
_ Apprentie-sorcière : elle n’a pas encore son permis balai-volant.
_ …
_ …
_
Mon commandant, tout va bien ? Parce qu’on dirait qu’on vous a jeté un sort de confusion mental, là._
Ce que font les sorcières et non les ninjas, CQFD, sergent._
Oh. C’st pas faux… Très bien, fit Krieger en se tournant vers la captive. Mademoiselle ?
_ Je ne vous dirai rien, même sous la torture, raclure ! Clama l’intéressée.
_ Tout ceci résulte visiblement d’une tragique méprise, poursuivit le sergent sans se démonter. Nous nous excusons pour la gène occasionnée. Veuillez accepter ce billet pour la représentation de la fanfare demain soir, au Zénith du port de Nordland.
_ De quoi !? Explosa la ninja. Non mais c’est quoi ces conneries !?
_
Vous n’aimez pas la musique ?_ Je me suis entraînée très dur pour être la meilleure, fulmina l’intruse. J’ai eu les meilleurs notes aux enseignement de résistance à la douleur. Vous pourriez me faire marcher sur des braises ou me faire manger du verre pilé, jamais je ne vous donnerai la moindre information ! Comment osez-vous ne pas me torturer ?
Et le respect du prisonnier, alors, bordel !?_
Ben ch’uis déjà pas fan de la torture, alors si en plus vous nous dites qu’y a aucune chance que ça marche…_ C’est une honte ! Tempêta la ninja. Je me suis préparée toute ma vie pour ça ! Comment pouvez-vous à ce point réduire mes efforts à néant ! Croyez-moi, je ne vais pas en rester là ! Je vous promets des ennuis comme jamais ! Je vais… »
C’est alors que l’intruse se figea tandis qu’elle croisait le regard de miss Haylor. Haylor, qui lui décochait un regard à faire geler les enfers. Soudainement, la demoiselle jugea plus prudent de battre en retraite fissa-fissa sans plus faire la moindre esclandre.
« Je vais… je… Vous avez bien dit deux places pour le concert de la fanfare au Zénith du Port de Nordland ? Vérifia subitement la ninja.
_ Hein ? Oh, ben oui, si vous voulez, assura le sergent Krieger.
Oooh, je vois, c’était une ruse pour en négocier plus._
Heu… Oui, oui, c’était exactement ça, hihihi. Désolée pour la méprise._
Ouf, un instant, vous m’avez fait peur. »
Jürgen et les deux matelots raccompagnèrent l’apprentie-sorcière jusqu’à la porte, pendant que Rachel poussait un long soupir de soulagement intérieur. Ouf, tout était bien qui finissait bien.
« Et… Vous avez fait quoi de Sigurd, au fait ? » S’enquit Elie.
Rachel et Haylor échangèrent un regard en prenant conscience qu’elles avaient complètement le blondinet, présentement béatement plongé dans les bras de Morphée sur son fauteuil préféré.
*
* *
La journée tirait à sa fin et Rachel était de retour à la Caserne, une ancienne caserne de pompier que les autorités avaient généreusement mise à disposition du corps expéditionnaire de la Marine. Fidèle à son habitude du bricolage, Edwin y avait mené tout un tas de réparation et de customisation pour en faire à la fois une solide place forte et un charmant chez-soi qui ravissait tous les Marines.
Comme d’habitude, il restait à la commandante la joie de devoir produire un rapport de la situation à destination de l’Amirauté concernant les avancées – ou non-avancée, en ce moment – de l’expédition Luvneeloise, ainsi qu’un autre à destination du QG de North Blue concernant le bon déroulement de son
autre mission pour le compte de la Marine, doublé en prime d’une version spécifique pour les huiles du CP1. Après quoi, il faudrait probablement qu’elle appelle directement l’Amiral Jared pour le convaincre que tout ce qu’il avait lu de travers dans le dernier rapport qu’il avait lu était faux et l’empêcher de mettre à exécution une nouvelle initiative désastreuse concernant Luvneel.
La Marine était une organisation largement bureaucratique. La commandante officiait sous une double tutelle de l’Amirauté et du CP. Et elle courait deux lièvres à la fois. Ce qui faisait beaucoup de compte à rendre pour somme toute pas grand-chose.
Mais elle était la Marine, que diable ! Pas question de se laisser décourager par quelques tracasseries administratives !
Cela dit, Rachel songea qu’elle devrait peut-être se renseigner pour savoir si son grade de commandante lui autorisait à s’adjoindre les services d’un secrétaire…
Alors qu’elle pénétrait dans la salle principale, elle fut immédiatement hélée par le lieutenant Davenport.
« Commandante ! Un appel pour vous sur la ligne prioritaire !
_ Je prends tout de suite ! »
Flûte de zut. La ligne prioritaire, celle qui reliait directement son bureau à ses supérieurs. Jared. Encore. Prise de tête en perspective.
« Allô ? Fit Rachel en déboulant en trombe dans son bureau pour décrocher l’escargophone. Ici la commandante Syracuse, agent de liaison de la Marine détachée auprès des forces royales de Luvneel. Amiral, nous en avons déjà discuté, le Buster Call n’est p…
_ Allô, Syracuse ? Fit une voix féminine au bout du fil. Ici Lucie de Vimille.
_
Oooups… Mes respects, madame ! S’exclama derechef la commandante.
_ Repos, soldat ! Rétorqua sèchement la directrice du CP1. Je vous ai pourtant déjà dit d’arrêter de me saluer, je ne fais pas partie de la Marine. »
Rachel cessa son salut et regarda piteusement autour d’elle. Comment avait-elle su ? C’était donc vrai, le CP avait des yeux partout ?
« Désolée, madame.
_ Passons, balaya Lucie. J’ai lu avec plaisir votre rapport concernant l’incursion de ce Taro et je tenais à vous féliciter : vous avez particulièrement bien agi. La situation aurait pu devenir particulièrement catastrophique si l’Impératrice avait mis la main sur Sigurd Dogaku.
_ Merci madame. Mais je ne suis pas certaine de voir ce que cela change, osa Rachel, vu que Luvneel va quand même aller sur Vertbrume accomplir la volonté de Kiyori…
_ Détrompez-vous, commandante, rétorqua la directrice. La différence est cruciale : Luvneel possède toujours Sigurd, Kiyori n’a pas de moyens de pression directs, l’expédition dispose encore d’une très grande marge de manœuvre. C’est largement plus qu’il n’en faut à Dogaku pour produire des miracles, vous verrez.
_ Bien, si vous le dites, madame.
_ Allons, un peu d’optimisme, Syracuse ! La rabroua gentiment Lucie.
_ Je continue à m’en faire pour mes hommes, répliqua Rachel. Nous n’étions pas censé affronter les pirates du Nouveau Monde lors de l’expédition.
_ L’expédition a négocié un sauf-conduit avec les forces Kiyori, non ? Souligna la directrice. Donc, tout va bien.
_ Sauf que pour le négocier, il a fallu gérer Taro Tas-d’… Onogawa, lui reprocha la commandante.
_ L’expédition n’avait pas encore commencé, ça ne comptait donc pas, balaya Lucie.
_
C’est jouer sur les mots, ça !_
Bien sûr, je suis du CP. Nous vous avons assigné à l’expédition parce que nous avions confiance dans votre capacité à gérer les imprévus, lui rappela la directrice. Et c’est très exactement ce qui s’est passé. Alors, qui avait raison ?
_
C’est vil, je peux pas me plaindre après un compliment._
Bien sûr, je suis du CP._ Sinon, quelle est la raison de votre appel ? Voulut savoir Rachel.
_ Vous pensez que je ne peux pas simplement appeler un subalterne pour le féliciter ?
_ Non.
_
Bien vu. J’ai de nouvelles informations-clefs pour vous, reprit plus sérieusement la directrice.
_ Je vous écoute, madame.
_ Le CP5 s’est retiré de la course, lui révéla Lucie. Ils ont renoncé à s’en prendre à Dogaku et ont réaffecté leurs agents à d’autres tâches.
_ Hein ? Mais pourquoi ? S’étonna la commandante.
_ Hé bien, je cite : "Entre les pirates du nouveau monde, le corps expéditionnaire de la Marine, les Corsaires de Luvneel et les ninjas de Nordland…"
_ Apprentie-sorcières, lâcha Rachel.
_ Pardon ?
_ Pas des ninjas, des apprentie-sorcières.
C’est un fan-club._ …
_ …
_ …
_
Heu… Allô ?_
Désolée, j’essayais vainement de donner du sens à vos propos. Bref ! "… la cible Sigurd Dogaku s’avère être sous l’étroite surveillance d’un grand nombre de dispositifs de sécurité. Toute tentative d’assassinat nécessiterait le déploiement d’effectifs conséquents supplémentaires ou plus expérimentés, actuellement déjà affectés sur d’autres missions d’importances capitales. Ces missions étant bien plus cruciales que le cas Dogaku, la mission est actuellement ajournée jusqu’à nouvel ordre".
_ Oh. Alors quoi… J’ai fini ma mission ? S’inquiéta Rachel.
_ Absolument pas, la rassura Lucie. Tout d’abord, quoi qu’il arrive, votre mission officielle reste d’accompagner l’expédition. Ensuite, bien que nous soyons désormais rassurés vis-à-vis du CP, nous continuons à nourrir des inquiétudes quant aux actions des Révolutionnaires. Veuillez donc continuer à garder un œil sur Sigurd.
_ Bien reçu, madame.
_ Et ne laissez pas l’occasion à cet imbécile de proclamez l’indépendance de Luvneel !
_
Non mais rassurez-vous, il a dit que c’était une blague… »